LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 19 septembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les relations étrangères et le commerce international en général.
Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.
Avant de commencer, je voudrais demander à tous les sénateurs et aux autres participants qui sont ici en personne de consulter les cartes sur la table pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés au retour de son. Veuillez tenir votre oreillette éloignée de tous les microphones à tout moment. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez‑la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cet effet. Merci à tous de votre coopération.
[Traduction]
J’inviterais maintenant les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter.
[Français]
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Ravalia : Bonjour. Mohamed-Iqbal Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Al Zaibak : Mohammad Al Zaibak, de l’Ontario.
La sénatrice Patterson : Rebecca Patterson, de l’Ontario.
La sénatrice Robinson : Mary Robinson, de l’Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse.
Le sénateur K. Wells : Kristopher Wells, de l’Alberta.
Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
Le président : Merci beaucoup, chers collègues. Je vous souhaite à tous la bienvenue, ainsi qu’à ceux de partout au pays qui regardent aujourd’hui nos délibérations.
Chers collègues, nous nous réunissons aujourd’hui dans le cadre de notre ordre de renvoi général pour faire le point sur la situation en Ukraine. C’est malheureusement la douzième réunion où nous faisons le point sur cette situation, ce qui signifie que cela fait un certain temps que nous tenons ce genre de réunion. Ces mises à jour nous sont toujours très utiles pour savoir ce qui se passe sur le terrain.
Comme premier témoin, nous avons l’honneur d’accueillir pour la première fois, par vidéoconférence, depuis Kiev, Natalka Cmoc. Elle est l’ambassadrice du Canada en Ukraine.
Madame l’ambassadrice, je vous souhaite la bienvenue au comité et je vous remercie de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous sommes prêts à entendre votre déclaration liminaire. Comme d’habitude, elle sera suivie des questions des sénateurs, auxquelles vous vous sentirez peut-être obligée de répondre. Madame l’ambassadrice, vous avez la parole.
Natalka Cmoc, ambassadrice du Canada en Ukraine, Affaires mondiales Canada : Merci.
[Français]
Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de vous faire part de mon expérience en tant qu’ambassadrice.
Je me suis fait un devoir de visiter la plus grande partie possible de l’Ukraine. À l’est, j’ai été aussi loin que Kherson; au nord, Kharkiv; au sud, Odessa.
Je continue d’être profondément touchée par la résilience, la détermination et l’esprit des Ukrainiens. Cinquante pour cent de ceux qui ont quitté l’Ukraine depuis l’invasion totale sont revenus, mais cela commence à changer à mesure que la situation en Ukraine se détériore.
[Traduction]
Il y a plusieurs raisons à cela, principalement l’intensification de la guerre, qui a nécessité la conscription et la mobilisation, et la diminution de la sécurité énergétique. Au cours des derniers mois, les frappes aériennes se sont multipliées de manière considérable. Les Ukrainiens signalent qu’environ 95 % des frappes russes visent des infrastructures énergétiques essentielles, ce qui provoque des coupures d’électricité. Compte tenu de l’ampleur des dégâts déjà causés, nous savons que l’hiver sera difficile pour la population et l’économie ukrainiennes.
L’Ukraine continue de combattre intensément sur les lignes de front. L’offensive surprise menée par l’Ukraine en août 2024 dans l’oblast russe de Koursk a revitalisé le moral des Ukrainiens et montré que l’Ukraine pouvait déjouer la Russie.
[Français]
Toutefois, la position ukrainienne sur le champ de bataille reste très difficile, en particulier à Donetsk. La Russie a intensifié ses frappes aériennes sur les villes ukrainiennes. Récemment, des dizaines de familles à Lviv, Poltava et Kharkiv ont été dévastées par d’odieuses attaques russes sur des centres urbains.
[Traduction]
Le monde entier pleure avec un homme de Lviv qui a perdu toute sa famille lors d’une seule frappe : sa femme et ses trois filles, âgées de 7, 18 et 21 ans. Cela s’est produit le lendemain d’un attentat à Poltava qui a tué 58 civils et blessé plus de 200 personnes. En juillet, j’ai entendu et ressenti les missiles balistiques et de croisière russes qui ont gravement endommagé l’hôpital Okhmatdyt de Kiev, le plus grand centre médical pour enfants d’Ukraine. Par miracle, les quatre enfants qui se trouvaient sur les tables d’opération ont survécu, bien que les salles d’opération aient été lourdement endommagées. J’ai visité l’hôpital le jour de l’attaque et j’ai vu de mes propres yeux les dégâts et les immenses efforts déployés par l’équipe de secours.
L’ONU rapporte que plus de 10 000 civils ont été tués et que plus de 20 000 ont été blessés; 14,6 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire. En prévision de l’hiver, l’ONU fait appel à des partenaires humanitaires comme le Canada pour obtenir 500 millions de dollars afin de fournir une aide durant la saison hivernale à 1,8 million de personnes dans le besoin.
Le procureur général de l’Ukraine a déclaré que son bureau a enregistré plus de 130 000 cas de crimes de guerre commis par les Russes. Les Nations unies ont documenté le recours généralisé et systématique à la torture et aux mauvais traitements à l’encontre des civils et des prisonniers de guerre par les autorités russes, confirmant que 95 % des prisonniers de guerre et des civils en détention sont confrontés à la torture. J’ai personnellement rencontré et entendu les auteurs de ces témoignages. Étrangement, ils ont vécu les mêmes choses : l’utilisation horrible de chiens, l’obligation de rester debout au même endroit pendant plus de 10 heures, une à deux minutes pour manger une fois par jour, et les mêmes abus sexuels.
La perte de capital humain et la destruction des infrastructures énergétiques pèsent lourdement sur le gouvernement, l’économie et la société.
Cette année, l’Ukraine n’a eu d’autre choix que d’adopter une loi sur la mobilisation pour remplacer au front les soldats épuisés, qui ont besoin d’un répit. La mobilisation signifie que les hommes en âge de combattre sont maintenant retirés du marché du travail, ce qui, à son tour, affecte les perspectives économiques.
L’économie ralentit sous l’effet conjugué de la tension sur le réseau énergétique, de la mobilisation et de l’économie souterraine. La survie économique de l’Ukraine est primordiale. L’Ukraine tentera de combler les déficits budgétaires qui se profilent à l’horizon par des augmentations d’impôts douloureuses, mais elle continuera à dépendre fortement du financement extérieur provenant de pays comme le Canada.
Une défense aérienne s’impose de toute urgence.
[Français]
L’Ukraine a accompli des progrès notables en matière de réforme. Cela est crucial pour assurer la place de l’Ukraine dans la communauté euro-atlantique.
[Traduction]
Je souhaite vous faire part des besoins que l’Ukraine m’a communiqués : fournir un soutien militaire accru, en particulier en matière de défense aérienne; investir dans l’industrie de la défense ukrainienne par le biais de coentreprises; intensifier la lutte contre la désinformation russe; continuer à montrer la voie en ce qui concerne l’utilisation des avoirs russes gelés; et accélérer le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.
Le temps presse et notre esprit d’unité n’a jamais été aussi nécessaire et apprécié. Merci.
Le président : Merci beaucoup, madame l’ambassadrice, pour votre exposé. Chers collègues, comme d’habitude, nous tenons une liste des intervenants. Étant donné que certains sénateurs invités sont présents aujourd’hui, je tiens à dire que je donne la préférence aux membres du comité. Vous aurez tous le temps de poser vos questions et, s’il reste assez de temps, nous procéderons à un deuxième tour.
Le sénateur MacDonald : Merci, madame l’ambassadrice. L’implication de la Chine dans la fourniture de produits à double usage à la Russie a considérablement réduit l’effet des sanctions. Vu cette situation, comment le Canada gère-t-il ses intérêts économiques avec la Chine, étant donné que ce pays joue un rôle essentiel dans le maintien des efforts militaires de la Russie? Dans ce contexte, le Canada devrait-il envisager des mesures plus strictes, voire des sanctions, à l’encontre des entreprises et des institutions financières chinoises impliquées dans de telles transactions ?
Mme Cmoc : En ce qui concerne les sanctions, l’Ukraine considère le Canada comme un leader mondial en la matière et estime en fait que les sanctions sont efficaces. Le commerce canado-russe des produits sanctionnés est désormais pratiquement nul et les importations canadiennes en provenance de la Russie ont chuté de 98 %. J’ai rencontré l’ambassadeur chinois il y a environ un mois, et il m’a dit que lors de ses visites en Russie, il avait entendu dire que les sanctions changeaient la donne. Je ne l’ai pas entendu directement, mais je dirais que les sanctions sont efficaces et qu’elles ont une incidence sur l’économie russe.
Comme vous le savez, le Canada a imposé des sanctions à 3 000 personnes et entités en Russie, au Bélarus, en Ukraine et en Moldavie. Les dernières ont été imposées en mai. Nous avons imposé 27 sanctions supplémentaires à des individus et à des entités.
Le président : Merci.
Le sénateur MacDonald : Madame l’ambassadrice, une récente enquête du New York Times a révélé que des sociétés fictives basées à Hong Kong parviennent à contourner les sanctions et à fournir des technologies militaires cruciales à la Russie. Dans ce contexte, pensez-vous que le Canada et ses alliés en font assez pour remédier à cette situation? En dehors des sanctions, quelles mesures concrètes Affaires mondiales Canada pourrait-il prendre pour encourager une action mondiale plus forte et mieux coordonnée afin d’empêcher ce type de contournement des sanctions?
Mme Cmoc : Je vous remercie. Je pense que les sanctions imposées par le Canada sont efficaces. Je crois également que la saisie d’actifs constitue une autre mesure efficace. Il a été rapporté que des pièces et des biens canadiens étaient utilisés dans des armes russes et qu’il était nécessaire d’obtenir une licence pour pouvoir exporter depuis le Canada des articles figurant sur la liste des marchandises d’exportation contrôlée. Le Canada a également annoncé récemment l’interdiction d’exporter vers la Russie des biens désignés qu’elle pourrait utiliser pour fabriquer des armes et servir sa guerre contre l’Ukraine.
Voilà pour les sanctions et le double usage. Je sais cependant — et je l’ai mentionné durant mon exposé — que l’Ukraine est d’avis qu’un très bon moyen de contrer le problème serait d’investir plus directement dans la production d’équipement militaire en Ukraine même, par le biais d’entreprises conjointes, par exemple. Le Danemark, notamment, a déjà commencé à le faire.
