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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 3 novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 12 h 39 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, pour en faire rapport, le service extérieur canadien et d’autres éléments de l’appareil de politique étrangère au sein d’Affaires mondiales Canada.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour à tous. Je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité des affaires étrangères et du commerce international.

Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Busson : Bonjour. Je suis Bev Busson, de la Colombie-Britannique.

[Français]

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Bienvenue, monsieur le ministre. Je suis Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, du centre du monde : Antigonish, en Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Merci beaucoup. Bienvenue à toutes et à tous, ainsi qu’à tous ceux et celles qui nous regardent d’un océan à l’autre.

Aujourd’hui, nous continuons notre étude portant sur le service extérieur canadien. Le but de cette étude est d’évaluer si notre service extérieur et l’appareil de politique étrangère sont bien adaptés et prêts à répondre aux défis mondiaux actuels et futurs.

Pour en discuter, nous avons l’honneur de recevoir le ministre du Développement international, l’honorable Harjit Sajjan.

Bienvenue au comité, monsieur le ministre. Vous êtes accompagné des hauts fonctionnaires suivants d’Affaires mondiales Canada : M. Christopher MacLennan, sous-ministre, Développement international; M. Alexandre Lévêque, sous-ministre adjoint, Politique stratégique; et Mme Vera Alexander, sous-ministre adjointe par intérim, Ressources humaines.

Nous recevons également d’autres gens du ministère : Mme Anick Ouellette, M. Stephane Cousineau et Mme Patricia Peña. Il se peut que le ministre ou d’autres vous demandent de prendre la parole. En l’occurrence, je vous prie de vous nommer avant de répondre à la question.

Bienvenue à toutes et à tous. Avant d’entendre la déclaration du ministre et de passer à la période de questions, j’aimerais demander aux membres et aux témoins présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près de leur microphone ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Comme tous le savent, nos interprètes souffrent de problèmes de santé causés par des problèmes techniques. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait blesser le personnel du comité et d’autres personnes dans la salle qui portent une oreillette pour l’interprétation.

Monsieur le ministre, nous sommes prêts à entendre votre déclaration préliminaire. Elle sera suivie d’une période de questions des sénateurs. La parole est à vous.

L'honorable Harjit S. Sajjan, c.p., député, ministre du Développement international, Développement international : Je vous remercie, monsieur le président, honorables sénateurs. Je suis ravi d’être des vôtres. C’est la première fois que je me trouve dans cet édifice. Du travail remarquable a été accompli ici.

D’abord, je vous demande pardon pour mon retard; il arrive que les réunions du Cabinet finissent plus tard que prévu. Ensuite, je tiens à vous remercier pour votre travail dans ce dossier. Je trouve votre étude capitale compte tenu de la situation mondiale.

À ce propos, le programme mondial de développement fait face à des défis en cascade sans précédent. Les crises multiples et interreliées à l’échelle planétaire, y compris la pandémie de COVID-19, la crise climatique, la crise alimentaire et la guerre en Ukraine, nous ont fait prendre du retard à l’égard des objectifs de développement durable. Toute la planète devra déployer des efforts considérables pour que nous puissions atteindre les objectifs du Programme 2030.

La pandémie a effacé plus de quatre ans de progrès au chapitre de l’éradication de la pauvreté. En 2020, elle a poussé 93 millions de personnes de plus dans l’extrême pauvreté.

Déjà, des milliards de personnes subissent les effets du nombre accru de canicules, de sécheresses, de feux de forêt et d’inondations, qui risquent aussi de causer des dommages irréversibles aux écosystèmes de la planète.

En outre, nous faisons face à une crise mondiale de la sécurité alimentaire. À l’échelle planétaire, les prix des aliments n’ont jamais été aussi élevés, et le nombre de personnes touchées par la faim et la malnutrition augmente rapidement. D’après les premières données, jusqu’à 747 millions de personnes pourraient souffrir de la faim cette année seulement.

N’oublions pas que la guerre d’agression de Vladimir Poutine a exacerbé la crise. Les coûts des aliments, du carburant et, surtout, de l’engrais ont atteint des niveaux records. Selon le Groupe mondial d’intervention en cas de crise des Nations unies, il s’agit de la pire crise du coût de la vie du 21e siècle.

Les prix élevés des aliments ont des conséquences disproportionnées sur les plus vulnérables, qui dépensent la majorité de leurs revenus sur les aliments et les nécessités de la vie. Les effets de la guerre se font ressentir partout dans le monde, mais nulle part autant qu’en Afrique, où le nombre de personnes souffrant de la faim et de la malnutrition augmente plus rapidement que partout ailleurs.

Aujourd’hui, nous devons être en mesure de nous attaquer aux causes profondes de l’instabilité et des conflits à l’échelle mondiale avant que la situation n’empire dans les États fragiles. C’est un enjeu que je serais ravi d’approfondir et d’aborder durant la période de questions.

Pour ce faire, il faut investir dans la prévention, et la première étape de la prévention, c’est de répondre aux besoins essentiels de la population. Au-delà de cela, nous devons ouvrir de nouvelles perspectives économiques pour les pays à faible revenu et tirer parti de nos partenariats avec les économies émergentes afin de renforcer le lien qui unit commerce et développement. La ministre Ng et moi collaborons à ce dossier depuis plusieurs années. Je travaillais même là-dessus dans le cadre de mes fonctions précédentes.

Pour relever les défis sans précédent auxquels nous faisons face à l’échelle planétaire, nous devons unir nos efforts et faire en sorte d’avoir à notre disposition les meilleurs outils et la plus grande expertise.

Comme vous le savez, il y a près de 10 ans, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international — le MAECI — et l’Agence canadienne de développement international — l’ACDI — se sont fusionnés pour former l’organisation actuelle.

Grâce à cette fusion, les spécialistes du développement peuvent collaborer plus étroitement avec leurs collègues des affaires étrangères et du commerce. La fusion permet également de tirer parti de l’expertise en matière de développement international pour réagir de manière cohérente aux défis mondiaux. Toutefois, il faut aussi évaluer si la structure actuelle est bien adaptée pour répondre à l’incertitude et aux problèmes d’aujourd’hui et de demain.

Nous devons accroître notre présence à l’étranger, notamment en augmentant le nombre de fonctionnaires déployés dans des régions ciblées pour travailler avec les partenaires locaux et la société civile en vue d’atteindre les objectifs de développement.

Par ailleurs, nous devons mieux renseigner la population canadienne sur les enjeux, car la population s’intéresse à la situation mondiale et aux mesures que nous prenons pour la redresser et pour faire partie de la solution. Elle veut aussi comprendre pourquoi nous investissons dans l’aide internationale afin de faire du monde un endroit plus sûr pour tous les Canadiens et les Canadiennes.

