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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 3 octobre 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner, pour en faire rapport, les intérêts et l’engagement du Canada en Afrique.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

[Français]

Avant de commencer, j’inviterais maintenant les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Gerba : Bon retour, monsieur le président. Amina Gerba, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Je vous souhaite la bienvenue. Je suis Mohamed-Iqbal Ravalia, sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.

Le sénateur Harder : Je suis Peter Harder, de l’Ontario.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, je viens d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique.

Le président : Merci beaucoup, chers collègues. Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui, partout au pays, nous regardent aujourd’hui sur la chaîne ParlVU du Sénat.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur les intérêts et l’engagement du Canada en Afrique. Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir les représentantes d’Affaires mondiales Canada. Mme Jacqueline O’Neill est ambassadrice du Canada pour les femmes, la paix et la sécurité. Madame l’ambassadrice, soyez de nouveau la bienvenue à ce comité. Merci d’avoir pris le temps d’être avec nous aujourd’hui, alors que nous poursuivons notre étude.

Pour soutenir l’ambassadrice, nous accueillons Mme Caroline Delany, directrice générale de la Direction générale de l’Afrique centrale, du Sud et de l’Est, qui nous rejoint aujourd’hui pour la troisième fois dans le cadre de cette étude, sauf erreur. Nous recevons aussi Mme Susan Steffen, directrice générale de la Direction générale de l’Afrique de l’Ouest et du Maghreb, qui nous rend visite pour la quatrième fois, ce qui fait de vous la détentrice du record. Nous avons enfin Mme Pamela Moore, directrice exécutive du Programme de paix et de stabilisation, Partenariats et programmation de l’aide internationale, qui, je pense, témoigne pour la première fois à ce comité pour cette étude. Bienvenue à toutes.

[Français]

Avant d’entendre vos déclarations et de passer aux questions et aux réponses, j’aimerais demander à toutes les personnes présentes de bien vouloir mettre en sourdine les notifications sur leurs appareils.

Nous sommes maintenant prêts pour vos remarques préliminaires, qui seront suivies d’une période de questions de la part des sénateurs. Madame l’ambassadrice, vous avez la parole.

[Traduction]

Jacqueline O’Neill, ambassadrice du Canada pour les femmes, la paix et la sécurité, Affaires mondiales Canada : Bonjour à tous. Je remercie le président et les membres du comité pour l’attention soutenue qu’ils portent à l’Afrique. Comme vous pouvez le constater, et comme le président a eu l’amabilité de présenter nos collègues, nous sommes quatre représentantes d’Affaires mondiales aujourd’hui, et nous sommes ici dans l’espoir de pouvoir répondre à autant de questions que possible. Mais ne vous inquiétez pas, nous n’avons qu’une seule déclaration d’ouverture, je vous le promets.

[Français]

Mon dernier témoignage devant ce comité date du 2 novembre 2023, soit il y a presque un an. Depuis lors, je me suis notamment rendue en Éthiopie — y compris au Tigré—, au Kenya et au Mozambique — y compris dans la province de Cabo Delgado, une région touchée par le conflit. J’ai également eu l’immense privilège de travailler directement avec des femmes soudanaises qui cherchent à mettre fin aux horribles souffrances liées à la guerre dans ce pays.

Je suis prête à partager avec vous mes réflexions issues de ces déplacements officiels et d’autres expériences que j’ai eues au cours de mon mandat.

Par ailleurs, je suis ravie de vous annoncer qu’en mars dernier, le gouvernement du Canada a dévoilé son troisième Plan d’action national sur les femmes, la paix et la sécurité. Ce plan est le premier du genre au Canada à avoir reçu l’approbation du Cabinet.

Il inclut plus de partenaires fédéraux que les deux autres plans nationaux, c’est-à-dire neuf ministères et un organisme au total. Ce qui est tout à fait essentiel, c’est que le plan maintient notre relation unique et précieuse avec la société civile. Le plan d’action contribue à nos efforts à l’échelle nationale et internationale, y compris en ce qui concerne l’Afrique.

[Traduction]

Le programme pour les femmes, la paix et la sécurité, ou FPS, comme on l’appelle souvent, a des racines profondes en Afrique. En fait, il doit une grande partie de son existence au leadership des Africaines elles-mêmes. Ce fait est aujourd’hui intentionnellement occulté par des campagnes de désinformation toujours plus nombreuses, provenant en grande partie de Russie et d’ailleurs, qui prétendent à tort et de manière insultante que les femmes, la paix et la sécurité sont une notion occidentale imposée de l’extérieur.

La résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui est à la base de ce programme, a été mise de l’avant par la Namibie en l’an 2000. La Sud-Africaine Naledi Pandor, qui a occupé le poste de ministre des Affaires étrangères jusqu’en juin de cette année, a joué un rôle déterminant à l’époque au sein de la société civile. La Kényane Wangarĩ Maathai a été la première Africaine à recevoir le prix Nobel de la paix, en 2004, et la première lauréate à souligner le lien entre le climat, la sécurité et les femmes, ce qui est aujourd’hui l’une des optiques principales entourant la question des femmes, de la paix et de la sécurité dans le monde.

L’Union africaine, ou UA, a été la première organisation multilatérale à nommer un envoyé de haut niveau responsable de la question des femmes, de la paix et de la sécurité, ce qui a inspiré au Canada, d’une certaine manière, à créer mon rôle et à être le premier pays à nommer une ambassadrice pour les femmes, la paix et la sécurité. Pendant longtemps, l’Afrique comptait plus de pays dotés de plans d’action nationaux sur les femmes, la paix et la sécurité que tout autre continent. Il y en a aujourd’hui 34. Quatre organisations régionales ont lancé des plans d’action, et tout cela contribue à ce que 109 pays dans le monde aient adopté ces approches.

Le militantisme des femmes et, en particulier, des jeunes femmes partout sur le continent, ainsi que nombre de nos Plans nationaux d’action réactualisés et d’autres stratégies sur les femmes, la paix et la sécurité, montrent à quel point le Canada et l’Afrique sont confrontés à des menaces communes ou similaires pour la paix et la sécurité, et à quel point il est important que les femmes soient pleinement et réellement incluses dans la lutte contre ces menaces. Ces menaces communes comprennent les effets de la crise climatique, les migrations, la gestion des catastrophes, les guerres et les conflits, les crises de sécurité alimentaire, la radicalisation et le terrorisme, ainsi que les cyberattaques et la désinformation ciblée.

[Français]

Les cadres politiques de l’ensemble du continent reflètent notamment la réaffirmation par de nombreux pays africains de leur identité en tant que contributeurs à la paix et à la sécurité mondiales et comme partenaires aux systèmes multilatéraux. Le continent africain compte effectivement le plus grand nombre d’opérations de soutien de la paix des Nations unies, et il comprend également un grand nombre de pays parmi les plus importants contributeurs de troupes et de forces de police aux Nations unies.

