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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 26 septembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui à 13 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis, ainsi que d’autres sujets concernant les peuples autochtones.

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je tiens d’abord à souligner que nous nous réunissons aujourd’hui dans l’édifice du Sénat du Canada, qui est situé sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.

Je suis le sénateur Brian Francis et je suis le président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je suis également un Micmac d’Epekwitk, aussi connue sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard. Mes pensées accompagnent les Epekwitnewaq et les insulaires, ainsi que les habitants du Canada atlantique et de l’Est du Canada, qui ont été touchés par l’ouragan Fiona.

Avant de commencer, j’aimerais vous présenter les sénateurs qui participent à la réunion aujourd’hui : le sénateur David Arnot, de la Saskatchewan, le sénateur Patrick Brazeau, du Québec, la sénatrice Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse, la sénatrice Nancy J. Hartling, du Nouveau-Brunswick, la sénatrice Kim Pate, de l’Ontario et la sénatrice Michèle Audette, du Québec.

Comme les sénateurs le savent, nous sommes ici aujourd’hui pour lancer le programme Voix de jeunes leaders autochtones.

Toutefois, avant de commencer la partie officielle de la réunion, j’aimerais aborder une petite question de procédure. Êtes-vous d’accord pour que le comité permette la couverture électronique et photographique de sa réunion publique d’aujourd’hui avec le moins de dérangement possible?

Des voix : Oui.

Le président : Merci.

Aujourd’hui, nous entendrons cinq participants au programme Voix de jeunes leaders autochtones, un programme du Comité des peuples autochtones lancé en juin dernier pour souligner le travail de jeunes Autochtones qui s’investissent dans leurs communautés. Le programme était auparavant connu sous le nom de Vision autochtone au Sénat. Cette année, en prévision de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, qui aura lieu vendredi prochain, nous leur avons demandé de nous faire part de leur point de vue sur ce que signifie pour eux la vérité et la réconciliation.

Nous allons commencer par entendre la Dre Meghan Beals, une fière Micmaque de la Première Nation de Glooscap, qui vit actuellement à Epekwitk, ou Île-du-Prince-Édouard. Même si elle n’a pas pu venir à Ottawa en raison de l’ouragan Fiona, nous avons la chance qu’elle puisse se joindre à nous virtuellement. La docteure Beals fera une déclaration préliminaire d’un maximum de 10 minutes, puis elle répondra aux questions des membres du comité.

Dre Meghan Beals, à titre personnel : [Mots prononcés dans une langue autochtone]. Bonjour. Je vous remercie de me permettre de prendre la parole virtuellement au Sénat du Canada dans le cadre du programme Voix de jeunes leaders autochtones 2022. J’aimerais bien être avec vous en personne, mais ce n’est que partie remise, l’ouragan Fiona en ayant décidé autrement.

Je m’appelle Meghan Beals. Je suis une Micmaque de la Première Nation de Glooscap, en Nouvelle-Écosse. Cependant, je vis maintenant à Epekwitk, ou l’Île-du-Prince-Édouard, avec mon mari et mon chien.

J’ai grandi en Nouvelle-Écosse dans une ferme située à l’extérieur de ma collectivité des Premières Nations, parce que ma mère autochtone a été placée en famille d’accueil à un jeune âge. J’ai grandi en sachant que j’étais Micmaque, mais je ne savais pas vraiment ce que cela signifiait avant d’arriver à l’âge adulte.

Pour être honnête, c’est lorsque j’ai fréquenté l’École de médecine du Nord de l’Ontario, à Thunder Bay, que j’ai le plus appris sur ma culture. Au cours de mes quatre années à la Faculté de médecine, j’ai abruptement été témoin des disparités qui existent dans les soins de santé pour les Autochtones. Qu’il s’agisse de troubles de santé mentale, d’itinérance, de diabète ou de mauvais soins prénataux, les Autochtones sont touchés de façon disproportionnée. Les raisons sont vastes et complexes. Au cours des interactions que j’ai eues avec des patients, je me suis souvent identifiée comme Autochtone, et si la pièce était suffisamment silencieuse, je pouvais presque entendre leur soupir de soulagement en apprenant que leur fournisseuse de soins de santé était autochtone elle aussi.

Je fais actuellement ma résidence en médecine familiale sur la côte Est et je porte avec fierté un stéthoscope perlé pour que mes patients puissent m’identifier. Si quelqu’un me pose des questions à ce sujet, je lui explique fièrement que, lorsque j’ai obtenu mon diplôme de médecine, c’était un cadeau que les aînés de la collectivité offraient à tous les étudiants autochtones. Ce petit symbole a suscité de nombreuses conversations avec mes patients et mes collègues au sujet de la réconciliation et sur ce que c’est que d’être un médecin autochtone. Au sein de la communauté médicale, les fournisseurs de soins médicaux autochtones sont rares, et les médecins autochtones, encore plus. La raison pour cela est aussi vaste et complexe.

Les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation prévoient de nombreuses mesures concernant l’augmentation du nombre de fournisseurs autochtones dans le système de soins de santé, ce qui, à mon avis, est essentiel pour rétablir la confiance des peuples autochtones à l’endroit du système de soins de santé occidental. Des études montrent que des partenariats dirigés par des Autochtones dans le domaine des soins de santé peuvent améliorer l’accès aux soins et le respect des plans de soins. Il a aussi été démontré que ces partenariats réduisent l’utilisation des services d’urgence et le nombre de séjours à l’hôpital, et augmentent le taux de vaccination chez les enfants et la satisfaction des patients en matière de sécurité culturelle.

À l’École de médecine du Nord de l’Ontario, ma classe comptait six autres étudiants autochtones. Cette école a une solide responsabilité sociale envers les communautés autochtones qu’elle sert en ce qui a trait à la formation des médecins autochtones. Malgré cela, nous avions toujours l’impression de devoir prouver que nous étions assez bons pour faire des études de médecine et que nous ferions face à des microagressions raciales assez fréquentes.

En devenant plus confiante en tant que médecin autochtone, en trouvant ma voix et en réconciliant ces microagressions avec mon propre discours intérieur, j’ai réalisé ce que je peux faire pour avoir une incidence directe sur la réconciliation dans les soins de santé. Je veux être perçue comme une fière médecin autochtone. Je veux que mes patients, mes pairs et mes collègues sachent qu’on s’occupe d’eux et qu’ils pratiquent aux côtés d'une médecin autochtone compétente. Je veux être une ressource pour eux. Mais surtout, je veux que les jeunes Autochtones voient que c’est possible, qu’il est possible de briser le cycle du traumatisme intergénérationnel et de décennies de vérités cachées et de trouver la réconciliation. J’espère être un modèle et inciter les jeunes à chercher des possibilités et à participer aux soins de santé.

Au cours de la dernière année, j’ai fait du mentorat auprès d’étudiants de niveau postsecondaire et d’étudiants en médecine, et je trouve qu’il est vraiment stimulant de voir des jeunes s’engager et vouloir vivre ce que c’est que d’être un fournisseur de soins de santé. J’ai hâte de pouvoir rendre visite aux jeunes dans les collectivités où je travaillerai à l’Île-du-Prince-Édouard et, je l’espère, de les inciter à devenir médecin ou un autre fournisseur de soins de santé.

Je m’efforce de pratiquer et d’enseigner aux jeunes l’approche à double perspective, comme l’a décrite l’aîné Albert Marshall de la Nouvelle-Écosse. Elle consiste à reconnaître, d’une part, la force du savoir et de la perception du monde autochtones et, d’autre part, la force du savoir et de la perception du monde conventionnels. Cette double perspective est dans l’intérêt de tous. Elle correspond exactement à la façon dont je vois la réconciliation dans les soins de santé et dont je veux influencer le monde qui m’entoure. Wela’lin. Merci.

Le président : Merci beaucoup, docteure Beals. Nous allons maintenant passer à la période des questions. Si un sénateur ou une sénatrice souhaite poser une question, la parole est à lui ou à elle.

Je vais poser la première question. Docteure Beals, pourriez-vous décrire le rôle des peuples autochtones et non autochtones dans la réconciliation et la façon dont ils peuvent travailler ensemble? Quel rôle les jeunes Autochtones devraient-ils jouer à cet égard?

Dre Beals : Je vais parler du point de vue d’une fournisseuse de soins de santé. Pour ce qui est de la collaboration entre les Autochtones et les non-Autochtones, il s’agit de vraiment comprendre ce que chacun peut apporter, en particulier dans le domaine des soins de santé.

Je pense que les non-Autochtones ont vraiment besoin d’apprendre à connaître le contexte historique des Autochtones et la façon dont cela les affecte au chapitre des soins de santé — la façon dont le traumatisme intergénérationnel affecte leur santé, la façon dont ce traumatisme a miné leur confiance dans le système de soins de santé et, peut-être, la raison pour laquelle les gens ne sont pas très ouverts à se rendre dans les hôpitaux pour obtenir des soins. Malheureusement, en tant qu’Autochtones, nous sommes souvent chargés de ce rôle d’éducation, alors je trouve que je passe beaucoup de temps à éduquer mes collègues autour de moi sur ce qu’est la réconciliation et, plus précisément, sur tout le traumatisme historique qu’a subi notre peuple.

Pour ce qui est de l’apport des jeunes, je pense qu’ils peuvent revendiquer que nous apprenions notre histoire à l’école. Il faut que ce genre de cours soient donnés dans nos universités, dans toutes les études supérieures. Je pense que c’est à ce niveau que les jeunes peuvent intervenir et vraiment revendiquer. Il faut que cela nous soit enseigné, et il faut enseigner cela au monde entier.

Le président : C’est une excellente réponse, docteure Beals. Merci.

La sénatrice Hartling : Merci, docteure Beals, d’être avec nous aujourd’hui. Il est très intéressant que vous ayez beaucoup parlé du mentorat et du fait de faire partie d’une communauté. Je me demande quelles sont certaines des pratiques exemplaires que vous avez vues, dans d’autres régions du Canada ou dans d’autres contextes, dont nous pourrions nous servir comme exemples pour encourager un plus grand nombre de jeunes à intégrer différentes professions en santé mentale et d’autres soins de santé.

Dre Beals : C’est une bonne question. Je ne peux parler que de ma propre expérience, et je ne suis vraiment pas certaine de ce que cela signifie pour l’ensemble du Canada. Je viens d’entreprendre un projet d’étude des affaires autochtones dans différentes universités du Canada, parce que l’Université Dalhousie est dans un cycle de changements prévoyant davantage de programmes de mentorat. Je suis en train d’étudier ce que font d’autres universités au Canada, en vue d’améliorer notre système ici sur la côte Est et de vraiment travailler sur la façon de mobiliser la collectivité. Je pense que cette démarche progresse à beaucoup d’endroits, et vous devriez en entendre parler bientôt.

La sénatrice Coyle : Bienvenue au Sénat, docteure Beals. J’ai hâte de vous rencontrer en personne à un moment donné.