Au moyen du recrutement, de la formation et des investissements, nous devons cultiver la spécialisation en matière de développement et reconnaître l’utilité d’avoir recours à cette expertise dans tous les volets et pour tous les enjeux.

Nous devons également transformer la manière dont nous gérons les subventions et les contributions. En fait, ce travail est déjà commencé. Pour atteindre cet objectif ambitieux, nous avons mis sur pied un programme de travail quinquennal et une équipe consacrée à ce projet au sein du ministère. Cette équipe étudiera tous les aspects de notre travail se rapportant à l’aide internationale, y compris nos processus, notre technologie, notre personnel et, surtout, notre culture. Nous faisons activement appel à tous les partenaires d’Affaires mondiales Canada — AMC — pour réaliser ce projet.

Je salue le travail de votre comité. Je serai ravi de collaborer avec vous pour trouver des façons de moderniser notre système et de renforcer l’efficacité des mesures que nous prenons pour venir en aide aux populations les plus vulnérables partout dans le monde.

Je vous remercie. Je répondrai à vos questions avec plaisir.

Le président : Merci, monsieur le ministre.

Je demanderais aux sénateurs, aux témoins et au ministre d’être concis, d’éviter les longs préambules et d’aller droit au but. Cela laissera plus de temps pour la réponse à la question, et il pourra peut-être y avoir un deuxième tour, si nous en avons le temps.

Le sénateur Richards : Merci d’être là, monsieur le ministre. Nous avons des soldats en Pologne et nous fournissons de l’aide militaire et humanitaire à l’Ukraine. Avons-nous une stratégie à long terme concernant notre aide à Kiev, ou préférons-nous attendre de voir comment la situation évoluera? Est-ce toujours en collaboration avec les autres pays de l’OTAN? Quelles sont les ressources humanitaires que nous avons offertes?

M. Sajjan : Sénateur, c’est une très bonne question. Nous y avions déjà réfléchi, même avant tout cela, parce que nous sommes un partenaire très fort de l’opération Unifier, la mission de formation en Ukraine. Nous avions également déjà des missions d’instructions en Pologne avant de déployer notre groupement tactique en Lettonie. Cela nous a permis d’établir des relations qui nous ont aidées à nous adapter très rapidement lorsque Poutine a accéléré son invasion. Sur le plan du développement comme sur le plan de la défense, nous étions très forts dans le renforcement des capacités de formation, comme en développement. Ainsi, à l’époque où j’étais ministre de la Défense et où la ministre Bibeau occupait ce rôle, je coordonnais notre travail très étroitement avec le volet développement. En fait, elle s’était rendue en visite dans l’Est et avait porté son attention sur les projets de développement.

C’est là que la synergie est apparue, lorsque nous avons vu que l’invasion semblait imminente. Nous avons su adapter très rapidement un grand nombre de nos programmes de développement pour renforcer le volet humanitaire. Par exemple, nous avons pu déplacer certains programmes vers l’ouest et nous adapter rapidement, notamment pour offrir de l’aide humanitaire, pour nous y préparer.

En ce qui concerne la réaction à la situation en Ukraine, le Canada a été très agile parce que nous étions déjà très présents là-bas. Nous pouvons affirmer avec fierté que nous avons eu une incidence dès le début. L’un des principaux objectifs pour moi, maintenant — et c’est très efficace —, c’est de m’assurer que nous prévoyions bien les besoins et que nous disposions des ressources nécessaires pour réagir en temps opportun. Et nous y parvenons. Ma dernière visite à Lviv nous a permis de le faire. Nous avons revu notre programme d’hivérisation en raison des frappes sur les centrales électriques.

Nous continuerons de nous rajuster. La manière dont nous travaillons varie d’un trimestre à l’autre. Je serai heureux de vous l’expliquer plus en détail également.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup.

Le sénateur Ravalia : Merci encore une fois, monsieur le ministre.

Sur une planète de plus en plus polarisée, quelles devraient être les priorités du Canada pour l’avenir? Devons-nous renforcer notre présence dans certaines régions du monde où notre empreinte a peut-être toujours été un peu anémique? Compte tenu du climat économique et politique actuel, sommes-nous en mesure d’avoir une incidence positive sur des choses comme la sécurité alimentaire en Afrique, les migrations climatiques et la santé mondiale?

M. Sajjan : C’est une très bonne question. Compte tenu des défis importants que nous avons connus ces deux dernières années, il y a bien des régions où la probabilité que quelque chose ne se produise était très faible et où la probabilité de crise a beaucoup augmenté. Nous devons nous y préparer. C’est devenu la nouvelle norme.

Heureusement pour nous, notre présence internationale nous a permis de nous adapter très rapidement. Je pourrais vous parler longuement de tout ce que nous avons fait jusqu’ici à la Défense nationale. La ministre Anand pourrait parler de la voie à suivre, elle fait d’ailleurs un travail remarquable à cet égard. Le volet défense et développement est extrêmement important dans notre collaboration.

Même quand j’étais à la Défense nationale, je recevais des félicitations pour tout le travail de développement et de soutien humanitaire que faisait le Canada. C’est pourquoi c’est si important. Nous avons été en mesure d’adapter rapidement nos programmes, et comme nous sommes un ministère intégré — je dirais que c’est grâce aux personnalités et à la grande expérience de l’équipe — nous avons été en mesure d’agir, notamment pour réagir à la crise de la sécurité alimentaire, et d’injecter des fonds supplémentaires au cours de la dernière année seulement au Sahel et dans la Corne de l’Afrique, en Afghanistan, en Syrie, au Moyen-Orient et, plus récemment, au Pakistan.

Il faut comprendre toute la complexité de la situation. Tout comme dans notre propre pays, nous assistons actuellement à des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement de l’aide humanitaire. Nous devons analyser en quoi les systèmes habituels ne permettront pas de répondre aux besoins lorsque d’autres crises surviendront. L’une des questions clés pour nous est la suivante : comment pouvons-nous renforcer nos capacités? Nous avons fait un travail extraordinaire dans le passé qui nous procure déjà des avantages considérables.

L’une des principales choses que nous évaluons actuellement avec les divers pays — et cela ne peut pas fonctionner partout —, c’est comment nous pouvons nous assurer d’être en mesure de fournir l’aide humanitaire nécessaire, où que ce soit. Nous ne nous demandons pas quel genre de consultations il faut mener. Nous le savons déjà et nous le ferons. Il faut renforcer nos capacités relativement à la production alimentaire. Quand je dis « production alimentaire », je parle de nutrition, et il ne s’agit pas seulement d’augmenter la production alimentaire. Il s’agit de mettre en place des systèmes pour que le gouvernement bénéficie de l’assistance technique nécessaire pour l’entreposage frigorifique, par exemple. À l’heure actuelle, en Afrique, 30 % de la nourriture se perd à cause de problèmes d’entreposage ou de transport.

