LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 30 octobre 2024
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 14 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre).
Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonjour, honorables sénateurs.
Je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.
J’inviterais maintenant les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Greene : Steve Greene, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Adler : Charles Adler, du Manitoba.
Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
La sénatrice Verner : Josée Verner, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Dean : Tony Dean, de l’Ontario.
Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Marty Deacon, de l’Ontario.
La sénatrice Busson : Je m’appelle Bev Busson, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle‑Écosse.
Le sénateur Cuzner : Rodger Cuzner, de Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Klyne : Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire visé par le Traité no 4.
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de Cap‑Breton, en Nouvelle-Écosse.
Le président : Bienvenue aux sénatrices et sénateurs et à tous. J’aimerais souhaiter la bienvenue à ceux qui se joignent à nous dans la salle aujourd’hui ainsi qu’à ceux de partout au pays qui nous regardent peut-être sur ParlVU. Aujourd’hui, nous continuons l’étude du projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre).
Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir l’honorable Mark Eyking, ancien député et ancien président du Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes. Nous accueillons Jason Leblond, vice‑président de Beef Farmers of Ontario. Nous accueillons George Gilvesy, président d’Ontario Greenhouse Vegetable Growers, au nom de Producteurs de fruits et légumes du Canada. Par vidéoconférence, nous accueillons Mark Walker, vice-président, Marchés et commerce, de Cereals Canada. Enfin, nous accueillons Grant McLellan, chef de la direction de la Saskatchewan Cattlemen’s Association. Merci à tous d’être parmi nous aujourd’hui. Il s’agit d’un très grand groupe avec trois personnes dans la salle et deux témoins qui comparaissent par vidéoconférence.
Avant d’entendre vos déclarations et de passer aux questions et réponses, j’aimerais demander à toutes les personnes présentes de bien vouloir mettre en sourdine les notifications sur leurs appareils car cela nuit à la transmission et, en toute franchise, à notre concentration.
Nous limitons les déclarations préliminaires à trois minutes par témoin. C’est important si nous voulons avoir une série complète de questions et réponses avec les sénateurs. Je dois également ajouter que la sénatrice Busson et les sénateurs Adler et Cuzner sont ici aujourd’hui à titre d’observateurs, mais ils auront également la possibilité de poser une question.
Sans plus attendre, monsieur Eyking, la parole est à vous.
L’Hon. Mark Eyking, ancien député et ancien président du Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes, à titre personnel : Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, de m’avoir invité ici aujourd’hui. Je suis heureux de siéger aux côtés de mes collègues du secteur agricole. En tant que député de Cap-Breton, avec mon ami Rodger Cuzner, nous avons participé à six élections et avons 19 ans d’expérience. Nous avons appris à bien connaître la Colline. Je le félicite de son arrivée au Sénat.
Comme je l’ai mentionné, j’ai siégé à de nombreuses reprises aux comités de la Chambre des communes sur l’agriculture, le commerce et les affaires étrangères. C’est un plaisir d’être ici.
Mes parents étaient des immigrants néerlandais au Canada au début des années 1950. Je suis le 5e d’une famille de 10 enfants. Nous avons grandi dans une ferme mixte : œufs, légumes, bœufs et serres. J’ai été directement témoin du chaos qui régnait dans notre industrie ovocole au début des années 1970 pour les agriculteurs et les consommateurs. Mon père, ainsi que M. Whelan et bien d’autres, ont redressé cette industrie. Ils ont eu des problèmes, mais ils ont réussi à régler la situation. Nous remercions les personnes qui nous ont précédés d’avoir mis cela en place.
Mon épouse, Pamela, est ici avec moi aujourd’hui. Elle et moi avons repris la partie légumes de la ferme. Nous l’avons fait grandir jusqu’à ce qu’elle devienne une exploitation très prospère de 300 acres. Nous avons également été nommés Jeunes agriculteurs d’élite dans les années 1990 pour la Nouvelle‑Écosse. Nous sommes aussi dans le secteur de l’exportation :nous expédions de nombreuses cargaisons de laitue romaine et de chou aux États-Unis et dans les Caraïbes. Je sais personnellement à quel point il est important de protéger notre approvisionnement alimentaire et de commercialiser nos produits dans le monde entier.
En qualité de membre d’un comité de la Chambre des communes, j’ai visité de nombreux pays. La plupart des pays visités par nos comités étaient souvent envieux de notre gestion de l’offre et auraient souhaité l’avoir dans leur pays. Bien souvent, ils voulaient pratiquer le dumping de leurs produits dans notre pays.
Beaucoup de ces gouvernements voulaient avoir accès à nos marchés pour des raisons politiques, que ce soit pour obtenir le vote du Wisconsin ou des raisons diverses. Bien souvent, je ne pense pas que cela ait profité à leurs exploitations agricoles à long terme. Lors des négociations commerciales avec d’autres pays membres de zones d’échanges commerciaux, nous accordons l’accès à nos marchés de volaille et de produits laitiers, pour ensuite voir ces pays ériger des barrières non tarifaires touchant notre bœuf, nos céréales, notre porc et d’autres produits.
Nos aviculteurs et exploitants de fermes laitières ont fait beaucoup au cours des 50 dernières années. Ils ont amélioré la qualité de vie de leurs animaux, en fournissant des aliments sains et sûrs à nos consommateurs à des prix abordables. Trop souvent, nous échangeons notre secteur agricole contre l’accès aux produits et aux marchés étrangers. Pendant la pandémie de COVID, nous avons très bien vu ce qui se passe lorsque la chaîne d’approvisionnement alimentaire est perturbée. Y a-t-il quelque chose de plus important que notre sécurité alimentaire nationale?
Peut-on améliorer la gestion de l’offre? Oui. Il serait important que les jeunes agriculteurs y aient davantage accès. S’ils ont des surplus de produits, ils devraient les distribuer aux pauvres, localement ou dans le monde entier. Je pense qu’ils ont eu des problèmes avec la grippe aviaire, que ce soit dans le secteur de la volaille ou dans le secteur laitier. Je pense qu’ils ont maîtrisé la situation. En tant qu’agriculteurs canadiens, ils peuvent faire face à ces problèmes et les résoudre.
Monsieur le président, je n’ai pas grand-chose à ajouter. Je crois que le projet de loi C-282 est une bonne mesure législative et qu’il pourrait clarifier les choses pour les négociateurs à l’avenir. Merci.
Le président : Merci, monsieur Eyking. Monsieur Leblond, allez-y s’il vous plaît.
Jason Leblond, vice-président, Beef Farmers of Ontario : Bonjour. Je m’appelle Jason Leblond. Comme il a été mentionné, je suis le vice-président de Beef Farmers of Ontario, une association qui représente 19 000 producteurs de bœufs de la province de l’Ontario. Ma famille et moi exploitons une ferme dans le canton de Chisholm, près de Powassan. Pour être clair, c’est à quatre heures au nord de Toronto et à quatre heures à l’ouest d’ici. Je tiens à vous remercier de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui.
Presque tous les témoins ont parlé de l’importance du commerce pour l’économie canadienne; c’est extrêmement important. Mais pour mettre cela en contexte du point de vue de mon exploitation agricole, 40 % de la valeur de mon bétail peut maintenant être attribuée au commerce international, en partie grâce à des décennies d’améliorations progressives de l’accès au commerce. Peu importe comment et où je commercialise mes animaux ou mon bœuf, les accords commerciaux ont un impact positif sur la valeur des produits que je vends, car les bovins de boucherie sont cotés sur le marché mondial. Une marée montante soulève tous les bateaux.
En ce qui concerne le projet de loi C-282, nous appuyons pleinement le témoignage précédent de nos collègues de l’Association canadienne des bovins et de l’Association nationale des engraisseurs de bovins. Nous sommes ici aujourd’hui pour insister sur ces préoccupations et celles du secteur bovin de l’Ontario et de tous les secteurs dépendants des exportations, tant dans le secteur agricole qu’à l’extérieur, selon lesquelles le projet de loi C-282 est une mauvaise politique commerciale et une mauvaise affaire pour le Canada.
S’il est adopté, le projet de loi C-282 limiterait les négociateurs avant même le début des pourparlers. Cela pourrait donner lieu à des accords commerciaux moins ambitieux, mettant en péril des industries clés, en particulier celles qui dépendent des exportations, comme le secteur du bœuf et du bétail. Modifier la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement serait une mesure protectionniste sans précédent à un moment où nous nous préparons à renégocier avec notre plus grand et plus important partenaire commercial, les États-Unis. L’idée d’entraver ces négociations par l’adoption potentielle du projet de loi C-282 m’inquiète.
Un témoin précédent l’a mentionné, mais cela vaut la peine de le répéter : des responsables canadiens et d’anciens responsables américains ont déclaré publiquement que si le projet de loi C-282 avait été en place avant les renégociations de l’ALENA, nous n’aurions pas réussi. Nous tenons à préciser que le projet de loi C-282 n’est pas un référendum sur la gestion de l’offre et qu’il ne devrait pas être traité comme tel. Il s’agit d’une question de politique commerciale, et, au bout du compte, les gouvernements doivent garder toutes les options sur la table pour soutenir les accords commerciaux les plus significatifs et les plus solides possible. Le projet de loi C-282 porterait atteinte à cette capacité.
En tant qu’agriculteur dans un secteur dépendant des exportations, je vous exhorte, vous et vos collègues, à voter contre le projet de loi C-282. Ce projet de loi n’apporte aucune valeur pratique à l’économie ontarienne ou canadienne. Merci.
Le président : Merci beaucoup. Monsieur Gilvesy, s’il vous plaît.
George Gilvesy, président, Ontario Green House Vegetable Growers, Producteurs de fruits et légumes du Canada : Merci. Bonjour, sénatrices et sénateurs et membres du comité. Je m’appelle George Gilvesy. Je suis le président de l’Ontario Greenhouse Vegetable Growers et je suis ici au nom de Producteurs de fruits et légumes du Canada, ou PFLC. Merci de me donner l’occasion de comparaître.
Nous appuyons le privilège que la gestion de l’offre accorde à certains producteurs, mais la discussion d’aujourd’hui n’est pas un débat sur ce sujet. Il s’agit de préserver le statut du Canada en tant que nation commerçante, de veiller à ce que nos négociateurs aient de la souplesse à la veille de pourparlers continentaux cruciaux et d’éviter de cibler les produits non soumis à la gestion de l’offre, essentiels à notre économie et à notre sécurité alimentaire.
Le secteur de la serriculture est un parfait exemple de ces défis commerciaux. Avec plus de 80 % des exportations de produits de serre destinées aux États-Unis, cette industrie à elle seule contribue à hauteur de 4,8 milliards de dollars à l’économie canadienne et soutient 34 000 emplois dans toute la chaîne d’approvisionnement. La croissance du secteur est essentielle à un système alimentaire nord-américain sûr et intégré, comme en témoignent 11 années de hausse des ventes à la ferme, qui ont atteint 2,5 milliards de dollars en 2023. Ces chiffres soulignent à la fois l’impact économique et le besoin crucial de politiques stables sur le commerce transfrontalier.
Le Canada a récemment dû se défendre contre des mesures de rétorsion, et ce n’est pas hypothétique. À la suite des enquêtes mondiales de sauvegarde et servant à établir les faits menées par les États-Unis en 2020 sur les bleuets, les fraises, les poivrons frais, les concombres et les courges, on a menacé d’imposer de nouveaux tarifs américains et d’autres restrictions sur les importations. De telles mesures commerciales, ainsi que des mesures antidumping, pourraient déstabiliser le marché nord‑américain intégré des produits agricoles, obligeant potentiellement les producteurs canadiens à étendre leurs activités aux États-Unis et créant un risque de fuite des investissements transfrontaliers.
La politique agricole canadienne doit être durable et adaptative, et non pas établir de manière permanente les droits d’un groupe au détriment d’un autre. Les négociateurs commerciaux compétents du Canada ont à maintes reprises obtenu des accords solides qui servent nos intérêts nationaux et préservent l’accès essentiel au marché. Ils ont besoin de tous les outils pour continuer à obtenir des résultats commerciaux équilibrés pour tous les producteurs canadiens.
PFLC estime que l’exclusion protectionniste du projet de loi C-282 aggrave le déséquilibre concurrentiel et complique les négociations sur les irritants commerciaux cruciaux. Déjà, l’examen du projet de loi a attiré inutilement l’attention des principaux partenaires commerciaux, menaçant notre capacité à négocier des conditions commerciales sans obstacles supplémentaires. Nous devons à notre secteur et aux consommateurs canadiens de donner aux négociateurs la flexibilité nécessaire pour maintenir la force de l’agriculture canadienne.
Merci de votre temps et de votre attention.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Gilvesy.
[Français]
Mark Walker, vice-président, Marchés et commerce, Cereals Canada : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m’accueillir aujourd’hui. Je m’appelle Mark Walker et je suis vice-président des marchés et du commerce à Cereals Canada.
[Traduction]
Je suis également trésorier de l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire.
[Français]
Cereals Canada est l’association nationale de l’industrie du blé, du blé dur, de l’orge et de l’avoine au Canada. Nous représentons l’ensemble de la chaîne de valeur, des agriculteurs aux entreprises de développement des cultures, en passant par les manutentionnaires des grains et les exportateurs. Nos membres mettent l’accent sur les avantages d’une croissance menée par les exportations et facilitée par l’accès à divers marchés mondiaux. Les céréales canadiennes sont un aliment de base exporté dans plus de 80 pays. Au cours d’une année moyenne, le secteur canadien du blé, du blé dur, de l’orge et de l’avoine génère 68,8 milliards de dollars d’activité économique, avec notamment plus de 370 000 emplois au Canada.
