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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 22 mars 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 5 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, pour en faire rapport, le service extérieur canadien et d’autres éléments de l’appareil de politique étrangère au sein d’Affaires mondiales Canada.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario, et je suis président du comité des Affaires étrangères et du commerce international.

[Traduction]

Avant de commencer, je vais demander aux membres du comité et aux sénateurs invités à participer à la réunion d’aujourd’hui de se présenter.

La sénatrice M. Deacon : Sénatrice Marty Deacon, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Gerba : Sénatrice Amina Gerba, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Greene : Sénateur Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.

La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.

Le président : Merci beaucoup. Je souhaite la bienvenue à tous, ainsi qu’à ceux qui nous regardent d’un océan à l’autre sur ParlVu.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre examen du service extérieur canadien, dont l’objectif est de déterminer si ce service et l’appareil de politique étrangère sont adaptés à leur objectif et prêts à répondre aux défis mondiaux d’aujourd’hui et de demain.

J’aimerais aussi souligner que le sénateur David Richards, du Nouveau-Brunswick, vient de se joindre à nous.

Pour en discuter avec nous, nous avons l’honneur d’accueillir aujourd’hui le 16e premier ministre du Canada, le très honorable Joe Clark, qui a été secrétaire d’État aux Affaires extérieures — ce que nous appelons aujourd’hui le ministre des Affaires étrangères — de 1984 à 1991. Bienvenue au comité, monsieur Clark. C’est un plaisir de vous recevoir.

Avant de vous donner la parole pour votre déclaration liminaire, qui sera suivie des questions des sénateurs, je voudrais demander aux membres de ne pas se pencher trop près du microphone ou d’enlever leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela évitera toute rétroaction sonore qui pourrait avoir un effet négatif sur le personnel du comité ou sur d’autres personnes dans la salle qui pourraient porter des écouteurs pour entendre l’interprétation.

Nous sommes prêts à entendre votre déclaration liminaire, monsieur Clark, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs. Vous avez la parole.

Le très honorable Joe Clark, c.p., ancien ministre des Affaires étrangères, à titre personnel : Merci beaucoup. C’est un privilège pour moi d’être ici.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je suis honoré de l’occasion qui m’est donnée de comparaître devant vous. Pour des raisons que vous comprendrez facilement, je vais me concentrer davantage sur la politique étrangère que sur l’appareil de politique étrangère qui, je dois l’avouer, m’a souvent déconcerté. J’en reconnais néanmoins humblement l’importance.

Bien entendu, il convient de se poser une question fondamentale. Qu’est-ce qui est dans l’intérêt du Canada? Il y a une autre question à se poser, tout aussi importante, mais peut-être plus urgente. Qu’est-ce qui distingue le Canada aujourd’hui? Autrement dit, qu’est-ce que nous pouvons contribuer à la situation internationale qui se complique, et que d’autres ne peuvent pas apporter? Qu’est-ce que nous avons de substantiel à proposer?

À diverses époques, nous avons joué un rôle de premier plan et contribué à des avancées importantes dans les affaires et les attitudes à l’échelle mondiale, souvent de manière relativement discrète. Je ne vais pas m’attarder sur chaque décennie, mais cela a manifestement été le cas dans la période qui a immédiatement suivi la Seconde Guerre mondiale, en partie parce que nous étions l’un des rares pays à disposer encore d’une capacité internationale et que nous étions en mesure de jouer un rôle de leader. C’est tout à notre honneur. Bien sûr, cela s’est produit de nouveau pendant la période où M. Pearson était ministre des Affaires étrangères.

Je sais très bien que mon accession au poste de ministre des Affaires étrangères remonte à près de 40 ans, et que notre monde et notre pays ont profondément changé depuis ce temps. Avec ce recul, je veux souligner trois facteurs intangibles, mais pertinents, et un regret que j’ai. J’espère que ce comité sénatorial très moderne ne va pas les écarter en les considérant comme de la simple nostalgie.

Je vais commencer par le regret que j’ai. Quand j’ai franchi le seuil du ministère des Affaires étrangères, il était encore considéré, avec le ministère des Finances, comme un ministère d’élite, chargé de naviguer dans des eaux inhabituellement imprévisibles et difficiles. Je comprends que le mot « élite » soit devenu péjoratif, souvent à juste titre. Peu importe la façon de qualifier le ministère, ce statut lui conférait un poids et une influence parmi les divers ministères. Il alimentait à la fois une fierté tangible et une incitation à l’excellence chez les agents du service extérieur. Je ne doute pas que cette capacité inhérente à l’excellence demeure, et votre comité devrait réfléchir à la meilleure façon de l’encourager aujourd’hui.

Le premier élément intangible dont je veux parler, c’est du véritable respect que nourrissait pour la grande qualité du service extérieur professionnel du Canada le personnel ministériel qui m’a accompagné dans l’édifice Lester B. Pearson. Ils n’étaient en rien des adversaires, ce qui leur a permis de gagner progressivement le respect des diplomates professionnels. Il y a eu un sentiment de partenariat tout au long de la période très heureuse que j’ai passée là-bas, et ce n’était pas pour la forme. J’ai entendu dire que cette réputation inestimable avait changé il y a une dizaine d’années, et je ne connais pas les circonstances actuelles — je ne suis pas assez proche pour le savoir —, mais le sens du partenariat et du respect mutuels est très important et mérite vraiment d’être préservé.

Le deuxième élément intangible tient au fait que la plupart des hauts responsables du ministère, il y a 40 ans, avaient une grande expérience des missions canadiennes à l’étranger. Ils avaient souvent commencé à des postes subalternes, avaient vécu dans des cultures et des sociétés très différentes des nôtres et en avaient fait l’apprentissage. Cette connaissance personnelle directe a enrichi les conseils qu’ils nous ont donnés, à moi et à mes collègues du Cabinet. Je comprends qu’il existe une dimension pangouvernementale dans les nominations à des postes de haut niveau au Canada, mais je suis fermement convaincu que la perspective mondiale est essentielle pour le ministère chargé des affaires internationales.