Vous avez abordé tellement de sujets qu’il est difficile de formuler une question, mais je vais le faire. Nous avons une Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, ce qui est relativement nouveau. Nous avons tous emboîté le pas à notre président, ici, au Sénat du Canada. J’aimerais savoir ce que vous pensez en tant que femme autochtone, leader autochtone et professionnelle autochtone. Comment pensez-vous que cette Journée nationale de la vérité et de la réconciliation peut vraiment être optimisée en ce qui a trait à son incidence, à la fois pour ce qui est de rapprocher les Canadiens autochtones et non autochtones, mais aussi en général? Comment les Canadiens non autochtones peuvent-ils profiter de cette journée? Qu’est-ce que nous devons appuyer en tant que sénateurs et dirigeants au Canada pour nous assurer que cette journée ne devienne pas seulement un jour de congé et qu’elle soit vraiment bien utilisée pour son objectif, qui est de faire ressortir la vérité et de favoriser la réconciliation?

Dre Beals : Pour faire une comparaison avec d’autres jours fériés, je pense au jour du Souvenir, par exemple, où le fait de s’arrêter à 11 heures le 11 novembre de chaque année et d’observer un moment de silence ou d’assister à différentes réunions communautaires et à d’autres activités du genre est ancré dans notre culture. C’est ainsi que je conçois la Journée de la vérité et de la réconciliation, c’est-à-dire organiser des activités communautaires et des cérémonies dans chaque collectivité, chaque année ce jour-là, à 10 heures du matin, et observer un moment de silence pour les enfants qui ont été trouvés ou pour les personnes qui ne l’ont jamais été. C’est ainsi que je vois les choses.

Dans nos communautés autochtones, nous devons aussi en faire une journée de célébration de notre culture et, selon le temps qu’il fait, organiser peut-être des pow-wow ou des événements cérémoniels, c’est-à-dire en faire une journée de commémoration, mais aussi une journée de célébration du fait que nous sommes ici et que nous sommes de fiers peuples autochtones qui ont beaucoup à donner au monde en ce moment.

Le sénateur Arnot : Merci, docteure Beals. J’ai deux questions, si vous me le permettez.

La première porte sur les obstacles que vous avez dû surmonter pour devenir médecin. Je me demande quelles recommandations vous pourriez faire aux ministères de la Santé ou de l’Éducation de n’importe quelle province du Canada pour réduire les obstacles qui empêchent les jeunes d’étudier en science, technologie, ingénierie et mathématiques et d’obtenir les titres de compétence nécessaires pour devenir médecin ou fournisseur de soins de santé. Avez-vous des recommandations précises? Je me demande, très franchement, si vous constatez qu’il existe encore un certain nombre d’obstacles, principalement en ce qui concerne le racisme, qui empêchent les jeunes Autochtones de ce pays d’obtenir le genre d’éducation que vous avez reçue. Vous êtes un modèle. Vous avez fait l’expérience de cela, et je suis certain que vous avez des idées et des recommandations sur la façon d’améliorer les choses et de faciliter davantage l’inclusion des Autochtones dans la prestation des soins de santé.

Dre Beals : Je peux d’abord parler de mon expérience. Après avoir terminé mes études secondaires, je me destinais à devenir planificatrice d’événements. J’ai ensuite été ambulancière paramédicale pendant un certain temps, puis inhalothérapeute, pendant un certain temps aussi. J’ai fait l’expérience de plusieurs professions avant d’aller en médecine.

Au cours de cette période, l’un des obstacles était les exigences pour entrer à la Faculté de médecine, par exemple, avoir une moyenne générale particulière et passer le test d’admission MCAT, qui dure huit heures et qui n’est offert qu’en anglais. Cela exclut complètement les Autochtones dont la langue maternelle n’est pas l’anglais. J’ai fini par présenter une demande à l’École de médecine du Nord de l’Ontario parce qu’elle n’exige pas le MCAT et qu’elle offrait un parcours autochtone particulier, dans lequel on tient compte de vous comme personne dans sa totalité, un tout, plutôt que de se limiter à votre dossier et à vos résultats scolaires.

Je pense qu’il y a eu un changement énorme dans beaucoup d’écoles de médecine, et même en soins infirmiers, en travail social et en physiothérapie, où l’on commence à offrir ces cheminements autochtones qui tiennent compte de la personne dans sa globalité. De nombreux jeunes Autochtones ne font pas seulement des études; ils travaillent en même temps parce qu’ils doivent prendre soin de leurs frères et sœurs ou subvenir aux besoins de leur famille, ce qui ne leur permet pas d’étudier quatre heures par jour pour ce test MCAT. Il y a aussi un énorme obstacle financier.

Je pense qu’il est essentiel de continuer à soutenir les écoles dans l’élaboration de ces cheminements autochtones, ainsi que les différentes universités, une fois qu’elles ont recruté des étudiants autochtones. Comment peut-on les appuyer? Comment peut-on les aider s’ils doivent continuer à travailler à temps partiel? Comment peut-on les aider sur le plan culturel en organisant des événements culturels sur le campus et en leur offrant un endroit sûr où ils peuvent aller parler à différents mentors et se sentir en sécurité pour étudier?

Pour être en mesure d’attirer plus de gens dans les soins de santé, nous devons commencer à travailler en amont, je suppose, en recrutant des jeunes Autochtones et en les aidant à atteindre leurs objectifs en matière d’éducation. C’est là que je vois les choses bouger, et j’ai constaté beaucoup de changements récemment, particulièrement à l’Université Dalhousie, où je fais ma résidence en médecine familiale.

Le sénateur Arnot : Pourriez-vous me dire, docteure Beals, ce que vous pensez de la notion suivante. Je crois fermement au pouvoir de l’éducation, et je pense qu’il incombe à tous les étudiants canadiens d’en apprendre davantage sur les traités et sur les relations découlant des traités. Je sais que la Saskatchewan a élaboré un ensemble de ressources scolaires pour la maternelle jusqu’à la 12e année afin d’expliquer le sens que prennent les traités dans notre contexte moderne. Ce programme est aussi solidement établi au Manitoba. Je crois qu’en Nouvelle-Écosse, le ministère de l’Éducation commence à s’intéresser à cette idée. Trouvez-vous qu’il est important que tous les Canadiens, surtout dans le cadre de la réconciliation, comprennent les relations fondamentales contenues dans les traités et la façon dont elles s’appliqueraient dans notre contexte moderne?

Dre Beals : Comme vous l’avez dit, « savoir, c’est pouvoir ». Ces dernières années, différentes écoles ont adopté un sérieux programme d’enseignement sur les traités et sur le contexte historique des peuples autochtones. Il est essentiel que le gouvernement continue d’appuyer cette initiative, car c’est ainsi que nous apprendrons. En grandissant, comme je l’ai dit, je savais que j’étais Micmaque, mais je ne savais pas la moitié ou le quart de ce que je sais maintenant, parce qu’on n’enseignait pas ces choses à l’école. Je ne suis même pas sûre que l’on mentionnait les Autochtones pendant les cours d’histoire. Il est donc crucial d’ajouter ces sujets aux programmes d’étude.

Le sénateur Arnot : Merci.

Le président : Je vois qu’il n’y a pas d’autres questions, et le temps accordé à ce témoin est écoulé. Je tiens à remercier la Dre Beals d’être venue nous parler aujourd’hui.

Je vais maintenant présenter notre prochain témoin, Mme Taylor Behn-Tsakoza, une fière Dénée de Fort Nelson et de la Première Nation de Prophet River, en Colombie-Britannique, sur le territoire du Traité no 8. Mme Behn-Tsakoza fera une déclaration préliminaire d’un maximum de 10 minutes, après quoi les membres du comité lui poseront leurs questions.

Taylor Behn-Tsakoza, à titre personnel : [Mots prononcés en dene k'e/slavey du Sud]. Bonjour, honorables sénateurs. Je suis une Dénée de Nelson et de la Première Nation de Prophet River. Ces communautés sont situées dans le Nord-Est de la Colombie-Britannique et sont signataires du Traité no 8.

Je suis une survivante intergénérationnelle de deuxième génération. Ma mère n’a pas été placée dans un pensionnat, et mon père a fréquenté un externat. Mes tantes et mes oncles ont été placés dans le pensionnat autochtone de Lower Post, dans le Nord de la Colombie-Britannique.

Je suis actuellement la représentante élue des jeunes de l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique et, depuis l’année dernière, je siège au poste de coprésidente du Conseil national des jeunes de l’APN.

C’est vraiment un honneur et un privilège pour moi de m’adresser à vous aujourd’hui dans le cadre du programme Voix de jeunes leaders autochtones. Je considère vraiment cela comme un privilège, car je sais que dans ma communauté, bon nombre de mes amis ne peuvent que rêver de pouvoir le faire, alors je vous en remercie profondément.

Je vous avoue que je n’ai pas vraiment préparé d’exposé. Je vous présenterai les premières réflexions qui me viennent à l’esprit quand je pense à la réconciliation. Pour moi, le mot « réconciliation » est tellement à la mode que j’essaie de ne pas m’en servir. Cette notion ne m’interpelle pas vraiment. Le terme de réconciliation me fait penser aux relations et à la responsabilité de me présenter chaque jour sous le meilleur aspect possible pour bien représenter ma personne, ma communauté et ma nation. Hier soir, en réfléchissant à ce que j’allais vous dire aujourd’hui, j’en suis venue à la conclusion que la réconciliation est autant un cheminement personnel qu’un cheminement collectif. Je vais donc vous faire part de quelques réflexions qui me sont venues à l’esprit en pensant à cela.

Je vous ai déjà dit que je viens du Nord de la Colombie-Britannique. Ma communauté se situe à environ une heure au sud de la frontière des Territoires du Nord-Ouest et à une heure à l’ouest de la frontière de l’Alberta, donc si vous tracez un point dans le coin nord-est, c’est là que se trouve mon territoire. Les territoires de mes parents se chevauchent, alors le seul endroit où je suis vraiment chez-moi est cette partie de l’île de la Tortue. Je pensais aux enseignements que mes grands-parents et mes parents m’ont transmis, car ils ont forgé ma définition et à ma façon de voir la réconciliation. Mon grand-père, George Behn, était un ardent défenseur du traité que notre peuple avait signé avec la Couronne. Dans notre cas, c’est le Traité no 8.

En discutant avec un autre témoin, M. Jama Maxie, j’ai essayé de définir ce que cela signifie pour nous, les jeunes. Il m’a dit que la réconciliation sous-entend que les relations avaient été bonnes au départ. Je repense à ce que, pendant toute ma vie, j’ai entendu mon grand-père dire au sujet de notre traité. Il soulignait l’importance d’exercer nos droits issus de traités pour ne pas les perdre. Il insistait sur notre obligation de protéger ce traité à tout prix. En 1910, mon peuple a conclu le Traité no 8 en toute bonne foi. Les gens croyaient que la Couronne ou l’État du Canada allait défendre leur position. Lorsque je pense à la réconciliation, je pense aux relations fondées sur ces traités, qui existent encore aujourd’hui — ces traités sont encore exécutoires — et à la façon dont nous, les jeunes, devrions veiller à ce que nos traités soient respectés. Je pense au rôle qu’ils jouent dans le cadre de cette initiative de réconciliation.

