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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 20 mars 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 14 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les relations étrangères et le commerce international en général.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Greene : Stephen Greene, sénateur de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Ravalia : Bienvenue. Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.

La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario. Bienvenue.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish en Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Le sénateur MacDonald de la Nouvelle-Écosse vient de se joindre à nous.

Je vous souhaite la bienvenue à tous, sénateurs, ainsi qu’à ceux qui nous regardent aujourd’hui sur SenVu depuis partout au pays.

Chers collègues, nous nous réunissons aujourd’hui en vertu de notre ordre de renvoi général pour discuter des engagements et des obligations du Canada dans le cadre des Nations unies. À cette fin, nous sommes très heureux d’accueillir, par vidéoconférence, l’honorable Bob Rae, ambassadeur et représentant permanent du Canada auprès des Nations unies à New York, ainsi que deux fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada, qui sont dans la salle pour appuyer l’ambassadeur Rae. Il s’agit d’Emi Furuya, directrice générale, Organisations internationales, et de Johanna Kruger, directrice, Direction des Nations unies. Je vous remercie d’être avec nous.

Monsieur l’ambassadeur, avant d’entendre vos remarques et de passer aux questions, je voudrais demander aux membres du comité et aux témoins présents dans la salle de ne pas se pencher trop près du microphone ou d’enlever leur oreillette lorsqu’ils le font. Vous éviterez ainsi tout effet Larsen qui pourrait être dangereux pour le personnel du comité, en particulier pour les interprètes, qui portent des écouteurs.

Le sénateur Housakos, du Québec, s’est également joint à nous, donc le comité est au complet.

Nous sommes prêts à entendre votre exposé liminaire, monsieur l’ambassadeur. Il sera suivi, comme à l’accoutumée, par les questions des sénateurs. Vous avez la parole, monsieur.

[Français]

L’honorable Robert Rae, c.p., ambassadeur et représentant permanent du Canada auprès des Nations unies à New York, Affaires mondiales Canada : Honorables sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier de m’accueillir parmi vous cet après-midi. C’est avec grand plaisir que je prends la parole devant ce comité pour vous parler du rôle du Canada à l’Organisation des Nations unies. Je vais parler en anglais et en français, surtout que c’est aujourd’hui la Journée de la Francophonie à l’ONU, donc c’est important pour moi de commencer mon allocution dans une des deux langues officielles du Canada.

[Traduction]

Merci beaucoup, monsieur le président et honorables sénateurs. Je suis très heureux d’avoir l’occasion de m’adresser à vous et je répondrai volontiers à vos questions.

Nous tenons souvent pour acquis que les Nations unies, ou l’ONU, sont la pièce maîtresse du système international fondé sur des règles et l’épine dorsale du multilatéralisme, mais c’est pourtant bien le cas. Voilà ce dont je veux vraiment vous parler aujourd’hui.

Les Nations unies, fondées en 1945 à l’issue de longues négociations à San Francisco, cherchent à favoriser la coopération entre les États membres dans les domaines de la paix et de la sécurité, du droit international, des droits de la personne, du développement économique et social durable et de la coopération humanitaire. L’ONU établit des normes mondiales qui sont essentielles à nos intérêts nationaux. Mais il est important de comprendre que le système multilatéral est aujourd’hui confronté à des défis sans précédent. Il existe littéralement des dizaines de conflits graves dans le monde, auxquels participent même certains États membres qui utilisent les Nations unies de manière tout à fait illégitime pour faire avancer leur propre cause et qui cherchent à limiter les droits de la personne et l’égalité des sexes.

Dans ce contexte, le rôle du Canada au sein des Nations unies est plus important que jamais, car nous nous efforçons de faire en sorte que l’ONU soit efficace, pertinente et responsable dans l’accomplissement de tous ses mandats.

En 2022, le Canada était le sixième plus important contributeur au système des Nations unies — d’après les statistiques les plus récentes et les plus fiables dont nous disposons — avec plus de 2,49 milliards de dollars par an. C’est tout à fait extraordinaire. Des gens disent parfois que le Canada ne fait que le minimum requis; je vous dirais le contraire.

Ce niveau de contribution et d’engagement de la part du Canada exige de nous d’être là et de demander une reddition de comptes.

Je dirais également que je suis très fier d’être Canadien le jour où nous payons, intégralement et à temps, nos contributions aux Nations unies. C’est exactement ce que nous faisons — payer en totalité et à temps —, ce qui, je peux vous l’assurer, est extrêmement apprécié par l’ONU, compte tenu des nombreux mauvais payeurs chroniques et de certains qui ne payent pas du tout.

Pourtant, la présence et la participation du Canada ici à New York, notre bureau principal, ainsi que dans d’autres capitales de l’ONU, n’ont pas suivi le rythme de la plupart de nos homologues du G20. Je peux honnêtement dire que les ressources de l’ONU ici à New York sont mises à rude épreuve pour faire face aux nombreux graves problèmes mondiaux.

Tout d’abord, l’ONU est essentielle à la réalisation des objectifs de la politique étrangère canadienne, dont beaucoup ne peuvent tout simplement pas être atteints de façon unilatérale. Voilà, en quelque sorte, la logique du multilatéralisme. Nous sommes une puissance moyenne, mais nous ne sommes pas une puissance qui peut facilement fixer les règles pour les autres. La négociation nous est importante pour parvenir à des règles et des lois qui protègent nos intérêts tout en protégeant ceux des autres. C’est le sens même du mot « multilatéral ».

Je pense que les Nations unies, bien qu’imparfaites — et je sais qu’on me posera des questions sur ces imperfections —, restent la meilleure plateforme pour relever les nombreux défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés, y compris les multiples crises géopolitiques qui se chevauchent. Par « multiples crises qui se chevauchent », j’entends les crises politiques, militaires, sociales et économiques qui se cumulent, comme Gaza, Haïti, le Soudan, le Myanmar et l’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie — avec les conséquences dramatiques de cette invasion non seulement pour l’Ukraine et les pays voisins mais, en fait, pour le monde entier. Nous sommes également confrontés aux effets du changement climatique, à la reprise économique post-COVID et à la nécessité de mieux mobiliser les ressources financières pour le développement économique.

L’une des plus grandes réalisations des Nations unies est l’élaboration d’un corpus de droit international, qui n’a pas commencé qu’en 1945, mais qui s’est certainement enrichi de manière exponentielle depuis cette date, avec un nombre considérable d’accords. Ils sont tous essentiels à la promotion du développement économique et social, ainsi qu’à la promotion de la paix et de la sécurité internationales par le biais de traités, de conventions et de normes.

Le Canada est un fidèle partisan de la Cour internationale de justice, qui est le principal organe judiciaire des Nations unies. Nous pensons que la Cour joue un rôle crucial en facilitant le règlement pacifique des différends entre les États, et pour le maintien et la promotion de l’État de droit.

Je vous rappelle que le Canada a été l’un des principaux moteurs du processus de création du Statut de Rome, dès les années 1980, et de l’élaboration du traité du Statut de Rome qui a servi de base à la création de la Cour pénale internationale. Ces deux tribunaux sont évidemment basés à La Haye, mais de nombreux autres mécanismes ont été créés par les Nations unies, en particulier pour la Syrie et le Myanmar, où le Canada a joué un rôle essentiel en disant : « Si nous ne pouvons pas nous mettre d’accord sur la procédure judiciaire, mettons-nous au moins d’accord sur la manière dont nous rassemblerons les preuves des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre ».

En ce qui concerne la paix et la sécurité, nous avons défendu l’architecture de consolidation de la paix de l’ONU dès sa création. Nous soutenons les efforts actuels pour renforcer la cohérence et les partenariats en faveur de la consolidation de la paix dans l’ensemble des Nations unies.

Nous sommes encore largement reconnus comme un chef de file en matière de consolidation de la paix par d’autres États membres et dans l’ensemble du système des Nations unies. Par exemple, le Canada préside le Comité spécial des opérations de maintien de la paix, ou C-34 — aussi connu sous le nom de « Comité des 34 »... Parce qu’il ne compte pas 34 membres. C’est en partie grâce à notre soutien constant, qui comprend — sans s’y limiter — notre participation à la Commission de consolidation de la paix depuis 2008, ainsi que des programmes de médiation et de soutien au Département des affaires politiques et de la consolidation de la paix des Nations unies. Nous avons soutenu les opérations de maintien de la paix de l’ONU depuis le début, et nous continuons de fournir une expertise spécialisée, de la formation, des capacités et du personnel — comme nous le faisons actuellement, par exemple, dans le cadre de la mission multinationale qui est mise sur pied pour Haïti — ainsi que du financement pour de nouveaux projets et des contributions afin de continuer à soutenir les opérations de maintien de la paix de l’ONU.

Grâce à toutes ces contributions, nous appuyons les efforts visant à accroître la participation significative des femmes aux opérations de maintien de la paix, la protection des civils, la sécurité des gardiens de la paix et l’efficacité des opérations. Nous sommes le huitième contributeur financier en importance aux opérations de maintien de la paix de l’ONU. Nous sommes le troisième plus important fournisseur de financement volontaire.

Nous menons également la charge sur de multiples questions stratégiques liées au maintien de la paix grâce à des mesures comme l’Initiative Elsie pour la participation des femmes aux opérations de paix et les Principes de Vancouver sur le maintien de la paix et la prévention du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats.

En ce qui a trait au développement durable, disons simplement que nous travaillons très fort sur le Programme de développement durable à l’horizon 2030 de l’ONU. Le Canada s’est engagé à mettre pleinement en œuvre le programme et à accélérer les progrès vers l’atteinte des objectifs de développement durable dans le cadre de ce que nous appelons la « Décennie d’action ».

Nous savons que nous devons travailler en étroite collaboration avec les Nations unies... Pour les mesures que nous prenons au Canada et ce que nous encourageons les autres pays à faire. Nous travaillons avec l’UNICEF, le Programme des Nations unies pour le développement et des partenaires clés à la mise en œuvre de la Politique d’aide internationale féministe du Canada.

Les droits de la personne et l’égalité des sexes ont toujours été au cœur de notre engagement. Nous venons de célébrer le 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, à laquelle John Humphrey, un Canadien du Nouveau-Brunswick, a participé activement.

Nous avons élargi nos intérêts, notamment en défendant les droits des femmes, des filles et des enfants, des personnes 2ELGBTQI+, des peuples autochtones et des défenseurs des droits de la personne. Nous nous efforçons également de promouvoir la liberté d’expression, en ligne et hors ligne, et la liberté de religion ou de croyance, ainsi que l’abolition de la peine de mort.

Nous continuerons de concentrer nos efforts là où les violations des droits de la personne et les abus sont particulièrement flagrants, comme en Afghanistan — je pense que les Afghans ont réussi à créer un nouveau crime contre l’humanité : l’apartheid sexuel — ainsi qu’en Iran et en Ukraine, qui est occupée par la Russie.

Nous accordons aussi la priorité aux efforts visant à éliminer toutes les formes de violence fondée sur le sexe. Nous appuyons les efforts de l’ONU visant à promouvoir l’égalité des sexes à titre d’élément essentiel pour la prospérité, le développement durable, la justice, la paix et la sécurité.

[Français]

Cette année, le Canada jouera un rôle encore plus important au sein de l’Organisation des Nations unies. Le 27 juillet, j’aurai l’honneur de prendre le poste de président du Conseil économique et social (ECOSOC) des Nations unies pour une durée d’un an. Il s’agit d’une occasion de faire progresser les valeurs et les intérêts du Canada au sein d’un groupe de 54 pays divers.

Le Sommet de l’avenir, un événement qui rassemblera tous les chefs d’État et de gouvernement des États membres des Nations unies afin de discuter des enjeux globaux, se tiendra lors de la Semaine de haut niveau de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre. Ce sommet sera une occasion pour le Canada et tous les États membres de renforcer la coopération multilatérale, de combler les lacunes que présente la gouvernance mondiale, de réaffirmer les engagements existants et, enfin, de progresser vers un système multilatéral revitalisé.