Plusieurs pays africains accueillent le siège de centres de formation au maintien de la paix; j’ai notamment visité celui de Nairobi récemment, qui m’a semblé très impressionnant.

[Traduction]

Le Canada a beaucoup à apprendre des pays africains et vice versa. Comme ailleurs, l’écart entre les cadres politiques et leur mise en œuvre reste beaucoup trop important en Afrique, et de nombreux défis ne font que s’aggraver. Or, le programme concernant les femmes, la paix et la sécurité, en particulier, pourrait être transformateur et compte de nombreux champions déterminés et courageux sur tout le continent.

Nous sommes impatientes de répondre à vos questions. Nous vous remercions de votre attention.

Le président : Merci beaucoup, madame l’ambassadrice, pour votre déclaration d’ouverture.

Chers collègues, je vous informe que vous disposerez de quatre minutes pour le premier tour. Cela comprend la question et la réponse.

Je tiens également à souligner que la sénatrice Mary Robinson de l’Île-du-Prince-Édouard et le sénateur Mohammad Al Zaibak de l’Ontario se sont joints à nous. Je vous remercie de votre présence.

Le sénateur Ravalia : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui et du travail qu’ils accomplissent au nom de notre pays.

Alors que les régimes autoritaires, les coups d’État et les gouvernements militaires gagnent en influence au Sahel, comment garantir que le programme pour les femmes, la paix et la sécurité reste au cœur des efforts de paix dans ces régions, en particulier avec la réalité et l’impact de la présence russe, qui est sans aucun doute un facteur déroutant pour tous?

Mme O’Neill : Merci pour votre question. Il y a assurément une augmentation des gouvernements autoritaires dans le monde. Nous y répondons de plusieurs manières semblables. D’abord et avant tout, il faut continuer à travailler avec la société civile et les gens qui réclament des processus démocratiques, le renforcement de la prestation de services, une réponse et une planification inclusive. Il faut aussi veiller à ce que le Canada soutienne les organisations et les dirigeants de la région qui demandent à leurs propres gouvernements de se montrer responsables.

Je ne sais pas si ma collègue souhaite ajouter quelque chose sur le Sahel en particulier.

Susan Steffen, directrice générale, Direction générale de l’Afrique de l’Ouest et du Maghreb, Affaires mondiales Canada : Je vous remercie pour la question, sénateur.

Après trois semaines de travail en Afrique de l’Ouest, je pense que la principale chose que je peux dire pour préserver ce à quoi le Canada tient, y compris le programme sur les femmes, la paix et la sécurité, est que nous restons au Sahel. Notre représentation diplomatique reste sur place, malgré de nombreux défis, et est ouverte aux discussions avec les interlocuteurs. Il s’agit en quelque sorte d’une diplomatie pragmatique et d’une approche constructive, si je puis dire, et nous continuons à dialoguer. Même si nous sommes fondamentalement en désaccord avec beaucoup de choses que les gouvernements et organisations quasi gouvernementales de ces régions font et préconisent, nous demeurons ouverts à la discussion avec eux. Si on ferme la porte, on ne peut pas faire de progrès.

Le sénateur Ravalia : Si vous me permettez de changer un peu de sujet, quelles initiatives le Canada a-t-il lancées cette année pour s’assurer que son aide au développement reste attrayante et compétitive, en particulier dans des pays comme la Zambie et le Zimbabwe, où les investissements chinois se développent très rapidement?

Caroline Delany, directrice générale, Direction générale de l’Afrique centrale, du Sud et de l’Est, Affaires mondiales Canada : Merci, sénateur.

Pour ce qui est de cette année, ce que je peux dire à propos des investissements et de l’engagement sur le continent, c’est qu’ils continuent d’être fondés sur la Politique d’aide internationale féministe.

Nous n’avons pas de programme de développement bilatéral en Zambie et au Zimbabwe, mais, comme beaucoup de pays, ils bénéficient de programmes grâce à des canaux multilatéraux et des ONG canadiennes. En Zambie, nous sommes le septième donateur en importance, si je me souviens bien. Il s’agit donc d’un engagement assez important, même sans programme bilatéral.

Nous entretenons également des relations avec des pays comme la Zambie, par l’intermédiaire des institutions financières internationales, ou IFI. La Zambie est l’un des pays les plus lourdement endettés auprès de la Chine et elle est en négociation avec elle ainsi qu’avec le Club de Paris sur la manière de gérer la situation de sa dette.

En tant que membre des IFI, le Canada a la possibilité de passer par ces institutions pour soutenir les ambitions de la Zambie en matière d’investissement dans les infrastructures et ailleurs.

Il m’est un peu plus difficile de parler du Zimbabwe. Nous n’avons pas de programmes importants là-bas. Nous avons une ambassade dans le pays et discutons avec le gouvernement zimbabwéen de choses comme la gouvernance et les processus de réconciliation, mais il n’y a pas d’investissement significatif dans le développement.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur MacDonald : Bonjour aux témoins.

En octobre 2022, le Canada a tenu le premier dialogue de haut niveau entre le Canada et la Commission de l’Union africaine, au cours duquel le Canada a annoncé un financement de plus de 37 millions de dollars pour des projets visant à soutenir les priorités de l’Union africaine. Cette annonce comprenait des propositions de financement pour des projets relatifs aux femmes, à la paix et à la sécurité, tels que le renforcement de la réconciliation communautaire menée par les femmes dans la région d’Oromia, en Éthiopie, et l’élaboration d’approches de la consolidation de la paix tenant compte des conflits en Éthiopie.

J’ai deux questions. Quels résultats mesurables avons-nous obtenus jusqu’à présent grâce à ces investissements, en particulier dans une région aussi instable? Comment pouvons‑nous évaluer si ces fonds contribuent effectivement à la paix et à la réconciliation à long terme, et quelles mesures sont en place pour garantir la responsabilité dans le suivi du succès de ces initiatives?

Mme Delany : Je peux parler plus particulièrement de l’Éthiopie.

L’Éthiopie est un pays qui connaît des problèmes de paix et de sécurité. L’un des plus gros investissements du Canada en matière d’aide internationale est là-bas.

L’approche que nous adoptons consiste à reconnaître qu’il y a plusieurs façons de contrer l’instabilité dans le pays. Il s’agit notamment de s’attaquer aux facteurs sous-jacents du conflit lui‑même. Par le passé, le Canada a, par exemple, soutenu le processus de dialogue national dans le pays. Nous suivons de près l’orientation du gouvernement en matière de justice de transition pour voir comment la politique évolue à cet égard.

Nous nous engageons aussi plus particulièrement dans le domaine de la paix et de la sécurité. Ainsi, le Canada fournit 14 millions de dollars par l’intermédiaire du Programme des Nations unies pour le développement, ou PNUD, pour les exercices de démobilisation en cours dans la province du Tigré, à la suite de la guerre civile qui s’y est déroulée.

