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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 8 février 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 31 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, les intérêts et l’engagement du Canada en Afrique.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

Le président : Bonjour, honorables sénateurs. Je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité des affaires étrangères et du commerce international.

Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec. Bienvenue.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Bienvenue à tous. Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur McNair : Je vous souhaite la bienvenue. John McNair, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface de l’Ontario.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice M. Deacon : Je vous souhaite la bienvenue au Sénat. Marty Deacon, de l’Ontario.

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

Le président : Je souhaite la bienvenue à tous nos témoins ainsi qu’à tous ceux qui, dans les différentes régions du pays, nous regardent aujourd’hui sur SenVU.

Chers collègues, nous nous réunissons pour poursuivre notre étude spéciale sur les intérêts et l’engagement du Canada en Afrique. Comme hier, nous allons traiter aujourd’hui de développement international dans le cadre de la Semaine du développement international qui se déroule cette année du 4 au 10 février.

Pour la première partie de notre réunion, nous avons le plaisir d’accueillir les représentants d’Affaires mondiales Canada. Nous recevons ainsi M. Christopher MacLennan, sous-ministre du Développement international; Mme Cheryl Urban, sous-ministre adjointe, secteur de l’Afrique subsaharienne; M. Marcel Lebleu, directeur général, Direction générale de l’Afrique de l’Ouest et centrale; Mme Caroline Delany, directrice générale, Direction générale de l’Afrique australe et de l’Est; et Mme Susan Steffen, directrice générale, Direction générale panafricaine.

Je vous souhaite la bienvenue au Sénat. Je pense que vous nous avez tous déjà visités à un moment ou à un autre, et nous sommes ravis de vous revoir.

Je tiens également à souligner que le sénateur Cardozo, de l’Ontario, et le sénateur MacDonald, de la Nouvelle-Écosse, viennent tout juste de se joindre à nous.

Avant d’entendre vos observations et de passer aux questions des sénateurs, je demanderais aux membres du comité ainsi qu’aux témoins de veiller à ne pas se pencher trop près de leur microphone ou à retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Vous éviterez ainsi de créer un effet larsen qui pourrait causer des préjudices au personnel du comité et, bien sûr, à nos interprètes qui font leur excellent travail habituel.

Nous passons maintenant aux observations préliminaires qui seront suivies des questions des sénateurs.

Monsieur le sous-ministre, vous avez la parole.

Christopher MacLennan, sous-ministre du Développement international, Affaires mondiales Canada : Je vous remercie, sénateur. C’est formidable d’être de retour parmi vous, surtout pendant la Semaine du développement international.

Je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole au nom du ministre du Développement international, Ahmed Hussen, et je vous souhaite une bonne Semaine du développement international. Le ministre regrette que son horaire ne lui ait pas permis de comparaître devant vous aujourd’hui. Je crois d’ailleurs qu’il est à Regina aujourd’hui.

Cette étude de votre comité arrive à point nommé, car le ministère est en plein processus de réflexion stratégique quant aux moyens à mettre en œuvre pour faire avancer les intérêts du Canada dans le cadre de notre engagement pour le développement de l’Afrique.

L’Afrique a un potentiel colossal. Dans moins de 30 ans d’ici, l’Afrique comptera le quart de la population mondiale. Pour ce qui est de la population en âge de travailler, ce continent enregistrera la hausse la plus rapide à l’échelle planétaire, avec une augmentation nette projetée de 740 millions de personnes.

[Français]

Les ressources africaines abondantes sont essentielles à la transition vers une économie verte et à la santé de la planète.

L’Afrique abrite 30 % des minéraux essentiels, 60 % du potentiel d’énergie solaire, 25 % de la biodiversité mondiale et un potentiel de capture du carbone plus important que celui de l’Amazonie.

[Traduction]

Pas moins de 54 des 55 pays africains ont signé l’accord établissant la Zone de libre-échange continentale africaine, ou ZLECA, qui touche 1,3 milliard de personnes et pourrait faire augmenter le PIB de 3,4 billions de dollars américains au cours des années à venir.

[Français]

En même temps, il est indéniable que les progrès de l’Afrique sont souvent entravés par des défis constants et complexes.

Dans les conditions actuelles, la plupart, sinon la totalité des pays les moins avancés du monde se trouveront en Afrique à compter de 2030.

[Traduction]

Dans un contexte où les dettes nationales sont beaucoup trop élevées, la détérioration de la démocratie, les conflits, les infrastructures déficientes et une conjoncture financière défavorable font en sorte qu’il devient extrêmement difficile de réaliser des gains aux fins du développement durable.

Le manque de compétences commerciales et de perspectives d’emploi mine considérablement la capacité du continent à tirer parti de ses avantages démographiques.

Le changement climatique et les problématiques liées à la paix et à la sécurité continuent à accentuer la vulnérabilité, surtout des femmes et des jeunes, ce qui met encore davantage en péril l’avenir des jeunes Africains.

Le fardeau encore élevé que font peser différentes maladies, exacerbé par les faiblesses des systèmes de santé, fait en sorte que les taux de mortalité maternelle et infantile en Afrique demeurent les plus élevés au monde.

[Français]

L’Afrique a besoin d’investissements pour exploiter le potentiel de ses ressources naturelles, pour former et perfectionner sa jeunesse dynamique, pour développer des infrastructures durables et adaptées au climat et pour répondre aux besoins fondamentaux, notamment en matière de santé, d’éducation et de sécurité alimentaire.

En Afrique et dans le monde entier, le Canada est et restera un chef de file et un partenaire de confiance en matière d’égalité des sexes et d’approches féministes. Avec la Politique d’aide internationale féministe du Canada, nous avons placé l’égalité des sexes et l’autonomisation de toutes les femmes et des filles au cœur de nos efforts d’aide internationale, car il s’agit du moyen le plus efficace de favoriser un monde plus pacifique, plus inclusif et plus prospère.

[Traduction]

Le Canada s’est engagé à accroître son financement de la santé mondiale entre 2020 et 2030. Cet engagement de 10 ans devait faire passer notre contribution moyenne à 1,4 milliard de dollars par année en 2024. Il s’agit de l’engagement sectoriel le plus important et le plus long du Canada aux fins de l’aide au développement international. En 2021-2022, les deux tiers de ces investissements en santé ont été dirigés vers l’Afrique subsaharienne.

[Français]

Le Canada est, depuis longtemps, engagé dans le soutien à l’éducation en Afrique. L’éducation est un droit de la personne et une des clés de l’égalité des sexes, de la paix et de la prospérité économique. Nous avons fait la promotion de l’accès à des possibilités d’apprentissage de qualité inclusives, équitables et de longue durée pour les filles, les adolescentes et les femmes, particulièrement celles qui vivent dans des régions touchées par des conflits et des crises.

Nous écoutons activement et faisons évoluer notre engagement avec les pays et les institutions d’Afrique afin de refléter le besoin exprimé par le continent de redéfinir nos relations à long terme, tout en continuant de travailler ensemble pour relever les principaux défis sur le continent.

[Traduction]

Nous obtenons des résultats significatifs en Afrique grâce à notre présence sur le terrain dans 18 pays, aux programmes régionaux et multilatéraux, ainsi qu’à nos précieuses relations de longue date avec des partenaires de la société civile canadienne. Vous allez d’ailleurs accueillir tout à l’heure les représentantes de deux de ces partenaires importants, soit notamment Kate Higgins de Coopération Canada, et Julie Delahanty du Centre de recherches pour le développement international, ou le CRDI.

Voici quelques exemples des répercussions de nos efforts de développement. Au Ghana, l’an dernier, près de 240 000 adolescents et adolescentes ont eu accès, grâce à l’appui du Canada, à des services de santé sexuelle et reproductive de qualité, y compris pour la planification familiale et les enjeux sexospécifiques. Lorsque les femmes ont la possibilité de déterminer elles-mêmes le moment où elles veulent avoir des enfants et le nombre d’enfants qu’elles auront, elles peuvent poursuivre leurs études plus longtemps, aspirer à une rémunération plus élevée, mieux résister à l’insécurité alimentaire et être mieux aptes à décider de leur propre avenir.

Au Kenya, nous avons aidé plus de 1 000 femmes, y compris des jeunes et des handicapées, à jouer un rôle actif dans la direction politique et la prise de décisions, ce qui leur a permis de faire valoir plus facilement leurs besoins et leurs intérêts à titre d’électrices, de candidates, de gestionnaires et de sympathisantes d’un parti.

Grâce à un partenariat du Canada avec l’organisation Trademark Africa, plus de 170 000 femmes d’affaires et agricultrices ont été mises en contact avec de nouveaux marchés et débouchés commerciaux. Près de 23 000 femmes se livrant au commerce transfrontalier ont ainsi pu structurer officiellement leurs activités et augmenter considérablement leurs ventes dans des milieux où l’extorsion et la violence sexuelle ne sont désormais plus la norme.

L’aide humanitaire internationale du Canada est aussi un élément clé de notre engagement en Afrique. Dans différentes situations où la vie d’êtres humains était en danger sur le continent africain, le Canada a versé 452 millions de dollars par l’entremise de partenaires humanitaires dignes de confiance en 2021-2022. Dans une conjoncture où les besoins d’aide humanitaire ne cessent de croître en Afrique comme dans le reste du monde, le Canada maintient sa contribution.

C’est ainsi que nous continuons à travailler avec nos partenaires afin de nous attaquer aux causes profondes de la pauvreté et des inégalités en Afrique et d’appuyer les efforts des institutions et des pays africains aux fins du développement durable. Nous allons apporter notre collaboration dans le cadre de partenariats novateurs dans le but de renforcer les capacités de nos partenaires africains pour qu’ils soient mieux aptes à remédier aux problèmes urgents du taux de chômage élevé chez les jeunes, de l’inégalité entre les sexes et de l’insécurité alimentaire tout en répondant aux besoins de leurs populations respectives.

Je vais m’arrêter là pour l’instant.

[Français]

Le président : Merci, monsieur le sous-ministre.

Chers collègues, j’aimerais vous préciser que vous disposez de quatre minutes maximum chacun pour la première ronde de questions, y compris les questions et les réponses. Je demande donc aux sénateurs et aux témoins d’être concis. Nous pourrons toujours tenir une deuxième et peut-être une troisième ronde, si le temps le permet.

[Traduction]

Sénateur McNair, vous êtes des nôtres pour la première fois à titre d’observateur. Vous avez aussi le droit de poser une question. Comme c’est l’usage, vous pourrez le faire une fois que les membres du comité auront eu l’occasion d’en faire autant.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie de votre présence aujourd’hui. Nous vous en sommes très reconnaissants. Je dois vous dire que nous avons eu droit hier à des témoignages fort intéressants.

Il y a deux ou trois points que je souhaiterais aborder avec vous. Au sein du prochain groupe de témoins, nous allons accueillir les représentantes de Coopération Canada, une coalition qui a travaillé avec Affaires mondiales Canada afin d’élaborer une stratégie visant à revigorer nos relations avec les nations africaines. Dans son document, L’avenir de l’engagement du Canada en Afrique, la coalition recommande de collaborer de plus près avec la société civile en Afrique aux fins du développement.

Dans le cadre de vos fonctions, vous représentez le gouvernement du Canada. Je serais portée à croire que certains gouvernements africains ne sont pas nécessairement chauds à l’idée de voir Affaires mondiales Canada travailler avec des organisations dont les principes et les prises de position ne vont pas dans le sens de ces politiques. Je me demande donc comment vous vous y prenez exactement. Vous arrive-t-il de faire appel à des ONG ou à d’autres groupes canadiens pour servir d’intermédiaires? Comment pouvons-nous composer avec cette réalité?

M. MacLennan : Il est vrai que, partout dans le monde, nous avons recours à de multiples partenaires pour offrir notre aide au développement. Cette façon de procéder s’explique tout simplement du fait qu’il y a, dans chacun de ces pays, une multitude de circonstances qui font en sorte que ces partenaires locaux ont un rôle de premier plan à jouer dans la détermination des avenues à privilégier pour apporter notre aide.

