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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 2 juin 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui à 11 h 34 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les relations étrangères et le commerce international en général ; et, à huis clos, pour étudier la teneur des éléments des sections 9, 18 et 31 de la partie 5 du projet de loi C-19, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Avant de commencer, je voudrais présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui.

[Traduction]

Les membres du comité sont la sénatrice Gwen Boniface, de l’Ontario; la sénatrice Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse; la sénatrice Marty Deacon, de l’Ontario; la sénatrice Amina Gerba, du Québec; le sénateur Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Peter Harder, vice-président, de l’Ontario; le sénateur Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Victor Oh, de l’Ontario; le sénateur Mohamed-Iqbal Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador; et le sénateur David Richards, du Nouveau-Brunswick. Notre collègue, la sénatrice Ratna Omidvar, se joint également à nous aujourd’hui.

Je tiens à vous souhaiter la bienvenue à tous, ainsi qu’à tous les Canadiens qui sont peut-être à l’écoute.

Aujourd’hui, nous tenons une réunion hybride. Je tiens à rappeler aux sénateurs et aux témoins qui y participent par vidéoconférence qu’ils doivent garder leur micro en sourdine en tout temps, à moins que le président leur donne la parole.

Je demande aux sénateurs d’utiliser la fonction « lever la main » pour que je leur donne la parole. Ceux qui sont présents dans la salle du comité peuvent signaler à la greffière qu’ils souhaitent poser des questions ou faire des commentaires.

[Français]

Si un problème technique survient, en particulier si cela concerne l’interprétation, veuillez me le signaler ou le signaler à a greffière, Mme Lemay, pour que nous puissions le régler rapidement.

Pendant la première partie de notre réunion d’aujourd’hui, nous allons, encore une fois, discuter de la situation en Ukraine.

[Traduction]

Vous vous souviendrez que nous avons déjà tenu deux réunions à ce sujet depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février dernier. Le 3 mars, nous avons entendu des témoignages d’experts, et le 28 avril, nous avons entendu la ministre des Affaires étrangères, l’honorable Mélanie Joly.

Chers collègues, demain, 100 jours se seront écoulés depuis le début de cette invasion non provoquée; c’est une bonne occasion de réfléchir. Nous sommes heureux de recevoir, de la Verkhovna Rada — le Parlement ukrainien —, le président du Comité de politique étrangère et de coopération interparlementaire, l’honorable Oleksandr Merezhko; et de l’ambassade d’Ukraine, nous sommes ravis d’accueillir l’ambassadrice désignée de l’Ukraine au Canada, Mme Yuliia Kovaliv. Elle est accompagnée du chargé d’affaires, Andrii Bukvych.

Bienvenue, et merci de vous joindre à nous. Nous sommes honorés de vous compter parmi nous aujourd’hui. Nous entendrons d’abord la déclaration liminaire de M. Merezhko, puis celle de l’ambassadrice désignée.

Monsieur Merezhko, bienvenue. La parole est à vous.

Oleksandr Merezhko, président du Comité de politique étrangère et de coopération interparlementaire, Verkhovna Rada (Parlement de l’Ukraine), à titre personnel : Merci beaucoup, chers collègues. Je voudrais tout d’abord vous présenter nos plus sincères et profonds remerciements pour votre aide et votre soutien à l’Ukraine en ces temps très difficiles, alors que nous vivons nos heures les plus sombres. Nous vous sommes reconnaissants de votre soutien et de votre aide militaire, et nous vous savons gré d’avoir reconnu les crimes russes comme constituant un génocide de la nation ukrainienne. C’est important pour nous et nous vous considérons comme notre véritable ami.

Chers sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de vous parler aujourd’hui. Permettez-moi tout d’abord de vous rappeler que la guerre que mène la Russie contre l’Ukraine se déroule en ce moment même. Nous ne pouvons pas nous habituer à cette guerre. Le monde ne peut et ne doit pas s’habituer à cette guerre. Je vous exhorte donc à ne pas vous y habituer et à ne pas vous lasser.

Nous devons réaliser à quel point cette guerre est absurde et scandaleuse aujourd’hui, au XXIe siècle. C’est littéralement une guerre du mal et de la tyrannie contre la paix et l’ordre dont le monde avait convenu après les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale.

La Russie se prépare à une longue guerre en reconstituant constamment ses forces d’occupation. Ses objectifs actuels sont d’occuper l’ensemble du territoire des régions de Donetsk et Louhansk, de sécuriser le corridor terrestre vers la Crimée et de compléter l’occupation de la partie sud de l’Ukraine. Des pilonnages et des combats violents se poursuivent dans les régions de Donetsk, de Louhansk, de Kharkiv, de Kherson et de Zaporijjya. Le littoral ukrainien reste bloqué.

Le régime du président Loukachenko continue de fournir un soutien logistique à la Russie sans entrer directement en guerre.

Comme vous le savez, l’armée ukrainienne a réussi à repousser les troupes russes hors des régions de Kiev, de Tchernihiv et de Sumy. Jusqu’à présent, l’armée ukrainienne a libéré plus de 1 000 villes et villages.

En ce qui concerne les négociations, elles ont été suspendues sur le plan politique, mais se poursuivent en ce qui concerne les échanges de prisonniers et les corridors humanitaires. L’objectif de l’Ukraine est de rétablir pleinement, par la négociation, sa souveraineté et son intégrité territoriale à l’intérieur des frontières qui lui sont reconnues à l’échelle internationale.

Enfin, la Russie doit être reconnue comme un état qui appuie le terrorisme et ses forces armées, comme une organisation terroriste, une organisation de meurtriers et de criminels de guerre. Cela correspond parfaitement au principe qui consiste à appeler les choses par leur nom.

Je vais m’arrêter ici et vous laisser écouter la déclaration de notre ambassadrice, Yuliia Kovaliv, sur les conséquences économiques de la guerre — celles qui se font sentir maintenant, et celles qui risquent d’émerger. Je serai ravi de répondre à vos questions par la suite.

Je vous remercie beaucoup de votre attention.

Le président : Merci beaucoup de cet exposé, monsieur Merezhko.

Écoutons maintenant l’ambassadrice désignée Kovaliv. La parole est à vous.

Yuliia Kovaliv, ambassadrice désignée, Ambassade de l’Ukraine au Canada : Chers sénateurs, je suis honorée de pouvoir m’adresser à vous. Permettez-moi d’abord de donner suite aux propos de M. Merezhko en insistant sur l’importance de l’appui du Canada à l’Ukraine en ce moment. Nous sommes réellement reconnaissants au Parlement et au gouvernement du Canada pour leurs efforts, ainsi qu’à tous les Canadiens pour ce qu’ils font afin de soutenir l’Ukraine en ce moment.

Demain marquera le centième jour du début de la guerre non provoquée de la Russie contre l’Ukraine. Cela signifie 100 jours de violation du droit international et de l’ordre établi par un membre permanent du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, 100 jours de souffrance humaine, 100 jours de destruction et 100 jours de crimes de guerre commis par les Russes en Ukraine.

Aujourd’hui, je me concentrerai sur la situation humanitaire et sur les répercussions de la guerre sur l’économie et la sécurité alimentaire.

Il est toujours douloureux de penser à la situation humanitaire, de réaliser ce qui se passe vraiment et, surtout, d’en parler. Des milliers de civils ont perdu la vie; beaucoup ont été blessés. La plupart des victimes civiles ont péri à la suite du pilonnage et des frappes aériennes menés par les Russes.

Hier, nous avons organisé une Journée des enfants en Ukraine. Jusqu’à présent, 243 enfants ont fermé les yeux à tout jamais, 446 ont été blessés et 139 manquent à l’appel.

La ville de Kharkiv a été le théâtre d’une tragédie dévastatrice la semaine dernière. Une famille avec un bébé de cinq mois marchait dans la rue quand les pilonnages ont commencé. C’était dans une zone résidentielle. Il n’y avait pas de matériel militaire dans le quartier. Le père a été tué sur le coup. L’enfant, qu’il tenait dans ses bras, a été retrouvé mort après avoir été projeté par l’onde de choc. La mère a été grièvement blessée.

Les histoires de ce genre sont nombreuses, car des attaques ont lieu chaque jour, et ce, depuis 99 jours déjà.

Plus de 13 000 infrastructures civiles ont été détruites, dont plus de 200 écoles et 570 hôpitaux, routes et ponts. Près de 220 000 personnes ont perdu leur maison. On compte 8 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays, et 6,8 millions d’autres sont parties pour l’étranger. Imaginez si la population entière de la région du Grand Toronto quittait le pays.

Nous sommes reconnaissants au gouvernement canadien et aux provinces des efforts qu’ils déploient pour venir en aide aux Ukrainiens qui cherchent temporairement refuge au Canada.