Ce qui est le plus important et le plus intéressant, c’est le nombre important d’anciennes combattantes qui font partie de ce processus — de l’ordre de 11 %. C’est donc une occasion pour le Canada d’influencer le processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration, ou DDR, également du point de vue des FPS.

De plus, nous examinons les programmes de résilience. Le Canada est un grand donateur pour renforcer les filets sociaux en Éthiopie, dans les régions urbaines et rurales. Il nous paraît très important de pouvoir soutenir les citoyens pour qu’ils puissent affronter les hauts et les bas des changements climatiques, de l’économie et de ce genre de choses.

Très récemment, l’Éthiopie a harmonisé son taux de change avec le taux du marché, au lieu de laisser la banque centrale le contrôler. C’est une bonne chose sur le plan de la stabilité macroéconomique, mais ce n’est souvent pas facile pour le citoyen moyen d’en subir les conséquences. Des programmes comme le filet social peuvent fortement contribuer au soutien des communautés pour qu’elles se tirent d’affaire. Le filet social peut prendre la forme de transferts d’argent, de transfert de nourriture et de vivres contre travail.

Pamela Moore, directrice exécutive, Programme de paix et de stabilisation, Partenariats et programmation de l’aide internationale, Affaires mondiales Canada : Si vous le voulez bien, je pourrais compléter cette réponse. Affaires mondiales Canada a des programmes pour la paix et la sécurité. Nous utilisons les divers outils de financement des affaires étrangères pour mettre en œuvre des programmes portant sur les sujets que vous avez mentionnés.

Nous avons des programmes spécialement axés sur la reddition de comptes, comme ma collègue l’a dit. Nous soutenons des mécanismes de reddition de comptes et cherchons à faire la lumière sur les violations commises durant le conflit. Nous avons aussi des programmes pour les femmes qui consolident la paix en Afrique de l’Est et d’autres régions de l’Afrique, y compris l’Éthiopie. Ce financement concerne les projets et les femmes qui consolident la paix.

[Français]

La sénatrice Gerba : Bienvenue à nos témoins. C’est toujours un plaisir de vous accueillir pour celles qui ont l’habitude de ce comité.

Ma question s’adresse à tout le monde. Les femmes africaines sont les championnes mondiales de l’entrepreneuriat, avec un taux d’entrepreneures de 27 %. Elles seraient ainsi à l’origine de 65 % de la richesse du continent. Leur rôle est donc absolument central dans l’économie de la région. Dans quelle manière le Plan d’action national pour la femme, la paix et la sécurité dont vous avez parlé prend-il en compte les entrepreneures femmes et leur autonomisation?

Mme O’Neill : Merci pour la question.

Le plan ne met pas spécifiquement l’accent sur les femmes entrepreneures.

[Traduction]

Ces programmes mettent l’accent sur l’environnement qui permet aux femmes d’avoir le temps, les ressources, l’éducation et la stabilité matérielle pour mener à bien leur entreprise. Il est question de la relation entre la stabilité économique, la paix et la sécurité, mais ces programmes ne visent pas les femmes en particulier.

Mme Delany : Je peux vous donner quelques exemples de notre soutien envers les entrepreneuses, surtout en agriculture.

La plupart des femmes, au moins dans les régions que je couvre dans le Sud et l’Est de l’Afrique... Les agriculteurs qui ont de petites exploitations sont surtout des femmes. Il est donc important de les appuyer pour qu’elles accèdent aux marchés et ce genre choses. C’est un des principaux aspects de bon nombre de nos programmes sur le continent.

Je peux vous donner l’exemple du Mozambique, où 80 % des citoyens participent à l’agriculture, et où les taux de malnutrition sont très élevés. SOCODEVI, une organisation canadienne située au Québec, travaille avec des coopératives agricoles dirigées par des femmes pour leur fournir de meilleures semences, de meilleurs engrais et de la formation. Nous avons constaté une forte hausse de leurs récoltes et de leur capacité d’accéder aux supermarchés en ville pour vendre leurs produits.

Le Soudan du Sud est un autre exemple. Nous travaillons avec War Child et CARE Canada pour soutenir les agriculteurs, dont les femmes et les filles. Notre programme appuie aussi les initiatives agricoles adaptées aux changements climatiques, qui se font particulièrement sentir au Soudan du Sud. Nous appuyons les agriculteurs pour qu’ils puissent s’adapter et générer des récoltes plus résiliences face aux changements climatiques.

[Français]

La sénatrice Gerba : C’est très intéressant, merci beaucoup pour ces informations.

À l’échelle internationale, avez-vous relevé des pratiques exemplaires dont le Canada pourrait s’inspirer? On fait beaucoup le lien entre la paix, la sécurité et l’économie. Hier, un de nos témoins parlait justement des jeunes qui sont très éduqués et qui se retrouvent sans emploi. C’est probablement la même chose pour les femmes. Y a-t-il des pratiques dont on pourrait s’inspirer?

Mme O’Neill : Certainement, il y a beaucoup de pratiques qui nous inspirent. Je pourrais en mentionner quelques-unes qui existent sur le plan international, comme vous l’avez dit, mais en Afrique.

[Traduction]

Comme je l’ai dit, je suis allée en Afrique de l’Est récemment et j’ai pu rencontrer des groupes qui parlaient du soutien du Canada et des initiatives qu’ils ont prises au début du conflit et à long terme. Comme ma collègue vient de le mentionner, une des pratiques qui ont connu du succès, c’est le soutien du Canada au désarmement, à la démobilisation et à la réintégration des combattants à la suite du conflit au Mozambique.

Il y a quelques liens à faire avec l’économie. Tout d’abord, on a spécifiquement prévu au départ qu’il y aurait des combattantes. On pourrait penser que cela tombe sous le sens. Nous savons que de par le monde, il y a en moyenne au moins 10 % de femmes dans les forces de combat, donc il fallait s’assurer de planifier les choses pour ces combattantes. Les programmes sur les moyens de subsistance, les processus connexes et la formation étaient adaptés aux femmes, selon ce qu’elles disaient vouloir. Dans d’autres processus, on attribue parfois aux femmes des rôles stéréotypés et on leur offre une formation de coiffeuse, de couturière, etc. Mais on ne se fonde pas nécessairement sur leurs compétences ou leurs aspirations, alors qu’une formation mieux adaptée se traduirait par des débouchés économiques à long terme.

La sénatrice M. Deacon : Merci à toutes d’être ici aujourd’hui. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Concernant la stratégie gouvernementale en matière de partenariats en Afrique, je pense que nous savons tous que les consultations publiques sont très importantes. D’après ce que je comprends, nous avons tenu une consultation publique pendant environ un mois, et elle s’est terminée à la mi-septembre. Quel genre de réactions y a-t-il eu, et quel était le niveau d’engagement de la diaspora africaine au Canada, surtout celui des femmes? Ces femmes peuvent possiblement nous renseigner sur les programmes concernant les femmes, la paix et la sécurité.

