Aller au contenu
APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 4 octobre 2022

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : J’aimerais tout d’abord reconnaître que nous nous réunissons sur le territoire ancestral non cédé du peuple algonquin anishinabe. Je suis le sénateur micmac Brian Francis d’Epekwitk, qu’on appelle aussi l’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du Comité permanent des peuples autochtones.

Avant de commencer notre réunion, j’aimerais présenter les sénateurs qui participent aujourd’hui : la sénatrice Lovelace Nicholas du Nouveau-Brunswick; la sénatrice Hartling du Nouveau-Brunswick; le sénateur Tannas de l’Alberta, et la sénatrice Coyle de la Nouvelle-Écosse. Le sénateur Arnot vient tout juste de se joindre à nous. Honorables sénateurs et sénatrices, bienvenue.

J’aimerais demander aux témoins qui sont avec nous virtuellement de bien vouloir garder leurs micros en sourdine en tout temps, sauf si je vous nomme. Si vous avez des problèmes techniques, veuillez nous en aviser en utilisant la fonction de clavardage de Zoom. J’aimerais aussi rappeler à tout le monde qu’il est interdit de copier, d’enregistrer ou de photographier votre écran Zoom. Les délibérations officielles seront cependant diffusées sur le site Web SenVu.

Nous nous réunissons aujourd’hui pour le début de notre étude sur la mise en œuvre de la Loi sur le cannabis, aussi appelée projet de loi C-45, dans la mesure où cela concerne les peuples autochtones du Canada. La Loi sur le cannabis a reçu la sanction royale en juin 2018.

Sur ce, j’aimerais présenter nos premiers témoins. Nous accueillons aujourd’hui la Dre Kate Elliott, ministre de la Santé mentale et de la réduction des méfaits et présidente du comité des femmes et de l’équité entre les genres de la Métis Nation British Columbia; et le sakom ou chef Allan Polchies Jr., de la Première Nation de St. Mary’s. Bienvenue, chef. Je suis content de vous revoir.

La Dre Elliot et le sakom Polchies présenteront chacun une déclaration préliminaire de cinq minutes au maximum. Nous passerons ensuite à la période de questions, et les sénateurs et les sénatrices auront environ cinq minutes chacun.

Je vais avertir les témoins quand il ne leur restera qu’une minute. Je vais aussi vous avertir quand il ne vous restera plus qu’une de vos cinq minutes pendant la période de questions. Je m’excuse à l’avance de l’interruption, mais nous avons un horaire serré ce matin. Dans l’éventualité où les témoins n’ont pas le temps de répondre complètement à une question, je les inviterais à envoyer une réponse écrite à la greffière avant le mardi 11 octobre prochain.

J’invite maintenant la Dre Elliott à présenter sa déclaration.

Dre Kate Elliott, ministre de la Santé mentale et de la réduction des méfaits et présidente du comité des femmes et de l’équité entre les genres, Métis Nation British Columbia : Tansi, à tous et à toutes, bonjour. Je m’appelle Kate Elliott. Je vous parle depuis le territoire des peuples de langue lək̓ʷəŋiʔnəŋ à Victoria, en Colombie-Britannique, terre de la Métis Nation Greater Victoria. Merci beaucoup de nous avoir présentés avec tant de gentillesse. Je suis la ministre de la Santé mentale et de la réduction des méfaits de la Métis Nation British Columbia, et je suis aussi responsable du portefeuille des femmes et de l’équité entre les genres. En plus, je suis aussi médecin de famille et j’ai le privilège de servir la population autochtone urbaine, ici à Victoria, ainsi que la Première Nation Pacheedaht. Je fais aussi du travail en toxicomanie dans les quartiers défavorisés de Victoria.

Merci beaucoup de m’avoir invitée à participer à la réunion d’aujourd’hui.

Nous vous sommes reconnaissants de nous permettre de participer et d’avoir réservé un espace pour entendre le point de vue métis dans le cadre de l’examen actuel de la Loi sur le cannabis. La Métis Nation British Columbia représente le tiers des peuples autochtones de la province de la Colombie-Britannique; elle compte près de 90 000 Métis en Colombie-Britannique, dont 20 000 citoyens britanno-colombiens inscrits. La MNBC représente aussi 39 communautés à charte de partout en Colombie-Britannique. Le ministère de la Santé mentale et de la réduction des méfaits de la MNBC milite pour l’utilisation de programmes, de services et de politiques en matière de santé mentale, de consommation de drogue et de réduction des méfaits qui soient adaptés à la culture, et ce, à l’échelon national, provincial et régional.

