LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 28 avril 2022.
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 29 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, le service extérieur canadien et d’autres éléments de l’appareil de politique étrangère au sein d’Affaires mondiales Canada; et pour étudier les relations étrangères et le commerce international en général.
Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je m’appelle Peter Boehm. Je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Avant de commencer, je voudrais présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui : la sénatrice Gwen Boniface, de l’Ontario; la sénatrice Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse; la sénatrice Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse; la sénatrice Marty Deacon, de l’Ontario; la sénatrice Amina Gerba, du Québec; le sénateur Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Michael L. MacDonald, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Victor Oh, de l’Ontario; le sénateur Mohamed-Iqbal Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador; le sénateur David Richards, du Nouveau-Brunswick; et le sénateur Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
[Français]
Bienvenue à tous, chers collègues, ainsi qu’à tous les Canadiens et Canadiennes qui nous regardent aujourd’hui. Nous tenons une séance hybride, et j’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins qui participent à la réunion par vidéoconférence qu’ils sont priés de garder leur micro éteint en tout temps, à moins que le président leur donne la parole.
Je demanderais aux sénateurs d’utiliser la fonction « lever la main » pour indiquer leur souhait d’intervenir. Les sénateurs présents dans la salle de réunion peuvent le signaler directement à la greffière, Mme Lemay, qui est à mes côtés.
Si un problème technique survient, particulièrement en ce qui concerne l’interprétation, veuillez me le signaler ou en faire part à la greffière, pour que nous puissions le régler rapidement.
Aujourd’hui, dans un premier temps, nous poursuivons l’étude spéciale que nous avons entreprise le 7 avril — c’est tout récent —, qui porte sur le service extérieur canadien et d’autres éléments de l’appareil de politique étrangère au sein d’Affaires mondiales Canada.
[Traduction]
En deuxième heure, nous recevrons la ministre des Affaires étrangères avec qui nous discuterons spécifiquement de la situation en Ukraine. Nous l’inviterons plus tard dans le cadre de notre étude sur le service extérieur, alors vous aurez l’occasion de lui poser vos questions sur ce sujet.
J’aimerais maintenant présenter nos trois témoins de ce matin. Je crois que vous avez vu leurs biographies dans vos notes. Ce sont tous d’éminents Canadiens. Abbie Dann est une ancienne diplomate d’expérience qui a été ambassadrice du Canada en Ukraine de 2005 à 2008 et qui est maintenant membre du conseil d’administration du Service d’assistance canadienne aux organismes.
[Français]
Nous recevons M. Gilles Rivard, ancien diplomate et ambassadeur, qui est aujourd’hui collaborateur émérite à l’Institut des études internationales de Montréal. En 2013, il a été nommé sous-ministre adjoint responsable de la fusion de l’ACDI et du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, comme on l’appelait à l’époque.
[Traduction]
Finalement, je vous présente Len Edwards, qui a pratiquement occupé tous les rôles : il est ancien diplomate, ancien sous‑ministre au commerce international et aux affaires étrangères et a été sherpa pour le G20 et le G7. Il a occupé le rôle de sous‑ministre de l’agriculture et a été ambassadeur du Canada au Japon et en Corée. Il est maintenant agrégé de recherche en politique à la Johnson Shoyama Graduate School of Public Policy.
J’aimerais souhaiter la bienvenue à nos trois témoins et les remercier d’être parmi nous. Je vous rappelle que les déclarations liminaires doivent se limiter à un maximum de cinq minutes, sinon je devrai malheureusement vous interrompre. Après vos déclarations dans l’ordre annoncé, nous aurons une période de questions avec les sénateurs. Madame Dann, vous avez la parole.
Abbie Dann, membre du conseil d’administration, Service d’assistance canadienne aux organismes, à titre personnel : Bonjour chers sénateurs, collègues et amis. Je vous remercie de cette occasion de m’adresser à votre comité. Le sujet que vous étudiez est essentiel pour que le Canada, en tant que nation, réussisse à promouvoir les intérêts de ses citoyens et l’intérêt de tous les citoyens du monde.
Tout d’abord, en réponse à la grande question « Le service extérieur du Canada est-il apte à réaliser les objectifs de notre politique étrangère? », je dirais globalement que la réponse est oui, pour les objectifs actuels. Les plus récents résultats d’Affaires mondiales et le plan pour l’année prochaine indiquent clairement que notre service extérieur est robuste et apte à mettre en œuvre les programmes. Notre service extérieur est-il cependant aussi efficace qu’il pourrait l’être, et continuera-t-il à répondre aux besoins du Canada, disons, des 25 prochaines années? J’ai quelques propositions pour améliorer notre service extérieur et même le rendre optimal afin qu’il serve le Canada aujourd’hui et à long terme dans ce monde difficile et de plus en plus instable.
Je vais aborder trois thèmes : premièrement, les nouveaux défis de notre monde en matière de politique étrangère et leur incidence sur l’adaptation aux besoins; deuxièmement, le recrutement pour le service extérieur et l’éducation de l’effectif; et troisièmement, l’avantage comparatif. Quelles organisations font concurrence au service extérieur? Quels sont les modèles?
Je vais commencer par les défis émergents en matière de politiques. Au cours des 15 dernières années environ, la capacité d’élaboration de politiques, y compris l’expertise géographique, a diminué alors que les gouvernements ont priorisé la prestation de programmes. Le dernier plan ministériel suggère que cette approche pourrait changer. Toutefois, préparons-nous adéquatement notre service extérieur à relever les défis de ce siècle criblé d’incertitudes? Nous avons besoin de politiques réfléchies et de professionnels qualifiés aptes à composer avec les facteurs transversaux influençant les relations internationales tels que les cyberguerres, la désinformation, les interactions avec les médias sociaux et la lutte contre la diplomatie manipulatrice de poursuite pas à pas qu’utilisent les gouvernements autocratiques pour perturber les systèmes internationaux fondés sur les règles.
Le ministère est le carrefour naturel pour diriger un programme pancanadien avec des chercheurs, des experts et des ONG axées sur les relations internationales qui nous préparera de façon réaliste pour ces défis.
En second lieu, je vais m’intéresser à la composition du service extérieur. Les dernières années ont vu une remise en question du concept même de maintenir un effectif voué au service extérieur. Les partisans de cette approche croient qu’une rotation de fonctionnaires intéressés se relayant au terme d’affectations uniques peut tout aussi bien servir les intérêts internationaux. Je suis farouchement en désaccord avec cette position. Le but du service extérieur est le service extérieur, et la diplomatie constitue une compétence professionnelle au même titre que la médecine, l’enseignement ou le droit. On étudie pour la profession, et on s’engage à l’exercer. Idéalement, c’est une vocation. On ne peut tout simplement prendre une personne brillante, y ajouter une dose de poudre diplomatique, mélanger le tout et obtenir un diplomate. Le service extérieur doit être composé d’un noyau central de professionnels diplomatiques formés et occupant des postes permutants. Ce groupe devrait représenter environ 70 % du volet du service extérieur et pourrait certainement être complété par des spécialistes travaillant ponctuellement au service extérieur. Pourquoi? Parce que la réputation d’un diplomate, sa réputation et ses réseaux le suivent partout et parce que ce diplomate accumule des connaissances, des contacts et du mérite dans les cercles internationaux. Ces acquis professionnels se transforment en atouts pour le Canada. Tous les agents du service extérieur doivent suivre un même programme de base de perfectionnement professionnel afin d’optimiser la continuité de la présence diplomatique internationale du Canada.
Un service extérieur exemplaire compte idéalement des cadres ministériels dont la majorité a aussi acquis l’expérience du service extérieur. Ainsi, ces dirigeants comprennent le contexte exigeant où travaille l’effectif et sont considérés par leurs homologues internationaux comme des diplomates professionnels.
Notre service extérieur a également besoin d’un processus de recrutement limpide afin d’engager les esprits les plus brillants de la société canadienne ainsi que d’un plan pour les maintenir en poste en leur offrant une trajectoire de carrière claire et gratifiante. Jusqu’à tout récemment, le processus était extrêmement obscur et rébarbatif pour nos jeunes.
Finalement, le service extérieur a toujours été un ministère clé en appui à l’identité canadienne et au renforcement de la nation puisqu’il recrute du personnel représentant une multitude de groupes et de langues de toutes les régions. Alors que notre pays se diversifie et gagne en multiculturalisme, il est plus essentiel que jamais auparavant de nourrir l’engagement, dans notre service extérieur, de Canadiens voués aux objectifs internationaux. En bref, nous avons besoin d’un effectif se consacrant exclusivement au service extérieur.
Au sujet de mon troisième point qui porte sur l’avantage concurrentiel et la position du Canada, j’aimerais dire qu’aucun service extérieur n’existe seul. J’exhorte le comité à effectuer une analyse comparative de ce que font les services extérieurs les plus compétents du monde. Ce sont nos concurrents. D’autres pays — comme les pays scandinaves, l’Allemagne et le Brésil — continuent à consacrer considérablement d’énergie en matière de politiques et à largement investir en éducation et en financement afin d’appuyer leurs services extérieurs. Que font-ils pour préparer leurs services extérieurs à s’adapter aux objectifs de l’avenir, surtout en matière d’éducation?
Le président : Madame Dann, je suis désolé, mais je vais vous interrompre. Nous avons dépassé la limite de cinq minutes. Peut-être que le dernier point pourra être abordé pendant les séries de questions. Je vous remercie de votre déclaration.
[Français]
Monsieur Rivard, vous avez la parole.
Gilles Rivard, collaborateur émérite, Institut des études internationales de Montréal, à titre personnel : Merci de m’avoir invité à témoigner devant vous aujourd’hui. Mon intervention portera sur les répercussions de la fusion du MAECI et de l’ACDI, sur le service extérieur et sur son incidence sur la politique étrangère. Bien avant que cette décision soit prise, alors que je faisais carrière à l’ACDI, j’ai toujours cru que l’aide au développement faisait partie intégrante de la « trousse à outils » de notre politique étrangère. Cette vue n’était pas partagée par tous à l’ACDI, qui voyait l’agence de manière plutôt indépendante. Quand la décision a été annoncée en mars 2013, ce fut un choc pour plusieurs; ils y ont vu l’assimilation de l’ACDI par le MAECI, où le gros avale le petit.
Il y a pourtant des enjeux positifs dans cette décision du gouvernement de l’époque. Mettre les affaires étrangères, le commerce et le développement international sous le même chapeau a contribué à accroître la cohérence de nos relations internationales. Les divergences de vues ou de stratégies avant la fusion — par exemple, le choix des pays de concentration pour l’aide bilatérale — provoquaient parfois des frictions inutiles sur le plan politique. Avec la fusion, les situations ont pu se régler davantage parmi les sous-ministres et sous-ministres adjoints.
Comme j’étais l’un des sous-ministres adjoints responsables de la fusion, comme vous l’avez mentionné, monsieur le président, j’ai rapidement pris conscience des défis à relever. Neuf ans plus tard, plusieurs défis subsistent.
D’abord, parlons des ressources humaines. La progression des carrières et la permutabilité au sein du ministère, avec ses niveaux FS — pour Foreign Service —, sont uniques dans la fonction publique. Le personnel de l’ACDI, quant à lui, avait un système d’avancement de carrière commun avec toute la fonction publique, avec ses groupes PM — pour Project Manager et EC — pour Economic and Social Science. Sans entrer dans les détails techniques, cette situation a entraîné des problèmes très complexes d’intégration, et conséquemment, le secteur des ressources humaines travaille encore à défaire ce nœud gordien.
Deuxièmement, il y a cette perception, qui est encore bien vivante au ministère, selon laquelle les personnes qui œuvrent dans le développement ne sont pas de « vrais FS ». À cet effet, je cite ma collègue Margaret Biggs, qui a témoigné devant ce comité récemment :
[Traduction]
Pour être franche, l’histoire montre que les ministères des Affaires étrangères considèrent traditionnellement le développement comme une vocation secondaire. Et les ministères intégrés dans d’autres pays ont fait une mise en garde : l’expertise en matière de développement a tendance à se vider de sa substance après quelques années, ce qui affaiblit la capacité et l’efficacité.
[Français]
Affaires mondiales Canada n’échappe pas à cette réalité. L’intégration de l’ACDI au sein d’un ministère dont le développement n’était pas au centre de son mandat, le manque de reconnaissance du rôle primordial du développement, sans compter celles et ceux qui n’ont pu joindre la filière FS, cet ensemble d’enjeux ont entraîné plusieurs départs de professionnels qui avaient une grande expérience du développement : agents de programme, agents de contrats, agents financiers, spécialistes, etc. Une expertise importante s’est perdue au fil des années et n’a été que partiellement remplacée.