[Traduction]
Aujourd’hui, je vais souligner non seulement l’impact négatif du projet de loi C-282 sur notre capacité à négocier des accords commerciaux et sur notre statut de nation dont les échanges sont fondés sur des règles, mais aussi la contradiction qu’il présente avec la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement.
Notre secteur s’est minutieusement taillé une place parmi les fournisseurs de produits alimentaires du monde. Le Canada a besoin d’un accès efficace aux marchés pour continuer à jouer son rôle de soutien à la sécurité alimentaire. Le recours aux accords commerciaux est essentiel pour protéger cet accès. Même maintenant, nos négociateurs s’efforcent de consolider les accords commerciaux avec les principaux marchés du blé, comme l’Indonésie, l’Équateur et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, ou ANASE. Le commerce d’exportation est l’élément vital du secteur des céréales. À l’échelle mondiale, le Canada est connu pour ses produits alimentaires.
Sénatrices et sénateurs, ce projet de loi est une mauvaise politique. Cereals Canada travaille dans le monde entier, dans des pays comme l’Algérie, le Maroc, le Nigéria, le Ghana et le Kenya. Lorsque notre équipe rencontre nos partenaires dans ces pays, nous sommes reconnus pour la qualité de nos produits agricoles et pour l’aide que nous apportons aux gouvernements et aux entreprises en matière de certitude des processus et des conditions commerciales. Le Canada donne l’exemple en défendant le commerce fondé sur des règles. L’adoption de ce projet de loi aura des répercussions importantes sur notre position internationale et notre capacité à faire des affaires avec le monde entier.
En cherchant à modifier l’article 10 de la loi, ce projet de loi contredit l’article 13, qui décrit les fonctions du ministre du Commerce international. L’article 13 prévoit que le ministre favorise le commerce international du Canada « [...] en facilitant, par voie de négociations la pénétration des denrées, produits et services canadiens dans les marchés extérieurs » et « en stimulant les relations commerciales avec les autres pays [...] ».
Le comité a entendu nos professionnels de la négociation de renommée mondiale dire que protéger un secteur au détriment des autres ne nous permettra pas de négocier des accords commerciaux comme l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, ou ACEUM. Ce projet de loi n’aidera pas les Canadiens dans leurs initiatives de commercialisation internationale ni ne favorisera les ventes à l’exportation, et il aura un impact négatif sur l’accès des produits canadiens au moyen de négociations commerciales. De plus, il limitera considérablement la capacité de nos négociateurs de rechercher des résultats commerciaux non économiques, ce que nos accords commerciaux recherchent de plus en plus fréquemment.
Compte tenu des répercussions négatives de ce projet de loi sur l’économie, Cereals Canada demande au comité de ne pas permettre au projet de loi C-282 d’aller de l’avant. Je répondrai avec plaisir à toutes vos questions.
Le président : Merci, monsieur Walker.
Grant McLellan, chef de la direction, Saskatchewan Cattlemen’s Association : Bonjour. Merci beaucoup de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui. Je m’appelle Grant McLellan, et je suis le chef de la direction de la Saskatchewan Cattlemen’s Association. Je suis ici aujourd’hui pour représenter les 12 000 éleveurs de bovin et exploitants de ranch de la Saskatchewan, dont la plupart dirigent des fermes familiales. J’ai grandi dans une ferme près de Holdfast, en Saskatchewan, que mon frère et mon père exploitent toujours.
C’est en Saskatchewan qu’on retrouve le deuxième cheptel bovin en importance du pays. Nos producteurs gèrent environ 19 millions d’acres de terre où poussent des herbes indigènes des prairies et des plantes fourragères. Les terres que nous gérons abritent une diversité d’oiseaux et d’animaux sauvages, dont plusieurs espèces en péril, ainsi que des herbes indigènes fragiles.
Notre industrie a compté pour plus de la moitié des recettes du bétail de la province, soit 2,4 milliards de dollars l’an dernier seulement. Tout comme les animaux que nos producteurs élèvent, nous apportons un important avantage économique, environnemental et social à la province et au pays. Nous sommes l’épine dorsale de la Saskatchewan rurale : nous fournissons des emplois, gérons les prairies, les zones humides et la faune et soutenons les collectivités rurales dans lesquelles nous vivons.
Notre industrie dépend fortement du commerce, exportant plus de la moitié de sa production. En Saskatchewan, notre principal partenaire commercial est les États-Unis, vers lesquels nous exportons principalement des bovins vivants. Cependant, le Mexique devient également un marché important pour le stock génétique des bovins de notre province.
Nous dépendons de l’accès aux marchés nouveaux et existants pour soutenir notre industrie. Le fait que le projet de loi C-282 — un projet de loi qui entraverait la capacité de nos négociateurs commerciaux de chercher à obtenir un accès plus large dans le monde — soit toujours en jeu indique clairement qu’il s’agit non pas d’un enjeu stratégique, mais plutôt d’un enjeu politique. Le commerce ne devrait pas être un jeu politique : il s’agit de notre gagne-pain.
Le projet de loi C-282 ne concerne pas la gestion de l’offre. Nous ne sommes pas ici pour parler de la gestion de l’offre, car le projet de loi C-282, pour l’essentiel, est une mauvaise politique commerciale. C’est franchement dommage que ce projet de loi soit utilisé pour créer une division dans un secteur agricole tellement interconnecté. L’ACEUM est un accord commercial très important pour le secteur du bétail. Alors que nous nous dirigeons vers l’examen de l’accord en 2026, nous avons déjà entendu dire que le projet de loi C-282 va créer des tensions inutiles avant même le début des négociations. Les représentants d’États américains et les intervenants de toute l’Amérique du Nord ont exprimé de sérieuses préoccupations quant aux effets du projet de loi C-282 sur nos relations commerciales.
Depuis que le Sénat a commencé à étudier le projet de loi C-282, les deux candidats à la présidence américaine ont déclaré qu’ils renégocieraient l’ACEUM. Cela devrait être alarmant pour toutes les entreprises et tous les produits au Canada, car 60 % de notre économie dépend du commerce avec les États-Unis.
Je vais simplement prendre un exemple d’une des organisations ici en Saskatchewan. La Saskatchewan Industrial and Mining Suppliers Association, une organisation membre comptant plus de 360 entreprises en Saskatchewan qui représentent la chaîne d’approvisionnement de sociétés comme Nutrien, Cameco et BHP, a exprimé de graves préoccupations au sujet de ce projet de loi et de la capacité continue d’élargir ses marchés. Ces membres représentent 17 milliards de dollars de ventes et emploient plus de 34 000 personnes en Saskatchewan. Franchement, cela peut même avoir des répercussions sur les initiatives écologiques du Canada, car une grande partie du travail effectué pour développer notre industrie nationale des éléments des terres rares vise à nous permettre d’absorber une partie du marché dominé par la Chine — un travail actuellement financé par les gouvernements de la Saskatchewan et du Canada.
Le président : Monsieur McLellan, je suis désolé de vous interrompre, mais nous avons dépassé le temps qui vous était alloué. Peut-être pourriez-vous ajouter quelques points pendant la période de questions et réponses.
M. McLellan : Merci.
Le président : Merci. Je tiens à souligner que le sénateur Dagenais du Québec s’est joint à nous.
Nous allons maintenant passer aux questions et réponses. Comme d’habitude, sénatrices et sénateurs, vous disposez de quatre minutes, à la fois pour la question et la réponse. Dans l’intérêt de tous, je vous prie d’être concis dans votre préambule et votre question afin que la participation des témoins soit le plus profitable possible.
J’aimerais souligner un autre point. Je vais être très strict quant au temps de parole parce que nous avons cinq témoins, et je sais que beaucoup d’entre vous ont des questions à poser et des choses à nous dire.
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup à tous nos témoins de leur témoignage convaincant aujourd’hui. Ma question s’adresse à M. Leblond.
Vous avez décrit les répercussions négatives potentielles que ce projet de loi pourrait avoir sur votre industrie et votre propre exploitation agricole. Pensez-vous que des amendements pourraient être apportés pour répondre aux préoccupations commerciales tout en offrant la protection de base que le projet de loi cherche à offrir?
M. Leblond : Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas un politicien, alors je vais être très direct la plupart du temps. Et comme je suis malentendant, je surveille vos lèvres et je vous regarde fixement.
Je ne sais rien de la protection de base. Je vais laisser cela aux gens du commerce. C’est pourquoi je suis si opposé au projet de loi C-282. Vous me demandez s’il y a quelque chose que nous pouvons faire à cette table. Je ne suis pas un expert à cet égard. Je peux vous dire que lorsque mes vaches et mes veaux quittent la ferme, selon le cas, 40 % de la valeur est là parce que c’est lié au commerce. Certaines parties des bovins ne sont pas utilisées ici au Canada et ailleurs, plus que jamais auparavant, à cause de l’évolution de notre culture et de ce genre de choses. Au bout du compte, 40 % de la valeur de ma vache provient du commerce international. Notre principal partenaire commercial est les États‑Unis, qui comptent pour 75 % des exportations de l’Ontario.
Le sénateur Ravalia : Si le projet de loi est adopté et que nos partenaires commerciaux ripostent en adoptant des mesures semblables, quelles seront les répercussions économiques sur votre ferme et sur d’autres fermes similaires dans tout le pays, selon vous?
M. Leblond : Vous commencez à réduire la valeur. Nous parlons maintenant d’expéditions encore plus loin, peut-être. Si vous négociez... Encore une fois, le commerce est du commerce. Je travaille dans une administration municipale. J’ai des lignes directrices, des règles, des éléments avec lesquels je peux négocier. C’est la même chose pour nos experts commerciaux, pas pour l’agriculteur de Chisholm, je suis désolé.
C’est la valeur actuelle. Si vous commencez à supprimer cette valeur, je vais gagner moins d’argent. Je suis un agriculteur de première génération qui a bâti son empire. Vous parlez maintenant de régir quelque chose qui va me faire perdre de l’argent, et j’essaie de faire fonctionner ma ferme.
Le sénateur Ravalia : Monsieur Walker, pourriez-vous peut‑être faire des commentaires à ce sujet, s’il vous plaît?
M. Walker : Absolument. Merci de la question. La meilleure voie à suivre pour ce projet de loi est de l’arrêter au comité. Je pense que les amendements ne font que couper les cheveux en quatre. Le commerce n’est pas un jeu à somme nulle, et c’est là le problème du projet de loi. Il y a des nuances qui ne peuvent être déterminées qu’à la table des négociations.
Pour répondre à votre question sur la concurrence et ce qui se passerait, nous verrions davantage de mesures protectionnistes s’appliquer à nos exportations dans les pays où nous bénéficions actuellement d’un bon accès au marché, ce qui ferait en sorte que les producteurs obtiendraient moins d’argent pour leur produit sur le marché. Nos produits de base sont commercialisés à l’échelle mondiale. Nous verrions une baisse de rentabilité. Cela aurait des répercussions négatives sur les collectivités rurales et sur les 370 000 emplois que soutiennent les céréales canadiennes au Canada — des répercussions très importantes et très réelles.
Le sénateur Ravalia : Merci.
Le sénateur Gold : Merci et bienvenue à tous les témoins. Ma question s’adresse à vous, monsieur Eyking.
Aujourd’hui même, le comité a reçu des mémoires d’intervenants du secteur agricole de partout au pays, dont BC Egg Producers Association et Producteurs d’œufs du Nouveau‑Brunswick. De leur point de vue, ils exhortent le comité à reconnaître le caractère unique du secteur agricole canadien en veillant à ce que les produits soumis à la gestion de l’offre ne fassent pas partie des négociations commerciales.
Je veux connaître votre point de vue, car vous avez été auparavant secrétaire parlementaire du ministre du Commerce international et du ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire. Vous avez entendu les deux versions de l’histoire. Quel est votre point de vue sur l’équilibre à établir entre les besoins du secteur de la gestion de l’offre — qui s’inquiète également de ses fermes et de leur bien-être, comme nous le reconnaissons tous et vous également, en tant que témoins —, tout en négociant de bons accords commerciaux? Nous l’avons déjà fait. Pensez-vous que le projet de loi C-282 changerait quelque chose à cet égard?
M. Eyking : Tout d’abord, lorsque je travaillais sur la Colline et au sein de tous ces comités et que je faisais partie du groupe de travail de Bob Speller, j’ai appris énormément au sujet de l’agriculture au pays et j’ai participé à des tables de négociation. J’ai beaucoup appris à la table de cuisine de mes parents. Mes frères s’occupaient de la gestion de l’offre. J’ai dû passer par là, je n’avais aucune protection. Mon épouse et moi avons créé des échanges sur les marchés commerciaux, donc le commerce était bon pour nous.
Je pense que vous pouvez faire les deux ici. Si le projet de loi n’est pas adopté, cela sera-t-il désastreux pour nous? Non. Mais je pense qu’il est utile, car j’ai constaté lors de nos négociations commerciales avec l’Europe, les États-Unis et divers pays que tout le monde a des produits sensibles qu’il ne veut pas voir sur la table. Je trouve que trop souvent, le plus facile quand ils viennent chez nous, ce sont les produits laitiers : tout le monde veut nous vendre plus de fromage ou de beurre ou quoi que ce soit d’autre. Je pense que les producteurs laitiers en pâtissent à chaque fois.