Le but de notre ministère est d’améliorer les services de santé mentale et de réduction des méfaits destinés aux personnes métisses dans les collectivités et d’accroître l’accès à des programmes qui répondent aux besoins de notre nation. Nous déployons des efforts continus pour mettre en relief et combler les lacunes des services existants, et nous militons pour obtenir les changements nécessaires afin d’améliorer les résultats de la nation métisse en matière de santé mentale et de bien-être.

Le 22 septembre 2022, pendant l’annonce au début de l’examen législatif de la Loi sur le cannabis, on a mentionné le comité qui se concentrera tout particulièrement sur les répercussions du cannabis sur les personnes et les communautés autochtones. La MNBC soutient fermement l’utilisation d’une approche fondée sur les distinctions durant tout le processus. Nous devons veiller à ce qu’une perspective axée sur les distinctions soit adoptée afin de reconnaître et d’honorer les expériences, les intérêts et les priorités uniques des Métis, des Premières Nations, des Inuits et des collectivités autochtones urbaines de la Colombie-Britannique.

En ce qui concerne les Métis, nous partageons des pratiques culturelles distinctes et collectives ainsi que des liens de parenté et une histoire en tant que nation. Les personnes et les communautés métisses sont confrontées à des inégalités structurelles et sociales qui ont des conséquences directes et indirectes sur la santé de nos gens et de nos communautés.

Malheureusement, des manquements historiques et l’effacement des Métis durant les deux derniers siècles font qu’il y a souvent peu de données épidémiologiques spécifiques sur les Métis en particulier. Malgré tout, certaines données existent, et les conclusions préliminaires sont effectivement frappantes.

En 2019, Statistique Canada a rapporté que le taux de suicide chez les personnes qui s’auto-identifient comme Métis était environ deux fois plus élevé que chez les non-Autochtones. La McCreary Centre Society a rapporté que, en 2008, plus du quart des filles métisses avaient eu des comportements volontaires d’automutilation. En 2018, la proportion de filles métisses, de nos jeunes femmes qui avaient des comportements d’automutilation a atteint 42 %. Toujours selon ce rapport, les jeunes Métis étaient moins susceptibles que la jeunesse non métisse d’évaluer positivement leur santé mentale. Voilà malheureusement la réalité qui afflige nos communautés.

Enfin, selon le rapport [Difficultés techniques], les jeunes Métis étaient plus susceptibles que leurs pairs non métis d’avoir envisagé le suicide, avec un taux de 24 % en comparaison de 17 %. Les taux de tentatives de suicide étaient respectivement de 8 % et de 5 %.

En ce qui concerne spécifiquement la consommation de cannabis, les données de la McCreary Society nous montrent que la proportion de jeunes Métis qui consomment du cannabis est beaucoup plus élevée que chez leurs homologues non métis; 42 % des jeunes Métis consomment du cannabis, en comparaison de 25 % des jeunes non métis.

Au cours des deux dernières années, le ministère de la Santé mentale et de la réduction des méfaits de la MNBC a dirigé une étude communautaire sur les perspectives d’avenir des Métis et la consommation de cannabis. Ce projet, éclairé par la sagesse et les connaissances communautaires, a pour but de mieux comprendre les profils de la consommation de cannabis chez les Métis, ainsi que les obstacles à l’utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques.

Ce travail a aussi pour but de réduire la stigmatisation associée à la consommation de cannabis et d’éclairer l’élaboration d’un cadre métis de réduction des méfaits.

Le président : Je suis désolé de vous interrompre, docteure Elliott. Il vous reste une minute pour votre déclaration.

Dre Elliott : Parfait, c’est comme prévu.

Nous allons aussi travailler avec les aînés et mettre l’accent sur la culture et les traditions métisses, en plus de faire des liens avec l’histoire métisse. Dans le cadre de ce travail, nous avons tenu des séances de discussion dirigées par la communauté, de janvier jusqu’en avril cette année. Nous prévoyons publier un rapport final en décembre de cette année.