Un troisième élément intangible est que, traditionnellement, une grande partie du travail diplomatique de transformation se faisait en coulisses, que ce soit pour la planification des initiatives ou, plus souvent que nous le souhaitions, pour la gestion des imprévus. Le travail en coulisses est peut-être moins important aujourd’hui, dans un monde où règnent Internet et les conversations et, ce qui est tout aussi grave, dans un monde où l’objectif derrière bien des commentaires n’est pas d’être constructif, mais plutôt d’être entendu ou vu.

Permettez-moi de citer un exemple. Quelques jours après la tuerie de la place Tiananmen, Howard Balloch, qui est par la suite devenu ambassadeur en Chine, mais qui était alors le fonctionnaire avec lequel j’ai travaillé le plus étroitement dans le cadre de cette réaction, m’a convoqué à une réunion en personne à Ottawa, avec un groupe de 70 à 80 Canadiens de partout au pays, dont les familles ou les activités avaient été les plus directement touchées par les attaques de Tiananmen. Après de longues et franches discussions, nous avons élaboré une réponse canadienne à cette attaque, que le Cabinet a rapidement adoptée et qui s’est avérée durable et déterminante.

La confidentialité a rendu possible ce consensus urgent, mais la confidentialité était un moyen, pas un but. La priorité a été donnée aux opinions réfléchies des participants gravement touchés. J’étais le seul ministre, bien que certains de mes collègues aient fait pression pour être présents. Howard et, je crois, un autre fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères étaient les deux seuls fonctionnaires présents. Ils m’ont suggéré, avec respect, de présider la réunion bien plus que de parler. Ces circonstances ont créé une atmosphère dans laquelle les participants invités ont parlé franchement, en connaissance de cause et de manière aussi constructive que les circonstances le permettaient, notamment en discutant de la manière dont nos relations avec la Chine allaient changer, mais aussi se poursuivre.

Il s’agissait là d’une consultation de crise, et non d’une simple réunion visant à recueillir des conseils et des points de vue. Le défi consiste à déterminer la façon dont pourrait se tenir une consultation plus courante, mais substantielle, dans le monde des médias et des commentaires d’aujourd’hui. Je n’ai pas de réponse à ce défi, même si je pense que c’est essentiel.

Permettez-moi de conclure ma déclaration liminaire en jetant un regard rétrospectif sur l’évolution du Canada en tant que société inclusive et en formulant une suggestion pour l’avenir.

Sur le plan géographique, nous sommes nord-américains, et nous avons une riche histoire autochtone sur laquelle nous n’avons pas misé comme nous le pouvions, mais qui peut manifestement avoir une influence sur notre rôle à l’échelle internationale. Au départ, nous étions à la fois une colonie et une colonie de l’Europe, fortement influencée par la culture, les langues et les attitudes européennes. Selon le recensement de 1871, notre population était originaire des îles britanniques et de la France dans une proportion d’un peu plus de 92 %, et le reste provenait de manière très inégale d’autres sociétés européennes. Les îles britanniques et la France ont continué à dominer lors du recensement de 1921 et par la suite, mais nous avions aussi une augmentation de notre population originaire d’autres pays européens, y compris l’Ukraine, ce qui était par choix, car nous avions besoin de cultiver les prairies.

Là où je veux en venir, c’est que pendant une grande partie de notre histoire, la réticence à l’égard de l’immigration asiatique a persisté jusque dans les années 1950 et 1960. J’ai été surpris par l’ampleur de ce phénomène. Je connaissais le phénomène, mais je n’en connaissais pas les détails. Puis, en quelques années, un changement majeur s’est produit. Nous avons étendu notre accueil et avons mis l’accent sur l’immigration de personnes venant de pays autres qu’européens, mais de pays du Commonwealth, dans le cas des Asiatiques. Autrement dit, notre recherche et notre évaluation des nouveaux arrivants se fondaient sur les liens institutionnels avec l’histoire européenne que nous connaissions.

Les choses ont changé. Dans les années 1970, 27 % des nouveaux arrivants au Canada venaient de l’Asie de l’Est et du Sud, et cette tendance se poursuit. Nous parlons ici de personnes, de cultures et de nouvelles perspectives qui contribuent à construire et à façonner notre pays moderne. Il ne s’agit pas seulement de statistiques sur l’immigration, mais aussi sur les attitudes. C’est relativement récent, un siècle après la Confédération, et cela montre à quel point les attitudes du public canadien ont changé et à quel point notre capacité d’exercer de l’influence s’est transformée.

Bien entendu, ce changement s’est à nouveau manifesté quand les citoyens ont massivement parrainé les réfugiés de la mer, les « boat people ». Notre passé témoigne d’une croissance réelle et solide par rapport à ce que nous étions. La question est de savoir ce que nous ferons de cet atout hérité de notre passé à une époque de plus en plus tourmentée. La réponse à cela façonnera notre politique étrangère et sera façonnée par elle.

Pour terminer ma déclaration, permettez-moi de plaider brièvement en faveur de l’Afrique et de commencer par l’un des atouts distinctifs du Canada : notre statut initial de colonie, qui nous distingue, par notre histoire et notre attitude, de bon nombre de nos homologues occidentaux. Nous avons également apporté une contribution réelle et significative à l’Afrique : nos missionnaires, tout d’abord, et ce, de manière substantielle; nos relations de parenté, avec la Francophonie et le Commonwealth des Nations; notre leadership contre l’apartheid; et, ce qui a peut-être pesé le plus, notre détermination à faire en sorte que l’ACDI, l’Agence canadienne de développement international, au moment de sa création, ait une présence importante et disproportionnée en Afrique. Les ONG, les entreprises et les fondations canadiennes, comme la Fondation Mastercard, sont aujourd’hui actives et respectées en Afrique.