Plus de 500 000 Ukrainiens, y compris des enfants, ont été expulsés vers la Russie. Mardi, la Russie a officiellement annoncé qu’elle procéderait à l’octroi de sa citoyenneté aux orphelins ukrainiens. Nous considérons qu’il s’agit d’une mesure visant à légaliser le transfert illégal d’enfants ukrainiens vers la Russie à partir de territoires temporairement occupés et, en fait, à légitimer les enlèvements.

En outre, 1,4 million de personnes n’ont plus d’eau courante dans les régions de l’Est de l’Ukraine touchées par la guerre. Dans la ville assiégée de Marioupol, il y a un risque élevé de propagation de maladies infectieuses.

Le bureau du procureur général de l’Ukraine enquête sur plus de 14 000 crimes de guerre commis par la Russie. C’est la raison pour laquelle nous avons appelé à un approvisionnement accru en armes pour l’Ukraine : des véhicules blindés, des véhicules blindés légers, des véhicules aériens sans pilote et de l’artillerie. L’heure est venue d’utiliser l’aide militaire accordée à l’Ukraine pour sauver des vies humaines et empêcher les Russes de commettre d’autres atrocités. C’est un moment crucial. Les camps de filtration organisés par la Russie dans des zones occupées temporairement sont un autre argument en faveur de l’aide militaire. Le monde ne peut pas permettre à la Russie d’étendre son contrôle sur les territoires ukrainiens, et le monde doit mettre un terme aux tortures de style nazi que les civils ukrainiens subissent.

La situation économique reste critique. Une majorité d’entreprises ont cessé de fonctionner, et une partie d’entre elles ont été détruites. Le produit intérieur brut de l’Ukraine pourrait chuter d’au moins 30 %, et le déclin pourrait atteindre 50 %. Le pays accuse un déficit budgétaire mensuel de 5 milliards de dollars américains. La Russie a détruit 30 % des infrastructures ukrainiennes. Les pertes économiques globales pourraient dépasser 600 milliards de dollars américains.

Le gouvernement fait tout son possible pour maintenir l’économie ukrainienne à flot en soutenant la délocalisation des entreprises de la zone de guerre, en réduisant considérablement la réglementation et en rétablissant les infrastructures dans les zones libérées.

Le soutien financier sans précédent du Canada de 1,87 milliard de dollars est extrêmement précieux, et nous vous en remercions. Il nous permet de soutenir les personnes les plus vulnérables et celles qui sont touchées par la guerre.

Sur le plan économique, la guerre que la Russie mène en Ukraine a déjà des répercussions sur l’économie mondiale en faisant grimper les prix des aliments et de l’énergie, ce qui attise l’inflation. Il faut bien comprendre que la Russie est responsable de cette situation et qu’elle utilise l’énergie et l’alimentation comme une arme, ce qui a des conséquences économiques sur les perspectives de croissance mondiale.

Aujourd’hui, la Banque nationale d’Ukraine a augmenté son taux d’escompte à 25 % pour faire face aux défis de l’inflation.

En ce qui concerne la sécurité alimentaire mondiale, comme je l’ai mentionné, la Russie utilise la nourriture en tant qu’arme. L’Ukraine a toujours été le grenier du monde. Nous exportions plus de 10 % du blé, 14 % du maïs et 47 % de l’huile de tournesol à l’échelle mondiale, et 90 % des produits agroalimentaires d’Ukraine transitaient par les ports maritimes de la mer Noire et de la mer d’Azov. Sur une base mensuelle, c’était de cinq millions à six millions de tonnes de produits qui étaient exportés.

À cause du blocus du port maritime par la Russie, nous sommes confrontés à un énorme défi logistique, et 22 millions de tonnes de céréales restent bloquées dans les ports maritimes. Nous établissons d’autres voies d’exportation par chemin de fer et par camion jusqu’à la frontière occidentale de l’Ukraine, mais les volumes sont beaucoup plus faibles. En même temps, la Russie continue de détruire les voies ferrées en menant de multiples attaques de missiles.

Le blocus des ports maritimes ukrainiens par les Russes a déjà causé une augmentation considérable des prix des denrées alimentaires, et ils devraient grimper jusqu’à un sommet jamais atteint dans les 60 dernières années. Cela rend la nourriture inabordable pour de nombreux pays à faible revenu. La famine pourrait devenir une réalité dévastatrice pour des millions de personnes dans le monde.

La Russie détruit nos infrastructures agricoles et vole nos céréales et notre équipement. Les six plus grands silos d’Ukraine ont été détruits, et 400 000 tonnes de céréales ukrainiennes ont été volées, l’intention étant de les vendre illégalement à l’étranger.

Environ 13 % du territoire ukrainien est contaminé par des mines et du carburant déversé. Nous sommes reconnaissants au gouvernement canadien de sa décision de verser deux millions de dollars au HALO Trust pour les efforts de déminage en Ukraine.

Je dois dire qu’en dépit de tous les dangers, les agriculteurs ukrainiens ont semé dans 78 % des zones de culture. Toutefois, les rendements seront nettement plus faibles cette année en raison de la pénurie d’engrais, de semences et de diesel.

Nous demandons aux pays étrangers et au Canada de nous aider à gérer ces problèmes urgents. Il faut notamment déployer des efforts pour débloquer les ports maritimes, soutenir la capacité d’exportation agricole au moyen de laboratoires à la frontière occidentale de l’Ukraine et mettre en place des installations d’entreposage agricole pour la récolte à venir.

Mesdames et messieurs, la Russie mène depuis 99 jours une guerre en Ukraine, une vraie guerre qui fait toujours rage en ce moment même. Malheureusement, ces atrocités ne sont pas derrière nous; elles se poursuivent en ce moment. Nous avons besoin d’une aide militaire pour mettre fin aux atrocités commises par les Russes et pour protéger notre souveraineté, nos frontières et notre peuple. Nous avons besoin d’une aide militaire pour mettre fin aux crises alimentaires dont les conséquences se feront sentir bien au-delà des frontières ukrainiennes.

Merci à vous tous de nous avoir écoutés et de nous avoir reçus aujourd’hui.

Le président : Merci beaucoup, madame l’ambassadrice désignée Kovaliv.

Chers collègues, avant de vous inviter à poser vos questions, je tiens à rappeler à tous, en particulier à ceux qui participent à distance, qu’il faut utiliser la fonction « lever la main » pour être ajouté à la liste d’intervenants que notre greffière s’occupe de gérer.

Je tiens également à dire aux membres qu’ils disposeront chacun d’un maximum de quatre minutes pour la première série de questions, et que cela comprend les questions et les réponses. Comme d’habitude, essayez de vous en tenir à un court préambule. Cela donne plus de temps pour poser des questions.

Si votre question s’adresse à une personne en particulier, veuillez préciser si c’est M. Merezhko ou l’ambassadrice désignée. La séance d’aujourd’hui se termine à 13 heures. Je suis convaincu que nous aurons le temps de faire un deuxième tour.

Le sénateur Greene : Tout d’abord, je tiens à dire que je porte l’Ukraine et les Ukrainiens dans mon cœur. Ce que vous faites est miraculeux et je vous en remercie.

Nous devons réfléchir au point où nous en sommes. Cette guerre dure depuis 100 jours et il me semble, en ce moment précis, peut-être à cause des médias, que nous avons perdu l’élan que nous avions au 20e jour. Je me demande si nous traitons vraiment l’Ukraine comme nous devrions le faire, parce que nous lui demandons essentiellement de se battre alors qu’elle a les mains liées, et que la question de la zone d’exclusion aérienne devrait être envisagée.

Sans une aide plus stratégique, comme la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne, pensez-vous que vous pouvez l’emporter, ou du moins obtenir un match nul respectable?

Le président : À qui votre question s’adresse-t-elle?

Le sénateur Greene : À quiconque voudrait y répondre.

Le président : Nous pourrions commencer par M. Merezhko et nous entendrons ensuite la réponse de l’ambassadrice.

M. Merezhko : Merci, chers collègues.

C’est une question très importante. Au début de la nouvelle invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, nous avons soulevé la question d’une zone d’exclusion aérienne. Nous continuons de soulever cette question parce qu’il est important pour nous, avant tout, de protéger notre population.

Laissez-moi vous donner un exemple. Chaque jour, la Russie tue plusieurs enfants ukrainiens. Chaque jour. Chaque jour, la Russie tue environ 100 de nos soldats et de nos civils et fait près de 500 blessés. Cela se produit tous les jours.

Bien sûr, nous avons toujours besoin d’une zone d’exclusion aérienne. Mais en même temps, je suis conscient des problèmes et des restrictions d’ordre politique que cela soulève à l’échelle mondiale. C’est pourquoi nous vous demandons de nous fournir des armes lourdes, en particulier des lance-roquettes multiples. Nous en avons désespérément besoin pour nous protéger parce que la Russie utilise l’artillerie de manière impitoyable.

La Russie tue nos soldats et nos civils, et ce, délibérément; il ne s’agit pas de bombardements sans discernement. J’insiste sur ce point. Ces attaques ciblent délibérément des civils en Ukraine. Pour nous protéger, nous avons besoin d’armes lourdes.