Le président : Merci, madame l’ambassadrice.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie, Votre Excellence, de votre présence et du travail que vous accomplissez. J’aimerais revenir quelques mois en arrière pour avoir un aperçu du sommet sur la paix en Ukraine qui s’est tenu en juin. On a échoué — échoué est peut-être un mot trop fort — à obtenir l’adhésion d’une grande partie des pays du Sud, et j’ai eu l’impression que la rencontre n’a peut-être pas donné autant de résultats que ce que l’on espérait. Cela ne veut pas dire qu’il s’agit d’un échec, mais je suis sûre que l’on a appris certaines choses. Je me demande ce que vous pensez de ce sommet et si vous en avez tiré des leçons qui pourraient nous aider à convaincre de grandes puissances, comme l’Inde, le Brésil et l’Arabie saoudite, de faire pression sur la Russie pour qu’elle mette fin à ces hostilités afin que nous puissions mettre un terme à cette guerre par la voie diplomatique.
Mme Cmoc : Nous nous préparons à organiser d’autres réunions du groupe de travail pour poursuivre ces conversations. L’Ukraine et d’autres pays ont fait savoir qu’ils estimaient que le forum des dirigeants était très utile. Ils ont estimé que le premier ministre était très efficace, et ce qu’ils ont vraiment aimé c’était les rencontres en petits groupes, où les pays pouvaient se réunir et passer en revue certaines des mesures pratiques qui pouvaient être prises.
Il a été annoncé que les 30 et 31 octobre, le Canada tiendra une réunion des ministres des Affaires étrangères pour discuter des travaux du groupe de travail 4, en utilisant une approche très similaire à celle qui a été jugée efficace lors de la réunion de juin, comme je viens de le mentionner. Cela permettra aux pays de se réunir en petits groupes et d’examiner les différentes questions propres au groupe de travail 4. Ce groupe se concentre sur le retour en Ukraine des prisonniers de guerre, des civils en détention et des enfants.
En ce qui concerne les pays du Sud, l’Ukraine m’a demandé de rencontrer les ambassadeurs de certains pays du Sud, et c’est ce que j’ai fait. Bien sûr, le siège du ministère à Ottawa était au courant de ces rencontres. Comme je l’ai mentionné, j’ai rencontré l’ambassadeur de Chine, l’ambassadeur du Brésil, l’ambassadeur de Turquie, et j’ai prévu des rencontres avec le nouvel ambassadeur de l’Inde, ainsi qu’avec les ambassadeurs de l’Afrique du Sud et du Qatar.
Il se sont montrés enclins à poursuivre ces conversations avec le Canada, à communiquer des informations sur la formule de paix et ils se sont dits prêts à envisager de participer, par exemple, à la rencontre qui se tiendra au Canada les 30 et 31 octobre en vue de poursuivre ces conversations. Ils ont exprimé leur volonté de continuer à travailler sur certains sujets, comme la dimension humaine. Les partenaires du Sud ont en fait aidé l’Ukraine à ramener certaines personnes, y compris, je crois, 150 prisonniers de guerre qui ont été rapatriés récemment.
La sénatrice M. Deacon : Ma deuxième question aurait porté, et je pense que vous y avez répondu en partie, sur l’attention que porte le monde à ce conflit, particulièrement lorsque d’autres conflits sont en cours, et sur ce que vous pensez du fait que nos alliés perdent de vue l’importance de ce conflit. Vous avez décrit certaines actions en cours. Voilà quelle aurait été ma deuxième question, mais je pense que je vais m’arrêter là.
Le président : Merci, sénatrice. C’est probablement une bonne chose parce que votre temps est écoulé, mais il est bien que la question que vous souhaitiez poser figure au compte rendu.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Le sénateur Ravalia : Madame l’ambassadrice, merci à vous et à votre équipe de tout le travail que vous accomplissez en cette période particulièrement difficile.
J’espérais que vous pourriez m’expliquer la position du Canada sur la capacité de l’Ukraine à lancer directement sur des sites militaires en territoire russe des missiles à longue portée et d’autres armes sophistiquées récemment acquis. Nous avons entendu des rumeurs selon lesquelles les États-Unis et le Royaume-Uni ont eu des discussions à ce sujet. Avez-vous connaissance d’autres informations et quelle est notre position sur ce point?
Mme Cmoc : Monsieur le président, je crois savoir que notre premier ministre a déclaré publiquement le 13 septembre que le Canada ne voyait aucun inconvénient à ce que des armes à longue portée soient utilisées pour permettre à l’Ukraine de se défendre conformément au droit international. Aucune restriction géographique ne s’applique aux dons canadiens. Aucune restriction géographique ne s’applique à l’utilisation du matériel donné par le Canada, tant que l’Ukraine respecte le droit international.
En ce qui concerne l’utilisation d’armes à longue portée, les Ukrainiens ont rassuré les ambassadeurs à Kiev en expliquant que le besoin pour ces armes est dû en grande partie aux bombes planantes, d’après ce que j’ai compris, de sorte qu’elles seraient dirigées vers les zones d’où ces bombes sont lancées.
J’ai également entendu dire que l’opération à Koursk visait en partie à capturer ce que l’on pensait être un point de départ pour certaines de ces bombes, mais ce n’est pas suffisant. Voilà ma compréhension de la situation. Merci.
Le sénateur Ravalia : En changeant quelque peu de sujet, dans l’éventualité où les prochaines élections américaines déboucheraient sur une victoire républicaine, quels sont, selon vous, les effets potentiels sur la guerre, et nous préparons-nous en prévision d’une telle possibilité?
Mme Cmoc : Monsieur le président, c’est la grande question, n’est-ce pas? Je sais qu’il y a beaucoup de discussions en Ukraine. Il y a eu beaucoup de conversations aux conférences auxquelles j’ai assisté la semaine dernière, y compris la conférence de Yalta sur la stratégie européenne, où il y avait une forte présence de membres du Congrès et d’autres personnes. J’ai entendu les membres des deux partis dire aux Ukrainiens lors de la conférence que l’engagement envers l’Ukraine était inébranlable.
Quoi qu’il en soit, on nous dit constamment que le soutien à l’Ukraine est urgent, d’où qu’il vienne, et que le pays dispose de la formation militaire, de la capacité et de la stratégie nécessaires, mais qu’il manque de munitions et d’autres armes en temps voulu, à cause du délai entre l’engagement et l’arrivée du matériel au pays, et ce, quel que soit le pays ayant pris les engagements.
Mais le Canada continue d’encourager ses alliés et partenaires à envisager un soutien à long terme à l’Ukraine, et nous devons faire savoir à la Russie que nous n’abandonnerons pas. Merci.
Le sénateur Ravalia : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Madame l’ambassadrice, vous avez mentionné l’efficacité des sanctions contre la Russie. Toutefois, en 2023, la croissance en Russie a atteint 4 % et son taux de chômage est tombé à 2,6 %. En juillet, la Banque mondiale a même placé la Russie sur la liste des pays à revenus élevés. Le pays semble donc bénéficier pleinement de l’économie de guerre qui a été mise en place. La Russie demeure, de surcroît, le plus gros exportateur mondial de matières premières.
Quel est le regard que vous portez réellement sur cette apparence de vigueur de l’économie russe et sur l’efficacité réelle des sanctions internationales et canadiennes envers la Russie?
[Traduction]
Mme Cmoc : J’essaie de retrouver mes notes à ce sujet. Je suis désolée; je n’ai pas beaucoup d’informations sur l’économie de la Russie et les effets des sanctions en matière de statistiques spécifiques, malheureusement. Je vous prie de m’excuser.
[Français]
La sénatrice Gerba : Cela va dans le même sens qu’une question qui a été posée. Concernant la déclaration récente du premier ministre, qui a soutenu pleinement l’utilisation des armes à longue portée par l’Ukraine, notre collègue a posé la question, et je pense qu’on y a déjà répondu. Toutefois, de leur côté, les États-Unis et le Royaume-Uni n’ont pas encore officiellement autorisé l’utilisation de ces armes à longue portée. La France reste ambiguë sur le sujet. L’Allemagne refuse totalement ces livraisons. Pourriez-vous nous expliquer davantage la position du Canada? Elle semble contraster complètement avec nos alliés. Quels sont les risques d’escalade associés à cette décision d’autoriser l’utilisation des armes à longue portée?
[Traduction]
Mme Cmoc : Monsieur le président, si vous le permettez, j’ai trouvé des informations sur la première question. Le PIB de la Russie a baissé de 2,2 % en 2022, mais a augmenté de 3,6 % en 2023.
Quant aux importations canadiennes en provenance de Russie, elles ont chuté de 98 % en valeur par rapport à la même période en 2022, tandis que les exportations canadiennes vers la Russie ont chuté de plus de 80 % au cours de la même période.
En ce qui concerne la croissance de la Russie, elle devrait atteindre 3,2 % en 2024, principalement en raison des dépenses liées à l’effort de guerre. Cette situation a entraîné une forte inflation et des taux d’intérêt élevés.
En ce qui concerne les armes à longue portée, je ne suis pas certaine. Je sais que le Canada n’a pas donné d’armes à longue portée à l’Ukraine, mais nous n’avons pas imposé de restrictions sur les dons que le Canada a faits à l’Ukraine.
Le président : Merci, madame l’ambassadrice.
La sénatrice Coyle : Merci, madame l’ambassadrice, d’être avec nous aujourd’hui. Il est important pour nous de vous parler et de connaître votre point de vue du terrain.
Le comité a déjà discuté de cybersécurité et des questions de désinformation. Je crois que lors de notre dernière rencontre, il a été question de coopération pour lutter contre ces deux menaces, la menace envers la cybersécurité et la menace de la désinformation. Pouvez-vous nous parler de ce que fait le Canada, seul ou en collaboration avec d’autres pays, dans ces deux domaines importants.
Mme Cmoc : Le Canada soutient la cybersécurité par le biais de ce qui était le programme de paix et de sécurité des opérations, et combat la désinformation par le biais de divers programmes. Le Canada soutient en particulier la communauté internationale dans la détection, la correction et la dénonciation des campagnes de désinformation parrainées par l’État russe.
Le Partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive et des matières connexes, dirigé par le G7, est un autre domaine d’action. L’association Journalistes pour les droits humains soutient les médias indépendants et les journalistes russes et biélorusses en exil, ainsi que l’éducation ukrainienne aux médias et les capacités de vérification de l’information afin de mieux lutter contre la désinformation.
Le soutien apporté par le Canada dans ces domaines comporte de multiples facettes. Le Canada a également apporté son soutien à la prévention de la guerre hybride. Nous savons que la Russie continue de déployer tous les leviers du pouvoir de l’État au service de ses intérêts stratégiques, notamment en faisant pression sur le Canada, ses alliés et ses partenaires pour qu’ils renoncent à leur soutien à l’Ukraine. Tout au long de l’année 2024, le Kremlin a multiplié les opérations dans la zone grise en Europe, notamment les assassinats, les cyberattaques, l’espionnage, le sabotage et les migrations armées. Le Canada est conscient de la menace et en surveille attentivement tous les aspects. Nous nous engageons à faire obstacle aux opérations hybrides malveillantes et à y réagir lorsqu’elles se produisent.