Cela relève davantage d’une question politique. Notre marché est très petit. Nous sommes de très petits producteurs dans l’ordre des choses pour nos producteurs laitiers. Nos troupeaux laitiers comptent en moyenne 50 vaches. Regardez les États‑Unis.
Donc, oui, d’autres pays ont des produits sensibles. Ils disent qu’on ne peut pas y toucher, que ce soit dans le domaine artistique ou autre. Je pense donc que nous devrions dire que nous avons un système qui fonctionne bien. Nous ne vendons pas en dessous des coûts de production nos œufs et notre lait au reste du monde. Et nous pouvons ensuite dire que nous pouvons vendre notre bœuf ou peu importe, mais nous ne vendons pas ces produits en dessous des coûts de production au reste du monde. Nous avons un bon système.
Je pense que c’est bon pour nos consommateurs. Je l’ai vu. Je l’ai vu aux États-Unis. Les œufs y sont plus chers qu’au Canada. J’ai vu comment ça fonctionne. J’ai vu comment sont leurs fermes. Je ne critique pas les Américains et leur façon de pratiquer l’agriculture, mais nous faisons du bon travail ici.
Retournons à nos produits sensibles. Nous pouvons leur dire que nous n’allons plus commercialiser nos produits laitiers ou nos produits de volaille juste pour qu’il y en ait un qui rentre chez lui et qui dise qu’il a réussi à arracher un peu plus aux Canadiens au chapitre du lait ou des produits laitiers, uniquement pour des raisons politiques. Ensuite, lorsqu’on veut exporter nos produits, qu’il s’agisse de nos sapins de Noël ou de nos pommes de terre, soudain, on se retrouve face à des obstacles non tarifaires. On est tout le temps confrontés à des obstacles non tarifaires. Prenez notre viande de bœuf; même s’il est prouvé scientifiquement que notre viande de bœuf est saine, soudain, la frontière n’est plus ouverte. J’ai tout vu. Dans les discussions, ils disent : « Prenez-leur plus de produits laitiers, et plus de produits de l’industrie avicole. »
C’est pourquoi nous devons y aller en étant fiers de notre régime. Nous disposons d’un régime et d’une industrie sensible. Ce régime est important pour nous. Notre climat est un climat du Nord. Donc, produire plus nous revient un peu plus cher. Nous devrions peut-être mieux expliquer au reste de la planète pourquoi notre régime est tel qu’il est.
Je pense que nous pouvons faire les deux. Nous l’avons fait auparavant, mais nous devons y aller et unir nos voix en expliquant que les deux régimes peuvent coexister. Nous pouvons commercialiser nos produits à l’intérieur des deux régimes.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse à l’honorable Mark Eyking.
Votre longue expérience nous intéresse. Pour continuer dans la même veine que ce que le sénateur Gold a abordé, pourriez-vous nous décrire les impacts, sur les producteurs et les communautés rurales, de plusieurs autres concessions à venir sur le plan des négociations commerciales si la gestion de l’offre venait à s’éteindre?
Des gens nous disent que ce projet de loi ne concerne pas la gestion de l’offre, mais en réalité, la gestion de l’offre comporte trois piliers. Il faut contrôler les entrées — les importations — pour que le prix soit mieux contrôlé et pour que nos producteurs puissent continuer d’investir. Quels seraient les impacts pour les producteurs sur ces concessions successives qui ont eu lieu et qui pourraient encore se produire à l’avenir?
[Traduction]
M. Eyking : Merci de la question, sénatrice.
Peut-être que cela va dépendre de chaque industrie — qu’il s’agisse de l’industrie du dindon ou des œufs — mais, en fin de compte, si vous autorisez certains produits venant de n’importe où dans le monde à entrer dans notre pays — si par exemple, on autorise soudain la Nouvelle-Zélande à exporter son beurre chez nous — quelle serait la répercussion? Qu’est-ce que cela va entraîner? Vous pensez que notre marché ne les intéresse pas parce que transporter du lait liquide de la Nouvelle-Zélande jusqu’au Canada coûte cher, mais exporter du beurre ou du fromage, en revanche, c’est facile. Alors, en quoi est-ce que cela affecte le fermier qui a 100 vaches laitières? Ils accaparent une part des négociations commerciales, et puis encore une autre. Tout le monde produit moins. Ce qui se passe, c’est que le fermier se retrouve avec moins de vaches, il est moins efficace, donc il n’y a pas assez de lait pour fabriquer de la crème glacée à un certain endroit. Tout a des conséquences.
C’est ce qui m’inquiète avec ces négociations commerciales. Je les ai vues, ces négociations. Les Européens, en particulier, essaient de venir chercher une petite part de cette industrie laitière. Les Irlandais souhaiteraient vendre davantage de fromage, ici. Les Français adoreraient également vendre davantage de beurre, ici. C’est une bonne chose, d’un point de vue politique. Vous pouvez rentrer chez vous et dire que vous avez défendu les intérêts des fermiers locaux. Mais, c’est notre régime de gestion de l’offre qui est attaqué, et lorsque cela se produit, le régime finit par s’écrouler, parce que vous n’avez plus la force de le faire fonctionner. Résultat : nous nous retrouvons à produire comme les États-Unis. Cela m’inquiète beaucoup. Ils ont d’immenses fermes. Leurs fermes laitières composent, à l’heure actuelle, avec la grippe aviaire. C’est du jamais vu. C’est parce que leurs fermes sont immenses, et les animaux sont à l’extérieur.
Alors, j’ai foi en notre régime. Je crois à nos prix, et je crois en notre façon de prendre soin de notre bien-être. Les producteurs d’œufs disposent à présent de cages plus adaptées. L’industrie change beaucoup, et cela a pris 50 ans.
Cependant, si vous voulez que les collectivités rurales du Québec et de l’Ontario survivent... si on retirait le régime de gestion de l’offre, si nos fermes ressemblaient à celles des États‑Unis, ou si notre lait provenait de l’autre côté de nos frontières, ces communautés changeraient radicalement. Je pense que cela répond à votre question.
Le sénateur Woo : Merci aux témoins d’être venus témoigner aujourd’hui. Ma question s’adresse à M. Eyking, s’il vous plaît.
Êtes-vous d’avis que le projet de loi C-282 devrait obliger la Couronne et ses ministres à ne pas donner davantage de parts de marché lors de futures négociations commerciales?
M. Eyking : Je suis commerçant, et c’est un sujet difficile pour moi, mais par expérience, je pense qu’ils vont encore et encore chercher à avoir davantage accès à l’industrie laitière et à l’industrie avicole. Les gens disent que les dindons coûtent moins cher aux États-Unis. Peut-être qu’ils sont juste de l’autre côté de la frontière ou je ne sais pas, mais dans l’ensemble, si ces pays ou blocs commerciaux savent que c’est l’industrie la plus accessible, et qu’ils peuvent toujours bénéficier du régime de gestion de l’offre, nous, en tant que Canadiens, si nous croyons en un régime, nous devons nous battre pour lui. En toute franchise, si nous vendons bien le produit... car nous comptons probablement pour 0,5 % de la production laitière dans le monde. Je ne fais que deviner, mais, c’est pour une raison politique que bon nombre de ces pays veulent une part de cette industrie. Pourquoi ne pouvons-nous pas aller de l’avant en disant : « Hé! Ne touchez pas à notre régime de gestion de l’offre. »
Le sénateur Woo : Vous pensez que le projet de loi devrait être contraignant?
M. Eyking : Et bien, dans le cas contraire, ils devraient le savoir dès le départ. Nous n’avons pas à l’accrocher sur un mur ou à l’agiter devant tout le monde, mais, ce ne devrait pas être négociable.
Le sénateur Woo : Êtes-vous d’avis que ce projet de loi, tel qu’il est écrit, contraint le gouvernement à ne pas offrir davantage de concessions?
M. Eyking : Selon moi, le projet de loi est assez clair. Lorsque les négociateurs se rendent à Washington... ne parlons pas de gestion de l’offre.
Le sénateur Woo : Si, pour une raison technique, le projet de loi n’est pas contraignant, et qu’il donne une marge de manœuvre au gouvernement pour qu’il y glisse une concession sur les industries visées par la gestion de l’offre, est-ce que vous diriez que le projet de loi est, de ce fait, déficient ou inadéquat, en quelque sorte?
M. Eyking : Pas vraiment. Nous avons vu ce qui s’est passé lors des négociations précédentes avec les Américains.
Le sénateur Woo : Donc, êtes-vous d’avis que le Canada devrait se montrer flexible pour...
M. Eyking : Non, non.
Le sénateur Woo : D’accord.
M. Eyking : Je l’ai fait lors de la négociation précédente avec l’administration Trump. C’était pour le Wisconsin, un État pivot, qui voulait une petite part de l’industrie laitière. Est-ce que vous pensez que ça aurait changé toute l’industrie aux États-Unis? Non. Cela n’a absolument rien changé. J’ai parlé aux producteurs laitiers; cela ne les a pas aidés. Il s’agissait d’une stratégie politique. Je ne pense pas qu’on devrait réaliser ces gains politiques sur le dos de nos producteurs laitiers. Nous devons nous montrer fermes là-dessus, ce n’est pas négociable.
Le sénateur Woo : Alors, êtes-vous d’avis que ce projet de loi devrait être non négociable, contraignant et qu’il oblige, en réalité, le gouvernement à ne pas consentir davantage de concessions?
M. Eyking : À moins qu’ils nous permettent de leur vendre davantage de lait et vice versa.
Le sénateur Woo : Non, mais nous ne disposons pas d’un système d’exportation...
M. Eyking : Je sais.
Le sénateur Woo : Cela n’a aucun sens. D’accord. Merci.
Le président : Chers collègues, je tiens à vous rappeler que nous avons deux témoins qui sont avec nous en mode virtuel, et qu’ils s’ennuient peut-être. C’est juste un commentaire.
Le sénateur MacDonald : Et bien, ils vont encore devoir s’ennuyer pour une autre session, car je dois encore poser quelques questions à mon ami, Mark Eyking.
Monsieur Eyking, quel plaisir de vous voir. Eyking Farms est l’un des plus grands succès à Cap-Breton; il a été bâti à la sueur de votre front. Votre père était un grand entrepreneur. Ma première question est la suivante : quelle a été la répercussion de l’ALENA et de l’ACEUM sur la viabilité ou la stabilité de votre production d’œufs et de votre entreprise?
M. Eyking : Je dois clarifier un point. Eyking Farms est divisée en plusieurs parties. Ma femme et moi, nous nous occupons des légumes. La répercussion sur les familles de Eyking Farms... mon neveu fait pousser des concombres. Ça peut aider à clarifier les choses.
Le sénateur MacDonald : Qu’en est-il des œufs?
M. Eyking : Ah, pour ce qui est des œufs.
Le sénateur MacDonald : Pour ce qui est de l’industrie des œufs?
M. Eyking : Je pense que la production d’œufs a été très stable, étant donné que nous n’avons renoncé à aucun quota d’œufs l’année dernière.
Le sénateur MacDonald : Alors, nos négociateurs ont donc bien protégé l’industrie des œufs?
M. Eyking : Oui, mais personne ne leur a demandé de le faire. Il semble que les gens visent tout le temps l’industrie laitière. C’est quoi la prochaine industrie? L’industrie des dindons? Mais vous avez raison; le fait est que l’industrie des œufs n’a pas été affectée.
Le sénateur MacDonald : Vous avez mentionné les légumes. Advenant une mesure compensatoire soudaine visant votre production de légumes, comment est-ce que cela affecterait cette partie de votre industrie?
M. Eyking : Je pense qu’il se passerait la même chose que ce qui s’est passé pour les producteurs de pommes de terre de l’Île‑du-Prince-Édouard, ou les producteurs de sapins de Noël. Ils se sont retrouvés face à des obstacles non tarifaires. On met en place des systèmes visant à ralentir vos ventes d’œufs ou... mon neveu vend principalement des légumes maintenant, et il les exporte dans les Caraïbes. Ils veulent ses choux. Ils ne mettent pas en place des obstacles. Ils ne peuvent pas faire pousser ces choux de qualité, car les choux qu’ils ont sont des choux d’hiver, et vous avez utilisé cet exemple.
Dans l’idéal, nous vendrions aux personnes qui souhaitent acheter nos produits. Les choses se compliquent lorsque nous rivalisons avec le bœuf australien ou Dieu sait quoi d’autre; et, je le conçois. À l’heure actuelle, il n’y a aucune taxe sur l’exportation de nos choux dans cette zone ou vice versa.
Le sénateur MacDonald : Quel pourcentage irait aux États‑Unis, est-ce que vous le savez?
M. Eyking : À l’heure actuelle, ils en reçoivent moins que lorsque nous avions l’entreprise. Nous avons vendu beaucoup de produits à Boston, et aux États du Sud. Mais, les Caraïbes semblent être un meilleur marché pour diverses raisons. Ils ont également conclu un bon accord avec l’entreprise McCain, et ils leur expédient des produits. Je suis commerçant, et j’y crois, mais je pense également qu’il y a certaines choses qu’il faut protéger. C’est très difficile pour moi. C’est quelque chose au sujet de quoi je me suis disputé avec mes frères autour de la table de la cuisine, mais, effectivement, cela a des répercussions.