En réfléchissant à ces choses, j’ai repensé à ma grand-mère. Elle a beaucoup influencé la façon dont je perçois mes relations avec les colons non autochtones de notre territoire. Ma grand-mère est née en 1930, et je ne peux qu’imaginer ce qu’était sa vie de femme autochtone à cette époque. On a emmené 10 de ses 16 enfants pour les placer dans un pensionnat. Mes tantes et mes oncles ont été placés à Lower Post. Elle nous a raconté que quand la GRC les a emmenés dans le bateau, elle est restée assise pendant des jours, en larmes, au bord de la rivière. Elle nous a dit qu’avant 1960, elle n’avait pas le droit de voter. Elle nous a décrit toutes les injustices qu’on lui a fait subir pour l’humilier et pour qu’elle demeure inférieure au reste de la société. Cela me brise le cœur, mais ma grand-mère était la personne la plus gentille que l’on puisse rencontrer. Elle débordait d’amour et de gentillesse. Elle a toujours exécuté son travail et abordé ses relations avec les gens dans l’espoir qu’un jour, l’autre partie assumerait sa part de responsabilité. Je pense aux enseignements que j’ai reçus sur le traité et à la gentillesse et l’amour dont je dois faire preuve tout en affirmant mon identité de femme dénée et mes origines.

Le terme « réconciliation » est très à la mode. Jusqu’à présent, elle n’a été qu’un vœu pieux, car nous ne voyons pas de résultats et de mesures tangibles. En réfléchissant hier soir à mon rôle de jeune — j’ai 26 ans —, j’ai essayé de définir la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui et pour laquelle j’existe dans ce monde. Je crois sincèrement que j’ai le pouvoir et le privilège — je parle toujours de privilège, parce que je me sens très privilégiée d’être ici aujourd’hui — de m’efforcer d’ouvrir la voie à d’autres jeunes pour qu’ils fassent comme moi, s’ils le souhaitent, et qu’ils se sentent habilités à faire tout ce qu’ils désirent accomplir.

Je ne savais pas non plus ce que je pourrais dire sur la réconciliation aujourd’hui parce que, plus tôt cette année, j’ai représenté officiellement la jeunesse au sein de la délégation des Premières Nations invitée au Vatican. J’ai eu environ huit minutes pour dire au pape François, à titre de jeune survivante intergénérationnelle dont la famille a survécu les pensionnats indiens, que j’ai de l’espoir pour l’avenir et qu’à mon avis, l’Église catholique n’en fait pas assez. Je me suis rendue jusqu’au Vatican en traversant l’océan Atlantique. Je suis à 3 000 kilomètres de chez moi en ce moment. Je ne sais même pas comment compter la distance jusque là-bas, mais c’était loin. J’ai voyagé pendant des jours pour m’y rendre, parce que je crois en ce processus de réconciliation. Je crois qu’un jour, les gens dans ces institutions feront ce qu’il convient de faire. À mon retour chez moi, je pensais avoir un peu plus d’espoir. Je crois que j’ai encore de l’espoir, mais avec ces critiques et avec la réalité de ces endroits, j’en ai perdu un peu.

En pensant à la réconciliation et en voyant comment elle se déroule, je crois que je devrais vous féliciter tous de comprendre le pouvoir que vous créez en invitant les jeunes à parler aujourd’hui, en les invitant d’une année à l’autre. Je sais que vous le faites depuis 2016. Je siège à l’APN, je suis allée au Vatican, puis en avril je suis allée à l’ONU, à New York, pour participer à l’Instance permanente sur les questions autochtones des Nations unies. Où que je sois, je souligne l’importance d’inviter les jeunes à cette table. L’avenir pour lequel vous vous battez tous est l’avenir dont nous allons hériter. Nous devons participer à ce processus, parce qu’il s’agit de notre avenir, et nous devons lutter pour cet avenir. Je vous remercie de reconnaître l’importance de notre présence ici parce que dans bien des cas, les gens ne l’ont pas reconnue. Même dans le cas de la délégation au Vatican, j’ai dû participer à quatre réunions avant que l’on me permette de m’y joindre. On ne s’opposait pas à ma participation, mais à celle de la jeunesse. À l’époque, ma coprésidente et moi défendions les intérêts des jeunes. Nous avons été élues comme représentantes de la jeunesse des Premières Nations, alors nous y sommes allées.

Je vais conclure en soulignant le message que je veux vous laisser aujourd’hui. J’ai 10 nièces et neveux qui m’admirent beaucoup. J’espère que quand ils auront atteint la vingtaine et qu’ils désireront se faire entendre, ils ne se battront pas pour les mêmes problèmes dont nous discutons ici et dont mes amis parleront après moi.

Je devrais également mentionner une notion qui fait partie de mon travail, celle de la « promotion de la vie ». Je ne sais pas si vous connaissez cette expression. C’est un concept ancré dans la culture et dans les valeurs autochtones. Il est au cœur de ce qu’on appelle communément la prévention du suicide. Ce sujet me passionne, parce que je préconise la participation d’un plus grand nombre de jeunes, mais il faut qu’ils soient présents pour participer. Il faut qu’ils puissent vivre une vie qui, selon eux, vaut la peine d’être vécue et qu’ils croient qu’ils témoigneront un jour ici. J’aurais regretté de ne pas mentionner ce concept. Au nom de tous les jeunes, je vous exhorte à placer la vie au cœur de tout le travail que vous effectuez, que ce soit ici ou dans votre vie personnelle. La réconciliation est un cheminement autant personnel que collectif. Je vous encourage donc tous à réfléchir à ce que cela signifie pour vous-mêmes.

Sur ce, Mahsi’cho. Merci, monsieur le président.

Le président : Je vous remercie pour ce message, Mme Behn-Tsakoza. Nous allons maintenant passer à la période des questions.

Le sénateur Brazeau : Je vous remercie tous d’être parmi nous aujourd’hui.

Vous avez parlé du traumatisme intergénérationnel. Lorsque nous parlons de réconciliation, et probablement en pensant au terme « réconciliation », nous comprenons que quelque chose ou quelqu’un a été brisé. Nous savons tous que les peuples autochtones du Canada ont été brisés par le système des pensionnats.

Les gouvernements aiment beaucoup lancer des slogans et des mots clés. Dans les années 1990, nous parlions de « rassembler nos forces », puis il y a eu d’autres thèmes. Nous parlons maintenant de « vérité et réconciliation ».

Vous avez dit que vous êtes une survivante de deuxième génération. Pendant de nombreuses années, nous n’avons pas su ce qui s’était réellement passé. Beaucoup de gens n’acceptaient pas la vérité sur les pensionnats, mais nous savons maintenant ce qui s’est passé.

J’ai toujours veillé à ce que des gens comme vous ne soient pas oubliés. Quelqu’un en est coupable. Vous avez hérité de cette vie à cause des erreurs passées du gouvernement fédéral, du gouvernement du Canada.

Croyez-vous vraiment que la réconciliation est réalisable? Je vous pose cette question, parce que j’ai aussi été brisé à un moment donné, et il faut beaucoup de travail et de patience pour retrouver la santé. Je vous demande si vous croyez qu’elle est réalisable parce que, avant que le gouvernement entame la phase de réconciliation, je crois que nous devons accomplir une phase de réparation. Le croyez-vous? Qu’en pensez-vous?

Mme Behn-Tsakoza : Est-ce que je pense que la réconciliation est réalisable? Je ne serais pas ici si je n’y croyais pas. Je suis encore très critique à cet égard. Je pourrais dresser une liste de ce que, selon moi, il faudra accomplir avant la réconciliation. Il ne suffira pas de cocher une liste de mesures. Nous disons que la réconciliation est un processus et un cheminement. Je porte un chandail sur lequel est imprimé « rendez-nous nos terres ». Je crois que la réconciliation sera possible lorsque nos terres nous seront rendues, lorsque je pourrai parler ma langue, lorsque mes nièces et mes neveux pourront parler ma langue, lorsque toute cette institution sera entièrement autochtone. J’y croirai peut-être quand je verrai que l’on nous écoute et que l’on croit vraiment ce que nous disons et que, oui, les gens penseront vraiment que les Autochtones ont de la valeur. J’espère que cela se réalisera de mon vivant. Je vais m’arrêter ici. J’ai encore de l’espoir, oui.

Le sénateur Brazeau : En ce qui concerne les jeunes Autochtones qui sont aux prises avec un traumatisme intergénérationnel, à votre avis, que faudrait-il à ces jeunes aujourd’hui pour qu’ils croient en leur avenir et que vous ne reveniez pas dans 20 ans nous répéter ces mêmes critiques?

Mme Behn-Tsakoza : Oui.

Le sénateur Brazeau : Que faut-il faire une fois pour toutes pour créer cet espoir en l’avenir?

Mme Behn-Tsakoza : J’ai hâte que nous entendions les témoignages de mes collègues. Je sais que l’un d’eux parlera de la protection de l’enfance. Cessez de nous enlever nos enfants!

Il faudra remplacer la Loi sur les Indiens par une législation qui servira vraiment les peuples autochtones et les générations futures.

J’ai dressé une liste de problèmes : changements climatiques, Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, santé mentale. Si nous pouvons mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies d’une façon efficace, nous aurons l’autonomie nécessaire pour décider nous-mêmes de ce qui est bon pour nous. C’est un peu différent pour chaque nation et pour chaque personne.

Je vous dirais de vous retirer du processus. C’est ce dont nous avons besoin. Nous les jeunes savons ce qu’il nous faut. Nous avons simplement besoin que les gens nous écoutent et qu’ils nous donnent les ressources pour le faire, alors donnez-nous ce qu’il nous faut. Je ne sais pas. Oui, merci.

Le président : Merci pour cette réponse, Mme Behn-Tsakoza.

Si vous pouviez communiquer avec les non-Autochtones et les encourager à faire quelque chose le 30 septembre, que leur diriez-vous de faire?

Mme Behn-Tsakoza : Où que vous soyez dans ce pays, soutenez les nations locales de votre région. Soutenez leurs activités. Je voudrais vous dire qu’il vous suffit de réfléchir. J’aimerais que les gens aient tous l’occasion de cesser de parler et de réfléchir à ce que le 30 septembre signifie vraiment pour notre pays.

Cette journée a été instaurée il y a presque un an, et je pense qu’il y a tellement d’occasions de faire quelque chose de valeur pendant cette journée. Comme la Dre Beals nous l’a dit en donnant l’exemple du jour du Souvenir, toute la société sait qu’à 11 heures, on observe un moment de silence. Comment ancrer cela dans l’esprit des gens pour le 30 septembre aussi? Il faut le faire maintenant. Nous devrions définir ce qu’il est important de faire pendant cette journée pour qu’au fil des ans, le 30 septembre acquière un sens profond pour notre pays. Malheureusement, plusieurs raisons me portent à ne pas encore voir ce sens profond, mais je pense que nous en sommes à une étape cruciale et que nous pourrions vraiment apporter du changement.

Le sénateur Arnot : Je suis heureux que vous ayez soulevé la question des bonnes intentions des parties lors de la conclusion du Traité, et je peux dire qu’Alexander Morris, le commissaire aux Traités 4 et 6, avait de bonnes intentions. Il a été consterné lorsque le gouvernement du Canada n’a pas respecté la partie écrite des traités. Je vous en félicite, et je vous félicite également d’être une jeune leader passionnée et éloquente. Je vous souhaite de pouvoir continuer à alimenter cette passion.