L’arrivée d’un sous-ministre du Développement international ayant une profonde connaissance du développement, ainsi que la nomination récente d’un sous-ministre adjoint pour l’Afrique qui a le même type d’expérience, sont de bonnes nouvelles pour Affaires mondiales Canada.
Il faut accroître les efforts en vue de recruter des cadres et des agents qui ont une expérience de développement, au siège du ministère et à l’étranger, afin de rebâtir notre expertise. L’Institut du service extérieur devrait accroître et diversifier la formation dans la planification et la gestion de projets et de programmes. Il faudrait faire davantage lors du recrutement de nouveaux agents, toutes filières confondues, pour les inciter à acquérir une expertise de développement.
Il faut trouver une solution à long terme pour améliorer la gestion des positions orientées sur le développement, y compris nos missions à l’étranger. Il faut que les agents du groupe PM ou de la filière « aide internationale » n’aient plus l’impression d’être désavantagés en matière d’avancement de carrière et d’affectations à l’étranger.
La fusion a eu aussi des répercussions importantes sur nos relations bilatérales avec certains pays en développement et sur la cohérence de notre politique de développement.
Ce gouvernement, lors de son arrivée au pouvoir, a voulu restaurer ses relations avec les institutions multilatérales : c’était un geste important et positif. Toutefois, avec les années et en raison de multiples crises, de plus en plus de fonds d’aide sont transférés aux institutions multilatérales afin de répondre à ces tragédies, dont la dernière en date est l’Ukraine.
Il est beaucoup moins risqué de transférer des fonds à des institutions multilatérales que de travailler directement avec des gouvernements de pays dans le besoin. C’est visible à court terme, rapide, concret et cela nécessite peu de ressources humaines pour répondre à la demande. Par contre, notre réputation comme grand donateur et partenaire bilatéral fiable en souffre. Le Canada a beaucoup moins d’influence dans certaines parties du monde en développement qu’il y a 10 ou 20 ans. Le budget alloué à l’aide au développement stagne autour de 0,3 % du PIB, ce qui est loin de l’objectif de 0,7 %. Ce comité devrait se pencher sur cette question.
En terminant, en parlant du présent comité, on pourrait poser un geste facile pour donner au développement le statut qu’il mérite, et ce serait de le renommer Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, du commerce et du développement international.
Le président : Merci de votre allocution, monsieur Rivard.
[Traduction]
Monsieur Edwards, vous avez la parole.
Len Edwards, ancien sous-ministre du Commerce international, des Affaires étrangères, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président.
Permettez-moi de commencer par remercier le comité de m’avoir invité à témoigner au sujet de l’étude très opportune sur le service extérieur canadien. Étant donné que deux anciens agents du service extérieur et ambassadeurs distingués témoignent également aujourd’hui, j’ai pensé que j’essaierais de présenter le point de vue d’un sous-ministre qui observe et supervise le service extérieur et la valeur de ce qu’il représente pour le gouvernement.
Il est certain qu’en tant que sous-ministre du Commerce international et, plus tard, des Affaires étrangères, j’ai pu constater cette valeur. J’ai été en mesure de remarquer la valeur que les délégués commerciaux et les services des affaires étrangères apportaient au Canada. Toutefois, compte tenu du relâchement des tensions géopolitiques qui a suivi la fin de l’Union soviétique en 1991 et de la période d’essor économique international qui a débuté dans les années 1980, cette valeur s’est avérée peut-être moins évidente. Comme il y avait un très grand nombre de ministères directement actifs à l’étranger, je pouvais le sentir, en ma qualité de sous-ministre, qu’un certain doute régnait au sein du gouvernement quant à la nécessité du service extérieur, surtout en raison des coûts et des complications en matière de gestion qu’il occasionnait.
Nous vivons aujourd’hui dans un monde beaucoup plus dangereux, complexe et imprévisible, et le Canada a besoin d’un service extérieur multidisciplinaire de la plus haute qualité pour conseiller et informer les gouvernements dans leur prise de décisions et pour obtenir les meilleurs résultats. Tous les domaines de l’activité étrangère sont devenus plus exigeants : les relations politiques, la diplomatie, le maintien de la paix et de la stabilité, le fonctionnement du système multilatéral, les relations économiques et commerciales, l’aide aux entreprises à l’étranger, la promotion du développement et la protection des Canadiens qui travaillent et voyagent à l’étranger.
En outre, alors que dans le passé, ces domaines pouvaient être gérés presque comme des activités distinctes, les considérations de sécurité et de politique étrangère influent de plus en plus fréquemment sur les décisions économiques. La technologie et le monde numérique sont des atouts stratégiques. Les mesures économiques sont utilisées pour arracher des concessions politiques et punir les agresseurs comme la Russie en Ukraine. Les accords de libre-échange cèdent la place à des ententes spéciales moins rigoureuses comportant des éléments non commerciaux. Il est indispensable de posséder une expérience approfondie du pays et du domaine concerné, comme la négociation internationale, l’élaboration d’options et de recommandations politiques interdisciplinaires, la création et la direction de partenariats internationaux et la gestion de relations exigeantes. La liste est longue et se termine, bien sûr, par un facteur important : vivre dans des endroits dangereux. Ces qualifications, ainsi que d’autres, sont aujourd’hui très demandées de nouveau et le resteront pour les décennies à venir.
Si le nouvel environnement mondial soulève des questions liées au fonctionnement du leadership et de la coordination au sein du gouvernement, notamment en ce qui concerne le rôle d’Affaires mondiales, son mandat de surveillance et de gestion de notre service extérieur et de ses différentes directions sera certainement maintenu.
Premièrement, du point de vue de la surveillance, je suggérerais que l’un des sous-ministres à part entière d’Affaires mondiales se voie confier le rôle officiel de chef du service extérieur, qui relèvera du greffier du Conseil privé en tant que chef de la fonction publique. Idéalement, ce devrait être le sous‑ministre des Affaires étrangères, mais ce devrait toujours être quelqu’un qui a fait partie du service extérieur et qui comprend son rôle et ses caractéristiques uniques. Cette personne s’engagerait à défendre et à diriger la reconstruction du service extérieur du Canada pour en faire l’un des meilleurs au monde.
Deuxièmement, pour bien faire son travail de représentation des intérêts du gouvernement à l’étranger, le service extérieur du Canada doit être exposé plus directement au travail des ministères nationaux les plus mêlés aux activités internationales. Cela a toujours été un défi — c’était le cas quand j’étais sous‑ministre —, mais cela pourrait se faire par l’intermédiaire d’une entente administrative collective organisée entre le ministère des Affaires mondiales et les ministères concernés, afin de mettre en place un système d’échanges bilatéraux permettant de surmonter les difficultés posées par les différents systèmes de nomination.
Troisièmement, un effort particulier devrait être déployé au centre afin de sélectionner des cadres, ou EX, très prometteurs du service extérieur pour des affectations à des postes de cadres supérieurs dans des ministères nationaux afin d’élargir leurs perspectives, de développer leurs compétences en matière de direction et de les préparer à être affectés à des postes de sous‑ministre adjoint et de sous-ministre à part entière à l’extérieur d’Affaires mondiales. En l’absence d’un tel système, il semble moins probable que le greffier du Conseil privé dispose de personnes à l’échelon des sous-ministres ayant une expérience du service extérieur pour occuper des postes de sous-ministre au sein d’Affaires mondiales.
Quatrièmement, comme d’autres l’ont mentionné, je crois qu’un service de rotation de grande qualité nécessite une formation spécialisée et des ressources en personnel pour gérer le service extérieur compte tenu de ses exigences et de ses conditions particulières en matière de service. J’encourage le comité à se pencher sur cette question, à évaluer les directeurs actuels du service extérieur afin de déterminer leurs répercussions voulues et non voulues et la façon dont elles sont interprétées.
Cinquièmement et finalement, le gouvernement devrait, s’il ne l’a pas déjà fait, reprendre le processus de recrutement afin d’attirer les meilleurs hommes et femmes du Canada vers le service extérieur, des gens qui témoignent de la composition du Canada à tous les égards. Maintenant, plus que jamais, nous avons besoin de ce genre de représentation à l’étranger.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président : Je vous remercie, monsieur Edwards, de votre exposé.
[Français]
Chers collègues, avant de laisser la place aux questions, je rappelle aux membres du comité qui participent à distance d’utiliser la fonction « lever la main » pour signaler leur souhait d’être ajouté à la liste que tient notre greffière.
[Traduction]
Je souhaite également informer les sénateurs qu’ils disposent d’un maximum de quatre minutes chacun au cours de la première série d’interventions. Ces interventions comprennent les questions et les réponses. Je vous suggère donc de garder vos questions concises et d’indiquer à qui vous souhaitez les adresser. Nous allons commencer par donner la parole au sénateur Oh.
Le sénateur Oh : Je remercie les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui. J’adresse ma question à M. Len Edwards.
Monsieur Edwards, je voudrais vous poser une question relative à la gouvernance mondiale dans le nouvel ordre mondial qui a été établi à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine.
En vous fondant sur votre expérience antérieure, vous avez rédigé un document à propos du rôle du G7, dans lequel vous avez noté qu’il est « notre principal porte-parole pour soutenir la réforme et la prévalence continue de l’ordre libéral occidental fondé sur des règles. »
Comment envisagez-vous l’évolution du rôle du G7 compte tenu du fossé qui s’est creusé entre les nations démocratiques et les nations autoritaires comme la Chine et la Russie?
M. Edwards : Je vous remercie beaucoup de votre question. Depuis que j’ai été sherpa du G7, ou du G8 à l’époque — le sénateur Boehm a, bien sûr, une expérience plus récente du G7 et pourrait être en mesure de fournir une meilleure réponse que moi — mon point de vue est que le G7 doit évoluer vers cette situation. Le G7 n’est plus le sommet de l’ordre mondial, en ce qui concerne les organisations qui représentent la majorité du pouvoir, économique et autre, dans ce monde. Les pays du G7 représentent un peu plus de 50 % de l’économie mondiale. Ils constituent donc encore une puissante unité.
Cependant, d’autres pays qui ne font pas partie du G7 partagent certaines des opinions du G7. Il pourrait bien être dans l’intérêt du G7 de développer des relations et peut-être même d’inclure ces pays dans les futures réunions du G7, soit en élargissant le G7, soit en organisant des réunions avec d’autres pays. Évidemment, je pense en ce moment aux pays démocratiques qui soutiennent l’ordre que nous avons mis en place après la Seconde Guerre mondiale et qui peuvent travailler avec nous à la lutte contre les menaces que font peser sur nous des systèmes politiques autocratiques, mais aussi des systèmes de gouvernance économique qui favorisent les États puissants par rapport à la communauté d’intérêts plus large.
Le sénateur Oh : Pensez-vous que le G7 puisse continuer à fonctionner efficacement en tant que principal porte-parole du maintien d’un ordre international fondé sur des règles dans un monde divisé de ce genre?
M. Edwards : Oui, je le crois, mais, à mon avis, ce n’est pas le rôle que le G7 a joué auparavant. Il doit s’ouvrir beaucoup plus à d’autres acteurs, notamment les économies émergentes et les démocraties. Même si le G7 pourrait se réunir et continuer de former un groupe cohésif, je pense qu’il doit faire davantage pour nouer un dialogue avec d’autres nations partageant les mêmes valeurs politiques et économiques, en particulier celles qui sont en pleine croissance et qui exerceront plus de pouvoir à l’avenir.
Le sénateur MacDonald : Je remercie les témoins de leur présence. C’est un plaisir de revoir M. Edwards. Nous nous sommes rencontrés il y a quelques années au cours d’une conférence en Corée.
Je vais adresser la question suivante à M. Rivard, en sa qualité d’ancien ambassadeur aux Nations unies.
Monsieur Rivard, je voulais savoir ce que vous pensez des conséquences du récent vote à l’ONU visant à condamner l’invasion russe de l’Ukraine. Il a été généralement rapporté que la résolution avait été adoptée par 141 voix contre 5, mais plus de 40 États, dont la Chine et l’Inde, se sont abstenus de voter.
Considérez-vous ce nombre d’abstentions, ou de non-votes, comme le résultat d’États qui cherchent à garder leurs options ouvertes? Pensez-vous que la Russie est aussi isolée qu’on l’a indiqué?