Merci.

Mme Kovaliv : J’ai mentionné tout à l’heure que la plupart des civils tués par les Russes avaient été la cible de missiles et de frappes aériennes.

Rappelons-nous qu’il y a près de deux mois, nous sommes passés près d’une énorme catastrophe nucléaire alors que les Russes frappaient la plus grande centrale nucléaire d’Europe, située en Ukraine. Il y a eu un incendie à cet endroit. Les Russes contrôlent maintenant cette centrale — la plus grande centrale nucléaire du continent européen.

C’est pourquoi nous demandons aujourd’hui un soutien militaire accru et des décisions plus courageuses et plus poussées sur ce plan, y compris les lance-roquettes multiples qu’il nous faut pour protéger nos territoires d’abord, et pour libérer ceux que les Russes occupent depuis le début de la guerre, il y a 99 jours.

Nous recevons déjà des armes de l’OTAN, et cette aide améliore beaucoup la situation au front. Il faut toutefois comprendre que c’est toujours la guerre, jour après jour. C’est pourquoi il faut absolument que se poursuive l’approvisionnement actif et en temps voulu d’armes lourdes.

Au cours de ces 99 jours, le peuple ukrainien a montré au monde entier son courage remarquable, la façon dont nous luttons ensemble pour notre pays. Mais nous ne pouvons pas nous battre...

Le président : Merci, madame l’ambassadrice. Je dois vous interrompre parce que nous avons dépassé les quatre minutes. Nous reviendrons, bien sûr, à ces questions.

Le sénateur Kutcher : Merci à vous deux de votre présence aujourd’hui.

De toute évidence, il n’y aura plus de guerre si l’Ukraine gagne la guerre. Il n’y aura toutefois plus d’Ukraine si la Russie gagne la guerre. Il est donc essentiel de se concentrer sur la victoire. Merci de nous avoir fait des suggestions claires sur ce qui doit être fait là-bas.

Ma question est légèrement différente. Nous savons que plus le conflit se prolonge, plus il est susceptible de déstabiliser l’état de droit mondial par son incidence sur les trois éléments essentiels que sont la nourriture, l’engrais et le carburant, ce qui a d’importantes répercussions. La solution est vraiment de gagner rapidement la guerre.

Madame l’ambassadrice désignée Kovaliv, croyez-vous que les Canadiens comprennent à quel point une longue guerre sera problématique pour le monde entier? Sinon, qu’est-ce que le Canada pourrait faire pour que notre nation porte son attention sur les efforts requis pour mettre fin à cette guerre le plus rapidement possible?

Mme Kovaliv : Merci, sénateur.

La sécurité alimentaire et énergétique est maintenant au premier plan des discussions de tous les gouvernements et, notamment, des gouvernements ukrainien et canadien. La sécurité en matière de carburant et d’énergie, particulièrement en Europe, est un autre problème majeur.

Je pense que tout le monde est maintenant conscient de ces enjeux, car il n’est pas question uniquement de la sécurité de l’Ukraine et de géopolitique. En Ukraine, en Europe et au Canada, tout le monde en ressent déjà les effets.

La Russie est à blâmer sur toute la ligne, avec sa guerre qui a causé l’augmentation des prix de la nourriture et du carburant et qui, de ce fait, alimente l’inflation. Nous conjuguons nos efforts pour empêcher la Russie d’utiliser cela comme une arme de portée mondiale.

Le président : Merci.

Le sénateur Kutcher : Monsieur Merezhko, avez-vous des suggestions à nous faire sur la façon dont notre gouvernement pourrait sensibiliser les Canadiens et leur communiquer ces idées de sorte qu’ils en viennent à exprimer plus fermement leur désir de voir la guerre se terminer bientôt et ne pas se poursuivre pendant encore 100 jours?

M. Merezhko : Tout d’abord, je constate déjà que les Canadiens comprennent parfaitement ce qui se passe en Ukraine. Ils comprennent ce qui se passe. Nous leur en sommes reconnaissants. Mais, bien entendu, nous avons besoin d’un soutien accru.

Vous comprendrez que nous nous battons contre un ennemi très puissant. Parfois, nous ne faisons pas le poids au chapitre de l’armement. J’exhorte tous les Canadiens à soutenir l’Ukraine, car ce faisant, ils soutiennent l’ordre mondial. Ils soutiennent le droit international. Ils soutiennent un monde composé d’États démocratiques. Nous ne devrions pas permettre à Poutine de gagner cette guerre parce que le prix sera trop élevé.

Des actes de génocide ont été commis. Que pourrait-il arriver? Les Ukrainiens pourraient disparaître comme nation si Poutine gagnait. C’est pourquoi le Canada peut se montrer très utile pour faire cesser l’agression russe.

Le président : Merci, monsieur Merezhko.

Le sénateur Ravalia : Comme le sénateur Greene l’a dit, nous sommes de tout cœur avec vous et avec tous les Ukrainiens.

Ma question s’adresse à M. Merezhko. En mars 2022, l’organisation Médecins sans Frontières a insisté sur l’importance d’assurer aux Ukrainiens l’accès aux soins de santé et aux médicaments pendant le conflit. En plus de parler de l’équipement et des médicaments destinés aux chirurgies, au traitement des blessures traumatiques, ainsi qu’aux salles d’urgence et aux unités de soins intensifs, MSF a également évoqué la nécessité de garantir un approvisionnement suffisant en équipement et en médicaments pour les personnes vivant avec des maladies chroniques comme le diabète, l’asthme et l’hypertension. Je me demande si vous pouvez nous parler de la stabilité de l’approvisionnement actuel en équipement et en médicaments pour les personnes atteintes de maladies chroniques. Que pouvons-nous faire, en tant que Canadiens, pour nous assurer que vous continuez de recevoir l’équipement et les médicaments en quantité suffisante, compte tenu des hostilités en cours?

M. Merezhko : Merci. Bien sûr, nous avons besoin d’une aide humanitaire de votre part. Nous avons un problème. Notre ministère de la Santé fait tout ce qu’il peut pour fournir les médicaments nécessaires, en particulier aux personnes atteintes de maladies chroniques. Il fait tout ce qu’il peut. Malheureusement, nous manquons parfois des médicaments nécessaires pour des raisons économiques.

Je parle de la partie de l’Ukraine qui n’est pas occupée. En ce qui concerne les territoires occupés, la situation est catastrophique. Les gens n’ont pas de médicaments. Ils n’ont pas l’équipement médical nécessaire. La situation est tout simplement horrible. Nous n’avons aucun accès direct et, d’après ce que nous savons, c’est une nouvelle forme de génocide contre les Ukrainiens dans les territoires occupés.

Idéalement, le Canada communiquerait avec notre ministère de la Santé pour organiser une aide humanitaire destinée à aider les personnes en Ukraine qui sont atteintes de maladies difficiles à traiter. Nous vous serions également reconnaissants de votre aide à cet égard. Merci.

Le sénateur Ravalia : Monsieur Merezhko, quelles mesures sont prises ou pourraient être prises pour contribuer à la lutte contre le recours, comme arme de guerre, à la violence faite aux femmes et aux enfants? Évidemment, nous savons que cette violence peut avoir des conséquences psychologiques terribles. Les Canadiens peuvent-ils faire quelque chose pour réagir à cette crise?

M. Merezhko : En fait, nous avons besoin de diverses formes d’aide. Comme on l’a déjà dit, la Russie a détruit près de la moitié de notre économie et continue de le faire. Elle veut mettre l’Ukraine en déroute. C’est pourquoi nous avons aussi besoin d’une aide économique, et probablement d’une aide psychologique, parce que nous devrons gérer les répercussions des hostilités quand elles auront pris fin. Ce pourrait être un autre problème à résoudre.

Encore une fois, votre aide et votre expérience peuvent nous être très précieuses. Merci.

Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup, monsieur Merezhko.

La sénatrice Coyle : Merci à tous nos témoins.

Monsieur Merezhko, nous prendrons très à cœur votre appel à ne pas nous habituer à cette guerre du mal et de la tyrannie que mène la Russie en Ukraine — votre pays. Nous sommes très désolés de la souffrance et des pertes du peuple ukrainien.

Madame l’ambassadrice Kovaliv, monsieur Merezhko, vous avez tous les deux parlé de solutions militaires et de besoins humanitaires. Nous savons que les discussions bilatérales entre la Russie et l’Ukraine sont essentiellement au point mort depuis que l’assaut de la Russie s’est transporté dans l’est de l’Ukraine. Pourriez-vous nous parler des voies diplomatiques possibles pour désamorcer la crise en Ukraine? Voyez-vous des possibilités de désescalade par la diplomatie?

De plus, faites-nous savoir quel rôle vous pourriez voir le Canada ou tout autre pays ou organisation internationale jouer pour appuyer les voies diplomatiques de négociation.