Mme Steffen : Merci de cette question, madame la sénatrice.

La stratégie sur l’Afrique est en vigueur depuis un moment, comme vous le savez. Nous en avons déjà parlé à ce comité. Dès le début, nous avons tenu plusieurs consultations publiques en matière de coopération économique. Une consultation s’est tenue sur un portail, et divers interlocuteurs ont participé à des groupes de discussion. Dernièrement, une consultation en ligne d’un mois portait sur des enjeux plus vastes, en plus des enjeux économiques. Je dois dire que ces deux consultations ont joui d’une bonne participation, et nous avons reçu un grand nombre de réponses.

Pour ce qui est de la participation de la diaspora africaine, les consultations en ligne s’adressaient à tous ceux qui souhaitaient y participer. Nous avons aussi encouragé nos réseaux à prendre connaissance des consultations en ligne, ce qui nous a permis de recevoir beaucoup plus de réponses de la part de divers interlocuteurs.

Nous avons discuté avec des associations, dont la Chambre commerciale Canada-Afrique, qui compte de nombreux entrepreneurs d’origine africaine. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Nous avons aussi discuté avec bien des entrepreneuses et d’autres associations d’affaires qui comptent des entrepreneuses dans leurs rangs.

Concernant la paix et la sécurité, vous avez entendu hier quelques universitaires qui ont aussi participé à ces consultations. Ils nous ont dit que nos interlocuteurs canadiens et africains veulent un engagement accru du Canada sur le continent. Je pense qu’on vous a dit la même chose hier. Il faut renforcer le commerce et nos investissements. Cela s’inscrit dans les discussions que nous avons avec le comité. On nous a également dit que la paix et la sécurité en Afrique sont interreliées avec tout ce que devrait faire le Canada. Il faut être conscient du besoin de paix et de sécurité et veiller à ne pas faire de tort. Nous devons contribuer à un environnement meilleur.

La sénatrice M. Deacon : Merci. Ce poste d’ambassadrice est relativement nouveau. Dans votre travail, a-t-il des changements en matière de ressources ou autre que vous avez dû faire ou que vous devez apporter pour la suite de votre mandat important? Avez-vous le soutien nécessaire?

Mme O’Neill : Merci de cette question. Je suis toujours reconnaissante quand on me pose des questions sur les ressources.

La réflexion ou la théorie du changement qui explique ce poste et ma nomination était très sensée. On voulait quelqu’un avec un titre qui donne accès aux débouchés et qui peut aider les gens, mais qui ne soit pas la seule personne-ressource du gouvernement ou du ministère pour accomplir la tâche. Notre Plan d’action national stipule que c’est la responsabilité de tout le monde.

Dans mon poste, je me vois comme quelqu’un qui peut démultiplier les forces, défendre et faire valoir le travail accompli, mais je ne veux pas que nous concentrions les ressources en un endroit au gouvernement ou dans les ministères, car nous devons veiller à répartir le travail entre tout le monde.

Le sénateur Harder : Merci aux témoins. Madame l’ambassadrice, vous avez dit que l’Union africaine vous aidait à établir votre position. Un certain nombre de témoins nous ont dit que le développement de l’Union africaine dans la structure des organisations régionales était positif. Pourriez-vous nous donner un aperçu de la façon dont ces structures vous aident? Est-ce que vous et le ministère les utilisez, au lieu de recourir aux structures bilatérales ou multilatérales traditionnelles?

Mme O’Neill : Merci. Je peux vous donner deux exemples. Dans l’Union africaine, mon homologue, plus ou moins, et son bureau, à l’aide du Canada, ont créé ce qu’on appelle le Cadre continental de résultats sur les femmes, la paix et la sécurité. Comme je l’ai dit, il y a maintenant environ 34 pays membres de quatre organisations régionales qui se sont dotés de plans d’action nationaux.

On a cherché à augmenter la cohérence de ces plans pour que les ministères et les pays ne suivent pas des données différentes. On ne recueille pas de données collectives qui ne donnent un portrait d’ensemble. Ces efforts sont utiles et aident à renforcer les capacités. Certains gouvernements suivent les données ventilées par sexe, par exemple. On a établi un genre de norme minimale selon les divers contextes, et il y a bien sûr beaucoup de complémentarité.

Par ailleurs, l’Union africaine a établi et soutient FemWise, un réseau de médiatrices africaines. C’est en réponse aux nombreuses Africaines qui parlaient des rôles importants de médiatrices qu’elles jouent entre des communautés au niveau infranational. Toutefois, comme nous le savons tous, lorsqu’on lance des processus de paix, on parle souvent d’anciens chefs d’État, de personnes n’ayant pas beaucoup d’expérience de médiation, ou de personnalités bien connues, ce qui perpétue un cycle. FemWise cherche donc à rehausser l’importance de ce rôle et sa visibilité, ainsi qu’à officialiser et promouvoir le travail de ces groupes.

Cependant, un défi consiste à déployer ces médiatrices et à répondre aux appels de médiation. Il y a des progrès en ce sens, mais nous voulons toujours que plus d’entre elles fassent le travail qu’elles souhaitent faire.

Le sénateur Harder : Avez-vous pensé comment la structure du programme sur les femmes, la paix et la sécurité pourrait être utilisée ou adaptée pour tenir compte des enfants, ou n’y voyez‑vous qu’un sous-ensemble de ce programme? Compte tenu du défi démographique en Afrique, il me semble qu’il n’est pas trop tôt pour bien réfléchir aux structures que nous pourrions ajouter au programme. Y a-t-il un modèle que nous devrions explorer?

Mme O’Neill : Merci. J’y pense, c’est certain. De nombreux groupes m’en ont parlé.

Voici quelques points à retenir. Il y a de bonnes pratiques, et d’autres qui exigent des améliorations. On entend beaucoup parler de la distinction entre les jeunes et les enfants, qui est un aspect capital. Nous ne voyons pas les enfants, la paix et la sécurité comme un sous-ensemble de notre travail, sauf si nous regroupons les femmes et les enfants par inadvertance et de manière infantilisante. Mais nous entendons qu’il existe de nombreux liens entre les jeunes, la paix et la sécurité. Ces organisations collaborent abondamment; on a même obtenu une résolution du Conseil de sécurité. Il y a maintenant quelques plans d’action nationaux sur les jeunes, la paix et la sécurité dans le monde. La République démocratique du Congo en est un exemple.

Le sénateur Harder : Est-ce que ces progrès ont amené Affaires mondiales à songer à sa coordination d’une autre manière?

Mme O’Neill : Oui.

Le sénateur Harder : Merci.

La sénatrice Coyle : Merci à tous les témoins. Merci à celles qui reviennent discuter avec nous et celles qui participent aux discussions pour la première fois. Ma question s’adresse à l’ambassadrice O’Neill et à celles qui aimeraient intervenir.