La sénatrice Coyle : Je sais que cela n’est pas nécessairement lié au sujet principal d’aujourd’hui, mais je m’y intéresse, car les menaces russes en matière de cybersécurité et de désinformation sont énormes en Ukraine, et elles constituent également un gros problème ici. J’aimerais savoir comment nous partageons les connaissances et l’expérience acquises sur le terrain en Ukraine avec ceux qui s’occupent de ces enjeux ici au Canada, au sein du gouvernement du Canada.
Mme Cmoc : En étroite collaboration avec le Groupe de cinq, l’Union européenne, les États-Unis et le Royaume-Uni en particulier, ainsi qu’avec le secteur privé et la communauté élargie des parties prenantes, nous coordonnons la cyberassistance à l’Ukraine. Affaires mondiales Canada a participé à l’élaboration du mécanisme de Tallinn, une initiative multiétatique axée sur le soutien au renforcement des cybercapacités civiles en Ukraine. Nous publions des déclarations d’attribution afin de saper les tentatives de la Russie de nier leurs actions en Ukraine.
L’opération Unifier comprend également un soutien et une formation aux opérations de cyberdéfense dirigées par les Forces armées canadiennes. Des fonds supplémentaires sont alloués pour aider à protéger plusieurs ministères du gouvernement ukrainien et des d’infrastructures nationales essentielles qui ont été perturbés et ont subi des dommages à cause de cyberattaques.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Boniface : Merci, madame l’ambassadrice, de vous être joint à nous. Merci à vous et à votre équipe pour le travail que vous accomplissez.
J’aimerais obtenir un peu plus d’informations sur les promesses faites par le Canada à l’Ukraine en matière de soutien matériel. L’hiver arrive bientôt, et les années passées, notre comité a entendu les difficultés liées à l’hiver et à la guerre. J’aimerais donc savoir ce que le Canada a promis, mais que l’Ukraine n’a pas encore reçu, et quelles sont les priorités que les parlementaires devraient surveiller pour s’assurer que les livraisons se fassent avec succès.
Mme Cmoc : Outre les promesses d’équipement militaire, l’énergie serait le deuxième sujet de préoccupation pour l’hiver. En ce qui concerne les membres du Groupe de coordination du G7+ pour l’énergie, notre premier ministre a annoncé en juin une aide de 20 millions de dollars pour la réparation de l’infrastructure énergétique endommagée de l’Ukraine. Le Canada a émis une obligation de souveraineté ukrainienne de 500 millions de dollars sur cinq ans, par l’intermédiaire du Fonds monétaire international, le FMI, pour aider à l’achat de carburant et au rétablissement de la production énergétique. Le Canada a fourni 150 millions de dollars pour réparer les réseaux électriques de Kiev par l’intermédiaire de la Banque mondiale, et le Canada a également fourni des garanties de prêt pour permettre un prêt européen de 300 millions de dollars à Naftogaz.
La sénatrice Boniface : J’aimerais plus de précision. Êtes‑vous en train de dire qu’il s’agit d’engagements ou qu’une partie de ces mesures a déjà été mise en œuvre? J’essaie de comprendre l’écart entre les promesses et les réalisations.
Mme Cmoc : Il s’agit en partie de promesses et en partie d’engagements. L’engagement de 20 millions de dollars en juin pour le soutien et les réparations a été annoncé. Je ne sais pas où en est le processus de réalisation, mais c’est en cours. L’obligation de souveraineté ukrainienne par l’intermédiaire du FMI, je crois, a été livrée, tout comme la garantie de prêts par la Banque mondiale.
Le président : Merci, madame l’ambassadrice.
Le sénateur Kutcher : J’ai deux questions. S’il manque de temps pour la première, je pourrai peut-être y revenir lors du second tour.
Madame l’ambassadrice, avant de vous poser cette question, je tiens à souligner que vous vivez dans une zone de guerre et que vous êtes confrontée exactement aux mêmes terreurs que ma famille à Kiev, chaque jour et chaque nuit. En notre nom à tous, je souhaite que vous restiez en sécurité et je vous remercie de représenter si efficacement le Canada sur place.
Je veux parler des drones. L’Ukraine fabrique elle-même environ 3 000 drones à dispositif de vue à la première personne par jour. Le Canada a récemment annoncé qu’il avait donné 800 drones à l’Ukraine. L’Ukraine consomme 10 000 drones par mois, nous lui en avons donc donné pour deux jours et demi. Dans mes discussions avec les fabricants ukrainiens, il semble clair que nos drones sont technologiquement inférieurs à ceux qu’ils créent eux-mêmes.
A-t-on pensé, au lieu d’offrir des drones technologiquement inférieurs qui dureront deux jours et demi, à soutenir l’industrie ukrainienne qui fabrique elle-même des drones de manière beaucoup plus efficace, probablement plus rentable et plus rapide que nous?
Mme Cmoc : Merci pour cette question. Le Canada a fait don de 900 drones de fabrication canadienne et a investi dans la production nationale ukrainienne. Malheureusement, je n’ai pas de détails. Je sais que des entreprises se sont rendues en Ukraine pour poursuivre des discussions à ce sujet, mais je n’ai malheureusement pas de détails sur leur état d’avancement.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie. Tout d’abord, c’est un sujet que nous voudrons peut-être examiner plus en détail ultérieurement.
Je voudrais maintenant parler brièvement de l’Asie centrale, bien qu’il soit toujours question ici de l’Ukraine et du contournement des sanctions. Les importations des pays occidentaux vers le Kazakhstan ont augmenté d’environ 2 000 % au cours de la dernière année. Le Kazakhstan est désormais un lieu de transbordement viable pour les produits sanctionnés des pays occidentaux à destination de la Russie. Les États-Unis sont un peu mal pris parce que s’ils poussent trop fort le Kazakhstan à cesser ce qu’il fait, ils le pousseront possiblement plus loin dans l’orbite de la Russie parce qu’il est membre du groupe de Shanghai.
Quel rôle le Canada pourrait-il jouer en travaillant peut-être avec le Kazakhstan et d’autres républiques d’Asie centrale pour tenter de régler le problème du contournement des sanctions?
Mme Cmoc : Le Canada interdit l’exportation de marchandises que la Russie pourrait utiliser pour fabriquer des armes et soutenir son effort de guerre, quel que soit l’intermédiaire par lequel elles transitent. Nous nous efforçons d’améliorer l’efficacité des mesures et nous continuons à surveiller ces pays tiers. Nous avons entrepris des démarches de sensibilisation sur le contournement auprès de certains pays et nous en faisons davantage sur le plan de la sensibilisation des entreprises canadiennes.
Le Canada et ses partenaires sont de plus en plus soucieux d’accroître l’efficacité de leurs sanctions, notamment en collaborant pour en renforcer l’application. Nous souscrivons sans réserve à l’engagement pris par le G7 d’intensifier les efforts déployés dans la lutte contre le contournement des sanctions et la mise en œuvre de mesures de contrôle des exportations. De plus, nous continuons, comme je l’ai mentionné, à surveiller les pays tiers qui suscitent des préoccupations grandissantes en raison de la croissance atypique de leurs exportations. Nous surveillons les volumes d’exportation et les destinations des produits figurant sur la liste commune, en particulier pour les pays qui présentent un risque élevé.
Le président : Merci, sénateur. Avez-vous dit que vous souhaitiez intervenir une deuxième fois?
Le sénateur Kutcher : Je peux certainement poser une autre question.
Le président : Nous n’en sommes pas encore là. Je veux simplement m’assurer que nous vous avons inscrit sur la liste.
La sénatrice Patterson : Madame l’ambassadrice, j’abonde dans le même sens que le sénateur Kutcher. Chaque fois que votre microphone clignote, je me demande ce qui arrive. Merci pour ce que vous faites.
Je voudrais changer un peu de sujet. Je sais très bien que parmi les enjeux que vous avez soulevés, il y a la nécessité de disposer d’un nombre suffisant de soldats pour mener les combats tactiques au quotidien. C’est difficile. Le Canada contribue certainement dans le cadre de l’opération Unifier à l’extérieur du pays. Il s’agit d’un service très utile, mais moins il y a de gens pour combattre et plus longtemps ils restent à l’étranger, plus les lignes de front se dégarnissent.
Je sais qu’il existe une aide internationale privée pour la formation de combattants blessés — la formation des formateurs — pour qu’ils se rendent sur les lignes de front afin d’aider à former les soldats sur place. Ils sont donc là et ils s’entraînent en temps réel avec des gens qui ont une véritable expérience de combat, ce que la plupart des nations occidentales n’ont pas.
Êtes-vous au courant de ces initiatives et y a-t-il quelque chose que le Canada pourrait faire, que ce soit dans le secteur privé ou même dans le secteur militaire, pour aller là où les soldats se trouvent?
Merci.
Mme Cmoc : Monsieur le président, comme on l’a dit, dans le cadre de l’opération Unifier, on forme actuellement des soldats ukrainiens et on assure la formation des formateurs principalement en dehors de l’Ukraine : en Pologne, en Lettonie et en Angleterre. Jusqu’à présent, 42 000 soldats ont été formés depuis 2014.
Des discussions sont en cours sur la manière — avec d’autres pays... L’Ukraine a clairement indiqué qu’il serait très utile qu’il y ait davantage de formation dans le pays et elle en fait donc la demande auprès du Canada et de tous les autres alliés.
Comme on l’a dit, des organisations du secteur privé — je dirais même des organisations non gouvernementales — viennent en Ukraine pour former des sapeurs ou offrir de la formation sur les munitions non explosées, ainsi qu’une formation médicale en zone de combat beaucoup plus poussée. Des ONG canadiennes l’ont fait aussi. Toute cette aide à l’intérieur du pays est tout aussi bien accueillie. Cependant, je dois dire que je reçois encore beaucoup de remerciements pour tout le travail accompli dans le cadre de l’opération Unifier également.
Merci.
La sénatrice Patterson : Je veux vraiment me concentrer sur ce que les ONG font avec les combattants ukrainiens blessés, qui savent manifestement ce qu’un Canadien qui participe à l’opération Unifier ne sait pas aussi bien.
Bien que cette initiative doive se poursuivre, le Canada a-t-il un rôle à jouer, à votre avis, que ce soit par du financement ou par la formation très ciblée de combattants ukrainiens blessés pour qu’ils forment d’autres soldats, essentiellement pour apprendre aux gens à pêcher, pour ainsi dire?
Mme Cmoc : On demande de plus en plus que les blessés, en particulier les amputés qui veulent toujours participer activement au service, puissent jouer un rôle plus important dans la formation des autres, qu’il s’agisse de formation tactique, de formation médicale ou d’une fonction consultative. La question a été soulevée par les Ukrainiens et par d’autres et l’on cherche des moyens de le faire, que ce soit par l’intermédiaire du secteur privé en Ukraine ou du gouvernement ukrainien, et peut-être aussi d’autres pays.