En ce moment, nous travaillons avec des partenaires clés pour nous associer à des pays qui ont une bonne gouvernance et dont le gouvernement veut augmenter ses propres capacités. Peuvent-ils s’associer non seulement au Canada, mais aussi à d’autres pays aux vues similaires pour accroître la capacité à l’intérieur du pays, beaucoup comme nous le faisons avec les systèmes de santé après la COVID?

Le sénateur Ravalia : Merci.

Le sénateur Manning : Je remercie le ministre et les fonctionnaires d’être ici aujourd’hui.

Monsieur le ministre, selon votre lettre de mandat, vous devez vous appliquer à faire augmenter l’investissement annuel dans le Fonds canadien d’initiatives locales, le FCIL, afin de permettre au personnel des ambassades canadiennes dans le monde de soutenir le travail des féministes, des activistes LGBTQ2 et des défenseurs des droits de la personne. Pouvez-vous nous dire combien d’argent au total est alloué à ces initiatives dans le monde et quelle part de ces fonds est versée à des initiatives menées dans des pays où les droits des femmes et des personnes LGBTQ2 ne sont pas respectés?

M. Sajjan : Je suis content que vous le mentionniez. Je vais devoir demander à mon équipe de vous donner les chiffres exacts, mais je tiens à vous dire que ce travail a une incidence. L’Ukraine en est un bon exemple. L’un des lauréats du prix Nobel de la paix avait reçu des fonds du Canada par l’intermédiaire d’une organisation, dont j’oublie le nom, qui était au départ une organisation communautaire et qui a remporté le prix Nobel de la paix pour le travail qu’elle a accompli. De même, j’ai rencontré des gens d’organisations en Afrique, dans des endroits comme le Ghana, d’organisations qui défendent les droits des personnes LGBTQ2, et je les ai aidées à défendre leurs intérêts et à effectuer leur travail. Une partie de ce travail se fait en coulisses, selon la façon dont chacun veut travailler.

Je serai heureux de vous donner des chiffres, mais le plus important, c’est de parler de l’incidence de ces investissements. On aura beau citer des montants, mais tout n’a pas toujours les résultats escomptés. J’essaie toujours de voir ce qui se passe sur le terrain. Mon objectif, en matière de droits de la personne, de droits des personnes LGBTQ2 et, en particulier, de droits des femmes dans le monde, c’est d’envoyer un message fort là où c’est nécessaire. Quand nous observons des progrès, nous voulons favoriser encore plus de progrès. Quand nous devons parfois utiliser le bâton, nous interviendrons encore plus fort. Ce sont là les différents mécanismes possibles.

Il faut cependant souligner que ce n’est pas seulement parce que nous le voulons. C’est parce que ces organisations nous le demandent. Certaines organisations font du très bon travail, mais veulent travailler dans l’ombre. Alors comment obtenir les meilleurs résultats sur le terrain? Parfois, un petit investissement de 5 000 ou de 20 000 $ peut avoir un très grand impact. Je vous laisse le soin de répondre à cette question. Je serai heureux de vous fournir les montants demandés, mais nous voulons surtout vous parler davantage des résultats sur le terrain.

Christopher MacLennan, sous-ministre, Développement international, Affaires mondiales Canada : Nous vous ferons parvenir les montants exacts concernant le FCIL, mais c’est de l’ordre de 25 millions de dollars par an. Il est conçu, comme le ministre l’a expliqué, pour offrir de toutes petites sommes à diverses organisations depuis un certain nombre de nos ambassades dans le monde.

Nous avons également le programme Voix et leadership des femmes, qui a été créé en 2017-2018, qui offre un financement d’environ 30 millions de dollars par an. Son objectif est justement d’aider les organisations de défense des droits des femmes, là encore à coups de montants assez modestes. Nous travaillons avec des partenaires sur le terrain et des partenaires locaux pour distribuer ces sommes à tout un éventail d’organisations de défense des droits des femmes.

Le dernier élément que je mentionnerais est un mécanisme et un outil très novateur créé par le gouvernement, qu’on appelle le Fonds Égalité. Ainsi, en 2019, le gouvernement a octroyé 300 millions de dollars à la création d’un fonds qui se voulait une organisation permanente qui utiliserait des principes féministes pour investir dans des entreprises dirigées par des femmes, dans le but de générer du rendement, et grâce à ce rendement, le Fonds Égalité permet ensuite de venir en aide aux organisations de défense des droits des femmes dans les pays les plus pauvres. Cette organisation a été conçue pour s’autofinancer à l’avenir et ne plus nécessiter l’injection de ressources gouvernementales.

M. Sajjan : Pour ce qui est du Fonds Égalité, c’est le seul fonds au monde axé strictement sur les droits des femmes. Depuis sa création, d’autres donateurs se sont manifestés. La Fondation Ford s’est manifestée, ainsi que de nombreuses autres organisations. Certaines ne se sont pas encore dévoilées publiquement. Ce travail suscite beaucoup d’intérêt. En ce qui concerne les fonds de développement que nous fournissons, 95 % d’entre eux sont destinés à aider les femmes.

Le sénateur MacDonald : Merci, monsieur le ministre, d’être ici.

La question du sénateur Manning conduit à la mienne. Voyons le premier élément de votre lettre de mandat, qui expose votre engagement à « Mettre en œuvre la Politique d’aide internationale féministe et veiller à ce que l’égalité des genres […] soit toujours au centre des préoccupations […] ». D’après moi, c’est au cœur de notre travail en Afghanistan. Parlons franchement : en raison de la mainmise des talibans sur ce pays, c’est à peu près une mission d’échec, malheureusement. Nous avons abandonné beaucoup de personnes après notre départ, particulièrement beaucoup de femmes et de membres de leurs familles.

D’après un reportage récent de CBC/Radio-Canada, Sadiq Ibrahim, un interprète auprès des Forces armées canadiennes, a demandé la sortie de sa famille en 2017 et, en septembre dernier — cinq ans plus tard —, elle et lui attendent toujours.

Pourquoi trahissons-nous la confiance de tant de coopérateurs étrangers et de leurs familles? Est-ce à cause des carences de la fonction publique, du service diplomatique et du système? Ou, encore, est-ce que ça s’explique autrement? Quel est le problème?