Nous, Métis, sommes un peuple fier et résilient. Pour citer notre livre Kaa-wiichitoyaahk: We Take Care of Each Other — nous prenons soin les uns des autres —, perspective métisse sur le bien-être culturel, la culture métisse, c’est une magnifique perpétuation de la force et de la résilience de nos ancêtres, c’est la joie de nos liens familiaux et c’est la transmission des enseignements de nos aînés aux générations futures. Nous offrons des communautés résilientes, dont les racines sont la force de la culture métisse et des perspectives métisses sur le monde. Marsee. Merci beaucoup de m’avoir invitée ici aujourd’hui.

Le président : Merci, docteure Elliott. C’est maintenant au tour du chef Polchies de nous présenter sa déclaration.

Allan Polchies Jr., sakom, chef, Première Nation de St. Mary’s : Wela’lin. [Difficultés techniques] tout d’abord, du territoire des Wolastoqey. Allan Polchies, sakom, chef, de Sitansisk, la Première Nation de St. Mary’s. Je vous salue ce matin du territoire non cédé et non abandonné des Wolastoqey.

Je tiens à vous remercier chaleureusement de l’invitation à témoigner ce matin. J’espère que votre esprit vous garde en santé.

Pour commencer, la Première Nation de St. Mary’s n’a jamais officiellement participé à des consultations fédérales ou provinciales sur le cannabis. Actuellement, il y a 16 dispensaires d’ouverts dans la collectivité de la Première Nation de St. Mary’s. L’un des dispensaires appartient à la bande et est exploité par elle; un deuxième emplacement devrait ouvrir bientôt. La Première Nation de St. Mary’s ne respecte pas la réglementation fédérale ou provinciale, présentement, mais nous avons nos propres règlements et politiques. Une politique plus détaillée est en cours d’élaboration, aux fins de notre prochaine structure d’attribution de permis. Cette réglementation comprend une limite aux heures d’ouverture, une distance minimale des écoles, des terrains de jeux et des autres endroits où il y a beaucoup de mineurs et l’exigence que tous les dispensaires appartiennent à des membres de la bande et soient exploités par ceux-ci.

La Première Nation de St. Mary’s est en train d’élaborer une structure d’attribution de permis pour les dispensaires de la communauté, afin d’accroître la reddition de comptes et de garantir le respect de la réglementation. Les dispensaires de cannabis ont créé des possibilités d’entrepreneuriat pour nos membres et ont contribué à l’économie locale en fournissant aux membres de la communauté des salaires fiables et décents.

L’inconvénient le plus important des dispensaires tient à notre capacité limitée de faire appliquer la réglementation. Deux ou trois commerces appartenant à des membres de la bande ont été accusés d’avoir des liens avec le crime organisé, plus précisément des bandes de motards. C’est une source de préoccupation, autant pour les chefs que pour les membres de la bande.

Nous surveillons de très près tous les problèmes actuels en matière de sécurité dans la communauté, mais nous n’avons pas les mécanismes d’application dont nous aurions besoin pour nous assurer que nos politiques sont respectées. Malheureusement, durant les premières étapes de la légalisation du cannabis, il y avait énormément d’incertitude par rapport à cela, et notre bande a donc choisi la prudence par rapport à la production et la distribution du cannabis dans notre communauté.

La Première Nation de St. Mary’s aimerait, dans l’avenir, travailler indépendamment, de nation à nation, avec les autres communautés autochtones. Notre but est d’accroître nos capacités et de fournir des ressources pour la production et la formation aux autres Premières Nations ainsi qu’aux autres marchés du pays. Il y aura aussi probablement plus tard des possibilités à saisir à l’étranger, et nous avons comme objectif d’avoir une capacité concurrentielle de fourniture de biens et de services aux clients à l’étranger, à mesure que les marchés internationaux commencent à développer leurs propres industries du cannabis.

J’aimerais souligner que la Première Nation de St. Mary’s est, évidemment, la deuxième communauté wolastoqey en importance de la nation et la troisième communauté autochtone du Nouveau-Brunswick. Nous sommes aussi l’une des seules collectivités urbaines ici, dans le Canada atlantique. Wela’lin.