Le président : Merci beaucoup. Je vais utiliser le privilège que me confère ma fonction de président pour poser une question, peut-être même deux questions.
Madame l’ambassadrice, comme vous le savez, à Kiev, beaucoup de ministres et de dirigeants vont et viennent. Le gouvernement ukrainien doit, bien entendu, coordonner un grand nombre d’activités à cet effet. Vous êtes vous-même membre d’un groupe d’ambassadeurs, le groupe du G7, dont les membres se rencontrent régulièrement, se consultent. Si mes calculs sont exacts, vous présiderez le groupe en question à partir de janvier.
Je connais un peu ce groupe en raison des fonctions que j’occupais antérieurement, mais j’aimerais savoir ce que vous pensez de son efficacité sur le plan de la coordination et de l’échange de renseignements. Par exemple, si vous avez reçu la visite d’un dirigeant, d’un ministre ou d’un représentant de Bruxelles, soit de la Commission européenne, comment les choses fonctionnent-elles et cela renforce-t-il ce que vous faites sur le terrain?
Mme Cmoc : Monsieur le président, comme vous l’avez dit, le Groupe de soutien des ambassadeurs du G7 en Ukraine est le fruit d’un engagement ou d’une demande qui a été formulée lors de la rencontre du G7 de 2015, je crois. Ce groupe fonctionne très bien. Nous nous réunissons environ toutes les deux semaines et nous rencontrons fréquemment des interlocuteurs et des intervenants ukrainiens. Nous pouvons nous rencontrer en moyenne une à trois fois par semaine.
Une chose qui s’est avérée très efficace, c’est aussi la publication de gazouillis par le groupe. L’Ukraine réagit, et nous le voyons.
Je dirais qu’il s’agit d’une fonction consultative, principalement pour le programme de réforme. C’est l’ambassadeur du G7. C’est aussi l’ambassadrice de l’Union européenne, qui dirige la réforme en vue de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, ainsi que d’autres programmes de réforme, principalement dans le domaine judiciaire, de la lutte contre la corruption, etc.
Les progrès réalisés sont remarquables. Comme l’a dit l’Ukraine, c’est en grande partie grâce au soutien qu’elle reçoit des membres du G7, tant individuellement que collectivement. Il existe une très forte relation de consultation et de confiance au sein de ce groupe. Nous échangeons des renseignements concernant le programme et les aspirations de l’Ukraine, mais aussi — comme vous l’avez mentionné, monsieur le président — des renseignements sur les visites que chacun de nos pays a effectuées et nous nous préparons mutuellement à pouvoir échanger des notes sur les différents sujets.
Pour la suite, il s’agira plus particulièrement de la démocratie, de la primauté du droit, de la transparence et de la reddition de comptes. Nous nous réunissons et nous prenons les critères du FMI en grande partie comme base pour les conseils que nous donnons. Bien entendu, nous travaillons en étroite collaboration avec le groupe du FMI, qui est désormais présent dans le pays, et avec le groupe de liaison de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, ou l’OTAN, dont le rôle a été élargi et renforcé et qui est désormais dirigé par une personne plus haut placée, soit Patrick Turner, que nous avons rencontré il y a deux semaines.
Le président : Merci, madame l’ambassadrice.
Dans vos discussions — et je pense aux propos d’un témoin qui a comparu devant le comité précédemment, soit le vice‑premier ministre chargé de la restauration de l’Ukraine —, cela en fait-il partie, étant donné que les forces russes ont détruit des infrastructures de base, en particulier des centrales électriques?
Mme Cmoc : Oui, monsieur le président.
Le travail lié à la reconstruction proprement dite est effectué en grande partie du côté du développement, pour lequel il existe un groupe de coopération, au-delà du groupe du G7. Le groupe se réunit pour assurer la coordination dans la reconstruction et pour conseiller l’Ukraine sur certains de ses travaux, notamment dans le secteur de l’énergie.
L’Ukraine a fait part au Groupe de soutien des ambassadeurs du G7, ainsi qu’au groupe opérationnel central, de ses projets de décentralisation et d’écologisation. C’est un sujet dont parlent souvent différents gouverneurs ukrainiens qui cherchent à décentraliser et à diversifier leur infrastructure énergétique.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Kutcher : Encore une fois, je vous remercie, madame l’ambassadrice. J’ai deux brèves questions.
La première concerne la récente attaque réussie à Toropets, qui, comme les gens le savent, n’est pas très loin de Moscou. Apparemment, la puissance des explosions a atteint 2,8 sur l’échelle de Richter, ce qui représente un assez grand coup, je pense.
Malheureusement, les missiles à cet endroit provenaient principalement de l’Iran et de la Corée du Nord. Comment le Canada et les autres pays occidentaux peuvent-ils travailler plus efficacement pour limiter le transfert de missiles provenant de la Corée du Nord et de l’Iran, qui tuent des Ukrainiens tous les jours?
Mme Cmoc : Monsieur le président, je n’ai pas la réponse à cette question. Je sais que le sujet fait l’objet de discussions et qu’il a été soulevé par le ministre de la Défense, ici. Nous savons que c’est quelque chose qui se produit et qui préoccupe vivement les Ukrainiens.
Encore une fois, ils profitent des réunions d’information pour demander plus d’armes et de pièces, au moins, et des investissements en Ukraine même, qu’il s’agisse de l’inclusion d’entreprises canadiennes, de coinvestissement avec des entreprises de défense en Ukraine ou, par exemple, de ce qui fait l’objet de discussions auxquelles j’ai participé avec certaines entreprises de défense canadiennes. Il s’agit peut-être, au moins, de faire venir les pièces et de les faire assembler en Ukraine. Des discussions sont en cours sur le sujet, mais, encore une fois, ils sont convaincus que si la fabrication ou l’assemblage se fait en Ukraine, la livraison se fera beaucoup plus rapidement.
Comme je l’ai mentionné, nous savons que le Danemark a déjà adopté cette approche, et d’autres pays sont en pourparlers avec l’Ukraine sur des moyens d’investir dans la production nationale. Dans le même ordre d’idées, on cherche également des moyens de peut-être partager la propriété intellectuelle avec l’Ukraine grâce à la relation de confiance que nous avons ou aux accords bilatéraux que nous avons mis en place.
Le sénateur Kutcher : Récemment, la visite de représentants du FMI en Ukraine a été annulée, principalement, si j’ai bien compris, en raison de protestations de pays européens. Je ne sais pas si le FMI a l’intention de se rendre en Ukraine à l’avenir — je veux dire en Russie, pardon — ou non. Quelle est la position du Canada sur l’idée que le FMI renoue avec la Russie à ce stade-ci?
Mme Cmoc : Le Groupe de soutien des ambassadeurs du G7 a rencontré le groupe du FMI qui est venu en visite — je pense que c’était la semaine dernière ou il y a deux semaines. À cette occasion, ils ont discuté des progrès accomplis par rapport aux critères du FMI et, dans l’ensemble, ils ont offert un rapport plutôt positif au sujet de la réforme et ils ont également transmis à l’Ukraine un rapport sur les progrès à accomplir. C’est à peu près tout ce que j’ai à dire à cet égard, mais ce sera surtout lié à la fiscalité.
L’une des réformes douanières a été adoptée par le Parlement ukrainien pas plus tard que cette semaine. Il y a également le budget de 2025 qui a fait partie des discussions. Le FMI a insisté très clairement sur la nécessité de trouver une solution concernant l’engagement des partenaires du G7 à l’égard du prêt de 50 milliards de dollars et sur les questions relatives aux conditions et à la manière dont l’Ukraine pourrait en bénéficier. Le FMI s’est montré très optimiste quant à la possibilité de le faire d’ici l’hiver 2025, c’est-à-dire l’hiver prochain.
Le président : Merci, madame l’ambassadrice.
La sénatrice M. Deacon : J’ai une petite question. J’ai réfléchi à quelque chose que vous avez dit dans vos remarques préliminaires. Vers la fin, vous avez parlé des avoirs gelés des oligarques. J’aimerais que vous reveniez sur le sujet, si vous le voulez bien, et peut-être pourriez-vous nous faire part de vos réflexions. Selon vous, que représentent ces avoirs? Qu’est-ce que cela pourrait signifier et combien de temps il faudra...? Donnez-nous une idée, si vous le voulez bien.
Mme Cmoc : Le produit des avoirs gelés est un sujet de conversation bien présent ici. C’est sans précédent. La communauté est très positive à cet égard. Les Ukrainiens sont très positifs. Les Européens en ont parlé. L’ambassadrice de l’Union européenne en parle de manière très positive. Or, je parle de l’utilisation du produit des avoirs pour l’Ukraine. Je crois comprendre qu’on est encore en train de réfléchir à la manière de procéder et à certaines contraintes, mais dans l’ensemble, on sent bien que les choses avancent et que l’Ukraine en bénéficiera.
Au Canada, les actifs souverains russes resteront immobilisés jusqu’à ce que la Fédération de Russie ait dédommagé l’Ukraine. Merci.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Le sénateur Al Zaibak : J’aimerais revenir sur la question que le sénateur Kutcher a posée à l’ambassadrice. Je pense qu’elle portait sur les contacts du FMI avec la Russie plutôt qu’avec l’Ukraine. Je ne pense pas que nous ayons obtenu la bonne réponse à la question, madame l’ambassadrice.
Mme Cmoc : Je ne suis pas sûre de pouvoir vraiment parler du rôle du FMI par rapport à la Russie. Il n’en a pas été question lors de la réunion dont j’ai parlé. Je ne pense pas avoir suffisamment de renseignements pour pouvoir en parler à ce moment-ci.
Le président : Madame l’ambassadrice, je pense que le comité comprend que, bien entendu, vos responsabilités concernent l’Ukraine, mais cela me donne à penser qu’au cours d’une prochaine réunion, nous pourrions souhaiter que notre directeur exécutif au FMI vienne témoigner afin d’en savoir un peu plus sur la question.
Madame l’ambassadrice, au nom des membres du comité, je voudrais vous remercier d’avoir comparu aujourd’hui et de nous avoir fait part de vos sages réflexions. Au nom du comité, je tiens également à vous remercier, vous et votre personnel très dévoué, tant canadien qu’ukrainien, pour le travail que vous accomplissez pour le Canada en Ukraine dans des circonstances difficiles. Je vous remercie sincèrement. J’ose dire que nous aurons peut-être l’occasion de vous revoir. Merci.
Mme Cmoc : Merci beaucoup.
Le président : Chers collègues, nous passons maintenant à notre deuxième groupe de discussion. Nous avons l’honneur d’accueillir Son Excellence Yuliya Kovaliv, ambassadrice de l’Ukraine au Canada.