M. Sajjan : Heureux de répondre. À dire vrai, quand vous faites allusion aux conséquences, je fais partie de ceux qui connaissent personnellement celles qu’ont subies les Afghans, particulièrement mes compagnons d’armes. Nous avons pu sortir certains d’entre eux, d’autres n’y sont pas parvenus. Nous continuons de les soutenir et de chercher des moyens pour le faire. Notre travail ne s’est pas arrêté. Par exemple, à mon passage récent au Pakistan, pour m’occuper des inondations, j’ai conversé avec le premier ministre. Un certain nombre de réfugiés afghans sont prêts à venir au Canada, mais le problème des visas de sortie n’a pas été réglé. J’ai demandé qu’on règle ce dossier. Des familles ont réussi à traverser la frontière, et nos ambassades sont parvenues à organiser leur transport. Nous ne négligeons aucun détail.

Même si nous n’aimons pas ce qui est arrivé à un pays, il nous est impossible de modifier sa trajectoire. Pour avoir personnellement servi, je trouve très décevant de voir gaspiller tant d’efforts. Une consolation, qu’on soit diplomate, militaire ou agent de la GRC, est que notre service là-bas a touché de nombreuses vies, ce qui a certainement eu un impact.

Nous continuerons de soutenir le peuple afghan. Depuis, notre portefeuille a affecté déjà 150 millions de dollars à l’aide humanitaire, et nous continuerons de le soutenir tout en exigeant des comptes aux talibans.

Le sénateur MacDonald : Est-il juste de dire que nous éprouvons simplement autant de difficultés à cause des visas de sortie de pays tiers vers lesquels ils se sont échappés et que nous ne pouvons toujours pas les amener au Canada à cause de ces visas?

M. Sajjan : Nous ne pouvons pas dicter de méthodes de travail à un pays, tout comme il ne peut nous en dicter. Malgré les obstacles, nous cherchons activement des solutions et nous continuons de soutenir les Afghans.

Par exemple, pendant ma visite là-bas, à cause des inondations, je savais que c’était un problème et je l’ai signalé directement au premier ministre. Nous ferons un suivi. Des réfugiés afghans ont également été sinistrés par les inondations. Nous veillerons à diriger du financement directement vers les camps de réfugiés, pour soutenir les communautés vulnérables .

À défaut de ne pouvoir rien dicter, nous examinerons tous les mesures possibles de soutien. Des familles ont réussi à s’échapper. C’est un rayon d’espoir. Comme l’a dit un membre d’une famille qui m’a appelé après que nous avons fait sortir sa famille, les stratagèmes employés pourraient inspirer un film.

Ça me motive d’autant plus de ne pas m’arrêter et de continuer à chercher, non seulement avec le concours du Pakistan, mais aussi du Qatar, des Émirats arabes unis et d’autres — tous ceux qui, dans un pays, possèdent l’influence nécessaire pour soutenir nos alliés.

Le sénateur MacDonald : Merci, monsieur le ministre.

Le président : Chers collègues, un simple petit rappel. Il est bon de discuter de politique, ce vers quoi la séance semble s’orienter, mais je tiens également à vous rappeler humblement que, comme je le disais au début, l’objet de l’étude est le ministère et son adaptation à sa destination dans le contexte difficile actuel, comme le ministre l’a fait remarquer dans sa déclaration préliminaire. Si nous ajustions un peu le tir? En ma qualité de président, j’en serais très reconnaissant.

Le sénateur Woo : Selon votre désir, c’est ici chose faite. Je souhaite la bienvenue au ministre et à ses adjoints. Vous êtes Britanno-Colombien, tout comme la sénatrice Busson et moi. La population de notre province est, dans l’ensemble, constituée de jeunes pleins de jugeote, immigrants de première ou de deuxième génération pour certains d’entre eux. Ils me semblent correspondre au profil des fonctionnaires qu’Affaires mondiales Canada recherche, mais des difficultés structurelles entravent l’embauche de Britanno-Colombiens dans la fonction publique en général et, en particulier, à Affaires mondiales Canada, peut-être.

Comment pouvons-nous attirer davantage de ces candidats dans ce ministère, conformément à cet objectif, en déjouant certains de ces obstacles?

M. Sajjan : Vous abordez un sujet qui m’est très cher. Affaires mondiales Canada offre aux jeunes de partout au Canada, particulièrement en Colombie-Britannique, l’occasion de représenter la diversité réelle de notre pays.

Nous avons eu des discussions très intéressantes. La ministre Joly a entamé l’étude de réformes dans ce ministère. C’est un domaine que nous explorons en profondeur tout en l’administrant. J’en ai parlé à de nombreux greffiers.

Voici quelques exemples sur la façon de procéder. Parmi mes principaux sujets récents d’apprentissage, comme vous savez, je reconnais que si je suis incapable de m’exprimer en français, c’est par ma faute. Je peux invoquer tous les prétextes, mais, néanmoins, les obstacles sont réels.

Comment nous assurer, d’une part, que nos jeunes auront accès au français? Nous avons beaucoup investi dans ce domaine en Colombie-Britannique. De plus, quand un candidat répond, de façon très semblable, aux critères d’embauche dans l’armée, comment peut-il obtenir d’abord une formation en français? Quand on est entré dans le système, c’est de cette manière qu’on peut commencer l’apprentissage, dans le milieu propice. Ottawa, à mes yeux, n’en semble pas un, mais mon français s’améliore beaucoup. Il faut relativiser, sachant à quel niveau je me trouvais au début, mais c’est un des obstacles en question.

Un autre élément à prendre en considération, et j’en ai discuté avec mon sous-ministre et d’autres fonctionnaires, c’est la façon de tirer profit d’Affaires mondiales Canada et de la diversité de notre pays. Sur ce point, nous ne sommes vraiment pas des premiers de classe, mais aucun de mes adjoints ne manque d’enthousiasme ni de volonté.

Je suis responsable d’un portefeuille international qui se sert de notre diversité actuelle comme d’un levier, et c’est un sujet sur lequel je serais ravi de m’étendre davantage. Mais je sais que nous disposons de peu de temps.

Le sénateur Woo : Pourrait-on augmenter le coefficient de pondération des compétences et des connaissances que possèdent certains Canadiens — par exemple en langues étrangères, avoir vécu à l’étranger et compréhension de différentes cultures — pour, bien sûr, corriger leurs carences en français, mais en compensant certaines de leurs mauvaises notes qui en découlent?

Je comprends pourquoi d’autres ministères qui n’ont pas une exposition internationale aussi grande ne le feraient pas, mais on pourrait croire qu’Affaires mondiales Canada, qui cherche à recruter des candidats férus de questions internationales, accorderait un coefficient plus élevé à ce genre de compétences. C’est plutôt une observation qu’une question.

Le président : Sénateur, votre temps de parole est terminé, mais nous pourrons certainement y revenir au tour suivant.