Le président : Merci, chef Polchies. Nous allons maintenant commencer la période de questions de la réunion. Je vais poser la première question, et vous pouvez tous les deux répondre.

À votre avis, quels domaines devrions-nous cibler en priorité, en ce qui concerne les peuples et les communautés autochtones, dans le cadre de notre examen?

Dre Elliott : Ce serait important d’adopter une approche fondée sur les distinctions et de nous assurer d’écouter ce que les Premières Nations, les Inuits et les Métis, et ceux vivant en contexte urbain ont à dire. Ce serait important d’avoir quelques volets différents — le cannabis, c’est très large comme sujet —, en ayant des discussions sur la santé mentale et la toxicomanie, en plus de discussions distinctes sur le développement économique — parce qu’on reconnaît que c’est une composante importante et que cela offre d’énormes possibilités pour la création d’emplois — et aussi de discuter des façons de trouver un équilibre et de concilier tout cela.

Je pense que ce serait important de donner à tous une occasion égale de présenter des perspectives et des points de vue différents sur le sujet.

Le président : Merci, docteure Elliott. Chef Polchies, voulez-vous essayer de répondre? De votre point de vue, quels devraient être les domaines prioritaires de l’examen, en ce qui concerne les peuples et les communautés autochtones?

M. Polchies : Le développement économique en fait certainement partie, mais la réglementation aussi. Comme je l’ai dit dans ma déclaration, nous devons participer à l’examen et à l’orientation future. Bien sûr, un des droits inhérents issus des traités est que les gens de la communauté sont libres d’exploiter leur entreprise en tant qu’entrepreneurs individuels. Mais, en tant que chefs, nous devons nous assurer de pouvoir réglementer et surveiller les politiques qui sont adoptées aux fins de la croissance économique et aussi à des fins sociales, comme la Dre Elliott l’a bien sûr dit.

Le président : Merci à vous deux.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Bonjour, tout le monde. Je pose ma question à qui veut répondre, mais elle s’adresse surtout au chef Polchies.

De quelles mesures de soutien ou de quel financement ont besoin les peuples des communautés autochtones pour participer à l’examen législatif? Auront-ils accès à ces mesures de soutien?

M. Polchies : Merci beaucoup de votre question, madame la sénatrice. Je suis heureux de vous voir.

Actuellement, je ne suis au courant d’aucun financement qui nous serait accordé. Bien sûr, nous travaillons dans nos propres entreprises, ici, dans le secteur du détail du volet du développement économique, pour réunir toutes les politiques et procédures qui vont s’appliquer aux 16 dispensaires de ma collectivité.

Actuellement, il n’y a pas de financement offert.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Selon vous, devrait-on exiger du gouvernement qu’il fournisse des fonds?

M. Polchies : Comme je l’ai dit d’entrée de jeu, nous n’avons jamais participé à la Loi sur le cannabis. Pour cerner toutes nos préoccupations à mesure que tout cela était mis en œuvre, nous avons lancé notre propre processus d’adoption du cannabis, et nous avons réalisé que c’était une rentrée pour la collectivité. En tant que chefs et en tant qu’administration, nous devons nous assurer qu’il y a des politiques et des procédures en place. Nous devons embaucher du personnel et des gens de la collectivité pour complémenter ces contributions. Le cannabis est maintenant un secteur à part entière parmi nos entreprises. Nous devons évidemment en surveiller l’innocuité, la distribution et le contrôle. Évidemment, cela prend de l’argent.

Donc, pour répondre à votre question, du financement serait effectivement utile pour atteindre notre but de réussir dans cette industrie.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Quelqu’un d’autre?

Le président : Docteure Elliott?

Dre Elliott : Je pense que c’est très important d’avoir accès à un certain financement et une certaine capacité financière pour explorer la question. Il y a beaucoup de priorités concurrentes. Je sais que toutes les régions du Canada ont été touchées par l’approvisionnement en drogues toxiques, mais ici, en Colombie-Britannique, nous perdons plusieurs personnes par jour. Je le vois, je le vis, et nous peinons à faire tout le travail qui doit être fait. Pour pouvoir nous occuper correctement de cette importante mesure législative, nous avons besoin de capacité et de fonds pour lui accorder toute notre attention. Actuellement, nous faisons tellement de choses sur un coin de bureau. J’ai horreur de le dire, mais si j’avais à laisser tomber quelque chose, ce serait probablement celle-là, juste à cause de toutes les priorités concurrentes, avec l’approvisionnement en drogues toxiques.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, docteure Elliott et chef Polchies. C’était très important pour nous d’entendre vos témoignages.