M. Merezhko : Je vais essayer de répondre à cette question. Vous voyez, j’ai une certaine expérience en matière de négociations avec la Russie. J’ai été chef adjoint de la délégation ukrainienne au sein du Groupe de contact tripartite. Il s’agit du processus dit de Minsk. Je connais donc bien la façon dont la Russie négocie.

La vérité, c’est qu’elle ne négocie pas. Elle utilise les négociations à des fins de propagande. La vérité est aussi qu’elle négocie selon une position de force. On ne peut pas lui faire confiance, parce qu’elle a violé tous les traités internationaux entre la Russie et l’Ukraine. Elle a violé la Charte des Nations unies et les principes fondamentaux du droit international. Il ne s’agit malheureusement pas d’un partenaire fiable.

En revanche, l’Ukraine est déterminée à trouver une solution politique et diplomatique. Le problème, c’est que la Russie n’est pas prête à négocier sérieusement et ne veut pas le faire. Surtout maintenant. Premièrement, selon moi, si la Russie était prête à négocier, Poutine participerait directement aux négociations, car c’est lui qui [Difficultés techniques] prend toutes les décisions en Russie. Deuxièmement, il y aurait un cessez-le-feu. À moins d’un cessez-le-feu, le fait est que la solution aux [Difficultés techniques].

Le président : Monsieur Merezhko, nous éprouvons quelques problèmes techniques...

M. Merezhko : Et maintenant? Est-ce que vous m’entendez bien?

Le président : C’est mieux maintenant. Veuillez poursuivre.

M. Merezhko : Merci. Mon dernier point est que le résultat des négociations dépend de la situation sur le terrain, sur le champ de bataille.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci à tous nos témoins distingués d’être parmi nous aujourd’hui. Ma question s’adresse à Son Excellence Mme Kovaliv, mais M. Merezhko peut également y répondre. Elle est liée au blocus russe des ports dont Mme l’ambassadrice vient de nous parler. Ce blocus signifie que l’Ukraine a 22 millions de tonnes de céréales non vendues. En plus de priver l’Ukraine de revenus importants, cette situation menace la sécurité alimentaire mondiale, selon le Programme alimentaire mondial. En effet, l’Ukraine compte parmi les plus grands exportateurs de blé et de maïs au monde. De nombreux pays africains en dépendent. C’est notamment le cas du Bénin, qui dépend à 100 % des importations ukrainiennes, et de la Somalie, qui dépend de ces importations à plus de 70 %. L’Allemagne a récemment mis en place un pont ferroviaire pour aider au transport des céréales. Est-ce que cette stratégie pourrait s’appliquer aussi dans le cas du Canada? Que fait le Canada en ce sens?

[Traduction]

Mme Kovaliv : La sécurité alimentaire est vraiment l’un des plus grands défis pour le monde, après la guerre en Ukraine. Je dirais que c’est un autre outil que Poutine utilise comme arme. Selon les chiffres, si les ports restent bloqués, plus de 400 millions de personnes sur notre planète souffriront, et ce sera la famine pour une partie d’entre elles. Comme vous l’avez dit, 22 millions de tonnes sont bloquées dans les ports maritimes, et ce sont les Russes qui bloquent les ports maritimes.

Nous sommes prêts pour un autre type de négociations dont l’objectif serait la levée du blocus dans les ports maritimes. L’Ukraine, en tant que pays, est prête à exporter ces céréales — celles qui restent et qui sont bloquées au port maritime, ainsi que la récolte future. Nous devons penser à la sécurité alimentaire dans les mois à venir.

Deuxièmement, en ce qui concerne la logistique à la frontière ouest, l’exportation est inférieure. Au lieu des cinq millions de tonnes de produits qui transitent normalement chaque mois par les ports maritimes, nous exportons aujourd’hui environ deux millions de tonnes, soit moins de la moitié. Bien sûr, cela exerce une pression considérable sur les chemins de fer et les routes. La Russie bombarde l’infrastructure ferroviaire précisément pour faire obstacle aux itinéraires de rechange utilisés pour livrer la nourriture au monde en passant par la frontière occidentale de l’Ukraine, puis à travers les pays européens.

Comme je l’ai indiqué, il y a beaucoup d’efforts à déployer. Le premier élément est de travailler ensemble pour mettre fin au blocus dans les ports de concert avec l’Organisation des Nations Unies. Le deuxième est le soutien de la logistique, y compris les locomotives et les wagons, de manière à exporter davantage de céréales par voie ferroviaire. Le troisième concerne la technologie pour l’entreposage de la nourriture. L’infrastructure a été bombardée et détruite, ce qui représente à nos yeux un autre problème majeur pour la prochaine saison de récolte.

Ce sont les trois principaux éléments sur lesquels nous nous concentrons. Du côté ukrainien, nous faisons de notre mieux — de concert avec la Pologne, les pays baltes et l’Union européenne en général — pour rendre ces routes possibles et accroître la capacité d’exportation de l’Ukraine. Nous croyons toutefois qu’il existe un goulot d’étranglement physique, raison pour laquelle l’effort conjoint visant à mettre fin aux blocus dans les ports est notre priorité absolue.

La sénatrice M. Deacon : Merci d’être ici aujourd’hui. Félicitations à l’ambassadrice désignée Kovaliv pour sa récente nomination. C’est merveilleux de vous avoir ici. Nous ressentons tous une grande empathie devant ce que vous vivez.

Je viens de vous écouter parler de la sécurité alimentaire et des mesures à prendre pour le transport des céréales. Je voudrais approfondir la question et comprendre un peu plus en détail la zone portuaire d’Odessa.

Je sais que, comme vous l’avez dit, le problème de l’approvisionnement en nourriture et de l’exportation des céréales est complexe et présente de multiples facettes. C’est en grande partie le blocus russe au port d’Odessa qui empêche l’exportation de la récolte.

Ma question est simple, mais la réponse ne l’est probablement pas. Je me demande si une coalition internationale pourrait garantir la présence d’escortes armées, de sorte que les céréales puissent être retirées d’Odessa et acheminées vers les clients, de même que la nourriture bloquée du côté de la mer Noire. J’ai entendu parler du chemin de fer et des bombardements. Je commencerais par cette question.

Mme Kovaliv : Nous discutons avec nos partenaires, y compris l’ONU, de la façon de mettre en place de telles missions internationales. À l’heure actuelle, cependant, les ports sont bloqués. L’autre risque, c’est que la ville d’Odessa, située à seulement quelques kilomètres du port, soit la cible d’attaques de missiles. La situation est complexe.

Les missions internationales pour la sécurité alimentaire et les garanties pour ces missions constituent un problème.

Le deuxième problème touche la logistique en Ukraine, parce que les céréales doivent être livrées au port maritime. La Russie attaque constamment les infrastructures ukrainiennes, comme les chemins de fer et les routes.

À l’heure actuelle, les efforts diplomatiques relatifs à ces corridors et le soutien militaire à l’Ukraine sont les deux principaux outils qui permettent de garantir l’approvisionnement alimentaire et la sécurité alimentaire mondiale.

La sénatrice M. Deacon : J’aimerais vous entendre davantage sur la question qui vous a été posée précédemment et qui portait sur la violence physique faite aux femmes et aux enfants.

Madame l’ambassadrice désignée Kovaliv, vous avez récemment abordé cette question à la Chambre et déclaré que la Russie doit être tenue responsable des actes de violence sexuelle commis en Ukraine.

Je suis absolument d’accord, mais je ne suis pas sûre de la façon d’y parvenir. Je ne crois pas que les gens se présenteront eux-mêmes devant la Cour pénale internationale ou le tribunal ukrainien pour être traduits en justice. C’est votre pays et ce sont vos compatriotes qui sont victimes de ces crimes terribles, donc, selon vous, de quelle façon justice pourrait-elle être rendue pour ces crimes de guerre? Et comment le Canada peut-il contribuer à la réalisation de ces objectifs?

Mme Kovaliv : Nous empruntons diverses avenues. Premièrement, nous travaillons avec la Cour pénale internationale. L’équipe a ouvert une enquête. Nous remercions le Canada de son aide, particulièrement dans l’enquête sur les crimes de violence sexuelle contre les femmes en Ukraine.

Deuxièmement, nous agissons à l’intérieur de l’Ukraine avec le soutien de différents pays qui envoient des experts pour recueillir des preuves et documenter correctement ces crimes.

Troisièmement, nous travaillons à la création d’un tribunal distinct contre le régime russe.

Le président : Je sais que M. Merezhko veut répondre. Je vais user de mon pouvoir discrétionnaire de président pour vous donner une minute pour répondre, parce que le temps est déjà écoulé. Allez-y, je vous prie.

M. Merezhko : Merci. J’ai déjà été professeur de droit international et c’est une question importante. La question cruciale est de savoir comment traduire les criminels de guerre russes en justice, et de préciser le rôle que le Canada peut jouer.