La sénatrice Moncion : Merci, monsieur le ministre, d’être ici. Je suis allée à l’ambassade, en Pologne, il y a à peine quelques semaines, et j’ai vu le travail colossal qui s’y fait. Nous avons également rencontré des représentants des Nations unies et de la Croix-Rouge. Tout ce travail, y compris celui des Canadiens pour les Ukrainiens, nous ne le claironnons pas. Mais ce n’est pas ma question.

Ma question concerne le nombre de postes vacants dans votre ministère, dans la filière de l’aide internationale du Service extérieur. Ça nous ramène à l’époque où l’ACDI faisait partie de vos services extérieurs quand vous avez entrepris de fusionner vos ministères.

D’après les renseignements dont nous disposons, les postes affectés à l’aide internationale à l’étranger et plusieurs postes dans l’administration centrale ont été reclassifiés de manière à retenir la rationalité comme condition d’embauche. En réponse au comité, Affaires mondiales Canada fait observer que le processus de sélection pour nommer du personnel aux postes reclassifiés a commencé en 2018 et s’est terminé en 2020. D’après le ministère, la filière comptait 271 agents chargés de cette aide internationale et 74 postes vacants.

Pourriez-vous expliquer la vacance des postes et le rapport entre ces postes et notre travail à l’étranger?

M. Sajjan : M. MacLennan vous répondra dans un instant, mais je précise d’abord que nous devons mieux analyser les effectifs répartis dans le monde. Même moi, je le constate. Une décision peut se prendre en tournée, pour autoriser une initiative ou du financement et la somme de travail que ça comporte réellement, mais il faut s’assurer d’un juste équilibre entre le nombre d’agents dans l’administration centrale par rapport au personnel de terrain. Il est tout aussi important de disposer sur le terrain des bonnes personnes munies des bonnes délégations de pouvoirs.

Il faut tenir compte de l’endroit où les candidats sont désireux d’aller travailler. Voilà qui répond à la question du sénateur Woo, et ça dépend du type de recrutement et de la méthode employée pour combler certaines de ces vacances.

Actuellement, nous envisageons de concilier ces facteurs, particulièrement dans notre portefeuille, parce que nous abattons beaucoup de travail. Mais, comme vous dites, on peut injecter tout l’argent qu’on veut, si le personnel de terrain est insuffisant, on ne pourra exécuter les programmes.

M. MacLennan : En fait, cela a été l’un des principaux avantages de la fusion des ministères. Ça nous aura notamment permis d’intégrer un noyau complet de personnes très qualifiées de l’ACDI qui se rendait régulièrement à l’étranger, mais qui ne fonctionnait pas dans la même structure que la filière du service extérieur qui était assujetti à ses propres règles, qui possédait son propre syndicat et qui s’occupait de sa propre formation. À l’ACDI, ça marchait, à vrai dire, un peu plus au jugé.

Après la fusion, l’une de nos premières mesures a été de créer la filière de l’aide internationale du Service extérieur, comme vous l’avez dit. Elle fait partie de la filière du service extérieur, et on a créé pour elle 271 postes, dont 138 à l’étranger. Comme pour tous nos déploiements de notre service extérieur à l’étranger, ils sont prioritaires. Nous nous assurerons toujours de combler d’abord les postes à l’étranger et nous gérons ensuite les vacances de postes à l’administration centrale.

Une deuxième précision est que même si, à l’ACDI, nous n’étions pas aussi rigoureux pour la spécialisation du personnel et l’attribution des postes par rotation dans la filière, nous avions l’avantage de pouvoir centrer tout le ministère sur le développement et de nous appuyer sur un segment beaucoup plus large de la population. Pour combler les vacances à l’administration centrale, nous pouvons piger dans d’autres éléments du groupe affecté au développement. Mais comme tout ministère en ville, nous sommes touchés par la pénurie nationale de main-d’œuvre.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Coyle : Je remercie le ministre et nos invités de s’être déplacés. Pendant des années, j’ai été en relation avec l’ACDI, où on m’a même offert un emploi, en 1984. Finalement, ce n’est pas là que j’ai abouti. Toute ma vie s’est déroulée dans la coopération pour le développement.

Quand l’ACDI a été absorbée, on a craint qu’elle ne devienne un parent pauvre. J’ai quelques questions pour vous. L’est-elle devenue? Sinon, pouvez-vous le prouver? Ensuite, comment décririez-vous la collaboration — espérons-le — entre les différentes filières à Affaires mondiales Canada?

Enfin, si nous envisageons l’avenir, vous avez dit, monsieur MacLennan, que nous connaissons tous les mêmes problèmes de main-d’œuvre. Nous également, les sénateurs, nous le savons très bien. Face à l’avenir et au monde changeant que vous avait décrit, monsieur le ministre, pouvez-vous dire si, dans ce secteur de la coopération pour le développement, vous entrevoyez d’importants domaines d’expertise qui vous aideront à vous adapter à votre destination? Et quels sont-ils?

M. Sajjan : Quelle excellente question, et il est très utile de pouvoir compter sur des personnes aussi expérimentées que vous dans ces rôles. Je vous offre quelques points de vue différents. L’un d’eux concerne le développement du point de vue de la défense, par l’entremise de la ministre Bibeau et de tous les autres ministres, notamment Mme Gould, qui a travaillé en collaboration très étroite avec nous pour voir comment nous coordonnions ce travail. N’oublions pas que j’ai servi en Afghanistan, où il m’a été donné d’observer une partie de cette intégration. Il y aura toujours des avantages et des défis, outre-mer, pour les deux filières.

Mon point de vue est simplement que nous devons, comme je l’ai dit dans ma déclaration, faire le point sur le monde actuel, être outillés pour réagir au constat que nous ferons et imaginer en quoi faire preuve de souplesse pour nous adapter à un imprévu de type cygne noir.

En fait, je suis assez satisfait de l’intégration, mais je vous mentirais si je disais que tout s’est toujours bien passé. Ce n’est pas une chose négative. Lorsqu’on tente d’intégrer une question complexe, comme celle du développement, il faut cibler les divers défis. Quels sont les défis au Burkina Faso? Quels sont les défis au Mali? Quel est le lien avec la région? Pensons par exemple à la région du Pacifique, qui doit faire face à des enjeux climatiques et des enjeux en matière de migration. Tout le monde voit ces enjeux selon un angle différent. Je dirais que tout cela s’assemble. J’aimerais qu’il y ait une meilleure synergie entre les divers volets, même si des améliorations ont été apportées à cet égard. Je parle souvent des volets alphabétiques, parce qu’il y a le volet « I », le volet « M » et ainsi de suite. Je crois que l’important, c’est de cibler le problème et de trouver des solutions.