Aujourd’hui et dans une comparution précédente au comité, vous avez souligné le soutien que le Canada accorde aux Africaines dans les négociations de paix, à l’aide d’initiatives comme le Cadre continental de résultats. Pourriez-vous faire le point sur les progrès accomplis grâce à ce cadre? Pourriez-vous aussi nous en dire plus sur l’expérience au Soudan que vous avez évoquée. Si possible, pourriez-vous nous dire quelles mesures le Canada pourrait prendre pour garantir que la participation des femmes dans les processus de paix et de sécurité n’est pas que symbolique, mais qu’elle entraîne des retombées réelles dans les accords de paix?

Mme O’Neill : Merci de ces trois questions. Je vais commencer par le Soudan, parce que cette situation montre bien ce qui se passe. Très brièvement, le gouvernement américain, avec la Suisse, l’Arabie saoudite et ses partenaires — les Émirats arabes unis, l’Égypte, l’Union africaine et les Nations unies —, a convoqué en Suisse ce qu’il espérait être des pourparlers de paix sur le Soudan, il y a environ un mois. Il espérait que les deux principaux belligérants, les Forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide, ou FSR, se réuniraient pour parler en priorité de cessation des hostilités, d’accès accru à l’aide humanitaire et d’un mécanisme de surveillance ou d’application. Mais une des parties ne s’est pas présentée. Les groupes sont demeurés sur place et se sont concentrés sur l’accès humanitaire accru.

Le médiateur américain tenait à éviter de répéter ce que nous voyons partout ailleurs, soit d’inviter aux pourparlers de paix les parties qui ont déclaré la guerre en premier lieu et de leur donner le pouvoir disproportionné d’établir les conditions à respecter. Il a travaillé avec ses homologues au Département d’État américain, qui ont travaillé avec nous pour qu’un groupe de Soudanaises de partout au pays, y compris bien des jeunes femmes, puissent aller en Suisse et tenter d’influencer les négociations avec constance. Elles ont rencontré les groupes directement, mais elles ne faisaient pas officiellement partie des négociations. Comme toujours, elles ont soulevé des points très importants, comme le besoin de s’assurer que la violence sexuelle soit une exigence dans la cessation des hostilités et que le viol de femmes soit considéré comme une violation du cessez‑le-feu. Elles ont parlé de toute une série de questions.

L’essentiel à se rappeler, c’est que c’était un groupe divers ayant des liens avec ses communautés, et on bénéficiait du soutien international de médiateurs et de facilitateurs. Mais ces femmes ne participaient pas aux négociations. C’est pourquoi le Canada veut soutenir un processus plus large de participation politique mené par des civils, pour ne pas répéter ce processus.

Je pourrais demander à Mme Moore de dire que nous avons utilisé les titres, l’influence et l’accès canadiens pour renforcer ces négociations de paix en particulier, ainsi que soutenir les efforts civils sur le terrain.

Mme Moore : En plus de notre participation politique dont l’ambassadrice a parlé, nous finançons des projets. Dans le cadre du financement des projets pour la paix et la sécurité, le Programme pour la stabilisation et les opérations de paix, nous pouvons par exemple financer une organisation qui soutenait les civils, comprenant 40 % de femmes. Dans le conflit au Soudan, elle rassemblait les points de vue d’un groupe divers de civils sur ce qui devait arriver pour contribuer au processus de paix. Nous cherchons à financer des projets qui aident les groupes civils à se faire entendre.

La sénatrice Greenwood : Bienvenue à chacune d’entre vous. J’ai trouvé très intéressant ce que vous avez dit plus tôt, dans votre déclaration préliminaire — et ma question s’adresse à vous toutes —, au sujet de la désinformation ou de la mésinformation que certains pays diffusent, en particulier en ce qui concerne la participation des femmes à l’initiative pour les femmes, la paix et la sécurité. Je me demandais si vous pouviez nous en dire un peu plus sur ce que vous faites au sujet de ce problème, car il peut causer un tort énorme.

Je ne sais pas si cela entre en ligne de compte, alors qu’on me pardonne ma naïveté, mais je pense à la reconnaissance et à la revitalisation des rôles des femmes dans les collectivités et à ce genre de choses. Pourriez-vous nous faire part de vos réflexions à ce sujet, s’il vous plaît.

Mme O’Neill : Merci. J’en serai ravie, étant donné que, comme l’a souligné la sénatrice, il s’agit d’un problème extrêmement important qui prend de plus en plus d’ampleur. C’est l’une des choses dont j’entends le plus souvent parler lorsque je discute avec des membres de la société civile et des acteurs politiques dans le monde. C’est une énorme menace pour la sécurité et un problème très présent en Afrique.

Je tiens à être très claire : lorsque nous parlons de « désinformation », il s’agit bien sûr de la diffusion d’information avec de mauvaises intentions. Lorsque nous parlons de « désinformation sexiste », il s’agit d’exploiter des normes, des stéréotypes, des préjugés et des tabous qui tendent à cibler les femmes. On prétend généralement que les femmes sont des personnes aux mœurs légères, qu’elles se prostituent, qu’elles sont stupides, faibles, que ce sont de mauvaises mères. C’est différent du harcèlement en ligne « habituel », beaucoup plus courant, que tant de femmes subissent aujourd’hui, parce que c’est structuré, complexe et coordonné. La source est souvent constituée d’acteurs étatiques et non étatiques. J’ai mentionné la Russie dès le départ. Nous pouvons retracer ses origines jusqu’à la Russie dans une large mesure.

En ce qui a trait à l’Afrique, un certain nombre de pays utilisent l’intelligence artificielle, des robots, des hypertrucages pour tenter d’influencer les résultats de processus dans lesquels un pays a des intérêts spécifiques, ou pour saper des institutions de manière générale — en diffusant des discours négatifs à propos de l’Occident, par exemple.

À titre d’exemple, dans le cadre des pourparlers sur le Soudan, tous les matins, les femmes avec lesquelles nous travaillions étaient en ligne et essayaient de déterminer quelles étaient les vidéos exactes et quelles étaient les vidéos hypertruquées. En effet, des gens créaient des vidéos montrant le massacre d’un groupe par un autre pour essayer de provoquer quelque chose. Presque toutes ces personnes ont vu leur nom divulgué. On les a traitées de prostituées. Elles ont été traitées de bien pire. Les noms de leurs familles ont été communiqués. Et le simple fait d’essayer de rechercher la paix dans leur propre pays les a rendues vulnérables et les a exposées à ce type d’activités, ce qui est ensuite renforcé tantôt par des individus, tantôt dans le cadre de campagnes organisées.

C’est un énorme problème, et il ne s’agit pas seulement — il ne faut pas l’oublier — de misogynes qui sont seuls dans leur chambre et qui haïssent les femmes. On parle ici d’un effort systémique visant à saper la démocratie et à exclure les femmes des espaces publics.