Vos aînés vous ont parlé des traités et du fait qu’ils font partie de la Constitution canadienne, de la loi suprême du pays. Ils doivent être honorés, mais ils ne l’ont pas été jusqu’à maintenant. Je vous encourage à suivre les conseils de vos aînés et à vous concentrer sur les traités et sur les relations qui en découlent dans notre contexte moderne. Les peuples autochtones n’occupent pas la place qui leur revient dans l’État canadien, en partie parce que les traités n’ont pas été mis en œuvre conformément à l’esprit dans lequel ils avaient été conclus. Vous avez raison au sujet des traités. Ils représentent un point de ralliement fondamental sur lequel vous et d’autres jeunes leaders devez vraiment vous concentrer. La réconciliation aura lieu si ces traités sont mis en œuvre conformément à l’esprit et à l’intention dans lesquels ils ont été conclus. Je vous félicite. Vous me donnez de l’espoir en entendant une leader comme vous comparaître devant ces sénateurs pour souligner l’importance de nous concentrer sur la relation scellée par les traités. Merci.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie, moi aussi. J’ai vraiment apprécié votre présentation et le défi que vous nous avez lancé en soulignant que nous nous sommes écartés de la bonne voie et en nous exhortant à appliquer la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Merci de nous exhorter à lutter contre les changements climatiques et à offrir beaucoup plus de sièges à la table aux peuples autochtones afin qu’ils puissent prendre la place qui leur revient. J’ai vraiment aimé tout ce que vous avez dit. Nous vous écoutons attentivement.

Vous avez parlé de votre visite au Vatican et des huit minutes pendant lesquelles vous avez pu décrire au Pape votre réalité et la vérité de votre peuple. Je me demande si vous seriez prête à nous présenter l’un ou l’autre des messages clés que vous avez présentés à ce moment-là, car ils enrichiront probablement notre conversation sur la réconciliation.

Mme Behn-Tsakoza : Je vous remercie pour cette question. Je suis désolée, j’ai vraiment essayé de ne pas verser des larmes tout à l’heure en répondant au sénateur. Je vous remercie tous les deux. Vous nous dites que vous nous écoutez attentivement, et je le sens bien, alors je vous en remercie.

La veille de ma rencontre avec le Pape François, j’ai en fait modifié le message que je me préparais à prononcer devant lui. Nous visitions le musée du Vatican, et j’ai vu bien des choses qui ont en quelque sorte changé ma façon de penser sur la réconciliation, alors j’ai ajouté ces observations à mon message. En regardant par exemple la réparation des artefacts qui avaient été volés à notre peuple ici au Canada, j’ai ajouté l’importance de nous les retourner conformément à nos protocoles. C’est l’une des requêtes que je lui ai présentées.

J’ai beaucoup parlé de la doctrine de la découverte, que plusieurs autres dirigeants présents dans la salle ce jour-là avaient aussi mentionnée. Je suis jeune, alors j’ai bien l’impression que je vivrai plus de 80 ans, ce qui m’offre le pouvoir d’exiger la révocation de la bulle papale. Je suis maintenant prête à rencontrer le nouveau roi. Quand je dis que j’aime me présenter dans ces endroits, j’espère que d’autres jeunes se sentent habilités à s’y présenter aussi. Je suis convaincue qu’après ma visite au Vatican, je me rendrai au palais de Buckingham, et je vais m’assurer que le roi comprend ce traité. Dans ce contexte, je crois qu’il est inévitable que l’on révoque cette doctrine pour que les traités — dans mon cas, le Traité no 8 — soient pleinement respectés, que tous les traités soient respectés au Canada. Ils sont juridiquement exécutoires. Je ne comprends vraiment pas pourquoi ce problème n’est pas encore réglé.

Évidemment, je lui ai décrit mon expérience de survivante intergénérationnelle afin que l’on tienne compte de nos voix pendant ces discussions. Selon moi, nous avons aussi un rôle à jouer dans la discussion sur les pensionnats indiens et sur la réconciliation dans son ensemble, parce qu’il s’agit de notre avenir. Nous avons notre mot à dire. Alors voilà, ce sont les principaux thèmes dont j’ai parlé.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Audette : Après un mois d’innu et de français, mon anglais est un peu rouillé. Je veux tout simplement vous dire un gros merci, madame Behn-Tsakoza. Merci — dans la langue innue, on dit : Tshinashkumitin. Cela veut dire « je te donne une outarde ». Ce sont nos protocoles. Merci de continuer à nourrir l’espoir.

[Traduction]

J’ai dit que vous êtes extraordinaire. Vous pourrez lire ce que j’ai dit exactement, mais je vous remercie beaucoup. Vous avez dit que vous aviez beaucoup d’espoir, et c’est ce qui me garde en vie, l’espoir et cette relation, comme je vous l’ai dit au déjeuner, avec une personne extraordinaire. Je crois que vous avez entendu ce que j’ai dit aux autres sénateurs.

Bien souvent, les gens ne prennent pas la réconciliation à cœur, parce qu’elle leur a été imposée. Ce n’est pas une chose naturelle, je dirais, pour moi qui suis une femme innue, mais je voudrais ajouter une observation. Nous voyons passer les députés, nos voisins dans l’autre Chambre, d’une élection à l’autre. Que pouvons-nous leur dire? Je suis sûre qu’ils ont une responsabilité à assumer. Le gouvernement fédéral peut parler et agir avec vous à ce sujet. Quel message pouvons-nous transmettre à ces députés? Existe-t-il une loi ou autre qui puisse garantir que l’on vous écoute sérieusement? Je suis désolée, mon anglais est un peu rouillé.

Mme Behn-Tsakoza : Non, c’était formidable. La Chambre des communes et M. Trudeau... J’aimerais qu’ils aient un programme comme celui-ci à la Chambre. Je trouve qu’il est important de comparaître ici, au Sénat, mais j’ai participé à l’initiative Héritières du suffrage en 2019, et cette expérience a fortement influencé ma vie et mon désir de participer à la vie politique. J’aurais aimé qu’il y ait un programme similaire pour les Autochtones afin de tenir compte des différences culturelles et d’établir les mesures de soutien qu’il nous faut pour répondre efficacement aux besoins des jeunes. Qu’il s’agisse d’une mesure législative ou simplement de la suggestion d’un programme ou de quelque chose du genre, je désire ardemment que cela se fasse. Si vous pouviez nous aider à y parvenir, j’en serais ravie.

La sénatrice Bovey : Je suis désolée d’être en retard. Mon avion avait un pneu plat. Je lirai la transcription de votre exposé. Je tiens à vous remercier. J’ai été profondément touchée par votre visite au Vatican.

J’ai une brève question au sujet du rapatriement des trésors culturels autochtones des Premières Nations, tant au Canada qu’à l’étranger. Je sais que de nombreux musées pourraient les recevoir, et plusieurs d’entre nous se concentrent là-dessus depuis longtemps. Avez-vous des idées sur la façon d’accélérer ces rapatriements?

Mme Behn-Tsakoza : En visitant le Vatican, notre groupe a discuté de la façon dont nous pourrions les récupérer; et si nous les récupérions, qu’en ferions-nous? J’ai beaucoup appris sur l’art et sur les artefacts. Ils doivent demeurer dans une pièce à une certaine température et à l’abri de la lumière forte. Ma communauté n’a pas ces infrastructures ou ces moyens de préserver nos artefacts. Je pense qu’il serait très utile d’obtenir un financement pour aider les communautés qui désirent s’en occuper. Nous croyons que ces artefacts, ces œuvres d’art et ces objets de notre culture sont animés d’un esprit. Notre culture ne nous incite pas à les conserver dans des musées, mais je dirais que si une communauté désire le faire, nous devrions l’appuyer.

Il faut aussi en discuter. Le Vatican a monté une exposition d’artefacts autochtones en Australie, et il veut le faire ici à l’île de la Tortue, dans ce qu’on appelle maintenant le Canada, ce qui a lancé ces conversations. Le Vatican prétend qu’il a eu cette noble idée, alors discutons-en davantage. Cette conversation accélérerait beaucoup les choses. Je tiens à souligner que la Commission de vérité et réconciliation du Canada mentionne aussi cela. Je pense qu’il serait également utile de faire des pressions à la Chambre des communes.

La sénatrice Bovey : Un programme finançait la U’mista Cultural Society, pour retourner des objets de cuivre et des trésors splendides et extraordinaires volés pendant des potlatchs. C’est incroyable. Merci. Nous verrons ce que nous pourrons faire pour récupérer une partie de ces merveilles.

Mme Behn-Tsakoza : Excellent.

Le président : Le temps de parole de ce témoin est écoulé. Je tiens à remercier Mme Behn-Tsakoza d’être venue nous parler aujourd’hui.

Je vais maintenant présenter notre prochain témoin, Mme Gabrielle Fayant, une fière Métisse dont la famille vient de l’établissement métis de Fishing Lake, en Alberta. Elle fera une déclaration préliminaire d’un maximum de 10 minutes, suivie d’une période de questions et réponses avec les membres du comité.

Gabrielle Fayant, à titre personnel : [Mots prononcés dans une langue autochtone]. Bonjour à tous. Comme je viens de le dire, je viens de l’une des huit assises territoriales métisses reconnues en Alberta. Je vais vous parler un peu de ce que j’ai vécu quand j’ai dû quitter ma communauté et mes terres ancestrales pour repartir à zéro ainsi que de mon cheminement vers la réconciliation.

Je viens de trois générations de survivants des pensionnats, des externats, des couvents, des écoles industrielles et de la rafle des années 1960. Même mes cousins aujourd’hui sont à la merci de la protection de l’enfance. L’une de mes cousines a été la plus jeune victime de la crise des opioïdes. La colonisation et l’oppression n’ont jamais pris fin; elles n’ont fait que continuer.

Je suis également cofondatrice et assistante d’un organisme sans but lucratif dirigé par de jeunes Autochtones, l’Assembly of Seven Generations, ou A7G. Nous travaillons sur des terres des peuples algonquins qui n’ont jamais été cédées. Nous faisons de notre mieux pour soutenir les jeunes Autochtones locaux au sein de notre réseau, tout en rendant à la nation algonquine qui nous accueille ce que nous lui devons quand nous le pouvons.

J’ai vécu l’isolement en milieu urbain. Je n’avais pas de ressources et de soutien qui m’aident à me sentir en sécurité et à rester en contact avec ma culture et ma communauté. Ce sentiment, le choc culturel et le sentiment de déconnexion que je ressentais après avoir quitté ma famille et ma terre d’origine à la préadolescence pour vivre à Ottawa ont amplifié les difficultés que l’on vit à l’adolescence et m’ont amenée à chercher des moyens d’appartenir à un groupe et de survivre.

J’ai souvent fait face à la mort et j’ai surmonté de grands obstacles, ce que beaucoup de mes pairs n’ont pas réussi à faire. Dans le cadre de mon parcours de guérison, j’ai contribué à créer le A7G en 2012 afin d’offrir aux jeunes Autochtones le soutien communautaire qu’il nous avait manqué, à moi et à mes pairs. Bien que l’organisme A7G ne fournisse pas de services, nous avons créé une communauté prospère et riche sur le plan culturel ainsi qu’un espace sécuritaire auquel il fait bon appartenir. Je suis très reconnaissante aux jeunes membres d’A7G qui ont eu la force et le courage de m’accompagner aujourd’hui. Ils sont ici, assis derrière moi. C’est vraiment agréable.

Nous avons créé des lignes directrices d’éthique en recherche, nous avons documenté de façon significative les expériences de jeunes Autochtones pris en charge et nous avons renforcé la voix des jeunes qui défendent la bonne intendance des terres. Je suis fière que de nombreux jeunes me considèrent comme une tante. Je donnerais ma vie pour les protéger.