Je suis fier d’acheter du lait qui est produit localement. Il n’y a qu’une seule façon de s’assurer que les choses restent ainsi, c’est en protégeant ces industries. Les États-Unis sont trop forts pour que nous rivalisions avec eux. Si vous ouvrez ne serait-ce qu’une fente de la frontière, ils vont venir encore et encore.
Le sénateur MacDonald : Merci.
La sénatrice M. Deacon : Monsieur Walker, de Cereals Canada, j’aimerais vous poser une première question, si je peux me permettre. C’est au sujet de la relation économique que vous entretenez avec les secteurs de la gestion de l’offre.
Nos producteurs de produits laitiers et de volaille doivent acheter de quoi nourrir leurs animaux quelque part. Êtes-vous, en tant que représentant de Cereals Canada, au courant de la quantité de nourriture, telle que l’orge ou l’avoine, par exemple, qui est achetée aux fournisseurs canadiens par rapport à celle qui est importée?
M. Walker : La réponse dépend de l’année donnée. Nous vendons une part de tous les produits de base que nous représentons sur la scène mondiale. Certaines années, les échanges transfrontaliers entre le Canada et les États-Unis, ou entre le Canada et la région indopacifique sont importants, et certaines années, nous vendons davantage sur le marché local, en fonction de l’écart de prix.
La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup. Vous avez entendu beaucoup de témoignages, ici. Vous avez vu certains mémoires et en avez produit. Y a-t-il quoi que ce soit que nous n’avons pas abordé, que vous voudriez nous rappeler ou sur quoi vous voudriez mettre l’accent avant que nous n’entamions notre dernière semaine d’audiences?
M. McLellan : J’aimerais revenir sur quelque chose qu’a très bien expliqué M. Walker. Ce sont des industries très interreliées. Il est évident que nous sommes davantage touchés par les échanges que certaines autres industries internes, mais c’est tout de même une question d’échanges commerciaux. Nous pourrions parler de la sécurité alimentaire; c’est certainement un sujet de discussion pour votre comité. En tant qu’éleveurs, nous sommes tous fiers de contribuer à la sécurité alimentaire tant nationale que mondiale. Mais au bout du compte, le Canada est un pays exportateur. Selon moi, nous avons une obligation morale d’aider à nourrir le monde. Nous ne devrions pas mettre de l’avant de mauvaises politiques commerciales qui mettent en péril ou réduisent notre capacité de négocier de bons accords dans l’avenir.
La sénatrice M. Deacon : Monsieur Leblond, je regarde ce qui concerne la compensation, et j’essaie de comprendre tout le spectre à la lumière des anciens accords commerciaux. Nous avons entendu dire, dans différentes réunions, que les producteurs et les transformateurs de produits laitiers et d’œufs s’attendent à recevoir plus de 1,7 milliard de dollars en paiements directs et en programmes d’investissement en réponse aux conséquences de l’ACEUM. Cette somme s’ajoute aux plus de 3 milliards de dollars en paiements directs prévus dans le cadre de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, l’AECG, et de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, le PTPGP. Si je comprends bien, ces programmes aideront à stimuler l’innovation et la croissance des secteurs sous gestion de l’offre. Est-ce que l’un de vos secteurs a reçu une compensation en échange des concessions commerciales qu’ils ont faites par le passé?
M. Leblond : Encore une fois, je suis agriculteur de première génération. J’ai commencé en 2006. Depuis, il n’y en a pas eu, à ma connaissance, mais je ne mettrais pas ma main au feu.
La sénatrice M. Deacon : Merci de la réponse.
M. Leblond : Je peux vous parler de certaines de ces autres concessions et du financement qui ont une incidence sur notre industrie.
La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup. Quelqu’un aimerait-il ajouter quelque chose? Merci.
La sénatrice Coyle : Merci à tous nos témoins d’aujourd’hui. La plupart d’entre vous — sauf une personne — nous ont dit que c’était une mauvaise politique : qu’elle était mauvaise pour votre industrie, mauvaise pour le Canada et mauvaise pour la sécurité alimentaire internationale. M. Eyking a dit que chaque nation avait des produits sensibles. Le Canada en a lui aussi, et ce sont nos secteurs sous gestion de l’offre. Ce sont nos produits sensibles. Comme vous le savez, parce que vous connaissez le dossier, ces produits ont été grandement protégés par le passé dans le cadre des négociations commerciales, mais nous n’avons pas légiféré à cet égard.
Monsieur Eyking, j’aimerais savoir si vous avez des exemples d’autres pays qui ont légiféré sur le genre de protections qui sont incluses dans ce projet de loi.
M. Eyking : Eh bien, oui. Peut-être pas dans le secteur de l’agriculture, mais je n’en doute pas. L’Inde le fait avec son riz. Vous ne pouvez pas tout simplement écouler du riz là-bas. Les États-Unis ont un projet de loi qui protège leur industrie de la défense et de l’avionique. Les Européens en ont. Ils ont tous des produits sensibles, et nous l’avons vu aux tables de négociations : « Vous ne pouvez pas toucher à cela, vous ne pouvez pas faire cela. » C’est aussi une question de culture, et nous le voyons.
La sénatrice Coyle : Ils sont sensibles...
M. Eyking : Oui, ils sont sensibles.
La sénatrice Coyle : ... mais sont-ils régis par une loi de la façon dont notre projet de loi le fait?
M. Eyking : Leurs négociateurs savent qu’ils ne doivent pas toucher à cela.
La sénatrice Coyle : Tout comme les nôtres en ce qui concerne la gestion de l’offre.
M. Eyking : Je pense que c’est bon que ce soit consigné quelque part pour leur rappeler nos produits sensibles. C’est pour cette raison que je ne le vois pas. Est-ce que ce sera un gros drapeau rouge bien visible pour le reste du monde? Je ne sais pas. Peut-être qu’ils diront qu’ils ont toujours su que les Canadiens protégeaient ces industries. Je pense que c’est quand même bien que nous le sachions dès le départ.
Pour répondre à votre question, oui, d’autres pays ont des produits sensibles qu’ils veulent protéger pour des raisons culturelles, ou pour d’autres raisons, pour leurs emplois. Donc, oui.
La sénatrice Coyle : Ce n’est pas ma question. Ma question concerne la loi. Nous le savons en ce qui concerne les produits sensibles; nous en avons tous.
M. Eyking : Je ne sais pas s’ils ont des lois. Tout ce que je sais, c’est que, quand ils se présentent à la table, ils le savent : ne touchez pas à cela.
La sénatrice Coyle : D’accord, tout comme le Canada.
M. Eyking : Quelqu’un leur a dit en arrivant.
La sénatrice Coyle : Monsieur Walker, vous avez mentionné que le commerce n’est pas un jeu où il n’y a ni gagnant ni perdant et que le Canada est un chef de file et qu’il montre l’exemple dans l’ordre commercial fondé sur des règles, disons. Pourriez-vous en dire un peu plus sur ces deux points et les lier au projet de loi que nous examinons?
M. Walker : Absolument. Je pense que le dernier témoin en a parlé brièvement. Les négociateurs, quand ils arrivent, ont toujours des objectifs en tête. On n’a pas besoin de légiférer là‑dessus. Nous le savons tous. Nos négociateurs sont de calibre mondial. La plus grande partie de notre économie dépend de l’exportation, donc nous avons besoin de flexibilité. Cela ne veut pas dire que nous devons publiciser ce que nous voulons négocier. Personne ne fait cela. Il faut cacher son jeu, mais nous devons surtout nous assurer que nos négociateurs ont, autant que possible, toutes les cartes en main et qu’ils sont capables de montrer que nous pouvons conclure une vraie entente.
La sénatrice Coyle : M. Gilvesy appelle cela une cible et dit que, si ce projet de loi était adopté, nous mettrions une cible sur nos produits commerciaux. Êtes-vous du même avis, monsieur Walker?
M. Walker : Tout à fait.
La sénatrice Coyle : Merci.
Le sénateur Klyne : Bienvenue à nos invités, et merci de vos déclarations. Ma question s’adresse à M. McLellan.
Disons que le pire qui peut arriver, c’est que, lorsque nous examinerons l’ACEUM, en 2026, en raison de ce projet de loi, les Américains préféreront se retirer de l’accord plutôt que de le prolonger. Quelles conséquences économiques cela aurait-il sur nos industries? Comment pouvez-vous quantifier les conséquences? Pensez-vous que ce serait dévastateur s’il n’y avait pas d’accord global avec les États-Unis, et comment vos organisations essaieraient-elles de s’en remettre?
M. McLellan : Une partie de la solution consisterait à revenir devant des comités comme celui-ci, et à encourager fortement un second examen objectif dans ce genre de chambre.
Nous exportons 70,7 % de notre bœuf aux États-Unis. Nous n’avons qu’à repenser — en ce qui concerne le contexte du bœuf et des bovins — à la crise de l’ESB en 2003, quand le marché bovin s’est littéralement effondré. Présentement, la contribution de cette industrie s’élève à 51,6 milliards de dollars pour la production des biens et services, à 21,8 milliards de dollars pour le PIB, et à 11,7 milliards de dollars pour le revenu du travail au Canada. Quand vous avez un si grand marché, cela l’expose à un grand risque.
Les États-Unis ne peuvent pas satisfaire leur demande interne, mais d’autres pays peuvent le faire. Le Brésil talonne vraiment les États-Unis en ce qui concerne la production de bœuf. Nous produisons toujours seulement environ 2 ou 3 % du bœuf dans le monde, mais nous dépendons toujours beaucoup d’une relation avec les États-Unis. Comme nous l’avons déjà mentionné, présentement, le Mexique importe 80 % de son matériel génétique bovin du Canada à des fins de croisement de certains de ses animaux. Il y a d’autres marchés. Je crois que le Mexique a glissé au troisième rang des exportations bovines du Canada. Je pense que le Japon vient de le dépasser. Si tout ce document était jeté à la poubelle, nous parlons de milliards et de milliards de dollars.
Le sénateur Klyne : Merci.
J’imagine que cette question pourrait s’adresser à n’importe qui ici, mais je vais la poser à M. Walker : est-ce que l’une ou l’autre de vos organisations, ou n’importe quelle organisation axée sur l’exportation à qui vous en avez peut-être parlé, ont été consultées pendant l’ébauche de celui-ci?
M. Walker : Non.
Le sénateur Klyne : C’est surprenant. Merci.
Le président : Merci. Quelqu’un d’autre a des questions pour cette première série de questions? Non? Nous allons donc passer à la deuxième série de questions.
[Français]
La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse autant aux deux témoins qui sont en ligne qu’à M. Leblond.
L’Accord économique et commercial global (AECG), qui est entré en vigueur en 2017, a éliminé les tarifs d’importation pour 50 000 tonnes de bœuf et de veau. Je précise qu’à cette occasion, la gestion de l’offre a dû se résoudre à sacrifier une partie de son marché intérieur en augmentant notamment les quotas d’importation de fromage au Canada, pour faire passer la limite à 16 000 tonnes par année. Pourtant, en 2022, dans le cas du bœuf, seulement 0,3 % des contingents prévus par l’accord ont été utilisés la même année.
À quoi cela sert-il donc que la gestion de l’offre soit amputée si le secteur du bœuf n’utilise pas pleinement ses quotas? Est-ce que vous pouvez nous expliquer à quoi cela sert d’amputer la gestion de l’offre si les quotas de bœuf ne sont pas atteints ni utilisés?
M. Leblond : Je vais vous répondre en anglais.
[Traduction]
Vous dites que nous importons des produits, mais que nous ne mangeons pas tout le bœuf que nous produisons?
[Français]
La sénatrice Gerba : Non.
M. Leblond : D’accord, je m’excuse.
[Traduction]
Le président : Monsieur McLellan, vous pouvez répondre.
M. McLellan : Je pense que j’ai compris l’essentiel de la question. On a négocié cela dans le cadre du PTPGP. Il y avait une section sur les bovins de boucherie qui nous permettait d’exporter jusqu’à un certain poids dans ces régions. C’est partiellement dû, présentement, à notre incapacité de répondre à l’offre parce que de grandes régions consacrées à l’élevage du bœuf, au Canada et aux États-Unis, ont connu des sécheresses de six ou sept ans et que les cheptels de bovin ont tellement diminué que c’est plus dispendieux de faire entrer ces produits sur ces marchés.
Comme je l’ai dit, le Japon est maintenant au deuxième rang des marchés d’exportation du bœuf canadien. C’est pour des coupes de viande traditionnelles et pour des coupes un peu moins traditionnelles. Le marché s’est ouvert à nous il y a un peu plus d’un an et demi. Il nous était fermé depuis environ 2003. Donc, nous sommes très heureux que le PTPGP laisse place à la croissance de l’industrie et permette aux éleveurs de bovins de continuer d’exporter leur produit dans d’autres marchés. Franchement, selon moi, c’est tout simplement une bonne politique commerciale de diversifier nos accès aux marchés.
Le sénateur MacDonald : C’est un sujet si intéressant. Chaque réponse entraîne une autre question. Je vais revenir à M. Eyking au sujet de la production d’œufs.
Vous avez dit que ni l’ALENA ni l’ACEUM n’avaient d’incidence sur l’industrie des œufs parce qu’elle n’avait jamais été mentionnée à la table. Les Américains doivent produire beaucoup d’œufs. Pourquoi cette industrie n’est-elle jamais mentionnée?