Nous pouvons nous appuyer sur le principe de la compétence universelle des pays où se trouvent ces criminels de guerre. Ces criminels peuvent être traduits en justice, que les crimes aient été commis ou non sur le territoire de ce pays. Le Canada peut aussi le faire en s’appuyant sur le principe de la compétence universelle.

La sénatrice Boniface : Merci aux témoins d’être avec nous alors qu’il se passe tant de choses dans votre pays. Je réitère les commentaires de mes collègues et je vous affirme que les Canadiens sont avec vous.

Je souhaite en savoir plus sur les effets des sanctions que le Canada a imposées à la Russie, comme l’ont fait de nombreux autres pays — y compris les sanctions contre le président Poutine, le ministre des Affaires étrangères et les hauts fonctionnaires, la banque centrale russe, la Douma d’État, ainsi que les oligarques russes.

Monsieur Merezhko, avez-vous de bonnes raisons de croire que les sanctions internationales entraînent un changement de comportement au sein du régime russe? Avez-vous une idée de la façon dont ces sanctions affectent l’économie russe et le peuple russe?

M. Merezhko : Je pense qu’il est trop tôt pour juger de l’incidence possible des sanctions, à cause de l’inertie. Malheureusement, nous n’avons pas eu assez de temps pour déterminer si les sanctions sont efficaces. Les économistes disent qu’elles seront efficaces et que les Russes et l’élite russe en ressentiront les effets dans quelques mois. Je ne suis pas économiste. Les Américains ont recouru à ce qu’ils ont appelé des « sanctions intelligentes », et ils prétendent qu’elles ont été efficaces. Cependant, elles n’ont malheureusement pas réussi à arrêter la nouvelle agression russe.

Je crois néanmoins que ces sanctions devraient avoir comme objectif d’isoler totalement la Russie sur les plans économique, politique et diplomatique. Cela aidera à arrêter la machine de guerre russe et l’économie russe. À mon avis, il s’agit de l’une des solutions les plus raisonnables.

Mme Kovaliv : Les sanctions fonctionnent, mais pour certaines d’entre elles, il faut du temps. L’important est de priver la Russie de sa logistique. Le Canada a été l’un des premiers à imposer des sanctions au secteur russe des transports, ce qui est très important.

Le deuxième élément est l’interdiction du pétrole et du gaz. Nous sommes reconnaissants au Canada d’avoir fait preuve de leadership à cet égard. Enfin, il y a deux jours, l’Union européenne a pris une décision historique parce que le pétrole et le gaz russes ne sont finalement plus un instrument intouchable d’influence politique qu’utilise la Russie à l’égard de l’Europe. Le sixième ensemble de sanctions est finalement approuvé et nous pensons qu’il s’agit d’un bon pas. Que cela soit suffisant ou non, nous pensons qu’il faudrait en faire beaucoup plus. La réduction d’environ 90 % des exportations de pétrole de la Russie vers l’Europe aura une influence considérable sur la capacité de la Russie de percevoir de l’argent pour les combustibles fossiles en plus de permettre de réduire la dépendance européenne à l’égard de l’énergie russe.

Il y a aussi la technologie. La Russie perd d’énormes moyens technologiques et l’accès aux minéraux critiques à cause des sanctions. Cela aura une incidence au cours des prochains mois et jusqu’à la fin de l’année parce que l’économie russe ne pourra pas se développer.

Nous pensons que les sanctions fonctionnent, mais qu’il devrait y en avoir davantage, y compris de nouvelles sanctions pour le secteur pétrolier et gazier russe, de nouvelles sanctions personnelles et des sanctions pour le secteur bancaire, y compris l’expansion de la liste des banques exclues du système SWIFT. Cela exercera de plus en plus de pression sur la société russe, qui découvrira ce que son régime fait.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup, monsieur Merezhko et madame Kovaliv, de passer ce temps avec nous alors que votre pays traverse une crise aussi grave.

J’ai aussi une question qui porte sur les sanctions. Le Canada s’est montré proactif en matière de sanctions, et en un rien de temps, dans quelques semaines au maximum, il adoptera une mesure législative qui lui permettra de confisquer et de réaffecter les actifs que des oligarques et des entités russes détiennent au Canada.

Comment souhaitez-vous voir ces actifs répartis pour aider les victimes de la guerre dans votre pays? Il ne s’agira pas de milliards de dollars, mais de quelques millions. Comment souhaitez-vous que ces sommes soient distribuées?

M. Merezhko : C’est une excellente question. Je participe actuellement au forum GLOBSEC qui se tient à Bratislava, et nous discutons de cette question. Nous pouvons réfléchir à la création d’un fonds spécial pour l’Ukraine fondé sur les actifs russes gelés et confisqués. Cet argent peut servir à reconstruire l’économie ukrainienne et à indemniser les victimes de l’agression russe. Nous devons toutefois penser à la création d’un fonds international, et le Canada peut jouer le rôle prépondérant dans cette entreprise. Merci.

Mme Kovaliv : Je vous remercie de votre question et je vous remercie, sénatrice, des efforts que vous avez déployés pour proposer un projet de loi sur la saisie des actifs russes. Nous comptons également sur l’appui du Sénat pour adopter cette loi, et le Canada sera parmi les premiers pays au monde à instaurer un tel mécanisme.

En ce qui concerne la saisie des actifs, nous cherchons également à créer un fonds qui appuiera deux volets. Le premier est la reconstruction, notamment celle de l’infrastructure requise pour soutenir les personnes blessées et touchées par la guerre. Elles doivent vivre. Elles doivent avoir accès à l’eau; elles ont besoin de routes, d’écoles et d’hôpitaux. Dans de très nombreuses villes qui ont été détruites, cette infrastructure devra être construite à partir de zéro ou presque.

Comme je l’ai dit, 220 000 personnes ont perdu leur maison, et nous devrons rebâtir. Les gens ont besoin d’être logés et doivent avoir accès à l’eau potable et à des soins médicaux. Nous pensons donc que ce fonds, établi avec les partenaires internationaux, fait partie des outils nécessaires pour aider les Ukrainiens qui ont le plus souffert de la guerre.

La sénatrice Omidvar : Merci, madame l’ambassadrice. Le Canada prend l’initiative d’amener d’autres partenaires aux vues semblables à adhérer à cette proposition et, espérons-le, à contribuer à un fonds mondial. Croyez-vous qu’il serait utile que le Canada définisse également la gouvernance d’un tel fonds en établissant des principes, en veillant à sa transparence et ainsi de suite?

Mme Kovaliv : Étant donné que nous allons créer ce fonds, il faut discuter de deux aspects importants en ce qui concerne la façon dont il sera structuré. Tout d’abord, nous avons besoin d’un effort conjoint avec différents pays, ainsi qu’avec ceux qui prennent l’initiative de faire adopter ce projet de loi et qui vont ainsi donner un premier exemple aux autres pays et aussi aux pays où se trouve une énorme quantité d’actifs russes. Il faut un effort conjoint entre l’Ukraine et le gouvernement ukrainien, et les pays qui y participeront. Nous croyons que de nombreux pays y participeront. La discussion commune devrait aussi porter sur la manière de structurer ce fonds.

Le président : Merci, madame l’ambassadrice. Merci, sénatrice. Nous avons terminé le premier tour. Nous en aurons un deuxième, et je vous signale que les sénateurs Woo et Richards se sont joints à nous en cours de route. Comme c’est la fin du premier tour et que je suis le président, je ne peux m’empêcher de poser moi aussi une question.

Cette guerre, en ce moment, est un phénomène vraiment typique du XXIe siècle, du point de vue de l’information et de la désinformation. L’information diffusée n’est plus purement médiatique. Il y a aussi beaucoup de désinformation, et particulièrement dans les médias sociaux.

La guerre se poursuit, et à l’étranger, les gens qui suivent ce qui se passe se désensibilisent peu à peu ou s’en font moins qu’au début. Comment faites-vous pour maintenir votre avantage et faire passer votre message, surtout par rapport à la Russie, dont les médias sont essentiellement cloisonnés et où l’utilisation des médias sociaux est restreinte? Monsieur Merezhko, vous pouvez répondre en premier, et j’aimerais aussi entendre l’ambassadrice Kovaliv à ce sujet.

M. Merezhko : La Russie affirme ouvertement qu’elle ne fait pas la guerre seulement à l’Ukraine, mais au monde civilisé dans son ensemble — à l’Occident. M. Lavrov dit que la Russie mène une guerre contre l’Occident, et que cette guerre est en partie hybride. C’est une guerre de propagande. C’est une chose extrêmement dangereuse, un outil dangereux, parce que la Russie injecte des milliards de dollars dans cette affaire, et il y a différentes sortes de propagande — la propagande douce pour les pays occidentaux et le lavage de cerveau en Russie.