Il y a des pays où nous avons établi des partenariats vraiment formidables. Nous essayons toujours de travailler dans le sens des plans nationaux déjà établis. Dans un contexte démocratique, nous estimons pouvoir appuyer la réalisation des plans mis de l’avant par le pays lui-même, et nous pouvons déployer à cette fin toute une panoplie de moyens, y compris le soutien budgétaire sectoriel. Dans les faits, nous pouvons verser des fonds, généralement par l’entremise d’un partenaire digne de confiance, directement aux pays concernés afin qu’ils puissent accomplir les choses qu’ils souhaitent réaliser.

Dans d’autres situations, nous devons nous en remettre à une brochette de partenaires un peu différente.

Dans tous les contextes au sein desquels nous travaillons, nous reconnaissons l’importance des acteurs locaux, des intervenants de la société civile et des efforts déployés à partir de la base pour faire changer les choses. C’est le type de partenariat qui sert d’assise à notre travail dans les différents pays du monde. Cependant, étant donné justement le genre de problématiques que vous soulevez, il y a des pays où il est plus facile de travailler que d’autres, et nous devons adapter nos formules de partenariat en conséquence.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie. J’ai une autre question d’un ordre complètement différent. Je voudrais que nous parlions de la planète et du changement climatique. Le Canada peut certes travailler auprès de l’Afrique non seulement pour aider ce continent à atténuer les effets du changement climatique, mais aussi pour dissuader ces économies émergentes de miser sur les combustibles fossiles pour alimenter leur croissance. Il y a en quelque sorte un sentiment d’injustice. On peut ainsi considérer que les pays de l’hémisphère Nord n’ont pas hésité à recourir aux combustibles fossiles pour en arriver à leurs fins. En revanche, si un continent de la taille de l’Afrique aspire à obtenir des résultats semblables avec les mêmes moyens, les impacts sur le climat seront catastrophiques. Nous ne pouvons pas nous contenter de demander à ces pays-là d’écologiser leurs activités économiques. Nous devons en faire davantage en les aidant à y parvenir.

Quelle forme cette assistance ou ce soutien pourrait-il prendre de votre part?

M. MacLennan : Je serai très bref, car je suis certain que nous aurons l’occasion de revenir à la question du changement climatique. Vous avez mis le doigt sur le véritable problème. L’Afrique subsaharienne, en particulier, n’émet pas de grandes quantités de gaz à effet de serre, mais n’en souffre pas moins des répercussions du changement climatique. La plupart de nos partenaires de l’Afrique subsaharienne demandent de l’aide pour s’adapter au changement climatique et composer notamment avec les sécheresses, les inondations et les phénomènes météorologiques extrêmes. Parallèlement à cela, nous reconnaissons tous que cet énorme potentiel dont j’ai parlé dans mes observations préliminaires, avec cette population en pleine croissance et cette économie émergente, doit être exploité de façon écologique. Il faut une combinaison...

Le président : Merci beaucoup, mais je vous ai déjà laissé quelques secondes de plus.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci et bienvenue. Ma question s’adresse à M. MacLennan. Vous avez vraiment bien présenté la présence actuelle et les engagements présents et futurs du Canada en Afrique. C’est impressionnant de vous entendre, d’autant plus qu’on ne le voit pas et qu’on ne le sent pas sur place. Hier, des témoins ont réclamé un engagement accru de la part du Canada.

À l’évidence, tout ce que vous faites en Afrique semble passer inaperçu.

Ma question a trait à la disparition de l’Agence canadienne de développement international (ACDI). L’ACDI représentait une signature du Canada; dans la nouvelle stratégie en préparation dans les différents ministères, sans retourner en arrière, ne croyez-vous pas qu’il devrait y avoir une espèce de signature du Canada pour l’aide au développement économique? Vous l’avez vous-même dit aujourd’hui : le potentiel de l’Afrique est énorme pour ce qui est du développement économique. Pourrait-il y avoir une forme de retour qui ne serait pas la même chose que faisait l’ACDI, mais qui serait une signature propre au Canada en Afrique?

M. MacLennan : Merci de cette question.

Je dirais d’abord que la fusion de l’ACDI avec Affaires mondiales Canada s’est produite il y a 10 ans. Cependant, nos efforts n’ont jamais cessé. Oui, l’ACDI a cessé d’exister, mais nos efforts en Afrique n’ont jamais cessé. En fait, la présence du Canada s’est accrue depuis plusieurs années en Afrique. Notre présence est visible; notre présence en matière de développement est là et notre aide s’accroît. Il est évident, par exemple, que la situation sur le continent évolue, et nous avons besoin d’évoluer selon ces nouveaux paramètres.

J’ai mentionné l’accord signé par 54 des 55 pays; c’est un événement clé pour l’avenir de l’Afrique. Nous-mêmes travaillons fort pour trouver des moyens de travailler avec l’Union africaine pour définir comment nous pouvons soutenir ces efforts, que ce soit directement avec l’organisation responsable, qui est l’Union africaine, ou avec les pays qui en font partie.

Nous progressons et nous croyons que ce partenariat va se poursuivre. La question de la visibilité de notre aide reste toujours un enjeu, que ce soit en Afrique, dans les Amériques, aux Caraïbes ou en Asie; nous travaillons très fort pour résoudre cet enjeu. Le ministre lui-même participe en ce moment à une tournée partout au Canada pour justement parler de tout ce qu’on fait dans le monde. C’est un travail de longue haleine, mais nous sommes présents.

La sénatrice Gerba : À l’époque de l’ACDI, un fonds d’investissement canadien avait été créé. Est-ce que ce ne serait pas une solution que ce fonds redevienne visible pour les entreprises, par exemple, qui souhaitent accompagner les efforts du Canada en Afrique?

M. MacLennan : Ce fonds était une belle innovation il y a 20 ans. En ce moment, nous avons deux autres mécanismes qui font plus ou moins la même chose. Il y a FinDev, qui est un outil de développement pour le financement. Cet organisme consacre une grande partie de ses fonds à l’Afrique. Il concentre ses efforts ailleurs dans le monde, mais aussi en Afrique. Nous disposons aussi de nouveaux outils au ministère qui nous permettent de faire le même genre de chose. Ils ne sont pas affichés comme étant des fonds d’investissement canadiens pour l’Afrique, mais ces outils existent toujours.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Encore une fois, je vous suis reconnaissante d’être de retour parmi nous. Je vous souhaite la bienvenue, et je vous remercie de votre travail.

Vous avez parlé de l’analyse de vos orientations à venir en Afrique. Vous avez décrit sommairement la situation sur ce continent et une partie du travail que vous y effectuez.

Pourriez-vous nous donner une idée des tendances quant aux investissements du gouvernement canadien? Vous pourriez-nous indiquer ce qui est en hausse ou en baisse du point du financement non pas sectoriel, mais bilatéral, multilatéral et par l’entremise de partenaires. Qu’est-ce que l’avenir nous réserve à ce chapitre? Quelles ont été les tendances jusqu’à maintenant, et à quoi faut-il s’attendre dorénavant?

M. MacLennan : Je n’ai pas les chiffres précis sous les yeux, mais je peux vous dire que les tendances sont relativement stables pour les différents types de partenariats auxquels nous avons recours en Afrique.

Nous consacrons une part importante de notre budget d’aide humanitaire à l’Afrique subsaharienne. Sans surprise, ce sont souvent les grands organismes multilatéraux qui sont les mieux placés pour répondre aux besoins d’ordre humanitaire.

Dans de nombreux autres endroits, ce sont des partenaires comme le Programme des Nations unies pour le développement, ou le PNUD, le Fonds des Nations unies pour l’enfance, l’UNICEF, et le Fonds mondial, qui, simplement en raison de leur taille et de leur structure, sont le mieux en mesure d’agir avec toute l’intensité que nous recherchons en Afrique.

Je ne connais pas les chiffres exacts pour l’Afrique, mais, année après année, des partenaires canadiens reçoivent environ le quart du financement d’Affaires mondiales Canada. Ils interviennent dans le monde entier. Ils n’ont pas le même rôle et agissent à un niveau différent, ce qui les amène souvent à intervenir plus localement en travaillant directement avec des partenaires locaux.

Les tendances sont relativement stables et découlent principalement de l’ampleur des activités que nous devons être en mesure de financer.

La sénatrice Coyle : Tout d’abord, j’aimerais savoir si vous vous attendez à ce que ces tendances restent stables. Deuxièmement, comment évaluez-vous votre capacité à répondre aux énormes demandes en matière d’aide humanitaire? L’augmentation des ressources qui, je l’espère, seront affectées à l’aide humanitaire a-t-elle pour effet de réduire le budget consacré au développement ou à d’autres aspects de l’enveloppe de l’aide internationale?

M. MacLennan : Je pense que les tendances resteront relativement stables. Il pourrait y avoir des changements d’un pays à l’autre et de légers changements au fil du temps, mais je présume que les tendances resteront stables parce qu’elles sont structurellement établies de cette façon.

Votre commentaire sur la demande en matière d’aide humanitaire est tout à fait juste. Les besoins humanitaires continuent de croître à un rythme presque exponentiel dans le monde entier, et l’Afrique ne fait pas exception. Cela exerce une énorme pression sur la plupart des budgets des organismes donateurs dans le monde.

Nous sommes relativement chanceux, car en raison de la structure du Canada et du fonctionnement de notre budget, les ressources supplémentaires, lorsqu’elles sont nécessaires, sont réellement en surplus.

Par exemple, certains de nos collègues européens s’engagent à l’égard d’un pourcentage donné et ce budget doit ensuite être affecté. Ces dernières années, en raison des réfugiés ukrainiens — en particulier en Europe —, ils ont été contraints de consacrer à d’autres enjeux des fonds provenant de leur budget d’aide publique au développement.

Lorsque nous avons augmenté l’aide humanitaire, nous avons puisé dans notre Compte de crises, un élément permanent de notre système de budgétisation qui nous permet d’accroître l’aide au besoin. Dans les cas où cela n’a pas fonctionné, nous avons reçu des fonds supplémentaires provenant du cadre financier.

Notre budget d’aide au développement est resté stable, et nous planifions nos activités en conséquence.

Le sénateur Cardozo : Pourriez-vous nous faire part de votre analyse de la présence de la Chine et de la Russie en Afrique? On a l’impression que leur présence s’accroît là-bas, tandis que celle de l’Occident n’est pas aussi importante ou même qu’il se retire un peu.

Pourriez-vous nous parler de la diversité au sein de votre personnel dans les programmes de développement international? Dans quelle mesure le personnel reflète-t-il les pays avec lesquels nous travaillons?

M. MacLennan : Votre première question est manifestement très pointue.

La Russie et la Chine sont toutes deux présentes en Afrique, où elles renforcent leur présence et accroissent leurs activités, probablement pour des raisons très différentes.

Depuis mai 2014, la Russie a exacerbé l’insécurité qui règne dans certains pays africains, en particulier au Sahel, et a profité de ces circonstances pour s’immiscer dans la situation politique de ces pays.

La Chine renforce sa présence en Afrique depuis très longtemps, par exemple par l’entremise de l’initiative la Ceinture et la Route, qui concerne en grande partie les intérêts de la Chine en matière d’investissements et les entreprises de construction qu’elle possède sur le terrain. Il s’agit en partie de capitaux publics et en partie de capitaux privés — s’il y a des capitaux privés en Chine communiste —, d’une certaine manière.

Ce processus est en cours depuis des années, mais il est en grande partie motivé par la même prise de conscience, à savoir la reconnaissance du fait que les pays du Sud, y compris l’Afrique subsaharienne, sont des acteurs mondiaux importants.

Les mêmes facteurs qui poussent le Canada à renforcer ses relations avec les pays africains et à accroître ses gains ont, bien franchement, encouragé la Russie et la Chine à faire de même. Nous devons le reconnaître et assurer notre propre présence.

En plus d’être sous-ministre du Développement international, je suis aussi le sherpa du Canada pour le G20. Le G20 est une table de discussion à laquelle je prends place. On peut voir, au quotidien, que les intérêts des pays du Sud sont désormais des intérêts mondiaux. Des pays comme le Canada doivent prendre cela au sérieux, jouer un rôle plus important dans ces pays et améliorer les relations avec eux, afin de mieux comprendre comment les enjeux mondiaux vont se jouer au sein de ces grands forums de discussion.