M. Rivard : Ce qui s’est passé lors de ce célèbre vote, c’est que l’Assemblée générale a procédé à un vote qui ne s’est produit que quelques fois dans l’histoire des Nations unies. Le fait que 140 pays aient soutenu ce vote est une forte indication de l’opposition à l’égard de la Russie. Le nombre élevé d’abstentions signifie également que de nombreux pays qui auraient normalement soutenu la Russie ne l’ont pas fait. C’est ainsi qu’il faut analyser la situation.
Permettez-moi d’attirer votre attention sur un événement qui s’est produit cette semaine à l’Assemblée générale. L’Assemblée générale a voté pour inviter les pays qui utilisent leur veto à se présenter devant l’Assemblée générale et à faire valoir leurs arguments. Lorsque j’étais aux Nations unies, le Canada exerçait des pressions pour qu’une grande réforme du Conseil de sécurité ait lieu. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais c’est l’une des premières fois que les membres du Conseil de sécurité sont invités à expliquer leur droit de veto. Si cela avait existé depuis le début, cela signifie que la Russie aurait été invitée environ 140 fois à comparaître devant le G8.
Selon moi, c’est une forte indication qu’au moins M. Guterres et l’Assemblée générale essaient de prendre des mesures pour modifier les choses à l’ONU, qui est de moins en moins utile pour résoudre des problèmes dans le monde.
Le sénateur MacDonald : Pour en revenir au fonctionnement actuel de l’ONU, on a supposé qu’il serait possible de retirer le droit de veto à la Russie, même si nous présumons que la Chine ne le permettra jamais. Faisons-nous face à un retour au clivage des Nations unies qui existait pendant la guerre froide? Quelle incidence pensez-vous que l’invasion russe de l’Ukraine a sur le fonctionnement des Nations unies?
M. Rivard : C’est une question très intéressante. Premièrement, non seulement la Chine ne permettrait pas le retrait du droit de veto, mais si vous ouvrez la porte à cette possibilité, cela pourrait avoir des répercussions sur le P5, c’est‑à‑dire les cinq pays qui sont membres permanents du Conseil de sécurité. Cela ne changera pas sous peu.
Le fait que la Russie est l’agresseur montre de plus en plus la fragilité du système du Conseil de sécurité et du célèbre droit de veto, qui est considéré par bon nombre de gens — même par un ancien secrétaire général, que je ne nommerai pas — comme un cancer qui détruit, lentement mais sûrement, la validité et la pertinence des Nations unies.
Le président : Honorables sénateurs, j’aimerais vous rappeler gentiment que la discussion semble dériver vers la politique étrangère. C’est le sujet que nous aborderons avec le deuxième groupe de témoins. Je vous encourage à essayer de vous en tenir aux commentaires qui ont été formulés par nos témoins aujourd’hui, et nous pourrons généraliser les questions à partir de cela. Merci.
Le sénateur Ravalia : Je remercie nos témoins de leur présence. Ma question portera sur le personnel du service extérieur recruté sur place. Nous avons entendu certaines observations selon lesquelles le Canada n’est peut-être plus aussi concurrentiel qu’il l’était dans ce domaine.
Monsieur Edwards, je m’adresse à vous. Comment évaluez‑vous la façon dont le Canada soutient et rémunère son personnel recruté sur place? Que fait le Canada pour recruter localement des employés de haut niveau et pour les soutenir en leur faisant suivre une formation continue dans nos missions?
M. Edwards : Je serais ravi d’essayer de répondre à cette question, mais je dois émettre une réserve à l’avance : je ne suis pas au courant des pratiques adoptées là-bas au cours des 10 dernières années.
Je sais que lorsque j’étais en service, à la fois comme ambassadeur dans quelques missions et ensuite de retour à Ottawa, nous tentions de mettre au point un système pour le personnel engagé localement qui garantirait que nous obtiendrions des candidats parmi les meilleurs disponibles. Nous adoptions souvent des politiques et des structures salariales qui étaient concurrentielles par rapport à des ambassades semblables aux nôtres — pour reparler du groupe du G7, nous utilisions habituellement les structures salariales de ces pays, etc.
Je suis entièrement d’accord avec vous, les employés recrutés sur place, ou ERP, sont l’épine dorsale de nos opérations à l’étranger. En l’absence d’un système efficace de rémunération et de gestion des ERP, qui leur permet d’assumer le genre de rôle dont ils ont besoin pour maintenir une carrière professionnelle satisfaisante au sein du gouvernement canadien, il y a un problème constant qui doit être résolu. Malheureusement, il y a eu des moments dans le passé et dans certaines missions où nous avons considéré les ERP comme des citoyens de seconde classe. Nous devons prendre toutes les mesures possibles pour éviter ce problème et pour leur donner les responsabilités et aussi la rémunération et la représentation qu’ils méritent en représentant le Canada.
Le sénateur Ravalia : Madame Dann, ma question porte sur le fait que nous entrons rapidement dans un monde de plus en plus numérisé. Pensez-vous que le Canada a été suffisamment réceptif à la mise en œuvre de la sécurité et des politiques numériques nécessaires, entre autres, pour progresser au même rythme que les autres pays du monde?
Mme Dann : Vous avez tout à fait raison de dire que le monde numérique est devenu très rapidement un facteur majeur de la politique étrangère et des relations internationales. Non, je ne crois pas que le gouvernement a pris ce phénomène suffisamment au sérieux d’une façon intégrée. Je pense qu’un excellent travail est réalisé en matière de sécurité, mais il y a tellement d’autres aspects de l’analyse numérique et de l’interaction numérique qui influencent la politique étrangère et les relations internationales. Je sais que le ministère des Affaires étrangères se penche sur cette question. Mais c’est une question que vous devriez poser à la sous-ministre lorsqu’elle comparaîtra devant vous — est-ce que les choses évoluent assez vite?
Avec l’élection de Trump et maintenant la guerre en Ukraine, nous voyons très clairement à quel point il est important de maîtriser la sécurité et la politique étrangère numériques, ainsi que les opérations numériques au sein de votre propre ministère. C’est essentiel.
La sénatrice M. Deacon : Je remercie nos témoins d’aujourd’hui. Je me réjouis beaucoup de la présence de chacun d’entre vous. J’aimerais aborder quelques aspects du mentorat, du risque et des affaires étrangères qui peuvent, franchement, devenir un style de vie. Ma première question concerne le mentorat, à la fois officiel et informel au service extérieur.
En me préparant à la réunion aujourd’hui, madame Dann, je suis tombée sur un article de 2017 où vous êtes citée et vous déclarez qu’au Brésil, votre patron avait pris le temps de vous prendre sous son aile et s’était intéressé à votre développement professionnel. Vous affirmez avoir l’impression que cela ne se produit plus beaucoup.
J’espérais que vous pourriez nous en dire plus à ce sujet. Avez-vous toujours le même sentiment? Si oui, pourriez-vous faire quelques propositions pour raviver un peu cette culture que vous aviez appréciée?
Mme Dann : Oui, merci beaucoup. À mon arrivée, en 1980, il était entendu que les gens d’expérience prenaient les recrues sous leur aile, cela faisait partie de leur travail de leur montrer les ficelles du métier. C’était presque comme un stage. On faisait des études formelles, mais c’est essentiellement là qu’on apprenait l’art d’être un diplomate et de faire le travail attendu. Je dirais que cela s’est perdu avec le départ ou la dispersion des cadres du service extérieur, mais aussi parce que le gouvernement du Canada s’est mis à mettre l’accent sur la gestion du service extérieur plutôt que sur le travail qui s’y fait. Je suis mentor de quelques jeunes. Je sais que beaucoup d’entre nous ici font du mentorat. La raison en est qu’ils ne trouvent tout simplement pas le type de mentorat auquel nous avions accès à l’époque.
Cela dit, je sais que le ministère fait des efforts pour leur donner accès à des mentors. Je pense que M. Rivard pourrait probablement vous dire ce qu’il en est à l’Institut canadien du service extérieur. Le travail au service extérieur n’est pas un emploi, c’est une vocation. C’est ainsi que nos prédécesseurs le voyaient. Je ne suis pas sûre que tous les dirigeants du ministère aient nécessairement l’expérience nécessaire pour transmettre cela.
M. Rivard : Merci pour cette question, sénatrice. Je suis heureux de vous dire qu’il y a environ deux ans, Affaires mondiales Canada a lancé un programme de mentorat et s’est mis à recruter d’anciens chefs de mission comme moi. Nous sommes environ six. Cette année, par exemple, dans le cadre du recrutement de nouveaux ambassadeurs, ce programme sera annoncé, et je participerai au programme de formation avec les chefs de mission.
Ce programme fonctionne très bien, à mon avis. Par exemple, dans mon cas, j’ai été jumelé avec une ambassadrice déployée dans un tout petit pays et j’essayais de l’aider, grâce à ce système, à régler des problèmes très graves propres à sa mission. D’une certaine manière, ce programme est une réussite, à mon avis. On nous dit que le budget est limité cette année. Ce que je recommanderais à ce comité, c’est d’appuyer l’augmentation du budget si possible. Je vous remercie.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Le sénateur Woo : Merci encore aux témoins de comparaître aujourd’hui. Ce qui ressort déjà de ce groupe de témoins et du précédent, c’est le clivage entre la maîtrise du sujet et la maîtrise de la diplomatie. Le défi pour que le service extérieur soit bien adapté, me semble-t-il, c’est justement d’essayer de concilier les deux ou d’incorporer autant de maîtrise du sujet que possible dans le service extérieur qui, à la base, sert avant tout à la diplomatie en soi.
Je me demande si Mme Dann, et peut-être aussi les autres témoins peuvent nous aider à comprendre un peu mieux tout cela. En quoi consiste ce qu’on appelle la maîtrise de la diplomatie? Quelle est la compétence unique d’un agent du service extérieur qui est comparable ou indispensable à la maîtrise du sujet que possèdent nos collègues d’Agriculture Canada, des Finances, de l’Environnement et de tous les autres ministères? Les agents du service extérieur ont une expertise incroyable. Quelle est la valeur unique de leurs compétences? Pouvez-vous nous aider à les définir? Merci.
Mme Dann : Oui, je pense que la plus grande force de la diplomatie, c’est de pouvoir compter sur un réseau de contacts personnels solide sur le terrain. C’est ce qu’un diplomate apporte réellement à chaque domaine d’expertise auquel sa mission travaille. Cela ne s’obtient qu’en vivant quelque part, en apprenant la langue, en comprenant les gens et la géographie. C’est le fondement de la diplomatie. Je dirais que c’est la capacité d’acquérir la connaissance d’un pays et de la langue, mais aussi d’établir un réseau pour réussir à faire avancer les choses comme quelqu’un qui arrive avec une expertise particulière ne pourra pas nécessairement le faire.
Il y a aussi un aspect interculturel. Vous savez, nous avons une culture transactionnelle, qui tient très peu compte du contexte ici, en Europe et en Amérique du Nord. Nous sommes l’exception dans le monde. Dans la plupart des cultures, le contexte compte énormément, tout comme les relations personnelles et la confiance. C’est ce que la diplomatie apporte au Canada. Selon l’endroit où l’on se trouve, il faut être très prudent et très respectueux pour parvenir à le faire de manière constructive. Parfois, aussi, il faut simplement savoir reconnaître le bluff. C’est une compétence qui s’acquiert avec le temps. Je ne dis pas que les autres experts ne peuvent pas l’avoir, mais c’est important.
Par ailleurs, tout le monde ne peut pas naviguer avec aisance en contexte international. Certaines personnes ne veulent que rentrer chez elles. Certaines personnes sont intimidées par tout ce qui est étranger. Certaines personnes peuvent bien connaître une région, sans pour autant avoir les compétences sociales pour être diplomates, bien franchement. C’est difficile à décrire complètement, sénateur Woo, mais c’est un don en quelque sorte.
Je n’aime pas vraiment l’idée selon laquelle il s’agit soit d’un service diplomatique général, soit d’un service d’experts. Je pense qu’il faut les deux. Je pense qu’il doit y avoir un noyau de diplomates du service extérieur aptes à fournir ce réseau international de soutien à tous les programmes et à tous les professionnels qui vont défendre les intérêts du Canada ou les faire progresser dans le monde. J’espère que cela pourra vous aider un peu.
Le sénateur Woo : C’est très utile. Si je peux juste ajouter...