Le président : J’aimerais également poser une question, qui vient essentiellement s’ajouter à la question et au commentaire de la sénatrice Gerba à propos des pratiques exemplaires. La Politique d’aide internationale féministe du Canada est en vigueur depuis sept ans, à peu près, si je me souviens bien. Votre position, madame l’ambassadrice, comme vous l’avez expliquée... Je dirais également que vous êtes là depuis assez longtemps, sans vouloir trop m’éterniser là-dessus.

Nos pratiques exemplaires font-elles partie des discussions que le Comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou l’OCDE, peut avoir sur l’aide publique au développement, ou l’APD, plus traditionnelle en ce qui concerne l’aide et le soutien offerts aux organisations communautaires de femmes en Afrique? Dans le même ordre d’idées, si nous avons une certaine influence, se manifeste-t-elle dans les actions d’autres pays donateurs?

Mme O’Neill : Je peux répondre à la deuxième question, à savoir si cela se manifeste dans les actions d’autres pays donateurs. Mes collègues peuvent peut-être parler de l’influence de l’OCDE sur l’aide publique au développement.

Dans les collectivités, les femmes disent les mêmes choses à tout le monde. Nous sommes nombreux à faire de notre mieux pour être à l’écoute et adapter nos processus. L’une des choses les plus importantes que nous entendons — et dont vous êtes tous bien au courant —, c’est que les organisations, les réseaux et les mouvements dirigés par des femmes veulent décider de leurs propres priorités. Ils ont besoin d’un financement souple et prévisible pour pouvoir planifier à long terme.

Nous constatons que certains pays renforcent cette approche. Je ne sais pas si nous en sommes aux pratiques exemplaires. Nous essayons constamment d’y parvenir. Nous modifions nos approches en matière de financement, comme vous le savez. Je l’entends souvent en ce qui concerne l’élaboration de plans d’action nationaux : il y est bien davantage question de l’augmentation de la quantité d’argent, mais aussi du type de fonds et des moyens par lesquels ils sont acheminés aux femmes dans la société civile. Je pourrais citer deux ou trois dizaines de pays qui ont inclus ce type de formulation dans leurs plans d’action nationaux. Il ne s’agit pas seulement de savoir qui l’on cible, mais aussi à quelle vitesse l’argent est distribué.

Je ne sais pas si quelqu’un peut parler de l’aide publique au développement de manière générale.

Mme Steffen : Je peux parler brièvement du Comité d’aide au développement de l’OCDE qui, comme vous le savez, examine régulièrement les portefeuilles d’aide au développement de ses membres. C’est au tour du Canada cette année. Ce sera donc l’occasion de procéder à un examen par les pairs sur la manière dont nous faisons les choses, examen qui sera ensuite rendu public sous forme de document. Comme je l’ai dit, il a lieu tous les cinq ans. Le comité examinera au moins l’un de nos programmes sur le terrain. Je crois qu’il s’agit d’un pays africain qui sert d’exemple de ce que nous faisons. Je pense qu’il effectuera un examen documentaire d’un autre programme. Alors, restez à l’affût, car je pense que l’examen par les pairs permettra de tirer des leçons intéressantes et nous verrons comment les choses se dérouleront.

Le président : Madame Steffen, puis-je vous demander à quel moment vous pensez que l’examen par les pairs sera terminé?

Mme Steffen : Je crois que ce sera cet automne. Je sais que les visites auront lieu dans les prochains mois. L’examen proprement dit se fait sur une base régulière et sera présenté à Paris, en juin, si le calendrier est le même que la dernière fois. Je pourrai le confirmer plus tard.

Le président : Oui, c’est à peu près cela. Je vous remercie. C’est une information utile pour le comité.

Je constate que mon temps est écoulé, au cas où quelqu’un se poserait la question. Nous allons passer au deuxième tour.

Le sénateur MacDonald : Le mois dernier, lors du Forum sur la coopération sino-africaine, la Chine a promis 50 milliards de dollars américains de prêts, d’aide et d’investissements, dont 140 millions de dollars en aide militaire. La Chine a également déclaré qu’elle formerait 6 000 militaires et 1 000 policiers en Afrique. Cinquante et un États africains ont participé à la conférence, soit la quasi-totalité des pays africains. Étant donné le piètre bilan de la Chine en matière de droits de la personne et le renforcement de l’aide militaire et de la formation qu’elle apporte à l’Afrique, quelles seront, selon vous, les répercussions sur le programme sur les femmes, la paix et la sécurité?

Ensuite, quelles stratégies le Canada peut-il mettre en œuvre pour s’assurer que son aide et ses efforts diplomatiques axés sur les valeurs ne sont pas compromis par l’influence croissante de la Chine sur le continent? Ou bien, sommes-nous de plus en plus en train de mener une bataille perdue d’avance?

Mme O’Neill : Je vous remercie de la question. C’est un sujet auquel nous réfléchissons beaucoup.

De manière générale, il est évident que les Africains éprouvent des sentiments mitigés à l’égard de l’investissement de la Chine et de son rôle accru. Ils voient l’ajout d’infrastructures et la rapidité avec laquelle on procède et ils perçoivent un respect pour l’indépendance. Cependant, ils sont de plus en plus nombreux à considérer que le soutien chinois renforce les processus non démocratiques, ce qui nuit à leur travail. Ils constatent que la corruption s’accroît. Ils sont frustrés par la nature d’une grande partie des industries extractives qui participent. Bon nombre des activistes et des défenseurs des femmes, de la paix et de la sécurité avec lesquels je suis en contact constatent que l’ont remet en cause très systématiquement des normes et des systèmes mondiaux autour desquels ils ont articulé leurs efforts. Ils ont plaidé leur cause auprès de leurs propres gouvernements. Ils ont cherché à obtenir le respect de leurs droits.

Pour répondre précisément à votre question, en me préparant à la réunion du comité, j’ai lu une statistique selon laquelle 80 % des soldats de la paix chinois sont déployés en Afrique. De plus, la Chine elle-même déploie plus de soldats de la paix que tous les autres membres permanents du Conseil de sécurité réunis. Elle est donc présente sur le terrain. Le pays vient également de détrôner la Russie en tant que premier fournisseur d’armes de l’Afrique subsaharienne.

Les femmes nous disent constamment que la nature transactionnelle des investissements importants est beaucoup plus largement connue, mais que souvent, cela enhardit ceux qui sont déjà au pouvoir. L’une des choses qu’elles nous demandent, c’est de continuer à discuter et à être présents, de ne pas céder d’espace et de ne pas renoncer à notre intention d’apporter notre soutien à certaines des conditions — nous les nommerions — qui y sont associées, parce qu’elles considèrent que c’est une spirale qui ne fera que s’aggraver.