Honorables sénateurs, monsieur le président, j’espère que ces quelques mots vous auront convaincus du rôle important que joue le Canada au sein des Nations unies. Les efforts multilatéraux que nous faisons par le biais de cette organisation sont plus importants que jamais. Je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup de vos commentaires, monsieur l’ambassadeur. C’est maintenant la période des questions et des réponses. Je précise à mes collègues que vous disposez comme d’habitude de quatre minutes chacun pour la première ronde, y compris les questions et les réponses. Je vous demande donc d’être concis; nous pourrons toujours tenir une deuxième ronde, si le temps le permet.

[Traduction]

Le sénateur Housakos : Merci, monsieur Rae, d’être avec nous, et merci pour votre service.

Plus tôt cette année, monsieur l’ambassadeur, notre gouvernement a annoncé l’imposition d’un embargo sur les armes en Israël, et a réitéré cette annonce il y a quelques jours — lundi soir, en fait — après la présentation de ce que je considère comme une motion répugnante à la Chambre des communes. La motion délégitime essentiellement le droit d’Israël de se défendre et légitime également ce que nous savons être une organisation terroriste : le Hamas. Voici l’une de mes questions, monsieur l’ambassadeur : pourquoi Israël est-il un allié plus digne que, par exemple, la Turquie, où nous venons de lever un embargo militaire qui était en place, alors que certains d’entre nous croient — et vous aviez partagé à juste titre votre point de vue sur le sujet il y a un certain temps — que la Turquie et l’Azerbaïdjan menaient une campagne de nettoyage ethnique dans le Haut-Karabakh? Pourquoi notre gouvernement ferait-il quelque chose d’aussi inapproprié en ce moment — les relations multilatérales étant si difficiles — et pourquoi serions-nous si confus en ce qui concerne nos valeurs morales lorsque nous traitons avec un allié comme Israël et un allié comme l’OTAN, en prenant des mesures contradictoires? J’aimerais savoir ce que vous en pensez, monsieur l’ambassadeur.

M. Rae : Sénateur Housakos, je suis dans une position difficile parce que vous me posez des questions sur une résolution qui a été adoptée à la Chambre des communes, et sur des changements de politiques qui ont été annoncés par le gouvernement. Si je peux me permettre, je pense qu’elles sont de nature très politique. Il fut un temps où je vous aurais répondu différemment, dans un autre contexte et dans une autre tribune, mais je ne peux pas vraiment répondre à la question que vous avez posée ici, car il s’agit d’une question directe sur les politiques, qu’il vaudrait mieux poser à vos collègues du Sénat qui parlent au nom du gouvernement, ainsi qu’à la Chambre des communes, où ces réponses peuvent être données.

Brièvement, de mon point de vue, et étant donné la politique du gouvernement du Canada aux Nations unies, je ne peux que dire ceci : le Canada était présent lors de la création de l’État d’Israël, en ce sens que nous avons inclus Israël et voté en faveur de son adhésion aux Nations unies. Israël est membre des Nations unies. Israël est aussi un pays avec lequel nous avons établi des liens d’amitié et d’engagement très solides, et ces liens perdurent. Je peux vous dire que, dans le contexte des Nations unies, nous entretenons ces liens au quotidien et nous travaillons en étroite collaboration avec le gouvernement d’Israël sur un certain nombre de questions.

En même temps, il est important de rappeler qu’en 1947, le Canada était l’un de ces pays à qui l’on avait demandé quoi faire avec l’ancien mandat britannique en Palestine. C’est un juge canadien — Ivan Rand — qui était membre du comité, qui avait dit qu’il devrait y avoir deux États pour deux peuples et que ces deux États devraient vivre côte à côte dans la paix et la sécurité. À l’époque, cette proposition avait été rejetée par de nombreux pays arabes, et il y a eu ensuite une guerre entre Israël et ses voisins. Israël a réussi à traverser cette guerre, est demeuré un État-nation et est demeuré membre. Depuis ce temps, nous nous posons la question suivante : comment reconnaître et créer deux États?

La guerre en cours entre l’État d’Israël et le Hamas a coûté des milliers et des milliers de vies. Elle a créé une catastrophe humaine à Gaza et a amené le gouvernement à prendre certaines décisions — des décisions stratégiques — qui, je pense, reflètent son évaluation de la meilleure façon de réagir à ce qui s’est passé à la suite de la terrible attaque du Hamas le 7 octobre.

Le président : Merci, monsieur l’ambassadeur. Je dois vous interrompre.

M. Rae : J’aimerais souligner un dernier point : le Hamas est une organisation terroriste, désignée par le gouvernement du Canada, et je l’établis clairement chaque fois que je m’exprime aux Nations unies sur ce sujet.

Le président : Merci. Nous n’avons plus de temps pour ce segment.

La sénatrice M. Deacon : Je remercie tous les témoins d’être avec nous aujourd’hui. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Monsieur Rae, en 2010 et en 2020, le Canada a tenté de s’assurer un siège non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, sans succès. Je me demande si nous pouvons tirer certaines leçons de ces échecs. À votre avis, est-ce que nous avons fait certains faux pas et est-ce que nous pourrions mieux faire les choses la prochaine fois? C’est la première partie de ma question.

M. Rae : Je suis sûr que oui. Nous nous penchons régulièrement sur ces questions. À mon avis, il faut se demander comment nous pouvons nous donner une chance équitable au sein du groupe responsable du vote, c’est-à-dire le soi-disant Groupe des États d’Europe occidentale et autres États. Je n’étais pas du tout présent lors du vote de 2010, mais je peux vous dire qu’au vote de 2020, nous nous sommes lancés dans la course tardivement, alors que de nombreux membres avaient déjà choisi deux autres pays : la Norvège et l’Irlande.

Quoi que nous fassions, il faut que ce soit bien planifié, longtemps à l’avance, et cela doit faire partie de notre plan à long terme pour notre adhésion au Conseil de sécurité de l’ONU. Ce n’est pas facile à faire. Il n’y a que deux sièges pour le groupe, qui changent tous les deux ans, et il y a en tout 193 pays à l’ONU. Il est plus difficile pour nous de nous faire élire aujourd’hui qu’au début des Nations unies, en 1945.

Nous devons également reconnaître que la pertinence du Conseil de sécurité de l’ONU est maintenant sérieusement remise en question par la situation géopolitique dans laquelle nous nous trouvons. Le Conseil de sécurité de l’ONU est paralysé. Il a de la difficulté à faire preuve de leadership, et le fait que nous ne siégions pas au Conseil de sécurité de l’ONU ne nuit en rien à notre capacité d’influer sur les événements ou d’être un membre important de l’organisation, et je ne vois aucun signe que le point de vue du Canada est moins important d’une quelconque façon parce que nous ne siégeons pas au Conseil de sécurité de l’ONU pour une période de deux ans à un moment donné.

Je suis en poste depuis près de quatre ans maintenant, et je ne ressens aucunement le poids d’une absence au Conseil de sécurité de l’ONU. Cela n’existe tout simplement pas.

La sénatrice M. Deacon : Merci. Si l’on regarde la situation dans son ensemble, les Nations unies et les perceptions à son égard, puisque plusieurs personnes au pays considèrent qu’il s’agit d’un jeu politique... Et comme vous le savez, une députée a dit publiquement que le Canada devrait se retirer des Nations unies. Il se peut que d’ici un an ou deux, d’autres personnes au gouvernement partagent cette opinion.

Je me demande comment nous pouvons convaincre les Canadiens qu’il est dans notre intérêt non seulement de rester avec les Nations unies, mais aussi d’engager des ressources pour renforcer notre position lorsque les manchettes vont dans l’autre sens.

M. Rae : Je suis le premier à dire que l’ONU n’est pas parfaite et que parfois, elle n’arrive pas à s’acquitter de son mandat pour la simple raison qu’elle est composée de tous les pays du monde. De plus, pour la seule institution — le Conseil de sécurité des Nations unies — qui a été créée pour traiter de la paix et de la sécurité, cinq pays membres ont un droit de veto, y compris la Russie et la Chine. On peut donc se demander s’il est facile d’obtenir un consensus qui permettra à l’ONU d’intervenir efficacement.

Mais le fait est que c’est la seule option qui s’offre à nous. Aucune autre institution mondiale ne l’a égalée pour sa portée, ainsi que pour l’exhaustivité des obligations que nous avons envers elle et que nous tentons de faire respecter par les autres.

En gros, je ne dirais pas qu’il ne serait pas avantageux pour la politique étrangère du Canada de vouloir se retirer. Et je suis à peu près certain que la plupart des Canadiens sont du même avis.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Coyle : Je remercie les témoins d’être avec nous aujourd’hui. Merci beaucoup, monsieur Rae, pour votre témoignage et pour tout ce que vous faites. Nous sommes très fiers de vous avoir à titre de représentant à l’ONU. Je suis désolée de ne pas vous avoir entendu la semaine dernière dans le cadre de la Commission de la condition de la femme des Nations unies. Je suis arrivée un peu tard et j’ai manqué votre séance d’information.

Ma question porte sur Haïti. Je sais que vous travaillez au dossier haïtien en ce moment. Comme vous le savez sûrement, je suis aussi engagée en Haïti, d’une tout autre façon.

Pourriez-vous nous dire à quoi ressemble la situation à l’heure actuelle? Quelles sont les mesures prises? Que fait le Canada? Que font nos alliés pour aider nos homologues en Haïti à passer à la prochaine étape importante?

M. Rae : Sénatrice, le Canada préside le comité consultatif du Conseil économique et social des Nations unies, ou ECOSOC, et je suis sur le point d’en devenir le président. De par la nature même de cette présidence, chaque ambassadeur du Canada à l’ONU joue un rôle en Haïti. J’ai visité le pays à maintes reprises. J’étais en Jamaïque la semaine dernière pour la réunion sur Haïti. La situation est très grave.

Je vais essayer d’être aussi bref que possible, car je veux vous donner l’occasion de poser une autre question, si vous en avez une.

La situation est extrêmement grave. La moitié de la population du pays dépend de l’aide alimentaire, quelle qu’elle soit. Il y a une crise humanitaire de plus en plus importante.

La crise tourne autour de Port-au-Prince. Ce n’est pas vrai que tout le pays est dans le chaos le plus total. La situation à Port-au-Prince est extrêmement grave. Les risques de ne pas intervenir sont également graves.

C’est pourquoi nous — le Canada — avons participé aux discussions sur la force policière multinationale qui viendra en aide à la Police nationale d’Haïti. Au point où nous en sommes, je crois qu’une fois que la transition sera effectuée — la transition politique qui a été négociée la semaine dernière —, il y aura des progrès dans la mise en place de la force multinationale sur le terrain.

Notre comité sur Haïti s’est réuni aujourd’hui et les gens qui travaillent pour l’ONU en Haïti nous ont parlé de la gravité de la situation... de la nature critique de la situation. Tout ce que je peux dire, c’est que nous entendons ces mises à jour en temps réel. Pour que nous soyons efficaces, il faudra accroître nos interventions. Il est essentiel que nous le reconnaissions. Nous nous sommes engagés à verser de l’argent dans le fonds en fiducie pour la force internationale, et nous avons commencé à le faire.

Nous nous sommes engagés à former la Police nationale d’Haïti, ce que nous faisons. En Jamaïque, nous avons établi un lieu de formation pour les pays des Caraïbes afin qu’ils puissent nous aider à intervenir.

La Communauté des Caraïbes, ou CARICOM, est très investie. Le Kenya et le Bénin se sont engagés à envoyer un grand nombre de soldats. Les choses se placent. Il faut du temps. Franchement, à mon avis, on prend trop de temps, mais c’est ainsi.

Nous devons procéder étape par étape. Je vais m’arrêter là, mais je dirais qu’il s’agit d’une situation urgente. Je pense que nous devons en faire plus pour attirer l’attention du monde sur la gravité de la situation, car elle entraînera une crise de sécurité majeure pour la région si on la laisse se détériorer davantage.

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie, monsieur Rae. Merci à votre personnel d’être ici.

Monsieur l’ambassadeur, face à la complexité des Nations unies et aux défis internes propres à cette organisation, comme les intérêts divergents des nombreux États membres, comment le Canada peut-il maintenir un sentiment de neutralité et d’équité, alors que nous entendons parfois que nos valeurs eurocentriques vont à l’encontre des besoins des pays en développement?