Toutefois, du point de vue diplomatique, le Canada est moins présent qu’il l’était à un moment où les autres relations de l’Afrique avec l’Occident sont à la fois plus troublées et plus contestées, notamment en raison de la présence persistante de la Chine ainsi que de la Russie et de ses mercenaires, dont nous en étions venus à sous-estimer les réseaux, je pense, jusqu’à très récemment. Au fur et à mesure que les tensions et les exigences se manifestent dans d’autres régions, le Canada pourrait être tenté de réduire encore sa présence officielle sur un continent turbulent, mais prometteur, où nos alliances pourraient se développer. Cela reviendrait à affaiblir ou à gaspiller un atout important et distinctif du Canada.

J’ai eu le privilège et la surprise, un peu, d’avoir à jouer un rôle beaucoup plus important dans les affaires africaines que je ne l’avais prévu lorsque je suis devenu ministre des Affaires étrangères. Il n’y avait pas que l’enjeu de la réaction à l’apartheid, même si c’était le dossier le plus connu. J’ai trouvé intéressant de convoquer, pendant cette période de lutte contre l’apartheid, un comité de ministres des Affaires étrangères de l’ensemble du Commonwealth, mais aussi d’éminents ministres des Affaires étrangères d’Afrique. Comme vous pouvez l’imaginer, la dynamique dans ce genre de circonstances n’est pas toujours facile.

La première réunion, que j’ai eu la folie de convoquer après un cocktail, a failli être interrompue parce que le ministre zimbabwéen des Affaires étrangères de l’époque s’en était pris au ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni. Il a fallu un certain temps pour calmer le jeu. Les autres réunions se sont toujours déroulées avant les cocktails, mais ce qui est intéressant, c’est qu’un véritable sens du respect et, je dois le dire, de la modération est apparu au cours de ces discussions. Nous avons constaté que des questions apparemment impossibles à aborder sérieusement, sans parler de les résoudre, sont devenues plus faciles à aborder au fil du temps.

Je suis sûr que les diplomates professionnels, les gens qui font ce métier pour vivre, auraient bien d’autres situations de ce genre à raconter. Ils n’ont peut-être pas toujours eu à traiter avec des gens aussi peu commodes que j’en ai eu autour de cette table, mais ce qui m’a frappé, c’est qu’il y a eu, d’une part — et je sais que mes propos vont être consignés, mais cela remonte à assez longtemps — du soulagement, je pense, de voir que c’était le Canada et non le Royaume-Uni qui occupait la présidence. D’autre part, je pense qu’au fur et à mesure de nos travaux, nous avons beaucoup appris et nous avons pu définir de nombreux points sur lesquels l’ensemble du Commonwealth pouvait aller de l’avant.

Je n’ai rien d’un expert sur certains des sujets que vous traitez, et je ne suis pas non plus à jour, mais je me ferai un plaisir d’essayer de répondre à vos questions, et je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion d’être parmi vous.

Le président : J’aimerais souligner que la sénatrice Salma Ataullahjan, de l’Ontario, s’est également jointe à nous.

[Français]

Chers collègues, j’aimerais préciser que vous disposez de quatre minutes pour le premier tour, incluant les questions et réponses.

Je demande donc aux sénateurs et aux témoins d’être concis. Nous pourrons toujours avoir un deuxième tour, si le temps nous le permet.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Monsieur Clark, c’est un plaisir de vous accueillir parmi nous aujourd’hui. Je dirai à mes collègues qu’il a été mon premier employeur. J’ai quitté l’université en 1978 pour aller travailler à Ottawa et j’ai fini par travailler au bureau de recherche de l’opposition officielle. C’était il y a 43 ans, monsieur Clark, et nous sommes ici aujourd’hui, alors regardez ce que vous avez fait.

J’aimerais vous parler d’un aspect relativement actuel de votre carrière. En 2020, vous avez été nommé envoyé spécial pour soutenir la candidature du Canada au Conseil de sécurité des Nations unies. À ce titre, vous avez rencontré les dirigeants de plusieurs pays — le Bahreïn, le Qatar, l’Égypte, l’Algérie — afin d’aider le Canada à obtenir ce siège. Bien entendu, plusieurs de ces pays ne sont pas des démocraties. En fait, plusieurs d’entre eux répriment les droits de la personne, et il y a probablement de nombreux membres de l’ONU qui font partie de cette catégorie.

Je voudrais que vous nous parliez des compromis qu’ils attendaient de vous ou que vous pensiez que nous devions faire pour obtenir le soutien de ces pays, tout en restant fidèles à nos principes. Quels sont les problèmes inhérents dont vous avez été témoin ou que vous avez observés et qui ont joué contre notre candidature au Conseil de sécurité?

M. Clark : Merci, sénateur. Je ne pense pas qu’il s’agissait de problèmes de politique ou de substance. Je dois dire que nous constatons tous, lorsque nous traitons avec l’étranger, que nous avons affaire à des états d’esprit et à des priorités politiques très différents des nôtres. Il ne faut presque jamais laisser cela nous éloigner de la table des négociations.

Bien que j’aie été très poliment accueilli lors de ces missions, je ne pense pas que nous ayons obtenu la moindre voix ou le nombre critique de voix lorsque le moment est venu de voter. J’ai été très bien accueilli, et je dis cela sans aucune référence à ma personne. Je pense que c’était en raison de mon parcours et de ce que j’avais fait plutôt qu’en raison d’une question d’actualité. Les pays visités sont normalement polis à l’égard des missions de ce type.