En ce qui concerne les efforts déployés au sein du ministère pour que le personnel reflète la diversité du Canada, je peux vous dire que le ministère a fait de grands progrès au cours des deux dernières années. Selon les groupes visés par la Loi sur l’équité en matière d’emploi, notre ministère dépasse largement les objectifs qu’il devait atteindre. Il est sur la bonne voie. Il reste quelques défis isolés à relever, mais le ministère s’est doté d’une structure solide pour continuer de s’assurer d’éliminer les obstacles qui pourraient empêcher certains groupes en quête d’équité de prendre part aux activités d’Affaires mondiales Canada.

Le sénateur Cardozo : Est-ce aussi le cas au sein de la haute direction?

M. MacLennan : Oui, bien que ce soit l’un des domaines où les progrès ont été plus lents. Cela s’explique en partie par le vieillissement de la population. En effet, les postes aux échelons supérieurs sont généralement occupés par des personnes plus âgées. Mes cheveux gris vous permettront de vous en rendre compte. On parle de personnes âgées de 50 ou 60 ans qui se retrouvent dans ces postes aux échelons supérieurs comparativement aux personnes âgées de 20 ans. Ce sont deux groupes démographiques très différents, et nous devons nous pencher sur la question.

Le président : Je connais trop bien cette situation. Je vous remercie de votre réponse.

La sénatrice Boniface : Je vous remercie beaucoup d’être ici encore une fois. J’aimerais que vous me donniez une meilleure idée... Je crois que vous avez dit que 18 pays sont en quelque sorte des pays individuels. Lorsque vous déterminez si des décisions visant certains pays seront d’ordre régional, multilatéral ou individuel, quelle est, selon vous, la priorité du Canada en Afrique pour l’axe est-ouest, l’axe nord-sud ou les pays individuels que vous voyez se manifester? C’est ma première question.

Voici ma deuxième question. Comment la stabilité et la sécurité sont-elles prises en compte dans ces décisions dans les différentes régions du pays?

M. MacLennan : J’aimerais demander à ma collègue, Mme Urban, de répondre à cette question.

C’est une question qui revient souvent. L’une des choses que je tiens à souligner, c’est qu’il est important d’établir et d’entretenir des relations à long terme dans le domaine de l’aide au développement international. Le développement international ne se fait pas en un, deux ou trois ans, car il s’échelonne sur plusieurs générations. Un grand nombre de nos partenariats et des projets que nous finançons durent trois, quatre, cinq, six, voire sept ans. Les choses changent et évoluent beaucoup plus rapidement sur le terrain, mais nous nous efforçons de maintenir le cap lorsque nous établissons des relations avec ces pays. Parfois, cela peut amener les gens à se demander pourquoi nous intervenons davantage dans un pays que dans un autre pays qui lui ressemble pourtant beaucoup, et ce que je viens de décrire explique en partie cette situation. Je vais donc laisser Mme Urban vous expliquer comment nous répondons à ces questions.

Cheryl Urban, sous-ministre adjointe, Secteur de l’Afrique subsaharienne, Affaires mondiales Canada : Pour poursuivre sur cette lancée, oui, nous avons 18 programmes en Afrique subsaharienne. Nous avons également trois programmes en Afrique du Nord et deux programmes régionaux. Nous tenons compte de certains facteurs pour déterminer les endroits où nous interviendrons et les raisons qui motivent nos choix. Nous menons par exemple une évaluation des besoins pour certains d’entre eux. Nous nous fondons aussi sur notre capacité, sur les forces du Canada et sur ce que nous avons à offrir. Dans d’autres cas, nous nous fondons sur les priorités et les intérêts du Canada, par exemple les engagements et objectifs de la Politique d’aide internationale féministe. Le sous-ministre a fait référence au fait que nous avons également établi des relations et une présence historique dans des projets de développement à long terme dans certains pays, ce qui nous permet de nous appuyer sur nos antécédents. Tout cela fait partie de notre processus décisionnel.

Nous analysons continuellement les enjeux en matière de développement et leur évolution. Nous examinons, par exemple, l’état de la démocratie dans les pays d’Afrique, les conflits nouveaux et prolongés — nous évaluation ces situations — et l’état des infrastructures. Il y a un certain nombre d’enjeux fondamentaux. Ensuite, nous examinons les forces et les intérêts du Canada. Par exemple, à l’étranger, nous avons de bons antécédents en matière de promotion des programmes visant l’égalité des sexes et dans la mise en œuvre d’initiatives qui utilisent une approche féministe. Nous avons aussi exécuté de nombreux programmes dans le domaine de la santé. La santé est l’un des principaux domaines dans lesquels nous avons entrepris des projets en Afrique subsaharienne, tout comme l’agriculture, car le Canada a beaucoup d’expérience dans ces domaines et est bien placé pour fournir de l’aide.

Pour terminer, j’aimerais ajouter que nous avons dû ajuster les paramètres de notre présence lorsque nous menons nos activités dans des pays où se déroulent des conflits. En effet, il arrive qu’un pays se retrouve en situation de crise ou qu’il se produise un coup d’État et que nous ne puissions pas traiter directement avec le gouvernement, mais nous sommes en mesure de continuer à aider les populations en travaillant avec des organismes de la société civile et des organismes multilatéraux dignes de confiance pour fournir un soutien de base à la population. Dans ces cas, nous maintenons des liens diplomatiques avec ces pays, afin de pouvoir continuer à fournir des soutiens et à faire comprendre qu’il est nécessaire d’assurer un retour, par exemple, à des normes démocratiques.

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui. Dans quelle mesure le paysage mondial multipolaire actuel a-t-il une incidence sur notre capacité à nous engager concrètement avec le continent africain d’une manière qui soit perçue comme une approche positive et coopérative? Les points de tension actuels à l’échelle mondiale débouchent de plus en plus sur une nouvelle guerre froide de type « nous contre eux » et sur des divisions au sein des Nations unies. Sommes-nous en train de nous enfoncer dans une sorte de bourbier qui aura un impact sur notre capacité à continuer à renforcer les relations que nous avons actuellement? Sommes-nous perçus comme une force potentiellement négative?

M. MacLennan : C’est une très bonne question. Tout le monde a pu observer, ces trois ou quatre dernières années, les changements considérables survenus sur le plan géopolitique et la transformation que nous subissons. Certaines personnes affirment que l’ordre ancien est terminé, mais que le nouvel ordre n’a pas encore commencé, et que nous serions donc entre deux ordres. Ces gens se demandent ce que cela pourrait signifier.

Je ne peux probablement parler que de mon expérience personnelle à cet égard. La majorité de nos relations avec les pays du Sud, et avec l’Afrique subsaharienne en particulier, sont en réalité assez complexes et multiformes. Manifestement, il arrive parfois que les positions canadiennes ne soient pas partagées par certains de nos partenaires.

D’après mon expérience, les pays d’Afrique subsaharienne sont remarquablement évolués, comme la plupart de nos partenaires. Ils comprennent qu’il y aura des points sur lesquels ils ne seront pas d’accord et ils n’hésitent pas à expliquer pourquoi ils ne sont pas d’accord avec la position canadienne sur un sujet donné.

Au G20, par exemple, avec la plupart des pays membres — à une très grande exception près — nous sommes en mesure de parler de nos divergences et de comprendre les différentes positions qui ont été adoptées. Mais il y a aussi une longue liste de domaines dans lesquels nous partageons des points de vue communs, et l’un n’empêche pas l’autre. Il est très important d’écouter et d’essayer de comprendre les différentes positions. Je sais que l’un des enjeux — qui est moins d’actualité aujourd’hui, mais qui l’était beaucoup plus au lendemain de l’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie — était la façon dont certains pays avaient voté aux Nations unies. On s’est beaucoup interrogé sur les raisons pour lesquelles des pays qu’on pensait démocratiques et favorables aux positions canadiennes et occidentales avaient adopté des positions différentes.

Nous avons appris qu’il est très important d’écouter et de comprendre d’où viennent ces positions. Cela fait partie de la diplomatie et du travail qu’accomplit presque chaque jour Affaires mondiales Canada. Nous ne ménageons pas les efforts pour avoir des relations plus évoluées avec d’autres pays, car cela nous permet d’établir et de maintenir des relations de travail, ce qui est dans l’intérêt du Canada, soit dit en passant.

Le sénateur Ravalia : J’aimerais très brièvement poser une question sur la migration pour des raisons économiques et climatiques. De nombreuses personnes fuient le Sahel et se retrouvent dans des endroits comme la Tunisie, l’Algérie et la Libye, souvent dans des camps où les droits de la personne ne sont pas du tout respectés. Est-ce que nous surveillons certaines de ces situations et est-ce que nous fournissons de l’aide aux personnes qui se retrouvent dans cette situation désespérée?

M. MacLennan : Je ne connais évidemment pas les détails avec certitude. Honnêtement, cela dépend de l’endroit où ces gens se retrouvent, mais c’est certainement un enjeu que nous suivons de très près. Nous travaillons directement avec d’excellents partenaires. Ainsi, l’Organisation internationale pour les migrations et le Comité international de la Croix-Rouge sont très actifs dans le traitement des questions liées aux migrations, et nous faisons appel à ces partenaires. Lorsque ces personnes se retrouvent malheureusement dans de grands camps de réfugiés, il est évident que cela entre dans le cadre de nos travaux humanitaires. Les enjeux eux-mêmes sont de plus en plus nombreux et ils évoluent constamment. Cela nous oblige à évaluer la situation en permanence pour prendre les mesures appropriées.

Le sénateur Woo : Bonjour. Pour revenir à la question de la visibilité, pouvez-vous nous donner une idée de la place du Canada? Sans vouloir accorder trop d’importance aux classements, comment le Canada se compare-t-il à ses groupes de pairs en ce qui concerne l’aide internationale à l’Afrique, en mettant de côté la question de la qualité pour considérer simplement la quantité? Encore une fois, je tiens à souligner que la reconnaissance et la visibilité ne devraient pas être les seules raisons de notre contribution, mais j’aimerais avoir une idée de notre position dans le classement.

M. MacLennan : Je suis d’accord pour dire que les classements valent ce qu’ils valent. Il existe un classement pour les dépenses générales. L’Organisation de coopération et de développement économiques, ou l’OCDE, s’en occupe, et il s’agit d’un classement statistique. Le Canada est l’un des plus grands donateurs lorsqu’il s’agit de sommes réelles versées. Je crois que le Canada occupe le huitième ou le neuvième rang dans le monde en ce qui concerne les montants totaux. Bien entendu, il y a un classement différent pour les pourcentages et aussi pour les pourcentages par rapport au PIB.

Il est beaucoup plus difficile d’établir des comparaisons au sein des régions géographiques, car les organismes donateurs ont des priorités différentes. Par exemple, la Norvège, qui est un très grand donateur, accorde la priorité à l’Afrique. De nombreux pays européens, comme l’Italie, accordent aussi la priorité à l’Afrique. Ils ne sont donc pas très présents dans la région indo-pacifique ou dans les Amériques.

Le Canada ressemble probablement beaucoup plus au Royaume-Uni et aux États-Unis, en ce sens que sa répartition géographique est un peu plus vaste et qu’il est donc difficile d’établir un classement.

Cela dit, l’Afrique subsaharienne représente notre investissement le plus important sur le plan de la présence géographique. C’est celui que nous reconnaissons. Les tendances montrent clairement que la majorité des pays les plus pauvres du monde se retrouvent en Afrique subsaharienne. Les besoins en matière de réduction de la pauvreté vont donc pousser tous les donateurs à travailler en Afrique subsaharienne.

Là où les choses changent un peu, c’est lorsqu’il s’agit de savoir où il faut agir en matière de changement climatique, car cela ne correspond pas nécessairement toujours aux niveaux de pauvreté, et où il faut agir en matière d’aide humanitaire, ce qui est parfois motivé par les enjeux climatiques eux-mêmes, mais aussi parfois par les conflits. Il s’agit donc d’un facteur qui modifie la répartition géographique pour tous les donateurs, et pour le Canada en particulier.