M. Rae : C’est une bonne question, sénateur.

Voici comment j’analyse la situation : je ne pense pas que la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies exprime un point de vue eurocentrique. Je ne vois pas pourquoi le point de vue selon lequel la règle de droit, la conscience individuelle, la liberté de religion et la dignité individuelle importent ne devrait pas être au centre de tout ce que nous faisons. La dignité de chacun de nous est le principe fondamental de la règle de droit.

Je pense qu’on se trompe parfois lorsqu’on qualifie ce point de vue d’eurocentrique. Nous croyons qu’au contraire, ce point de vue est plus large que cela.

Il faut aussi reconnaître que la Déclaration universelle des droits de l’homme comporte des énoncés importants sur les droits collectifs et communautaires. Il faut comprendre que la liberté est importante, mais que la solidarité, la compassion et notre façon de réagir les uns envers les autres dans une communauté importent aussi.

Durant les discussions qui ont mené à la Déclaration universelle des droits de l’homme, il y avait un effort conscient pour montrer que l’on comprend qu’il s’agit certes de droits individuels, mais qu’il y a des droits collectifs aussi. On voulait trouver un équilibre entre les deux. Comme je l’ai exprimé, c’est le fondement de notre politique, qui reçoit l’appui du gouvernement.

Je n’ai aucun mal à dire que sur certains sujets — par exemple, les droits des homosexuels —, le Canada a une position qui repose sur des principes que tous les pays ne partagent pas. Malgré tout, nous n’hésitons pas à exprimer cette position. Pourquoi? C’est en raison de notre expérience comme Canadiens. Nous savons que la suppression des droits de la personne des homosexuels cause de la souffrance, non seulement aux homosexuels eux-mêmes, mais à leurs familles et à tout ce qu’ils représentent. Nous savons à quel point c’est souffrant.

Nous savons aussi qu’il y a des homosexuels partout. Ils ne sont pas confinés à un endroit en Europe, au Canada ou aux États-Unis. Il y a des homosexuels dans tous les pays du monde et dans toutes les cultures. Nous ne pensons pas que ces gens devraient souffrir, où qu’ils se trouvent.

Parfois, certains pays n’acceptent pas nos positions. Vous vous souviendrez peut-être d’un fait notoire : le président de l’Iran est venu dire aux étudiants de l’Université Columbia qu’il n’y a pas d’homosexuels en Iran. Je dois dire que c’est là une déclaration ridicule et cruelle. En disant cela, le président de l’Iran niait la dignité des gens qui vivent dans son pays. Bon nombre ont dû fuir leur pays, et bon nombre ont été tués ou exécutés.

Nous devons comprendre que la voie que nous suivons n’est pas toujours facile. Nous cherchons à être respectueux et à écouter les autres. Vous savez que l’écoute est toujours une bonne chose, dans tout contexte parlementaire. C’est aussi très important aux Nations unies. Nous devons aussi défendre les valeurs que nous estimons fondées sur la réalité et ancrées dans notre conscience.

Lorsqu’on me demande si je suis neutre en matière de droits des homosexuels, je réponds que non. Je ne suis pas neutre, car je les appuie. Je crois que ces droits sont inhérents à ce que cela signifie d’être humain.

[Français]

La sénatrice Gerba : Bienvenue encore une fois, ambassadeur Rae. Je vais revenir sur la question de la sénatrice Deacon concernant les leçons apprises après l’échec de l’obtention d’un siège au Conseil de sécurité. En 2020, dans le cadre de la campagne du Canada en février, le premier ministre s’était rendu au siège de l’Union africaine à Addis-Abeba pour rencontrer plusieurs dirigeants africains. Certains ont estimé, comme vous l’avez dit, que c’était un peu tard.

Selon vous, ces efforts envers les pays africains ont-ils été suffisants? Est-ce que quelque chose d’autre doit être fait pour que la prochaine occasion... Même si vous avez dit que le fait de ne pas siéger au Conseil de sécurité ne vous empêche pas de fonctionner au sein des Nations Unies, c’est quand même symbolique. Pensez-vous qu’il y a quelque chose que le Canada pourrait faire, notamment avec les pays africains, qui représentent quand même 54 voix au sein de l’institution à laquelle vous nous représentez?

M. Rae : Madame la sénatrice, j’ai la chance d’avoir de très bonnes relations avec mes collègues africains francophones et anglophones et partout dans la région. Nous avons des rencontres et des réunions très fréquentes. Nous faisons partager nos perspectives sur beaucoup de questions importantes, et l’ONU est un forum très important pour établir un bon dialogue avec les pays africains. Comme je l’ai dit plus tôt, le vote au mois de juin 2020 était un vote secret. Qui a voté pour qui, on ne le sait jamais. C’est impossible. Je me suis présenté 11 fois comme candidat et lorsque j’ai gagné les élections, on m’a dit : « J’ai voté pour vous, monsieur Rae. » Merci beaucoup. Si toutes les personnes qui ont dit avoir voté pour moi avaient voté pour moi, j’aurais gagné 90 % des voix. Ce n’est pas ce qui s’est passé.

J’ai l’impression que beaucoup de pays africains nous ont appuyés, effectivement. Je sais que beaucoup de pays européens n’ont pas voté pour nous, car leur vote était déjà octroyé. Ils ont décidé de voter pour les autres avant que nous nous présentions. La question n’est pas de faire campagne pendant deux ans ou un an et demi. C’est une question de persistance de la diplomatie canadienne partout dans le monde.

Il est important que nous acceptions nos responsabilités. Le Canada est membre du G7 et du G20, de la Francophonie, du Commonwealth, il a des liens en Asie-Pacifique et en Europe et il a des liens importants en Afrique. Beaucoup de pays viennent me voir pour me dire : « Monsieur Rae, je suis allé à un collège sortant de l’expérience canadienne, je connais bien le Canada, j’ai une famille au Canada, et cetera. » L’Afrique, c’est l’avenir. Ce sont des pays très jeunes avec des populations très jeunes, et il faut reconnaître que c’est un aspect important de l’avenir de notre planète. Il y aura encore une population énorme à l’avenir, dans nos vies, donc il est très important pour le Canada de reconnaître l’importance de l’Afrique. C’est tout ce que je peux vous dire.

Le président : Merci, monsieur l’ambassadeur.

[Traduction]

Le sénateur Richards : C’est bon de vous revoir, monsieur l’ambassadeur. Merci d’être ici.

Ma première question a déjà été posée par la sénatrice Deacon. J’ai pensé la reformuler, mais la sénatrice Gerba l’a fait. Je vais donc laisser tomber et donner mon temps à un autre sénateur.

M. Rae : Sénateur Richards, si vous le permettez, c’est toujours un plaisir de vous voir, même si ce n’est que virtuellement. C’est un grand plaisir de vous voir.

Le sénateur Richards : Merci.

Le président : Merci de votre générosité, sénateur.

Le sénateur Harder : Monsieur l’ambassadeur, je suis très heureux de vous voir, même si ce n’est que virtuellement. Je veux revenir à toute la question de l’aide humanitaire. Il me semble que l’aide humanitaire est primordiale pour le gouvernement du Canada. Il est essentiel d’utiliser les instruments des organisations multilatérales pour multiplier exponentiellement nos contributions et mettre l’accent sur les endroits dans le monde où il y a des besoins, sans forcément qu’il s’agisse d’une expertise unique au Canada. Pourtant, je constate que l’appui à l’aide humanitaire et multilatérale n’est plus ce qu’il était, et je ne sais pas trop pourquoi.

Vous voyagez souvent au pays. Pouvez-vous décrire les difficultés qu’il y a à promouvoir le multilatéralisme au Canada? Pourriez-vous nous dire comment les parlementaires, et même les sénateurs, peuvent contribuer à ce débat?

Vous avez parlé du Programme de développement durable à l’horizon 2030, qui me paraît très important. Il ne galvanise pourtant pas l’attention publique, comme les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance il y a 10 ans ou plus. Pourriez-vous commenter cette réflexion?

M. Rae : Tout d’abord, concernant l’aide humanitaire et au développement, il est fondamental pour les Canadiens de comprendre à quel point nous sommes chanceux. Je sais que mon point de vue n’est pas toujours populaire. Nous devrions être reconnaissants tous les jours d’être Canadiens. Quand on passe une heure et demie sur l’heure du dîner dans une réunion sur Haïti comme je l’ai fait aujourd’hui, on entend, on voit, on examine et on comprend les problèmes. Dans une réunion, hier, c’était la même chose concernant le Myanmar. On peut défiler toute la liste : la crise à Gaza, les souffrances partout dans le monde. Nous devons comprendre que nous sommes choyés.

D’une certaine manière, on nous a tous enseigné que lorsque nous sommes choyés, nous devons redonner, prendre soin des autres et répondre « présents ». Cet état d’esprit est parfois absent, mais nous devons le garder bien vivant.

Nous devons aussi comprendre que c’est en partie notre obligation morale. Si je puis me permettre, vous venez d’une communauté où cette valeur et cette éthique sont profondément ancrées. Nous venons d’horizons différents, mais je pense que c’est le cas pour nous tous. Quelle que soit notre confession religieuse ou nos origines autres, nous sommes tous touchés par notre façon d’exprimer notre solidarité, qui est si importante pour permettre non seulement l’aide humanitaire, mais aussi l’aide au développement, et pour permettre aux gens de réussir sur le plan économique.

Par ailleurs, c’est dans notre intérêt. Cela n’aide pas le monde d’être dans l’état d’insécurité dans lequel il se trouve actuellement. Cette insécurité cause d’immenses déplacements de populations. Il y a plus de gens déplacés et en déplacement que jamais auparavant. Nous voyons de plus en plus de gens désespérés tenter de monter à bord de bateaux, chercher un lieu ou un refuge où ils seront en sécurité. Au Canada, comme dans bien des pays, nous n’y voyons aucun problème, mais le tout doit se faire de manière organisée pour que nous puissions gérer la situation. Tout pays souverain doit être en mesure de gérer la situation efficacement.

Je peux vous dire directement que si nous ne nous occupons pas des enjeux de sécurité qui s’observent partout dans le monde, si nous ne permettons pas aux gens de rester là où ils vivent, dans leurs maisons, si nous n’améliorons pas la situation, si nous pensons que cela n’aura pas de conséquences pour nous, nous nous leurrons, malheureusement. Le monde est petit, de plus en plus petit. C’est illusoire de le nier.

Le président : Merci, monsieur l’ambassadeur.

Le sénateur Woo : Merci, monsieur l’ambassadeur, et merci aux hauts fonctionnaires d’être parmi nous.

Je veux revenir à votre commentaire selon lequel les Nations unies restent la seule option qui s’offre à nous, malgré ses défauts. Je suis d’accord avec vous. Je me demandais si vous pouviez nous dire si cette institution meurt à petit feu en raison de toutes les tribunes qui émergent pour traiter l’insécurité politique — sans compter les inquiétudes économiques — dans les diverses régions du monde. Je pense au minilatéralisme, qui semble avoir proliféré ces dernières années. Pensez-vous que le minilatéralisme et les solutions régionales ou sous-régionales aux défis politiques, sociaux et économiques commencent à prendre la place que les Nations unies pourraient et devraient occuper? S’agit-il d’une menace au système des Nations unies?

M. Rae : Sénateur, je pense que c’est une excellente question, parce qu’elle me donne l’occasion de dire que les Nations unies n’ont rien à craindre de la croissance d’organisations régionales. Je crois fermement que leur émergence est naturelle et qu’elles ne datent pas d’hier.

L’OTAN a été formée en 1949 en réponse à l’agression russe en Europe de l’Est. Les Nations unies ne pouvaient pas réagir, en raison du droit de veto russe. Donc, l’OTAN est née, le Pacte de Varsovie est né, l’Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE) est née et d’autres organisations de défense ont vu le jour aussi. Nous sommes présentement en discussion avec l’Union africaine pour voir comment nous pouvons travailler plus étroitement et régionaliser les réponses aux problèmes mondiaux. Je pense que c’est une bonne idée. Je ne pense pas un instant que c’est une menace au multilatéralisme.