Cela étant dit, en raison du leadership actuel, nous avons pu discuter des mesures à mettre en place. Je vais vous donner un exemple clair, avec la crise sanitaire émanant de la COVID. Nous avons fait état des besoins et avons travaillé avec nos partenaires. Affaires mondiales Canada a adopté une approche pangouvernementale. La sécurité alimentaire représentera un défi plus important.

Nous évaluons la façon d’accroître la capacité. Alors que nous songeons au soutien humanitaire dans certains domaines, nous devrons songer au développement dans d’autres. En même temps, le chemin à prendre pour atteindre les objectifs de développement durable sera celui de l’autonomie économique. Il faut créer des emplois. L’interaction entre le développement et le commerce est très importante. Je tiens à faire une sérieuse mise en garde à ce sujet. Il ne s’agit pas du tout d’une aide conditionnelle. Par exemple, lorsqu’on parle d’accroître la production alimentaire d’un pays, c’est une question d’emplois. Je peux vous donner de nombreux exemples de projets entrepreneuriaux menés par des femmes qui ont eu une incidence importante sur les villages, les familles et autres. Je l’ai constaté en personne. Mais que peuvent faire ces femmes des aliments et où peuvent-elles les vendre? Où se trouvent les installations médicales? À quelle école leurs enfants peuvent-ils aller? Si nous n’avons pas de réponse à ces questions, cela signifie que nous devons améliorer le travail de coordination.

Le président : Merci, monsieur le ministre.

La sénatrice Busson : Je dois admettre que vous avez répondu à certaines de mes questions en répondant à ma collègue, la sénatrice Coyle, mais je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui.

J’aimerais vous poser une question sur la fusion des organismes en 2013. On a fait valoir qu’elle avait représenté un énorme défi, mais selon le rapport du Comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économique — l’OCDE —, la fusion a été une réussite sur le plan structurel et a grandement amélioré la cohérence et l’efficacité de l’approche du Canada en matière de commerce et de développement international.

Vous avez décrit votre vision de l’avenir et les mesures qui devraient être prises par le ministère. Que voudriez-vous que le comité sache au sujet de la structure et de vos responsabilités? Avez-vous des suggestions à nous faire pour avancer ce projet et aider votre ministère? C’est ce que j’aimerais savoir.

M. Sajjan : Merci, madame la sénatrice. Premièrement, en tant qu’ancien policier, je tiens à vous dire que vous êtes une légende dans la communauté policière, surtout en Colombie-Britannique.

J’ai la chance d’être l’un des trois ministres. Nous travaillons en étroite collaboration. J’ai parlé des bonnes personnes, mais elles ne seront pas toujours là. D’autres personnalités entreront en jeu. Le plus important, c’est d’avoir un point de vue extérieur sur les systèmes que nous devons mettre en place pour la situation à l’échelle mondiale. Il serait très important d’avoir ce regard de l’extérieur sur notre structure.

J’ai des idées à ce sujet. Bien sûr, les autres ministres et nos sous-ministres en ont aussi, selon leurs expériences. Ce regard externe serait très important. Pour moi, la géographie est importante. Il faut savoir où est le problème, quelle est la région touchée et enfin quels outils permettraient de le régler. Est-ce que nous avons adopté une approche de systèmes intégrés? À l’heure actuelle, je crois qu’il s’agit d’un système, en quelque sorte, mais parfois aussi d’une personnalité. Il faut veiller à avoir en place un système approprié et à ce que les gens qui sont formés le jugent approprié. J’aimerais qu’on en prenne la mesure et que les autres pays fassent de même. Pour miser sur le travail qui a été fait, il faut que les autres pays apportent leur contribution. C’est ce que j’ai tenté de faire valoir, avec beaucoup d’efforts, surtout lorsque j’étais à la Défense nationale. J’ai probablement milité davantage sur le volet de l’intégration axé sur le développement lorsque j’étais à la Défense nationale, et je vais continuer de le faire.

Le président : Nous nous apprêtons à entreprendre la deuxième série de questions, mais j’aimerais moi aussi vous en poser une.

Depuis que le gouvernement précédent a pris la décision relative à la fusion, on a constaté une intégration accrue de la réflexion politique et aussi un certain transfert de l’expertise plutôt traditionnelle de l’ACDI et du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. D’autres pays nous ont imités. Le Royaume-Uni a lui aussi procédé à une fusion, et le DFID — son agence d’aide, du moins c’était son rôle lorsque je travaillais au développement international — était le maître à penser.

La sénatrice Busson a cité le rapport du Comité d’aide au développement de l’OCDE sur le Canada. Avant la COVID, ce comité se réunissait fréquemment à Paris et dans le cadre d’autres conférences qui réunissaient les sous-ministres et les ministres.

Avec tout ce qui se passe à l’étranger, est-ce que nous avons le temps de réunir des experts pour faire ce travail de comparaison? Lorsque vous rencontrez vos homologues d’USAID ou du Foreign, Commonwealth and Development Office du Royaume-Uni, avez-vous l’occasion d’expliquer ce que fait votre ministère, ce qui fonctionne, et de leur demander ce qu’ils font? Est-ce que cela fait partie de votre travail? J’accordais beaucoup de valeur à ce genre d’échanges lorsque je travaillais dans ce domaine.

M. Sajjan : C’est une excellente question, sénateur. Je dirais que cela dépend des personnes qui se trouvent dans les ministères, non seulement à mon échelon, mais aussi à l’échelon des hauts fonctionnaires également.

Comme les défis sont importants et nombreux et qu’il faut une orientation, il n’est pas facile d’assurer la cohérence. Nous avons des mécanismes en place au sein du G7, mais il faudrait faire mieux pour accélérer la cadence.

J’aimerais que nous ayons l’occasion d’aborder ces sujets. J’ai parlé à mon homologue au Royaume-Uni et aux représentants d’autres pays également, et nous connaissons certaines réussites, mais aussi certains échecs. Il faut que nous nous entendions pour veiller à ce que les mesures que nous prenons... Au Canada, nous avons l’avantage de ne pas avoir le même passé colonial que les autres pays. Nous ne devons pas sous-estimer notre pouvoir. C’est très important. Je l’entends souvent et peut-être plus que d’autres, puisque je ne suis pas blanc et que les gens s’ouvrent à moi. Nous devrions utiliser le pouvoir de notre diversité. Dans les faits, ce n’est pas moi qui fais le travail, c’est M. MacLennan. Nous travaillons ensemble.