M. Eyking : Quand vous regardez la production mondiale des différents produits, les produits laitiers ou les œufs — mais surtout les produits laitiers —, le problème avec l’industrie laitière dans de nombreuses régions dans le monde, c’est qu’elle est subventionnée. Les Européens la subventionnent. Si un producteur a 10 vaches en Suisse, il reçoit 1 000 $ par vache. Devinez quoi? Les vaches finissent par produire trop de lait.
Le sénateur MacDonald : Je ne parle pas de l’industrie laitière. Ma question concerne les œufs. Pourquoi n’en avons‑nous pas parlé à la table?
M. Eyking : Parce que je pense que, dans nombre de ces pays, l’industrie des œufs n’est pas autant subventionnée que l’industrie laitière, donc il n’y a pas une offre excédentaire d’œufs pour l’exportation au Canada. Cela semble toujours être le problème de l’industrie laitière. Chez nous, en France, on n’aime pas entreposer du beurre et du fromage que l’on ne peut pas vendre, donc on négocie. Mais c’est leur problème; ils en produisent trop.
L’industrie de la volaille ne semble pas affectée autant par ce problème. Oui, il y a parfois de la pression des États-Unis lorsque la dinde est en promotion, et ils essaient de la vendre le long de la frontière. Il y a probablement des dindes et des poulets moins chers, là-bas, mais nos éleveurs sont plus petits, et nous en sommes là.
Je ne sais pas si cela répond à la question, mais l’industrie laitière semble toujours être concernée, et c’est en raison de la façon dont on produit le lait et parce que le secteur est subventionné, dans d’autres pays, qui veulent tous vendre plus de lait quand c’est le temps de négocier. Cela semble toujours en être ainsi. Ce n’est pas si pire pour les Néo-Zélandais, parce que leur plus grand avantage, c’est qu’ils peuvent produire du lait moins cher parce qu’ils n’ont pas d’étables pour leurs vaches. Ils peuvent produire une quantité déterminée de lait. Ils font alors autrement. Ils sont un gros exportateur — il y a seulement trois ou quatre millions d’habitants là-bas, et ils exportent 10 fois plus que ce que l’on produit au Canada, voire plus. Mais c’est parce que cela leur coûte moins cher.
Il y a aussi la question des subventions, et c’est pour cela qu’ils poussent la vente.
Le sénateur MacDonald : Merci.
La sénatrice Coyle : J’ai une question à vous poser, monsieur Leblond.
Vous avez dit que le projet de loi C-282 n’était pas un référendum sur la gestion de l’offre et vous avez dit qu’il était désavantageux pour le Canada. M. Eyking nous a dit qu’il craignait que nous soyons en train de dépecer notre système de gestion de l’offre au point d’entraîner son effondrement, et c’est pourquoi il pense que le projet de loi est une bonne idée.
Pourquoi est-ce que vous ne voyez pas cela comme un référendum sur le secteur sous gestion de l’offre? Craignez-vous vous aussi que, au bout du compte, notre système sous gestion de l’offre s’effondre si nous n’inscrivons pas cela dans la loi?
M. Leblond : J’ai regardé quelques séances et, pendant les nombreuses séances où des témoins ont comparu, 12 accords commerciaux — les 12 derniers, je crois — ont été mentionnés. Les témoins ont parlé des trois derniers accords pour lesquels il y avait eu des concessions au chapitre du secteur sous gestion de l’offre. Toutes ces concessions étaient — je ne veux pas dire qu’elles étaient subventionnées, je vais utiliser le mauvais terme — mais des compensations ont été versées pour contrebalancer cela.
Les gens du commerce sont des experts. Je ne suis pas un expert. Je n’ai pas l’impression qu’on le dépèce. Nous n’avons pas besoin de mettre cela par écrit. C’est déjà fait; c’est ce qu’a fait avec succès mon confrère ici présent il y a de nombreuses années, donc je ne comprends pas vraiment. Ça n’a aucun sens de faire cela.
C’est un projet de loi émanant d’un député de l’autre endroit. Il n’aurait jamais dû se rendre ici. Cela n’a aucun sens.
La sénatrice Coyle : Merci.
Le sénateur Woo : Monsieur Eyking, puisque vous êtes un ancien secrétaire parlementaire au commerce, j’aimerais vous poser une question sur les politiques commerciales.
Croyez-vous que l’adoption du projet de loi vaut le risque de compromettre notre accord commercial avec les États-Unis et le Mexique, sachant qu’il y aura une reprise des négociations en 2026?
M. Eyking : Je ne crois pas que cela va réellement le mettre en péril. Je crois qu’ils connaissent notre position quant à notre gestion de l’offre. À mon avis, beaucoup de fermiers américains aimeraient qu’il y ait une gestion de l’offre. Je crois que, pendant les négociations, nous devons être francs et dire que c’est un produit sensible. Nous vivons dans un pays nordique, et nous devons protéger ces industries.
Idéalement, nous devrions arriver à la table des négociations en sachant que nous n’allons pas céder sur le lait ou les produits laitiers, mais parfois, pendant les négociations, des décisions sont prises à la dernière minute, et puis soudainement...
Au bout du compte, les producteurs laitiers ne veulent pas plus d’argent. Ils ne veulent pas perdre leur marché et recevoir un dédommagement pour cela. Ils veulent continuer à produire. Ils veulent garder leurs 50 vaches. Ils veulent une belle ferme familiale. Ils ne veulent pas se faire dire : « Nous allons vous donner quelques centaines de milliers de dollars et vous allez avoir cinq animaux de moins l’année prochaine. » Ce n’est pas ce qu’ils veulent.
Je ne crois pas que cela va nuire beaucoup au commerce. Est‑ce que cela va faire sourciller les gens? Oui. Mais, si c’est suffisamment important pour le Canada, je crois que nous devrions montrer que nous lui accordons suffisamment d’importance pour le protéger.
Le sénateur Woo : Si j’ai bien compris, voilà comment se résume votre pensée : vous croyez qu’il y a un faible risque que cela ait de sérieuses répercussions sur notre relation commerciale avec les États-Unis et le Mexique, par l’entremise de l’ACEUM, et vous êtes disposé à prendre ce risque pour le projet de loi C-282? Est-ce bien cela?
M. Eyking : Oui, et je pense, aussi à l’avenir, pour faire valoir un autre argument. Les gouvernements changent, ici, donc, soudainement, un autre gouvernement arrive au pouvoir et dit : « Il n’y a pas beaucoup de votes à gagner au Québec. Peut‑être que nous n’allons pas autant lutter pour cela. »
Notre système est canadien. C’est un très bon système de gestion de l’offre. Si nous ne le regardons pas dans une perspective canadienne et que nous ne le protégeons pas, il sera progressivement dépecé, à moins que les gens sachent qu’il est protégé.
Le sénateur Woo : Donc, vous êtes disposé à prendre ce risque pour toujours. D’accord. C’est très utile. Merci.
Le président : Le temps est écoulé, alors, au nom du comité, je tiens à remercier nos témoins d’aujourd’hui. Nous avons eu une bonne discussion. Monsieur Eyking, allez-vous vous présenter encore une fois? Vous pourriez l’annoncer ici.
M. Eyking : Oui, monsieur. Je vais me présenter à toutes les portes avec mes petits-enfants, demain soir, pour passer l’Halloween.
Le président : Merci. Je tiens également à remercier M. Leblond, M. Gilvesy ainsi que M. Walker et M. McLellan, qui se sont joints à nous en ligne. Je vous remercie d’avoir pris le temps de comparaître devant nous. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Nous sommes très heureux d’accueillir, pour notre deuxième groupe de témoins, à titre personnel, M. Jonathan Fried, ancien ambassadeur du Canada au Japon, de 2008 à 2012, et à l’Organisation mondiale du commerce, de 2012 à 2017, et ancien conseiller en matière de politique étrangère auprès du premier ministre; M. Roland Paris, professeur titulaire et directeur, École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa et ancien conseiller en matière de politique étrangère auprès du premier ministre; et M. Sylvain Charlebois, professeur et directeur, Laboratoire d’analyse agroalimentaire, Université Dalhousie. Messieurs, je vous remercie de vous joindre à nous aujourd’hui.
Nous sommes prêts à écouter vos déclarations préliminaires. Tout comme le groupe de témoins précédent, vous avez trois minutes. Assurez-vous de respecter le temps, sinon je vais vous couper la parole.
Monsieur Fried, c’est à vous.
Jonathan Fried, ancien ambassadeur du Canada au Japon et à l’Organisation mondiale du commerce, à titre personnel : Merci beaucoup. C’est un honneur d’avoir été invité à comparaître devant vous. Vous et vos collègues avez tout mon respect pour avoir écouté avec autant d’attention tous les témoignages qui vous ont été présentés.
Je vais vous faire part de certaines de mes réflexions, inspirées de mes expériences gouvernementales passées en droit et politique du commerce et de l’économie. Je vais faire de mon mieux pour ne pas dépasser les trois minutes. J’ai donné à la greffière une version écrite de ma déclaration préliminaire, et je serais ravi qu’elle soit distribuée aux membres du comité, si c’était utile, particulièrement si je suis interrompu.
J’aimerais que ce soit clair : je ne me prononce pas sur les avantages du régime canadien de gestion de l’offre; mes préoccupations portent plutôt sur ce que les experts en droit administratif appellent « le choix de l’instrument ». Est-ce que les outils que vous voulez utiliser pour réaliser un objectif sont les plus appropriés pour la réalisation de l’objectif?
Selon moi, cette question est liée à trois questions suscitées par le projet de loi C-282. Premièrement, vous avez entendu d’autres témoins dire que la négociation des traités relève de la prérogative royale. Autrement dit, et comme je l’ai appris pendant mes études de droit, la négociation, jusqu’à la signature, d’un accord international est la responsabilité du pouvoir exécutif, tandis que le Parlement et, lorsque nécessaire, les assemblées législatives provinciales sont responsables de l’exécution de la loi.
Pourquoi le choix de l’instrument doit-il nous préoccuper? Je vais vous donner un exemple de l’Organisation mondiale du commerce.
Pendant la réunion ministérielle de 2015, il y avait déjà un mouvement considérable à l’international visant à réduire les distorsions dans le commerce agricole. Les membres ont exercé de fortes pressions pour que les subventions à l’exportation agricole soient supprimées. Le Canada, à cette époque, était l’un des rares pays, qui avait encore des programmes, y compris pour l’exportation des produits laitiers. Les négociations se sont déroulées sur le terrain, et les discussions avec les ministres des pays clés, tout au long de la réunion, jusqu’à la dernière soirée, ont été vives. À la fin de la soirée, un accord avait été conclu. Notre ministre de l’époque était en communication constante, presque à toutes les heures, avec les intervenants concernés, y compris l’industrie laitière. Elle savait, en concluant l’accord, que le secteur sous gestion de l’offre était d’accord.
Imaginons le scénario suivant : si l’accès au marché avait été la question en jeu, plutôt que les subventions à l’exportation, le projet de loi C-282 aurait empêché la ministre de se joindre à cet accord mondial de dernière minute. Elle aurait été obligée de revenir au Parlement, et le monde entier aurait attendu que le Parlement prenne une décision. C’est une approche totalement irréalisable dans le monde réel des négociations urgentes et critiques.
Deuxièmement — de nombreux autres témoins en ont parlé, et selon mon expérience, pour revenir à l’accord de libre-échange original entre le Canada et les États-Unis, l’ALENA, lorsque j’étais conseiller juridique principal, et pour revenir aux négociations subséquentes —, il est inévitable que nos partenaires de négociations répondent en retirant de la table un secteur d’intérêt pour le Canada. Avec son langage très général, il cachait le fait que ce qui est également en question, ce sont les ingrédients et les produits de seconde transformation qui pourraient être touchés, au Canada et à l’étranger, ce qui compromettrait l’intérêt national.
Je vais vous donner un exemple simple.
Le président : Monsieur Fried, je dois vous interrompre. Vous avez presque atteint quatre minutes. J’ai été très généreux.
M. Fried : Oui, je suis désolé. Je voulais vous parler de la pizza congelée.
Le président : Tant pis. Nous restons en haleine en attendant la période de questions. Je vois qu’il y a peut-être même une question sur cela, donc nous allons bien voir.
Monsieur Paris, allez-y.
Roland Paris, professeur titulaire et directeur, École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci. Je vais enchaîner sur la pizza congelée. Eh bien non, je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant vous, aujourd’hui.
Je devrais dire pour commencer que je ne suis pas un économiste agricole. Je suis expert en politique étrangère et en affaires internationales. C’est donc dans cette perspective que je me fais un plaisir de vous faire part de mes réflexions sur ce projet de loi.
J’ai trois choses à dire.
La première concerne le contexte. Nous entrons dans une période de grande incertitude, qui ne fait que croître, pour ce qui est des affaires internationales, y compris nos relations commerciales. La période d’après-guerre de la globalisation fondée sur des règles n’est pas terminée, mais elle a certainement atteint son apogée, alors que nous voyons le processus de déglobalisation prendre de la vitesse sous la forme de nouveaux tarifs, d’un éventail de nouvelles restrictions commerciales et de la montée du nationalisme économique, ce qui représente un défi de taille pour un pays comme le Canada, dont l’économie dépend énormément d’un commerce international ouvert, en particulier avec nos partenaires commerciaux les plus proches.