Le sénateur Woo : Êtes-vous d’accord avec ce qui a été dit hier sur le fait que, toutes proportions gardées, notre visibilité — et la reconnaissance de nos contributions en Afrique, qui est plus importante encore — a diminué au fil des ans?

M. MacLennan : Ce n’est pas ce que j’ai pu voir. C’est la perception d’une personne par rapport à une autre. Le fait que le gouvernement ait déployé un effort soutenu au cours des deux dernières années pour accroître sa présence dans la région indo-pacifique donne l’impression que nous avons cessé nos activités ailleurs. Ce n’est pas du tout le cas.

Par exemple, nous sommes un partenaire très actif dans les Caraïbes. Nous l’avons toujours été et continuerons à l’être. Les petits États insulaires en développement sont d’une importance cruciale pour répondre correctement au changement climatique, mais ce n’est pas ce que nous avons en quelque sorte crié sur tous les toits ces deux dernières années étant donné que nous avons consacré beaucoup d’efforts à prioriser l’Indo-Pacifique — pour de très bonnes raisons.

Il y a parfois des éléments de visibilité relative à un moment donné, mais lorsque je vais en Afrique, je n’ai pas été accueilli différemment, par exemple.

Le sénateur MacDonald : Monsieur MacLennan, je suis heureux de vous revoir. Si l’on regarde les chiffres, 46 des 54 États sont des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Ai-je raison de supposer que le Nigéria n’en fait pas partie? Est-ce exact?

Je suis curieux. Nous versons des fonds, et il y a tant à faire en Afrique subsaharienne. Nous donnons 152 millions de dollars au Nigéria, qui est un important pays producteur de pétrole. Pourquoi lui remettons-nous autant d’argent alors que d’autres pays qui en ont peut-être davantage besoin n’en reçoivent apparemment pas?

M. MacLennan : Je ne sais pas si le Nigéria est un pays à revenu intermédiaire ou non. Je n’ai pas cette information en main. Je sais que la majorité de nos fonds destinés au Nigéria passent par des organisations multilatérales. Tout dépend en grande partie de la taille de la population. Le Nigéria est très populeux.

Par exemple, lorsque nous travaillons avec une organisation comme le Fonds mondial de lutte contre le paludisme, la tuberculose et le VIH, le soutien est accordé en fonction des besoins. Plus la population est nombreuse, plus les besoins sont criants, et plus les sommes nécessaires sont élevées. Il s’agit d’un pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Je ne sais pas exactement ce que cela signifie.

Vous soulevez toutefois un point important. Il existe une différence entre les types de programmes et les types d’efforts que nous devons entreprendre en fonction du niveau de développement du pays.

La majorité des pays de l’Afrique subsaharienne sont à faible revenu. Il s’agit donc d’une aide au développement plus traditionnelle où nous accordons des subventions, travaillons avec des partenaires locaux et répondons d’abord aux besoins les plus urgents, à savoir la santé, l’éducation, l’alimentation et l’agriculture.

Au fur et à mesure que l’on monte les échelons — et le Nigéria progresse en grande partie grâce au pétrole —, différents outils s’offrent à nous pour déterminer le bon équilibre d’aides. Je suppose que dans le cas du Nigéria, c’est en raison de la taille même de la population.

Le sénateur MacDonald : L’accord de libre-échange a été lancé en 2018. Quel est son effet? Change-il la donne?

M. MacLennan : C’est une excellente question. Je vais céder la parole à quelqu’un qui en connaît les particularités.

Mme Urban : Je pense que vous faites référence à la Zone de libre-échange continentale africaine, ou ZLECA. Nous soutenons cette initiative et pensons qu’elle a un énorme potentiel. Elle est en phase de démarrage. Un certain nombre de pays l’ont récemment ratifiée et voient le potentiel du commerce interafricain — en particulier son incidence sur les femmes, puisqu’un grand pourcentage du commerce interafricain est effectué par des femmes commerçantes.

Il existe des projections de l’effet qu’aura la ZLECA sur la croissance économique et les entreprises. On s’attend à ce qu’elle augmente le PIB de 3,4 billions de dollars américains une fois qu’elle sera pleinement mise en œuvre. Il y a 47 signataires sur une possibilité de 54. En somme, la ZLECA élimine les droits de douane, ce qui aura un effet bénéfique.

Le Canada soutient le secrétariat de la zone et estime qu’il s’agit d’une pièce maîtresse du casse-tête. L’accord pourrait également contribuer à accroître les investissements canadiens sur le continent africain, ce qui favorisera la croissance économique grâce à un meilleur environnement commercial.

Le président : Merci beaucoup. Nous sommes arrivés à la fin du premier tour, et je vais profiter de mon privilège de président pour poser une question.

Je sais que vous avez tous lu le rapport de notre comité sur le service extérieur, qui a été publié à la fin de l’année dernière. Dans celui-ci, nous avons essayé de nous attaquer à la question des généralistes par rapport aux spécialistes ayant trait aux travaux réalisés.

Ma question est fort simple. Si vous vous intéressez au développement international, cela fait-il de vous un spécialiste? Peut-on faire carrière en tant que spécialiste du développement dans l’ensemble du système?

M. MacLennan : C’est une question simple à laquelle il n’y a pas de réponse simple.

La réponse courte est oui. Les jeunes recrues d’Affaires mondiales Canada qui sont passionnées et formées pour travailler dans le domaine du développement international peuvent suivre une voie étroite s’ils le souhaitent et se concentrer explicitement sur l’aide au développement, en travaillant avec des partenaires et dans des postes à l’étranger. Nous avons environ 160 postes à l’étranger qui sont consacrés à l’aide internationale.

Il a été question de l’Agence canadienne de développement international, ou ACDI. Il n’y a plus de secteur du développement qui ne fait rien d’autre que de l’aide au développement. Si vous étiez une jeune recrue à l’ACDI, mais que vous souhaitiez faire autre chose que de l’aide au développement, vous seriez au mauvais endroit. Vous devriez quitter ce ministère.

L’avantage que nous avons à Affaires mondiales Canada est que les gens peuvent, s’ils le souhaitent, avoir une carrière étroitement ciblée et rester dans le domaine de l’aide au développement. Il existe des moyens de le faire. Mais dans un monde où les pays en développement ne sont plus mis à l’écart ou dans une catégorie distincte, et qu’ils sont au contraire des acteurs mondiaux assis à la même table, je dirais que les compétences que nous devons bonifier dans l’ensemble du ministère consistent à comprendre les défis en matière de développement que rencontrent les pays qui se trouvent à des tables comme celle-ci — c’est là qu’ils se trouvent, et c’est leur point de vue sur le monde.

Je pense que les personnes chargées du développement à Affaires mondiales Canada ont remarquablement bien réussi lorsqu’elles ont intégré les équipes responsables de la politique étrangère et de la sécurité ou lorsqu’elles se sont occupées des services consulaires, entre autres. Elles comprennent le contexte des pays en développement. C’est un grand avantage pour le ministère et, en toute franchise, pour le gouvernement aussi.

Le président : Merci beaucoup. Je n’utiliserai pas la totalité de mes quatre minutes, car je suis conscient que mes collègues souhaitent poser d’autres questions. Il nous reste environ huit minutes. Je vous prie de poser des questions vraiment percutantes, et j’invite nos témoins à faire de même dans leurs réponses.

[Français]

La sénatrice Gerba : Hier, un de nos témoins a indiqué que le Canada avait davantage besoin de l’Afrique. Il faisait notamment référence au transfert de technologies possibles dans des domaines aussi importants que celui des infrastructures.

Comme vous le savez, la Banque africaine de développement a lancé un programme, Les High 5, dont le Canada est un des partenaires financiers les plus importants. Avez-vous, dans la stratégie en préparation, un volet spécial consacré à la mise en œuvre de ces cinq objectifs de la Banque africaine de développement? Les objectifs sont les suivants : nourrir l’Afrique, électrifier l’Afrique, intégrer l’Afrique, améliorer les conditions de vie des Africains et industrialiser l’Afrique.

M. MacLennan : Il n’y a pas d’avenir dans lequel la Banque africaine de développement ne serait pas au centre de l’investissement et du développement de l’Afrique, tout simplement. Cette banque, dont le Canada est l’un des plus importants bailleurs de fonds, est aussi l’une des banques les plus importantes au monde lorsqu’il est question de banques régionales de développement. C’est aussi l’une des banques les plus novatrices. Nous l’utilisons à plusieurs endroits et nous la soutenons.

Le rôle de cette banque est tout simplement trop important et trop central pour qu’elle ne soit pas un aspect de notre aide au développement à l’avenir.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Nous avons parlé des tendances, et aussi brièvement des changements climatiques ainsi que des réponses à ceux-ci. Vous avez mentionné les investissements pour aider les pays à s’adapter. Nous avons entendu parler des pertes et des dommages, et nous savons que le Canada en a également subi. Il a été question de la situation des réfugiés. Qu’en est-il des investissements dans les industries de l’Afrique? Où se situe le Canada en ce qui concerne les énergies renouvelables ou toute autre chose liée aux intérêts de l’Afrique dans ses propres industries vertes?

M. MacLennan : Comme je l’ai dit en réponse à l’une des questions de la sénatrice Gerba, depuis 2018, nous disposons de quelques nouveaux outils qui nous permettent de prendre des mesures en matière de « financement mixte ». Vous faites allusion à des activités qui relèvent du secteur privé. Comment pouvons-nous stimuler les investissements dans ces secteurs que nous — et les pays africains eux-mêmes — aimerions développer?

L’accès à l’énergie est essentiel au développement. Cela va de soi. Maintenant, nous voulons que ces activités soient aussi écologiques que possible, et donc, nous avons besoin de certains genres d’outils pour investir dans ces secteurs. Notre institution de financement du développement, ainsi que certains outils dont nous disposons au ministère nous ont permis de réaliser des projets intéressants — je crois que l’un d’entre eux se trouve au Kenya, si ma mémoire est bonne — grâce auxquels nous avons pu passer à l’action.

Mais il va sans dire que ces efforts comportent leur lot de difficultés. Tout d’abord, le financement mixte signifie que le secteur privé participe au financement. Dans de nombreuses régions d’Afrique, la situation politique fait qu’il sera malheureusement difficile d’obtenir ce financement. Les grands investisseurs veulent une stabilité à long terme, parce que le retour sur investissement prend du temps. Nous poursuivons nos efforts, et la plupart du temps, nous prenons des mesures à plus petite échelle. Nous travaillons directement avec des coopératives de crédit et employons des mécanismes de financement pour, par exemple, les femmes entrepreneures. Nous faisons de notre mieux pour trouver ce genre d’occasions en amont.

Le président : Je vous remercie.

Le sénateur Cardozo : J’aimerais poursuivre la discussion entamée par mes collègues, les sénatrices Gerba et Coyle. Dans le cadre de notre discussion sur les relations entre le Canada et l’Afrique, comment pourrions-nous nous concentrer davantage sur les interactions économiques et le commerce que sur l’aide? Je me demande si vous pourriez nous donner plus d’exemples à ce sujet. Nous pourrions, par exemple, aider les investisseurs canadiens à trouver de bons endroits où investir en Afrique, etc.

La sénatrice M. Deacon : Je n’ai qu’un petit commentaire qui s’inscrit dans la veine de ceux qui ont été formulés par les derniers intervenants. Nous voulons examiner les intérêts et l’engagement du Canada en Afrique et en faire rapport. Lors de la réunion d’hier, j’avais l’impression que le Canada n’était pas, dans une certaine mesure, dans la course, et aujourd’hui, j’ai l’impression que nous devons intensifier nos efforts. J’aimerais savoir ce que nous pouvons faire et ce que nous pouvons examiner de façon plus approfondie, pour que nous soyons en meilleure posture dans ce domaine.

Le président : Voilà une belle façon de terminer cette partie de la réunion.

M. MacLennan : Je ferai deux commentaires rapides. Tout d’abord, vous devez vous pencher sur ce qui est nécessaire à court et à moyen terme. Pour revenir sur ce qu’a dit le sénateur MacDonald, de nombreux pays d’Afrique auront encore besoin d’une aide au développement de base pour répondre aux besoins des femmes et des jeunes filles, et à leurs besoins en matière de santé et d’éducation. L’avenir de l’Afrique repose encore en grande partie, pour ce qui est de ce que le Canada — et le gouvernement du Canada, devrais-je probablement dire — peut apporter, sur l’aide au développement traditionnelle. Voilà ce qui est nécessaire à court et à moyen terme.