Je pense que la menace au multilatéralisme vient d’ailleurs, soit de la croissance de ce que j’appellerais la pensée isolationniste, nationaliste et, si j’ose dire, impérialiste. Les dirigeants de certains pays semblent estimer que les règles ne s’appliquent pas à eux ou qu’ils peuvent faire ce que bon leur semble. Voilà quelle est la menace au multilatéralisme. L’isolationnisme aussi, qui est une attitude d’insouciance. « Pourquoi devrais-je me soucier d’Haïti, de ceci ou de cela? » Nous devons continuer de lutter contre cet état d’esprit. Nous devons dire aux Canadiens et aux gens d’autres pays dans le monde que tous ces enjeux comptent.

Les Nations unies ont été fondées en 1945 par des pays qui avaient appris à la dure et par la perte de millions de jeunes hommes et de jeunes femmes tués durant la guerre et dans tout le chaos qui avait précédé la guerre (pendant les 20 ans entre la fin de la Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale). Nous en avons appliqué les leçons en 1945. Nous devons constamment rappeler aux gens pourquoi nous nous sommes dotés de ces institutions. C’est parce que sans elles, nous nous retrouverions avec un conflit encore plus profond et pire. Oui, ces institutions sont imparfaites, mais nous devons essayer de corriger les problèmes pour renforcer ces institutions et faire en sorte qu’elles fonctionnent plus efficacement.

Je dois dire par expérience que je suis devenu un partisan des institutions internationales bien plus engagé qu’auparavant, parce que j’en perçois la logique et que je vois quelle est leur incidence sur les populations. Cependant, cela ne veut pas dire qu’une organisation des pays asiatiques ou de tout autre groupe de pays représente une menace pour les Nations unies. Tout ce qui exprime la solidarité au-delà des frontières nationales est bon. Les problèmes viennent des pays où les dirigeants pensent que les règles ne s’appliquent pas à eux et ne se soucient pas de ce que les autres pensent. Cette attitude est un vrai problème, parce qu’elle n’est pas durable et que sa seule issue est le chaos.

Le président : Merci, monsieur l’ambassadeur. Je dois vous interrompre et passer au prochain sénateur.

Le sénateur MacDonald : Je suis très heureux de vous voir, monsieur l’ambassadeur. Pour tout dire à mes collègues ici présents, j’ai beaucoup travaillé avec M. Rae lorsqu’il était député. Nous avons travaillé ensemble aux relations Canada-États-Unis et nous avons travaillé ensemble à Washington. La dernière fois que je l’ai vu, il recevait un diplôme honorifique de l’Université du Cap-Breton. C’est difficile pour moi de ne pas l’appeler « Bob », mais monsieur l’ambassadeur, c’est bon de vous voir.

Monsieur l’ambassadeur, comme vous pouvez l’imaginer, nous sommes inondés de courriels sur la situation à Gaza et, surtout, sur le nombre de victimes civiles. Y a-t-il une source d’informations crédible? Avez-vous des informations fiables que vous pourriez nous communiquer sur la situation sur le terrain à Gaza?

M. Rae : Oui, nous avons des informations très fiables venant d’une organisation des Nations unies intitulée le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, le BCAH. Je vous encourage à consulter ces informations en ligne. Cette organisation est responsable de la coordination de toute l’aide humanitaire dans le système des Nations unies. Elle nous dit que la situation humanitaire à Gaza est tout à fait catastrophique. C’est terrible. La majorité des gens ont perdu leur maison et n’ont nulle part où vivre, sauf dans des tentes. La guerre et les combats se poursuivent. Il y a des mines antipersonnel un peu partout et toutes sortes de débris qui jonchent le sol. La majorité de l’infrastructure est disparue. Les hôpitaux ont été bombardés. D’un point de vue purement humanitaire, c’est une catastrophe indéniable.

Tout le monde doit bien le comprendre, parce que dans tous les débats que j’ai entendus et auxquels j’ai participé, on semble très inquiets et on dit qu’il faut agir, pour cette raison. Mais quelles en seront les conséquences inévitables si nous décidons que la guerre doit être menée de telle ou telle façon? Je pense que c’est ce qui amène les Canadiens et les gouvernements à exprimer leurs préoccupations. Ce n’est pas parce que qui que soit est devenu indulgent face au terrorisme, pas du tout. Nous pensons simplement qu’il faut bien réfléchir aux conséquences à long terme sur tout processus de paix ou de réconciliation. Ce sera essentiel pour l’établissement de deux États. Comme je l’ai déjà dit, c’est la solution que préconise le Canada depuis 1947. Je pense toujours que nous devons viser cet objectif. Les Palestiniens ont droit à un territoire qu’ils appellent le leur et à l’autonomie nationale. Je pense que c’est important pour le Canada de continuer de le réaffirmer aussi sûrement que nous réaffirmons notre engagement envers Israël et le droit de son peuple de vivre en sécurité.

Le sénateur MacDonald : Il a beaucoup été question de donner des fonds pour l’aide humanitaire. Avons-nous une façon sûre de veiller à ce que l’aide humanitaire serve bien à des fins humanitaires, et non militaires?

M. Rae : Tout d’abord, en ce qui concerne la participation de ceux qui travaillent pour une organisation, qu’il s’agisse de l’ONU ou de tout organisme de secours, l’idée qu’ils seraient autorisés à conserver leur emploi tout en travaillant pour le Hamas ou une autre organisation terroriste, ce n’est pas le cas. Tous l’ont dit clairement. Les Nations unies l’ont dit clairement. Le secrétaire général des Nations unies a congédié 12 personnes qui étaient soupçonnées de le faire, car il a estimé qu’il était important d’établir la règle très rapidement. Il m’a dit personnellement que si on peut faire la preuve qu’une personne est membre du Hamas, cette personne sera congédiée sur-le-champ. C’est une garantie, et nous avons maintenant rehaussé le niveau de reddition de comptes. Nous avons rehaussé le niveau de surveillance de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, l’UNRWA, et nous recevons de nouveaux rapports chaque jour de l’ancien ministre français des Affaires étrangères. Je vais avoir une rencontre à ce sujet demain matin. J’espère avoir plus d’information à ce moment.

Je pense que nous devons reconnaître que l’UNRWA est le plus grand organisme humanitaire en place qui peut distribuer l’aide sur le terrain. Les problèmes de distribution ne sont pas seulement liés à l’UNRWA. Ils sont liés à des retards, à vrai dire, aux postes de contrôle des Israéliens, ainsi qu’aux nombreuses autres difficultés que rencontrent les gens pour se rendre sur place. Le simple fait de leur faire traverser des foules qui veulent désespérément de la nourriture créée de l’insécurité en soi.

Quand vous parlez d’une façon sûre de s’en assurer, je dois dire que nous mettons tout en œuvre pour que l’aide se rende aux personnes qui en ont besoin. Le problème actuellement est de l’acheminer jusqu’à eux, et c’est la crise à laquelle est confronté le système des Nations unies et à laquelle sont confrontés les gens qui vivent dans la bande de Gaza.

Le président : Je vous remercie beaucoup, monsieur l’ambassadeur. Je vais utiliser mon privilège à titre de président pour poser une question. Comme vous le savez, j’ai passé plus de trois décennies au sein du Service extérieur, mais ma toute première affectation a été à la direction des affaires institutionnelles des Nations unies, comme on l’appelait à l’époque. À ce moment-là, le gros dossier qu’on m’avait confié était celui de la réforme de l’ONU. On parle de cette réforme depuis longtemps. On a grandement mis l’accent sur l’Assemblée générale, ou plus particulièrement sur le Conseil de sécurité, et il y a eu diverses propositions au fil des ans.

Toutefois, je voulais vous poser une question au sujet des institutions spécialisées. On n’entend presque jamais parler des institutions spécialisées, à moins qu’il y ait une pandémie, un grave problème lié au travail, des récoltes catastrophiques, etc. Doit-on procéder également à une réforme des institutions spécialisées? Fonctionnent-elles bien? Y a-t-il des jeunes qui vont travailler à l’OIT, l’Organisation internationale du Travail; à l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé; à l’UNESCO, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, etc.?

M. Rae : Je suis heureux que vous posiez cette question, sénateur, parce qu’il s’agit d’un sujet important.

Mon point de vue est fondé sur mon expérience ici. L’une des raisons pour lesquelles je voulais assumer la présidence du Conseil économique et social, ou ECOSOC, c’est que cela nous donne l’occasion d’examiner la structure des institutions. L’ONU fait face à une crise financière en ce moment, parce que certains pays ne versent pas leurs contributions pour différentes raisons, et l’ONU ne peut emprunter d’argent, tout comme ses institutions, alors elles dépendent des contributions volontaires et de diverses autres formes de financement.

Je pense qu’un examen de toutes les institutions se fait attendre depuis trop longtemps, et qu’il faut examiner si, à un certain moment, des choses auraient pu être mises en place, ou si les institutions devraient travailler davantage en étroite collaboration. Un certain nombre de pays donateurs continuent d’en parler, car il devient extrêmement important pour nous de faire des progrès, et de nous assurer qu’il n’y a pas de dépenses redondantes et qu’il y a une plus grande collaboration.

J’ajouterais qu’il doit y avoir une plus grande collaboration avec les institutions financières internationales, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, dont les bureaux se trouvent sur la même rue et en face à Washington. Nous avons finalement commencé à établir un véritable dialogue entre les Nations unies et ces institutions afin de savoir ce qu’elles font et que nous ne faisons pas. Comment pouvons-nous nous assurer de ne pas faire double emploi? C’est un ensemble de réformes qui, à mon avis, est nécessaire.

L’autre ensemble de réformes concerne les pays donateurs. Comme l’a souligné le sénateur Harder, les dons multilatéraux font vraiment une différence, car cela nous permet de démultiplier nos dons. Nous devons collaborer plus étroitement avec les autres pays donateurs et nous devons élargir le groupe de pays donateurs afin d’inclure divers pays très riches qui, honnêtement, selon nous et selon leur PIB global, auraient les moyens d’en faire beaucoup plus. Nous devons travailler fort en ce sens.

Ces institutions ont-elles besoin d’une réforme? Oui, absolument. Je suis convaincu que rien n’est à l’abri d’une reddition de comptes et d’un examen. Nous nous portons tous mieux quand nous devons rendre des comptes comme vous me demandez, à vrai dire, de le faire ici. Je pense qu’il est important pour les gens de poser des questions sur notre travail, et je ne pense pas que nous ayons à craindre cela.

Les institutions sont un peu sur la défensive, car elles se disent que si on les attaque, on s’attaque à l’humanitarisme. On ne s’attaque pas à l’humanitarisme, mais on veut savoir à quel point elles sont efficaces. De plus, l’ampleur du problème est supérieure à notre capacité de le régler, alors nous devons comprendre comment nous pouvons dépenser notre argent plus judicieusement et efficacement, et comment obtenir plus de fonds du secteur privé et plus de fonds du développement privé. Ce sera d’une importance cruciale à l’avenir. Les pays ne deviennent pas riches avec de l’aide; ils le deviennent par le travail et en assurant leur subsistance. C’est ce qui caractérise le développement économique depuis la révolution industrielle.

Le président : Je vous remercie beaucoup. Chers collègues, au cours de la pause, je dois avoir perdu mes aptitudes, parce que nous avons dépassé le temps pour chaque segment.

M. Rae : Je ne pense pas que vous ayez perdu vos aptitudes; je pense que vous n’avez pas le bon invité.

Le président : Nous ne ferons pas de commentaires à ce sujet.

La sénatrice Coyle : Je veux simplement demander à M. Rae de poursuivre sur ce qu’il nous disait à propos d’Haïti. Quelles seront les prochaines étapes? Je sais qu’il y a un conseil, mais quand pensez-vous qu’il sera en place? Que doit-il se passer pour qu’on le mette en place et pour assurer ensuite la sécurité au pays et procéder à des élections, à l’échelle nationale et locale?

Le président : Je vous remercie. Sénateur Housakos, vous avez le mot de la fin.

Le sénateur Housakos : Monsieur l’ambassadeur, l’an dernier, lorsque l’Azerbaïdjan a déplacé 100 000 Arméniens de leurs terres ancestrales, vous avez déclaré qu’il s’agissait d’un nettoyage ethnique. Avez-vous exprimé ce point de vue en tant qu’ambassadeur du Canada, ou était-ce seulement votre opinion?