Même étant jeunes, nous qui avions été choisis comme conseillers spéciaux par Affaires autochtones et du Nord Canada, ou AANC, en 2017 par la ministre Carolyn Bennett, avons ressenti profondément la déception et souvent des résultats déshumanisants découlant des consultations. Nous avons résisté à la tokenisation que subissaient le plus souvent les comités et les conseils de jeunes Autochtones en exigeant de participer à la mise en œuvre de l’Appel à l’action 66 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada au lieu de former un conseil de jeunes Autochtones pour le ministère.

L’Appel à l’action 66 de la commission se lit comme suit :

Nous demandons au gouvernement fédéral d’établir un financement pluriannuel destiné aux organisations communautaires œuvrant auprès des jeunes pour leur permettre d’offrir des programmes sur la réconciliation, et de mettre en place un réseau national de mise en commun de renseignements et de pratiques exemplaires.

Je suis ici pour parler de dédommagement. Je prends ce travail très au sérieux. Nous l’avons effectué dans le cadre d’une cérémonie et nous avons bénéficié de l’appui de nombreuses personnes qui ont prié pour notre succès sachant qu’il était d’une importance capitale.

Nous avons également perdu beaucoup de jeunes qui s’étaient joints à nous au début de cette initiative. La mise en œuvre de l’Appel à l’action 66 sauvera la vie de nombreux jeunes. Au cours de ces deux dernières semaines, en fait, l’un des groupes de jeunes avec lesquels nous travaillons dans le Nord a perdu trois membres en quelques jours seulement. Cela démontre à quel point l’Appel à l’action 66 est important. Nous avons également perdu un jeune garçon qui n’avait que 12 ans au début de cette initiative, et nous en avons perdu beaucoup d’autres en cours de route.

En élaborant notre plan, nous avons tenu compte de l’expérience de jeunes Autochtones de partout au monde, que nous avons recueillie en menant un sondage quantitatif. Nous avons aussi visité des communautés et nous avons organisé une rencontre nationale. Après avoir produit la feuille de route sur la mise en œuvre de l’Appel à l’action 66, nous l’avons présentée au ministre en 2018. En 2019, au lieu de donner aux jeunes qui avaient élaboré cette feuille de route les moyens de faire progresser notre démarche, le gouvernement a réservé une grosse somme d’argent à nos fins, mais elle a été détournée ailleurs. Cette appropriation de notre travail a réduit au silence les préoccupations que nous avions soulevées et, sans le soutien continu du cabinet de la ministre Bennett, nous avons perdu tout notre pouvoir ainsi que la motivation dont notre délégation de jeunes était animée pour mettre en œuvre l’Appel à l’action 66.

Comme d’autres groupes de jeunes Autochtones partout au pays, nous n’avions pas le privilège de nous arrêter pour reprendre notre souffle après ce revers. Les groupes comme A7G sont des bouées de sauvetage pour les jeunes qui s’efforcent de survivre dans la pauvreté et de surmonter l’institutionnalisation, la crise du logement, les crises de santé mentale et les circonstances endémiques que subissent les femmes, les jeunes filles, les personnes bispirituelles ainsi que les personnes LGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées.

Les dirigeants de ces organismes font eux aussi face à ces difficultés. Ils vivent dans un cycle de pauvreté et d’insécurité, car ils manquent continuellement de financement, ils doivent déménager et n’ont pas de locaux pour s’organiser et se réunir. Nous sommes frappés d’épuisement professionnel parce que nous soutenons continuellement de nombreuses personnes. Mon rôle de directrice d’A7G n’est pas un emploi à temps plein, mais je dois répondre à des appels de jeunes en crise à 4 heures du matin. Nous restons parfois debout toute la nuit pour nous assurer que les jeunes en crise sont en sécurité, mais nous ne recevons aucun soutien, rien. Nous sommes une bouée de sauvetage.

Nous abordons ces difficultés dans les plans que nous continuons à élaborer à partir de notre feuille de route. Plus récemment, nous avons réuni des groupes de jeunes Autochtones pour échanger des pratiques exemplaires et nous avons créé une trousse d’outils pour échanger ces pratiques. Il s’agit là d’une des étapes décrites dans l’Appel à l’action 66 de la commission. Nous en sommes à la prochaine étape de notre initiative, qui consiste à réunir des groupes de jeunes Autochtones pour discuter de la façon de faire pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il mette enfin en œuvre cet important appel à l’action.

Malgré les recommandations formulées par la Commission royale sur les peuples autochtones, par l’Enquête nationale et le Plan d’action sur les MMIGW2SLGBTQQIA+, par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et par la Commission de vérité et réconciliation du Canada, le gouvernement n’a pas encore pris de nombreuses mesures, souvent les plus urgentes, pour rétablir les droits inhérents des peuples autochtones et pour corriger les répercussions des pensionnats, des externats et des autres mesures de colonisation. La phase de consultation est terminée. Il est grand temps d’agir.

L’esprit des pensionnats ne s’est pas évaporé; il s’est simplement transformé en différentes politiques et en programmes qui empêchent les jeunes Autochtones non seulement de réaliser leurs plus grands rêves, mais de vivre à un niveau d’égalité avec les autres. Les descendants des survivants, les jeunes d’aujourd’hui, ont les taux les plus élevés d’institutionnalisation, du système de protection de l’enfance à l’incarcération. Si nous n’investissons pas dans les facteurs qui favorisent le bien-être des jeunes Autochtones, les organismes de jeunes comme A7G continueront de se sacrifier pour protéger les jeunes Autochtones. Ce cycle dure depuis des générations.

Nos communautés, nos survivants et nos descendants ont accepté le fardeau de la réconciliation. Il faut que le gouvernement et les Canadiens fassent leur part en investissant dans la guérison et le mieux-être et non dans l’institutionnalisation des enfants et des jeunes. Je profite de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui pour vous demander, au nom des nombreux groupes de jeunes autochtones, des sociétés de gestion collective et des organismes de la base qui vivent sur toutes ces terres, de nous aider à mettre en œuvre l’Appel à l’action 66 afin que nous puissions voir une réconciliation significative de notre vivant. Meegwetch, hiy hiy.

Le président : Merci, madame Fayant. Nous allons maintenant passer aux questions.

Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse à vous, monsieur le président. Mme Fayant nous a dit que le ministère des Relations Couronne-Autochtones a miné l’initiative de son organisme et n’a pas respecté l’esprit de l’Appel à l’action 66 de la commission en réduisant le financement de cette initiative. Pourrions-nous demander à un fonctionnaire du ministère de répondre à cette question?

Le président : Oui, c’est certain. Et nous pouvons...

Le sénateur Arnot : Je recommande que nous obtenions la réponse à cette question parce que, si c’est exact — et je suppose que c’est le cas —, cela indique que quelqu’un n’écoute pas très bien et mine le bon travail de cet organisme. Lorsque de jeunes leaders mènent ce genre d’initiative et travaillent fort pour apporter du changement, il est vraiment décourageant d’entendre cela.

Je vous remercie d’avoir porté cela à notre attention, et je vous félicite pour votre passion, votre engagement et votre émotion. J’aimerais recevoir une réponse à ces questions, et je pense que notre comité l’obtiendra. Merci d’avoir porté cela à notre attention. Je vous encourage à poursuivre dans cette voie, parce que de votre passion et de votre émotion se dégage une énergie salutaire, et je suis certain que vous contribuez à apporter du changement malgré les revers que vous avez subis. Merci d’avoir porté cela à notre attention.

Le président : Je vous remercie, sénateur. Nous en discuterons tout à l’heure.

Le sénateur Brazeau : Merci d’être venue aujourd’hui. Vous nous avez dit que vous aviez reçu du financement en 2017, mais qu’en 2019, ces fonds ont été redirigés ou investis ailleurs. Le ministère vous a-t-il fourni une réponse détaillée sur les raisons de cette appropriation?

Mme Fayant : Je ne sais pas s’il s’agissait d’une réponse détaillée, mais on nous a essentiellement fait comprendre que notre travail était accompli et que le gouvernement reprendrait la direction de notre initiative à partir de là. Ensuite, un autre organisme a reçu cet argent. En fait, nous ne recevions pas de financement pour nos programmes. L’Appel à l’action 66 n’a jamais été mis en œuvre. Ce n’était qu’une phase de consultation, puis tout le travail que nous avons accompli a été balayé du revers de la main et a disparu. Je pense que les gens pensaient que nous allions accepter cela sans nous y opposer. Cependant, nous ne pouvons pas abandonner notre tâche. On n’a pas à se demander si nous recevons du financement ou non. Nous méritons ce financement.

À l’heure actuelle, nous parlons à de nombreux groupes de jeunes de partout au pays qui vivent exactement la même chose. Honnêtement, je savais que cela se produisait, mais je ne m’étais pas rendu compte que c’était un problème aussi systémique. Il y a des groupes de jeunes comme A7G partout au pays qui continuent à faire leur travail parce que s’ils ne font rien, les jeunes qu’ils servent seront laissés pour compte. Oui, nous existons toujours et nous essayons encore de faire adopter l’Appel à l’action 66. Peut-être que certaines personnes pensent que cet appel demande des microsubventions pour les jeunes Autochtones, mais ce n’est pas exact. Il n’est pas question de microsubventions dans cet appel à l’action. Ces groupes de jeunes, comme A7G, ont besoin d’un financement pluriannuel.

Le sénateur Brazeau : Savez-vous quel organisme a reçu votre financement? Si oui, est-ce un organisme autochtone ou un organisme qui fait exactement le même travail que vous?

Mme Fayant : Je ne nommerai personne, parce que cela risque de compliquer la situation. Cet organisme se voue à la réconciliation, mais comme c’est un organisme national, ses travailleurs ont une expérience très différente de celle que nous avons sur le terrain.

Nous travaillons tous les jours auprès de jeunes Autochtones. Il me semble que l’Appel à l’action 66 préconise l’approche communautaire et que c’est un élément très important. Ces groupes doivent être enracinés dans les communautés qu’ils servent, sinon ils ne comprennent pas l’importance de leur travail.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup d’avoir pris le temps de venir témoigner aujourd’hui. De toute évidence, votre temps est très précieux, et nous vous sommes reconnaissants parce que, grâce à cet investissement de votre temps ici aujourd’hui et au fait que nous vous écoutons à nouveau, nous espérons pouvoir prendre des mesures efficaces.

Comme vous l’avez dit, l’Appel à l’action 66 peut vraiment sauver la vie de jeunes. Vous l’avez constaté vous-même. Vous en êtes témoin et vous vivez cela jour après jour.

Vous avez également parlé de l’insécurité que vit votre organisme et d’autres organismes comme le vôtre. Ce sont des organismes communautaires, des groupes de la base composés de quelques personnes qui, jour et nuit, s’efforcent de faire ce qu’il faut. L’épuisement professionnel et l’insécurité sont des obstacles de taille, et je vous félicite de tenir le coup. En répondant au sénateur Brazeau, vous avez souligné le caractère particulier des organismes communautaires, qui sont dirigés par des jeunes et qui sont en contact avec les jeunes des communautés partout au pays. C’est exactement ce que visait l’Appel à l’action 66.