Le président : Je suis désolé, sénateur Woo. C’est tout le temps que vous aviez. Je vois que M. Edwards, M. Rivard et le président auraient bien voulu participer à cette discussion, qui aurait pu se poursuivre bien longtemps. Je suis sûr que nous y reviendrons au cours de notre étude.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse particulièrement à M. Rivard, mais tous les experts qui sont ici pourraient y répondre.
Lors de la dernière séance de ce comité, les intervenants ont semblé adopter des points de vue différents sur la proposition, ou plutôt sur la proportion des ressources d’AMC qui devraient être concentrées au Canada par comparaison avec celles qui devraient être déployées à l’étranger. En effet, certains défendaient la nécessité de maintenir une structure importante au pays, qui est capable de planifier les activités de l’organisation, d’apporter une vision globale sur différents enjeux ou d’assurer des liens denses avec les autres composantes du gouvernement. D’autres, à l’inverse, semblaient dénoncer une organisation trop centrée sur elle-même à Ottawa, qui laisse trop peu de ses agents aller sur le terrain et qui limite fortement leur marge de manœuvre à l’étranger.
Selon vous, AMC devrait-elle évoluer vers un modèle plus flexible en mettant plus l’accent sur le service à l’étranger ou, au contraire, devrait-elle maintenir une structure importante et centralisée au pays pour mieux planifier et intégrer ses opérations?
M. Rivard : Merci pour cette question, madame la sénatrice. Lors de mes séjours à l’étranger — et j’ai passé 13 ans de ma vie à l’étranger —, j’ai pu constater qu’un des problèmes fondamentaux était que le ministère avait adopté des positions divergentes selon le moment et les questions financières. Par exemple, envoyer un agent à l’étranger coûte en moyenne, selon le pays, 250 000 $ par famille. C’est un coût très élevé. Dans les pays où l’on accorde la priorité aux relations bilatérales, il est important de s’assurer d’avoir les ressources nécessaires à l’étranger, en dépit du coût que cela comporte.
Par contre, j’ai aussi vu des réductions importantes du personnel canadien pour le remplacer par des ressources locales. Aussi importante soit-elle, cette capacité, cette connaissance du pays s’est perdue. Dans mon allocution, j’ai parlé du fait que le gouvernement, depuis son arrivée au pouvoir en 2015, travaille beaucoup avec les institutions multilatérales. Le problème avec ces questions, c’est que les ressources à l’étranger sont bien moins utilisées d’une certaine façon et que cette intelligence que l’on peut développer dans les relations bilatérales a tendance à se perdre.
Je vous répondrai que l’important est d’avoir un excellent équilibre, mais qu’il faut éviter d’éroder nos ressources à l’étranger qui coûtent extrêmement cher à former. Juste l’apprentissage du chinois demande un an de congé avec solde à l’extérieur du ministère et il faut s’assurer que les bénéfices de ces ressources sont utilisés au maximum. Je crois qu’il y a assurément du travail à faire de ce côté-là.
La sénatrice Gerba : D’accord, merci beaucoup. Est-ce qu’il me reste une minute?
Le président : Trente secondes, malheureusement.
La sénatrice Gerba : Je laisse mon temps passer, alors.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup. Je souhaite la bienvenue à nos témoins. Je vous remercie d’être ici. Ma question fait suite à celle de la sénatrice Gerba. Mme Dann pourrait peut-être ouvrir le bal pour y répondre, mais je serai heureuse d’entendre les autres témoins aussi.
À notre dernière réunion, j’ai posé une question à M. Rowswell, président du Conseil international du Canada. Je laissais entendre que la structure hiérarchique de gestion d’Affaires mondiales Canada semble archaïque et devrait être mieux adaptée. Dans sa réponse, M. Rowswell a mentionné que le corps diplomatique s’appuie sur deux choses : la structure hiérarchique et les réseaux. Il a indiqué qu’il n’éliminerait pas nécessairement la hiérarchie, mais qu’il mettrait davantage l’accent sur le réseautage afin de donner plus de pouvoir aux divers échelons, y compris au personnel local, puisque c’est là que se situe l’essentiel du pouvoir du réseau.
Pourriez-vous réagir à cette affirmation, en particulier en ce qui concerne la structure hiérarchique par rapport aux réseaux et nous dire sur quoi nous devrions miser avant tout pour assurer le meilleur fonctionnement possible?
Mme Dann : Encore une fois, je ne veux pas esquiver la question, mais on a besoin des deux. Il faut voir le service extérieur comme une sorte d’armée diplomatique, l’étape suivante étant la guerre. Pour cette raison, et parce que les diplomates sont sur le terrain — et franchement, on nous dit dans nos séances d’information que l’ambassadeur est comme un commandant d’unité dans l’armée —, c’est nous qui prenons les décisions sur le terrain. On a besoin d’une structure de commandement respectée pour que le service extérieur soit efficace. On ne peut pas faire de pacte démocratique de suicide mutuel partout. Cela ne fonctionne pas.
Évidemment, quand une personne a de bonnes compétences en gestion, qu’elle est habile en relations humaines et qu’elle comprend comment utiliser son équipe pour atteindre des objectifs — à l’administration centrale ou en mission —, elle peut obtenir de bons résultats.
Cela étant dit, les réseaux sont vraiment l’épine dorsale de la diplomatie sur le terrain. Les diplomates sont là expressément pour entretenir les réseaux nécessaires pour remplir nos mandats et atteindre nos objectifs dans le pays ou l’organisation visés. Les agents du service extérieur adorent être à l’étranger parce que lorsqu’ils sont de retour à l’administration centrale, il y a tellement de contrôles inutiles, cela semble même avoir empiré depuis une quinzaine d’années. Il y a d’innombrables niveaux hiérarchiques, d’innombrables niveaux d’approbation et ainsi de suite. Je pense qu’il doit y avoir une certaine structure hiérarchique, mais j’aimerais que le service extérieur mette davantage l’accent sur l’esprit d’initiative et la créativité, puis qu’il soit davantage capable de composer avec le risque. C’est comme dans n’importe quelle organisation. Ce n’est pas la chose la plus facile à faire, mais peut-être que la hiérarchie, particulièrement à l’administration centrale, est devenue trop lourde.
La sénatrice Boniface : Peut-être que Mme Dann pourrait terminer ce qu’elle disait en réponse à la question précédente.
Mme Dann : Sur notre aptitude à rivaliser avec les autres pays et la question de savoir si l’Institut canadien du service extérieur est aussi efficace que d’autres? S’il répond à nos besoins? Je pense qu’il aurait besoin de beaucoup plus d’investissements et que nous aurions avantage à nous comparer aux Allemands et aux Britanniques.
Enfin, il y a toujours eu une forte représentation diplomatique francophone au sein de notre service extérieur. La situation du français s’est vraiment dégradée parmi les rangs des hauts fonctionnaires du service extérieur déployés dans le monde diplomatique francophone. C’est une terrible lacune qui doit être corrigée dans le contexte des affaires étrangères.
Le président : Merci beaucoup. Merci, sénatrice Boniface, pour votre générosité.
La sénatrice Coyle : Merci, madame Dann, monsieur Rivard et monsieur Edwards, pour vos témoignages réfléchis et fort utiles cet après-midi.
Ma question s’adresse à M. Rivard. Mme Dann a décrit le ministère des Affaires mondiales, si je ne m’abuse, comme le carrefour national des experts canadiens et des organisations canadiennes qui travaillent à la politique étrangère. Monsieur Rivard, vous avez supervisé la fusion entre l’Agence canadienne de développement international, l’ACDI, et le ministère des Affaires étrangères pour former ce que nous appelons maintenant Affaires mondiales Canada. Vous avez cité quelques défis liés à cette fusion, notamment les questions complexes d’intégration des ressources humaines, et je crois que vous avez également mentionné la perte de nombreux experts de l’aide au développement. Pourriez-vous nous dire pour quelles raisons, selon vous, nous avons perdu cette expertise en aide au développement? De plus, à votre avis, Affaires mondiales Canada a-t-il sa part de responsabilité dans l’affaiblissement de ce carrefour d’expertise en aide au développement, étant donné tous ces départs de professionnels?
M. Rivard : Merci pour cette question, sénatrice. Merci de soulever ces points très importants. Sénatrice, je me suis joint au centre du service extérieur en 1983. À ce moment-là, j’avais intégré la filière de l’aide. Autrement dit, le ministère avait créé une filière d’aide et de développement en 1983, qui a été démantelée en 1989. Je pense que c’était une grosse erreur. Je pense que si nous avions conservé cette filière à l’époque, nous aurions probablement gardé beaucoup plus de personnel dans cette filière lorsque la décision a été prise en 2013.
Maintenant, le problème — et je me souviens du moment où la décision de fusionner a été prise... Nous entrevoyons le nœud gordien, comme je l’ai mentionné dans mon intervention. C’est inévitable. Comment peut-on fusionner ces deux structures? L’un des problèmes, c’est que les Affaires étrangères ont une structure unique. Les spécialistes de l’aide au développement n’étaient pas considérés comme des égaux lorsqu’ils ont intégré le ministère avec l’ACDI, je suis désolé de le dire. Pour toutes sortes de raisons. À l’époque, beaucoup de gens voyaient les agents de développement comme des personnes qui signaient des contrats et des chèques. C’est beaucoup plus que cela. La situation a changé, mais il y a encore beaucoup à faire pour changer les perceptions, parce qu’il y a encore des préjugés.
Je donne beaucoup de formation de base sur la diplomatie aux gens de l’Institut canadien du service extérieur, notamment sur la façon de travailler avec les organisations multilatérales. Je côtoie ces personnes. Cette perception subsiste encore aujourd’hui, à certains moments. Il y a un changement de culture qui doit s’opérer. Il faut embaucher beaucoup plus de gens qui s’intéressent au développement. De même, à l’Institut canadien du service extérieur, il faudrait offrir beaucoup plus de cours sur le développement afin qu’il devienne plus intéressant de joindre ce service et offrir beaucoup plus de flexibilité dans les affectations, parce qu’un agent de développement ne peut aller que dans des pays en développement. Les agents doivent être en mesure de parfaire leurs compétences dans d’autres domaines pour acquérir des connaissances beaucoup plus complètes et diversifiées pour s’acquitter de leur mandat. Merci, sénatrice.
Le président : Merci pour cette question et pour la réponse, monsieur Rivard. Nous en reparlerons.
Je tiens également à signaler que la sénatrice Omidvar s’est jointe à nous et qu’elle aimerait poser une question. J’ai peur que nous ne manquions de temps pour cela, mais peut-être lorsque nous entendrons le prochain groupe, si possible.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup aux témoins d’être ici aujourd’hui. Madame Dann, vos observations sur le ministère, la hiérarchie au sein du ministère et la nécessité de le moderniser ont retenu mon attention. J’ai déjà entendu un ministre provincial dire qu’il y avait des niveaux de bureaucratie qui semblaient conçus juste pour s’occuper d’autres niveaux de bureaucratie, ce qui était très frustrant pour lui, et il essayait de changer cela. Quoi qu’il en soit, la COVID nous a indéniablement appris que nous pouvons faire les choses autrement. Vous comparaissez par vidéoconférence. Dans le passé, vous auriez tous été ici en personne, alors parfois nous pourrions entendre des témoins venant de beaucoup plus loin. Comment pouvons-nous faire les choses différemment? Nous savons tous que chaque fois qu’on prononce le mot « restructuration » à propos d’un ministère, les fonctionnaires ont peur parce qu’ils pensent immédiatement que cela va se traduire par d’énormes mises à pied. Sans tomber dans la peur, comment pourrions-nous nous moderniser? Parce que les jeunes qui envisagent une carrière au sein du service extérieur ne veulent certainement pas de systèmes archaïques. Pouvez-vous nous en parler un peu?
Mme Dann : C’est une très grande question, une question à plus que 64 000 $, croyez-moi. Je pense qu’au cours des 15 ou 16 dernières années, une culture d’aversion au risque s’est développée un peu partout au gouvernement fédéral. Cela se traduit par beaucoup plus de structures, de hiérarchie, de contrôles et de paperasserie.
Je pense que ce que le ministère doit faire, en ce qui concerne le service extérieur, est un peu lié à mon premier point. Examinons la politique étrangère et ses objectifs pour défendre les intérêts des Canadiens. Il faut vraiment nous fixer des priorités, puis canaliser notre énergie sur ce qui compte. Il faut faire confiance au personnel. La génération Y ne tolérera pas ce genre de choses. Les jeunes ne veulent pas d’un gouvernement trop bureaucratique.