Le président : Je vous remercie. J’ai vu la sénatrice Greenwood lever rapidement la main.

La sénatrice Greenwood : Ma question porte sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. L’an dernier, le ministère de la Justice a créé le plan d’action relatif à la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Le point 72 dit que le Canada prendra des mesures pour :

Élaborer conjointement avec les titulaires de droits des Premières Nations, des Inuits et des Métis ou leurs délégués nationaux des lignes directrices stratégiques pangouvernementales fondées sur les distinctions sur les moyens de permettre la mobilisation complète et efficace des peuples autochtones sur les enjeux internationaux qui les touchent, avec un engagement à explorer l’élaboration de politiques dans des domaines spécifiques, le cas échéant.

Monsieur l’ambassadeur, pouvez-vous nous dire comment cet élément du plan d’action permettra à la fois d’aider les peuples autochtones au Canada et de renforcer la présence du Canada à l’ONU?

Le président : Ce sera très facile pour l’ambassadeur de répondre en deux minutes environ.

Monsieur l’ambassadeur, je vous propose de répondre brièvement aux trois questions, puis, si vous en avez le temps, nous serions heureux que vous fassiez parvenir une réponse écrite au comité, par l’entremise de la greffière, si cela vous convient.

M. Rae : Bien sûr. Je serai ravi de le faire.

Tout d’abord, sénatrice Coyle, au sujet d’Haïti, oui, le conseil de transition doit être mis sur pied afin que nous puissions arriver à une transition efficace d’un gouvernement à l’autre, ce qui est nécessaire pour que nous puissions mettre en place la force multinationale, puis passer aux élections. La date limite pour les élections a été fixée en août 2025. C’est une date que nous devons continuer de voir comme un objectif. À quelle vitesse peut-on procéder? J’espère aussi rapidement que possible, mais je ne peux pas vous donner une date exacte pour quoi que ce soit, car, bien entendu, cela dépend du peuple haïtien et d’autres facteurs qui sont hors de mon contrôle.

Sénateur Housakos, au sujet du nettoyage ethnique, je parlais en mon nom personnel. Je ne pense pas que ce soit une déclaration injuste, et je la maintiens. Vous devriez demander aux membres du gouvernement s’ils sont d’accord avec cette évaluation de la situation. Oui, c’était mon évaluation de la situation.

Au sujet de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, je pense qu’il est très important pour le Canada de joindre le geste à la parole. Cela nous aide, à vrai dire, pour accroître notre capacité de discuter avec les États membres ici de la nécessité d’adopter certaines idées qui sont dans la déclaration. Elles ne le sont pas encore universellement même par les pays qui ont adopté la déclaration, et je pense qu’il est important pour nous d’accroître la participation des Autochtones dans les travaux de l’ONU et de ses institutions, ainsi que de renforcer l’application du droit international dans ce que nous faisons au pays, et c’est ce qui, je pense, a motivé la décision du ministère de la Justice d’aller de l’avant.

Le droit international, c’est le droit, alors nous ferions mieux de réfléchir aux façons de la mettre en œuvre. C’était pourquoi nous avons adhéré à la déclaration universelle. C’est la logique de cela.

Le président : Monsieur l’ambassadeur, je vous remercie sincèrement. Je sais que nous avons dépassé le temps prévu, alors je vous remercie de nous avoir consacré plus de temps. Chers collègues, je vous remercie de vos questions.

Au nom du comité, je tiens à vous remercier de vous être joint à nous aujourd’hui, et je vous remercie du travail que vous faites pour le Canada à New York. Je tiens à remercier aussi EMI Furuya, directrice générale, et Johanna Kruger, directrice, d’avoir été avec nous. Vous avez un ambassadeur qui vous a beaucoup facilité la tâche aujourd’hui comme témoins.

M. Rae : Je vous remercie beaucoup.

Le président : Nous passons maintenant à notre témoin suivant pour une mise à jour sur la situation humanitaire dans la bande de Gaza et les enjeux régionaux. Nous avons le plaisir d’accueillir de nouveau au comité Alexandre Lévêque, sous-ministre adjoint, Europe, Arctique, Moyen-Orient et Maghreb, à Affaires mondiales Canada. C’est tout un contrat. Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d’être avec nous encore une fois. Nous aimerions entendre votre déclaration préliminaire, d’une durée d’environ cinq minutes, après quoi nous passerons directement aux questions.

Alexandre Lévêque, sous-ministre adjoint, Europe, Arctique, Moyen-Orient et Maghreb, Affaires mondiales Canada : Merci beaucoup pour cet accueil chaleureux. Je vous suis reconnaissant de m’avoir invité de nouveau pour discuter d’un enjeu particulièrement important qui secoue l’actualité et qui nous préoccupe énormément. D’autres représentants d’Affaires mondiales Canada seront également appelés à comparaître et à compléter ma réponse.

Le gouvernement du Canada est très préoccupé par la situation humanitaire dans la bande de Gaza, qui s’est considérablement détériorée depuis la dernière comparution devant le comité en novembre, de Christopher MacLennan, sous-ministre du Développement international. En effet, on estime que plus de 31 000 habitants de Gaza ont été tués, la majorité d’entre eux étant des civils. On estime par ailleurs que 73 000 Gazaouis ont été blessés, et l’on rapporte que des milliers sont portés disparus sous les décombres. En outre, près de 1,7 million de Palestiniens ont été déplacés à plusieurs reprises en raison de l’opération militaire israélienne à Gaza. Il ne fait aucun doute qu’un grand nombre de civils palestiniens innocents continuent d’être profondément affectés par ce conflit.

Le Canada réclame l’application immédiate d’un cessez-le-feu humanitaire depuis décembre, de même que la mise en place de nouveaux points d’accès à Gaza afin que l’aide puisse parvenir à ceux qui en ont besoin. Le gouvernement canadien continue d’affirmer de manière non équivoque que le droit international humanitaire interdit toute attaque contre le personnel responsable de l’acheminement de l’aide médicale et humanitaire.

Une famine catastrophique est imminente dans le nord de Gaza, et l’ensemble de la bande de Gaza se trouve maintenant à risque. Pratiquement tous les Gazaouis sont forcés de sauter des repas au quotidien, et les adultes doivent réduire leurs portions pour permettre aux enfants de se nourrir. Par ailleurs, un enfant de moins de deux ans sur trois souffre de malnutrition aiguë dans le nord de Gaza.

Les ministres Hussen et Joly ont récemment pu se rendre dans la région, où ils ont constaté les effets dévastateurs du conflit sur les populations palestiniennes et israéliennes. Le ministre Hussen a rencontré des représentants d’organismes humanitaires clés, et a pu constater de visu les défis logistiques liés à l’acheminement de l’aide à Gaza lors de son déplacement au poste-frontière de Rafah. La ministre Joly s’est engagée à ce que le Canada rejoigne la coalition internationale qui œuvre à l’ouverture d’un corridor maritime pour acheminer de l’aide humanitaire supplémentaire dont le besoin se fait cruellement sentir. Nous étudions actuellement les possibilités d’appuyer cette initiative, mais il est clair que ni les opérations de largage humanitaires ni l’établissement d’un corridor maritime ne seront suffisants pour répondre aux immenses besoins à Gaza.

Tout en plaidant pour la mise sur pied de nouveaux convois humanitaires et l’ouverture de nouveaux points d’accès, le Canada a augmenté concrètement son aide pour soutenir l’acheminement de l’aide humanitaire. En plus de soutenir le Programme alimentaire mondial, qui a récemment achevé des largages d’aide humanitaire à Gaza, le gouvernement canadien a donné 300 parachutes à la Force aérienne royale jordanienne pour l’aider à reconstituer ses stocks.

Le Canada demeure l’un des principaux fournisseurs d’aide humanitaire et d’aide au développement à la population palestinienne vulnérable. On parle d’une généreuse contribution à hauteur de 100 millions de dollars l’année dernière pour faire face à la crise actuelle à Gaza, dont 13,8 millions de dollars versés à la Coalition humanitaire. Les sommes restantes ont été allouées à des organismes canadiens et à des partenaires expérimentés des Nations unies, tels que le Programme alimentaire mondial, l’Organisation mondiale de la santé, l’UNICEF et l’UNRWA. Le Canada continuera d’acheminer la majeure partie de son aide humanitaire par l’intermédiaire de ses partenaires internationaux.

[Français]

À la suite d’allégations sérieuses selon lesquelles des membres du personnel de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, mieux connu sous son acronyme, UNRWA, auraient été impliqués dans les attaques terroristes menées par le Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, le Canada a décidé de suspendre temporairement son financement à cette organisation à la fin de janvier.

En réponse aux allégations, l’ONU a mis en place plusieurs processus importants et rigoureux pour examiner les allégations et renforcer la tolérance zéro à l’égard du terrorisme au sein de l’ONU, y compris au sein de l’UNRWA. Le Canada a passé en revue le rapport provisoire du Bureau des services de contrôle interne (BSCI) de l’ONU sur cette question et attend avec intérêt le rapport final.

Le Canada salue également l’examen indépendant de l’UNRWA qui est en cours, ainsi que les mesures immédiates prises par l’UNRWA pour renforcer la surveillance, la reddition de comptes et la transparence. L’UNRWA joue un rôle essentiel et incontournable à Gaza en fournissant une aide humanitaire à plus de 2 millions de personnes, en plus de ses activités primordiales qui soutiennent 4 millions de personnes dans la région. C’est dans ce contexte que le Canada a décidé de lever la suspension temporaire du financement octroyé à l’UNWRA.

[Traduction]

Nous ne devons pas non plus perdre de vue que, depuis les horribles attaques terroristes perpétrées par le Hamas le 7 octobre, plus de 100 otages sont toujours détenus dans la bande de Gaza. Le Canada continue de demander leur libération immédiate.

Pour finir, nous espérons qu’un accord sera bientôt conclu en vue d’un cessez-le-feu durable. Par contre, je rappelle qu’un tel cessez-le-feu ne peut être déterminé de manière unilatérale; le Hamas doit déposer les armes et libérer l’ensemble des otages. En vue d’une trêve durable, le Canada s’engage avec la communauté internationale et ses partenaires à coordonner les efforts de consolidation de la paix et de reconstruction à la suite du conflit. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Lévêque. Nous allons passer directement aux questions. Chers collègues, veuillez poser des questions aussi précises que possible afin que nous puissions obtenir davantage d’informations de la part de notre invité.

Le sénateur Harder : Je suis ravi de vous revoir, monsieur le sous-ministre adjoint. J’aimerais parler des efforts diplomatiques que le Canada mène actuellement en parallèle avec l’acheminement de l’aide humanitaire que vous venez de décrire. Pourriez-vous nous préciser de quelle manière le gouvernement canadien communique avec le gouvernement de Benjamin Netanyahou pour lui faire part de nos préoccupations? Avons-nous exprimé notre soutien aux déclarations très franches des hauts fonctionnaires de l’administration américaine? Continuons-nous de mettre de l’avant une solution à deux États dans la région?

M. Lévêque : Merci, sénateur. Je peux vous confirmer que nos efforts diplomatiques fonctionnent à plein régime. Ce que je veux dire par là, c’est que c’est par de multiples canaux que nous transmettons très précisément les messages auxquels vous faites allusion. Le premier ministre s’est récemment entretenu avec le premier ministre israélien Netanyahou, ainsi qu’avec le président Herzog et d’autres membres du cabinet de guerre israélien, dont le ministre Benny Gantz. Nous faisons bon usage de tous les canaux de communication ministériels à notre disposition. Comme je l’ai mentionné, la ministre Joly s’est rendue dans la région la semaine dernière pour rencontrer différents responsables du gouvernement israélien. Bien entendu, elle s’est également entretenue avec plusieurs responsables du côté palestinien, ainsi qu’avec des dirigeants au sein du golfe Persique.

Nous pouvons également compter sur le travail de nos ambassadeurs sur le terrain. Du côté des hauts fonctionnaires, dont je fais partie, nous nous efforçons de maintenir le dialogue à tous les échelons. D’ailleurs, mon homologue israélien au ministère des Affaires étrangères se trouve en ce moment même à Ottawa. Nous avons eu de longues conversations, et c’est sans compter les entretiens de fond que j’ai eus avec l’ambassadeur israélien.