Le comité d’experts — l’examen législatif — va examiner, je crois, toute une variété de volets, y compris la question de savoir quelle était la situation avant la légalisation du cannabis, par rapport aux répercussions sociales, aux conséquences sur la santé et aux possibilités économiques. Quelles possibilités économiques étaient peut-être cachées, avant, mais sont maintenant ouvertes? Je serais curieuse de savoir ce que vous pensez tous les deux.

Premièrement, quels changements avez-vous pu constater depuis l’adoption de la loi, pour ce qui est des conséquences sociales, sur la santé et sur l’économie? Quelles seraient les questions clés qui, selon vous, doivent être absolument posées dans le cadre de cet examen législatif?

Dre Elliott : Je pense que nous avons constaté un peu de changement. Peut-être que cela tient en partie à la culture. La consommation de cannabis a toujours été très répandue, même avant la légalisation. Je pense que cela devient plus ouvert, plus public et qu’on en discute davantage comme forme de bien-être ou d’automédication.

Beaucoup de personnes ont été initiées au cannabis à cause des dispensaires. Il est évidemment possible que le cannabis fasse partie de l’offre de drogues contaminées.

Je vais céder la parole à mon collègue en ce qui concerne les questions économiques, parce que les Métis n’ont pas de territoire. Nous n’avons pas participé activement à cela, du point de vue de l’économie. Malgré tout, il reste un travail important à faire, surtout auprès de nos jeunes, pour qu’ils sachent comment utiliser le cannabis en toute sécurité, pour que nous puissions continuer d’avoir des discussions ouvertes avec eux et pour les soutenir afin qu’ils fassent les meilleurs choix pour eux. Même s’il y a de plus en plus de bienfaits rapportés pour la santé, pour certains de nos jeunes, le cannabis peut être très nuisible à la santé mentale et au bien-être. Nous devons poursuivre nos évaluations, et c’est ce que nous faisons, pour l’avenir, dans le cadre de certains de nos engagements communautaires.

Le président : Merci, docteure Elliott. Chef Polchies, y a-t-il quoi que ce soit que vous aimeriez ajouter?

M. Polchies : Oui, merci. Depuis que la loi a été adoptée, l’industrie du cannabis a modifié l’ampleur du développement économique, surtout parmi les nombreux entrepreneurs de ma communauté.

Puisque c’est une entreprise administrée par la bande, j’ai vu les revenus autonomes augmenter, ce qui a eu des effets positifs en créant des emplois et en fournissant du soutien aux programmes et aux services pour compenser les fonds que nous ne recevons pas de Services aux Autochtones.

Pour ce qui est des inconvénients, nous voyons malheureusement beaucoup de jeunes qui consomment du cannabis. D’un autre côté, il y a aussi un inconvénient quand les gens arrêtent de fumer la cigarette, par exemple, et commencent à fumer du cannabis. Nous avons remarqué — et la Dre Elliott en a parlé — qu’il y a des répercussions sur la santé mentale. Le cannabis est consommé de différentes façons : en concentré, fumé avec une pipe à eau et de beaucoup d’autres façons. Puisque c’est devenu socialement acceptable, il faut sensibiliser les gens au fait que, même si cela peut être fait socialement, il ne faut pas le faire constamment.

L’autre côté de la médaille, du point de vue social, c’est que nous constatons que les gens consomment moins d’alcool, mais plus de cannabis. C’est présenté comme étant médicinal. C’est ce que beaucoup de gens disent, par exemple les gens qui ont un cancer, comme vous le savez, et pour n’importe quel autre problème de santé que les gens pourraient avoir. Beaucoup de nos gens plus âgés l’utilisent à cette fin.

Le cannabis a deux impacts distincts, ici dans ma communauté : il a des conséquences sur la santé, et aussi une incidence sur le développement économique.

Le président : Merci. Je vais céder la parole à la sénatrice Hartling dans un moment, mais avant, j’aimerais vous poser rapidement une question, chef Polchies.