Mme Delany : Je peux en dire plus sur les stratégies. Nous pouvons voir le public comme étant composé de différents acteurs : personnes, organisations de la société civile, ou OSC, gouvernements. En ce qui concerne les efforts diplomatiques fondés sur les valeurs, l’une des possibilités qui s’offrent à nous est de travailler et de démontrer que nous sommes des alliés des organisations de la société civile qui défendent les droits de la personne dans leur propre pays.

La question des droits des personnes LGBTQ est, je pense, un très bon exemple : en raison des problèmes liés à la mésinformation et à la désinformation, ainsi que de la volonté de soutenir les aspirations des Africains eux-mêmes, la meilleure façon dont nous pouvons appuyer la défense des droits des personnes LGBTQ sur le continent est d’être un allié des organisations de la société civile qui défendent ces droits. Il ne s’agit pas de dire à distance ce qui, selon nous, devrait se passer sur le continent; il s’agit plutôt d’appuyer les défenseurs des droits de la personne qui cherchent à faire respecter ces droits dans leur propre pays.

Nous pouvons également comprendre que nous avons beaucoup d’intérêts en commun avec différents gouvernements sur le continent. Le Mozambique siège au Conseil de sécurité des Nations unies, ou CSNU, depuis deux ans et a fait des femmes, de la paix et de la sécurité l’un de ses principaux sujets de discussion lorsqu’il présidait le Conseil de sécurité. Tous les ans ou tous les deux ans, nous travaillons avec la Zambie pour coparrainer une résolution sur les mariages d’enfants, les mariages précoces et les mariages forcés. Il y a donc de nombreuses questions pour lesquelles nous avons des valeurs communes et nous pouvons les défendre sur la scène internationale.

Je pense qu’il est également important de faire preuve de respect et de montrer que nous souhaitons travailler avec les pays qui n’ont pas nécessairement la même opinion que nous. Je pense que l’Afrique du Sud, dans le contexte de la guerre en Ukraine, est un bon exemple. Nous n’avons pas le même point de vue sur la question, mais nous pouvons discuter avec l’Afrique du Sud de la manière dont elle comprend ce contexte et de la façon dont elle pourrait contribuer à la recherche d’une solution.

Le président : Je suis désolé d’interrompre cet échange très intéressant, mais nous n’avons plus de temps. En fait, nous avons dépassé le temps imparti. Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Gerba : Comme vous le savez, l’Est de la République démocratique du Congo est en proie à de violents affrontements depuis plus de 30 ans, et ce, dans une indifférence totale sur la scène internationale. Pourtant, l’ONU compte un record historique de 7 à 8 millions de déplacés à l’intérieur du pays et les femmes et les filles sont victimes de violence extrême dans cette région.

Que mettez-vous en place pour soutenir les femmes dans la région et les protéger davantage? Vous avez parlé du Soudan, mais j’aimerais en savoir plus sur ce que vous faites dans cette région.

[Traduction]

Mme Delany : Je suis désolée. Je cherchais mes réponses pendant un instant. La question portait-elle uniquement sur la République démocratique du Congo, la RDC, ou également sur le Soudan?

La sénatrice Gerba : Seulement sur la RDC.

Mme Delany : Merci. La situation dans l’Est du pays est extrêmement complexe. L’une des choses qui me semblent les plus importantes dans le cadre de nos actions est que le Canada envoie le même message à toutes les parties de la région pour leur demander de s’abstenir de soutenir les groupes armés non étatiques qui y sont actifs. Le Canada est un contributeur important tant dans le cadre de ses programmes de développement que de l’aide humanitaire qu’il apporte à la RDC.

En ce qui concerne les organisations de femmes, je peux vous donner l’exemple du programme Voix et leadership des femmes que nous menons là-bas. Il est géré par le Centre Carter, pour un montant d’environ 9 millions de dollars. C’est l’un des programmes qui consiste à travailler directement avec des organisations de femmes en les aidant à défendre leurs propres intérêts dans le pays, à la fois par un financement direct — pour qu’elles puissent mener leurs initiatives et défendre elles-mêmes leurs intérêts — et par de la formation et du mentorat à long terme.

Je pense qu’il s’agit là d’un bon exemple pour répondre à la question du sénateur Boehm sur le soutien aux organisations d’un point de vue féministe, car en renforçant leurs capacités, nous les aidons également à recevoir des fonds et à agir dans d’autres contextes, et pas seulement en ce qui concerne le financement canadien.

En RDC les programmes appuient également les réseaux d’organisations de femmes et la promotion du féminisme.

[Français]

La sénatrice Gerba : Est-ce que le Canada joue un rôle sur la scène internationale sur cette question en particulier? En dehors de ce que je viens de comprendre, vous jouez un rôle auprès des femmes localement, mais sur le plan international, on n’entend pas parler de cette région ni de ce conflit qui sévit quand même depuis plus de 30 ans.

Le Canada apporte-t-il à l’échelle internationale en ce qui a trait aux institutions multilatérales?

[Traduction]

Mme Delany : Comme pour de nombreux conflits que nous observons sur le continent, notre démarche passe, par exemple, par le Conseil des droits de l’homme, par les actions que nous menons avec des organisations aux vues similaires, par des déclarations. Nous suivons de près, par exemple, les rapports du groupe d’experts sur la situation dans l’Est de la RDC qui sont publiés deux fois par année.

Dans ce cas, le processus de médiation comporte plusieurs voies différentes. Il y a, par exemple, l’Angola. Le président et le ministre des Affaires étrangères jouent un rôle actif pour tenter de soutenir les négociations entre les deux parties. Nous ne participons pas à ce processus, mais c’est un exemple où nous suivons la situation de très près et nous avons indiqué que s’il était possible d’apporter de l’aide, nous serions prêts à le faire.

La sénatrice Coyle : Deux d’entre vous ont dit quelque chose qui m’a amenée à me poser une question. Madame Moore, vous avez parlé du financement complémentaire de projets lorsque Mme O’Neill a parlé du travail qui est accompli au Soudan. Mme Delany a parlé de l’aide générale au développement dans le domaine de l’agriculture, par exemple, au Mozambique, et cetera. J’aimerais en savoir plus sur l’aide au développement en général et sur les liens, le cas échéant, que vous observez entre l’aide au développement, les partenariats de développement, les investissements — entre ces types de relations, de partenariats, d’investissements — et les résultats en matière de paix ou, du moins, de prévention des conflits, qu’ils soient anticipés ou non. Je pense qu’il est important que nous comprenions, si vous voyez quelque chose ou si vous suivez la situation à cet égard.

Mme Delany : Ce sont d’excellentes questions, et c’est l’une des choses les plus difficiles à mesurer. Mais je pense que c’est aussi le genre de questions que nous nous posons et auxquelles nous essayons de répondre délibérément. Comme vous le savez, dans la Politique d’aide internationale féministe, la paix et la sécurité constituent un champ d’action pour l’ensemble du ministère. Ce volet ne relève pas de la programmation de la sécurité internationale, dont l’équipe de Pamela Moore est responsable, par exemple. Ainsi, du côté du développement, nous pouvoir avoir une programmation à plus long terme et examiner expressément les facteurs sous-jacents qui peuvent causer l’instabilité.