Madame l’ambassadrice, nous sommes toujours heureux de vous revoir. En effet, c’est la cinquième fois que vous comparaissez à titre de témoin devant notre comité. Nous vous sommes reconnaissants du temps que vous nous accordez. Nous vous remercions, bien entendu, d’être avec nous aujourd’hui pour discuter du sujet délicat de la guerre en Ukraine, dans votre pays. Nous sommes prêts à entendre votre déclaration préliminaire, qui sera suivie des questions des sénateurs et, bien entendu, de vos réponses. Madame l’ambassadrice, vous avez la parole.
Son Excellence Yuliya Kovaliv, ambassadrice, Ambassade de l’Ukraine au Canada, à titre personnel : Monsieur le président et honorables membres du comité, je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer aujourd’hui. C’est un grand plaisir et un honneur pour moi d’être ici aujourd’hui. Je vous remercie d’avoir inscrit une mise à jour sur l’Ukraine à l’ordre du jour pour la reprise de vos travaux.
Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier du soutien ferme et inébranlable que vous apportez à l’Ukraine dans sa lutte contre l’invasion illégale de la Russie. Votre position ferme nous est précieuse, car nous continuons de nous battre dans la plus grande guerre conventionnelle sur le continent européen depuis la Deuxième Guerre mondiale. L’agression russe contre l’Ukraine a un impact qui va bien au-delà des frontières ukrainiennes et du continent européen, car elle remet en cause la notion fondamentale de l’ordre international fondé sur des règles et le respect de la souveraineté de chaque pays dans le monde.
Permettez-moi de vous décrire brièvement la situation actuelle en Ukraine. Malgré les tentatives russes d’avancer et le manque de munitions et d’équipement ressenti par les forces armées ukrainiennes, nous sommes parvenus à stabiliser la situation au cours des dernières semaines, en particulier dans la région de Donetsk. Ces jours-ci, la plupart des combats se déroulent dans les environs de Pokrovsk et de Kourakhove.
La Russie dispose d’un avantage aérien et humain, mais les pertes ennemies sont nettement plus élevées dans cette guerre. En effet, la Russie a subi des pertes irremplaçables de plus de 634 000 soldats.
Les troupes russes violent grossièrement la Convention sur les armes chimiques en utilisant des grenades lacrymogènes ainsi que des engins explosifs improvisés contenant des substances irritantes.
La Russie continue d’accumuler des troupes et de démontrer son engagement envers la guerre d’usure. Tout récemment, soit le 16 septembre, le dictateur russe, M. Poutine, a signé un décret pour augmenter les effectifs de l’armée russe de 180 000 personnes.
La Russie a pris toutes les munitions du Bélarus et utilise des obus d’artillerie et des missiles balistiques de la Corée du Nord, ainsi que des drones iraniens pour accroître sa capacité à attaquer l’Ukraine. M. Poutine peut se procurer plus qu’il n’en faut, et à relativement bon marché, auprès de la Corée du Nord. Quant à nous, il nous est difficile d’obtenir tout ce dont nos soldats et nous-mêmes avons besoin sur la ligne de front. La Corée du Nord a déjà fait parvenir à l’agresseur au moins 10 000 conteneurs d’expédition qui pourraient contenir jusqu’à 4,8 millions d’obus d’artillerie et jusqu’à 50 missiles balistiques que le Kremlin utilise pour bombarder l’Ukraine.
Même si elle n’obtient pas de résultats stratégiques sur le champ de bataille, la Russie cherche à détruire tout ce qu’elle ne peut pas capturer et poursuit ses attaques de missiles et de drones. Depuis le début de l’invasion massive, la Russie a lancé plus de 9 600 missiles contre l’Ukraine, a détruit ou considérablement endommagé une infrastructure produisant neuf gigawatts d’électricité et nous sommes à la veille d’un hiver très rude.
Depuis juin dernier, les soldats russes ont frappé la clinique pour enfants Okhmatdyt, le plus grand hôpital pour enfants de Kiev, et des tragédies se sont produites à Pokrovsk, Lviv, Kharkiv et dans de nombreuses autres villes. Seulement au mois d’août, 184 civils ont été tués et 856 blessés. Il s’agit du deuxième plus grand nombre de victimes mensuelles en 2024, après le mois de juillet.
Nos partenaires peuvent prendre deux décisions importantes pour nous aider à mettre fin à la terreur russe. La première consiste à confirmer les frappes à longue portée de l’Ukraine sur toutes les cibles militaires légitimes situées sur le territoire russe. Nous devons être en mesure de détruire les endroits d’où la Russie lance ses missiles et de détruire ses chaînes logistiques. En effet, en 2022, lorsque nous avons réussi à détruire les chaînes logistiques des militaires russes et d’autres cibles dans les environs de Kherson grâce à l’utilisation de HIMARS, le système de roquettes d’artillerie à grande mobilité, nous avons pu libérer une partie de cette région.
Nos partenaires peuvent aussi nous aider à neutraliser les missiles et les drones russes, en particulier à proximité des frontières des pays voisins. Nous avons la preuve que ces missiles et ces drones survolent également les pays voisins. Comme l’a dit le président Zelensky, le Bélarus prend l’initiative d’abattre les drones russes.
Nous sommes reconnaissants au Canada d’avoir adopté la position d’appuyer la capacité de l’Ukraine à utiliser des armes à longue portée contre des cibles militaires russes légitimes.
Nous ne nous contentons pas de faire la guerre, car nous poursuivons également nos efforts en vue de l’adhésion à l’Union européenne. Ainsi, en juin, nous avons entamé, avec la Moldova, les négociations officielles d’adhésion à l’Union européenne.
Le 21 août, le Parlement ukrainien a ratifié le Statut de Rome, et l’Ukraine est devenue le 125e pays partie au Statut de Rome.
Nous continuons à mettre en œuvre des réformes structurelles en coordination avec l’Union européenne et le Fonds monétaire international et le programme Ukraine Facility vise à rendre l’économie ukrainienne plus compétitive et plus résistante et à harmoniser les lois ukrainiennes avec celles de l’Union européenne.
Nous continuons à réparer l’infrastructure endommagée et à soutenir les entreprises résilientes qui mènent leurs activités pendant la guerre.
Je pourrais probablement en dire beaucoup plus, mais je tiens à soulever un dernier point dans ma déclaration préliminaire. En effet, j’aimerais attirer votre attention sur le problème important de la désinformation russe. Les campagnes de désinformation ciblent la volonté humaine, et la Russie mène des campagnes de désinformation qui visent à tenter de détruire le soutien à l’Ukraine et de nous diviser.
D’un point de vue militaire, comme l’a dit récemment, à juste titre, le général Wayne Eyre, si la volonté humaine est affectée avant le premier coup de feu, c’est la victoire avant même le premier combat. Il s’agit donc d’un élément très important. Je pense que nous devons tous comprendre à quel point les campagnes de désinformation de la Russie sont sophistiquées et bien financées. Nous devons tous être parfaitement conscients du danger que cela représente. Je vous remercie.
Le président : Je vous remercie beaucoup, madame l’ambassadrice, de votre déclaration préliminaire. Chers collègues, comme d’habitude, nous aurons des séries de questions de quatre minutes. Veuillez être concis dans vos interventions, afin que l’ambassadrice ait suffisamment de temps pour répondre à vos questions.
La sénatrice Patterson : Madame l’ambassadrice, l’un des grands défis dont nous entendons continuellement parler n’est pas seulement la lenteur avec laquelle les autres pays apportent leurs contributions à l’Ukraine, mais aussi les difficultés physiques liées à la traversée de la Pologne pour entrer en Ukraine. Nous parlons souvent de la création d’une route terrestre, d’une route aérienne et de la sécurité aérienne, afin d’avoir d’autres moyens que la route et le train pour acheminer les fournitures.
Où en est l’Ukraine dans ses efforts pour établir une route aérienne sécuritaire, et de quels soutiens l’Ukraine a-t-elle besoin pour mener à bien cette action?
Mme Kovaliv : En général, il faut 36 heures pour aller d’Ottawa à Kiev, c’est-à-dire qu’il faut prendre un vol, et ensuite deux trains ou une voiture. La circulation automobile est également limitée à cause du couvre-feu instauré en 2022.
Il est impossible d’établir une route aérienne lorsque des drones et des missiles traversent chaque jour l’espace aérien. Il y va de notre sécurité à tous et, en premier lieu, de la sécurité des opérations aériennes. Cela ne peut se faire dans les circonstances actuelles. Il faut donc d’abord renforcer la défense aérienne, et la défense aérienne et les missiles servent à protéger l’infrastructure civile.
Toutefois, comme je l’ai mentionné, notre capacité à atteindre des cibles à l’intérieur de la Russie, c’est-à-dire les cibles militaires d’où la Russie lance ses attaques de missiles, est aussi importante que la protection de nos villes par la défense aérienne. De nos jours, il n’y a donc pas de circulation aérienne, tout d’abord, en raison des conditions non sécuritaires — une situation qui a été causée par la Russie, bien entendu — et c’est la raison pour laquelle il n’y a malheureusement que deux routes pour transporter les marchandises et pour se rendre en Ukraine.
La sénatrice Patterson : Nous essayons également d’obtenir suffisamment d’avions de chasse et de former des pilotes pour aider à défendre cet espace aérien. Même si nous sommes conscients que ces avions ne sont pas les plus efficaces pour combattre les drones, nous savons qu’il y a des menaces plus importantes, comme les missiles et même les avions ennemis, auxquelles il faut faire face. Où en est l’Ukraine dans la réception d’avions de combat et la formation de pilotes?
Mme Kovaliv : Je vous remercie. C’était une grande décision collective de faire en sorte que l’Ukraine puisse enfin recevoir les avions de chasse. C’est un moment qui a rendu les Ukrainiens très heureux. La photo du premier F-16 avec le drapeau ukrainien a rendu espoir aux gens.
Et, bien entendu, c’est une initiative importante, car nous avons besoin non seulement d’avions, mais aussi de pilotes bien formés, d’ingénieurs et de toute la chaîne d’approvisionnement nécessaire à l’entretien de ces avions de combat. Nous sommes reconnaissants au Canada de participer à la coalition des avions de combat et de contribuer à la formation des soldats ukrainiens.
Nous savons que pendant la Deuxième Guerre mondiale, le Canada a été nommé « l’aérodrome de la démocratie », car il a formé de nombreux pilotes pour la coalition et aujourd’hui, nous sommes donc très reconnaissants que de nombreux pilotes ukrainiens soient formés ici, au Canada.
La sénatrice Patterson : Je vous remercie.
La sénatrice Coyle : Je suis heureuse de vous revoir. Nous sommes honorés que vous preniez le temps d’être avec nous aujourd’hui, car nous savons que vous êtes très occupée, et nous tenons certainement à entendre votre témoignage.
Puisque l’Ukraine a commencé sa mobilisation limitée sur le territoire russe en visant des cibles militaires stratégiques, comme vous l’avez laissé entendre, j’aimerais vous poser deux questions à ce sujet, car vous y avez fait allusion.