Mais maintenant, même ces relations sont plus incertaines qu’avant, et le Canada devra donc travailler d’arrache-pied dans les prochaines années simplement pour conserver l’accès au marché qu’il avait acquis pour ses exportations, jusqu’à présent. C’est certainement vrai pour le commerce entre le Canada et les États-Unis et pour l’examen critique de l’ACEUM prévu pour l’année prochaine, mais c’est également vrai pour le commerce avec les autres pays. Si, par exemple, l’Union européenne adopte de nouvelles pratiques commerciales protectionnistes ou de nouvelles mesures économiques en réaction à ce que font les autres pays, quelle sera la position du Canada? Comme vous le savez, nous n’en sommes pas membres.
En résumé, nous allons devoir travailler plus fort que jamais pour protéger nos propres intérêts nationaux dans un monde beaucoup plus imprévisible et beaucoup moins stable, ce qui m’amène à la deuxième chose que j’ai à dire.
Dans ce nouvel environnement, les représentants commerciaux canadiens devront être polyvalents, flexibles et prêts à faire face aux défis, dont certains pourraient exposer à un risque les intérêts économiques les plus fondamentaux du Canada. L’examen de l’ACEUM est déjà inscrit au calendrier et jette une ombre sur le bien-être de notre économie et sur le gagne-pain d’innombrables Canadiens dans l’ensemble du pays. Cette réalité est extrêmement sérieuse en elle-même, mais ce qui n’est pas inscrit au calendrier et ce que nous ne savons pas, c’est les répercussions de la montée rapide du nationalisme économique sur les autres relations commerciales du Canada.
Compte tenu de toutes ces incertitudes et de tous ces risques, c’est maintenant le moment le moins propice pour adopter une loi qui affaiblirait notre pouvoir de négociation en liant essentiellement les mains des négociateurs canadiens, qui auraient encore plus de difficulté à obtenir des concessions de nos partenaires commerciaux ou à réagir lorsque les plus importants intérêts économiques canadiens sont en péril.
Cela m’amène à mon dernier point, qui concerne le précédent que ce projet de loi établira. Contrairement à M. Fried, je ne suis pas avocat, et je ne comprends pas tous les détails de la prérogative royale et du pouvoir exécutif, mais je dirais que cette proposition soulève une question sensée et importante : si ce secteur mérite que ses intérêts soient consignés dans la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, pourquoi ce ne serait pas valable pour les autres?
Je crois que la plupart des Canadiens s’attendent à ce que le gouvernement du Canada et le Parlement tiennent compte des intérêts de tous les secteurs dans le contexte de l’intérêt national supérieur pour assurer le bien-être de tous les Canadiens. Je ne crois pas que c’est ce qui se produit présentement. Dire que la loi devrait interdire aux négociateurs canadiens de parler des quotas et des tarifs de notre système sous gestion de l’offre existant, même si le Canada était exposé à de sérieuses difficultés économiques, équivaut à dire que l’accord lui-même est plus important que nos intérêts économiques et que les intérêts du Canada.
Le président : Merci.
Sylvain Charlebois, professeur et directeur, Laboratoire d’analyse agroalimentaire, Université Dalhousie, à titre personnel : Merci de me donner l’opportunité d’aborder cette question cruciale pour l’avenir du Canada. La richesse et la prospérité de notre nation sont étroitement liées au commerce mondial, et le projet de loi C-282 représente un risque important, risquant de priver le Canada d’opportunités mondiales majeures qui pourraient autrement renforcer notre contribution à la sécurité alimentaire mondiale. Bien que vous ayez entendu de nombreux défenseurs de ce projet de loi au cours des dernières semaines, mon témoignage aujourd’hui se concentre sur l’impact préjudiciable que le projet de loi C-282 pourrait avoir sur le système de gestion de l’offre du Canada, en particulier pour les consommateurs canadiens.
D’un point de vue économique, la réduction de la concurrence conduit généralement à des secteurs plus faibles et moins innovants, et cela a été évident dans les industries sous gestion de l’offre au Canada. Ma principale préoccupation ne concerne pas les secteurs des œufs ou de la volaille, qui ont adopté l’intégration verticale et l’innovation, mais plutôt l’industrie laitière, de loin le plus grand composant du système de gestion de l’offre canadien en termes de recettes monétaires.
Bien que la gestion de l’offre ait été un facteur de stabilisation pour l’agriculture canadienne, elle est loin d’être une politique sans faille. Au fil des ans, l’industrie laitière a montré une réticence à évoluer de manière à mieux servir les consommateurs canadiens par la recherche scientifique et l’innovation. Je fournirai deux exemples clés pour illustrer ce point.
Par exemple, nous avons publié en 2022 une étude sur la polémique mieux connue sous le nom de « buttergate ». L’utilisation de palmitate — un dérivé de l’huile de palme — dans l’alimentation du bétail affecte la qualité du beurre. Aucun test n’avait été fait jusqu’à ce que nous le fassions, à l’Université de Guelph. Nous avons publié l’étude dans une revue scientifique, que tous peuvent consulter.
Le deuxième exemple concerne le gaspillage de lait. Une étude récente publiée dans Ecological Economics, co-rédigée par moi‑même et deux autres chercheurs, a révélé qu’entre 6,8 et 10 milliards de litres de lait ont été gaspillés dans les fermes canadiennes au cours de la dernière décennie, représentant près de 15 milliards de dollars de perte en valeur alimentaire. Le coût environnemental de ce gaspillage est stupéfiant, équivalant à l’ajout de 350 000 voitures sur les routes canadiennes en termes d’émissions de carbone.
En conclusion, le projet de loi C-282 non seulement empêcherait le secteur agroalimentaire plus large du Canada de saisir des opportunités mondiales et de réaliser des économies d’échelle qui pourraient aider à réduire les coûts alimentaires au niveau national, mais il enracinerait également davantage les inefficacités dans nos secteurs sous gestion de l’offre, en particulier dans l’industrie laitière. Le système, tel qu’il est, a besoin de réformes, et l’adoption du projet de loi C-282 ne ferait qu’aggraver les lacunes du cadre actuel.
Les deux études ont été distribuées à la greffière avant que je présente ma déclaration. Merci pour votre temps et votre attention.
Le président : Merci, monsieur Charlebois.
Chers collègues, nous allons maintenant passer à la période de questions et de réponses. Vous connaissez la routine. Vous avez quatre minutes chacun. S’il vous plaît, faites preuve de concision pour vos commentaires et vos questions.
Le sénateur Klyne : Je vous souhaite la bienvenue à notre comité et je vous remercie de vos déclarations. Ma première question est pour M. Charlebois.
Je vous remercie de vos déclarations et des études que vous continuez de publier. Vous avez dit dans un article de Troy Media, en février dernier, que le projet de loi C-282 « ... risquait de prendre en otage tous les autres secteurs économiques afin de protéger seulement les intérêts d’un petit groupe privilégié de fermiers ». Nous savons que la gestion de l’offre est un point litigieux dans les négociations commerciales; le Royaume-Uni, notamment, s’est retiré des négociations avec le Canada en raison d’un désaccord sur l’accès à notre marché laitier.
Pourriez-vous nous en dire plus sur les pertes potentielles que subiraient tous les secteurs si d’autres négociations commerciales tombaient à l’eau en raison de la nature protectionniste du projet de loi? Est-ce que le projet de loi pourrait avoir une incidence négative sur les secteurs commerciaux autres que le secteur agroalimentaire, dont le comité a surtout entendu parler?
M. Charlebois : Je vous remercie de la question, monsieur le sénateur. Il a été soutenu maintes fois devant le comité que le projet de loi C-282 essaie de protéger ou de sécuriser 1 % de l’économie. Je suis d’avis qu’il tente de sacrifier 100 % de l’économie. C’est essentiellement ce que je veux faire valoir ce soir. Les 99 % seraient perdants, et le message a été répété par de nombreuses industries — porcine, bovine et céréalière —, mais ce 1 % doit s’améliorer. J’ai toujours dit que la gestion de l’offre est une excellente politique si elle est optimisée, mais présentement, elle ne l’est pas. Elle est politisée, et le projet de loi C-282 est le fruit de cette politisation.
Le sénateur Klyne : Monsieur Paris, ma question ne porte pas sur les pizzas congelées, mais je vais peut-être revenir à M. Fried. Nous savons que le candidat républicain à la présidence envisage d’augmenter tous les tarifs, et ce, même si l’ACEUM a été négocié pendant son mandat, et nous savons que la candidate démocrate à la présidence, lorsqu’elle était sénatrice, a été l’une des dix personnes qui ont voté contre l’ACEUM. Quelles répercussions cela a-t-il sur les travaux que nous faisons pour le projet de loi?
M. Paris : Bien des témoins qui ont comparu devant le comité ont fait valoir que cela pourrait potentiellement provoquer une réaction de l’administration et des négociateurs américains. Pendant la dernière séance, j’ai entendu dire que cela pourrait mettre une cible sur le secteur. Je me demande donc si, d’un côté, c’est seulement symbolique, comme certains l’ont affirmé, d’intégrer la politique dans une loi, pourquoi faire cela à des fins purement symboliques et prendre le risque de provoquer notre principal partenaire commercial, ou, un peu moins radicalement, d’affaiblir la position de nos négociateurs commerciaux?
Et s’il vise à imposer une contrainte importante, eh bien, comme je l’ai dit dans ma déclaration, cela tombe à un très mauvais moment. Nous savons que nous devons nous préparer à de difficiles négociations à venir avec les États-Unis. Elles seront plus ou moins difficiles, selon le candidat à la présidence qui sera élu, mais elles seront ardues.
Nous ne savons pas quelles autres difficultés pourraient surgir, et cela fait partie du contexte dans lequel nous vivons présentement. Ce n’est pas seulement au chapitre du commerce; c’est partout, comme vous le savez, au comité. Qu’il s’agisse de notre sécurité nationale, de nos politiques et pratiques en matière de sécurité internationale ou de tout autre domaine, nous faisons face à une période beaucoup plus incertaine. Le Canada doit être prêt à promouvoir et à défendre ses propres intérêts dans ce contexte.
Le président : Merci, monsieur Paris.
Le sénateur Dean : Je vous remercie de vous être joints à nous et de vos excellentes déclarations. Avant vous, le comité a reçu un représentant des Producteurs de fruits et légumes du Canada, qui nous ont dit que la gestion de l’offre est un privilège et non un droit. D’autres témoins ont dit que le projet de loi était une mesure de protectionnisme préventif, qui nuirait l’équilibre concurrentiel et attiserait les frictions commerciales, qu’il s’agissait d’une mauvaise politique commerciale et qu’il introduirait de la rigidité dans des secteurs où nous devrions viser la flexibilité, et ainsi de suite.
Je dirais que vous vous faites l’écho d’un grand nombre de ces réflexions dans un contexte plus universitaire et fondé sur la recherche. Essentiellement, tout ce qui a été dit aujourd’hui mène à la même conclusion, qui est que c’est un mauvais projet de loi; c’est une mauvaise politique, et il devrait être rejeté. Je vous le demande très simplement : est-ce que c’est que vous nous conseillez?
M. Paris : Je crois que j’ai très clairement exposé ma position sur le projet de loi. Puisque M. Fried n’a pas encore eu l’occasion de répondre aux questions, je vais le laisser le faire.
M. Fried : Pour revenir à ce que vous essayez de faire, qui est de vous assurer que les négociations futures tiennent dûment compte de l’importance du secteur sous gestion de l’offre, si c’est la politique choisie — hormis la question de savoir qui est responsable, le pouvoir exécutif ou législatif —, c’est à bien des égards superflu, car la pratique courante, et vous le savez beaucoup mieux que moi en tant que professionnels, dans l’autre chambre, est que le gouvernement, avant d’entamer toute négociation, doit donner avis au Parlement dans les 90 jours puis dans les 30 jours pour dire : « Quels sont mes objectifs? » Cela signifie que le Parlement a son mot à dire juste avant et peut définir ce qui est sensible, ce qui est important. Ce n’est pas nécessaire, dans une certaine mesure.
Deuxièmement, comme j’ai essayé de le démontrer avec mon exemple précédent, dans le vrai monde des négociations, cela pourrait potentiellement nous coûter un accord et avoir des répercussions sur de nombreux autres secteurs.
Je vais tout de même garder le sujet de la pizza congelée pour plus tard.
M. Charlebois : Peu importe le résultat, le projet de loi laissera d’importantes séquelles, soit la division qu’il crée présentement dans le secteur agricole canadien. C’est la première fois que je vois — en tant que professeur qui observe l’agriculture canadienne — le secteur si ouvertement divisé. Il y aura des victimes. C’est triste de voir ce projet de loi arriver aujourd’hui au Sénat, parce qu’il y a beaucoup de gens derrière moi qui sont en désaccord et qui sont forcés d’exprimer publiquement et ouvertement leur désaccord. Cela n’aide vraiment pas.
[Français]
La sénatrice Verner : Bienvenue à vous trois. Monsieur Charlebois, vous êtes un expert très connu au Québec, particulièrement à Québec, la région où j’habite. Vous avez mentionné notamment sur le réseau X il y a quelques jours votre opposition au projet de loi, car il s’agit à votre avis d’une politique faible. Vous avez également affirmé que vous vous souciez des répercussions sur 99 % du reste de notre économie. Êtes-vous en mesure de cerner les autres secteurs, notamment dans l’agriculture, où il pourrait y avoir, selon vous, des conséquences plus importantes?