Je prendrai l’exemple du Mozambique. Le Nord du Mozambique est la scène d’une insurrection inspirée par l’extrémisme islamique. Voici l’une des choses que nous avons faites là-bas il y a quelques années. Nous avons cerné un petit nombre de programmes qui font le pont entre l’action humanitaire, le développement et la paix. Ils ont constaté que la population avait doublé dans certains quartiers de la capitale en raison de l’afflux de personnes déplacées à l’intérieur du territoire. La population avait doublé dans des milieux où les communautés d’accueil étaient elles-mêmes extrêmement vulnérables et très pauvres. La capacité de ces communautés à intégrer un tel nombre de personnes n’était pas aussi grande que nous l’aurions souhaité.

Nous avons mené à bien un projet de planification urbaine, ce qui peut sembler banal. Or, ce projet, que nous avons réalisé grâce au Programme des Nations unies pour les établissements humains ONU-Habitat, était justement un processus d’urbanisme participatif avec les communautés de personnes déplacées et les communautés d’accueil sur ce qui pouvait aider ces gens à vivre ensemble dans cet environnement très stressant. Le projet s’élevait à 2 millions de dollars. Huit petits projets d’infrastructure communautaire ont été conçus à partir d’informations précises fournies par les communautés, sur ce qui pourrait leur faciliter la vie. Je n’ai pas d’exemple de lien direct entre ce projet et la paix, mais je pense que ce type de programmation est nécessaire pour éviter une nouvelle détérioration d’un conflit très fragile.

Le président : Merci beaucoup. Nous n’avons plus de temps pour ce segment.

La sénatrice Greenwood : Ma question fait suite à ma demande initiale. Je voulais vous donner le temps de parler de certaines mesures que prend le Canada pour lutter contre la désinformation. Je pense que vous en avez un peu parlé en réponse à certaines questions. Je vous prie donc d’en dire un peu là-dessus.

Mme O’Neill : Vous m’accordez du temps. Il s’agit d’un enjeu complexe, de sorte que nous devons travailler sur différents fronts. Nous reconnaissons certainement que la même chose arrive au Canada et aux Canadiens.

L’une des choses les plus importantes que nous entendons constamment et qui fonctionnent est de former plus particulièrement les jeunes sur les médias afin qu’ils soient capables de discerner les fausses nouvelles, le contenu créé artificiellement ou non, et les sources d’information dignes de confiance. C’est toujours ainsi. En Ukraine, il y a quelques mois, j’ai rencontré un certain nombre de groupes, dont plusieurs sont soutenus par le Canada. Comme ils le disent, ils s’emploient à « déboulonner » des fausses nouvelles et des informations erronées qui sont diffusées. Ils affirment que le plus souvent, il faut accroître le niveau général de connaissance des médias.

Le clivage numérique est un grand problème particulièrement présent en Afrique. Caroline Delany parlait justement des différences entre les communautés rurales et urbaines, et du degré d’amplification de la désinformation dans les endroits où la technologie est plus accessible. Il existe une forte fracture numérique, et c’est encore plus vrai entre les sexes, car les femmes et les filles ont généralement beaucoup moins accès aux sources en ligne pour pouvoir faire des recherches afin de contrer la désinformation.

Un autre élément important est la différence du taux d’alphabétisation entre les sexes. Dans de nombreuses zones rurales, les gens ne savent même pas lire et écrire suffisamment pour recevoir ces informations. Voilà pourquoi nous favorisons les diffusions radiophoniques afin de contrer la désinformation d’une manière accessible aux gens. Nous essayons de travailler en ce sens, mais je n’ai jamais vu un système qui fonctionne en prenant les affirmations les unes après les autres et en essayant de les réfuter. Il faut en fait aborder la pensée critique et s’assurer de l’employer. C’est ce que nous essayons de soutenir, mais c’est difficile.

Mme Delany : Le ministère fait ses propres campagnes dans les médias sociaux, et elles visent souvent à passer un message précis pour contrer d’autres messages. C’est très général, mais l’objectif est notamment de diffuser notre propre message pour qu’il soit vu. Nos chefs de mission et nos ambassades sont très actifs sur les médias sociaux et tentent d’utiliser les différentes plateformes qui sont présentes dans ces environnements. Facebook, par exemple, est parfois beaucoup plus populaire que X dans certains pays africains.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Al Zaibak : Je remercie l’ambassadrice O’Neill et nos autres distingués invités d’être ici pour nous faire part de leurs remarques et partager des informations avec nous.

Nous entendons souvent dire que la Russie est un important fournisseur d’armes et d’armements en Afrique. Quels autres pays sont également connus pour fournir des armes et des armements qui continuent d’alimenter les conflits dans divers pays du continent?

Mme O’Neill : Nous pouvons répondre au sujet des différentes régions. Je viens de mentionner que la Chine a maintenant supplanté la Russie en tant que plus grand fournisseur d’armes en Afrique subsaharienne. Nous entendons parler d’importations de drones en provenance de toutes sortes de pays, dont la Türkiye. Sans vouloir dresser une liste par ordre d’importance, il s’agit d’un problème qui perpétue de manière significative à la fois les conflits et la violence fondée sur le genre au sein des communautés qui n’est pas liée à un conflit.

Mme Delany : Dans certaines régions en conflit, des intérêts régionaux décident de soutenir l’un ou l’autre des camps; ils peuvent alors fournir des armes dans la poursuite de leurs propres intérêts dans l’issue du conflit.

Mme Steffen : Une chose que j’ajouterai à cette conversation est qu’il y a l’importation de nouvelles armes, mais il y a aussi une circulation importante d’armes existantes, en particulier d’armes légères et de petit calibre. Lorsqu’un conflit s’apaise, le personnel et les armes peuvent être déplacés vers un autre endroit afin de poursuivre les combats. Il s’agit d’une industrie importante. Franchement, dans certains cas, ce sont des emplois pour des jeunes qui n’ont pas d’autres opportunités, ce qui nous ramène à la remarque de la sénatrice Gerba sur l’importance de l’esprit d’entreprise et des moyens de subsistance.

Le président : Merci beaucoup. Je crains que nous n’ayons plus de temps.

Au nom du comité, j’aimerais remercier nos témoins d’Affaires mondiales Canada d’aujourd’hui : l’ambassadrice O’Neill, les directrices générales Steffen et Delany, la directrice exécutive Moore et votre équipe très talentueuse, qui, je le sais, a observé derrière vous. Je tiens à vous remercier pour tout le travail que vous accomplissez et pour vos réponses à nos questions.

Chers collègues, nous poursuivrons notre étude du projet de loi C-282 la semaine prochaine.

(La séance est levée.)

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