Nous savons que nous perdons des gens parce qu’ils ne peuvent pas supporter le poids de la hiérarchie en permanence. Mais vous savez, le revers de la médaille, c’est que nous avons besoin du côté politique pour contrebalancer le fait que quand on prend des risques, tout ne va pas forcément bien se passer. Cela ne se passe pas toujours très bien quand un fonctionnaire prend un risque et déroge à la norme. Je pense que c’est une grande discussion que nous devrons assurément avoir au sein du service extérieur et, franchement, si les agents du service extérieur aiment tant travailler à l’étranger, c’est parce qu’ils peuvent prendre des risques et qu’ils ont plus d’autonomie et de marge de manœuvre là-bas. Je n’ai pas de solution miracle à vous proposer. C’est difficile, et il faudrait le soutien, la compréhension et la confiance des décideurs politiques pour changer la donne.
Le président : Merci beaucoup. J’aimerais remercier nos témoins pour leurs exposés d’aujourd’hui et pour cette période de questions et réponses animée.
Chers collègues, pour la deuxième partie de la réunion d’aujourd’hui, nous nous concentrerons sur la situation en Ukraine. Nous avons le plaisir d’accueillir l’honorable Mélanie Joly, c.p., députée, ministre des Affaires étrangères. Elle est accompagnée de ses hauts fonctionnaires, Mme Sandra McCardell, sous-ministre adjointe, Europe, Arctique, Moyen-Orient et Maghreb, et M. Kevin Hamilton, directeur général, Politique de sécurité internationale.
[Français]
Madame la ministre, bienvenue au comité et merci d’avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Vous avez la parole.
L’honorable Mélanie Joly, c.p., députée, ministre des Affaires étrangères : Merci, monsieur le président. Je suis heureuse d’être avec vous aujourd’hui.
Je suis avec vous aujourd’hui pour discuter de la situation actuelle en Ukraine. Je salue votre étude sur le sujet parce que la situation est critique. Nous avons tous vu les images de Boutcha et d’autres villes ukrainiennes et nous apprenons tous les jours les nouvelles atrocités commises par les troupes russes à l’encontre des civils ukrainiens. Ce sont des images inoubliables. Nous avons le devoir de nous tenir debout pour appuyer peuple ukrainien, qui fait face à une agression russe illégale et injustifiable.
Je profite de cette occasion pour expliquer comment nous travaillons avec nos alliés pour que le régime de Poutine soit tenu responsable de ses actes. Je suis en contact avec mon homologue ukrainien, Dmytro Kuleba, et le chef de cabinet du président Zelenski, tous les deux ou trois jours environ, pour discuter des développements récents et de la façon dont le Canada peut continuer à soutenir l’Ukraine à travers cette crise, à la fois sur le plan de l’aide militaire et humanitaire que diplomatique, dans les organismes multilatéraux comme les Nations unies et ses agences, ainsi que la Cour internationale de justice, le Tribunal pénal international ainsi que dans les négociations de paix.
Je suis également en contact continu avec mes homologues du G7 pour coordonner notre réponse à cette crise. Il faut le dire, le G7 et l’OTAN sont unis et coordonnés à un niveau inégalé dans l’histoire récente. Vladimir Poutine a sous-estimé notre détermination et lui et ses alliés font face à une réponse forte et unie qu’ils ont sous-estimée.
Je vais commencer avec le sujet des sanctions. Depuis février, nous avons imposé des sanctions sévères à près de 1 000 personnes et entités russes, biélorusses et ukrainiennes qui sont complices dans cette guerre illégale et injustifiable du président Poutine. Cela s’ajoute aux quelque 400 sanctions imposées depuis l’invasion de la Crimée par la Russie en 2014. Nous en sommes donc à environ 1 400 sanctions à ce stade-ci.
Le Canada a joué un rôle de premier plan à cet égard et nous travaillons en étroite coordination avec nos alliés et partenaires. Notre réponse collective a été sans précédent, tant par son ampleur que par son niveau de coordination. Plusieurs des entités et des individus que nous avons sanctionnés ont des liens étroits avec le régime russe. Ce sont tout d’abord Poutine lui-même et ses ministres, mais aussi ses oligarques, les membres de la classe dirigeante dans les secteurs de la finance, de la défense et de l’énergie. Nous sanctionnons des banques russes, des membres de la Douma, de la Douma de l’État et du conseil de sécurité, des agents de désinformation ukrainiens, des proches du régime Loukachenko en Biélorussie et des proches de plusieurs de ces personnes, y compris les filles du président Poutine lui-même.
Le Canada a également imposé des interdictions d’exportation et d’importation contre la Russie. Nous avons également interdit aux navires russes d’accoster au Canada ou de traverser les eaux canadiennes et nous avons fermé l’espace aérien du Canada à tous les exploitants d’aéronefs russes et biélorusses.
[Traduction]
Nous avons fortement limité l’accès de la Russie au système financier mondial en imposant notamment des sanctions à la banque centrale de la Fédération russe et aux grandes institutions financières de ce pays tout en appuyant les efforts consentis pour que les principales banques russes soient exclues du système financier SWIFT. Nous avons par ailleurs révoqué le statut de nation la plus favorisée dont jouissaient la Russie et le Bélarus et imposé à ces deux pays un tarif douanier de 35 % sur toutes les importations.
[Français]
Ces mesures ont pour but de faire payer le président Poutine et ses complices pour leurs crimes en Ukraine et de forcer la Russie à arrêter la guerre et à retirer ses troupes et son équipement militaire du territoire souverain de l’Ukraine. Également, dans le budget de 2022, nous allons plus loin et proposons des mesures qui permettront au Canada non seulement de saisir, mais aussi de confisquer des avoirs des personnes et des entités sanctionnées. Ces mesures nous permettront également d’indemniser les victimes.
Je voudrais saluer le travail de la sénatrice Omidvar, qui est avec nous aujourd’hui et qui a fait énormément pour s’assurer que le gouvernement peut commencer à faire ces changements dans la bonne direction. Merci.
Ces changements feront du Canada, sur le plan du régime de sanctions, un chef de file au sein du G7. C’est la raison pour laquelle je voulais souligner le travail de la sénatrice.
Passons maintenant à notre soutien continu à l’Ukraine et à son peuple. Après l’invasion, nous avons agi rapidement avec nos partenaires pour soutenir l’Ukraine et isoler le régime de Poutine sur les plans politique et économique. Nous continuons de mener une diplomatie intense pour soutenir l’Ukraine. Nous demandons que le droit international humanitaire et les droits de la personne soient respectés. Nous réclamons le passage rapide et sans entraves de l’aide humanitaire aux civils, ainsi que la protection des civils et des infrastructures civiles.
Nous sommes profondément préoccupés par l’aggravation de la crise humanitaire en Ukraine, par le nombre croissant de réfugiés dans les pays voisins, par les répercussions mondiales sur la sécurité alimentaire et par les autres besoins humanitaires causés par cette invasion injustifiable.
Je l’entends de la part de mes homologues partout dans le monde : cette invasion mal planifiée a des impacts majeurs dans tous les pays. Depuis janvier, le Canada a engagé 245 millions de dollars dans l’intervention humanitaire et, de ce montant, 145 millions de dollars ont été versés à la Croix-Rouge, aux Nations unies et à des ONG partenaires. Les Canadiens ont été très généreux et ont donné plus de 126 millions de dollars dans le cadre de l’appel lancé par la Croix-Rouge, auxquels se sont ajoutés 30 millions de dollars de fonds de contreparties du gouvernement du Canada.
Nous avons également engagé plus de 164 millions de dollars en contribution militaire depuis janvier. Cela inclut notamment de l’équipement militaire demandé par l’Ukraine, du financement pour des armes, des munitions, du matériel et de l’imagerie par satellite.
[Traduction]
Le premier ministre a annoncé la semaine dernière que le Canada avait répondu aux demandes directes de l’Ukraine en lui fournissant un certain nombre d’obusiers et une quantité considérable de munitions antiblindés Carl Gustav. Les Forces armées canadiennes et le Centre de la sécurité des télécommunications, le CST, ont aussi offert un soutien cybernétique à leurs pendants ukrainiens afin d’accroître leur résilience contre les cyberattaques. Nous aidons de plus nos alliés et partenaires à livrer de l’aide humanitaire en Ukraine en mettant à leur disposition un avion C-130. Nous avons ainsi rendu possibles de nombreux envois de différents pays d’Europe souhaitant apporter une aide militaire à l’Ukraine.
Dans le budget de 2022, nous nous sommes engagés à fournir une aide militaire additionnelle de 500 millions de dollars pour appuyer les Ukrainiens qui doivent continuer à se défendre contre l’agression russe. Nous communiquons régulièrement avec les dirigeants ukrainiens pour discuter de leurs besoins les plus pressants et de la manière dont nous pouvons les aider.
Nous avons annoncé différentes autres mesures de soutien à l’Ukraine, y compris un montant de 1 milliard de dollars en nouveaux prêts par l’entremise du FMI — qui s’ajoute aux 620 millions de dollars en prêts bilatéraux consentis directement à l’Ukraine plus tôt cette année —; 145 millions de dollars en aide humanitaire, comme je viens de le mentionner; et 35 millions de dollars en aide au développement afin d’appuyer directement les Ukrainiens touchés par cette invasion illégale.
Il faut aussi noter un montant de 117 millions de dollars pour la mise en œuvre de deux nouveaux volets d’immigration pour les Ukrainiens qui viennent au Canada. Il y a d’abord une autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine, puis une voie accélérée d’accès à la résidence permanente dans le cadre d’un nouveau programme de parrainage familial.
Parallèlement à cela, nous poursuivons nos efforts diplomatiques dans le cadre de l’OTAN, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE, du G7, de l’Organisation des États américains, l’OEA, des Nations unies et de différents échanges que je peux avoir avec mes homologues étrangers.
L’une des principales tribunes ayant permis la coordination de la réplique mondiale à l’invasion de l’Ukraine par la Russie a été le G7, qui s’est réuni à six reprises depuis décembre pour discuter de la question. Je rappelle aux sénateurs que le G7 se réunit habituellement deux fois par année. Le premier ministre a déjà eu pour sa part trois rencontres avec les membres du G7.
Nous avons plaidé vigoureusement en faveur de deux résolutions finalement adoptées par les Nations unies pour condamner l’agression russe et attirer l’attention sur les conséquences humanitaires de cette invasion. Sur le front diplomatique, nous avons travaillé sans relâche pour appuyer l’Ukraine et isoler la Russie en prenant notamment les mesures suivantes. Premièrement, nous avons travaillé avec l’Agence internationale de l’énergie atomique pour réagir à l’attaque russe contre des centrales nucléaires. Deuxièmement, nous avons mené une sortie de salle pour boycotter la Russie au Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève. Troisièmement, nous avons interrompu notre participation au travail du Conseil de l’Arctique tant que la Russie en assume la présidence. Enfin, le premier ministre et le président Zelenski se parlent régulièrement. Je me suis moi-même rendue en Ukraine, en Pologne, en Roumanie, en Allemagne, en France, en Suisse, en Finlande et en Belgique en vue de mieux coordonner notre réponse avec l’OTAN et l’Union européenne. Nous avons aussi eu des contacts à ce sujet avec de nombreux pays dont la Moldavie, l’Égypte, la Chine et le Brésil. Je suis allée au Vietnam et en Indonésie en plus de tenir un sommet virtuel Canada-CARICOM, le Marché commun des Caraïbes.
Au début mars, le Canada a été l’un des premiers pays à annoncer qu’il allait saisir la Cour pénale internationale de la situation en raison de nombreuses allégations de crimes graves commis par les forces russes, y compris des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Nous avons également appuyé l’Ukraine dans sa requête devant la Cour internationale de justice, et nous essayons de voir comment nous pouvons continuer à l’aider dans cette cause.
De concert avec 44 autres pays, le Canada a invoqué le mécanisme de Moscou pour que l’OSCE mette sur pied une mission d’enquête indépendante qui a été rendue publique, le 13 avril 2022, un rapport sur les premières semaines de l’invasion russe en Ukraine. Ce rapport concluait que la Russie et les forces russes se sont rendues coupables de graves atrocités et de violations des droits de la personne en Ukraine.