J’ai connu des réussites selon une base ponctuelle. J’ai pu établir de très bonnes relations pendant mon mandat à la Défense nationale et je fais la même chose dans le domaine du développement. Je parle d’un plan de sécurité alimentaire, et j’y travaille avec mes homologues. J’essaie de trouver les ministres des autres pays avec lesquels nous pourrions travailler. Je vais me rendre aux Émirats arabes unis prochainement, pour profiter de leur expertise.

En unissant nos efforts, nous pourrions régler bon nombre de ces problèmes rapidement, en mettant en œuvre votre suggestion, monsieur le sénateur. À ceux qui pensent que nous ne pouvons le faire pour d’autres enjeux, je donnerais l’exemple de la COVID. Nous avons agi beaucoup plus rapidement.

Pour le ministère, je veux établir un plan qui se fonde sur l’éventualité où nos citoyens souffriraient de la faim. Nous avons établi un plan au cas où nos vies seraient en danger. C’est ce que fait déjà l’hémisphère Sud. Notre première faute a été commise pendant la COVID : nous nous sommes fait vacciner et nous n’avons pas reconnu les inégalités en matière de vaccination. C’est aussi ce qui se passe en raison de la guerre de Poutine : les pays d’Europe s’unissent, pour une bonne raison. Nous devons appuyer fermement de telles mesures. Il y a aussi des conflits ailleurs dans le monde.

J’aimerais que nous puissions tirer des leçons de nos interactions avec la Russie et que nous les appliquions dans d’autres crises, pour une plus grande cohérence.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Je ne sais pas si vous pouvez rester un peu plus longtemps avec nous, puisque nous avons commencé la réunion avec du retard.

M. Sajjan : Oui, je peux rester.

Le président : C’est très bien. Notre greffière, Mme Lemay, me dit que nous avons la salle pour quelques minutes encore. J’aimerais que nous passions à la deuxième série de questions, puisque cinq sénateurs aimeraient intervenir. Je vais peut-être réduire quelque peu le temps des interventions.

Le sénateur Manning : Je remercie une fois de plus les témoins de leur présence.

J’aimerais revenir à ma question précédente au sujet du financement offert aux divers pays. Je pense à l’Arabie saoudite et à l’Indonésie, par exemple. Pourriez-vous nous donner une idée des investissements du Fonds canadien d’initiatives locales dans ces pays? Je sais que vous avez parlé de divers groupes. J’aimerais que vous nous donniez une idée de la mesure du financement. Est-ce qu’il y a un processus par lequel vous... Le gouvernement finance tellement de choses dans notre pays et ailleurs dans le monde, et parfois aucun suivi n’est fait. Comment mesurez-vous l’incidence du financement octroyé à des pays comme l’Arabie saoudite, l’Indonésie ou d’autres?

M. Sajjan : Dans le cadre de notre travail, nous faisons face à des défis immédiats, comme les crises humanitaires, et nous nous centrons aussi sur le lien entre le commerce et le développement, aux fins de l’autonomie économique. Certains fonds sont associés à un plan pluriannuel qui peut être évalué. M. MacLennan pourrait répondre mieux que moi à la question.

M. MacLennan : Le Fonds canadien d’initiatives locales, qui relève de la ministre Joly, n’est offert qu’aux pays admissibles à l’aide publique au développement. Ensuite, pour tout le financement qui découle du programme du Fonds, et même pour les petits montants, nous utilisons les mêmes systèmes pour recueillir les résultats, suivre et évaluer la valeur des investissements.

Je dirais qu’il y a une grande différence entre un investissement de 50 000 $ dans un organisme des droits de la personne et un investissement de 5, 50 ou 100 millions de dollars dans un grand fonds comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Nous faisons de notre mieux pour suivre chacun des projets. Nous évaluons l’ensemble du programme sur plusieurs années. Ainsi, nous pouvons observer les tendances et les éléments de base du programme, et déterminer ce qui fonctionne bien ou moins bien, pas nécessairement pour des projets précis, mais de façon générale.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur MacDonald : Monsieur le ministre, si vous me le permettez, j’aimerais revenir au sujet que nous avons abordé plus tôt. J’aimerais préciser une chose, et éviter de vous induire en erreur. J’ai parlé de M. Ibrahim. Il est au Canada, depuis 2017. Sa famille est toujours en Inde. Il a présenté sa demande il y a cinq ans. J’aimerais savoir si le problème a trait à la fonction publique indienne ou au Service extérieur. Pourquoi ne peut-il pas faire venir sa famille au pays? Cela fait maintenant cinq ans.

M. Sajjan : Monsieur le sénateur, en tant que député, je travaille aussi aux dossiers d’immigration. Il serait difficile de me prononcer sans avoir vu le dossier en question. Par exemple, dans le dossier des réfugiés afghans en Inde, j’ai travaillé en collaboration avec le regretté Manmeet Bhullar, de l’Alberta, à faire venir les Afghans sikhs au pays, et nous avons réussi, grâce à l’aide de la fondation de sa famille. J’ai vu comment le processus fonctionnait, mais il m’est difficile de me prononcer sur un dossier dont je ne connais pas les détails.

Pour répondre à votre question, je crois que la responsabilité revient aux deux. Le gouvernement indien doit faire une partie du travail, mais le ministère de l’Immigration aussi. C’est une association des deux.

Le sénateur MacDonald : Nous pourrions peut-être demander à mon collègue du Cap-Breton de se pencher sur la question.

M. Sajjan : Comme il s’agit d’une question d’immigration, nous pourrions vous orienter vers les bonnes personnes au sein du ministère pour répondre à vos questions.

Le sénateur MacDonald : Très bien. Merci.

Le président : À ce sujet, j’ajouterais que nous avons tous reçu des messages — du moins, c’est mon cas — au sujet de dossiers d’immigration. Le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté a mis en place, tant pour les députés que pour les sénateurs, un nouveau système nous permettant de prendre rendez-vous et de parler à un agent de l’immigration pour faire le suivi d’un dossier pour lequel nous avons les détails et le numéro. Je tenais seulement à le dire aux fins du compte rendu.

Le sénateur Woo : Merci, monsieur le ministre. J’aimerais vous interroger au sujet de l’élaboration de la politique internationale à partir du centre. Le Bureau du Conseil privé (BCP) compte un conseiller en matière de politique étrangère et un conseiller en matière de sécurité nationale. On a parfois l’impression que les questions de politique étrangère vraiment importantes sont décidées au centre.

Pouvez-vous nous parler un peu du rôle que le centre joue dans l’élaboration de la politique internationale — pas seulement la politique étrangère —, mais aussi dans les activités internationales que tous les ministères exercent? Voici la question clé : pensez-vous qu’Affaires mondiales devrait devenir plus semblable à un organisme central que le ministère ne l’est en ce moment?