Votre expérience est malheureusement très courante. J’ai beaucoup travaillé au Canada et dans d’autres pays. Il peut être très difficile d’amener le gouvernement du Canada à reconnaître qu’il doit arroser les fleurs et non les mauvaises herbes, parce qu’il a de la peine à distinguer les fleurs des mauvaises herbes. Certaines mauvaises herbes ont l’art de s’attirer des faveurs.

Je suis vraiment désolée que votre organisme se soit retrouvé dans cette situation. Comme vous l’avez dit, cela arrive à d’autres aussi. Vous savez maintenant qu’il existe au Canada d’autres organismes semblables au vôtre qui accomplissent légitimement le travail à faire, que l’Appel à l’action 66 recommande et qui encouragent les remises en question et les enquêtes.

L’une des tâches principales du Sénat du Canada est d’enquêter, alors vous nous avez présenté une chose importante à comprendre. Notre comité, le Sénat du Canada, la Chambre haute du Canada, se doivent de savoir ce qui se passe dans le cadre de l’Appel à l’action 66 et d’autres recommandations. Nous devons comprendre quels types d’organismes ont été retenus et lesquels ont été exclus, et pourquoi. Merci d’avoir soulevé cette question aujourd’hui. À mon avis, cela fait partie de la vérité que nous devons découvrir afin de progresser vers la réconciliation que nous désirons tous atteindre, mais qui est loin de se réaliser. Je vous en remercie.

Je n’ai pas vraiment de questions à vous poser, mais pouvez-vous me dire si j’ai bien compris la situation?

Mme Fayant : Certainement. C’est bien ce qui s’était passé, malheureusement. Il y a des groupes de jeunes qui accomplissent encore ce travail sans financement pluriannuel et sans financement de base. Certains d’entre eux n’ont même pas de local où se réunir, alors que d’autres ont réussi à trouver des fonds ici et là pour fonctionner. Malgré ce qui s’est passé, malgré tous ces revers, nous assisterons à la mise en œuvre de l’Appel à l’action 66. Ces jeunes travaillent tellement fort qu’ils méritent vraiment d’être rémunérés et de recevoir le soutien et les ressources qu’il leur faut.

La sénatrice Hartling : Je suis heureuse que vous ayez mentionné les difficultés et les obstacles que vous devez surmonter pour stabiliser votre organisme et pour souligner ce que nous devons faire. J’ai travaillé dans des organismes sans but lucratif pendant de nombreuses années, et je sais que c’est très difficile, surtout pour les gens qui font face à des difficultés tout en s’efforçant d’accomplir leur travail. C’est totalement inacceptable. Je suis heureuse que vous soyez ici aujourd’hui pour nous le décrire.

Votre témoignage m’a profondément émue. Qui écoute ce que vous endurez pour vous donner du soutien? Votre travail suscite beaucoup d’émotions. Avez-vous des gens qui vous appuient, qui peuvent vous aider, à qui vous pouvez vous confier et qui vous donnent des conseils?

Mme Fayant : Il y a les membres de la communauté, mais de nouveau, un grand nombre d’Autochtones subissent eux aussi les traumatismes que nous vivons quotidiennement. Heureusement que nous avons notre communauté et nos aînés — pas plus tard qu’hier, nous avons participé à une très belle cérémonie, dirigée par un aîné avec qui nous travaillons. Nos aînés ne demandent rien en retour. Ils voient tout le travail que nous accomplissons, et ils sont toujours prêts à nous soutenir et à diriger une cérémonie pour nous. À part cela, nous survivons grâce à l’espoir, l’espoir de vivre la réconciliation. Nous savons qu’il y a du financement pour la réconciliation. Alors oui, c’est vraiment ce que nous vivons.

La sénatrice Hartling : Je vous remercie d’être venue nous en parler. Maintenant, nous savons tous ce que vous vivez. Ne lâchez pas, ne perdez pas espoir. Nous allons faire en sorte de la réaliser. J’apprécie votre courage. Sachez que nous sommes ici pour vous aider. Merci.

La sénatrice Audette : Monsieur le président, ceci n’est pas une question. C’est un engagement ou un commentaire. On se souvient de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. En produisant les appels à la justice, nous avons veillé à placer les familles, les femmes et les personnes qui avaient perdu un être cher au cœur de l’appel en les invitant à participer à son élaboration. Les organismes de la base sont cruciaux pour les gens qui manquent de sécurité ou qui ont besoin d’aide pour se maintenir en vie. Nous vivons cela tous les jours. Je suis convaincue que ce concept s’applique aussi à la situation qui nous occupe aujourd’hui.

Le président : Le temps de parole de ce témoin est écoulé. Je remercie Mme Fayant d’être venue nous parler aujourd’hui.

Je vous présente maintenant notre prochain témoin, M. Jama Maxie, qui est originaire des Premières Nations de White Bear, en Saskatchewan. M. Maxie fera une déclaration préliminaire d’un maximum de 10 minutes, suivie d’une période de questions et réponses avec les membres du comité.

Jama Maxie, à titre personnel : Merci beaucoup.

On m’a demandé tout à l’heure pourquoi je voulais comparaître devant vous. J’y ai réfléchi en marchant dans le couloir, et je pense avoir trouvé la réponse. Je veux donner de l’espoir aux peuples autochtones de ce pays. C’est le but de ma vie, donner de l’espoir aux gens.

L’un de mes mentors est M. Jesse Thistle, un auteur canadien célèbre. Je l’ai rencontré à l’université. Il croit en ce qu’on appelle la thérapie narrative. Je vais vous en donner un exemple aujourd’hui.

Avant de commencer, je vais me présenter. Je m’appelle Jama Maxie. Je suis né à Regina, en Saskatchewan, et ma réserve est la Première Nation de White Bear. Je fais partie du peuple lakota. Je suis également afroautochtone.

Mon kookum a vécu dans un pensionnat, et ma mère a été placée en famille d’accueil. J’ai aussi grandi en famille d’accueil. Deux de mes oncles sont allés au pensionnat et se sont suicidés après avoir vécu dans ces pensionnats. C’est ainsi que mon parcours de vie a commencé. J’avais tout contre moi dès le départ, pour ainsi dire.

En famille d’accueil, j’ai beaucoup souffert. Dans le système de familles d’accueil, j’ai vécu les trois formes de violence, la violence mentale, physique et sexuelle. Cette violence s’est ancrée dans mon cerveau. Par conséquent, après être sorti de ces familles d’accueil, j’ai développé de graves problèmes de toxicomanie et d’alcoolisme, et je me suis retrouvé sans abri. Je suis profondément reconnaissant d’avoir été invité ici aujourd’hui.

En 2018, j’ai commencé à redécouvrir ma culture, mon identité et mon esprit. Je me suis sorti de ma dépendance et j’ai commencé à faire des études. J’ai rencontré Jesse Thistle à l’Université York. Aujourd’hui, j’ai le privilège de témoigner ici. Beaucoup d’enfants n’ont pas ce privilège, et je ne prends pas à la légère le fait d’être ici et de pouvoir vous dire ce que je crois. Nous sommes à l’heure de la vérité et de la réconciliation. Je vous dis ma vérité.

Comme cela a été mentionné plus tôt, le mot « réconciliation » signifie raviver, pour ainsi dire, une relation. S’il avait existé une relation entre nous, si nous étions autrefois de bons amis, mais que quelque chose nous a séparés, je pourrais raviver la relation.

Les peuples autochtones du pays n’ont jamais eu de bonnes relations avec le gouvernement. Il ne s’agit donc pas de réconciliation, mais de conciliation. Il s’agit d’un processus colossal. C’est ce que je crois être vrai.

Je crois fermement que le Canada a beaucoup de choses à changer. La plus importante, celle dont je veux parler aujourd’hui, c’est la réforme de la protection de l’enfance.

Comme je l’ai déjà mentionné, j’étais l’un de ces enfants qui ont été pris en charge dès leur première année. Avant de pouvoir établir une relation durable avec ma mère, j’ai été placé en famille d’accueil et j’ai été élevé en famille d’accueil toute ma jeunesse. Je n’avais aucun lien avec ma culture, ma terre, ni avec ma famille, ces cousins, tantes et oncles que je rencontre aujourd’hui à l’âge de 26 ans. Je n’avais pas d’identité. J’ai été séparé de mes frères et sœurs. Cela s’est traduit par des problèmes de santé mentale et de toxicomanie. À 21 ans, j’ai réellement, à maintes reprises, songé à me suicider, à disparaître parce que je ne faisais qu’exister.

Des données publiées en 2016 ont révélé que 52 % des enfants dans le système de protection de l’enfance sont des Autochtones, alors que ceux-ci ne représentent que 8 % de la population du pays. Ces chiffres sont effarants.

Des gens en demeurent marqués, de la même façon que dans les pensionnats, et c’est ce dont nous parlions le 30 septembre. Des jeunes ont été arrachés à leur foyer, à leur communauté, à leur famille, à leur mère et à leurs frères et sœurs. Il y a eu une perte de culture et une perte de lien avec la terre.

À mon avis, la réforme de la protection de l’enfance doit viser les mandats coloniaux qui ont été établis pour prendre en charge ces enfants. Il faut trouver une meilleure façon d’aborder la question. Comme nous le savons, le colonialisme a eu des répercussions sur les peuples autochtones, mais tout particulièrement sur le plan de la protection de l’enfance. Qu’est-ce qu’un effort raisonnable pour justifier qu’un enfant soit pris en charge? Ces mandats, les enquêtes, toutes ces choses découlent de cette optique coloniale. Il n’y a pas de cercles. Il n’y a pas d’anciens. Il n’y a rien dans ce processus. Je vous ai dit plus tôt que j’avais une définition différente de ce que le présent signifie pour moi.

Une autre chose qui me dérange vraiment, c’est la façon dont l’enseignement se fait, de la maternelle à la 12e année. J’ai grandi dans le système de protection de l’enfance, et on ne m’a jamais parlé des pensionnats pendant toutes mes années à l’école. C’est pathétique. J’ai dû apprendre cela par moi-même. Les larmes me montent aux yeux quand j’y pense parce que c’est le cas de ma famille. Cela doit changer. Il faut au Canada un programme d’enseignement qui fait état des réalités concrètes. Nous parlons de toutes sortes de concepts, comme l’Holocauste et différents événements dans l’histoire. Ce qui importe, c’est que le 30 septembre les gens puissent exprimer leur vérité. C’est quand les gens disent la vérité qu’on peut améliorer les relations, qu’on peut réparer et faire amende honorable.

Je termine en remerciant tous ceux qui ont pris le temps d’être ici, mais j’invite les autres sénateurs qui ne sont pas ici aujourd’hui à se manifester. Nos voix importent. C’est ce qui importe : que les gens soient entendus. Je veux voir une meilleure représentation des jeunes dans des instances comme celle-ci et plus de gens autour de la table. Je rêve qu’un jour il y aura un premier ministre autochtone au pays, et c’est à ce moment-là que la réconciliation se fera. Meegwetch.

Le président : Merci.

Le sénateur Brazeau : Merci de nous avoir fait connaître votre histoire et votre vérité. Je n’ai pas de question, mais je tiens à dire que c’est un honneur de vous rencontrer tous aujourd’hui. Je ne sais peut-être pas tout ce que vous avez vécu, mais j’en sais maintenant un peu.