Par ailleurs, le Canada contribue au renforcement du flanc est de l’OTAN en réponse à l’invasion russe. Dans le cadre de l’opération Réassurance, nous déployons actuellement quelque 1 375 soldats pour appuyer le flanc est de l’OTAN. C’est la plus importante opération militaire du Canada à l’étranger. Nous avons ainsi déployé des membres des trois services des Forces armées canadiennes en plus de frégates, de CF-18 et d’avions de patrouille. Cent membres des Forces armées canadiennes ont aussi été dépêchés en Pologne pour faciliter l’accueil des réfugiés ukrainiens et fournir le soutien médical nécessaire.
Je peux également vous assurer que mon ministère offre des services consulaires accessibles en tout temps aux Canadiens, aux résidents permanents et à leur famille par l’entremise de notre réseau de missions en Europe de l’Est et du Centre de surveillance et d’intervention d’urgence à Ottawa. Tout indique que la plupart des Canadiens qui voulaient franchir la frontière ukrainienne sans visa ont maintenant pu quitter le pays. Notre personnel consulaire s’emploie dorénavant à communiquer avec tous les Canadiens qui sont dans la région afin de leur offrir les services dont ils ont besoin et à apporter notre assistance aux pays avoisinants dans un contexte difficile où 5,2 millions de réfugiés ukrainiens ont quitté leur pays à destination de l’Europe.
J’aimerais conclure en vous disant que la guerre menée par la Russie est une guerre contre la liberté, la démocratie et le droit des Ukrainiens et de tous les peuples de décider eux-mêmes de leur avenir. Le peuple ukrainien a droit à sa souveraineté et à son intégrité territoriale. Il doit pouvoir vivre libre et sans crainte. Nous voulons aider les Ukrainiens à se défendre contre l’injustifiable et illégale invasion de leur territoire par la Russie, et nous continuerons de les appuyer pour qu’ils sortent vainqueurs de cette guerre.
Je peux vous dire que c’est un effort qui mobilise l’ensemble du gouvernement — je dirais même l’ensemble du pays — et que nous allons continuer d’intensifier la pression contre le président Poutine pour que cette guerre prenne fin.
Je serai maintenant ravie de répondre à toutes vos questions. Merci.
Le président : Merci beaucoup, madame la ministre, pour cette déclaration.
Chers collègues, je me permets de vous rappeler que nous allons essayer encore une fois de nous limiter à quatre minutes par intervenant. Sans cela, certains n’auront pas l’occasion d’échanger avec notre témoin. Je vous encourage à poser des questions très concises afin de laisser à la ministre davantage de temps pour y répondre dans votre période de quatre minutes. La priorité est accordée aux membres du comité. Nos sénateurs invités pourront également poser leurs questions s’il nous reste du temps.
Le sénateur Greene : Merci d’être des nôtres aujourd’hui.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’un des objectifs de Franklin Roosevelt était de créer les Nations unies à l’issue du conflit, de telle sorte que les pays alliés puissent toujours demeurer sur la même longueur d’onde. Les Nations unies devaient permettre de mettre fin à toutes les guerres. Comme nous le savons tous, ce n’est pas ce qui s’est produit.
Compte tenu du manque de pertinence des Nations unies dans le contexte actuel en Ukraine, le Canada ne devrait-il pas se donner comme objectif de guerre d’entamer les pourparlers et le travail nécessaires à la création d’une nouvelle version des Nations unies?
Mme Joly : C’est une bonne question dont nous pourrions débattre pendant des heures, mais je n’ai que quelques minutes à ma disposition.
Il est bien certain qu’une réforme des Nations unies s’impose. Nous le savons, et nous ne sommes pas le seul pays à le dire.
Je veux féliciter Bob Rae pour sa démarche récente auprès du Conseil de sécurité afin que chaque membre utilisant son droit de veto soit tenu de justifier sa décision d’y recourir. Le Canada a bénéficié du multilatéralisme et de l’édification de cette institution à la base de l’ordre international fondé sur des règles. Étant donné que nous ne sommes pas uniquement des bénéficiaires et que nous avons également contribué à l’édification de cette institution, nous devons aussi participer à sa réforme. Nous devons aussi être là pour consolider le principal pilier du système international, celui qui est parfois le plus compromis, et je parle de la reddition de comptes. C’est dans cette optique que nous avons saisi la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale de certaines questions. C’est aussi la raison pour laquelle nous appuyons en l’espèce non seulement les procédures judiciaires entamées devant ces deux tribunaux, mais aussi le travail de l’OSCE et l’enquête menée par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Nous devons nous assurer que justice est rendue pour que cette guerre prenne fin. Cette guerre va se terminer un jour. Cela se fait habituellement par la voie diplomatique, une fois que les parties en cause ont convenu de cesser leurs opérations militaires.
D’ici là, nous devons utiliser tous les outils à notre disposition pour nous assurer de faire avancer la cause de l’Ukraine et d’obtenir le concours d’autres parties prenantes afin de garantir une plus grande stabilité à l’échelle planétaire. Il faut en effet constater que notre monde ne serait pas aussi stable en l’absence des Nations unies, et ce, même si certaines régions du globe connaissent actuellement des moments difficiles.
Le sénateur Oh : Bienvenue au comité, madame la ministre. J’ai une question très simple pour vous. Je suis ce qui se passe via YouTube et Internet, et une nouvelle inquiétante a retenu mon attention au cours des derniers jours. Un officier militaire canadien serait coincé dans les sous-sols d’une aciérie. Est-ce que cette nouvelle est véridique et, le cas échéant, faisons-nous le nécessaire pour le ramener au pays en toute sécurité?
Mme Joly : Je ne peux pas fournir de détails sur les Canadiens se trouvant à l’étranger, car ce sont des renseignements qui doivent être tenus confidentiels en application de la loi en vigueur. Cela dit, nous voyons toujours à faire le nécessaire pour que les Canadiens à l’étranger, y compris en Ukraine, reçoivent le soutien diplomatique dont ils ont besoin. C’est tout ce que je peux vous dire à ce sujet.
Le sénateur Oh : Merci.
Le sénateur Richards : Merci, madame la ministre, d’être des nôtres aujourd’hui.
J’ai une question que tout le monde se pose, j’en suis persuadé. Nous ne voulons pas que cette guerre prenne de plus grandes proportions. Ses proportions sont déjà assez alarmantes. Un génocide est perpétré sous nos yeux. Les événements de Marioupol en sont la preuve. Nous n’avons toujours pas de zone d’exclusion aérienne, ce qui est selon moi impératif pour contrer la Russie. J’ai bien l’impression que Poutine ne se soucie aucunement de la cour internationale. Je me demande comment nous pourrions — et je pense que c’est ce que nous devrions faire — nous montrer nettement plus incisifs dans notre réponse à cette crise.
Mme Joly : Merci, sénateur. Je conviens avec vous que de nombreuses atrocités ont été commises en Ukraine. Il est donc nécessaire que nous intensifiions nos efforts. Nous en avons déjà beaucoup fait, mais il est toujours possible d’en faire davantage, et nous n’allons pas manquer d’en faire plus.
Il est essentiel de bien comprendre qu’il nous est impossible d’agir isolément. Nous devons intervenir de concert avec nos alliés en nous assurant que l’unité est forte au sein de nos rangs, ce qui est le cas actuellement.
Les Ukrainiens nous demandent deux choses : des armes et des sanctions. Vous avez pu l’apprendre dans les médias et l’entendre également de ma collègue, la ministre de la Défense, et du premier ministre lui-même. Le Canada a fourni de l’aide militaire. Je vous ai déjà donné les chiffres. Nous envoyons également de l’artillerie lourde et nous allons offrir la formation nécessaire pendant que d’autres pays en font tout autant. Les États-Unis, le Royaume-Uni et même l’Allemagne ont décidé de fournir de l’artillerie lourde. C’est ce qui va aider les Ukrainiens à défendre leur territoire à l’Est et au Sud du pays.
Vous avez mentionné Marioupol. Je suis moi aussi préoccupée par cette situation qui m’inquiète vivement. Il y a un aspect qui est particulièrement problématique ces jours-ci. Pendant que l’Ukraine essaie de négocier avec la Russie l’établissement de corridors humanitaires pour les civils, les forces russes profitent de ces cessez-le-feu pour se regrouper en prévision d’une offensive encore plus dévastatrice qui continuera de cibler ces mêmes corridors humanitaires. Nous devons poursuivre l’imposition de sévères sanctions contre la Russie, car c’est la façon dont nous pouvons toucher au vif ce pays et son régime.
Pour ce qui est de l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne et du risque d’évolution vers un conflit international, nous conjuguons nos efforts depuis le tout début pour éviter que la situation dégénère. C’est notre objectif de tous les instants. C’est ce qui nous amène à travailler avec les Ukrainiens sur tous les tableaux, du front militaire jusqu’à l’humanitaire, en passant par le diplomatique. Le Canada est l’un des alliés les plus proches de l’Ukraine. Notre rôle au sein du G7 ne se limite pas à servir d’intermédiaire entre l’Europe et les États-Unis. Nous sommes là également en tant que meilleurs amis de l’Ukraine pour tenir le G7 au courant de ce qui se passe sur le terrain dans ce pays.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci, madame la ministre, de nous accorder une partie de votre précieux temps aujourd’hui.
Ces dernières années, les relations entre la Russie et le continent africain se sont renforcées et de nombreux pays africains se trouvent désormais en situation de quasi-dépendance par rapport à la Russie.
En effet, si l’on se penche sur le domaine alimentaire, 30 % du blé consommé en Afrique provient de la Russie. C’est même 100 % dans le cas d’un pays comme le Bénin, par exemple.
En ce qui a trait au domaine énergétique, il y a près de 3 milliards de dollars américains par année d’importations en charbon, en gaz et en pétrole, mais aussi en coopération militaire, comme en témoignent la protection du régime malien et le renouvellement très récent des accords de défense russo‑camerounais.
Ces débouchés africains en matière d’exportations constituent, sans nul doute, une échappatoire aux sanctions occidentales imposées à la Russie. De surcroît, en approfondissant ses relations avec la Russie, l’Afrique s’éloigne progressivement de l’Occident. De son côté, le Canada perd pied en Afrique. Ce faisant, il se prive d’alliés stratégiques importants, notamment aux Nations unies, où le soutien du continent pour obtenir un siège au Conseil de sécurité est quasiment incontournable. On parle de 54 voix lors des votes.
Je suis convaincue que notre pays doit jouer un rôle important en Afrique et que les pays africains n’attendent qu’une main tendue de notre gouvernement pour se rapprocher du Canada, tant sur le plan diplomatique sécuritaire que sur le plan économique.
Madame la ministre, le Canada est-il conscient de l’importance stratégique que représente le continent africain, aujourd’hui et demain? Le cas échéant, que fait le Canada pour aider et rallier l’Afrique dans le contexte de la guerre en Ukraine?
Mme Joly : Merci, madame la sénatrice; je suis contente de vous revoir. Votre question est très pertinente. En effet, nous sommes unis au sein de l’OTAN et du G7, mais il faut absolument nous assurer de ne pas perdre d’appuis, que ce soit en Afrique, en Amérique latine ou en Asie.
C’est pourquoi la semaine dernière, il y a environ 10 jours, mon équipe et moi sommes allés en Asie, en Indonésie et au Vietnam.
Notre secrétaire parlementaire Robert Lee Finn était au Nigeria et au Sénégal, et mon autre secrétaire parlementaire, Maninder Sidhu, était au Panama et en République dominicaine. Le but est de comprendre davantage les réalités de ces différents pays, assurément en Afrique, et pas seulement de comprendre leurs relations avec la Russie ou d’autres pays comme la Chine. J’ai eu une longue conversation avec le général Dallaire hier sur la question africaine, et j’irai en Afrique avec le premier ministre plus tard en juin, puisque le sommet du Commonwealth aura lieu à Kigali. J’aurai également l’occasion de me rendre au Rwanda, et je pourrai parler plus tard de la question de la sécurité alimentaire.
[Traduction]
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, madame la ministre d’être des nôtres aujourd’hui.
Comme nous le savons tous, le viol est une arme de guerre brutale. Nous avons été témoins de son utilisation depuis des décennies dans divers endroits du monde. Vous nous avez rappelé les atrocités et les violations des droits de la personne déjà bien documentées dans différentes villes d’Ukraine, et particulièrement à Boutcha.
Madame la ministre, pouvez-vous nous dire ce que fait le Canada pour aider le gouvernement ukrainien et les différentes organisations sur le terrain à protéger les femmes et les enfants contre de nouvelles manifestations de violence sexuelle? Deuxièmement, que faisons-nous — et vous en avez déjà glissé un mot — pour appuyer la préparation de la preuve nécessaire en vue d’étayer d’éventuelles poursuites à l’égard des crimes de guerre?