Cela dit, il faudra bientôt se pencher sur ce qui sera nécessaire à long terme. C’est évident. Beaucoup de choses devront être mises en place. Il importe de soutenir la gouvernance. La gouvernance, la stabilité et la sécurité seront essentielles dans l’Afrique de demain, si l’on veut attirer les investissements à grande échelle nécessaires pour bâtir les infrastructures et pour répondre aux besoins en matière de développement économique.

En attendant, certains pays comme le Canada peuvent travailler à plus petite échelle à l’aide de ces outils de financement novateurs. Nous devons apprendre à mieux travailler dans des endroits où les conditions sont difficiles, et c’est ce que nous avons fait au cours des cinq dernières années. En toute honnêteté, nous avons obtenu des résultats intéressants dans certaines régions alors qu’ailleurs, les choses n’ont pas fonctionné, mais nous apprenons. Au fil du temps, au fur et à mesure que les pays progresseront, nous utiliserons des outils différents et dépendrons d’autres modèles de financement. C’est ainsi que les choses se sont passées ailleurs dans le monde.

Le président : Je vous remercie. Au nom du comité, je tiens à remercier nos témoins : Christopher MacLennan, Marcel Lebleu, Cheryl Urban, Caroline Delany, et Susan Steffen à l’arrière. Merci de votre participation. La discussion a été très enrichissante. Nous vous sommes reconnaissants du travail que vous accomplissez. Vos témoignages nous ont été fort utiles dans nos délibérations.

Nous sommes ravis d’accueillir notre deuxième groupe de témoins. Nous recevons des représentantes de Coopération Canada : Kate Higgins, directrice générale; et Carelle Mang-Benza, responsable des politiques. Nous sommes heureux d’accueillir, par vidéoconférence, des représentantes du Centre de recherches pour le développement international : Julie Delahanty, présidente; et Marie-Gloriose Ingabire, directrice régionale, Afrique centrale et de l’Ouest.

[Français]

Bienvenue et merci d’avoir accepté notre invitation. Nous sommes maintenant prêts pour vos remarques préliminaires, qui seront suivies d’une période de questions de la part des sénateurs.

Kate Higgins, directrice générale, Coopération Canada : Merci et bonjour. Coopération Canada est une coalition nationale indépendante de plus de 100 organisations canadiennes de développement international et d’aide humanitaire qui travaillent ensemble pour inspirer des programmes, des politiques et des partenariats en vue d’un monde plus sûr, plus juste et plus durable. Nos membres ont des partenariats et une vaste expérience sur le continent africain. Nous sommes honorés d’avoir l’occasion de partager certaines réflexions avec vous aujourd’hui.

[Traduction]

Hier, vous avez entendu le témoignage de nos collègues de ONE et de Cuso International et, aujourd’hui, celui des représentants d’Affaires mondiales Canada. Ils ont parlé de la façon de combler les lacunes en matière de financement du développement en Afrique, de l’énorme potentiel du continent, des besoins humanitaires considérables et de la portée et de l’incidence de l’aide canadienne au développement.

Aujourd’hui, ma collègue, Mme Mang-Benza, et moi-même aimerions donner suite à ces interventions en nous concentrant sur deux points précis. Nous parlerons d’abord de l’importance d’investir dans la société civile et de la soutenir, et ensuite de l’importance de la cohérence des politiques de développement dans l’engagement du Canada en Afrique.

La société civile joue un rôle essentiel dans la conduite du changement, la recherche de la justice et la consolidation de la démocratie. Le développement économique n’est pas synonyme d’amélioration de la situation sociale des gens et ne s’accompagne pas automatiquement d’une telle amélioration. Une société civile forte est une force formidable qui permet de tenir les gouvernements responsables et d’opérer un changement social positif.

En Afrique, la société civile gagne en taille et en complexité. Elle est vaste. Elle est diversifiée. Il s’agit d’un écosystème hétérogène. Son importance et son rôle ne peuvent être ignorés ou minimisés. Cependant, selon un rapport récent de CIVICUS, l’espace civique en Afrique est de plus en plus menacé. L’intimidation envers la société civile est documentée dans au moins 23 pays.

Les organisations canadiennes entretiennent des liens importants avec des partenaires de la société civile africaine, et ce, depuis fort longtemps. La Politique d’aide internationale féministe du Canada a permis de renforcer certains partenariats, en particulier avec les organismes de défense des droits des femmes et les mouvements féministes.

Nous sommes d’avis que toute stratégie ou cadre portant sur les relations entre le Canada et l’Afrique doivent s’appuyer sur ces partenariats. Nous devons soutenir les partenaires de la société civile africaine qui sont aux commandes alors qu’ils définissent leurs priorités pour leurs collectivités, leurs pays et leur continent.

Investir dans la société civile et la soutenir est l’un des moyens les plus sûrs de maintenir et de protéger les acquis du développement économique et social et de garantir la paix et la démocratie.

Je vais maintenant céder la parole à ma collègue, Mme Mang-Benza, qui vous parlera de l’importance de la cohérence des politiques dans l’engagement du Canada en Afrique.

Carelle Mang-Benza, responsable des politiques, Coopération Canada : Je vous remercie, madame Higgins. Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous avoir invitées.

[Français]

En matière de cohérence politique, toute stratégie et tout engagement entre le Canada et l’Afrique doivent être cohérents dans leur approche. Quand nous parlons de cohérence, nous parlons de lier toute stratégie en développement à la politique d’aide internationale féministe, mais aussi à la politique étrangère du Canada dans son ensemble, dans toutes ses dimensions, c’est-à-dire la diplomatie, le commerce, l’investissement, la défense et, bien sûr, le développement, et ce, de manière délibérée et complémentaire. Il est important de noter que les dimensions liées au développement ne doivent pas être négligées, car sans elles, les gains économiques et sécuritaires ne se concrétiseront tout simplement pas. Cela implique et requiert des investissements, notamment en vue de maintenir une assistance internationale soutenue et prévisible.

La cohérence implique également de tenir compte de l’évolution du monde et de l’évolution du continent africain, ce partenaire dont nous parlons aujourd’hui. Une question est importante : comment le Canada décide-t-il de se déployer en Afrique? Est-ce en tant qu’allié, partenaire ou donneur de leçon? Si nous prenons au sérieux l’engagement régional contenu dans cette stratégie de développement, cela nous forcera à examiner de manière critique — et probablement avec un certain inconfort — quand, si et comment nous décidons de nous engager non seulement en Afrique, mais avec l’Afrique, et cela y compris quand il est question de discuter dans les forums mondiaux sur des questions comme l’allègement de la dette, la justice fiscale, la mobilisation des ressources domestiques nationales, l’efficacité des interventions de coopération et toutes les autres questions structurelles qui constituent, en fait, et malheureusement encore, les causes profondes d’un développement inégal, injuste et non inclusif.

Sur ce, je vous remercie de votre attention; nous attendons vos questions.

Julie Delahanty, présidente, Centre de recherches pour le développement international : Je suis heureuse de me joindre à vous aujourd’hui. Je vous remercie sincèrement de m’avoir invitée à comparaître.

Je suis Julie Delahanty, présidente du Centre de recherches pour le développement international (CRDI), qui a pour mission de stimuler la recherche et l’innovation dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Le CRDI consacre plus de la moitié de son budget à l’Afrique — une Afrique dont l’économie est en croissance et dont la pertinence géopolitique est de plus en plus importante pour l’avenir.

Mes collègues d’Affaires mondiales Canada et de Coopération Canada, avec lesquels nous travaillons en étroite collaboration, ont mis en évidence les crises croisées qui existent sur le continent et qui menacent la stabilité et la prospérité de l’Afrique.

[Traduction]

C’est dans ce contexte et avec des ressources limitées que la capacité à innover, à s’adapter et à concevoir des solutions devient d’autant plus importante. Si l’Afrique est vraiment le continent de l’avenir, elle le deviendra grâce aux connaissances locales, au renforcement des capacités et aux recherches qui produiront des retombées concrètes.

Voici comment le Canada, par l’entremise du Centre de recherches pour le développement international, le CRDI, contribue à faire de cet avenir africain une réalité. Il faut d’abord se tourner vers les connaissances locales. Le CRDI estime que les personnes qui sont le plus directement touchées par un problème sont les mieux placées pour y trouver des solutions novatrices. L’expertise technique est d’autant plus solide lorsqu’elle s’appuie sur une approche féministe et sur l’expérience des collectivités touchées. Ces connaissances combinées peuvent favoriser l’adoption de solutions adaptées aux contextes locaux.

Nous le constatons de façon concrète dans le domaine des changements climatiques. Les recherches des climatologues africains soutenus par le CRDI éclairent les stratégies d’adaptation nationales et locales et ce faisant, elles répondent davantage aux besoins locaux.

Sur la scène mondiale, où les connaissances des collectivités touchées sont terriblement sous-représentées, nous constatons que l’Afrique a une présence beaucoup plus forte, par exemple, au sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

La recherche inclusive et communautaire peut aider à trouver des solutions aux répercussions distinctes des changements climatiques sur les femmes. Des chercheurs appuyés par le CRDI consultent des éleveurs pastoraux d’Afrique de l’Est pour améliorer les prévisions de sécheresse et élaborer des plans d’action climatique qui tiennent compte des besoins particuliers des hommes, des femmes et des jeunes. Les intervenants locaux et les solutions locales sont nécessaires pour faire face aux crises mondiales.

Ensuite, il faut renforcer les capacités. L’innovation repose sur des institutions africaines solides et le talent des gens. En renforçant les systèmes scientifiques et les centres de recherche africains et en investissant dans les capacités individuelles, le Canada, par l’entremise du CRDI, contribue à faire de l’Afrique un continent novateur et résilient.

Ces investissements dans les capacités ont des retombées dans plusieurs secteurs, comme la santé, la sécurité alimentaire et la gouvernance, mais ils sont particulièrement importants dans des domaines émergents comme l’intelligence artificielle. Le CRDI finance l’intelligence artificielle responsable dans des laboratoires de recherche partout en Afrique, et construit des centres d’expertise tout en formant la prochaine génération d’innovateurs en matière d’intelligence artificielle. L’Afrique est en train de se doter des capacités dont elle aura besoin pour relever les défis futurs de l’intelligence artificielle de manière responsable et éthique.

Puis, il faut combler l’écart entre les connaissances et l’incidence qu’elles peuvent avoir. Le CRDI soutient une science de haut niveau ancrée dans une recherche locale, appliquée et axée sur les résultats. À l’aide de recherches destinées au changement d’orientation et aux initiatives, les décideurs, la société civile et le secteur privé obtiennent les données probantes dont ils ont besoin pour apporter des changements positifs à grande échelle.

Par exemple, les projets de recherche appuyés par le CRDI éclairent des investissements publics rentables. En Éthiopie, nos partenaires ont mis à l’essai un modèle de garderie communautaire qui favorise le développement de la petite enfance tout en donnant aux femmes les moyens de trouver un emploi. La ville d’Addis-Abeba s’inspire maintenant de ces travaux alors qu’elle se prépare à ouvrir 1 000 garderies au cours des trois prochaines années.

[Français]

Enfin, la manière dont le Canada travaille avec l’Afrique est importante, et ce, non seulement pour l’Afrique, mais aussi pour nos propres intérêts nationaux et pour les futurs partenariats mondiaux. Le CRDI travaille directement avec des institutions et des établissements de l’Afrique. Nous travaillons aux côtés de nos partenaires et nous mettons en place des réseaux de spécialistes et de leaders ayant des liens avec le Canada.

Permettez-moi de conclure en rappelant que l’investissement dans l’innovation et la recherche peut s’avérer hautement stratégique afin de soutenir des avancées pour l’avenir de l’Afrique et rapporter des dividendes à long terme pour le Canada.

[Traduction]

En appuyant les connaissances locales, en renforçant les capacités et en favorisant les recherches qui ont des retombées concrètes, le Canada investit judicieusement dans une relation solide avec ce continent en pleine croissance.