D’une part, nous avions posé notre candidature tardivement, ce qui a joué sur les résultats. D’autre part, je pense que le statut dont jouissait le Canada parmi les autres pays qui nous avaient élus dans le passé avait disparu lors de ce dernier cycle. C’est une question qui doit être considérée très sérieusement; il faut s’y pencher. Vous devez entendre d’autres témoins que moi, d’autres opinions que les miennes, mais je pense que c’est ce qui s’est produit. Franchement, je n’ai rien vu qui ait changé depuis, qui puisse donner à penser que ces circonstances seraient différentes.

Est-ce important? Se porter candidat à des élections n’a pas beaucoup d’importance, mais qu’est-ce que cela révèle? Cela signale que le type d’instinct de coopération, voire de confiance, et le sentiment que nous serons entendus, ce que j’ai eu la chance de connaître — pas toujours, mais souvent — au cours de mon mandat de ministre des Affaires étrangères, ne sont peut-être pas aussi forts qu’ils devraient l’être aujourd’hui.

Le sénateur MacDonald : Merci.

Le sénateur Harder : Soyez le bienvenu, monsieur Clark. Je voudrais vous permettre d’en dire un peu plus sur votre influence en coulisses.

Les fils cachés de l’influence en politique étrangère sont souvent les relations, et les relations prennent du temps et de la profondeur. L’un des défis évoqués est que nous devrions avoir des priorités, nous devrions être davantage concentrés en tant que pays. Lorsque l’on se concentre, on perd une grande partie du monde, alors que c’est peut-être là que se présentent les possibilités d’influence ou que se posent les défis d’une crise.

Pourriez-vous nous parler un peu des fils cachés? Vous avez parlé dans le passé de l’importance de cultiver le jardin des relations étrangères, et j’aimerais que vous vous y attardiez un peu. Je vous remercie.

M. Clark : C’était le principe de fonctionnement de George Shultz lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères des États-Unis, ce qui est étrange, puisqu’il était ingénieur et républicain — étant donné les stéréotypes associés aux républicains —, mais il y travaillait de façon très minutieuse et il s’assurait que certaines conversations soient très informelles. Elles étaient très productives.

Je ne sais pas avec combien de pays elles ont eu lieu. Elles ont commencé avec le ministre canadien de l’époque, Alan MacEachen. Elles faisaient partie intégrante du processus. Elles étaient exceptionnellement importantes parce que bien que nous entretenions des relations avec les États-Unis, ils ne pensent pas souvent à nous. Dans ce cas-là, les deux côtés avaient dû être informés des enjeux en cours, ce qui signifiait que les questions qui stagnaient peut-être au Département d’État s’étaient rendues jusqu’en haut.

C’était le cas des États-Unis.

Comme vous le savez, ce qui est difficile dans le cadre des contacts avec les collègues étrangers, c’est qu’ils sont occasionnels par nature. Ils vont et viennent. Ce que je veux dire, c’est que nous entrons et sortons d’un même pays, d’un même type d’environnement. Les conversations durent parfois plus longtemps. Certaines amitiés se développent, et sont exceptionnellement précieuses.

Je crois que vous devriez aborder la question avec des agents du service extérieur, qui ont une plus grande expérience que moi en la matière.

Je fais aujourd’hui partie de quelques organisations qui tentent de profiter du savoir des personnes qui ne sont plus dans la fleur de l’âge... disons-le ainsi. C’est notamment le cas de la Global Leadership Foundation, qui a été créée par le regretté F.W. de Klerk. De nombreuses personnes — moi-même compris — avaient eu de la difficulté à se joindre à une organisation qu’il présidait. Nous en sommes toutefois venus à la conclusion qu’il avait contribué à l’élimination d’un régime qu’il avait entretenu, et qu’il était très ouvert d’esprit.

Nous avons tenté de faire venir des gens des bureaux officiels — d’anciens ministres — et des gens qui s’étaient illustrés dans leur pays dans certains dossiers portant sur des politiques internationales. Nous avons voulu échanger avec les chefs des gouvernements, habituellement ceux des pays en développement, qui pourraient accueillir favorablement les conseils d’autres personnes ayant fait face aux mêmes enjeux.

La participation n’a pas été aussi importante que prévu, mais ces échanges se sont avérés utiles dans plusieurs cas au cours de mes 10 à 12 années au sein de ces organisations. Ce qui est encore plus intéressant, c’est la camaraderie qui s’est développée entre les personnes qui ont été au pouvoir — bien qu’à des époques différentes —, mais qui ne s’étaient pas très bien entendues avant; c’est donc très utile.

Je dois dire qu’il s’agit d’un processus continu, qui pourrait s’avérer un échec, mais je crois qu’il faudrait plus d’occasions du genre. Il y a d’autres exemples en ce sens.

Le président : Merci, monsieur Clark. Je dois vous interrompre, parce que vous avez dépassé les quatre minutes qui étaient prévues. Cela risque d’arriver de temps en temps. Je m’en excuse à l’avance. Il est difficile pour moi de vous interrompre, surtout parce que vous avez été mon ministre à une certaine époque.

La sénatrice M. Deacon : Nous vous remercions, monsieur Clark, de vous joindre à nous aujourd’hui. Vous nous transmettez d’excellents renseignements sur nos services extérieurs.

Vous avez dit plusieurs choses dans votre déclaration préliminaire. Vous avez parlé de confiance, de respect, du temps que vous avez passé dans ces fonctions et de l’importance des conversations ou des interactions en personne... même lorsqu’on est assis à la table et que l’on n’influe pas la conversation. Je crois que tous ces éléments mènent à une culture de confiance et de respect.

Il est essentiel de comprendre notre passé. Les témoins que nous avons entendus jusqu’à maintenant nous ont beaucoup parlé du risque de la pensée de groupe à Affaires mondiales et d’une culture générale d’aversion du risque. Je crois que les professionnels, surtout ceux de moins de 40 ans — et peut-être même ceux de moins de 30 ans — hésiteraient à parler contre le leadership de leurs supérieurs. Or, nous savons que c’est important, même dans le domaine de la diplomatie.