Vous avez dit qu’il n’y avait pas de mécanismes pour appliquer les politiques de votre communauté en matière de cannabis. Pourriez-vous, s’il vous plaît, nous donner plus de détails sur les difficultés que vous rencontrez par rapport à l’application de la réglementation? Quelles mesures de soutien ou quels fonds ont été fournis à votre communauté pour aider à l’application de vos lois en matière de cannabis?

M. Polchies : Premièrement, il y a un manque du côté de l’application de la loi. La consommation de cannabis a explosé dans notre communauté. Nous essayons de maîtriser la situation en adoptant une réglementation et des politiques. Les propriétaires de dispensaires se sont réunis et coopèrent avec l’administration de la bande. Mais c’est difficile de savoir qui approvisionne et qui finance vraiment ces dispensaires, c’est ce qui nous préoccupe, de ce côté-là. Nous essayons de trouver des mécanismes pour régler le problème.

Ma Première Nation a conclu une entente tripartite avec le service de police de Fredericton, la province et le fédéral. Nous n’avons pas notre propre service de police dans notre communauté, et c’est quelque chose que nous devons sérieusement examiner. Je crois savoir que c’est un message qui circule dans toute la nation et dans toute l’Île de la Tortue, et nous essayons de prendre les choses en main par rapport à la réglementation.

Pour répondre à votre question, pour savoir si nous recevons des fonds pour cela, encore une fois, je répondrai par la négative. Cela représente un certain nombre de difficultés pour nous, quant à la façon dont nous allons appliquer la loi, parce qu’une fois que nous aurons une réglementation, peu importe la forme, dans notre communauté, ni la police de Fredericton ni les cours provinciales ne vont faire appliquer cette réglementation. C’est l’inconvénient, et nous allons avoir besoin de l’aide du ministère de la Justice et du fédéral à ce chapitre.

Le président : Merci de ce commentaire, chef.

La sénatrice Hartling : Merci. Bonjour. Je suis contente de vous voir. J’ai deux questions, une pour la Dre Elliott et l’autre pour le chef Polchies.

Docteure Elliott, vous êtes la ministre de la santé mentale et de la réduction des méfaits et la présidente du comité des femmes et de l’équité entre les genres, et je réfléchissais aux femmes, aux questions qui les concernent et à un aspect précis de l’examen qui concernerait les femmes. D’après vos réflexions et ce que vous avez appris jusqu’ici, est-ce que ce serait important d’examiner tout cela sous l’angle de l’égalité entre les genres? Aussi, avez-vous observé certains enjeux qui touchaient les femmes, durant ce temps?

Dre Elliott : Merci beaucoup des questions. Je pense que c’est important de toujours prendre en considération l’égalité entre les genres dans ce contexte. Cela est lié à une question que nous n’avons pas encore abordée dans la discussion, soit comment tout ceci est connecté avec le système de justice pénale.

Je crois fermement que les répercussions ont toujours été plus graves pour les femmes qui sont arrêtées en possession de drogue, que pour les hommes.

Différents aspects doivent être pris en considération en tant que préjugés à l’égard des genres. Je ne parle pas seulement de ce qui est acceptable ou inacceptable, mais aussi des répercussions sur l’éducation, l’humeur, la période de lune et l’âge de procréation. C’est crucial de toujours tenir compte de l’égalité entre les genres, et c’est quelque chose que nous négligeons, parfois, tout comme on néglige l’approche fondée sur les distinctions, pour nous assurer de voir le tableau complet.

La sénatrice Hartling : Je m’intéresse aussi à la question des femmes qui sont en couple et des conséquences qu’il y a, par exemple, quand l’un des partenaires est toxicomane. Est-ce que ce serait important d’examiner cela?

Dre Elliott : Je crois, oui. C’est important de connaître le rôle de la consommation de substances et de savoir quelles conséquences cela a sur la vie familiale. Cela dit, la consommation de cannabis a généralement des conséquences. Nous n’y pensons pas, parce que les conséquences sont habituellement plus subtiles que celles des autres substances comme l’alcool. La consommation de cannabis n’entraîne pas vraiment le même niveau d’agressivité.