M. Charlebois : J’ai eu la chance de travailler avec le ministre Champagne l’an dernier sur l’abordabilité alimentaire au Canada. Il faut reconnaître que la raison pour laquelle on vend et on achète avec le reste du monde, c’est pour maintenir une abordabilité alimentaire acceptable pour les Canadiens. Notre rythme de vie est abordable surtout en raison de cela. Plus le Canada est en mesure d’être ouvert au monde, plus il devient un endroit intéressant où investir.
Quand je soutiens des entreprises en démarrage dans des secteurs bien établis, c’est plus facile d’argumenter qu’on peut investir dans ces secteurs si on a des accords intéressants avec le reste du monde. Que ce soit des petites ou de grandes entreprises dans votre province, sénatrice, un grand nombre de petites entreprises dépendent de ces ententes pour grandir. Nous ne sommes que 41 millions de personnes dans un des plus vastes pays du monde. C’est rêver en couleur que de limiter l’espoir de ces entreprises. Ce serait malheureux.
La sénatrice Verner : En agriculture, je pense au secteur du bœuf par exemple. Vous avez mentionné récemment que le cheptel canadien et le cheptel américain étaient en décroissance pour plusieurs raisons. Est-ce une industrie qui pourrait faire l’objet de répercussions s’il fallait faire face à des réactions négatives de la part de nos partenaires?
M. Charlebois : Voici les plus grands risques : les grains et les protéines animalières, comme le bœuf et le porc. C’est ce groupe qui risque d’être très affecté par le projet de loi C-282.
La sénatrice Verner : J’ai 30 secondes pour parler des pertes de lait dont vous avez fait état; bien des Canadiens ont sourcillé en raison des milliards de dollars qui ont été perdus en litres de lait. Pensez-vous qu’un projet de loi de cet ordre nous protégerait de cela? Ce genre de problème s’accentuerait-il? Cela resterait-il pareil?
M. Charlebois : Le principal message de notre étude était le manque de transparence. On devrait connaître la réponse. Les producteurs laitiers du Canada réfutent nos résultats, mais ne nous disent pas quels sont leurs chiffres. Ce sont des quotas sanctionnés par l’État. Les Canadiens ont le droit de le savoir.
[Traduction]
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie d’être venus et des importants travaux que vous faites. Nous vivons certainement une époque intéressante. J’ai premièrement une petite question fermée à vous poser. La Chambre a tenu environ quatre séances sur ce projet de loi. Est-ce que vous avez été consultés pendant ces séances? Non?
M. Charlebois : Par des groupes, oui, mais pas par les politiciens du comité.
La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup. Pour revenir à la Chambre, on ne cesse de nous dire que des membres de chaque parti avaient voté en faveur du projet de loi et dans une majorité écrasante. On nous a dit que le Sénat irait à l’encontre de la volonté des élus et, par conséquent, de la volonté des Canadiens, s’il votait contre le projet de loi ou s’il l’amendait, car la Chambre l’a très largement soutenu.
Ma question est pour vous trois, mais j’aimerais que M. Paris réponde en premier. Selon vous, pourquoi le projet de loi, à ce moment-là, a-t-il obtenu un soutien aussi enthousiasme, à l’autre endroit, s’il est si bancal?
M. Paris : Je vais dire pour commencer que la Chambre des communes a tout à fait le droit d’adopter le projet de loi, que le Parlement a le droit de l’adopter. S’il devient une loi, elle sera légitime. Il n’en reste pas moins que ce ne sera pas une bonne politique, mais les législateurs ont le droit de faire cela.
La réponse simple à votre question est qu’il s’agit d’un exemple classique où un intérêt focalisé et limité a préséance sur un intérêt plus général et répandu. C’est lié à un concept du domaine de l’économie et de la science politique que l’on appelle « la capture réglementaire », qui décrit une situation où un intérêt particulier exerce une influence prépondérante sur les dispositions réglementaires qui régissent le secteur. Souvent, dans des cas comme celui-ci, c’est l’intérêt particulier qui récolte les principaux bénéfices de la réglementation, et les coûts sont assumés par un grand groupe de personnes, en l’occurrence les contribuables.
Ce que je veux dire, c’est que les coûts de l’adoption du projet de loi pourraient être plus importants puisque nos relations commerciales se heurtent à des difficultés croissantes. C’est une période extrêmement difficile pour le Canada, et, si nous lions les mains de nos négociateurs, ce qui est vraisemblablement une conséquence et un abus du pouvoir de la capture réglementaire, il pourrait dorénavant être plus difficile pour le Canada de maintenir l’accès aux marchés de ses partenaires commerciaux clés.
M. Fried : Je n’ai pas grand-chose à ajouter à ce qu’a dit M. Paris. Nous respectons la volonté du Parlement. Toutefois, nous devons tout de même nous demander si ce qui est reflété — les voix qui ont été entendues et celles qui n’ont pas été entendues, les personnes qui ont été consultées et celles qui n’ont pas été consultées — a été réellement pris en compte. D’autres personnes ont plus ou moins dit qu’il n’y a pas eu de consultations ou d’évaluations complètes touchant les conséquences en amont et en aval.
M. Charlebois : Politiquement, c’est un projet de loi ingénieux. Économiquement, c’est une très mauvaise idée.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Le sénateur Woo : Merci à tous nous témoins. Ma question s’adresse à M. Fried.
Certains des témoins précédents ont dit que le projet de loi, malgré ses apparences, ne fait pas ce qu’il cherche à faire; en réalité, il ne contraint pas la Couronne, en raison d’un certain nombre d’arguments juridiques obscurs dont je ne vais pas discuter ici. Si tel est le cas, s’il ne fait pas ce qu’il cherche à faire ou qu’il est, au mieux, très ambigu, est-ce que cela changerait votre opinion sur le bien-fondé du projet de loi?
M. Fried : Monsieur le sénateur, j’ai essayé plus tôt de dire dans mes déclarations que les contraintes imposées empêchent concrètement un ministre de signer un accord, peu importe quel est le juste équilibre entre les intérêts spéciaux focalisés et l’intérêt national, si c’est un élément. S’il s’agit d’une augmentation de 0,001 % du contingent tarifaire, le ou la ministre devra dire : « Oups, attendez un peu. Je dois consulter. »
Le sénateur Woo : Oui, mais même pour ce qui est du processus parlementaire, vous nous avez rappelé que le gouvernement doit présenter un plan d’information avec les parlementaires et ainsi de suite, avant le début des négociations. Disons que le projet de loi n’indique pas clairement qu’il contraint la Couronne, et que l’interprétation qu’en fait la Couronne est qu’il la contraint et qu’elle présente un plan disant « Les produits laitiers sont exclus; nous n’allons pas en discuter ». Les parlementaires pourraient dire : « Dans les faits, notre interprétation est qu’il ne contraint pas la Couronne. Pourquoi est-ce que vous excluez la gestion de l’offre? Pourquoi est-ce que vous privez les Canadiens du droit d’avoir un meilleur accord en vous contraignant vous-même alors que vous n’avez pas été contraint? »
Est-ce que c’est un scénario insensé?
M. Fried : Monsieur le sénateur, vous avez évoqué un scénario hypothétique. Nous ne le savons pas. Nous n’avons jamais eu, à ma connaissance, un projet de loi comme celui-ci, qui contraindrait ce qui autrement relève historiquement du pouvoir souverain par l’entremise de la prérogative royale de prendre des mesures exécutives. Donc, je ne peux pas vraiment répondre à votre question.
Le sénateur Woo : Et est-ce que cette possible ambiguïté, en elle-même, devrait être une raison de se méfier du projet de loi?
M. Fried : L’ambiguïté, d’un côté, et la formulation directe, de l’autre, comme de nombreux autres témoins l’ont dit, lèvent un drapeau rouge, nous mettent dans la ligne de mire, fait de nous une cible, etc., qui suscitera une réaction, selon moi.
Le sénateur Woo : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bienvenue à nos invités. Vous êtes tous des experts du commerce international, donc j’imagine que vous savez que l’OMC autorise des exceptions commerciales pour certains secteurs essentiels.
Est-ce exact? Êtes-vous au courant de cela?
[Traduction]
M. Fried : Je ne suis pas sûr de savoir ce que vous voulez dire par secteurs. Il y a deux catégories d’exceptions majeures...
La sénatrice Gerba : Je suis désolée. Je parle des exceptions.
M. Fried : Comme je l’ai dit, l’Organisation mondiale du commerce a prévu des exceptions pour la santé publique, la sécurité publique, la moralité publique et la sécurité nationale.
[Français]
La sénatrice Gerba : Monsieur Fried, vous avez été ambassadeur au Japon. Vous savez qu’au Japon, la loi sur la protection du secteur du riz a été adoptée pour protéger les producteurs du Japon. Cette législation vise à gérer la production, la distribution et la consommation du riz tout en garantissant la qualité du riz japonais. Le Japon a une forte tradition de culture du riz et cette loi protège le marché local en limitant notamment les importations de riz étranger, afin de s’assurer que les producteurs japonais puissent vendre leurs produits.
Monsieur Fried, compte tenu de votre expérience comme négociateur, pensez-vous que le Japon fait fausse route en protégeant son riz, comme le ferait le Canada avec la gestion de l’offre? Par ailleurs, pourriez-vous préciser si notre accord commercial avec le Japon a mené à des concessions sur la gestion de l’offre?
[Traduction]
M. Fried : Merci, madame la sénatrice. Vous avez posé deux questions à quelqu’un qui n’est pas un expert national des lois et règlements japonais.
Il est évident que le Japon a un marché très limité pour l’importation du riz et applique un tarif très élevé sur le produit, dans les 600 à 800 %. C’est encore plus élevé que nos tarifs canadiens sur les produits laitiers et la volaille. À ma connaissance, ce n’est pas toutefois une interdiction totale, et nous avons simplement un très petit contingent tarifaire.
Le Japon revoit ses politiques, car l’âge moyen de ses fermiers est de plus de 70 ans. Ils ne sont pas remplacés par une génération plus jeune. Le pays comprend qu’il se prive, étant donné le coût élevé des marchés d’exportation potentiels et du riz à coût très élevé qui fait concurrence à l’Inde, à la Thaïlande et ainsi de suite, dans ses propres régions.
Ce n’est pas à moi de dire si c’est une erreur. C’est un choix de politique intérieure. Il existe des parallèles, comme vous l’avez vous-même évoqué, entre sa politique de tarif élevé et notre politique de tarif élevé pour la gestion de l’offre.
[Français]
La sénatrice Gerba : Êtes-vous au courant tous les trois également de la politique du Farm Bill américain qui protège le sucre? Oui ou non?
[Traduction]
Le président : S’il vous plaît, répondez rapidement, car nous avons dépassé les quatre minutes allouées.
[Français]
M. Charlebois : En fait, le Farm Bill est actuellement en processus de renégociation. Je crois que les négociations ont été mises sur pause en raison des élections. C’est ce que je comprends pour l’instant.
M. Paris : Bien respectueusement, je crois que la question clé ne porte pas sur les politiques internes des autres pays. La question est plutôt de savoir si le projet de loi est dans l’intérêt de l’économie de notre pays. Comme l’ont affirmé plusieurs témoins, c’est peu probable qu’il le soit.
La sénatrice Gerba : Si je peux me permettre, la question clé, c’est celle-ci. Si les autres brandissent des drapeaux rouges, devons-nous le faire nous aussi?
Le président : Sénatrice Gerba, vous en êtes pratiquement à cinq minutes.
[Traduction]
Le sénateur Ravalia : Je vous remercie de vos témoignages d’aujourd’hui.
Monsieur Fried, nous avons entendu plusieurs témoins parler de la vulnérabilité du commerce mondial fondé sur les règlements et du possible abandon du multilatéralisme. Selon votre expérience, avec vos nombreux portefeuilles, croyez-vous qu’il existe, des stratégies diplomatiques que le Canada pourrait envisager ou des discussions privées qu’il pourrait tenir afin de pallier les inquiétudes du secteur sous gestion de l’offre ainsi que de nos secteurs plus généraux axés sur l’exportation?
M. Fried : Je vous remercie de la question. Tout comme votre question, ma réponse sera en deux parties.
La première partie est que les accords bilatéraux, régionaux, plurilatéraux et multilatéraux peuvent et doivent coexister. Cela a été le cas pour la totalité de la période après-guerre. Cela est reflété dans notre accord de libre-échange original et dans notre réseau grandissant d’accords de libre-échange, qui existent parallèlement au système de l’OMC; ils ne minent pas le système. Parfois, parmi les pays aux vues similaires, les règlements, les disciplines et le marché se développent plus loin et plus vite que si l’on attendait après les 166 pays qui font aujourd’hui partie de l’OMC.
La deuxième partie est que, grâce à mes prédécesseurs et mes successeurs, le Canada investit depuis longtemps pour le long terme. L’OMC, selon l’opinion générale, fait du bon travail pour les questions dont elle traite, mais les règles ont des lacunes. Depuis longtemps, les pays se servent des disciplines agricoles comme passe-droit pour les subventions, que ce soit l’Union européenne, les États-Unis ou la Chine.
Le Canada essaie depuis longtemps d’être un moteur — avec d’autres producteurs agricoles importants qui font partie du groupe de Cairns, une organisation informelle — pour établir et maintenir un consensus international plus large sur la réduction mondiale des subventions afin d’éviter les distorsions. Nous ne pouvons pas traiter aujourd’hui des subventions du Wisconsin, car elles sont nationales et que les règles de l’OMC entrent en vigueur à la frontière, donc nous ne pouvons pas prendre des mesures compensatoires parce qu’il n’y a aucun intrant. Nous avons besoin de meilleurs règlements mondiaux sur les subventions agricoles. Le groupe de Cairns, l’Organisation de coopération et de développement économiques, la Coopération économique Asie-Pacifique et d’autres organismes en discutent dans le but d’établir un consensus.