Quels effets cela a-t-il eus sur le moral en Ukraine et sur la volonté du peuple ukrainien de ne pas abandonner en cette période très difficile? Quels efforts doit-on poursuivre pour gagner cette guerre?
Deuxièmement, comment la structure militaire et la structure de gouvernance de l’Ukraine s’assurent-elles de procéder de la manière la plus transparente et respectueuse de la loi, afin d’être irréprochables?
Mme Kovaliv : Je vous remercie. Vous parlez de l’opération Koursk, n’est-ce pas? Cette opération a résolu quelques problèmes pour nous, tout d’abord en prévenant l’occupation des régions de Soumy et de Tchernihiv. Vous avez pu voir, il y a quelques mois, que les Russes ont tenté d’attaquer la collectivité de Vovchansk, dans les environs de Kharkiv. Nous avons été témoins, dans ces régions, d’une très forte utilisation de bombes aériennes russes guidées. Il s’agit de bombes lourdes qui détruisent tout, des infrastructures civiles aux bâtiments résidentiels.
Afin de sauver la vie de nos citoyens, notamment des enfants, et de protéger notre territoire ukrainien des attaques russes, les forces armées ont mené une opération défensive dans la région de Koursk, afin de priver l’ennemi de sa capacité à manœuvrer et à utiliser le territoire à proximité des grandes villes et des collectivités d’Ukraine et de les prendre pour cibles.
Cela a également des conséquences sur la situation sur la ligne de front. En effet, la Russie a réduit l’utilisation de l’artillerie, en particulier dans les environs de Pokrovsk. Avant cette opération, la Russie dominait dans un rapport de 1 à 12 en matière d’artillerie, tandis qu’aujourd’hui, elle ne domine plus que dans un rapport de 1 à 2,5. D’un point de vue militaire, nous avons atteint nos objectifs.
Un bureau de commandement militaire a été établi dans la région de Koursk pour maintenir la loi et l’ordre, répondre aux besoins prioritaires de la population et protéger la fonction essentielle de cette région.
Nos forces de défense respectent la loi, comme en témoigne le fait que nous venons de ratifier le Statut de Rome. Cela en dit long sur notre engagement. Je me réjouis également que le programme de formation de l’opération Unifier, dans le cadre duquel des soldats canadiens forment des soldats ukrainiens, parle notamment du droit de la guerre et des lois internationales, y compris la Convention de Genève et d’autres lois internationales qui sont appliquées, dans la formation donnée. Nous prenons donc tout cela au sérieux.
Nous avons également invité plusieurs organismes humanitaires internationaux sur les lieux pour vérifier cela et pour nous aider à fournir du soutien. Nous prenons cela très au sérieux, car nous savons que c’est très important.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bienvenue encore une fois au comité, Votre Excellence. C’est toujours un plaisir de vous accueillir.
À la mi-juin de cette année, l’Ukraine a organisé en Suisse un sommet pour la paix avec une centaine de pays, sommet auquel la Russie n’avait pas été conviée. La Chine avait, par la suite, refusé d’être présente. En préparation à un second sommet sur la paix, qui doit avoir lieu cette année, le président Zelensky a souhaité que la Russie y participe.
Pouvez-vous nous expliquer ce qui a changé entre les deux sommets?
[Traduction]
Mme Kovaliv : Je vous remercie.
En effet, les 15 et 16 juin, en Suisse, s’est tenu le premier sommet pour la paix, auquel 101 délégations de pays de tous les coins du monde ont participé. Nous sommes reconnaissants au gouvernement du Canada et au premier ministre d’y avoir participé et d’avoir fait preuve de leadership au sein du groupe humanitaire, qui aborde les défis auxquels nous faisons face sur le plan humain.
Après le premier sommet pour la paix, nous nous sommes divisés en groupes de travail pour assurer un suivi sur les discussions et le sommet. Chacun des groupes de travail se penche sur les 10 points de la « formule pour la paix » du président Zelensky et travaille sur l’effort commun et les mécanismes qui seront appliqués pour présenter cette formule et la mettre en œuvre. L’un de ces groupes de travail se réunira à la fin du mois d’octobre ici, au Canada. Nous travaillons donc à l’élaboration de la feuille de route et des instruments de mise en œuvre de cette formule, et ils seront ensuite présentés à toutes les parties, y compris la Russie.
Vous devez comprendre que l’Ukraine veut la paix plus que quiconque, mais l’Ukraine veut que cette paix soit juste et durable. Depuis 2014, lorsque la Russie a illégalement occupé la Crimée et certaines parties des régions de Donetsk et de Louhansk, nous avons eu plus de 200 types de négociations différents. Nous avons tenté des cessez-le-feu. Il y a eu la rencontre selon le format Normandie avec les dirigeants de la France et de l’Allemagne, avec M. Poutine et avec l’Ukraine. Nous avons tiré des leçons de l’histoire. La Russie ne voulait pas d’une paix véritable. Dans la formule pour la paix, on retrouve la notion de cette paix durable et juste, qui comprend le rétablissement de nos frontières souveraines, la réparation de tous les dommages causés par la Russie, un mécanisme pour empêcher de nouvelles agressions et un élément très important lié aux vies humaines, c’est-à-dire les prisonniers de guerre et les enfants illégalement déportés, qui doivent être ramenés à la maison.
Tout cela est en cours d’élaboration. Les groupes de travail se réunissent à l’échelle internationale, et non seulement en Ukraine. Nous sommes très ouverts à de nombreux pays de différents continents, qu’il s’agisse de l’Europe, de l’Amérique du Nord, de l’Amérique du Sud ou de l’Afrique, pour d’autres parties de ces groupes de travail. Je pense que nous sommes tous d’accord pour affirmer que la nourriture et l’énergie ne peuvent pas servir d’armes. La Russie ne peut pas continuer à occuper la plus grande centrale nucléaire sur le territoire européen en posant un risque énorme pour des millions de personnes. Je vous remercie.
Le président : Je vous remercie, madame l’ambassadrice.
Le sénateur Ravalia : Je vous remercie, Votre Excellence, d’être avec nous aujourd’hui. Nous vous sommes certainement reconnaissants de vos réflexions, et nous sommes toujours heureux de vous revoir.
Avec la multiplication des attaques contre les infrastructures énergétiques essentielles en Ukraine, l’hiver à venir sera sans aucun doute particulièrement difficile pour les Ukrainiens. Nous avons déjà discuté ici des soutiens nécessaires à la production d’électricité. J’aimerais que vous nous donniez plus de détails sur vos besoins actuels et sur la façon dont le Canada et la communauté internationale peuvent vous aider à cet égard, afin de pouvoir assurer une certaine production d’électricité au cours de l’hiver qui s’annonce.
Mme Kovaliv : Je vous remercie. En effet, l’une des tactiques de la Russie, dans une perspective plus large, consiste à utiliser l’énergie comme une arme. Tout a commencé par le blocage de l’approvisionnement en gaz de l’Europe en 2022. Aujourd’hui, la stratégie de la Russie consiste à priver les gens d’énergie, d’électricité, d’eau et de chauffage de manière à miner le moral des troupes. Elle l’a fait en 2022 et 2023. Nous sommes maintenant en 2024, et l’envergure est nettement plus vaste.
La Russie a fait exploser un barrage l’année dernière. Elle s’attaque à la production d’électricité et aux réseaux électriques. Aujourd’hui, nous avons perdu neuf gigawatts d’électricité dans le système. Il y a des jours où les Ukrainiens passent 10 à 14 heures sans électricité. Selon les récentes estimations des Nations unies, les gens seront privés d’électricité de 4 à 10 heures par jour pendant l’hiver. C’est dans des villes densément peuplées, où les gens vivent dans des immeubles. Cela signifie qu’ils ne peuvent pas faire cuire leurs aliments et n’ont ni chauffage ni eau chaude.
Il y a aussi un autre problème : l’accès aux connexions mobiles est très limité, ce qui constitue l’un des principaux dangers. Ce que les gens veulent aussi, c’est avoir accès à l’information, pouvoir utiliser les systèmes d’information sur les attaques, entendre les sirènes — qui, en Ukraine, sont maintenant diffusées sous forme numérique également —, et aussi simplement pouvoir joindre leurs proches pour leur demander s’ils se portent bien après une nouvelle attaque. Bien sûr, l’objectif principal est de réparer une partie de cette infrastructure, mais aussi de la protéger.
Le problème est que sans une défense aérienne suffisante, dès que nous continuons à réparer la production d’électricité et les réseaux électriques, les Russes peuvent attaquer à nouveau. C’est pourquoi il s’agit d’un plan complexe, et il faut un soutien. Je suis ici pour remercier les entreprises canadiennes qui nous ont fourni l’équipement, ainsi que le gouvernement, pour avoir annoncé des fonds qui serviront à reconstruire l’infrastructure énergétique. Le temps presse, car dans quelques semaines, il fera plus froid. Ici comme en Ukraine, les hivers sont froids, et ce sera donc un autre grand défi pour nous.
Le sénateur Ravalia : Je vous remercie.
La sénatrice M. Deacon : C’est le troisième hiver. C’est difficile. Je remercie les deux témoins de comparaître — je vous en suis vraiment reconnaissante. Vous témoignez en personne, et c’est très important.
J’aimerais poser une question expressément sur les mines et les autres munitions non explosées en Ukraine, en particulier celles situées sur les terres agricoles fertiles dont l’Ukraine a besoin, et qui nourrissent le reste du monde. Où en est le déminage de ces zones pour les rendre à nouveau exploitables? Je ne peux qu’imaginer le défi que cela représente dans une zone de combat où de nouvelles mines et de nouvelles bombes arrivent chaque jour.
Mme Kovaliv : Je vous remercie. En effet, l’Ukraine est aujourd’hui l’un des pays où il y a le plus de mines au monde. Près de 144 000 kilomètres carrés, soit environ 25 % de la superficie totale du pays, restent potentiellement contaminés par des mines russes ou d’autres engins explosifs.
C’est le fruit d’efforts conjoints. Le Canada a joué un rôle important à cet égard en nous faisant don de l’équipement, de grandes machines de déminage qui nous permettent de nous attarder aux champs agricoles en premier lieu. Nous avons ainsi pu réduire d’environ 30 000 mètres carrés le territoire qui était à risque depuis deux ans.
C’est le début de l’invasion à grande échelle : 529 000 engins explosifs ont été disséminés, dont 3 800 bombes aériennes. Six millions de personnes en Ukraine sont aujourd’hui exposées au danger des mines, qu’il s’agisse d’agriculteurs ou d’enfants qui ne peuvent pas se rendre au terrain de jeu ou au parc parce qu’il pourrait être jonché de mines. Et ce n’est pas seulement à l’Est, près de la ligne de front. Il en va de même près de Kiev, notre capitale, qui a été occupée par les Russes au cours des premières semaines de la guerre. Il existe toujours un risque qu’une grande partie du territoire soit potentiellement dangereux pour la population.