Mme Joly : Merci, madame la sénatrice. C’est une question très pertinente.
Le problème de la violence sexuelle à l’encontre des femmes et des filles est une priorité pour le Canada et aussi pour moi personnellement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai rédigé conjointement avec Liz Truss, la secrétaire d’État aux Affaires étrangères du Royaume-Uni, une lettre d’opinion récemment publiée dans les journaux de nos deux pays. Nous avons toutes les deux convenu d’exprimer notre appui au code Murad, fruit du travail accompli aux Nations unies par Nadia Murad, récompensée par le prix Nobel de la paix. Ce code vise deux grands objectifs. On veut premièrement apporter un soutien psychologique aux victimes en documentant l’expérience qu’elles ont vécue. Il s’agit ensuite d’établir le lien avec les autorités responsables pour qu’elles fassent enquête.
Il y a actuellement quatre enquêtes en cours. Il y a d’abord celle du Conseil des droits de l’homme des Nations unies qui porte sur la violence sexuelle, mais aussi sur l’ensemble des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des actes génocidaires. J’ai d’ailleurs pu en discuter avec la haute commissaire Michelle Bachelet lorsque j’étais à Genève. La deuxième enquête, dont j’ai parlé dans mon allocution, est celle de l’OSCE en vertu du mécanisme de Moscou. La troisième est réalisée par la Cour pénale internationale. Le Canada a d’ailleurs été l’un des deux premiers pays, avec l’Estonie, à soumettre une requête pour saisir la cour de cet enjeu au titre duquel une enquête est aussi menée par le procureur. Nous travaillons également avec la Cour internationale de justice.
Voilà donc quatre moyens mis en œuvre pour que des comptes soient rendus. Dans chaque cas, on procède de façon différente pour recueillir des preuves. Nous voulons nous assurer qu’une victime n’ait pas à témoigner à quatre reprises. À chaque fois, c’est une expérience traumatisante, si bien que nous souhaitons veiller à ce que les éléments de preuve soient rassemblés en tablant sur une certaine confiance mutuelle entre ces différentes instances multilatérales de telle sorte que chacune puisse utiliser les éléments recueillis par l’autre.
Je pense également que cette campagne orchestrée par Liz Truss et moi-même avait pour objectif de mettre cet enjeu en lumière, ce que nous ferons devant le G7 dans deux semaines. Je serai alors en Allemagne, car c’est le pays qui assume la présidence du G7 cette année. Le Canada s’est donné une importante politique étrangère féministe. Notre travail dans ce dossier s’inscrit dans cette foulée.
Le président : Merci, madame la ministre.
La sénatrice M. Deacon : Merci, madame la ministre, d’être avec nous aujourd’hui. Nous sommes heureux de vous voir et nous vous remercions pour l’autre événement très important d’hier soir avec le groupe des Amériques.
Malgré le tragique de la situation, je me réjouis vraiment d’avoir entendu les questions posées aujourd’hui par ma collègue, la sénatrice Coyle. Je vous remercie d’ailleurs des précisions que vous avez fournies concernant le code Murad, car je m’interrogeais vraiment sur le rôle et le leadership du Canada dans ce dossier.
Je vais passer à ma question qui porte plutôt sur les armes que nous mettons à la disposition de l’Ukraine. Notre gouvernement a récemment envoyé là-bas des obusiers M777. On répondait ainsi aux appels du gouvernement ukrainien qui demandait de l’artillerie lourde depuis le début du conflit. J’espère que vous pourrez nous en dire plus long aujourd’hui sur certaines démarches ayant pu se dérouler en coulisse avant qu’on donne suite à ces demandes d’armements ou peut-être qu’on les rejette. Quels facteurs ont été pris en considération pour l’approbation ou le rejet de certaines requêtes du gouvernement ukrainien? Nous arrive-t-il d’examiner nos stocks pour déterminer si nous pourrions offrir aux Ukrainiens quelque chose qu’ils n’ont pas nécessairement demandé? Ou bien se limite-t-on à analyser les requêtes qui sont approuvées ou rejetées par le gouvernement? Je vous serais reconnaissante pour toute indication supplémentaire à ce sujet.
Mme Joly : Merci, madame la sénatrice. C’est une question importante, en effet. Depuis un mois, les Ukrainiens ont demandé du soutien sous forme d’armes à un grand nombre de pays, dont le Canada. L’aide fournie par les différents pays a évolué. À l’heure actuelle, nous constatons l’envoi de toute une variété d’armes. Au début, certains pays hésitaient un peu à envoyer de l’artillerie lourde. Nous avons préconisé l’envoi rapide d’artillerie lourde. J’estime que nous avons pu influencer nos alliés en ce sens de façon positive.
Or, puisque la coordination est importante, nous avons offert à nos alliés d’assurer la coordination, en particulier aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France. Nous assurons également le transport aérien par aéronef C-130. Si les Pays-Bas souhaitent envoyer des armes, par exemple, nous pourrions les envoyer à l’Ukraine à l’aide d’aéronefs C-130.
Voilà ce que je peux vous dire sans fournir de l’information sensible. Nous sommes dans une période où la formation et la coordination sont importantes, car les nouveaux types d’armes que nous envoyons ne sont pas nécessairement des armes pour lesquelles les troupes militaires ukrainiennes ont été formées. Le Canada a formé un grand nombre de forces ukrainiennes dans le cadre de l’opération Unifier, si bien que nous avons beaucoup d’expérience dans la formation de ces forces. Ma collègue Anita Anand se penche sur ce dossier.
La sénatrice Boniface : Je vous souhaite la bienvenue, madame la ministre, et je vous remercie d’être ici. J’imagine à peine à quel point votre personnel et vous devez être très occupés ces jours-ci. Nous vous sommes reconnaissants de nous accorder du temps.
Plus tôt cette semaine, le ministre russe des Affaires étrangères a déclaré que l’Occident ne devrait pas sous-estimer le risque accru d’un conflit nucléaire en Ukraine. Je crois que pour bien des gens, pour bien des Canadiens, ces propos étaient troublants compte tenu des atrocités qui se produisent déjà en Ukraine. Ce commentaire modifie-t-il de quelque façon que ce soit l’intervention du Canada dans la situation en cours? Deuxièmement, dans quelle mesure devrions-nous prendre ces paroles au sérieux alors que l’idée d’un conflit nucléaire est sur la table?
Mme Joly : À mon avis, nous devons être prêts pour tous les scénarios possibles. Aussi, je ne crois pas que ce sera la dernière fois que la Russie profère des menaces étant donné qu’elle ne comptait pas sur une aussi grande résistance des forces ukrainiennes. La Russie croyait que cette invasion se produirait en quelques jours et que les troupes russes seraient en mesure de saisir et de faire la conquête de Kiev et que tout le monde les applaudirait et serait extrêmement heureux de les voir. Manifestement, cette invasion est un échec, et continuera de l’être. Nous allons poursuivre nos efforts jusqu’à ce que l’Ukraine gagne. Quand je dis jusqu’à ce que l’Ukraine gagne, j’entends par là que les forces russes quittent l’Ukraine, et que la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine soient respectées. C’est pourquoi nous devons nous assurer que nous travaillons avec les alliés dans ce dossier et que nous considérons différents types de scénarios.
La sénatrice Boniface : J’aimerais parler de la Finlande et de la Suède, si vous me le permettez. De toute évidence, ces pays ont manifesté leur intérêt de se joindre à l’OTAN. Je me demande simplement quelles sont les discussions en cours avec ces deux pays, vu leur vulnérabilité. Merci.
Mme Joly : C’est l’une des raisons pour lesquelles il y a trois semaines j’ai décidé de me rendre en Finlande. Au cours du dernier mois, le ministre des Affaires étrangères et moi-même avons eu des discussions à maintes reprises et, bien entendu, nous sommes très favorables à l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN. Nous pensons qu’en raison des valeurs communes et du fait qu’ils sont déjà de solides partenaires de l’OTAN, nous pouvons sans aucun doute travailler avec eux au sein de l’OTAN. Le premier ministre a également eu de bons et longs entretiens avec le premier ministre de la Finlande lorsqu’il était en Allemagne. Nous allons évidemment poursuivre le dialogue avec eux. Je serai heureuse de travailler avec ma collègue de la Suède, Mme Ann Linde, que j’ai eu le plaisir de rencontrer à de nombreuses reprises. Ce seront bien sûr les Suédois et les Finlandais eux-mêmes qui décideront s’ils adhèrent à l’OTAN. Dans l’affirmative, nous travaillerions avec eux.
Par ailleurs, l’une des choses sur lesquelles je m’affaire activement est la souveraineté et la sécurité de l’Arctique. Nous travaillons avec les États-Unis non seulement sur la question de la modernisation du NORAD, mais aussi sur la mobilisation de façon proactive de nos amis des régions nordiques. Voilà entre autres pourquoi j’étais en Finlande, pour veiller à ce que nous puissions signer une déclaration commune sur la coopération dans l’Arctique.
Le président : Merci, madame la ministre.
Le sénateur Woo : Merci de votre témoignage, madame la ministre. Vous avez exprimé de façon très vigoureuse le besoin d’un soutien militaire pour que l’Ukraine puisse se défendre contre l’agression russe. Vous avez dit dans votre témoignage que nous devrions l’assurer jusqu’à ce que l’Ukraine gagne la guerre. Vous avez ensuite précisé dans la réponse à la question de la sénatrice Boniface que vous estimez que la guerre serait gagnée lorsqu’il y aurait un retrait complet de la Russie du territoire ukrainien. Il me semble que notre gouvernement est satisfait que la guerre se poursuive aussi longtemps que nécessaire.
Que faisons-nous pour essayer de négocier une fin rapide à la guerre afin de réduire la souffrance humaine? Que faisons-nous directement avec la Russie belligérante ou indirectement par l’entremise d’interlocuteurs crédibles?
Mme Joly : Le Canada n’a aucun intérêt personnel à ce que la guerre dure longtemps. Pas du tout. Chaque vie perdue est une atrocité. Nous ferons tout par la voie diplomatique pour arriver à négocier un accord. Malheureusement, ni le Canada ni l’Ukraine ne sont à la table des négociations. Nous ne pensons pas que la Russie fait preuve de bonne foi et nous nous demandons si les négociateurs ont un mandat clair de leur président. Nous allons continuer à intervenir de façon proactive pour encourager les négociations et pour offrir la meilleure aide possible en cette période de conflits. Nous avons une formidable tradition de maintien de la paix et nous arrivons à trouver des moyens, comme nous l’avons fait en Colombie, pour réunir les différentes parties belligérantes à la table. Nous allons continuer en ce sens.
À ce stade, nos alliés et nous estimons que la Russie ne réagit qu’au recours à la puissance et à la force. C’est pourquoi nous devons fournir des armes et appliquer des sanctions musclées.
Le sénateur Woo : Avez-vous songé à collaborer avec des tiers qui ont encore une certaine relation avec la Russie pour essayer de négocier la paix? Je n’ai pas vraiment entendu parler de ce que nous faisons pour rétablir la paix. J’ai beaucoup entendu parler de ce que nous tentons de faire pour contrer la Russie. Tout cela me semble logique, mais je n’ai rien entendu de ce que notre gouvernement fait pour essayer de favoriser la paix.
Mme Joly : Le premier ministre parle au président Zelenski à peu près chaque semaine. Je parle à Andriy Yermak, le chef de cabinet du président Zelenski, tous les deux ou trois jours, ainsi qu’à mon homologue, M. Kouleba, le ministre des Affaires étrangères ukrainien. La vice-première ministre parle au premier ministre ukrainien; Anita Anand parle au ministre de la Défense. Nous communiquons.
Nous sommes également en contact étroit avec les négociateurs. Cependant, les négociations sont au point mort à l’heure actuelle, particulièrement depuis que la Russie a décidé de se retirer de Kiev et de se concentrer sur la partie orientale et méridionale de l’Ukraine. En raison de cette opération militaire et du fait que la Russie s’entête, à l’approche du 9 mai, qui est une date importante pour la Russie, les alliés ont tous convenu d’accroître rapidement leur soutien à l’Ukraine sur le plan militaire.