Cela dit, nous savons qu’il y a des jeunes chez qui le cannabis a provoqué une pharmacopsychose. C’est pourquoi le ministère des Enfants et du Développement de la famille — le MEDF —, intervient auprès des familles. Je suis en faveur de tout médicament qui peut aider, mais il faut nous assurer de prendre en considération les deux côtés. Il n’y a aucun médicament, que ce soit un médicament sur ordonnance ou de la médecine traditionnelle, où vous n’êtes pas obligé de regarder les deux côtés de la médaille.

La sénatrice Hartling : Merci. J’ai une question pour le chef Polchies. La dernière fois que je vous ai vu, c’était au concert, à Toronto. Je suis contente de vous revoir.

Je réfléchissais au Nouveau-Brunswick et aux différences entre les provinces, parce que, si on prend la Colombie-Britannique, cette province se distingue des autres depuis longtemps en ce qui concerne la marijuana. Je me questionne simplement à propos de toute cette transition au Nouveau-Brunswick et je me demandais si vous avez observé des répercussions depuis que vous avez lancé votre entreprise. La mentalité au Nouveau-Brunswick est peut-être différente — je ne sais pas, je suppose, parce que c’est là que je vis — de celle de la Colombie-Britannique.

Avez-vous dû surmonter des obstacles ou des difficultés au moment de lancer votre entreprise, et aussi par la suite, et aussi en ce qui concerne les ressources nécessaires? Comment tout cela fonctionne-t-il, surtout avec la COVID? Ce n’était certainement pas la même époque, pour lancer une entreprise.

M. Polchies : Oui, avec la COVID, cela a indéniablement posé une difficulté.

Pour répondre à votre question, c’est assez surprenant, mais le cannabis est accessible de très nombreuses façons, puisque nous avons de nombreux services de livraison. Quand nous avons ouvert notre magasin de cannabis, nous faisions affaire avec des gens de l’extérieur de la communauté, ils recevaient des colis d’aussi loin que la Colombie-Britannique, parce que de toute évidence ce secteur d’activités est un peu plus intense là-bas qu’ici au Nouveau-Brunswick.

À ma grande surprise, nos magasins se sont mis à pousser très rapidement dans la communauté, alors l’approvisionnement allait très bien. Je ne sais pas exactement d’où venait l’approvisionnement, parce que nous ne le réglementions pas encore à ce moment-là. Le cannabis arrivait au rythme de la production, d’après ce que je sais, mais les choses sont en train de changer.

J’aimerais seulement ajouter quelque chose en réponse à la question posée à la Dre Elliott, sur la consommation de substances du point de vue de l’égalité entre les genres. Je pense qu’il y a une certaine égalité. J’ai constaté qu’il y avait eu une augmentation durant la COVID, c’était une époque intéressante, parce que, comme vous le savez peut-être, les gens mangeaient, buvaient et fumaient du cannabis. Ces trois modes de consommation étaient très lucratifs pour les gens, ici au Nouveau-Brunswick.

En tant que Première Nation, nous suivions la tendance, parce que nous avions besoin de cette source de revenus, étant donné que notre croissance économique, comme le reste du monde, était touchée.

La sénatrice Hartling : Ce que vous dites est très utile. J’ai remarqué autre chose : au Nouveau-Brunswick, si vous voulez acheter du cannabis à usage médicinal, vous pouvez vous adresser à une organisation qui s’occupe de l’évaluation. Puis, l’organisation vous demande d’où vous voulez l’obtenir. Je ne sais pas si nous savons d’où cela provient, au Nouveau-Brunswick. La plupart diraient la Colombie-Britannique, mais je pense que ce serait important de fournir ce genre d’information, afin que les gens sachent que c’est aussi possible au Nouveau-Brunswick, à des fins médicinales.

M. Polchies : Ce genre d’activités se fait aussi au Nouveau-Brunswick; vous devez seulement savoir où chercher. Je ne vais pas jouer au dénonciateur aujourd’hui, mais je peux vous dire que ce genre d’activités se fait dans notre cour, pour faciliter l’accès au produit lui-même à des fins médicinales.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup.

M. Polchies : De rien. Je suis content de vous revoir.

Le sénateur Tannas : Merci beaucoup. J’ai deux ou trois questions pour le chef Polchies. Merci aux témoins d’être avec nous aujourd’hui.