Je vous remercie.

Le sénateur Ravalia : Madame Delahanty, quel est le rôle du CRDI pour faciliter les partenariats entre les chercheurs et les établissements canadiens et leurs homologues en Afrique? Comment cette collaboration contribue-t-elle à l’apprentissage mutuel et à l’échange de connaissances?

Par exemple, nous avons appris bon nombre de choses sur la COVID grâce aux travaux menés par l’Institut sud-africain de recherche médicale, surtout en ce qui concerne les variants de la COVID. J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Merci.

Mme Delahanty : Merci beaucoup de la question, sénateur.

Nous avons des programmes importants dans le cadre desquels nous travaillons avec les nombreux représentants de l’écosystème de recherche canadien : le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, ou CRSH, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, ou CRSNG, et les Instituts de recherche en santé du Canada, ou IRSC. Nous collaborons avec des chercheurs canadiens qui travaillent avec des chercheurs de l’hémisphère Sud. Bon nombre de programmes nous permettent d’établir des relations entre les établissements canadiens et les établissements de recherche en Afrique.

Le mandat principal du CRDI est de soutenir la recherche et les chercheurs des pays du Sud. La majorité de nos travaux visent à soutenir la recherche dans ces pays et, plus particulièrement, dans le cas qui nous occupe, en Afrique.

Nous nous efforçons de soutenir l’écosystème de recherche. L’un de nos projets les plus importants est l’Initiative des organismes subventionnaires de la recherche scientifique, qui apporte un soutien aux organismes en Afrique qui sont semblables à ceux que nous avons au Canada, comme le CRSNG et le CRSH. De tels établissements existent en Afrique, mais ils ont souvent moins de ressources. Nous essayons donc de les soutenir afin qu’ils puissent élaborer leurs propres cadres stratégiques et appuyer leurs propres chercheurs en fonction des besoins de l’Afrique.

En ce qui concerne nos liens — vous avez mentionné la collaboration avec l’Afrique du Sud —, ils ont bien sûr des retombées au Canada, et je serai heureuse de vous en parler.

Le sénateur Ravalia : Ce processus a-t-il aidé l’Afrique à devenir plus autosuffisante pour ce qui est, notamment, des vaccins, des antimicrobiens et des traitements avancés?

Mme Delahanty : Nous avons soutenu, par exemple, le développement du vaccin contre le virus Ebola. Nous avons travaillé avec les Instituts de recherche en santé du Canada. Nous avons soutenu cet organisme ici, et nous avons travaillé avec des institutions dans toute l’Afrique pour être en mesure de tester ces nouveaux vaccins.

En ce qui concerne la fabrication des vaccins, je me tournerais vers ma collègue, Mme Ingabire, pour voir si elle a des informations à ce sujet. Je ne sais pas si nous travaillons directement à la fabrication des vaccins, mais je peux me renseigner.

[Français]

Marie-Gloriose Ingabire, directrice régionale, Afrique centrale et de l’Ouest, Centre de recherches pour le développement international : Merci de cette occasion de comparaître devant le comité. Je voulais ajouter que le travail primordial du CRDI est effectivement de renforcer les capacités de nos partenaires sur le terrain. Comme le mentionnait Julie, dans le cadre des vaccins comme celui contre l’Ebola, il y a eu un renforcement des capacités dans la région en particulier, car la pandémie s’est révélée dans la région de l’Afrique de l’Ouest.

Nous avons par exemple des partenaires en Guinée, au Sénégal et au Mali. Il existe aussi cette capacité scientifique où l’on va au-delà de la production des vaccins dans le but de comprendre quelles sont les conditions nécessaires pour que cela fonctionne.

Nous soutenons beaucoup de projets. Par exemple, dans le cadre de ce que l’Union africaine envisage pour la production de vaccins sur le continent, il y a un projet qui examine quels sont les capacités manufacturières et le cadre réglementaire qu’il faut mettre en place, non seulement pour la production de vaccins, mais aussi ce qui explique que les gens n’utilisent pas les vaccins qui sont produits.

Donc, il y a une panoplie d’aspects à considérer.

La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse à Mme Mang-Benza. Je retiens de vos propos que le Canada a besoin de cohérence dans son approche par rapport au développement en Afrique. Selon vous, quels seraient les objectifs à mettre en place pour assurer cette cohérence sur le plan de l’approche canadienne?

Dans une perspective plus large, pour ce qui est de la définition de ces objectifs, est-ce que la société civile devrait être mieux consultée? Comment devrait-elle être accompagnée en Afrique?

Mme Mang-Benza : Merci pour votre question. À notre avis, la question de la cohérence est essentielle, parce qu’elle permet de lier les différentes faces que le Canada présente à l’étranger, en l’occurrence en Afrique, de manière à ce que ce ne soit pas un Canada qui se présente quand il s’agit de commerce, un autre Canada qui se présente quand il s’agit de défense et un autre Canada qui se présente quand il s’agit de développement et de coopération internationale.

Pour cette définition intégrée et complémentaire des différentes faces et de ce qui devrait être une face du Canada, la contribution de la société civile est essentielle, car la société civile, tant au Canada que sur le continent africain, a déjà montré qu’elle est capable d’être innovante, d’avoir des partenariats qui défient le business as usual, d’avoir des genres de partenariats qui permettent d’écouter des voix qui ne sont pas toujours entendues lorsqu’il s’agit de grandes plateformes. Nous avons, parmi la centaine de membres de Coopération Canada et les non-membres avec qui nous parlons, une longue expérience de plusieurs décennies qui permet d’être au courant de ce qui se fait, de ce qui se dit, de savoir quels sont les changements et la progression et comment le continent change. Pour cette raison, exclure la société civile de la définition de cette stratégie serait une erreur, parce que cela mettrait à l’écart des acteurs qui ont beaucoup à dire et à apporter et qui ont une expérience du terrain qui est essentielle.

La sénatrice Gerba : Si l’on se base sur ce que vous venez de dire, existe-t-il des modèles ailleurs dans le monde de cette cohérence ou d’une institution où les gens se parlent, collaborent et ont le même objectif? Quelles seraient vos recommandations, en vous fondant sur ce que vous voyez ailleurs dans le monde?

Mme Mang-Benza : Il n’y a pas de modèle parfait. Je crois que nous avons au Canada une superbe plateforme, qui est la Politique d’aide internationale féministe (PAIFC). Cette politique a été développée avec un apport considérable de la société civile. Cette approche étendue à une stratégie régionale est un bon début. Sans vouloir nécessairement imiter ce que font d’autres pays, je crois qu’il y a des exemples dont nous pouvons nous inspirer, même dans ce que nous avons fait ici pour développer la PAIFC. Pourquoi ne pas reprendre ou imiter cette approche et développer une politique qui ne serait pas forcément consensuelle, mais qui amènerait plusieurs types d’acteurs autour de la table?

Nous avons eu récemment, avec Affaires mondiales Canada, l’occasion d’engager la société civile, mais aussi des acteurs du secteur du commerce et de la diplomatie autour de la stratégie indopacifique. C’est un exemple de l’implication de la société civile. La différence avec la stratégie indopacifique est qu’on l’a fait après le développement, soit il y a à peine deux semaines. On a la possibilité, pour la stratégie régionale avec l’Afrique, de le faire assez tôt, pour assurer que le produit final reflète non seulement le Canada du XXIe siècle, mais aussi l’Afrique du XXIe siècle.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Bonjour. Il y a un courant sous-jacent dans nos discussions — plus hier qu’aujourd’hui —, selon lequel le Canada doit être plus compétitif dans l’aide qu’il accorde à l’Afrique et faire mieux pour se mesurer à d’autres pays. Je ne dis pas que c’est ce que vous pensez, mais il me semble que la bonne attitude devrait être de se demander comment nous pouvons travailler avec les autres pays qui fournissent de l’aide. Comment pouvons-nous assurer une meilleure « coordination des donateurs », pour utiliser cette expression?

Puisque vous ne représentez pas le gouvernement aussi étroitement que nos témoins précédents, je me demandais si vous pouviez nous parler de ce que vous faites pour mieux coordonner vos efforts avec ceux d’autres organismes donateurs. Je ne pense pas tant aux donateurs traditionnels qu’aux nouveaux donateurs. Nous pouvons mettre de côté la Chine si vous le voulez, mais nous voyons que l’Agence coréenne de coopération internationale est de plus en plus active, que l’Agence japonaise de coopération internationale est très active et que les agences d’aide de l’Asie du Sud-Est sont présentes en Afrique, tout comme celles de l’Inde. Pouvez-vous nous en parler, s’il vous plaît?

Mme Delahanty : Merci beaucoup de la question. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’il est très important que nous travaillions de concert et en partenariat avec nos collègues en Afrique et dans les pays du Sud.

Pour ce qui est de la collaboration, je ne peux parler que de celle qui existe entre le CRDI et d’autres donateurs. Cette collaboration est vaste et à grande échelle. Nous avons des partenariats solides avec le gouvernement du Royaume-Uni, en particulier avec le Foreign, Commonwealth and Development Office, ou FCDO. Nous travaillons avec un certain nombre d’autres donateurs, comme les Néerlandais. Je ne me souviens pas de tous les donateurs, mais il s’agit de ceux dont on parle d’habitude. De plus, nous travaillons avec de nombreuses fondations, comme la Fondation Hewlett et la Fondation de Bill et Melinda Gates. Il faudrait que je demande à mes collègues de m’aider à compléter la liste. Nous sommes en mesure de travailler avec bon nombre de nos partenaires donateurs en raison du genre de travail que nous accomplissons et de la réputation du Canada et du CRDI dans certains projets que nous menons. De plus, je pense que nos réseaux solides dans les pays du Sud et nos relations avec nos partenaires du Sud sont ce qui attire d’autres donateurs vers ce que nous faisons.

Nous avons une relation très solide avec ces partenaires. Nous travaillons en étroite collaboration avec eux dans bien des dossiers et dans de nombreux secteurs différents, surtout dans ceux qui sont liés à notre expertise.

Le sénateur Woo : Qu’en est-il de ceux qui ne font pas partie du club des habitués? Pensons aux donateurs des pays du Sud et à la communauté de nouveaux donateurs. J’ai l’impression que ceux qui œuvrent au développement des pays d’Afrique en auraient davantage à apprendre — au répertoire des analogies historiques — de l’Asie que de l’Europe ou même de l’Amérique du Nord de la révolution industrielle.

Quels efforts le CRDI déploie-t-il pour travailler avec les chercheurs et les experts issus par exemple de l’Agence coréenne de développement international, de l’Agence japonaise de coopération internationale ou de l’Asie du Sud-Est?

Mme Delahanty : Nous travaillons avec des chercheurs de partout dans le monde, mais probablement plus rarement avec ceux qui sont liés à un autre organisme donateur. Nous collaborons avec des chercheurs des quatre coins du globe qui font partie d’équipes mises sur pied par nous rattachées à des organismes dans les hémisphères nord et sud. Nos travaux portent en majeure partie sur l’accroissement des capacités en collaboration avec les organismes du Sud. Nous travaillons avec d’autres organismes donateurs seulement si nous avons établi avec eux un partenariat dont l’objet est de soutenir des institutions des pays du Sud.

Le sénateur Woo : Voulez-vous ajouter quelque chose, madame Higgins?

Mme Higgins : Bien sûr. Je serais heureuse de compléter ce qu’a dit Mme Delahanty sur le travail formidable accompli par le CRDI.

À Coopération Canada, nous chapeautons les organismes humanitaires et de développement international au Canada, mais nous travaillons aussi très étroitement avec nos coalitions sœurs partout dans le monde. Outre les membres du club des habitués comme vous les appeliez — même si nous en apprenons beaucoup au contact de collègues dans certains de ces pays —, nous travaillons avec nos réseaux et nos coalitions sœurs partout dans le monde. Cette coopération est présente sur le continent africain par l’entremise de nos coalitions sœurs du réseau international Forus qui regroupe des organismes comme Coopération Canada qui coordonnent les choses ensemble.