Tous ces canaux de communication nous permettent de nous entendre sur une vision commune avec nos différents partenaires. Il ne s’agit pas de marteler des messages rigides, mais de faire preuve d’ouverture, de sincérité et de compréhension à l’égard de nos interlocuteurs. Nous avons la possibilité d’approfondir le sens de notre voix diplomatique, et de refléter le mieux possible l’opinion de la population canadienne, que nous consultons sur une base régulière.

Nos relations diplomatiques se fondent toujours sur le respect et la convivialité, ce qui ne nous empêche pas de faire preuve de fermeté et de franchise. Voilà la seule façon de procéder. Voilà l’objectif même d’établir des relations diplomatiques. Comme je l’ai dit, nos canaux de communication ne se limitent pas à la partie israélienne. Comme j’y ai fait allusion, nous sommes confrontés à un conflit complexe impliquant une grande variété d’acteurs, et qui dure depuis des décennies. En présence de nos interlocuteurs palestiniens, nous prenons soin de leur demander de clarifier leur vision pour l’avenir, et nous cherchons à comprendre ce dont ils ont besoin pour concrétiser cette vision.

Le sénateur Harder : Et quand est-il de nos relations diplomatiques avec les États-Unis?

M. Lévêque : Nous entretenons des relations avec un groupe de hauts fonctionnaires américains et européens animés par des idées, des valeurs et des intérêts communs. Nous tenons des réunions avec ces alliés sur une base régulière afin de discuter d’enjeux importants, et de coordonner nos efforts.

Vous avez abordé la question d’une solution à deux États. Je tiens absolument à préciser que le Canada considère toujours que l’avenir de la paix au Moyen-Orient passe par la création d’un État palestinien. Le moment et la manière de mettre en place cette solution à deux États devront évidemment faire partie des négociations.

Nous avons entendu à maintes reprises nos homologues dans le Golfe et au sein du Moyen-Orient en général nous rapporter que la sécurité et la prospérité à long terme des Palestiniens et des Israéliens passent nécessairement par une solution à deux États. Les deux peuples voisins devront apprendre à vivre côte à côte en s’appuyant sur des institutions fortes.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Coyle : Monsieur Lévêque, je vous remercie d’être avec nous et d’avoir exposé la situation sur le terrain. Je n’en dirai pas plus.

Je suis curieuse : vous avez évoqué un cessez-le-feu humanitaire qui, espérons-le, conduira à un cessez-le-feu durable. Je vais poser mes questions. D’abord, y a-t-il des indicateurs en ce moment qui vous donne de l’espoir pour la suite des choses?

Ensuite, à quoi ressemble le dialogue en cours avec les dirigeants palestiniens? Je ne parle pas du mouvement terroriste Hamas, mais bien des responsables palestiniens légitimes. Par ailleurs, quelle est la nature des rapports entre le Canada et les dirigeants des pays arabes de la région?

M. Lévêque : Merci pour vos questions, sénatrice.

Je reconnais volontiers qu’au vu des circonstances actuelles et de la tragédie humaine dans cette région, il est difficile de garder espoir.

Mais pour être honnête, il y a deux éléments qui continuent à me donner un peu d’espoir. D’une part, les principaux interlocuteurs d’Israël et des Palestiniens, c’est-à-dire les Canadiens, les Européens, les Américains et les pays du Golfe, refusent de baisser les bras. Nous devons composer avec un important manque de confiance entre les Israéliens et les Palestiniens. C’est le cas bien entendu entre les gouvernements et les organisations terroristes, mais aussi entre les citoyens ordinaires.

On ne peut même pas dire que les populations de la région se trouvent dans une situation post-traumatique; la situation traumatique est vécue au quotidien. Les canaux de communication directs entre l’Autorité palestinienne et le gouvernement israélien sont tendus, voire inexistants. Cette situation délicate doit inciter les tiers et les pays partenaires à insuffler de l’espoir, et à répéter que le seul moyen de garantir la paix et la sécurité à long terme dans la région est de rétablir un cadre diplomatique pour amorcer ensuite des négociations en bonne et due forme. Tel est le rôle du Canada à l’heure actuelle. C’est aussi le rôle que doivent jouer les autres alliés d’Israël et du peuple palestinien. Cela me donne de l’espoir, car personne n’est prêt à abandonner la partie.

Je me suis rendu deux fois en Israël et dans les territoires palestiniens au cours des trois derniers mois, ce qui m’a permis de déceler un autre élément d’espoir : les différents acteurs de la société civile. Ces voix ont de la difficulté à se faire entendre ces jours-ci, mais elles existent et nous devons les écouter. Il est en effet possible et souhaitable de s’adresser à des groupes de réflexion et à des leaders d’opinion qui croient encore à la paix et à la réconciliation. Ce sont ces voix que nous devons faire entendre. Ce sont des acteurs qui agissent à l’échelle locale et qui travaillent avec dévouement à l’établissement d’une paix durable au Moyen-Orient.

Pour répondre à votre deuxième question, le dialogue que nous entretenons avec les dirigeants palestiniens est tout aussi franc et direct que celui que nous avons avec les Israéliens.

Nous répétons avec fermeté aux leaders palestiniens qu’ils doivent faire leur part. L’Autorité palestinienne est entachée par des problèmes de corruption, et de nombreux Palestiniens lui reprochent de ne pas avoir été au service de la population. Les dirigeants palestiniens ont tendance à rejeter le blâme sur d’autres facteurs, mais ils doivent assumer leurs responsabilités. Comme plusieurs pays arabes voisins, nous avons pressé l’Autorité palestinienne d’amorcer certaines réformes en matière de transparence et de bonne gouvernance.

La première mesure prise par l’Autorité palestinienne a été l’annonce d’un nouveau premier ministre qui a la réputation d’être plus technocrate que partisan. Je vois, monsieur le président, que vous vous apprêtez à prendre la parole. J’aimerais si possible avoir 10 secondes de plus pour répondre à la dernière partie de la question, qui concerne les dirigeants arabes. Je peux vous confirmer que les dirigeants des États voisins immédiats, à savoir la Jordanie, l’Égypte et les pays du Golfe, sont très impliqués dans l’élaboration de plans pour la suite des choses.

Le président : Je vous remercie de votre attention. J’ai bien l’impression que nous aurons l’occasion de revenir sur le thème de la diplomatie introduit par le sénateur Harder.

Le sénateur Woo : Monsieur Lévêque, pourriez-vous nous faire part des réflexions en cours au sein de votre ministère concernant la possibilité que la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale parviennent à la conclusion que des activités génocidaires ou des crimes de guerre ont lieu dans ce conflit? Il ne s’agit pas de marquer des points ou de se perdre dans des arguments théoriques, mais plutôt d’informer les parties impliquées de nos inquiétudes, et de nous protéger contre toute allégation de complicité dans ces terribles crimes ayant potentiellement été commis.

M. Lévêque : Je vous remercie. Cet enjeu s’est bien sûr révélé particulièrement d’actualité il y a quelques semaines, dans le cadre du processus de mise en accusation d’Israël. La Direction générale des affaires juridiques d’AMC se concentre par ailleurs sur cette question. Comme je ne suis pas un juriste ni un avocat, je ne prétends pas maîtriser un dossier de ce genre dans toute sa complexité.

Ma première remarque, c’est que le gouvernement canadien soutien pleinement les procureurs qui ont mis en présidé à la mise en place du droit international, y compris les mandats de la Cour pénale internationale et de la Cour internationale de justice. Comme l’ont indiqué des représentants du gouvernement, nous ne partageons pas nécessairement l’ensemble des prémices avancées par l’Afrique du Sud, et nous attendons ainsi que la procédure suive son cours et qu’un jugement définitif soit rendu. Je préfère par ailleurs éviter de me lancer dans des hypothèses, car cela risque de nous faire perdre du temps et de nous éloigner du sujet qui nous préoccupe.

Nous avons pris connaissance des mesures préliminaires exigées par la Cour internationale de justice, que nous appuyons en principe. Le reste dépendra vraiment du temps nécessaire à chaque partie pour présenter son argumentaire. Nous devrons en temps voulu procéder à notre propre évaluation des arguments présentés à la Cour internationale de justice.

Le sénateur Woo : Je suis d’accord avec vous sur ce point, monsieur Lévêque; nous ne pouvons pas anticiper les conclusions et les décisions que les tribunaux prendront. Néanmoins, nous devons nous préparer dès maintenant à toute éventualité, y compris à une conclusion défavorable envers notre allié israélien. À mon avis, le Canada ne doit pas se contenter d’attendre passivement que le jury annonce son verdict.

Voilà qui était davantage une observation qu’une question. Je suppose que vos collègues réfléchissent à ce genre d’enjeux. En tout cas, je l’espère.

M. Lévêque : Tout à fait. Je suis sensible à vos observations, monsieur le sénateur. Permettez-moi d’ajouter que l’affaire sera évaluée en fonction de la pertinence des arguments qui seront présentés par chaque partie.

Le sénateur Woo : Très bien, d’accord.

M. Lévêque : Je rappelle qu’il ne s’agit pas d’un processus purement théorique. Chaque partie aura l’occasion de présenter des arguments juridiques devant le tribunal. Pour l’instant, nous en sommes au stade préliminaire, et seules des accusations ont été déposées. Par conséquent, nous devrons attendre des mois, voire des années, avant de disposer de l’ensemble des éléments de preuve et des arguments juridiques. Bien entendu, en l’absence d’éléments concrets, il est très difficile de se forger une opinion juridique éclairée sur le sujet.

Pour conclure, je tiens à assurer tous les sénateurs et les sénatrices que nous prenons bonne note de leurs remarques et de leurs propositions.

Le président : Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Gerba : Monsieur le sous-ministre adjoint, c’est toujours un plaisir de vous avoir ici. Cela nous apporte beaucoup de précisions sur plusieurs questions. Je voulais revenir sur les tierces parties, car, depuis quelques semaines, l’Égypte, le Qatar et les États-Unis, comme vous l’avez mentionné, essaient de faire avancer les négociations. On espérait que ces négociations arrivent à une conclusion avant le début du ramadan, qui a commencé. Pensez-vous que c’est pour bientôt? Y a-t-il un espoir qu’une trêve réelle se produise? Comment le Canada s’implique-t-il ou intervient-il dans ces pourparlers avec les tiers pays?

M. Lévêque : Merci de votre question. Vous avez raison : les pays principaux impliqués dans ces négociations sont en effet l’Égypte, le Qatar et les États-Unis et, par procuration, les représentants du gouvernement israélien et du Hamas se parlent par le biais de ces intervenants. Nous avons toujours espoir d’obtenir une trêve. En effet, une poussée assez soutenue avait été exercée pour essayer de compléter quelque chose avant le ramadan. Ce n’était pas une date butoir au-delà de laquelle c’était impossible. Les négociations continuent et nous continuons de recevoir des indications pas encore concluantes, mais positives, selon lesquelles les parties prenantes négocient au moins autour des mêmes piliers. Les piliers sont essentiellement la relâche d’un certain nombre d’otages israéliens en échange d’un cessez-le-feu pour une certaine période, en échange de la relâche d’un certain nombre de prisonniers palestiniens.

Ce sont les trois piliers, les trois éléments de négociation. Il y a encore un certain gouffre maintenu autour des demandes du Hamas et d’Israël, mais au moins ils négocient sur la même plateforme et avec les mêmes éléments. On reçoit des informations assez encourageantes selon lesquelles les choses progressent. Les contre-offres continuent d’être envoyées, donc ce n’est pas comme si les négociations avaient complètement échoué. Les parties continuent de redoubler d’efforts.

Évidemment, il est important de garder ces négociations en petit nombre. Le fait d’ajouter des partenaires ou des pays au processus n’apporterait pas nécessairement plus. La façon dont le Canada contribue est encourageante, en montrant tout simplement son soutien — nous ne parlons pas avec le Hamas, mais avec Israël. On participe en envoyant là-bas nos diplomates — notre plus haute diplomate —, en s’engageant directement avec eux à Jérusalem, en parlant à l’Égypte et au Qatar. On fait cela très fréquemment pour les encourager à trouver cet équilibre qui devra être atteint éventuellement pour profiter d’une trêve de plusieurs semaines, pour ne pas dire plusieurs mois.