Nous avons un plan très ambitieux, car si nous procédions au déminage à la vitesse normale, le processus nous prendrait plus d’un siècle. Nous n’avons pas 100 ans. Nous voulons que les gens reviennent chez eux et qu’ils soient en sécurité. Nous sommes donc reconnaissants aux partenaires pour leur soutien. Nous avons toujours besoin d’aide, tout d’abord en matière d’équipement et de formation.
L’autre volet est l’innovation. L’Ukraine est un grand centre d’innovation pour de nombreux systèmes sans pilote, y compris les systèmes de déminage. Avec le financement de notre gouvernement — mais aussi avec les meilleures entreprises mondiales et nos universités, ainsi qu’avec le soutien de nos alliés —, nous essayons également de trouver et de soutenir des solutions novatrices, comme l’utilisation de robots, l’analyse numérique et l’examen du territoire afin de pouvoir accroître l’efficacité et la rapidité du déminage.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie.
La sénatrice Boniface : Nous sommes heureux de vous revoir. Nous vous remercions infiniment de vous libérer, compte tenu du nombre d’heures qu’il y a dans une journée. J’imagine que vous ne dormez pas beaucoup.
Je voulais également prendre un moment pour féliciter vos parlementaires. J’étais à la Commission européenne en juin, et ils travaillent sans relâche pour essayer de tenir des réunions et d’obtenir du soutien. Ils rencontrent différents pays. C’était un plaisir de les rencontrer, mais voir l’accueil qui leur a été réservé à cette occasion m’a également fait chaud au cœur.
Je voudrais revenir sur la désinformation, car il s’agit d’un problème mondial. Elle a une incidence sur les élections à bien des endroits. Voudriez-vous profiter de l’occasion pour nous donner plus de détails sur vos préoccupations et sur ce que les autres pays peuvent faire pour aider l’Ukraine à l’égard de la désinformation russe?
Mme Kovaliv : En ce qui concerne les campagnes de désinformation menées par la Russie, en Ukraine, nous ressentons et observons ces opérations depuis de nombreuses années. Pour nous, elles n’ont pas commencé en 2022; il y a eu des tentatives de diviser la population du pays sur différents points de vue culturels, qui n’ont pas porté leurs fruits.
S’il existait un outil précis pour gagner sur ce terrain, je pense que nous vivrions dans un monde bien meilleur. Mais avec cette désinformation, nous voyons même des preuves que la Russie déploie des efforts spéciaux pour tenter de cibler des soldats donnés dans des brigades particulières sur les lignes de front. Par exemple, on leur envoie des messages visant à leur plomber le moral ou les inciter à se rendre. Pour miner le moral des gens, les Russes pourraient donc blâmer leurs commandants, le gouvernement, et ainsi de suite.
Ce phénomène est en constante évolution. Nous le voyons de plus en plus dans la sphère publique; les journalistes d’enquête découvrent les opérations spéciales. Elles sont généralement menées avec le soutien d’agents et de services secrets russes. Ces opérations sont bien financées.
Malheureusement, puisque l’information n’a pas de frontières physiques, elle se propage à la vitesse de l’éclair. Les Russes tentent d’affaiblir cette unité, et nous devons conjuguer tous les efforts de sensibilisation et d’éducation, mais aussi nous opposer à cette propagande. Nous devons remonter aux sources de financement, car il y a toujours des fonds qui soutiennent ces activités. Ce sont des efforts collectifs.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup.
Au cours de la dernière heure, nous avons reçu l’ambassadeur du Canada. J’ai posé une question sur l’équipement, sur l’engagement du Canada et sur ce qu’il a fait. L’hiver arrive. Pouvez-vous me dire où vous en êtes et me faire part de votre optimisme ou de votre pessimisme quant à leur capacité à tenir leurs promesses?
Mme Kovaliv : Nous sommes reconnaissants de tout le soutien. Comme je l’ai mentionné, il y a de nombreux cas où il a permis d’opérer un réel changement, et le déminage en est un bon exemple. Lorsque nous avons commencé, l’Ukraine disposait en tout et pour tout de 12 machines de déminage. Le Canada a fait don de 12 autres, ce qui a tout simplement doublé notre capacité.
En ce qui concerne la préparation à l’hiver, nous vous serions vraiment reconnaissants de devancer le versement des fonds qui ont été annoncés. Il y a des actions urgentes qu’il fallait poser hier, voire il y a des mois, pour se préparer à l’hiver.
La sénatrice Boniface : Je vous remercie.
Le sénateur Al Zaibak : Merci d’être à nouveau parmi nous, madame l’ambassadrice.
J’aimerais passer à l’aspect humanitaire de la guerre. Bien sûr, en raison de la guerre contre l’Ukraine, des millions d’Ukrainiens ont été déplacés tant à l’intérieur du pays qu’en tant que réfugiés dans le monde entier, y compris au Canada. Pourriez-vous nous donner une idée du nombre de réfugiés ukrainiens qui sont arrivés au Canada et ont été accueillis par les Canadiens depuis le début de la guerre? Pourriez-vous également décrire les conditions humanitaires actuelles et les défis que rencontrent ces réfugiés au Canada et ailleurs?
Mme Kovaliv : Je vous remercie. En effet, l’aspect humain de la guerre est fort tragique. Il y a 7,5 millions de personnes déplacées à l’intérieur de l’Ukraine, et plus 4,5 millions d’Ukrainiens vivent à l’étranger. La plupart des personnes qui ont trouvé un refuge temporaire dans différents pays vivent en Europe. Je ne peux pas vous dire le nombre exact d’Ukrainiens qui sont venus au Canada dans le cadre de l’Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine, ou AVUCU, un programme de protection temporaire, car c’est votre ministère de l’Immigration qui a ces données. Nous n’avons pas de rapport à ce sujet. Mais beaucoup d’entre eux sont des femmes avec des enfants dont les maris et les pères sont restés en Ukraine. Bien sûr, sur le plan familial, la plupart d’entre elles ont des proches en Ukraine.
Dans l’ensemble, 70 % des Ukrainiens ressentent la douleur de la guerre dans leur famille proche, ce qui signifie que pour 70 % d’entre eux, il y a dans leur famille ou parmi leurs amis proches quelqu’un qui a perdu la vie ou été gravement blessé.
Il existe également deux autres grands problèmes humanitaires. Le premier concerne nos prisonniers de guerre. Malheureusement, aucune organisation internationale, y compris celles qui ont pour mandat de surveiller leur emplacement et leur traitement, n’a accès à eux. Les images et les vidéos que nous avons vus au moment de procéder à des échanges sont horribles — et les personnes qui reviennent sont à peine vivantes. C’est le plus déchirant et le plus horrible. Nous ne pouvons pas imaginer ce qu’ils ont vécu. Nous recevons des témoins — ces crimes sont dûment documentés, car il s’agit d’une violation pure et simple de la Convention de Genève par la Russie — et la justice sera rendue. C’est pourquoi, lorsque nous parlons d’une paix juste, cela fait partie de la justice.
Le deuxième problème, ce sont les enfants et la déportation illégale d’enfants ukrainiens par la Russie. Nous avons 19 000 enfants qui ont été déportés de force en Russie. Il s’agit là d’un autre grand défi humanitaire pour nous.
En outre, nous avons mis l’accent aujourd’hui sur un autre enjeu, qui est aussi une question humanitaire pour nous — il s’agit de la santé mentale et du bien-être mental de l’ensemble de la nation. Lorsque vous vivez en temps de guerre, que vous subissez des attaques constantes, que des membres de votre famille ont été tués ou gravement blessés, tout cela crée une pression et un traumatisme considérables.
L’une de nos principales priorités concerne également nos anciens combattants. L’ensemble de nos héros, de nos forces armées et de notre défense protègent notre pays. À la fin de la guerre, ils reviendront, et nous devrons leur fournir une réadaptation en santé mentale afin que leurs familles et eux, soit des millions de personnes, puissent continuer à réintégrer leur vie.
Le sénateur Kutcher : Je tiens à remercier l’ambassadrice d’être parmi nous aujourd’hui. Nous vous en sommes très reconnaissants.
J’aimerais m’attarder à la désinformation, et plus particulièrement au film Russians at War. La sénatrice Dasko et moi-même sommes déterminés à aborder cette œuvre de propagande présentée comme de l’art. En effet, les mensonges subventionnés ne sont pas synonymes de liberté d’expression. La chaîne RT, comme nous le savons, ne peut pas être diffusée au Canada. C’est pourquoi la Russie cherche d’autres canaux pour diffuser au Canada des récits prorusses contre le gouvernement ukrainien. Ce film est un exemple incroyable de la manière dont la Russie procède. Parler des Russes en guerre sans mentionner le viol, le meurtre de civils, ou encore l’affamement, la castration et l’exécution de soldats qui se sont rendus relève de l’exploit. Or, il semble que ce soit réussi. Le Canada a même apparemment contribué à son financement avec l’argent des contribuables.
L’Ukraine sait reconnaître la propagande russe. Pourriez-vous nous donner quelques conseils? Premièrement, que peuvent faire les Canadiens? Comment pouvons-nous les aider à distinguer les discussions nécessaires et importantes, qui sont essentielles à la vie démocratique et civile, et la promotion de la propagande russe, qu’elle soit délibérée ou non?
Deuxièmement, comment le gouvernement du Canada peut-il aider à contrer ce type de propagande insidieuse?
Mme Kovaliv : Je vous remercie. En effet, nous avons été très déçus que le Festival international du film de Toronto décide de présenter ce film, qui est selon nous une tentative audacieuse de blanchir les crimes de guerre russes et de présenter de braves soldats russes. Vous devez comprendre ceci. Lorsque vous avez vu les images du plus grand hôpital pour enfants de l’Ukraine qui a été frappé par un missile, c’était supposément un brave soldat russe qui a appuyé sur le bouton de lancement.
Les atrocités commises à Boutcha, à Irpin et à Izioum se sont soldées par des charniers. C’était l’œuvre de soldats russes. Ce n’est pas la Russie, mais bien des soldats russes qui ont commis ces actes.
Nous avons dit tout à l’heure que les violences sexuelles constituaient une part importante de la machine de guerre russe. Ce n’est pas la Russie, mais bien les soldats russes qui décident de violer des hommes et des femmes. Nous sommes très reconnaissants au Canada de nous prêter main-forte pour aider les victimes de ces crimes horribles.
Nous avons également été consternés par le film, car il ne montre aucun de ces crimes de guerre. Il ne peut donc s’agir d’un documentaire. Soyons francs : qu’est-ce que le journalisme indépendant? Ce film n’a rien à voir avec un tel journalisme.