Ma collègue, Mme Mang-Benza, pourrait en dire un peu plus sur le rôle de leadership qu’elle joue au sein du Groupe de la société civile 7, ou C7 — associé aux pays du G7 —, mais elle travaille également beaucoup avec nos coalitions sœurs dans les pays du G7. Je veux d’ailleurs souligner le leadership qu’elle a exercé avec brio au Japon lors de la dernière réunion du G7. Nous pourrions en apprendre beaucoup de cette forme de coordination.

Pour terminer, je voudrais mentionner — nous n’en avons pas encore parlé — que les organismes canadiens de développement international réévaluent constamment leur rôle dans l’écosystème mondial. Des changements politiques se produisent. Les ressources doivent être dirigées là où les besoins sont les plus pressants, y compris dans les organismes de la société civile. Nous poursuivons une vraie réflexion sur la meilleure contribution que nous pouvons apporter à l’écosystème mondial.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons revenir à Mme Mang-Benza tout à l’heure, car j’aurais une question sur le G7 et sur le travail effectué en vue de la réunion de 2025 qui arrive à grands pas au pays.

La sénatrice M. Deacon : Merci de votre présence parmi nous aujourd’hui. Je vais poursuivre la discussion sur un point que j’ai soulevé hier. Ma question s’adresse à Coopération Canada. Le document que vous avez soumis intitulé L’avenir de l’engagement du Canada avec l’Afrique propose des principes dont le deuxième consiste à soutenir le leadership féministe africain, y compris les membres de la communauté LGBTQ2+.

Bon nombre de gouvernements africains ne sont pas vraiment favorables aux droits de la communauté LGBTQ2+. Je me demande comment le Canada pourrait promouvoir les droits des groupes marginalisés sans être perçu comme paternaliste — je ne dirai pas « arrogant », car le mot est trop fort —, mais en étant plutôt vu comme un partenaire soucieux de collaborer d’égal à égal.

Mme Mang-Benza : Le principe féministe est important parce qu’il est axé non seulement sur le respect des droits, mais aussi sur l’émancipation des femmes. Il préconise que les femmes concernées parlent pour elles-mêmes, ce qui est essentiel, au lieu de voir les autres parler pour elles sans elles. Voilà pourquoi ce principe s’inscrit dans les politiques d’engagement.

Ce que vous avez dit est important également, car nous voulons à tout prix éviter, comme je l’ai mentionné plus tôt, d’imprimer notre façon de faire ou d’adopter un ton moralisateur ou paternaliste. Pour revenir à notre point, voilà pourquoi l’engagement avec la société civile est capital, car cela permet aux acteurs de la société civile de chaque pays de définir la société qu’ils voudraient mettre en place. Les membres de la société civile canadienne ne devraient pas définir ou imposer aux autres pays un modèle de société à mettre en œuvre ou vers lequel tendre. Ils devraient plutôt travailler avec les sociétés civiles partenaires pour s’assurer que les voix et les besoins de celles-ci sont entendus et pris en compte. Évitons de proposer ou de parachuter un programme, mais assurerons-nous que la société civile va bien et qu’une diversité de voix en fait partie.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup aux témoins. Je suis ravie de vous voir parmi nous aujourd’hui. J’ai siégé au conseil de vos deux organismes à une certaine époque, et je connais le bon travail que vous faites. Cela dit, je suis très bien renseignée sur ce que vous êtes aujourd’hui. Vos organismes se sont passablement développés et complexifiés depuis le temps où je siégeais aux conseils. Félicitations pour cette progression.

Madame Mang-Benza, je vous remercie de vos commentaires sur notre étude. Merci également d’avoir précisé que l’objectif n’est pas de s’engager en Afrique, mais bien de s’engager avec l’Afrique. Cette nuance est très importante. Comme vous l’avez dit, madame Higgins, les organismes de la société civile africains doivent être aux commandes. Les pays qui fournissent de l’aide au développement ressassent depuis longtemps la même rengaine selon laquelle les pays où ils interviennent doivent être dans le siège du conducteur. Or, les organismes de la société civile qui représentent les communautés devraient eux aussi se trouver au premier plan. Ces organismes sont importants.

J’aimerais savoir une chose au sujet de Coopération Canada : avez-vous établi une cartographie des intervenants canadiens qui travaillent avec des homologues africains? Existe-t-il un document qui dresse le portrait de l’ensemble de l’écosystème? C’est la question que je voulais vous poser. Où peut-on trouver ces informations?

Madame Delahanty, je sais que votre organisme est passé à une autre étape et que vous continuez à faire des choses fantastiques, mais nous n’entendons plus autant parler du CRDI. Je me demande pourquoi. Comment se porte la relation avec le gouvernement du Canada? Je sais qu’une bonne partie de vos fonds viennent du gouvernement. En fait, de gros efforts de diversification des sources de financement avaient été déployés lorsque je siégeais au conseil, et je suis heureuse d’apprendre que cela se poursuit. Comment va la relation entre le CRDI et le gouvernement du Canada? Que pensez-vous du financement que vous recevez? Quelle est la tendance? Y a-t-il quelque chose dont vous voudriez nous faire part?

Mme Higgins : Merci beaucoup, sénatrice Coyle. Au cours de la dernière année, nous sommes parvenus à mieux cartographier la situation de nos membres qui sont actifs sur le continent africain et le type de travail qu’ils font. Dans la prochaine année, nous espérons aller encore plus loin pour déterminer précisément qui sont les partenaires en question. Évidemment, nos membres — ils sont une centaine — savent très bien qui sont leurs partenaires, mais c’est intéressant d’aller un peu plus loin.

Si vous le permettez, j’ajouterais brièvement que nous faisons vraiment tout ce que nous pouvons pour coordonner au Canada nos activités d’engagement. Par exemple, nous avons des conversations intéressantes avec le CRDI, notamment avec notre collègue qui témoigne aujourd’hui par vidéoconférence, sur la manière dont les recherches et les partenariats avec la société civile dans le continent africain favorisent le soutien mutuel et l’entraide et contribuent à ce travail capital. Je vous invite à suivre nos travaux, mais je vous transmettrai avec plaisir les informations que nous avons jusqu’à présent.

La sénatrice Coyle : Merci.

Mme Delahanty : Merci beaucoup. Pour répondre à la question de savoir pourquoi nous passons un peu sous le radar au Canada, je répondrais que rares sont les organismes de développement international qui font les manchettes au pays. Par contre, notre réputation dans les pays du Sud demeure excellente. Le CRDI est toujours mentionné lors des conversations sur le Canada dans ces régions. C’est ce que j’ai constaté. Je ne travaille au CRDI que depuis six mois, mais j’ai vu récemment que c’était le cas.

Nous nous penchons sur des façons de faire connaître au public notre travail afin de démontrer davantage notre pertinence au Canada. Nous sommes conscients que les perceptions sur le bien-fondé de notre organisme sont moins favorables qu’auparavant au pays, mais nous travaillons très fort pour redresser la situation.

Quant à notre relation avec le gouvernement du Canada, il y a entre Affaires mondiales Canada et nous de très grandes synergies. Nous travaillons ensemble sur les politiques, mais nous élaborons également une programmation avec eux, particulièrement lorsque des besoins prioritaires sont relevés qui nécessitent davantage d’études et de données probantes. Par exemple, nous avons tous deux soutenu la recherche et la production de données probantes sur les innovations en soins de santé en Afrique et partout dans le monde. Nous entretenons des relations très fortes non seulement avec AMC, mais aussi avec Agriculture Canada et Environnement et Changement climatique Canada. Nous collaborons énormément avec l’écosystème de la recherche au Canada, les trois conseils subventionnaires fédéraux, les universités et plusieurs autres partenaires. En somme, nous œuvrons tous ensemble pour que le Canada joue un rôle plus grand en Afrique.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Cardozo : Ma question a trait au développement économique et s’adresse à Mme Mang-Benza. Vous avez parlé d’un engagement avec l’Afrique; concernant le Groupe de la société civile des 7 (C7), est-ce que vous parlez de développement pour l’Afrique et de commerce entre le Canada — ou les pays de l’Occident — et l’Afrique?

Mme Mang-Benza : Le C7 n’a pas de priorité géographique; il accompagne le processus du G7 à chaque présidence en examinant l’impact, le rôle et l’importance du G7 dans un monde connecté. Donc, sans avoir un intérêt particulier pour un continent, ce que le C7 met de l’avant, c’est plutôt comment les pays du G7 peuvent utiliser et devraient utiliser leur influence pour régler certains problèmes globaux.

Lorsque vous lisez les communiqués du C7, année après année, il est plutôt question de questions structurelles. L’an dernier, je crois, lors du C7 de 2023, le groupe est allé encore plus loin que les années précédentes pour mettre de l’avant des questions systémiques ainsi que le rôle et les responsabilités des pays du G7 sur des dimensions structurelles, qui sont des causes de la perpétuation des problèmes et des défis en matière de taxation ou de génération de revenus sur les plans nationaux, ou en matière de justice climatique ou économique. Le C7 n’a pas le mandat de se pencher sur des pays en particulier. Même si le C7 apparaît parfois comme référence dans les communiqués, avec certains exemples, ce n’est pas son mandat.

Le sénateur Cardozo : Avez-vous des recommandations à faire pour augmenter le commerce entre le Canada et l’Afrique?

Mme Mang-Benza : Au sein du C7, ce ne serait pas le type de recommandation qu’il ferait.

Le sénateur Cardozo : La question s’adresse à vous.

Mme Mang-Benza : À Coopération Canada?

Le sénateur Cardozo : Oui.

[Traduction]

Mme Higgins : Beaucoup de nos membres se concentrent sur le développement économique dans les pays d’Afrique avec lesquels ils ont des partenariats. Les projets peuvent être liés à l’agriculture ou au commerce. Ils s’assurent que les entrepreneuses ont accès à du soutien financier. Nos membres sont nombreux à mener des travaux intéressants sur le financement mixte et le financement novateur. Ils examinent comment tirer parti en quelque sorte du secteur privé. Il existe une multitude de projets conçus pour stimuler et encadrer le développement économique inclusif en Afrique.

Notre mandat porte essentiellement sur le développement et le travail humanitaire, mais nous reconnaissons le rôle important que peut jouer le développement économique, pour autant qu’il soit inclusif.

Le sénateur Cardozo : Je voudrais parler de la nécessité de changer notre approche à l’égard de l’Afrique. Outre la relation d’aide, nos relations avec ce continent devraient englober le développement économique. Ces deux volets s’imbriquent parfois.

Mme Mang-Benza : Pour ajouter à ce qu’a dit Mme Higgins, le commerce inclusif fait toute la différence. Beaucoup de nos membres mettent l’accent sur le commerce inclusif plutôt que sur le commerce conventionnel.

Le sénateur Cardozo : Quelle est la signification de commerce inclusif?

Le président : Merci, mais votre temps est écoulé.

Le sénateur Cardozo : Je vais y revenir plus tard.

La sénatrice Boniface : Puisque ma question a déjà été posée, je vais vous laisser répondre à la question sur la signification de commerce inclusif.

Mme Mang-Benza : Le commerce inclusif est axé sur la notion d’équité qui suppose une relation bilatérale avantageuse pour chacune des parties. Il faut déterminer qui prend part aux échanges commerciaux ainsi que les conditions de l’entente — la relation commerciale —, notamment les avantages que les parties en retireront de même que leur contribution. Si les gagnants sont toujours du même côté, ce n’est pas du commerce inclusif.

La sénatrice Boniface : Merci. Mon autre question s’adresse à Mme Delahanty. J’ai trouvé intéressants vos commentaires sur l’intelligence artificielle comme moyen de développer les capacités de recherche entre autres. Travaillez-vous sur la désinformation et la mésinformation avec les organismes en Afrique? Dans l’affirmative, pourriez-vous nous dire ce que vous faites? Je pose la question parce que l’IA aura une grande incidence sur l’avenir de la gouvernance.

Mme Delahanty : Merci. C’est une question passionnante. La gouvernance démocratique et inclusive est un des piliers de notre travail. Nous approfondissons des thèmes tels que la fermeture de l’espace public et l’élimination de la désinformation et de la mésinformation — notamment dans le volet de notre programme qui porte précisément sur l’IA — et nous réalisons des analyses.