Le Canada a fait la bonne chose en cherchant, lorsque possible, à profiter des occasions régionales et plurilatérales et en essayant de favoriser de meilleurs règlements internationaux plus robustes.
Le dernier exemple est le groupe d’Ottawa, un rassemblement informel — un groupe de puissances moyennes aux vues similaires, qui accorde de l’importance au système fondé sur les règles. Le Canada, ainsi que l’Union européenne et le Japon, sans attendre l’accord des États-Unis et de la Chine, essaient ensemble de trouver une manière de faire évoluer le système.
Le sénateur Ravalia : La pizza congelée était l’autre sujet de curiosité important.
M. Fried : C’est un exemple simple, qui s’inspire de ce que mes deux collègues ont dit ici, à savoir qu’il faut tenir compte des conséquences en amont et en aval.
Prenons la pizza congelée. Presque toutes les pizzas congelées sont recouvertes de fromage râpé. Que font les fabricants de pizza canadiens? Ils doivent acheter du fromage canadien coûteux. Cela veut dire que le fabricant ou la fabricante, McCain ou une jeune entreprise, vont se retrouver avec une pizza trop coûteuse pour être vendue à l’étranger. Le coût élevé du produit final empêche le sous-secteur de saisir des occasions d’exportations à l’étranger. Ce serait la même chose pour les croquettes de poulet ou les aliments transformés. En effet, nous parlons habituellement, au Canada, d’une industrie agroalimentaire.
Le président : Merci, monsieur Fried. Je vois que nous avons enfin traité de la question de la pizza, et aussi que le temps est écoulé.
La sénatrice Coyle : J’ai d’abord une question à poser à M. Charlebois. Votre témoignage mettait l’accent sur l’incidence négative du projet de loi sur tous les secteurs, le secteur sous gestion de l’offre et les autres. Je me pose des questions; vous avez plus tôt parlé des producteurs, ce qui est important, mais il y a également des consommateurs au Canada. L’un des arguments avancés par le secteur sous gestion de l’offre, c’est qu’il permettrait d’offrir de meilleurs prix aux Canadiens, en particulier pour les œufs et les produits de ce genre. Je crois que vous avez travaillé sur le prix de détail et sur le projet de loi.
Pourriez-vous nous en dire plus sur cette partie de votre argument?
M. Charlebois : Bien sûr. La gestion de l’offre peut être avantageuse. Elle permet de stabiliser les prix dans notre économie, mais elle ne fait pas nécessairement de meilleurs prix. C’est quelque chose qui doit être clarifié. Lorsque vous regardez le prix, par exemple, aux États-Unis, parfois certains produits sont moins chers, mais ce n’est pas toujours le cas. L’avantage de la gestion de l’offre est la stabilisation de l’offre et de la demande. Les Canadiens ont d’ailleurs été avantagés par des prix plus stables pendant plusieurs décennies.
La sénatrice Coyle : Est-ce que le projet de loi pourrait avoir des répercussions sur le prix de détail dans différents secteurs?
M. Charlebois : Non, je ne crois pas. La gestion de l’offre a survécu à trois accords commerciaux.
La sénatrice Coyle : Qu’en est-il des autres secteurs?
M. Charlebois : Non, je ne crois pas. Il pourrait même rendre notre secteur agroalimentaire plus concurrentiel. Nous développons des économies d’échelle internationale afin d’avantager notre marché intérieur.
La sénatrice Coyle : Donc, cela améliorerait la situation des consommateurs?
M. Charlebois : Tout à fait. Actuellement, nous parlons souvent des prix de détail. Au Canada, les prix de gros se laissent peu à peu distancer par ceux des États-Unis. Nous sommes moins concurrentiels que nous l’étions il y a 10 ans. La dernière chose à faire, ce serait d’adopter un projet de loi comme le projet de loi C-282, qui pourrait rendre le secteur agroalimentaire moins concurrentiel.
La sénatrice Coyle : Monsieur Paris, ma question s’adresse à vous. Je crois que votre dernier argument portait sur le fait que cela pourrait créer un précédent. Pourriez-vous nous en dire plus?
M. Paris : Comme je l’ai dit, en principe, le projet de loi soulève la question suivante : si les dispositions pour ce secteur sont essentiellement inscrites dans la loi, pourquoi n’en serait-il pas de même pour les autres secteurs? La réponse sensée de la plupart des Canadiens serait qu’ils souhaitent que les politiques et les règlements relatifs à un secteur soient élaborés et mis en œuvre en tenant compte de l’ensemble des intérêts économiques du pays.
Donc, cela semble être une initiative difficile à défendre, et, pour toutes les raisons que j’ai invoquées, pour ceux qui disent que c’est seulement symbolique, pourquoi prendre le risque? On semble imposer à nos négociateurs des contraintes qui n’existeraient pas autrement. Il est important de noter que, dans les quelques cas où un accès au marché supplémentaire avait été accordé, cela visait seulement à obtenir et à conclure un accord considéré favorable à l’intérêt économique national, et, je dois le souligner, moyennant une juste compensation. Pourquoi est-ce que nous voulons retirer cette possibilité, qui est exactement l’objectif du projet de loi?
Le sénateur Gold : Pour commencer, je tiens à vous souhaiter la bienvenue. Dans mon autre vie, dans le milieu universitaire, j’ai tenu une conférence internationale en vue du premier accord de libre-échange, qui réunissait des experts de tous les domaines. Une des choses qui est ressortie de la conférence, c’est que, sous les différentes positions des gens, commerce versus protectionnisme, libre-échange versus réglementation, il y avait des hypothèses idéologiques sous‑jacentes, pas toujours articulées, selon que l’on tenait compte du bien collectif ou de l’équité en matière de répartition, etc. Il y a des gagnants et des perdants dans le capitalisme réglementé, d’une manière ou d’une autre.
Est-ce que vous pourriez nous dire comment vous voyez tout cela? Nous avons entendu dire, aujourd’hui même, mais également avant, que certains secteurs sont des cibles plus faciles dans les négociations et qu’il y a des répercussions sociales réelles sur les petites fermes, même si nous sommes une nation commerçante et que nous avons besoin d’un accès global au marché compte tenu de notre taille. Il y a deux côtés à la médaille. Est-ce que vous pourriez nous donner votre opinion sur cela et nous dire comment les visions économiques ou idéologiques orientent le débat et ont façonné votre position? Ce n’était pas concis. Je suis désolé.
Le président : Est-ce que votre question s’adresse aux trois témoins?
Le sénateur Gold : À tous ceux qui souhaitent y répondre.
M. Charlebois : Je vais répondre rapidement pour permettre à mes collègues de s’exprimer.
Le projet de loi C-282 nous empêche justement d’avoir ce débat. Que faire avec l’agriculture? Comment pouvons-nous la soutenir? Présentement, nous tenons pour acquis que la gestion de l’offre est une politique parfaite. Protégeons-là et voyons ce qui va se passer.
M. Walker, dans l’autre groupe de témoins, a dit que le commerce n’est pas un jeu à somme nulle. Je suis un peu en désaccord parce que je crois vraiment que ce l’est pour de nombreux politiciens et gouvernements autour du monde. M. Paris vient de le dire. Il est fort probable que nous allons faire face à un régime plus protectionniste, mondialement, et nous devons donc faire attention aux signaux que nous envoyons au reste du monde.
Le sénateur Gold : Monsieur Charlebois, vous avez clairement exposé dans vos écrits ce que vous reprochez à la gestion de l’offre. La méthodologie de l’étude dont vous avez parlé a été remise en question par Jodey Nurse, de l’Université McGill, qui a étudié la gestion de l’offre. Nous avons toutes nos propres attitudes, moi y compris, et ce n’est pas une critique que je fais ici. Mais je crois que le débat a pris une certaine orientation, où certaines hypothèses fondamentales, des hypothèses philosophiques et économiques, sont tout simplement omises.
M. Charlebois : On fait des hypothèses dangereuses lorsqu’il n’y a pas d’information et qu’il y a un manque d’information. C’est ce qui se passe actuellement, selon moi.
Le sénateur Gold : Merci.
Le sénateur MacDonald : Monsieur Charlebois, j’ai récemment lu avec grand intérêt votre opinion d’expert sur la gestion de l’offre. Vous et quelques autres suggérez que notre système de gestion de l’offre du secteur laitier encourage les producteurs laitiers à dépasser leur quota et à se débarrasser du lait excédentaire, plutôt que de sous-produire et de perdre des revenus. Quelles seraient selon vous les mesures à court terme qui permettraient d’améliorer le système sans compromettre sa stabilité et la stabilité des fermes tout en offrant aux producteurs et aux parties prenantes de l’industrie laitière le niveau de confort dont ils ont besoin?
M. Charlebois : C’est une excellente question, sénateur. Si vous voulez vraiment que la gestion de l’offre fonctionne, vous devez commencer par réformer la Commission canadienne du lait. Sa structure de gouvernance doit changer. C’est une société de la Couronne. Elle est la propriété de Canadiens. Cela doit changer.
Deuxièmement, je regarderais très certainement la façon dont les quotas sont alloués dans le pays. Les régions ont d’ailleurs essuyé des pertes en raison de la gestion de l’offre. Son intention, lors de sa mise en œuvre dans le secteur laitier, en 1972, était de protéger les fermes familiales du Canada. En Nouvelle-Écosse, ma province natale, il y avait 800 fermes laitières en 1980; aujourd’hui, il n’en reste que 150 et il ne se fait presque pas de transformation. C’est le Québec qui a tout récolté. C’est pourquoi c’est devenu un enjeu si politique. Tout cela est maintenant concentré dans une ou deux provinces. Nous voulons que la gestion de l’offre soit faite de manière équitable dans tout le pays, et ce n’est pas le cas présentement.
Le sénateur MacDonald : J’ai une petite question de suivi. Quelle serait votre approche à long terme pour la gestion de l’offre? Vous avez mentionné la Commission canadienne du lait. Ce n’est probablement pas la seule société de la Couronne du pays qui mérite un examen.
M. Charlebois : C’est un autre débat.
Le président : C’est un autre débat. Répondez rapidement, s’il vous plaît.
M. Charlebois : En un mot, avec l’Université de Guelph, nous avons publié un article intitulé « Gestion de l’offre 2.0 » en visant à rendre la gestion de l’offre dans le secteur laitier plus concurrentielle. Il a été publié il y a deux ans. Je peux le transmettre au Sénat.
La sénatrice Busson : Je vais faire vite. Je tiens à remercier nos trois experts; je suis impressionnée par les informations que vous nous avez transmises. Cela a été incroyablement instructif pour moi, qui suit néophyte sur les questions commerciales. Je crois que j’ai compris l’essentiel. Les négociations soulèvent des questions très complexes, mais j’entends des expressions comme « prendre pour cible » et tenu en otage », et que des gens ont les « mains liées », et ce sont des choses qui me rappellent mon ancienne vie. Mais ça, c’est une autre histoire.
Est-ce que j’ai bien compris l’analogie? Le projet de loi C-282 non seulement lierait les mains de nos négociateurs, mais montrerait aussi à tous où sont leurs points faibles et ce qu’ils ne peuvent pas faire? Ce projet de loi frappe doublement. Non seulement il rend certaines choses inaccessibles, mais nous disons à tout le monde qu’elles sont inaccessibles. Ce sont les deux éléments qui minent notre pouvoir de négociation.
M. Fried : Je crois que mon mentor, l’ancien ambassadeur John Weekes, l’a bien formulé : vous restez ferme, et vous savez reconnaître vos limites, mais vous faites cela en privé, et non pas devant tout le monde. Nous avons besoin de ce dynamisme. J’ai essayé d’y trouver une suite en disant que, compte tenu de l’orientation donnée par le Parlement et par les parties prenantes au début des négociations, nous savons déjà cela, à la table de négociation, et nos partenaires le savent aussi. Cela revient à demander encore une fois pourquoi nous mettons cela en lumière.
M. Paris : Je vais revenir à ce que je disais au début, que nous devons tenir compte de l’intérêt national. Le secteur agricole, les fermiers, les éleveurs et les travailleurs du secteur agricole du Canada ne sont pas seulement une partie importante de notre économie; ils font également partie de notre tissu social. Ils sont nos compatriotes. Dans certains cas, ils sont nos voisins. Mais nous avons d’autres compatriotes, d’autres voisins et d’autres personnes qui travaillent dans d’autres secteurs y compris d’autres parties du secteur agricole. Nous devons aussi tenir compte de leur intérêt. Je crains que le projet de loi aura pour effet d’éclipser cette considération dans les discussions qui pourraient avoir lieu très bientôt.
Le président : Merci beaucoup, Monsieur Paris.
Au nom du comité, je tiens à remercier tous nos témoins — MM. Sylvain Charlebois, Jonathan Fried et Roland Paris — de leur témoignage d’aujourd’hui.
[Français]
Je veux aussi remercier les visiteurs qui sont dans la salle, les agriculteurs du Québec.
[Traduction]
Chers collègues, nous allons reprendre demain à 11 h 30, dans cette salle, pour entendre le dernier groupe de témoins de notre étude du projet de loi C-282.
(La séance est levée.)