Bien que nous n’ayons pas toutes les réponses, j’aimerais connaître votre opinion sur la façon dont le service extérieur pourrait favoriser un environnement où les gens sont encouragés à parler, à partager leurs idées et à réagir au besoin.

M. Clark : Le mieux que je puisse vous offrir, c’est une anecdote.

Les représentants des Affaires extérieures et moi avions été convoqués au ministère de la Défense nationale pour une discussion sur ce qu’on a appelé la « Guerre des étoiles ».

Nous nous y sommes rendus. Les représentants du ministère de la Défense étaient assis à la première rangée et nous étions vers l’arrière. Nous sommes ensuite retournés au ministère — moi et les quatre ou cinq personnes qui m’accompagnaient — et nous avons fermé la porte. À ce moment-là, j’ai dit : « Il va falloir que vous m’aidiez. Cela me paraît insensé. » Il y a eu une pause, puis un représentant que je ne nommerai pas, mais avec lequel vous avez tous deux travaillé m’a dit : « Monsieur, c’est aussi insensé pour nous. » Nous avons ensuite discuté d’autres sujets. Le premier ministre était très intéressé et a participé activement à la conversation.

Le ministère des Affaires extérieures ne savait pas trop quoi penser de moi. On ne savait pas quoi penser du gouvernement progressiste-conservateur lorsque je suis arrivé. La rumeur voulait que mon défunt collègue Sinclair Stevens soit le ministre des Affaires étrangères. Je me souviens qu’au moment de mon assermentation, j’ai reçu un accueil tumultueux dans l’édifice Lester B. Pearson. Je comprenais que je n’étais pas le bienvenu. On avait réagi sans bien me connaître, mais c’était la situation dans laquelle nous nous retrouvions. Nous avons mis un certain temps, mais nous avons fini par la surmonter.

Je ne crois pas que la franchise ait été un problème à l’époque. On parle de la franchise en privé, dans une pièce où les rideaux sont tirés et où personne ne peut nous citer. Est-ce que c’est déjà arrivé par le passé? Non. Est-ce que j’ai fait de la magie? Non. Mais tout cela revient à un mot que vous avez utilisé : le respect. Je crois qu’il y avait un respect mutuel.

Il faut toutefois le gagner. J’ai pu réaliser certaines choses plus tard dans ma carrière de ministre des Affaires étrangères que je n’aurais pas pu faire au début. Aussi, sans égard à votre expérience, à vos connaissances ou à votre sagesse, lorsque vous devenez ministre des Affaires étrangères d’un pays comme le nôtre, vous savez que la plupart des gens dans la pièce en savent plus sur le sujet que vous. Je crois que la reconnaissance, qui va de soi, a probablement eu une incidence sur les gens qui me conseillaient.

Le président : Merci, monsieur Clark.

Le sénateur Ravalia : Nous vous remercions pour votre contribution à notre pays.

Étant donné votre vaste expérience en tant que politicien et homme d’État expérimenté et respecté, vous avez vu plusieurs itérations de la dynamique mondiale. Selon vous, avec la montée du populisme, de l’autocratie et le risque possible pour la démocratie, où se trouve la place du Canada dans le nouvel ordre mondial, surtout en ce qui a trait au rôle d’Affaires mondiales et à nos priorités? Vous avez parlé de l’Afrique. Pourriez-vous nous en dire plus de façon générale?

M. Clark : Je ne veux pas trop m’attarder sur ce que j’ai dit plus tôt au sujet de notre statut à titre de colonie, mais je crois que c’est assez pertinent, parce qu’il y a un manque de confiance inhérent à l’égard des pays qui ont connu les abus des maîtres coloniaux. Bien que nous ayons eu quelques écarts de conduite, notre bilan, notre histoire et notre comportement en tant que pays nous ont fait gagner des points à cet égard. Je crois qu’il s’agit d’un atout que le Canada doit préserver.

Est-ce que l’on doit se tenir loin de certains pays? Prenons la situation à l’inverse et songeons aux pays qui sont une source de problèmes pour d’autres ou qui pourraient l’être pour nous. Je crois qu’ils sont assez nombreux.

Je ne peux pas chiffrer la valeur de la Francophonie ou du Commonwealth pour nous. Je suppose que le Commonwealth, qui était le plus important, l’est peut-être moins aujourd’hui. Mais il n’est pas sans importance. Ces deux éléments représentent des occasions de prendre part à des discussions sur des sujets controversés, sur un pied d’égalité.

Il vaudrait la peine de creuser la question. Je crois que nous avons certains avantages naturels en raison de notre histoire et de notre conduite. Nous sommes fidèles à cette histoire et à cette conduite lorsque vient le temps d’aborder les différences ou les défis, ce qui représente un risque.

Le sénateur Ravalia : Merci.

Le sénateur Woo : J’aimerais que vous nous parliez un peu plus de l’importance de ce qui se passe en coulisse, et surtout que vous reveniez sur votre commentaire et vos observations au sujet des changements démographiques qui s’opèrent au pays depuis les années 1960.

Si vous me permettez une observation, je dirais que le changement n’a pas seulement trait à la composition de l’immigration. En effet, depuis les années 1980 et 1990, les immigrants qui arrivent au pays sont plus confiants, si je puis dire. Ils ont connu du succès dans leur pays et leur présence au pays est associée à d’autres qualités, si l’on veut.

Est-ce que vous dites que la politique étrangère du Canada n’a pas pleinement intégré et internalisé les changements démographiques et notre vision du monde? Est-ce que vous suggérez que nous passions d’une vision atlantiste à une vision plus globale? J’aimerais que vous nous donniez des précisions à ce sujet.