Je peux volontiers vous transmettre d’autres informations sur certains de ces programmes, car ils sont fascinants. Toutefois, le point sur lequel j’aimerais insister est la nécessité de comprendre le contexte local lorsque nous examinons la mésinformation et la désinformation. Il faut pour ce faire trouver comment travailler avec les partenaires et les établissements de recherche locaux.

La sénatrice Boniface : Merci. Ma prochaine question s’adresse à Coopération Canada. Au sujet de la rencontre entre la sécurité et le développement, si nous nous projetons dans l’avenir, quelles seront les priorités, selon vous, dans le travail que vous faites?

Mme Higgins : Je peux dire quelques mots, et ensuite céder la parole à Mme Mang-Benza.

C’est une question très importante. Sans aller dans les détails techniques, un grand nombre de nos membres ont beaucoup réfléchi sur la nature changeante du contexte dans lequel nous travaillons. D’une part, les crises humanitaires durent beaucoup plus longtemps par rapport aux décennies antérieures, et d’autre part, l’intersection de la sécurité et du développement pose des problèmes profonds.

Une partie du travail que nous essayons d’accomplir est la mise en place d’une programmation « triple nexus » permettant la convergence des secteurs que sont l’aide humanitaire, l’aide au développement et le renforcement de la paix et de la sécurité. En toute franchise, une des difficultés est le système d’aide — y compris le système d’aide internationale au Canada — qui n’est pas vraiment adapté aux circonstances actuelles. Nous insistons vraiment sur ce point. Comment changer les mécanismes de la prestation d’aide au développement international pour mieux répondre aux réalités sur le terrain lorsque les besoins de développement humanitaire et la sécurité se chevauchent? Nous avons besoin de meilleurs outils pour intervenir dans le contexte actuel.

Le président : Merci.

Nous allons entamer la deuxième série de questions, mais j’aurais auparavant une question qui s’adresse expressément à Mme Mang-Benza.

Dans la réponse que vous avez donnée au sénateur Cardozo, vous avez mentionné le Groupe de la société civile 7, ou C7. Pendant les années où j’ai participé aux processus du G7, j’ai toujours senti que c’était quelque chose que le Canada apportait aux discussions — le besoin de consulter avec la société civile autrement qu’en faisant cocher des cases. Honnêtement, dans le contexte du G7, c’était assez ardu, car même les pays du G7 ont différents niveaux de mobilisation de la société civile.

Comme le Canada se prépare à assurer la présidence du G7 en 2025 et à tenir une série de réunions, notamment avec tous les groupes d’engagement, dont le C7, je me demandais — comme Mme Higgins l’a mentionné tout à l’heure — si les liens que vous avez réussi à établir avec le Japon lors de la dernière présidence, et peut-être avec l’Italie pour la présidence actuelle, ont porté leurs fruits. Dans le contexte de l’Afrique, je me demandais également si les organismes de la société civile essayaient ou non d’établir des relations avec leurs homologues en Afrique et si quelque chose pourrait en résulter, le cas échéant.

Pardonnez mon feu roulant de questions, mais votre organisme est-il préparé, dans cette optique, à renforcer son engagement avec le gouvernement fédéral?

Mme Mang-Benza : Tout à fait. Je répondrais oui, oui et oui à toutes vos questions.

Pour vous donner plus de détails, la beauté du C7, c’est qu’il va au-delà des sept pays. Le C7 est reconnu pour ses liens avec un large éventail d’acteurs de la société civile de tous les continents. Ils ne sont pas que des participants au sommet et à la discussion, mais font aussi partie des comités directeurs.

En tant que représentants de la société civile canadienne, nous siégeons au comité directeur du C7. Depuis l’an dernier, en plus des membres japonais, le comité directeur compte des représentants de la société civile d’autres pays qui ne font pas partie du G7. Cela change la donne. Pourquoi? Parce que le communiqué final publié par le C7 reflète le monde tel qu’il est et la majorité mondiale qui ne fait pas partie des pays du G7. Le ton, le libellé et même la qualité des recommandations sont donc différents.

Cela représente toutefois un défi. Nous en tenons compte dans le cadre de nos discussions avec nos membres pour 2025. Il faut savoir comment éviter de dresser une liste de priorités si longue qu’aucun pays ne pourra en faire quoi que ce soit... parce qu’elle représente tout et rien à la fois. Nous devrons tenir compte de ce défi au fur et à mesure que nous progresserons vers notre présidence. Nous en avons également entendu parler il y a quelques mois. Nous avons organisé notre propre événement pour nous préparer lentement à 2025. Le bureau du sherpa nous dit aussi de ne pas créer une liste trop longue, parce qu’elle ne servira à rien.

La diversité nous permet aussi de réaliser que l’espace du G7 est légitime, mais que cette légitimité n’est pas garantie, parce que d’autres espaces sont en plein essor. Nous sommes en mesure de l’entendre parce que nous avons un large éventail de partenaires au sein du comité directeur.

J’ai peut-être laissé de côté une partie de votre question.

Le président : Je n’ai malheureusement plus de temps. Je suis désolé. Je sais que mes collègues me féliciteront pour cela. Nous pourrons y revenir. Nous allons maintenant passer à la deuxième série de questions. Quelques sénateurs ont demandé à intervenir; d’autres peuvent le faire, évidemment. Je tiens à vous rappeler que nous recevons aussi Mme Ingabire, qui se joint à nous à partir du Sénégal, en Afrique. Je ne voudrais pas qu’elle se sente seule et que nous oubliions de lui poser des questions.

[Français]

La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse à tout le monde, y compris Mme Ingabire. J’aimerais revenir sur la question posée précédemment à Affaires mondiales Canada et qui a été relancée par le sénateur Woo.

Hier, deux témoins nous ont affirmé que le Canada devait prendre davantage sa place en Afrique et cesser de se laisser distancer par les autres puissances, notamment au plan du développement.

Comment expliqueriez-vous ce sentiment largement répandu, à tort ou à raison, selon lequel le Canada n’a pas pris acte de l’importance actuelle et à venir du rôle de l’Afrique dans les affaires mondiales et ne fait pas figure de partenaire plus important sur le continent? La question s’adresse à tout le monde.

Mme Delahanty : Nous allons commencer par Mme Ingabire.

Mme Ingabire : Je vous remercie de la question. Là où je me situe en ce qui concerne la région de l’Afrique de l’Ouest et du centre, du moins dans le contexte de notre travail au CRDI, c’est plutôt l’inverse.

Je vois beaucoup plus d’appréciation et de reconnaissance de ce que le Canada fait, non seulement pour renforcer les capacités, mais aussi pour consolider ses réseaux déjà en place, que ce soit avec les chercheurs ou avec les communautés qui se préoccupent de l’institutionnalisation des évidences dans la prise de décisions.

Sur le plan du continent, nous avons mentionné que nous travaillons avec des partenaires non traditionnels. Effectivement, dans le cadre de notre travail, nous appuyons ce partenariat sud-sud, comme c’est le cas par exemple de la Fondation nationale pour la recherche en Afrique du Sud, qui nous aide dans le contexte de l’initiative des organismes subventionnaires de recherche. J’aimerais souligner l’importance de cette collaboration et de ces chercheurs avec les Canadiens.

C’est une collaboration qui s’est renforcée, et on le voit très bien. La plupart ont des liens très privilégiés avec le Canada, soit parce qu’ils y ont étudié, mais aussi parce qu’il y a ces échanges, y compris avec la diaspora africaine au Canada. Dans notre contexte, je vous dirais que tout ce qui est rattaché à la recherche et à l’innovation et au soutien que le Canada apporte est très important. C’est bien reconnu par les gens que nous rencontrons tant sur le plan individuel qu’institutionnel.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Il y a là matière à réflexion. Pour en revenir aux intérêts et à l’engagement du Canada en Afrique et au fait cela va au-delà des organisations qui sont représentées ici ou le groupe de témoins qui a comparu devant nous, j’aimerais entendre les représentantes des deux organisations nous parler de façon plus générale du réseau humain dont vous faites partie, avec le CRDI, qui compte des Canadiens et des Africains formés au Canada, et de ce grand atout sur lequel nous devrions miser davantage.

Dans le cas de Coopération Canada, il y a des millions de Canadiens qui appuient ces centaines d’organisations qui, de bien des façons, sont vos membres. Nous avons tendance à oublier... Nous pensons toujours à l’aide gouvernementale, mais je sais, pour en avoir reçu au fil des ans, qu’elle ne représente qu’une partie du soutien que nous avons reçu de fondations, de particuliers et d’autres personnes qui étaient très engagées auprès de l’Afrique.

Y a-t-il un moyen pour nous d’avoir une vue d’ensemble des personnes, de l’engagement et des ressources financières qui existent, mais qui ne sont pas toujours visibles?

Mme Higgins : Bien sûr. Je peux répondre en premier, puis je passerai la parole à Mme Delahanty.

Je vous remercie beaucoup d’avoir abordé ce sujet. Des millions de Canadiens favorisent le leadership international du Canada par l’entremise des dons, du bénévolat, de la défense des droits, des lettres, des communications avec les députés et de la mobilisation. Nous voulons mieux quantifier et définir leur appui, parce qu’il est très important et qu’il dépasse le simple financement du gouvernement.

La sénatrice Coyle : Exactement.

Mme Higgins : Il est aussi très pancanadien et ne vient pas seulement des grands centres métropolitains, mais aussi des régions et des collectivités rurales. Étant donné la diversité de votre groupe de sénateurs, je crois que vous savez que dans vos provinces et vos territoires, il y a des dizaines de milliers, voire des millions de Canadiens qui appuient ce travail. Il est très important de quantifier cela et de le comprendre.

Pour revenir un peu sur le commentaire de la sénatrice, nos membres estiment que nous avons besoin d’un effort et d’un engagement régionaux plus coordonnés en Afrique et que, comme le sous-ministre MacLennan l’a mentionné plus tôt, l’accent mis sur la région indo-pacifique et la stratégie connexe a peut-être donné l’impression que nous accordions moins d’importance à notre engagement régional. Je pense que cette étude et certains des travaux envisagés par le gouvernement du Canada constituent une occasion très importante pour nous de participer à ces partenariats entre personnes et de considérer le continent africain comme une région avec laquelle nous devons collaborer et établir de solides liens.

La sénatrice Coyle : Et mobiliser plus de Canadiens.

Mme Higgins : Tout à fait.

Mme Delahanty : Merci beaucoup pour cette question. Évidemment, le mandat même du CRDI est de soutenir les chercheurs et la capacité de recherche dans les pays du Sud. Nous comptons 50 années de réseautage avec des chercheurs individuels, mais aussi — et de façon encore plus importante — avec des établissements de recherche avec lesquels nous entretenons des relations durables et à long terme. Bon nombre des personnes que nous avons soutenues au fil des ans sont maintenant des chefs d’État dans bien des cas. Nous avons des relations très étroites avec toutes ces organisations. Elles nous permettent d’obtenir des conseils et des données probantes, et d’être des chefs de file; nous entretenons toutes sortes de liens avec elles.

De plus, le travail que nous faisons avec ces institutions revient souvent au Canada. Dans l’exemple que nous avons entendu plus tôt, le CRDI a soutenu le système de surveillance de l’Afrique du Sud pour localiser les nouveaux variants. C’est ce qui a d’abord permis d’identifier Omicron, et c’est pourquoi on l’appelait le « variant sud-africain » au début. Cette recherche et l’analyse qui a été faite ont été utilisées par le gouvernement de l’Ontario pendant la crise du variant Omicron afin d’appuyer l’élaboration des politiques au Canada. Il s’agit d’un vaste bassin de relations qui reposent sur notre soutien à l’égard du renforcement des capacités, des connaissances locales et du développement local, en particulier dans le Sud.

Le président : Merci beaucoup. Au nom du comité, je tiens à remercier Julie Delahanty, Kate Higgins, Carelle Mang-Benza et Marie-Gloriose Ingabire pour leurs exposés et pour leurs réponses à nos questions approfondies. Nous en savons maintenant beaucoup plus sur le sujet. Merci beaucoup. Nous vous recevrons peut-être à nouveau pour peaufiner notre étude sur l’engagement du Canada en Afrique.

Merci. Chers collègues, nous allons nous arrêter là pour aujourd’hui.

(La séance est levée.)

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