Bien sûr, il est difficile de convaincre la population russe, de lui dire la vérité, mais il y a des stations de radio, il y a Internet, et chaque citoyen de Russie a une multitude de possibilités de consulter des sources d’information véridique et objective, comme la BBC ou La Voix de l’Amérique, entre autres. Le choix leur appartient, mais malheureusement ils ne le font pas, et 83 % de la population russe soutient Poutine, qui est malheureusement un criminel de guerre. J’ignore quelle est la solution. Je crois que toute propagande russe devrait être strictement interdite, et que les propagandistes russes sont des criminels de guerre. Ils devraient être traduits en justice dans tous les pays démocratiques et civilisés. Merci.

Mme Kovaliv : Je vous remercie de cette question. Tout d’abord, en ce qui concerne la guerre, malheureusement, les nouvelles que nous avons d’Ukraine aux informations — de Marioupol et de Boutcha, notamment — montrent les atrocités et les crimes de guerre commis, mais nous ne voulons pas voir cela aux actualités, car nous ne voulons pas voir les Ukrainiens se faire tuer.

Cependant, je veux souligner encore une fois la façon dont la Russie utilise l’énergie et l’alimentation comme une arme. Presque tous les pays et toutes les économies s’en trouvent affectés. Les prix de l’énergie et du carburant explosent dans presque tous les pays. Quant aux prix des aliments, c’est partout qu’ils explosent. Dans cette guerre, l’Ukraine se trouve donc à combattre à la fois sur la ligne de front, pour se défendre elle-même, pour ses terres et pour sa sécurité, mais elle le fait aussi pour la sécurité alimentaire, car elle est prête à fournir cette nourriture au monde entier. Nous voulons être un partenaire fiable qui fournit de la nourriture à l’étranger, en particulier aux pays à faible revenu exposés à un risque de famine. Donc même en cette période difficile, nous disons que nous sommes prêts à nourrir le monde.

Mais nous avons aussi besoin de ce soutien parce qu’autrement, si la Russie avance et occupe plus de territoires, il y aura moins de nourriture en provenance d’Ukraine. D’après moi, personne, dans les pays démocratiques ou le monde occidental, ne veut que la Russie ait plus d’influence sur la sécurité alimentaire de la planète ou qu’elle ait plus d’outils pour exercer son influence et peser sur la crise alimentaire mondiale. Nous pourrions nous retrouver dans la situation que l’on constate en Europe aujourd’hui. Depuis des années, les pays européens dépendent fortement de l’énergie russe, principalement du pétrole et du gaz. Compte tenu de cette situation, je pense qu’il est important de comprendre l’ampleur des répercussions de la guerre que mène la Russie en Ukraine sur toutes les économies du monde, sur tous les peuples du monde, y compris ici au Canada. La guerre que mène la Russie en Ukraine a déjà une incidence sur chaque facture et sur chaque chèque.

Le président : Merci beaucoup, madame l’ambassadrice.

Nous passons au deuxième tour. J’ai indiqué plus tôt que deux sénateurs s’étaient joints à nous. Je vois que le sénateur MacDonald s’est aussi joint à nous.

La sénatrice Coyle : J’ignore lequel de nos témoins voudra répondre à cette question.

Monsieur Merezhko, je crois vous avoir entendu parler du Bélarus et de Loukachenko. J’aimerais que vous nous en disiez un peu plus, tous les deux peut-être, sur le rôle du Bélarus, sur la complicité de ce pays, et sur ce que la communauté internationale et le Canada devraient faire dans ce cas, selon vous.

M. Merezhko : Je vais tenter de répondre à cette question.

Compte tenu de la définition du terme « agression » en droit international, on constate, comme vous l’avez mentionné à juste titre, que le Bélarus est complice des actes criminels de Poutine, de la guerre d’agression que mène la Russie contre l’Ukraine, parce que Loukachenko lui permet d’utiliser le territoire du Bélarus contre l’Ukraine. C’est pourquoi il est complice aux termes du droit international. C’est évident.

En revanche, il ne participe toujours pas directement. Les troupes biélorusses, les troupes du Bélarus, ne participent pas directement à la guerre que mène la Russie contre l’Ukraine. Elles sont sur le point de le faire. Cela peut arriver à tout moment. Malheureusement, nous devons être prêts à une telle éventualité.

Loukachenko a autorisé la Russie à utiliser le territoire du Bélarus contre l’Ukraine; c’est l’une des raisons pour lesquelles Kiev a été en péril. Heureusement, nous avons vaincu les troupes russes près de Kiev, ce qui a sauvé la ville et résolu cette situation. Nous sommes encore très prudents quant à ce qui pourrait arriver et, malheureusement, le problème demeure.

Le président : Madame l’ambassadrice, souhaitez-vous faire des observations à ce sujet?

Mme Kovaliv : Un grand nombre d’attaques de missiles et de frappes aériennes proviennent du Bélarus. En outre, la Russie utilise beaucoup le Bélarus en ce moment même sur le plan logistique. Et, bien sûr, tout cela alimente ses capacités, surtout maintenant, alors qu’il y a eu dans l’est des combats très intenses aujourd’hui même — hier et aujourd’hui. Les Russes contrôlent 70 % des grandes villes de la région de Donetsk.

Les Russes ont également frappé l’une des plus grandes usines de produits chimiques. Nous savons que la population est déjà exposée à une menace chimique à cause des explosions qui ont touché des produits chimiques.

À ce jour, le Bélarus a joué un rôle de soutien et son territoire est fortement utilisé pour les attaques de la Russie contre l’Ukraine.

Le président : Sénatrice, il vous reste une minute pour poser une question de suivi si vous le souhaitez.

La sénatrice Coyle : Oui. Comme vous l’avez tous deux dit, le Bélarus, même sans avoir participé directement et activement à la guerre, est complice à de nombreux égards. Pourriez-vous nous dire ce que la communauté internationale devrait faire, selon vous, en ce qui concerne le Bélarus en ce moment?

M. Merezhko : Je pense que le dictateur biélorusse devrait être conscient des conséquences qu’il subirait s’il décidait de participer directement à la guerre de la Russie contre l’Ukraine. Il devrait être conscient, par exemple, de l’ensemble de sanctions très robustes qui aurait pour effet d’isoler complètement le Bélarus. Je pense que cela pourrait être un moyen de dissuasion. Merci.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Greene : J’ai tant de questions à poser. Ma feuille de notes est remplie de flèches et de pointillés qui mènent à des questions. Il est très difficile de savoir exactement ce qu’il faut demander, d’autant plus que nous avons parlé de détails étonnants. Toutefois, il y a encore les questions stratégiques à long terme, auxquelles nous devrions, à mon avis, consacrer un peu plus de temps.

Est-il raisonnable de demander à l’Ukraine de mener nos batailles, même si elle a les mains liées, et d’avoir comme seule façon de vraiment gagner — car nous devons gagner, et ce, bientôt — l’option de matérialiser sur le champ de bataille ukrainien cette volonté de gagner? Je parle des armes qui sont expédiées en Ukraine maintenant et de celles qui ne peuvent pas être utilisées contre le territoire russe, même accidentellement.

M. Merezhko : Nous avons besoin d’armes lourdes pour résister à l’agression russe.

Tout d’abord, nous avons besoin d’artillerie, de chars d’assaut et d’avions à réaction. Pour ce qui est des lance-roquettes multiples, par exemple, nous avons besoin de systèmes dont la portée est de 300 kilomètres. Je ne suis pas spécialiste, mais cela pourrait nous prémunir efficacement contre l’agression de la Russie.

Je ne suis pas militaire, mais je pense que Poutine ne comprend que le langage de la force, et les armes lourdes sont la meilleure façon de garantir la sécurité de l’Ukraine en plus de constituer pour nous le meilleur soutien d’ordre humanitaire parce que ces armes lourdes sauvent non seulement la vie de nos soldats, mais aussi celle de notre population, ce qui est très important.

Il faut que ces armes lourdes nous soient fournies très bientôt, parce que les prochaines semaines peuvent être cruciales pour l’Ukraine; c’est pourquoi nous avons besoin de ces armes très rapidement. En tant que législateurs au Canada, vous avez une influence. Vous pouvez sauver la vie d’Ukrainiens. Vous pouvez le faire. Faites-le, je vous en prie. Merci.

Le sénateur Greene : Sommes-nous victimes de chantage nucléaire?

M. Merezhko : En ce qui concerne le chantage nucléaire, Poutine est un provocateur et un joueur. Je ne le crois pas. Il utilise cet argument nucléaire exactement pour faire du chantage, mais c’est du bluff.

Vous vous rappellerez peut-être le concept MAD, qui a émergé pendant la Guerre froide — la destruction mutuelle assurée. Cette méthode a fonctionné. Poutine a peur de la solidarité transatlantique. Il a peur de la solidarité du monde entier à l’égard de l’Ukraine. Il a peur de l’OTAN. Quand il voit une telle solidarité, quand il voit que les pays sont résolus et sérieux, il recule.

Le sénateur Greene : Merci.