La sénatrice Gerba : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie encore une fois d’être des nôtres. C’est un plaisir de vous voir.

Bien que notre attention se porte naturellement sur Gaza et sur la terrible dévastation dont nous sommes témoins, je me demande dans quelle mesure nous suivons également la situation en Cisjordanie, compte tenu du taux de chômage élevé, de l’impossibilité pour les gens d’entrer en Israël et de la violence des colons. Dans quelle mesure commençons-nous à voir certaines des répercussions en ce qui concerne la distribution de nourriture, la famine, l’accroissement de la vulnérabilité et des risques? Participons-nous concrètement, d’une manière ou d’une autre, aux efforts visant à régler certaines de ces difficultés?

M. Lévêque : Je vous remercie de soulever cette question, sénateur.

Je vais être honnête : la situation en Cisjordanie est également au cœur de nos préoccupations, car la tension permanente et tacite qui y règne crée presque une situation qui risque de déborder ou d’exploser à tout moment.

Je dirai qu’il n’y a pas de situation imminente de famine, de pénurie alimentaire ou de quoi que ce soit de ce genre. L’agriculture est pratiquée en Cisjordanie. C’est une région qui est, bien entendu, beaucoup plus grande que Gaza. J’hésite à parler d’autosuffisance alimentaire, mais la production et le transport de denrées alimentaires en Cisjordanie — et, bien sûr, la liaison avec la Jordanie — sont suffisants pour permettre la distribution de biens essentiels, de fournitures médicales, et cetera.

La source d’inquiétude tient à l’implantation de colonies illégales ainsi qu’à la violence extrême et aux activités des colons, chose que le gouvernement a dénoncée à maintes reprises. Des fonds continuent d’être réservés à l’établissement de nouvelles colonies. J’accompagnais la ministre il y a exactement une semaine — ou huit jours —, et nous nous sommes rendus au fin fond de la Cisjordanie. Nous étions dans une vallée et nous pouvions voir les colonies autour des montagnes ou sur les collines. Les gens qui nous accompagnaient nous disaient : « C’est ma maison là-bas, et maintenant, elle a été prise de force. » Il y avait un drapeau israélien apposé par un colon extrémiste. C’est quelque chose qui pourrait vraiment pousser à bout les Palestiniens de Cisjordanie, et nous estimons que c’est là une formule dangereuse. Il est important de continuer à pointer du doigt ce qui se passe là-bas et de rappeler l’importance de respecter, encore une fois, la loi — et j’entends par là non seulement le droit international, mais aussi l’illégalité de saisir des terres et même d’encourager certains colons à s’emparer de ces terres et parfois même des bâtiments qui s’y trouvent.

Le sénateur Ravalia : Pour en revenir à Gaza, étant donné que la majorité de la population civile se trouve désormais à Rafah et dans ses environs, les États-Unis semblent avoir adopté une position plus ferme et peut-être même tracé une ligne rouge en disant à Israël de ne pas attaquer Rafah. Pensez-vous que cette position puisse accélérer l’entrée de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza par voie terrestre?

M. Lévêque : Vous avez absolument raison. J’hésite toutefois à utiliser des expressions comme « ligne rouge » en raison des connotations historiques et des conséquences éventuelles pour ceux qui franchissent cette limite.

Vous avez raison de dire que les États-Unis se sont prononcés publiquement et très clairement sur les dangers extrêmes — que nous voyons tous — de ce qu’une opération de grande envergure à Rafah signifierait. Ce matin encore, j’ai vu un rapport selon lequel le premier ministre Nétanyahou aurait proposé ou accepté d’envoyer une délégation à Washington pour s’asseoir avec des planificateurs et explorer la possibilité de stratégies de rechange. Voici l’essentiel, et les Israéliens ont été très clairs à ce sujet : le gouvernement israélien veut éliminer l’aile militaire — la partie combattante — du Hamas afin qu’elle n’ait plus d’empreinte à Gaza. Ils savent que ces forces sont maintenant concentrées dans la zone de Rafah, et c’est pourquoi ils veulent passer à l’attaque. Ces discussions sont en cours.

Pour ce qui est de savoir si cette approche sera utile, il existe de nombreux points d’entrée possibles pour acheminer l’aide humanitaire. Rafah en est le principal, mais nous avons également encouragé les autorités israéliennes à envisager l’ouverture d’autres points d’entrée directement dans le Nord afin de desservir les communautés les plus exposées à la famine, ainsi que le long du côté est; bien entendu, il y a aussi les autres points d’entrée.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie de comparaître à nouveau devant le comité. Je me demande si vous pourriez clarifier l’annonce récente du gouvernement sur son intention de mettre fin à toutes les ventes d’armes à Israël. Plus précisément, les ventes approuvées seront-elles maintenues? Qu’en est-il de la vente d’équipements qui pourraient avoir un double usage militaire? Bien qu’il soit encore tôt, y a-t-il des conditions officielles qu’Israël devrait remplir pour que ses ventes d’armes soient rétablies?

M. Lévêque : Je vous remercie, sénatrice. Je pense que vous posez toutes les bonnes questions. Les modalités sont en train d’être peaufinées. Comme vous l’avez dit, l’annonce a été faite hier; les détails sont donc en train d’être réglés en ce moment même.

J’aimerais toutefois apporter quelques précisions liées directement à certaines de vos questions. Premièrement, l’intention n’est pas d’annuler les licences d’exportation existantes qui relèvent de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation. Cela ne concerne donc que les nouvelles demandes de licences d’exportation d’armes.

Deuxièmement, il faut comprendre qu’Israël est un grand fabricant. J’entends par là le pays, et non le gouvernement. On y trouve un certain nombre d’entreprises privées qui fabriquent toutes sortes de matériel pour l’industrie de la défense. Les chaînes d’approvisionnement, comme dans toute autre industrie, sont interdépendantes. Ces entreprises sont en fait les destinataires de bon nombre des marchandises que le Canada exporte vers Israël et qui sont assujetties à des contrôles à l’exportation. Le matériel que nous fournissons se retrouve dans la chaîne d’approvisionnement des équipements militaires et de défense, lesquels sont ensuite parfois vendus au Canada et à d’autres alliés de l’OTAN. L’objectif n’est pas d’entraver cette chaîne d’approvisionnement.

L’annonce vise, pour l’instant, à limiter les exportations éventuelles d’armes — des armes qui pourraient être utilisées directement dans le conflit — jusqu’à ce que nous ayons une meilleure idée de l’évolution de la situation sur le terrain, situation qui est très volatile.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie. Je cède le reste de mon temps de parole au prochain sénateur.

Le sénateur Richards : Je vous remercie d’être des nôtres. J’aimerais vous poser des questions au sujet de l’avenir.

Personne ici ne voudrait passer une journée sous l’autorité du Hamas. Nous le savons. Personne parmi nous ne voudrait non plus passer une nuit sous l’autorité du Hezbollah ou de l’Iran.

Israël se trouve dans une situation terrible. Je sais que ce qui se passe à Gaza est déplorable; j’en suis conscient. Je vois les images tous les soirs. Il y a quelques années, j’ai eu la chance d’accompagner les sénateurs MacDonald et Ravalia à Ramallah pour nous entretenir avec les représentants de l’Autorité palestinienne, et on nous a dit que 50 % des jeunes seraient généralement disposés à soutenir le Hamas en raison de sa revendication du droit de retour, et ce, de la rivière à la mer.

Peu importe ce qui arrive ici, il ne semble pas y avoir de date de fin à la terrible crise dont nous sommes témoins. Comment entrevoyez-vous la suite des choses à long terme?

M. Lévêque : Sénateur, la personne qui saura répondre parfaitement à cette question mérite sans doute un prix Nobel de la paix. Il faut briser le cycle. Les fonctionnaires, les experts et les universitaires réfléchissent tous très sérieusement à ce qui doit constituer la première pièce de domino. Il n’y a probablement pas de réponse parfaite à cette question.

Certaines choses dépendent des Palestiniens. J’ai fait allusion aux conversations que nous avons eues avec les dirigeants de l’Autorité palestinienne il y a quelques jours. Beaucoup s’attendent à ce que l’appareil de l’Autorité palestinienne subisse de profondes réformes. Pour ce faire, il faut d’abord éliminer la corruption et démontrer qu’un gouvernement peut réellement diriger le peuple et le représenter.

Des hauts responsables de l’Autorité palestinienne nous ont dit qu’ils avaient l’intention d’organiser très prochainement des élections, chose qui n’avait pas été évoquée depuis longtemps. Nous les encourageons à nommer non pas des copains, mais de véritables experts — des technocrates, si je puis dire — pour remplacer les ministres actuels qui sont à la tête de portefeuilles clés. C’est important dans ce contexte. Toutefois, il faudra aussi passer par l’éducation.

Vous avez raison : pour de nombreux jeunes Palestiniens, le Hamas semble exprimer aujourd’hui, haut et fort, leurs frustrations. Nous ne croyons pas nécessairement que les jeunes Palestiniens veulent recourir à la violence et perpétuer le cycle, mais ils ont besoin d’espoir, de programmes d’éducation, d’occasions d’emploi; ils doivent avoir la possibilité de gouverner leurs propres institutions, et les dirigeants doivent faire de véritables efforts pour déradicaliser les éléments de la société qui nourrissent cette haine et ce cycle de violence. Tout cela doit se concrétiser. Voilà la teneur de nos discussions avec le camp palestinien.

Lorsque nous nous entretenons avec le camp israélien, la question qui se pose est la suivante : par où commencer? Quelles sont les premières mesures à prendre pour entrouvrir la porte à l’instauration d’un nouveau cadre propice au dialogue en vue d’une perspective d’avenir politique? Ce que nous entendons de la part de certains éléments de la société et des dirigeants israéliens en ce moment, c’est qu’une solution à deux États n’est plus une option. Encore une fois, compte tenu de ce que nous avons observé par le passé dans la région, nous pensons, comme beaucoup d’autres, que le seul moyen d’y parvenir est de faire vivre deux États côte à côte.

Il s’agit d’un cycle. Il faut un élément déclencheur pour le briser. Le premier domino doit tomber, entraînant ainsi une série de mesures, aussi minimes soient-elles, pour rétablir, puis renforcer de plus en plus la confiance. C’est la seule façon de s’en sortir, et ce n’est pas quelque chose qui peut se faire du jour au lendemain.

Le président : Merci, sénateur. Je pense que c’est une question dont nous reparlerons souvent pendant encore un certain temps.

Le sénateur MacDonald : Je vous remercie. Je voudrais revenir sur la situation des pays qui font des dons pour les efforts de secours.

Le 26 janvier, nous avons temporairement suspendu notre aide — notre financement — jusqu’à la fin de l’enquête sur l’UNRWA et les personnes impliquées dans l’attaque du 7 octobre. Puis, en mars, la ministre a annoncé que nous reprenions les efforts de secours.

Je suis curieux : combien de pays donateurs y avait-il au départ? Combien de pays donateurs n’ont pas suspendu leur financement? De quels pays s’agit-il?

M. Lévêque : Je vous remercie de votre question. Je ne vais pas pouvoir répondre avec autant de détails, comme vous le demandez, mais je peux m’engager à vous fournir ces renseignements par écrit.

Le sénateur MacDonald : D’accord.

M. Lévêque : Pour vous donner une idée, je ne connais pas exactement le nombre total de pays qui financent l’UNRWA. Je peux dire, si ma mémoire est bonne, que 15 pays ont annoncé une interruption de leur financement immédiatement après les allégations faites contre les 12 employés. Depuis, je crois que cinq ou six pays — soit le tiers — ont annoncé la reprise de leur financement. Il se peut que je me trompe, et il pourrait y en avoir un ou deux de plus ou de moins, mais je sais que le Canada l’a fait, de même que, je crois, la Suède et, me semble-t-il, l’Islande, ainsi que quelques autres pays. C’est la tendance depuis environ deux semaines, mais nous pouvons vous faire parvenir des chiffres plus précis et un...

Le sénateur MacDonald : Oui, s’il vous plaît.

J’avais une question complémentaire, mais vous y avez répondu en partie. J’allais vous demander qui a suspendu et rétabli le financement. Quels sont les grands bailleurs de fonds qui n’ont pas rétabli leur financement? Le savez-vous?