M. Clark : Je ne dirais pas que nous devons nous éloigner d’une vision atlantiste, mais nous n’avons d’autre choix que d’être plus présents ailleurs dans le monde.

J’ai été surpris de voir, sur le site de Statistique Canada, le pourcentage d’immigrants des îles britanniques et de la France. Je vais répondre à votre question du point de vue national et du point de vue international.

Nous connaissons les chiffres. Nous nous soucions des répercussions, mais nous ne posons pas assez de questions à ce sujet. Il faut le faire. Les risques sont nombreux. L’un d’entre eux est directement lié à la confiance — comme vous le dites — des gens qui viennent ici. Ils arrivent ici pour en apprendre au sujet d’un nouveau pays, mais pas au même titre que leurs ancêtres. Ils arrivent avec un ensemble d’opinions et d’aspirations, et une fierté de leur culture. Ils ne considèrent pas qu’ils sont un échec pour leur culture, au contraire.

Il faut déterminer si leurs réussites et leur culture peuvent avoir une incidence sur le pays que nous voulons devenir et sur ce que nous pouvons devenir. Je ne suis pas du tout expert dans ce domaine, mais il est possible de faire des gains réels en ce sens.

Que pensent les gens des immigrants? La plupart d’entre nous diront : « Mes arrière-grands-parents étaient immigrants, mais ils ne venaient pas de l’Asie. » C’est le cas de bon nombre de Canadiens « traditionnels ». Lorsqu’on pense à la période de près de 50 ans où nous n’accueillions pas les immigrants asiatiques, on comprend qu’il y avait un doute quant à notre capacité de travailler avec eux.

La principale source — ce n’est pas la seule, mais c’est la principale — du changement associé à l’immigration, c’est l’Asie. Nous devons présumer, comme nous l’avons fait pour les Irlandais et tous les autres, que les Asiatiques viennent au Canada pour devenir Canadiens. Toutefois, ils amènent avec eux certains éléments que personne d’autre n’a amenés.

Les Ukrainiens sont un peuple intéressant. Ils sont venus ici parce qu’ils pouvaient pratiquer l’agriculture. Ils n’étaient pas le premier choix du cabinet de M. Laurier; ses premiers choix étaient deux ou trois autres générations plus familières qui ne savaient pas quoi faire avec une pioche. Les Ukrainiens étaient de très bons agriculteurs, mais leur intégration au Canada a pris du temps. Tout n’est pas lié à l’Asie; il est aussi question d’autres langues et d’autres cultures.

Je parle trop et je le sais, mais c’est un sujet très important qui dépasse la politique étrangère et qui a une incidence sur ce que nous pouvons faire dans le monde.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Clark.

[Français]

La sénatrice Gerba : Bienvenue parmi nous aujourd’hui, monsieur le premier ministre. J’étais ravie de vous entendre parler de l’importance de l’Afrique. On le sait tous, vous l’avez dit, vous l’avez mentionné : à une certaine époque, le Canada était très présent en Afrique; son réseau diplomatique était très étoffé en Afrique. Le Canada menait une politique internationale active sur le continent par l’entremise de l’Agence canadienne de développement international (ACDI).

Je vous pose la question, monsieur le premier ministre : d’une part, comment expliquez-vous le retrait relatif du Canada du continent africain? D’autre part, que pouvons-nous faire pour que le continent africain redevienne une priorité pour le Canada?

M. Clark : Ma réponse sera plus précise en anglais, je m’excuse.

[Traduction]

M. Clark : Je comprends la question, mais j’ai de la difficulté à formuler une réponse.

Allez-y.

La sénatrice Gerba : Oui. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi le Canada n’assure plus une présence en Afrique? Que peut faire le Canada pour assurer une présence sur ce continent, qui représente 54 votes aux Nations unies?

M. Clark : Les priorités des autres régions sont devenues plus importantes. C’est en partie pour des raisons économiques, puisqu’il y a plus d’avantages à tirer des relations avec les autres régions du monde.

Il faut aussi songer aux façons plutôt excentriques dont nous avons affirmé notre présence en Afrique au départ. À moins que je ne me trompe, au moment de la formation de l’ACDI, le gouvernement ne prévoyait pas délibérément de passer autant de temps en Afrique. En fait, je crois qu’il s’agissait d’une bonne idée qui avait été adoptée sans avoir été bien étudiée, et qu’on cherchait des endroits à explorer. Paul Gérin-Lajoie, le fondateur de l’ACDI, avait décidé que l’agence consacrerait 60 % de son temps à l’Afrique parce que le continent offrait de réelles possibilités. Il y a certainement eu d’autres facteurs... des liens avec le Canada, dont certains étaient religieux. Or, cela s’est avéré être un accident heureux, dont nous avons pu tirer profit.

Bon nombre des personnes que j’ai rencontrées, les leaders des pays africains de la lutte contre l’apartheid, étaient les privilégiés de leurs pays, pour être honnête. Je les ai rencontrés. Ils ont pu exercer leur influence parce qu’ils avaient étudié à Oxford ou dans d’autres établissements de prestige. Ils avaient appris à connaître d’autres mondes, dont le Canada. Ils savaient comment nous approcher. Ils comprenaient nos réserves.

D’une certaine façon, ce sont tous des accidents liés à d’autres événements. Je ne suis pas sûr qu’il y ait eu une politique délibérée formulée par le Canada pour déterminer son rôle en Afrique. C’est arrivé. C’était inestimable. On nous a fait confiance et nous avons des atouts. La question ici n’est pas tant de regarder en arrière et de se demander ce qui a mal tourné que d’examiner ce qui s’est réellement passé. À quoi pensait Paul Gérin-Lajoie quand il a agi de la sorte?