Le président : Avez-vous autre chose à ajouter, sénateur? Il vous reste 30 secondes.

Le sénateur Greene : Je suis d’accord avec tous ceux qui ont parlé du sentiment d’urgence. Je suis très inquiet de toute cette situation. Nous pourrions finir dans un trou noir de haine au beau milieu de l’Europe, et ce, pour longtemps. Ce serait dommage, car nous avons tellement de questions plus importantes à régler, comme le climat et l’environnement, entre autres, dont nous sommes distraits. C’est pourquoi nous devons utiliser la force maximale, je crois, pour sortir de cette guerre le plus tôt possible.

La sénatrice M. Deacon : Je veux revenir sur un point abordé par le sénateur Greene. Premièrement, ma question à l’ambassadrice désignée porte sur la mission de l’OTAN, l’opération Unifier, dans le cadre de laquelle les Forces armées canadiennes ont travaillé et se sont entraînées avec quelque 30 000 de leurs homologues ukrainiens. Je voudrais vous demander d’évaluer la nature de cette mission à la lumière de l’invasion russe. À l’heure actuelle — et nous verrons quand plus de temps aura passé —, quels sont les points positifs de la mission? Avec le recul, cette mission aurait-elle pu insister davantage sur un risque particulier et ainsi aider l’Ukraine à se préparer à défendre un territoire ou à mener une offensive pour reconquérir un territoire perdu?

Mme Kovaliv : Je vous remercie de cette question. Oui, l’opération Unifier, menée pendant des années pour entraîner des soldats et des instructeurs ukrainiens, a véritablement changé les choses. Nous attachons beaucoup d’importance à ce programme, et plus de 30 000 soldats ukrainiens ont suivi ce genre d’entraînement. Vous voyez nos courageux soldats à l’œuvre au front et sur le champ de bataille. C’est aussi ce soutien à l’entraînement fourni par le Canada qui a rendu notre armée plus forte et plus intelligente, et capable d’utiliser les nouvelles connaissances acquises sur la façon de se comporter sur le champ de bataille.

Malheureusement, quelques jours avant mon arrivée au Canada en tant qu’ambassadrice, une attaque de missile a été menée sur la base militaire de Yavoriv où, trois semaines plus tôt, l’équipe canadienne de l’opération Unifier travaillait et s’entraînait. En fait, elle se trouvait à 20 kilomètres de la frontière d’un pays de l’OTAN.

Ce que je dis, c’est que la guerre est très proche à la fois du Canada et des pays membres de l’OTAN, parce que les frappes de missiles près de la frontière occidentale de l’Ukraine sont très proches de la frontière de la Pologne et de l’OTAN.

En ce qui concerne l’entraînement, nous pensons qu’il est très utile même en ce moment — surtout en ce moment —, alors que l’Ukraine commence à utiliser de nouvelles armes, celles que les pays membres de l’OTAN utilisent normalement. Il y a donc une formation précise à suivre et nous aimerions travailler ensemble à ce sujet. C’est également l’une des priorités.

La sénatrice M. Deacon : Merci. Je comprends. J’aimerais poser une autre question rapide. Le sénateur Greene a parlé d’équipement. Mon inquiétude porte sur l’équipement militaire que nous envoyons en Ukraine dans ce conflit, plus précisément les huit véhicules blindés de transport de troupes Senator que l’armée ukrainienne a reçus du Canada. Certains laissent entendre que ces véhicules répondent aux besoins de l’Ukraine en ce moment, tandis que d’autres croient le contraire. J’aimerais savoir si vous avez le matériel dont vous avez besoin pour continuer à vous battre. Nous voulons tous nous assurer que le matériel que vous recevez est celui dont vous avez besoin, et qu’il n’est pas donné par simple générosité.

Je ne vous demanderai pas de vous prononcer sur ces véhicules en particulier, mais j’espère que vous pourrez expliquer un peu le processus de collaboration avec toutes ces nations alliées sur la façon dont vous obtenez l’équipement et la façon dont ce processus pourrait être amélioré afin que vous ayez ce dont vous avez besoin en temps opportun et de toute urgence.

Mme Kovaliv : Tout d’abord, nous vous sommes reconnaissants de votre soutien, y compris des véhicules que nous avons reçus, parce que l’Ukraine a d’immenses besoins en véhicules blindés. Mais, bien sûr, nous nous concentrons sur les véhicules blindés légers, qui sont précisément ce dont nous avons besoin aujourd’hui. Toutefois, nous avons aussi besoin de ceux qui ont été expédiés en Ukraine. C’est donc l’une des grandes priorités avec l’artillerie et les véhicules aériens sans pilote.

En ce qui concerne la coordination, nous travaillons en étroite collaboration au Canada avec le ministère de la Défense nationale, notre ministre de la Défense, tous les partenaires, et le groupe de pays qui coordonnent les efforts pour appuyer l’Ukraine par l’aide militaire.

La seule chose qu’il nous faut — et vous pouvez le comprendre, parce que la guerre fait rage et que nous perdons des soldats chaque jour sur le champ de bataille —, c’est de recevoir le matériel au bon moment. Nous savons précisément ce dont nous avons besoin et nous travaillons en étroite collaboration avec le MDN pour lui dire ce dont nous avons besoin, y compris ce que j’ai mentionné, les véhicules blindés légers, l’artillerie et les véhicules aériens sans pilote. Ce qui est crucial pour nous, c’est le moment.

Le président : Merci, madame l’ambassadrice. Je vais devoir vous arrêter.

[Français]

La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse à l’ambassadrice désignée et va dans le même sens que celle de ma collègue la sénatrice Deacon.

La ministre de la Défense nationale a annoncé récemment l’envoi de 20 000 obus d’artillerie à l’Ukraine, pour une valeur de 98 millions de dollars. Cette annonce constitue un complément aux quatre obusiers livrés au mois d’avril. Ce matériel répond-il réellement aux attentes des autorités ukrainiennes et y a-t-il d’autres matériels que le Canada pourrait fournir et qui seraient plus utiles sur le terrain? Merci.

[Traduction]

Mme Kovaliv : Merci. Oui, les obusiers fournis, auxquels se sont ajoutés les 20 000 obus d’artillerie, sont d’une importance cruciale. Nous avons travaillé ensemble à cette question et nous en sommes reconnaissants. Cela nous aide. Cela sauve des vies. Étant donné que sur le champ de bataille, le sol est maintenant plutôt plat, nous pouvons y installer l’artillerie et ainsi empêcher les forces russes de progresser dans le pays et d’occuper le territoire ukrainien. Parce que ce qu’ils font dans les territoires occupés est un désastre, comme je vous l’ai dit, avec entre autres les camps de filtration, et nous perdons des centaines et des milliers de vies humaines.

En ce qui concerne l’aide supplémentaire, comme je l’ai mentionné à plusieurs reprises ici, les véhicules blindés — y compris les véhicules blindés légers —, les véhicules aériens sans pilote et l’artillerie sont nos principales priorités pour ce qui est de la contribution du Canada.

[Français]

Le président : Vous avez encore une minute de plus.

La sénatrice Gerba : Ça va aller, monsieur le président. Merci.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Je tiens à présenter mes excuses à tout le monde pour mon retard. J’ai éprouvé des problèmes techniques, mais les TI m’ont joint et je pense que tout est réglé.

Je suis heureux d’être ici et d’entendre nos témoins d’aujourd’hui. Comme certains d’entre vous le savent, j’étais observateur des élections il y a trois ans. Je me suis rendu en Ukraine et à Kiev à deux reprises pendant une période de trois semaines. C’est tout simplement déchirant de voir ce qui se passe en Ukraine.

Compte tenu de mon retard, j’ai peut-être raté une ou deux questions, mais je veux parler d’un éventuel cessez-le-feu, parce que je pense que nous avons beaucoup entendu parler de cessez-le-feu. Nous savons que l’Ukraine veut chasser les envahisseurs du pays, et elle se défend remarquablement bien contre eux. Nous comprenons l’aspect moral de cet objectif. Avez-vous l’espoir d’un cessez-le-feu potentiel, outre l’option de poursuivre la guerre jusqu’à ce que vos objectifs définitifs soient atteints? Croyez-vous qu’il est possible qu’un cessez-le-feu soit conclu avant la libération totale du pays, et que les questions en suspens comme l’avenir du Donbass fassent l’objet de discussions diplomatiques?

Le président : Écoutons d’abord M. Merezhko.

Sénateur, je tiens à vous assurer que cette question n’a pas été posée précisément de cette façon.

M. Merezhko : Merci, monsieur le président.

C’est une question très importante. Nous y réfléchissons beaucoup, parce que nous souhaitons de toute évidence un cessez-le-feu qui mettrait fin aux effusions de sang et sauverait des vies, en particulier des vies civiles.