M. Lévêque : Je pense que le Royaume-Uni, l’Australie et, bien sûr, les États-Unis figurent parmi les principaux bailleurs de fonds qui n’ont pas rétabli leur financement. D’après les entretiens diplomatiques, on s’attend à ce que la majorité d’entre eux le fassent. Il faut une foule d’éléments déclencheurs...

Le sénateur MacDonald : Il y a peut-être le rapport de Catherine Colonna.

M. Lévêque : Catherine Colonna, l’ancienne ministre française des Affaires étrangères, a remis aujourd’hui son rapport préliminaire au secrétaire général des Nations unies, et nous aurons une idée de ses recommandations dans les prochains jours. Son rapport final sera déposé à la fin du mois d’avril — le 20 avril, si ma mémoire est bonne. Il s’agit là de points de repère, si vous voulez...

Le sénateur MacDonald : Ce sont des étapes, en effet.

M. Lévêque : ... dans le cadre du processus, et un certain nombre de pays prendront leurs décisions en fonction de ce qu’ils verront dans ces documents.

Le sénateur MacDonald : Je vous remercie.

La sénatrice Greenwood : D’accord, je serai plus rapide cette fois-ci. Je voulais donner suite à la question du sénateur Richards. Je me disais que s’il n’y a pas de possibilité d’avoir deux États, alors comment pouvons-nous — nous, le Canada — ou comment vont-ils encourager un cessez-le-feu, appuyer l’élimination de la corruption et peut-être favoriser l’établissement d’une gouvernance traditionnelle et de relations traditionnelles entre les Israéliens et les Palestiniens? Je pose cette question parce que je suis autochtone et que ma famille a vécu la réalité coloniale. Il y a donc peut-être des leçons à tirer de notre expérience.

Si nous n’avions pas deux États, à quoi ressemblerait la situation, et quel serait notre rôle? Les solutions politiques reposent sur la coexistence de deux États — il y aura des solutions politiques, mais nous n’arriverons peut-être pas à les concrétiser.

M. Lévêque : Ce sont là d’excellentes questions. Tout d’abord, je voudrais apporter une précision. J’espère ne pas avoir dit — et ne pas avoir laissé entendre — qu’une solution à deux États était impossible. Chose certaine, ce n’est pas une possibilité immédiate.

La sénatrice Greenwood : En effet.

M. Lévêque : Même lorsque les Palestiniens demandent une solution à deux États à l’heure actuelle, ce qu’ils ont à l’esprit n’est pas nécessairement faisable, et quand on pose la question aux Israéliens, ils répondent : « Nous ne pouvons pas y penser pour l’instant; ce n’est pas le moment. Notre priorité est d’assurer la sécurité de notre peuple et de détruire les terroristes qui ont brutalement assassiné nos gens. » Toutefois, cela ne veut pas dire que ce ne sera pas possible avec le temps, et la raison pour laquelle nous plaidons si vigoureusement en faveur d’un cessez-le-feu, c’est qu’il faut bien commencer quelque part et qu’aucun des deux camps ne peut négocier l’avenir de la cohabitation — la possibilité de vivre côte à côte dans la paix — s’ils continuent à se tirer dessus.

Le plus important, c’est de mettre un terme à la violence, d’enrayer la famine sans tarder et de permettre le ravitaillement normal de Gaza en biens essentiels, en médicaments, et cetera.

Vous avez abordé deux autres points importants. Le premier est la gouvernance des institutions palestiniennes, et je le mentionne parce que lors du dernier cycle de négociations pour la paix au Moyen-Orient dans le cadre des accords d’Oslo — il y a 30 ans —, le Canada a joué un rôle crucial sur deux fronts. Le premier concernait la question des réfugiés et le retour des réfugiés palestiniens. Nous avons d’ailleurs présidé le groupe de travail sur cet enjeu dans le cadre des accords d’Oslo. Le second front concernait l’instauration de la gouvernance de l’Autorité palestinienne. Il existe déjà une expertise bien établie au Canada et une certaine confiance à l’égard de l’expertise canadienne qui pourrait être fournie.

Quand vous parlez de gouvernance, c’est justement ce que nous avons à l’esprit lorsque nous cherchons à savoir ce que le Canada peut faire à ce sujet. Avec le temps, il s’agira de mettre en commun cette expertise et cette formation et de rétablir cette capacité.

La dernière chose que je dirai est la suivante — parce que vous avez mentionné vos racines autochtones, et je dois dire que c’est une question qui a été mentionnée directement par les ministres Joly et Saks pendant que nous étions à Jérusalem il y a tout juste une semaine. Je dirai simplement que le Canada a élaboré une feuille de route et a acquis au moins — et je ne veux pas employer le mot « compétence » — une certaine expérience en matière de réconciliation. Les deux situations ne sont probablement pas analogues, mais le concept de réconciliation entre des peuples est au cœur de ces situations. Elles comportent un élément humain qui est comparable et, sans créer de fausses équivalences, cette offre a été faite comme un service uniquement canadien que nous pourrions également rendre dans le cadre d’un règlement pacifique à venir.

Le président : Je vous remercie. Je voudrais m’appuyer sur la question de la sénatrice Greenwood et revenir sur la question que le sénateur Harder a posée au tout début de la séance. Tous les membres de notre comité savent ce qu’est la diplomatie discrète, et je pense que nous savons également ce qu’est une diplomatie efficace — une diplomatie efficace aboutit, bien sûr, à un résultat.

Vous avez mentionné à plusieurs reprises le fait que vous avez voyagé avec un ou plusieurs ministres. Vous vous êtes rendu dans un certain nombre de capitales de la région, y compris pour parler à des partenaires avec lesquels nous n’avons pas entretenu des relations très proches ces dernières années, mais qui sont également influents et dont l’aide serait très utile dans le cadre d’une reconstruction, d’une sorte de restauration et certainement du point de vue de l’aide humanitaire.

En même temps, nous savons qu’il y a des acteurs malveillants dans la région et des acteurs malveillants extrarégionaux. Certains des pays, des gouvernements et des fonctionnaires que vous avez rencontrés en sont bien sûr parfaitement conscients. Dans la mesure du possible, pouvez-vous nous parler un peu de ces initiatives de diplomatie discrète et nous dire si elles concordent avec les mesures prises par certains de nos autres partenaires ou si elles s’harmonisent avec ces mesures? Vous et moi avons un passé lié au G7, et la saison du G7 approche. Je me demande si vous avez des idées à ce sujet dont vous aimeriez nous faire part.

M. Lévêque : Je vous remercie de votre question, monsieur le président. J’ai de nombreuses idées à ce sujet.

Au profit de toutes les personnes ici présentes, je dirais que la première chose qui importe pour mener une diplomatie efficace est d’être crédible, et de l’être dans une région où les relations personnelles, l’étendue des compétences et l’ampleur de l’intérêt doivent être démontrées en personne. Rien de tel que de se rendre dans les capitales et de rompre le pain ensemble. Les États du Golfe sont connus pour leur hospitalité très généreuse. Les conversations les plus importantes ont lieu au cours des repas. Il faut vraiment écouter — le Canada amorce la majorité de ces visites en admettant être un observateur dans la région, en vue d’écouter les exposés des faits historiques et de la contribution que les différents acteurs peuvent apporter à la situation.

Il serait simpliste de penser que tous ces pays ont une vision commune de la façon d’améliorer la paix au Moyen-Orient. Il existe des rivalités interrégionales et intrarégionales dont il faut être conscient pour bien négocier avec ces pays — non pas en les comparant les uns avec les autres, mais plutôt en leur permettant de se compléter.

Vous n’avez pas nommé ces acteurs, mais je vais le faire, monsieur le sénateur. L’Arabie saoudite est un pays qui joue un rôle de premier plan dans la région — un pays qui dispose d’une population importante, d’un territoire important et d’une économie en pleine diversification. L’Arabie saoudite se concentre sur une vision du développement de son pays et de la région qui exige que le monde entier considère la région comme prospère et pacifique.

Vous avez tous entendu parler de la possibilité d’une normalisation des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite surtout — ainsi que certains de ses voisins — et Israël. Certains analystes diront que cette attaque du Hamas visait probablement à provoquer une réaction israélienne si vive et si rapide qu’elle ferait dérailler ces efforts de normalisation. Cependant, au cours de nos conversations avec les dirigeants de la région, nous avons constaté que les dirigeants du Golfe ont toujours cette vision à long terme visant à normaliser les relations entre leurs pays et Israël, une vision à partir de laquelle tout peut commencer à progresser.

Nous avons entendu les Émirats arabes unis exprimer une détermination semblable. Vous connaissez les accords d’Abraham. Les pays ont investi un capital politique et social substantiel dans leur propre pays pour que leur population à majorité musulmane accepte et reconnaisse le droit d’exister d’Israël, et cet investissement est suffisamment important pour qu’ils souhaitent poursuivre ce processus et ne pas abandonner les fruits de leur travail. Nous avons des alliés importants. Ce n’est pas comme si nous partagions l’avis de ces pays dans tous les domaines, mais en ce qui concerne la paix au Moyen-Orient, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, à tout le moins, font preuve d’un grand leadership et ont une vision solide.

Le président : Je vous remercie infiniment. Nous allons maintenant amorcer une brève deuxième série de questions. Seulement deux sénateurs ont demandé de poser des questions. Je vais donc leur demander de poser leurs questions à tour de rôle, et vous pourrez ensuite y répondre.

La sénatrice Coyle : Vous avez parlé d’un dialogue avec l’ambassadeur d’Israël au Canada. Avez-vous aussi eu des échanges avec l’ambassadrice Mona Abuamara, la représentante de la délégation palestinienne à Ottawa?

Le président : Un instant, s’il vous plaît. Le sénateur Woo nous a quittés.

M. Lévêque : Oui, nous en avons certainement eu régulièrement, par l’intermédiaire de démarches officielles, d’interactions officieuses, d’appels téléphoniques, de messages textes et de réceptions.

Le président : Quelqu’un d’autre souhaite-t-il intervenir?

Sinon, il y a une partie de ma question à laquelle vous n’avez pas tout à fait répondu en ce qui concerne la relation avec les alliés. Le sénateur Harder l’a mentionné au tout début, mais y a-t-il une collectivité de pays impliqués? Vous avez parlé du groupe, et je pense que le Canada en fait partie. Si je me souviens bien, vous avez eu une réunion à Berlin. Vous pourriez peut-être nous faire part de vos réflexions à ce sujet.

M. Lévêque : La coordination et la durabilité des messages sont absolument essentielles. Vous avez fait allusion à une réunion de hauts fonctionnaires responsables du Moyen-Orient et de représentants d’un certain nombre de ministères des Affaires étrangères. L’une d’entre elles a eu lieu en personne à Berlin, alors qu’une autre a eu lieu à Rome. Par la suite, quelques réunions ont eu lieu sous forme virtuelle, et elles se poursuivent. Elles nous ont permis d’échanger des renseignements. Nous disposons de certains moyens d’entrer en contact avec les Palestiniens, les Israéliens, les Saoudiens et d’autres intervenants, et il en va de même pour l’Italie et la France. C’est une façon utile de coordonner nos interventions et d’échanger des renseignements. Ce matin, mes homologues allemand et britannique m’ont envoyé des messages textes pour me demander quelles étaient nos dernières décisions, et j’ai fait la même chose. Nous nous complétons mutuellement. Nous coordonnons les messages, et nous contribuons à répartir les tâches, c’est-à-dire qui aborde qui, et qui s’occupe de tel ou tel aspect. Le travail est réparti correctement pour nous permettre d’avoir la plus grande incidence possible.

Le président : Je vous remercie de votre réponse. Chers collègues, ce sujet est important et lourd de conséquences, et nous y reviendrons. En fait, nous l’aborderons de nouveau en nous penchant sur les aspects humanitaires à Gaza demain.

Je tiens à remercier le sous-ministre adjoint, Alexandre Lévêque, de la franchise dont il a fait preuve au cours de son témoignage d’aujourd’hui et de l’excellente discussion que nous avons eue. Nous nous reverrons demain. Merci encore, chers collègues.

(La séance est levée.)

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