Entretemps, j’ai eu des discussions avec la Turquie et la Chine. Le premier ministre a communiqué avec Israël. Je me suis encore entretenu avec l’Égypte hier. De nombreux pays ont essayé de communiquer avec Poutine. Le secrétaire général des Nations unies, M. Guterres, était présent hier. On est disposé à discuter avec la Russie, mais la Russie ne souhaite pas nécessairement discuter.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur MacDonald : Bienvenue, madame la ministre. Au début du mois, vous avez eu un entretien téléphonique avec le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi. La Chine et la Russie sont sur la même longueur d’onde. Au début du mois, le chef d’état-major de la défense du Canada, le général Wayne Eyre, a déclaré ce qui suit au comité sénatorial de la défense au sujet de la coopération entre la Chine et la Russie en Ukraine :
[...] la Chine observe la situation. Elle tire des leçons de ce qui se passe sur les plans tactique et opérationnel, ainsi que dans l’environnement informationnel. Elle apprend ce qui fonctionne sur le plan technologique et quelles leçons il faut retenir, alors qu’elle poursuit son soutien des atrocités commises [...] par des appuis politiques, moraux et économiques.
Votre gouvernement est-il du même avis que notre chef d’état‑major de la défense?
Mme Joly : Je respecte toujours ce que dit le chef d’état‑major de la défense. Côté diplomatique, j’ai eu mon premier entretien téléphonique avec Wang Yi, pour la première fois en trois ans, depuis que le Canada s’est engagé activement sur le plan politique, compte tenu du fait que les deux Michael, Michael Spavor et Michael Kovrig, sont revenus de la Chine. Je lui ai rappelé que nous voulions travailler avec la Chine à une résolution pacifique de la question de l’Ukraine; que nous estimions que la Chine avait une décision à prendre sur le type d’avenir qu’elle souhaite pour l’Ukraine et le monde; et que nous pensions qu’elle pourrait travailler à trouver une solution diplomatique.
Je ne suis pas la seule ministre à avoir pris contact avec la Chine. Tous les ministres des pays du G7 l’ont fait. De nombreux autres ministres et chefs d’État dans le monde l’ont fait. Nous devons réaffirmer notre position. Il est clair que nous savons que la Chine observe ce qui se passe en Ukraine en réfléchissant à ses propres politiques.
Le sénateur MacDonald : Lorsque vous avez parlé au ministre des Affaires étrangères de la Chine, lui avez-vous dit spécifiquement que la position de la Chine concernant l’Ukraine était inacceptable pour le Canada et les Canadiens?
Mme Joly : J’ai dit que nous n’étions pas d’avis que l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine étaient respectées — pas du tout. En fait, nous pensions qu’une grave violation avait été commise.
J’ai également dit directement à mon homologue qu’en tant que membre du Conseil de sécurité, la Chine avait l’obligation de contribuer de façon utile dans cette situation et que c’était donc ce à quoi nous nous attendions. C’est également ce que l’ensemble des membres de mon corps diplomatique a fait savoir à la Chine au sein d’organisations multilatérales.
Il est important que nous communiquions avec la Chine afin de nous assurer que nous sommes en mesure d’avoir des discussions, bien que nous désapprouvions fondamentalement de nombreux aspects de sa politique étrangère.
Le sénateur Ravalia : Je vous remercie de votre présence et de tous les efforts que vous avez déployés au cours des deux ou trois derniers mois. C’est une période occupée.
Au début du mois d’avril, plusieurs pays, dont le Royaume‑Uni, la France et l’Italie, ont annoncé qu’ils allaient rouvrir leurs ambassades dans la capitale ukrainienne. Envisageons-nous une telle démarche? Y a-t-il un risque pour la sécurité et, dans l’intervalle, comment les choses se passent-elles pour le personnel de notre ambassade, qui a été réinstallé dans les pays voisins?
Mme Joly : Votre question tombe bien, sénateur, car j’ai rencontré notre ambassadrice en Ukraine, Larisa Galadza, ce matin même. Elle était à Affaires mondiales Canada. C’était formidable de la voir. Je l’ai rencontrée lorsque j’étais en Ukraine en janvier, et je lui ai parlé au téléphone à de nombreuses reprises, y compris la nuit de l’invasion. En fait, Sandra McCardell était avec nous en Ukraine.
Il est clair que l’objectif du gouvernement du Canada est de rouvrir son ambassade en Ukraine. Nous examinons actuellement différents scénarios, et mon objectif est de le faire dans les jours et les semaines à venir. Nous devons nous assurer que l’environnement est sûr pour notre personnel, et nous regardons ce que font nos collègues et alliés du Groupe des cinq également.
Le sénateur Ravalia : Si vous me permettez de changer de sujet, j’ai réfléchi un peu à la possibilité d’une expansion russe, en particulier à la situation en Moldova et aux conséquences possibles dans des régions comme les Balkans, où la Bosnie et le Kosovo ont tous deux exprimé leurs inquiétudes quant à une éventuelle agression serbe. Est-ce que nous suivons ces situations de près, et si oui, pouvez-vous nous en dire un peu plus?
Mme Joly : Eh bien, je suis très préoccupée par ce qui se passe en Moldova. J’ai eu une longue discussion avec la présidente Maïa Sandu il y a un mois et demi — je crois que j’étais avec Kevin Hamilton à ce moment-là — et le premier ministre Trudeau lui a parlé cette semaine.
L’une des choses frappantes que la présidente Sandu m’a dites, c’est à quel point elle et son pays étaient soumis à une très importante campagne de désinformation menée par la Russie visant à vilipender les réfugiés ukrainiens qui cherchent refuge dans son pays. Des centaines de milliers d’entre eux sont passés par la Moldova ou s’y trouvent encore, ce qui crée une forte pression sur son petit pays.
Elle a mentionné que cette campagne de désinformation a pour but de présenter les réfugiés ukrainiens comme étant des gens violents et dangereux pour les Moldaves afin d’essayer de semer la peur chez les Moldaves et, par conséquent, de déstabiliser davantage sa démocratie. C’est pourquoi j’en ai parlé avec mes homologues allemands. Annalena Baerbock, qui est maintenant une bonne amie à moi et mon homologue en Allemagne, a organisé un sommet sur la Moldova. Nous sommes allés en Allemagne. Je suis allée en Allemagne pour l’aider dans le cadre de ce sommet, et nous avons présidé la partie du sommet sur la Moldova consacrée aux réfugiés. Donc, oui, nous sommes bien au courant de ce qui se passe dans ce pays, et nous avons également travaillé à cette question avec notre ambassadrice en Roumanie, Bulgarie et Moldova, Annick Goulet.
Le sénateur Ravalia : Merci.
Le président : Merci. Nous sommes arrivés à la fin de la liste des intervenants, mais je vais demander à la sénatrice Omidvar si elle veut poser une question en tant que sénatrice invitée. J’userai ensuite de ma prérogative en tant que président pour en poser une aussi à la fin, si possible.
La sénatrice Omidvar : Je vous remercie, madame la ministre, de votre présence. Je remercie également les membres de votre personnel d’être ici. Je suis ravie de constater que, dans la loi d’exécution du budget, votre gouvernement ait jugé bon d’adopter l’esprit du projet de loi qui a été débattu au Sénat, le S-217, non seulement pour bloquer les biens, mais pour les saisir, les confisquer et les réaffecter au profit des victimes. Félicitations. Vous avez fait un pas en avant sur la scène mondiale en tant que leader à cet égard, et le président Biden a déjà signalé son intention d’en faire autant. Je vous souhaite bonne chance pour persuader vos autres partenaires du G7 de faire de même.
Il y a cependant une différence importante dans le libellé. Le projet de loi S-217 fait des déplacements forcés, des déplacements forcés de masse, l’un des motifs pour saisir et réaffecter les biens. Et c’est pour une bonne raison, car de nombreuses personnes sont déplacées de force; il y a 5 millions de déplacés rien que pour l’Ukraine. Ce n’est pas inclus dans votre projet de loi. Pourriez-vous nous donner votre point de vue là-dessus?
Mme Joly : Oui. Je vais dire deux ou trois choses à cet égard.
Ce que nous essayons de faire, c’est renforcer deux textes de loi qui existent déjà : la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski) et la Loi sur les mesures économiques spéciales. La loi Magnitski comprend le volet « droits de la personne ». Ce n’est pas le cas de la Loi sur les mesures économiques spéciales. Parfois, il est préférable d’avoir une bonne mesure législative — qui soit conforme à la Constitution, bien sûr —, mais que le niveau de preuve pour démontrer, par exemple, que des gens sont déplacés de force puisse être inclus dans la Loi sur les mesures économiques spéciales. C’est inclus de toute façon. En fait, il devient plus facile pour le gouvernement de faire le travail, alors que l’intention est la même. Parfois, plus nous précisons les choses, plus il devient fastidieux pour le ministère de fournir l’ensemble des preuves.
À l’heure actuelle, nous agissons clairement en conformité avec nos pouvoirs constitutionnels, et nous pouvons déjà le faire en misant sur l’approche de la Loi sur les mesures économiques spéciales sans avoir à recueillir toutes les preuves des 5,2 millions de personnes qui ont été déplacées, et cetera.
De plus, à l’heure actuelle, il est clair que des personnes sont déplacées de force. Peut-être que dans certains contextes, c’est moins évident, et c’est pourquoi nous avons pensé qu’une approche un peu plus large pourrait être beaucoup plus utile pour atteindre l’objectif du projet de loi et certainement votre objectif, sénatrice.
La sénatrice Omidvar : Je vous remercie de cette explication.
Le président : Madame la ministre, je surveille la situation depuis qu’elle a commencé et depuis plus longtemps, en 2014, lorsque le G8 existait encore, et je voulais revenir sur ce que mon collègue, le sénateur Greene, a dit au tout début à propos d’une nouvelle version des Nations unies.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, et après, beaucoup de travail a été accompli sur le plan de la planification quant à ce qu’il adviendrait une fois les hostilités terminées, et je me demande si votre ministère, qui compte de nombreux esprits très brillants — je connais certains d’entre eux — travaille avec des alliés à cet égard, et si c’est le cas de votre côté également, et envisage l’avenir? Je ne parle pas nécessairement de voies de sortie pour Vladimir Poutine, mais qu’en est-il de la reconstruction d’une Ukraine détruite? Qu’en est-il des soldats de la paix dans le Donbass? Que va-t-il se passer avec la Crimée?
Je me demande simplement si ce travail est en cours, étant donné que vous participez à de nombreuses réunions internationales et que nous voyons ce rassemblement d’esprits alliés que nous n’avons pas vraiment vu depuis la Seconde Guerre mondiale.
Mme Joly : Oui, et je veux dire deux ou trois choses à ce sujet. Il est clair que nous essayons de déterminer comment nous pouvons nous assurer qu’il y a une voie de sortie diplomatique — nous le faisons — et nous échangeons avec bon nombre de nos alliés à cet égard. C’est ce qui m’empêche de dormir la nuit.
Il est clair aussi, comme l’a mentionné le sénateur Woo, qui a posé des questions fort pertinentes, que nous avons beaucoup d’expérience au chapitre du maintien de la paix, ainsi que du contrôle des armements, et nous pouvons fournir cette expertise.
De plus, bien sûr, les Ukrainiens savent très bien qu’en vertu du Traité de Budapest, ils ont perdu leur capacité nucléaire, ce qui suscite certaines craintes, mais de toute évidence, le rôle du Canada est de soutenir les négociations. Il ne s’agit pas seulement de négociations, mais d’un moyen qui pourrait être avant-gardiste et différent de l’Accord de Minsk. En même temps, si nous pouvons fournir cette expertise, nous devons amener d’autres pays à la table des négociations qui peuvent s’assurer qu’au bout du compte, l’Ukraine a un statut qui garantit sa sécurité.
Entretemps, je pense aussi aux répercussions de la situation de l’Ukraine sur le monde entier.
Ce qui se passe dans la région indopacifique est évidemment un sujet qui me préoccupe. C’est pourquoi nous travaillons activement à l’élaboration d’une importante stratégie indopacifique, un dossier auquel mon équipe consacre une grande partie de son temps également.
Le Canada n’a jamais eu de stratégie indopacifique. Nous nous sommes bien davantage concentrés sur l’Est ou le monde transatlantique. De plus, le Canada est un pays du Pacifique dont la côte sur le Pacifique est importante. Nous devons nous assurer que nous en tenons compte dans notre propre politique étrangère.
Le président : Merci beaucoup, madame la ministre. Au nom des membres du comité, je tiens à vous remercier d’avoir participé à notre réunion aujourd’hui. Soyez assurée que nous vous demanderons de revenir. Merci.
S’il n’y a pas d’autres questions, sénateurs, la séance est levée.
(La séance est levée.)