En même temps, la Russie a une compréhension différente du cessez-le-feu. Tout d’abord, elle veut s’emparer de la plus grande partie possible du territoire ukrainien pour ensuite seulement accepter un cessez-le-feu. Je doute fort qu’il s’agisse de la bonne définition d’un cessez-le-feu. Notre objectif final, notre objectif ultime est de libérer tout notre territoire à l’intérieur de la frontière internationalement reconnue de l’Ukraine, y compris le Donbass et la Crimée.

Au bout du compte, le cessez-le-feu et la fin de la guerre ne peuvent se fonder que sur le droit international et le droit constitutionnel de l’Ukraine, y compris les principes d’intégrité territoriale et de souveraineté.

Le sénateur MacDonald : Je suppose que cela revient à l’objectif de devenir membre de l’OTAN. Bien sûr, les Russes ont toujours été contre l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, mais nous voyons maintenant concrètement la raison pour laquelle il est si important que l’Ukraine soit membre de l’OTAN. L’agression a poussé la Suède et la Finlande à demander l’adhésion à l’OTAN.

Quelle incidence cela peut-il avoir sur la possibilité que l’Ukraine devienne membre de l’OTAN? S’en trouve-t-elle réduite? S’en trouve-t-elle augmentée? L’Ukraine devra-t-elle renoncer à son adhésion à l’OTAN pour en arriver à un quelconque accord de paix? Quelle direction les choses vont-elles prendre à votre avis?

M. Merezhko : Je suis absolument sûr que l’OTAN est la meilleure garantie de sécurité de l’Ukraine. Poutine ne se risque pas à attaquer le petit pays qu’est l’Estonie, par exemple, car il est membre de l’OTAN et est bien protégé. L’Allemagne et la France ont malheureusement commis une grave erreur lors du sommet de Bucarest, en 2008, lorsqu’elles se sont prononcées contre l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. À mon avis, il s’agissait d’une grave erreur.

Le sénateur MacDonald : Oui.

M. Merezhko : Je crois que notre avenir dépend de notre adhésion à l’OTAN, parce que, premièrement, c’est la meilleure façon de garantir notre sécurité et, deuxièmement, parce que cet objectif de devenir un État membre de l’OTAN est déjà inscrit dans notre constitution, et je voudrais compter sur l’appui du Canada.

Le sénateur MacDonald : Je pense que vous avez raison aussi. Je pense que l’adhésion à l’OTAN est la voie à suivre.

Le sénateur Richards : J’étais moi aussi en retard. J’ai eu une autre réunion de comité, et ma question a peut-être été posée plus tôt, parce que j’ai manqué la première partie.

C’est une question simple, mais importante : comment l’Ukraine peut-elle gagner sans puissance aérienne? Elle n’a certainement pas de puissance aérienne en ce moment. Une victoire globale est-elle possible sans puissance aérienne?

M. Merezhko pourrait peut-être répondre à cette question ou nous en parler un peu.

M. Merezhko : Je suis absolument certain que tôt ou tard, l’Ukraine gagnera cette guerre, et ce, pour deux raisons. La première est que nous luttons pour nos foyers et nos familles. Nous ne pouvons pas perdre cette guerre, parce que nous serons anéantis.

La deuxième raison est que nous jouissons du soutien, de la solidarité et de la force du monde démocratique et civilisé dans son ensemble. Ce n’est qu’une question de temps et, malheureusement, de vies humaines perdues.

Bien sûr, nous avons besoin d’armes lourdes, d’avions à réaction et d’avions militaires, parce que cela nous rapprochera de notre objectif final. Cela nous aidera à nous libérer, à nous défendre, à survivre et à libérer nos territoires de l’occupation russe.

Le sénateur Richards : J’aimerais poser une autre question rapide. Les armes envoyées par l’Occident arrivent-elles là où elles sont attendues dans un délai raisonnable, de manière à servir efficacement contre les forces russes?

M. Merezhko : Je vais tenter de répondre à cette question. Bien sûr, il faut que la livraison se fasse plus rapidement, car c’est crucial. Ce sont nos militaires qui paient de leur vie le prix des retards.

En même temps, par exemple, les États-Unis — notre ami, allié et partenaire le plus proche — essaient de faire les livraisons très rapidement, en un jour, parce qu’ils comprennent les conséquences.

Malheureusement, certains pays européens disent qu’ils vont livrer des armes en juillet, par exemple, et ils comprennent parfaitement que de tels retards nous coûteront beaucoup, notamment en vies humaines. Néanmoins, ils ne sont pas pressés de nous fournir des armes, et je le déplore vraiment.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup, monsieur, et bonne chance.

Le président : Madame l’ambassadrice, souhaitez-vous faire des observations à ce sujet?

Mme Kovaliv : Oui. Je dirai rapidement que nous recevons de plus en plus d’armes, y compris les armes standard de l’OTAN, et celles dont on a désespérément besoin depuis les premiers jours de la guerre.

Comme l’a dit M. Merezhko, le moment est très crucial. Chaque jour de retard, de débat et de décisions non prises a un coût, avant tout, en vies humaines. Il y a ensuite le coût en territoires ukrainiens, parce que la Russie risque d’avancer davantage. Le sénateur MacDonald a parlé tout à l’heure d’un accord de paix et d’un cessez-le-feu; plus la Russie réussira à s’emparer de territoires ukrainiens, plus le dialogue diplomatique sera difficile.

Je prends un instant pour répéter que nous avons besoin de ce soutien militaire tout simplement pour protéger notre territoire, pour protéger les Ukrainiens et pour résoudre avec les pays la question de la sécurité alimentaire. Offrir ce soutien militaire à l’Ukraine équivaut à une mission humanitaire.

Le sénateur Richards : Je comprends, madame. Merci beaucoup.

La sénatrice Omidvar : Ma question est courte, mais vos deux réponses pourraient être longues. Permettez-moi de vous poser une question sur l’Allemagne, qui est essentielle à bien des égards à toute cette question.

Que pensez-vous des efforts que l’Allemagne a déployés d’elle-même et en partenariat avec d’autres, et quel message aimeriez-vous que le Canada transmette à ses collègues allemands dans le contexte de la guerre en Ukraine?

M. Merezhko : Je dirais qu’il y a deux types de pays en ce qui concerne l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Il y a des pays qui essaient de tout cœur de nous aider, et ils font plus que ce qu’ils peuvent se permettre. Par exemple, l’Estonie, un petit pays de 1,3 million d’habitants seulement, en fait beaucoup et nous demande sans cesse comment il peut être utile. Il nous demande sans cesse ce qu’il peut faire pour nous.

En même temps, de grands pays qui prétendent être des dirigeants de l’Europe et qui peuvent faire beaucoup plus pour aider l’Ukraine à survivre et à défendre ses civils n’en font malheureusement pas assez.

J’aimerais dire à ces pays de suivre l’exemple de pays comme l’Estonie, la Pologne, les autres États baltes, les États-Unis et le Royaume-Uni.

Mme Kovaliv : Nous avons besoin de deux choses de la part des grandes économies européennes et des grandes démocraties européennes : elles doivent montrer qu’elles défendent vraiment la démocratie — c’est notre position, en tant que pays, dans cette guerre — et donc soutenir l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. C’est important pour des raisons d’ordre politique, économique et sécuritaire. C’est un élément très important pour l’Ukraine. Nous pensons que nous avons déjà payé un prix élevé pour notre intégration à l’Europe et pour les valeurs européennes, et nous continuons d’en payer le prix tous les jours.

La deuxième chose est l’approvisionnement militaire. Une fois de plus, je dirai que le moment pose un immense problème, en raison des énormes répercussions sur tant de pays. Il est impossible d’échapper à cette guerre. Aucun pays ne sera épargné des conséquences de la guerre que mène la Russie contre l’Ukraine. Par conséquent, ne pas prendre de décisions ou tarder à en prendre compliquera la situation et compliquera l’économie mondiale, la sécurité alimentaire mondiale et la sécurité énergétique.

Bien entendu, le sixième ensemble de sanctions imposées par l’Allemagne et l’Union européenne représente un bon pas en avant. Nous croyons toutefois que les grandes économies européennes doivent en faire beaucoup plus afin de soutenir l’Ukraine en ce moment.

Le président : Merci beaucoup, madame l’ambassadrice. Nous voici à la fin de la séance. Au nom du comité, je tiens à remercier M. Merezhko et l’ambassadrice désignée Kovaliv pour leur témoignage aujourd’hui.

Madame l’ambassadrice, je sais que vous présentez vos lettres de créance le 7 juin, ce qui fera de vous l’ambassadrice officielle, et c’est une bonne chose. Je veux que vous soyez assurée que le comité et nous tous, en fait, vous accompagnons en pensées dans cette période très difficile pour l’Ukraine.

Merci beaucoup et restez en sécurité

M. Merezhko : Merci beaucoup. J’espère vous voir à Kiev.

Mme Kovaliv : Merci. Nous l’espérons.

Le président : Mesdames et messieurs, nous allons maintenant poursuivre la séance à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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