Ensuite, à la lumière de ce que nous savons à l’heure actuelle, nous devons examiner où les atouts dont nous disposons et ceux qui existent en Afrique peuvent s’unir. Je ne pense pas que l’on accorde suffisamment d’attention à cela. C’est trop commercial et trop nostalgique parfois. Quand je dis « trop commercial », je ne dis pas que le volet commercial doit être mis de côté, pas du tout. Je pense que les intérêts de certains Canadiens qui font du commerce ont été plus tenaces que ceux de certains Canadiens diplomates.

Le président : Merci, monsieur Clark. Nous devons poursuivre.

M. Clark : Désolé, monsieur le président.

La sénatrice Coyle : Monsieur Clark, nous sommes absolument ravis que vous soyez des nôtres.

J’ai vécu en Afrique australe sous le régime de l’apartheid. Ma fille la plus jeune porte le nom d’une réfugiée sud-africaine qui vivait au Botswana avec nous. Votre travail et le travail de votre gouvernement étaient essentiels, et je veux simplement vous rendre hommage aujourd’hui. Cela a changé la donne, et pour le mieux. Je vous remercie.

Quand j’ai débuté ma carrière au Botswana en 1980, je ne travaillais pas pour l’ACDI, mais l’ACDI appuyait le travail. L’ACDI était une agence distincte. L’ACDI, comme vous le savez, est maintenant intégrée.

Lorsque vous dirigiez le ministère des Affaires extérieures, il ne relevait pas de vous, mais vous aviez clairement des relations très viables, alors la première question que j’ai pour vous porte sur l’intégration du rôle de développement au sein d’Affaires mondiales Canada et sur les avantages ou possiblement les inconvénients qu’il présente.

Vous avez dit à quel point l’expérience acquise au sein du ministère des Affaires extérieures pendant votre séjour vous a été utile. Une grande partie de cette expérience provenait de personnes qui avaient vécu et travaillé à l’étranger, de manière très significative, à un niveau très subalterne. Pourriez-vous nous parler de l’importance de cette expérience et de sa pertinence pour le service extérieur d’aujourd’hui?

M. Clark : Oui. L’expérience du travail à l’étranger est très importante dans tout cela. Dans la mesure où il peut s’agir d’une expérience sur le terrain, c’est mieux.

Je ne suis pas un expert de ce qui est arrivé à l’ACDI, mais j’étais conscient, à l’époque de son déclin, qu’elle était en train de décliner. Je ne pensais pas que cette respiration artificielle allait la faire renaître. Je ne peux pas vraiment faire d’observations à ce sujet.

Je pense que nous voulons examiner les instruments contemporains qui peuvent légitimement engager les intérêts canadiens et ceux des pays africains. C’est possible, mais il faut de la volonté et une orientation. Il ne faut pas être nostalgique.

La sénatrice Coyle : Une question que j’ai posée à l’ancien ministre Baird, qui était ici il y a deux semaines, portait sur la durée du mandat du ministre. Au cours des dernières années, nous avons assisté à un roulement important de ministres des Affaires étrangères. Je suis curieuse de savoir ce que vous en pensez. Vous avez vous-même eu un long mandat. Quels en sont les avantages ou les inconvénients, selon vous?

M. Clark : Je pense que la durée du mandat présente un avantage important. Je pense que le mandat peut durer trop longtemps. Mais le principe est là. Cela s’applique probablement à d’autres domaines que seulement Affaires mondiales.

À Affaires mondiales, la confiance doit être instaurée. Il y a une connaissance qui doit être acquise. Vous avez vécu au Botswana; je suis originaire de High River. Il y a une grande différence. J’ai eu beaucoup à apprendre. Presque tous les ministres qui arrivent en poste ont beaucoup à apprendre.

Pour revenir à l’époque où j’étais ministre, je ne saurais exagérer l’importance de la confiance et de la volonté de travailler ensemble qui se sont instaurées à mesure que je m’installais dans ce qui était alors le ministère des Affaires extérieures. Bien que cela me concernait en partie, c’était surtout lié à un sentiment de capacité canadienne qu’il fallait définir et appliquer.

Le président : Merci, monsieur Clark. Je voulais vous rappeler que votre mandat a duré sept ans. C’est presque un record.

Chers collègues, nous avons deux autres membres du comité qui souhaitent poser des questions. Nous allons les entendre, puis nous recevrons trois sénateurs invités qui souhaitent également poser des questions. Ce que je propose de faire avec les sénateurs invités, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, c’est de regrouper ces questions pour que M. Clark puisse fournir une réponse plus complète.

La sénatrice Boniface : Merci, monsieur Clark. C’est un plaisir de vous revoir. Merci de votre service à notre pays.

Je voulais connaître votre point de vue sur le rôle que le secteur privé peut jouer pour optimiser les intérêts du Canada, et je l’envisage dans le contexte de l’Afrique, car c’est là où j’ai acquis mon expérience. Il me semble que les partenariats et les promotions au nom du secteur privé canadien se sont affaiblis et ont fait des vagues selon les priorités du gouvernement.

Par ailleurs, j’ai travaillé aux Nations unies et j’ai toujours été impressionné par la façon dont la Norvège, en tant que petit pays, se démarque. Je me demande quelles observations vous auriez faites à l’époque sur les pays de plus petite taille, et ce qui fait la différence pour eux. Je vous remercie.

M. Clark : Il y a quelque chose. Je ne peux pas essayer de le définir, mais je ne pense pas que cela fasse partie du passé. Cela vaudrait la peine de dresser une liste de ces pays et de travailler délibérément avec eux.

Le secteur privé a changé. Lorsque j’ai lancé la campagne de lutte contre l’apartheid, je me suis heurté à l’opposition la plus féroce de la part des entreprises canadiennes, qui estimaient que ce n’était pas ce qu’elles devaient faire, mais il s’agissait d’une tendance mondiale. Il y avait très peu de discussions sur ce que le secteur privé devait faire.