Vous avez vu en Russie que même une petite tentative de manifestation en faveur de l’Ukraine entraîne des peines d’emprisonnement de plusieurs années pour les participants. Et voilà que cet ancien employé de RT aurait passé sept mois sur les lignes de front avec les soldats russes sans obtenir d’approbation? Lorsque j’ai tenté d’expliquer le problème au Festival international du film de Toronto, nous avons essayé d’invoquer des arguments. Tout d’abord, on a essayé de cacher sur le site Web que le réalisateur travaillait pour Russia Today. Pourquoi? Peut-être parce qu’on pensait que ce n’est pas une bonne chose? Non, cela n’a rien de bon.
Nous soutenons la liberté d’expression; c’est important. Voilà pourquoi nous avons dès le premier jour ouvert les portes à tous les journalistes, pour qu’ils viennent en Ukraine et qu’ils aient des entretiens avec nos dirigeants et les gens ordinaires dans les rues. Ils faisaient état de la situation. La plupart des images que vous voyez ont été réalisées par des journalistes internationaux qui sont venus et ont tout vu. Nous sommes reconnaissants de leur travail, mais nous ne pouvons pas prétendre que ce documentaire est du journalisme indépendant. Un journaliste indépendant ne portera jamais l’uniforme d’un soldat, car il doit être neutre. C’est ce qu’a fait ce soi-disant réalisateur; il s’agit donc d’une manipulation évidente. Vous devez comprendre que la Russie est très avancée dans ce domaine.
Je ne suis probablement pas en mesure de donner des conseils, mais de notre côté, je pense que c’est la leçon à tirer. Malheureusement, la désinformation se répand. Le film créé ici se propage maintenant dans le monde entier. Nous devons comprendre que les conséquences sont bien plus importantes que le Festival international du film de Toronto, malheureusement.
Le président : Merci, madame l’ambassadrice. Chers collègues, nous allons passer au deuxième tour dans un instant, mais j’aimerais également poser à l’ambassadrice une question qui porte davantage sur l’aspect régional et multilatéral.
Avec quelques collègues du Sénat et de la Chambre des communes, j’ai assisté à l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, ou OSCE, à Bucarest au début de l’été. J’avais déjà participé à une assemblée précédente que nous avions tenue à Vancouver. L’OSCE est, bien entendu, une organisation très durable, ou l’a été grâce au soutien au développement démocratique, à la tentative de réduction des tensions et à l’observation des élections. Son Assemblée parlementaire réunit des parlementaires de tous les pays membres et, bien sûr, l’Ukraine et la guerre sont au cœur de ses préoccupations : de l’environnement à la violence fondée sur le sexe, en passant par les sujets que vous avez décrits, madame l’ambassadrice.
Mais en même temps, l’organisation elle-même est minée de l’intérieur par la Russie et la Biélorussie. La Russie ne participe plus à ces assemblées, alors que l’organisation elle-même existe depuis longtemps et a accompli un travail utile.
Je n’ai pas de question spécifique à ce sujet, mais avez-vous des commentaires à faire sur l’aspect multilatéral, en particulier l’aspect régional, dans la situation actuelle?
Mme Kovaliv : Merci pour cette question. En effet, bon nombre des institutions créées pour maintenir la paix et établir des règles — ce qu’on appelle l’ordre international fondé sur des règles — ont été mises sur pied après la Seconde Guerre mondiale pour prévenir les conflits et favoriser la paix, la sécurité et la stabilité.
L’invasion russe de l’Ukraine viole ce volet du droit international. Les pays, qu’ils soient de petite ou grande taille, qu’ils soient de grandes puissances économiques ou des économies émergentes, qu’ils disposent ou non d’une armée puissante, étaient protégés par ces règles qui les aidaient à assurer le bien-être de leurs populations, à leur fournir des services, à protéger l’environnement et à répondre à de nombreuses priorités pour leurs citoyens.
Lorsque la Russie est devenue membre du Conseil de sécurité, comme c’est une puissance nucléaire, elle a tenté très brutalement de récrire les règles. De nombreuses décisions du Conseil de sécurité sont donc bloquées par la Russie qui dispose toujours d’un siège et d’un droit de veto. À cet égard, nous devons également réfléchir aux leçons à tirer et aux actions à entreprendre, mais cela va probablement bien au-delà de nos relations bilatérales.
Le président : Merci, madame l’ambassadrice. Nous allons passer à la deuxième série de questions. Deux sénateurs sont sur la liste d’intervenants, mais si quelqu’un d’autre veut poser une question, veuillez nous le faire savoir.
La sénatrice Patterson : Merci beaucoup. J’ai posé une question lors de la première série de questions. Elle concerne les guerriers blessés. Le Canada sait, en raison de son expérience en Afghanistan, que lorsque les soldats sont blessés, ils perdent souvent leur sentiment d’utilité. Les soldats ukrainiens sont dans le feu de l’action. Je connais une initiative qui permet à des guerriers blessés de s’entraîner dans le pays. Nous avons déjà eu une discussion à ce sujet. Nous devons poursuivre l’opération Unifier, mais nous devons également réfléchir à la manière de maintenir les soldats plus près de la ligne de front.
Nous avons appris, grâce au financement d’ONG, que des guerriers ukrainiens blessés sont formés pour devenir des formateurs sur les lignes de front. Je me demande ce que le Canada peut faire pour soutenir cette initiative, car elle fera partie de votre transition vers la période de paix et la victoire.
Mme Kovaliv : Je vous remercie. Comme je l’ai mentionné, bon nombre de ceux qui ont été gravement blessés sont des soldats qui, physiquement, ne peuvent pas retourner au front, bien qu’ils le souhaitent; la majorité d’entre eux veulent contribuer à l’objectif.
L’une de nos principales priorités, au gouvernement, est de soutenir les anciens combattants, de favoriser leur réintégration et de leur donner un but. Notre accord bilatéral de sécurité comporte même une ligne sur la coopération pour nous aider à réintégrer les anciens combattants.
Il y a différents volets. Premièrement, nous coopérons déjà avec le secteur privé pour fournir les outils nécessaires à l’emploi, à la réorientation professionnelle et à l’éducation. C’est le premier élément important.
Le deuxième concerne les centres de réadaptation pour les soldats. Ce qui m’a le plus fendu le cœur... J’étais en Ukraine à la fin du mois d’août et j’ai visité un hôpital où j’ai vu de jeunes garçons et filles amputés. C’est malheureusement la réalité de notre pays en ce moment. Nous avons donc besoin de services de réadaptation, tant physique que psychologique.
Il nous faudra un environnement sans barrières. Cela devient pour nous une question urgente pour développer et reconstruire nos villes, nos villages et nos infrastructures. Aujourd’hui, une grande partie de notre population est handicapée en raison des graves blessures causées par la guerre. C’est donc une autre expérience que nous apprenons maintenant de la part de nos partenaires : la façon de rendre les infrastructures plus accessibles aux personnes handicapées.
En particulier, il y a une initiative pour laquelle nous aimerions solliciter le soutien du Canada : nous lui serions reconnaissants de nous aider à mettre en place un réseau de réadaptation psychologique pour nos anciens combattants. En effet, les besoins seront importants dans tout le pays, car les soldats reviendront dans leurs foyers, dans leurs communautés, et nous vous saurions vraiment gré de travailler avec nous, de partager votre expérience et de nous aider à former le personnel.
En ce moment même, vous nous aidez à former des soldats dans le cadre de l’opération Unifier. Cela nous aidera grandement à former les personnes qui soutiendront les soldats à leur retour chez eux.
Le président : Merci, madame l’ambassadrice.
Le sénateur Ravalia : Votre Excellence, pour faire suite aux questions de la sénatrice Patterson, la conscription de recrues devient-elle de plus en plus difficile étant donné les problèmes de moral, la lassitude de la guerre et la menace constante d’une attaque? Y a-t-il des défis en ce sens?
Mme Kovaliv : Non. En mai, notre parlement a modifié la loi relative à la mobilisation. L’enrôlement se faisait déjà, et il se fait maintenant numériquement. Nous avons, entre autres, imposé à tous les hommes de 18 à 60 ans de s’enregistrer afin d’obtenir davantage d’informations sur eux.
Par rapport à la mobilisation, il faut d’abord savoir que les tactiques ukrainiennes n’ont jamais été les mêmes que celles des Russes, qui envoient autant de soldats que possible, non entraînés, au champ de bataille. Pour nous, il y a des critères clairs pour les soldats mobilisés. Ils doivent recevoir une formation adéquate — et nous sommes reconnaissants au Canada et aux partenaires de fournir cette formation — et ils doivent être bien équipés. Un problème se pose à cet égard, car nous ne pouvons pas envoyer les soldats au combat s’ils sont dépourvus de véhicules blindés, d’artillerie, de drones et d’autres types d’armes.
Sans cet équipement, la conscription n’est pas tellement nécessaire, car les soldats non armés sont vulnérables. Pour nous, rien n’est plus important et précieux que la vie humaine. Voilà pourquoi un soutien militaire accru renforce la sécurité de nos soldats.
Le sénateur Ravalia : Merci.
Le président : Merci.
Le sénateur Kutcher : L’une de mes citations préférées de Winston Churchill est : « Si tu traverses l’enfer, ne t’arrête pas. » Il faut garder espoir. Y a-t-il quelque chose que les Canadiens pourraient faire davantage, à l’approche de l’hiver, pour nourrir l’espoir en Ukraine?
Mme Kovaliv : Merci pour ce soutien et cet espoir. Malgré tous les défis, le moral des Ukrainiens se porte très bien. Malgré les nuits blanches et les attaques de missiles et de drones, les gens se lèvent le matin, vont prendre un café, vont au bureau. L’économie se redresse. Alors que notre économie a chuté de 30 % en 2022, c’est la deuxième année consécutive où le PIB augmente lentement.
Grâce au solide soutien financier et aux prêts que le gouvernement canadien a accordés à notre gouvernement, nous continuons à financer les hôpitaux et les écoles, à permettre aux enseignants d’aller travailler et à aider les personnes les plus vulnérables. C’est vraiment important.
Pour l’année prochaine, le G7 a déjà annoncé une décision importante dans sa déclaration : 50 milliards de dollars sur les intérêts des avoirs russes gelés nous aideront financièrement et militairement. La mise en œuvre de cette décision sera très importante, car ce financement permettra à notre gouvernement de continuer à fournir un soutien social à notre peuple. L’initiative suscite beaucoup d’espoir, et nous pouvons la réaliser ensemble. Je vous remercie.
Le président : Merci, madame l’ambassadrice. Le moment est venu de vous remercier chaleureusement. Au nom du comité, je vous remercie d’avoir été parmi nous aujourd’hui. Comme toujours, nous vous remercions de votre perspective et, en particulier, de votre franchise. Votre pays traverse manifestement une situation tragique et difficile. Je pense parler au nom de tous ceux ici présents quand je dis que nous demeurons très solidaires de l’Ukraine. Merci, madame l’ambassadrice.
(La séance est levée.)