M. Sajjan : Chaque gouvernement agira de manière différente. Je ne peux donc vous parler que du gouvernement canadien.

Le BCP joue un rôle très important dans la coordination de l’ensemble des différents ministères, comme le cabinet du premier ministre le fait pour les différents ministres.

En ce qui concerne les deux portefeuilles que j’ai gérés jusqu’à maintenant, la Défense nationale nécessitait, évidemment, beaucoup de coordination, tout comme dans le développement international maintenant. Ce que je constate, c’est que nous avons une bonne synergie, car lorsque le premier ministre nous remet nos lettres de mandat, tout le monde sait exactement ce qui doit être fait. La « façon de le faire » est laissée à notre discrétion en tant que ministres, ainsi que la façon dont nous donnons des directives au ministère. Ensuite, je fais confiance à mes sous-ministres qui sont en mesure de faire ce travail.

Dans ce contexte, vous allez toujours tenter d’établir une certaine cohérence. Parfois, les gens remarquent que des difficultés surviennent. Ce que je dis toujours, c’est que lorsque vous dirigez un pays et que vous élaborez des politiques importantes à l’échelle nationale, vous voulez et devez accueillir une grande variété de points de vue, parce qu’au bout du compte, vous voulez être sûr de prendre la meilleure décision politique ou la meilleure décision de financement.

Je n’ai pas d’inquiétude à ce sujet. Évidemment, il y aura parfois des discussions animées, mais c’est une bonne chose dans une démocratie comme la nôtre.

La sénatrice Coyle : Monsieur le ministre, je vais simplement aborder les questions auxquelles vous n’avez pas eu l’occasion de répondre plus tôt. Vous devrez peut-être faire appel à vos collègues pour vous aider aussi à y répondre.

L’une de ces questions concerne le volet de développement au sein d’Affaires mondiales Canada, en regardant vers l’avenir et en examinant vos besoins futurs en matière de personnel et vos compétences futures dans le domaine des ressources humaines, compte tenu du monde en pleine évolution que vous avez décrit et que nous connaissons tous. Nous ne savons pas quels seront les prochains changements, mais nous pouvons déjà imaginer ce qui nous attend. Y a-t-il des domaines de compétence particuliers dans lesquels vous cherchez à recruter des travailleurs afin de les intégrer dans Affaires mondiales Canada pour être en mesure de gérer ces problèmes futurs, et quelles sont, selon vous, les sources pour ces travailleurs? Nous savons que la Colombie-Britannique est une excellente source de travailleurs, mais je suis sûr qu’il y a d’autres façons — autres que celles liées à la géographie — de chercher où trouver des personnes ayant ce genre de compétences.

M. Sajjan : J’ai été très impressionné par les compétences dont nous disposons à Affaires mondiales Canada. Dans le cadre de notre travail de développement, le changement climatique revêt une très grande importance. Nous disposons donc d’excellents experts en la matière.

En même temps, nous ne comptons pas seulement sur eux, ou ils ne comptent pas seulement sur eux-mêmes. Il y a aussi le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) et, personnellement, je pense que nos meilleures sources d’informations sont les organisations non gouvernementales canadiennes (ONG), comme la Banque canadienne de grains. Lorsque nous parlons de la sécurité alimentaire dans le monde, qui est le mieux placé pour nous conseiller?

Nous avons les compétences nécessaires, mais lorsque nous ne les avons pas, nous envisageons, comme le sous-ministre et moi-même l’avons dit, de renforcer nos capacités d’intervention en cas de catastrophes dans le Pacifique, par exemple. Il s’agit d’un domaine dans lequel nous n’avons peut-être pas les genres de capacités requises, et c’est donc dans ces cas-là que nous pouvons, en fait, faire appel à la bonne personne, afin qu’elle réalise une étude appropriée pour nous. Nous devons veiller à élargir notre champ d’action et à nous assurer que nous disposons du bassin de candidats adéquat pour répondre aux besoins, sans avoir peur de demander à qui que ce soit d’obtenir les conseils appropriés.

J’apprends beaucoup lorsque je suis sur le terrain, que je visite certains projets ou que je discute avec certaines personnes, notamment avec des membres de notre ambassade qui sont sur place.

M. MacLennan : Il y a deux choses que je voudrais faire remarquer. Il y a une base de compétences dont nous savons que nous aurons besoin à long terme. Le ministre a mentionné la sécurité alimentaire. Il y a donc des gens qui sont doués pour l’agriculture, mais aussi des gens qui peuvent comprendre les liens entre le changement climatique et l’agriculture et les liens entre le changement climatique et la santé — les vecteurs de maladies et les choses de cette nature — et qui peuvent en parler.

Cela nous ramène à ce que le sénateur Boehm a mentionné au sujet des organismes de développement international et des ministères qui se réunissent. Au cours des dernières années, nous avons tous été très conscients de la nécessité d’injecter davantage de fonds dans les pays en développement. Pour ce faire, des infrastructures et des services de soutien à grande échelle sont nécessaires.

Je pense que le ministère doit également renforcer sa capacité de travailler dans les volets d’aide au développement qui concerne les mécanismes de financement innovants. Les sources de travailleurs sont variées. L’une des sources que nous examinons également est la suivante : au lieu de nous limiter à des employés débutants, comment pouvons-nous embaucher des employés de mi-carrière au sein du ministère, de manière à ce les gens arrivent avec des compétences établies et puissent rester pendant quelques années — peut-être sans passer toute leur carrière dans la fonction publique — afin de nous aider et poursuivre ensuite leur carrière?

Le président : Merci. Nous sommes arrivés à la fin de la réunion. Au nom du comité, j’aimerais remercier le ministre Sajjan, le sous-ministre MacLennan, les sous-ministres adjoints et les autres fonctionnaires du ministère qui sont présents dans la salle d’être venus. Cela a enrichi notre travail.

Monsieur le ministre, vous pouvez mentionner à vos deux collègues que ce n’est pas si mal de venir témoigner devant notre comité. Vous êtes le premier des trois, et nous sommes impatients de les voir et, peut-être, de vous revoir à l’avenir lorsque nous examinerons les questions de développement international sous un angle plus politique.

M. Sajjan : En fait, j’aime comparaître devant vous parce que j’adore les discussions. Toutefois, ne considérez pas que c’est le seul moment où vous pouvez discuter de quoi que ce soit avec moi. Si vous avez des préoccupations concernant un projet ou des conseils à me donner, ma porte est toujours ouverte. Surtout si vous connaissez de bonnes initiatives dont je ne suis pas au courant, je serai heureux de les analyser. Comme certains d’entre vous le savent, une fois que nous tombons d’accord, je m’assure de réaliser le projet.

Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le ministre.

(La séance est levée.)

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