Vous avez mentionné que votre raison d’être est de donner de l’espoir. Si vous me permettez de donner un conseil, moi qui ne suis pas non plus très âgé, je vous dirais de préserver cette attitude pour soutenir votre action. Cela vous aidera. Cela ne va pas seulement vous aider, mais aider aussi beaucoup de jeunes Autochtones partout au pays. Merci. Meegwetch.

M. Maxie : Merci.

La sénatrice Coyle : Merci, monsieur Maxie. Je suis heureuse que vous ayez pu vous rendre jusqu’ici.

Vous avez dit que vous vous occupez principalement de la réforme du système de placement en famille d’accueil, dont vous avez beaucoup souffert. Je suis certaine qu’il est même difficile pour vous d’en parler.

Le comité et le Sénat ont approuvé le projet de loi C-92, qui vise, comme vous le savez, à réformer la façon dont le Canada fournit les services à l’enfance et à la famille. C’est un sujet que nous avons étudié et sur lequel nous avons entendu beaucoup de témoignages. Vous soulevez la question aujourd’hui et d’autres l’ont déjà abordée. Pour les peuples et les communautés autochtones, le fait d’avoir compétence sur les leurs est tellement essentiel au changement qui doit s’opérer. Je suppose que c’est la réforme que vous souhaitez. Le projet de loi C-92 a été adopté il y a trois ans, n’est-ce pas? Que le temps passe vite. Voilà trois ans qu’il a été adopté, et nous avons constaté des écarts entre ce qui a été fait et ce qui ne l’a pas été et avons vu naître des querelles avec différents gouvernements provinciaux au sujet des sphères de compétence, et ainsi de suite.

J’aimerais savoir si vous avez des observations et des conseils à formuler à notre intention. Notre travail consiste non seulement à étudier les projets de loi, à les améliorer et à les adopter, mais aussi à en faire le suivi. Dans le projet de loi en question, nous pensions qu’il comportait d’excellentes idées et nous l’avons tous appuyé. Nous devons ensuite nous demander ce qu’il est advenu de cette intention qui a été inscrite dans la loi. Si vous avez quelque chose à nous dire à ce sujet, nous serions heureux de vous entendre.

M. Maxie : Oui, à propos de ce projet de loi. Je prononce beaucoup de discours dans la province précisément à ce sujet. L’exercice de la compétence sur nos propres enfants est tout ce que nous demandons. Et que nous établissions les règles, que nous élaborions les politiques. Parce que ce que j’essaie de dire — je ne l’exprime pas toujours correctement —, c’est qu’il s’agit de mandats coloniaux qui ont été établis par le gouvernement et que ces mandats ne tiennent pas la route lorsqu’on les exerce dans nos communautés. C’est en vertu de ces mandats qu’on en retire les enfants. Cela tient au fait que ce qui paraît être de la pauvreté chez tel groupe de familles n’est peut-être pas de la pauvreté pour une famille autochtone. Ce qui ressemble à un dysfonctionnement pour une famille blanche n’est peut-être pas la même chose pour une famille autochtone. Aussi, il faut revenir à la façon dont on devrait gérer ces situations, c’est-à-dire en créant un cercle, plutôt que de laisser les décisions à une seule personne dans une structure hiérarchique. Il devrait s’agir de gens présents dans la communauté et de responsables de programmes de recherche de famille.

Le programme Family Finding est l’un des meilleurs. Je pense que ce sera vraiment avantageux pour le système de protection de l’enfance et pour tous les organismes qui ont compétence en matière de recherche de famille. Disons qu’une personne comme moi est retirée de sa communauté. Elle déménage à Toronto et je suis sur le point d’être prise en charge, n’est-ce pas? Le programme Family Finding fait partie de l’organisme responsable, et il va chercher des proches pour garder cet enfant dans la communauté, qu’il s’agisse d’un oncle ou d’une tante, d’une grand-mère, d’un voisin ou d’un enseignant, peu importe. De cette façon, nous réduisons le nombre d’enfants pris en charge et les gardons dans leur communauté. Dans le passé, nous n’avons pas fait d’efforts raisonnables pour essayer de le faire. La décision était simplement prise d’office. Nous ne nous sommes pas tournés vers les communautés, si bien que les enfants ont été déconnectés. La déconnexion entraîne une perte d’identité et des difficultés économiques, la toxicomanie et toutes sortes de problèmes plus tard dans la vie.

J’espère que cela vous est utile.

La sénatrice Coyle : Le programme Family Finding existe-t-il?

M. Maxie : Oui. Les Native Child and Family Services de Toronto ont une équipe qui y consacre son temps, ses heures de travail.

La sénatrice Coyle : À Toronto.

M. Maxie : À Toronto.

La sénatrice Coyle : C’est un modèle.

M. Maxie : C’est un modèle qui peut servir à des gens au Canada et qui va apporter beaucoup de changements.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup. Je vous ai bien compris.

La sénatrice Audette : Merci beaucoup de nous avoir raconté une partie de votre vie ou de votre histoire. C’est un cadeau et un privilège, mais aussi une responsabilité, de vous entendre exprimer votre vérité. Je vous remercie donc tous.

Je suis nouvelle ici, depuis seulement un an. Il me reste encore quelques années, si le Créateur le veut, quelque chose comme 20 ans. Comment pouvons-nous faire en sorte de nous autochtoniser et d’avoir plus de cercles ici? Comment pouvons-nous nous assurer que votre voix soit entendue ici et qu’elle ne tombe pas dans l’oubli?

M. Maxie : Je pense que le plus important, c’est d’inviter des gens. Il y a beaucoup de gens qui peuvent vous parler longuement sur le plan théorique, n’est-ce pas? Cependant, nous n’invitons pas les gens qui ont une expérience vécue à des tables et à des endroits comme celui-ci, mais je pense que leur influence pèse beaucoup plus que n’importe quelles études. Comme Jesse me l’a dit, votre expérience pèsera plus lourd que n’importe quel diplôme d’études que vous obtiendrez dans ce monde. Je veux obtenir un jour un doctorat, tout comme Jesse, mais mon expérience vécue est plus importante que cela. Il est donc essentiel d’inclure ces gens — notamment les anciens et les gardiens des savoirs — dans les cercles de discussion. C’est ainsi que les choses ont été faites dans le passé et devraient être faites.

La sénatrice Cordy : Je ne suis pas membre du comité, mais j’ai décidé que je devais venir entendre vos voix aujourd’hui et je m’en félicite grandement.

Vous avez dit plus tôt que votre passion et votre désir étaient de donner de l’espoir aux peuples autochtones. Je pense que le fait d’entendre ces voix de jeunes aujourd’hui donne de l’espoir aux gens. Je vous en remercie. J’étais enseignante avant d’accepter le poste que j’occupe et, lorsque j’entends des jeunes raconter leur histoire, cela m’interpelle vraiment. Je suis certaine que les gens qui nous écoutent aujourd’hui se sentent interpellés également.

Tous trois, vous avez parlé de traumatisme intergénérationnel. J’ai l’impression que nous en parlons depuis tellement d’années — et j’ai l’âge de votre mère au moins, sinon de votre grand-mère — et pourtant j’entends encore les gens dire : « Pourquoi en parlons-nous encore? C’est arrivé il y a si longtemps. » Ils ne comprennent pas que le traumatisme est transmis. J’essaie de l’expliquer, mais ma voix ne porte pas et j’ai donc cessé de le faire. Comment faire pour que les gens comprennent que c’est intergénérationnel? C’est un peu comme un boulet dont on ne peut jamais se débarrasser. Comment composez-vous avec cela quand vous racontez votre histoire?

M. Maxie : Encore une fois, je pense que cela tient à l’expérience vécue, n’est-ce pas? Si quelqu’un enseigne ce qu’est un traumatisme intergénérationnel à partir d’un manuel, par contraste avec moi qui exprime la vérité que je viens de vous livrer, c’est-à-dire la douleur et la souffrance réelle qui résultent d’un traumatisme intergénérationnel — comme je l’ai mentionné, ma kookum et mes deux oncles étaient décédés —, c’est la vraie vie. Ce n’est pas un manuel. Les gens écouteront. Les Canadiens y prêteront l’oreille. Vous pouvez regarder beaucoup de films et faire toutes sortes de choses, mais rien ne vaut l’expérience de la vie réelle. Nous devons donc continuer de faire connaître ces expériences de la vie réelle. Je pense que le Canadien moyen en retire plus que s’il lisait un manuel ou de la documentation sur ce qui s’est passé. Lorsque vous entendez quelqu’un reconnaître à quel point votre vie a été bouleversée, c’est qu’il y a eu un impact.

Le président : Sur ce, le temps prévu pour ce groupe de témoins est écoulé. Merci, Jama Maxie, de nous avoir rencontrés aujourd’hui.

Je vous présente maintenant notre prochain et dernier témoin d’aujourd’hui. Tyrone Sock est de la Première Nation d’Elsipogtog, au Nouveau-Brunswick. M. Sock fera une déclaration préliminaire d’au plus 10 minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses.

Tyrone Sock, à titre personnel : [ Mots prononcés dans une langue autochtone]. Je m’appelle Tyrone et je viens d’Elsipogtog. Je suis ici aujourd’hui pour vous faire part de mon parcours, et mon histoire commence avec ma fondation, ma famille, mes amis et ma communauté. Grâce à leur amour, à leur soutien et à leurs conseils, je sens que je peux tout surmonter. À 29 ans, je porte les cicatrices des événements marquants de ma vie, les suicides, les terribles accidents, les hauts et les bas, les doutes et les incertitudes. Mes cicatrices me rappellent que mon passé était réel, et ce qui est réel apporte la connaissance, la compréhension et l’ultime pardon.

Dès mon plus jeune âge, j’ai eu la passion du hockey. Mon père a été entraîneur adjoint pendant de nombreuses années au hockey mineur et il était aimé de tous les joueurs et parents que nous avons rencontrés. Le hockey a créé pour nous un esprit de communauté et des amitiés qui dureront toute la vie. Notre amour du jeu et notre fraternité ont fait de nous une équipe championne pendant de nombreuses années. Pour tous les membres de l’équipe, c’était une excellente leçon de vie qui nous a tous aidés à atteindre le niveau suivant, non seulement au hockey, mais dans la vie. J’ai ensuite joué au hockey junior majeur pour les Sea Dogs de Saint John et je suis devenu un modèle dans notre communauté. Quand on travaille fort tout en y trouvant plaisir, tout est possible.

Je pêchais le homard et le crabe des neiges avec mon père depuis 10 ans quand, il y a 17 mois, notre bateau de pêche, le Tyhawk, a sombré à 10 milles au large du cap Breton. Mon père a péri ce jour-là, et cette tragédie a modifié ma vision de la vie. Le Créateur avait fixé une autre destinée pour moi. Un homme qui faisait tout pour sa famille, ses amis et sa communauté avait disparu en un instant. Je serai éternellement reconnaissant pour les enseignements et les leçons que mon père m’a prodigués au cours de ses 49 brèves années. Je continuerai d’appliquer ses enseignements dans mon quotidien. Voir quelqu’un prêcher par l’exemple est beaucoup plus valable et inspirant que de se faire dire quoi faire.