Il se trouve que maintenant que je préside une organisation, je préside le conseil de surveillance du Meridiam Infrastructure Africa Fund, qui a une quinzaine de projets importants de Meridiam. Nous sommes une société de mission de droit français et nous avons un statut équivalent aux États-Unis. Nous considérons sciemment que notre rôle n’est pas purement économique ou commercial. Nous sommes assez bons en tant que société commerciale, mais il y a ce rebondissement qui est essentiel pour notre avenir. Nous ne sommes pas les seuls, et je pense qu’il devrait y avoir des exemples qui mériteraient d’être étudiés. Qui sont les sociétés en mission en France? Qui sont les entreprises en mission aux États-Unis? Qu’est-ce qui leur confère ce statut? Quelle incidence supplémentaire cela a-t-il précisément dans les termes que vous évoquez?

La sénatrice Coyle : Je voudrais juste revenir sur le sujet de la Norvège. Pourriez-vous me citer d’autres pays que vous considériez comme semblables pour ce qui est de se démarquer?

M. Clark : Je n’ai pas réfléchi à cette question depuis un certain temps et je veux être à jour. Il y aurait d’autres pays dans la région. La Norvège a été un chef de file, et je n’en connais pas toutes les raisons. Il doit s’agir de pays qui ont le luxe de s’engager dans certains de ces dossiers. Je ne pense pas pouvoir répondre à cette question.

Le président : Je vous remercie. J’ai fait une erreur, et c’est que la sénatrice Martin est ici au nom du sénateur Housakos. Elle est une participante à part entière.

Le sénateur Greene : Merci beaucoup. Nous sommes ravis de vous avoir parmi nous. J’aimerais que vous commentiez brièvement — bien que la réponse exige une explication beaucoup plus longue — la situation internationale actuelle.

Nous avons survécu avec succès au monde bipolaire des années 1950, 1960 et 1970. Nous avons traversé une période de Pax Americana dans les années 1990, notamment. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une situation tout à fait nouvelle, que nous n’avons jamais vue auparavant, à moins que ce ne soit il y a 150 ans, à la suite du Congrès de Vienne, ou à un autre moment de ce genre. À cela s’ajoutent les complications liées aux changements climatiques, et cetera. Je me demandais si vous pouviez nous faire part de votre expérience pour gérer ce type de problèmes et nous dire dans quelle voie nous nous engageons.

M. Clark : Je serai très pessimiste à ce sujet, car je le suis. Je pense que nous sommes confrontés à des problèmes assez graves et que cela s’explique en partie par le fait que certaines des alliances nées de circonstances particulières s’étiolent aujourd’hui parce que les circonstances ont changé.

Nous nous réjouissons tous de la diffusion d’Internet et du fait que nous encourageons les gens à exprimer leur point de vue, mais il est très difficile de prendre des décisions difficiles. L’atmosphère publique qui entoure les relations de gouvernement à gouvernement est de plus en plus difficile pour nous tous. Cela me préoccupe.

Nous devons nous rappeler que la force du Canada a été — on ne pourrait pas énumérer 15 choses que le Canada a bien faites, ce que le Canada a fait quand il était efficace. Quand il faisait preuve d’efficacité, le Canada a adopté un état d’esprit pour être prêt à participer avec les autres et à tenir compte de leurs réalités. Cet état d’esprit n’est pas très répandu. Nous pouvons jouer un certain rôle à cet égard.

Je tiens à préciser que nous nous rangeons d’un seul côté sur certaines des questions qui sont en place. Nous devons rester là. Je suis très préoccupé par les conflits dans le monde, par le fait qu’ils prennent de l’ampleur, qu’ils peuvent être contagieux et qu’ils pourraient devenir le mode de vie des nouvelles générations.

Le président : Je vous remercie. Le temps est presque écoulé. Sénatrice Martin, vous poserez la dernière question. Je m’excuse auprès des deux sénateurs invités. Nous allons accueillir un autre groupe de témoins sous peu.

La sénatrice Martin : Merci, monsieur le président. Je suis très heureuse de vous voir, monsieur Clark. Je sais que Leo Housakos entretient des relations de longue date avec vous.

Ma question concerne le témoignage de John Baird. Lorsqu’il a comparu devant le comité il y a deux semaines, il a évoqué la nécessité d’accorder plus d’attention et d’importance à la politique commerciale, à la politique diplomatique et à l’aide au développement afin d’obtenir une plus grande incidence. Je suppose que la capacité militaire serait également un élément important, en particulier dans le monde conflictuel actuel.

L’Australie est un bon exemple. Sa politique étrangère est ciblée et beaucoup plus régionale que la nôtre. Pensez-vous que notre politique étrangère devrait être plus ciblée? Devrions-nous en faire moins dans certaines régions du monde et plus dans d’autres, en fonction de ce qui se passe dans le monde à l’heure actuelle?

M. Clark : C’est une bonne façon de poser la question, car souvent, si nous voulons faire plus dans un domaine, nous devons faire moins dans d’autres, même si ce n’est pas forcément un jeu à somme nulle.

Faut-il mettre l’accent sur quelque chose? Oui. Je ne pense pas que nos problèmes pour nous concentrer sur une priorité soient liés à l’endroit où nous exerçons nos activités, mais plutôt à notre façon d’exercer nos activités. Je pense que nous élaborons de plus en plus une politique étrangère de déclaration plutôt qu’une politique étrangère de changement réel. Je pense que cela fait partie du symptôme de notre époque, mais nous sommes plus avancés que la plupart des autres pays pour ce qui est de succomber à ce système, et je pense que c’est un problème auquel nous devons faire face.

Je pense qu’une partie de l’objectif de votre comité est de déterminer où il faut mettre l’accent, et je pense que c’est approprié.

Le président : Je vous remercie. Chers collèges, je vous invite à vous joindre à moi pour remercier le très honorable Joe Clark de sa présence parmi nous.

Des voix : Bravo!

(La séance est levée.)

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