À la suite du décès de mon père, j’ai voulu faire quelque chose pour honorer sa mémoire. Mon père se réjouissait de voir comment les tournois de golf rassemblaient les gens. Grâce au soutien de la communauté et à l’aide de commanditaires, nous avons pu organiser notre premier camp annuel de développement du hockey jumbo, qui était entièrement gratuit pour 100 enfants autochtones et non autochtones âgés de 9 à 5 ans de notre communauté. Les instructeurs du camp étaient tous des joueurs de hockey locaux dont mon père avait été l’entraîneur à un moment ou l’autre dans leur carrière. Il serait fier de nous voir donner en retour à la communauté.

En octobre dernier, j’ai eu l’occasion d’entraîner une équipe de hockey junior B et d’enseigner à un groupe de jeunes hommes, autochtones et non autochtones, à se fondre en une seule famille et à s’unir en une seule équipe. L’expérience a été enrichissante. Le fait d’être actif dans la communauté chaque semaine m’a aidé dans mon parcours de guérison et me pousse à continuer d’apprendre et d’enseigner.

Sur le chemin de l’éducation, il n’y a pas de destination. Je l’ai compris à mes dépens. Pendant bien des années, je pensais avoir tout compris et je ne voulais rien de nouveau dans ma vie, mais je ne me rendais pas compte qu’à partir du moment où on s’enracine quelque part, on cesse de croitre. Le Créateur a tracé une voie pour chacun d’entre nous. Dès qu’on s’écarte de sa voie, de nouveaux enseignements inattendus nous y ramènent brutalement.

Pour ma part, j’ai perdu mon père dans le tragique naufrage d’un bateau sur lequel j’étais censé me trouver. Le Créateur m’avait tracé une autre voie. J’ai passé des jours et des jours à me poser des questions sur ce qui aurait pu arriver. Cela ne faisait qu’assombrir la situation. J’ai vite compris qu’il fallait changer quelque chose. Je me suis inscrit à l’Université du Nouveau-Brunswick en éducation et j’ai commencé à participer aux cérémonies de la suerie à l’été 2021. Cela m’a aidé à éliminer toute énergie négative que je recelais en moi et à ouvrir mon esprit et mon cœur. C’est en entendant les histoires et les difficultés d’autres membres de la communauté que j’ai pris conscience que je n’étais pas le seul à subir des épreuves.

Mon objectif en tant qu’éducateur sera d’aider les élèves à découvrir les connaissances sacrées qui sont déjà en eux et de les ouvrir aux innombrables connexions qui composent leur entourage. Plutôt que d’aspirer à des choses comme la renommée, la richesse ou le statut social, je veux que mes élèves passent du temps à forger de beaux mots, de beaux sentiments, de belles relations et de beaux souvenirs. L’enseignant n’a pas pour mission d’être un médiateur entre telle personne et le Créateur. Il n’est censé qu’aider à accéder à la sagesse divine déjà présente en chacun. Lorsqu’on est au contact de son enseignant intérieur, tous les gens deviennent enseignants et toute chose devient leçon.

Étant père de deux jeunes enfants, je commence à voir que nous sommes tous envoyés par le Créateur pour enseigner les uns aux autres, chacun avec les dons qui lui sont propres. Ces dons sont beaucoup plus féconds s’ils sont employés de concert avec l’ensemble de la communauté. Le mode de vie autochtone a toujours été communautaire et a pour finalité de répondre aux besoins de tout le groupe plutôt qu’aux désirs des individus. Dans les traditions tribales, la coopération est hautement valorisée. Chacun a des aptitudes et un rôle à exercer, et aucune aptitude n’est tenue pour supérieure à une autre.

[Mots prononcés dans une langue autochtone]. Toutes mes relations.

Le président : Nous passons maintenant à la période des questions.

La sénatrice Hartling : Merci de nous avoir raconté votre histoire. Nous avons conversé ce matin et j’ai donc eu l’occasion de vous connaître un peu. Vous venez du même coin de pays que moi.

Pouvez-vous nous parler de votre programme d’études? Je crois que le programme est un peu différent parce qu’il fait appel à certains de vos propres enseignements. Pouvez-vous nous en parler et nous dire en quoi cela pourrait être utile?

M. Sock : Je participe à un programme de quatre ans appelé le baccalauréat en éducation Wabanaki. Il regroupe une cohorte de 32 étudiants autochtones du Nouveau-Brunswick. Il y en a aussi quelques-uns du Québec et de la Nouvelle-Écosse. Il est adapté aux étudiants qui travaillent. Presque tous travaillent en milieu scolaire en ce moment. Au tout début du programme, nous nous sommes rendus au lac Magaguadavic pour quatre jours d’enseignement en pleine nature. Des aînés de toute la province sont venus nous apprendre comment enseigner le savoir traditionnel. La quatrième année est celle de notre stage dans les écoles. C’est un excellent programme et il suscitera beaucoup de changements dans notre système d’éducation. Je le crois vraiment.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup de votre témoignage. Je suis convaincue que nous réussirons. Avec vous, je suis certaine que de nombreux changements se produiront. Merci.

M. Sock : Merci.

Le président : Monsieur Sock, qu’est-ce que cela signifierait pour votre communauté et votre nation de pouvoir exploiter nos pêches en vertu de droits reconnus et de le faire pleinement et en toute sécurité? Après 23 ans de non-respect de l’arrêt Marshall, quel message adresseriez-vous au gouvernement fédéral?

M. Sock : Je peux parler au nom de mon père, car il a été pêcheur pendant 25 ans et j’ai vu comme il a dû lutter pour s’en sortir. Il s’est effondré à sa deuxième année de pêche parce que son bateau n’était pas en état de prendre la mer. Il n’avait pas d’argent pour nous nourrir. Il... Excusez-moi.

Le président : Prenez votre temps.

M. Sock : Il a fait tout ce qu’il pouvait pour nous aider. C’est sa passion pour la pêche qui a fait de lui un grand pêcheur. Peu importe que vous soyez pêcheur pendant 25 ou 5 ans, il y a toujours le risque que de terribles accidents se produisent.

Je me suis écarté de votre question. Il n’était pas propriétaire de son bateau, si bien que, lorsqu’il s’est adressé à la banque pour obtenir des prêts, il a essuyé un refus. Sur papier, il n’avait pas la propriété du bateau; le permis de pêche et le bateau étaient au nom de la bande. Mon message serait donc d’avoir une voix plus forte à la table, puisque la veille de l’accident nous avions demandé un report de la saison de pêche. Nous n’avions qu’une seule personne pour nous représenter, et je ne pense pas qu’elle avait un siège à la table. Je crois sincèrement que nous avons besoin d’une voix plus forte.

Le président : C’est évident. Merci, monsieur Sock.

Le sénateur Arnot : Merci, monsieur Sock, d’être venu ici aujourd’hui et de nous avoir raconté votre histoire.

J’aimerais faire quelques observations. J’ai dit publiquement à maintes reprises que les gens des Premières nations voient le monde différemment des non-Autochtones. Il y a beaucoup que les non-Autochtones peuvent apprendre de la façon dont les Autochtones voient le monde. J’ai le sentiment que vous allez apprendre beaucoup de choses aux non-Autochtones et aux Autochtones.

De plus, j’ai un profond respect pour les éducateurs professionnels, les enseignants. Les enseignants sont les moteurs du changement. Comme vous dirigez une salle de classe, vous êtes forcément un modèle. Vous façonnez l’avenir de nos communautés. Vous êtes un agent de changement. Du fait de votre passion, votre engagement et votre motivation, vous ne manquerez pas d’être un excellent agent de changement et un excellent enseignant. Merci.

Le sénateur Brazeau : Merci de nous avoir raconté votre histoire.

Je n’ai pas, bien sûr, connu votre père, mais je ne doute pas qu’il soit très fier de vous. Je le suis également et je sais que mes collègues le sont tout autant. Il y a un trait qui caractérise les Autochtones, et c’est malheureux; c’est que nous sommes des survivants. Malheureusement, il y en a qui ne sont pas aussi chanceux que nous.

Cela dit, j’aimerais simplement savoir — et vous n’avez pas à répondre puisqu’il s’agit d’une question personnelle — comment vous avez pu surmonter le traumatisme de la mort de votre père? Votre vie aurait pu prendre un tout autre tournant. J’aimerais savoir — je me pose toujours la question — ce qui vous a permis d’aller de l’avant et ce qui vous a amené ici aujourd’hui.

M. Sock : J’avais droit à la colère, mais la colère ne faisait que me rendre malade. Je ne voulais plus porter cette colère en moi et j’ai donc décidé de prendre les choses en main. Je suis maître de moi-même. C’est moi qui suis responsable ici, tout comme les autres. Il s’agit de mes enfants. Je regarde mes enfants, et s’ils me voient en colère, ils vont l’être aussi. Ils veulent que leur père soit heureux. Au bout du compte, ce sont mes enfants, et le cycle de la colère se terminera ici.

Le sénateur Brazeau : Tant mieux pour vous.

La sénatrice Bovey : Je ne suis pas membre du comité, mais je suis très touchée par ce que vous avez tous dit.

Je suis particulièrement touchée par ce que vous avez dit au sujet de la terre. Au cours des nombreuses années où j’ai eu le privilège d’enseigner, j’ai demandé aux gens la définition de « culture ». J’ai surtout appris de mes élèves autochtones qui ont dit que la culture, c’est la terre. En réponse à la sénatrice Hartling, vous avez parlé du début de votre programme qui s’est passé en pleine nature, sur la terre, et je veux reprendre là où le sénateur Arnot s’est arrêté parce que je reconnais que les non-Autochtones ont beaucoup à apprendre de vous. Y a-t-il moyen de prendre vos enseignements de la terre et de les exposer à certains d’entre nous qui n’ont pas cela dans notre mémoire ancestrale?

M. Sock : Il faudrait que je vous amène directement sur la terre.

La sénatrice Bovey : J’y irais volontiers. J’étais justement à Gjoa Haven l’autre jour pour cela. Je vais donc y aller.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, monsieur Sock. Vous êtes déjà un éducateur exceptionnel.

Est-ce que ce merveilleux programme auquel vous participez vous prépare à travailler dans le système scolaire ordinaire? Nous avons des écoles micmaques en Nouvelle-Écosse, mais je ne sais pas si au Nouveau-Brunswick vous avez des écoles micmaques ou malécites dans vos communautés. Allez-vous être intégrés au système scolaire ordinaire? De plus, si vous avez de telles écoles, quelle est la relation avec elles?

M. Sock : On recommande que nous allions dans une école des Premières Nations, et au niveau élémentaire. Nous avons la possibilité d’y obtenir notre certification. Merci.

Le président : Le temps prévu pour ce témoin est écoulé. Je remercie Tyrone Sock d’être venu nous rencontrer aujourd’hui.

Cela nous amène à la fin de notre réunion. Nous devons nous arrêter à 15 heures. Wela’lin, merci aux cinq jeunes autochtones qui se sont joints à nous aujourd’hui. Je sais que je parle au nom de tous en disant que vos témoignages ont été émouvants et inspirants.

Sur une note personnelle, je tiens à ajouter que je vous suis très reconnaissant, ainsi qu’à tous les jeunes autochtones qui travaillent sans relâche pour faire avancer les choses. Je sais que le parcours n’a pas été facile, mais vous faites preuve d’un courage et d’une détermination extraordinaires. Je vous félicite de vos efforts et je vous souhaite la meilleure des chances pour l’avenir.

(La séance est levée.)

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