Je voulais m’assurer d’avoir bien compris certains de vos commentaires, chef. Vous avez dit 16, je pense que vous avez dit 16 dispensaires, ainsi qu’un dispensaire appartenant à la communauté. C’est bien cela?

M. Polchies : Oui.

Le sénateur Tannas : C’est la communauté qui a attribué les permis, pas la province. C’est bien cela?

M. Polchies : C’est bien cela.

Le sénateur Tannas : D’accord. À propos des produits que ces détaillants vendent, y compris le vôtre, s’agit-il à la fois de cannabis du marché noir et du marché gris, en plus du cannabis cultivé dans les installations approuvées par Santé Canada? Ou est-ce que c’est entièrement l’un ou l’autre? D’après ce que vous savez, est-ce qu’il y a un mélange?

M. Polchies : Oui, il y a incontestablement un mélange. Il n’y a aucun produit réglementé par le gouvernement dans nos magasins de cannabis. On préfère appeler cela le « marché rouge », plutôt que le « marché noir ». Aussi, nous voyons bien sûr passer beaucoup de gammes de produits.

Mais pour répondre à votre question, il n’y a aucun produit réglementé par le gouvernement dans l’un ou l’autre de nos 16 dispensaires, et même dans le dispensaire exploité par la bande. Bien sûr, les produits sont testés, et sont apparemment utilisables et approuvés.

Le sénateur Tannas : Très bien. Je pense qu’il y a une question que certains d’entre nous se posent; beaucoup de promesses ont été faites, et le gouvernement a dit avec beaucoup d’assurance qu’il s’attendait à ce que plus de 20 % des activités de culture dans le marché légal se feraient sur les terres des Premières Nations. Nous allons examiner ce qu’il en est dans cinq ans, pour voir si c’est ce qui s’est passé.

Est-ce que vos produits du marché rouge sont présentés comme étant cultivés sur les terres des Premières Nations, ou alors sont-ils garantis l’être?

M. Polchies : Eh bien, d’abord et avant tout, je crois sincèrement que le gouvernement aurait dû simplement permettre aux peuples autochtones de suivre le marché, et ensuite, le gouvernement aurait bien sûr pu en tirer énormément d’argent. Mais le gouvernement ne nous a même pas inclus, alors nous devons maintenant avoir cette discussion et nous revenons en arrière.

Voilà le problème. Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent inclure les peuples autochtones, parce que le cannabis, c’est évidemment la marijuana, qui vient de Mère nature, et puisque nous sommes les intendants de la terre et c’est nous qui nous nous en occupons. Donc, on développe toutes sortes de produits — qui existent présentement —, comme des jujubes, les fleurs, comme ils disent, et des crèmes, et toutes sortes d’autres produits qui sont en vente et qui sont utilisés dans les dispensaires.

Le sénateur Tannas : C’était toutes mes questions. Merci beaucoup, chef.

M. Polchies : Merci.

Le président : Merci, sénateur Tannas. J’ai une question pour vous deux maintenant.

À votre avis, les peuples et les communautés autochtones ont-ils suffisamment accès à de l’information de santé publique à propos du cannabis? Pourquoi ou pourquoi pas? Docteure Elliott, aimeriez-vous commencer?

Dre Elliott : Je pense qu’il y aurait toujours des façons d’améliorer le message. Comme on vient tout juste de l’entendre, la gamme de produits offerts a complètement changé; ce n’est plus seulement des joints et des pipes à eau. Il y a des concentrés, il y a l’ambre, mais aussi toute une gamme de produits comestibles et même des produits pour le bain. Je pense qu’il est important de mettre à jour la discussion et aussi les modes qu’on utilise pour transmettre nos « annonces de service public » sur le sujet; il faut que nous puissions mettre cela à jour, et, encore une fois, de le faire en adoptant une approche fondée sur les distinctions, une approche axée sur l’égalité entre les genres et une approche axée sur l’âge. Nous constatons que de plus en plus de personnes âgées commencent aussi à consommer du cannabis, que ce soit à des fins récréatives ou médicinales.

Surtout vu le nombre de produits comestibles, je pense qu’il devrait y avoir une certaine sensibilisation en ce qui concerne la posologie et ce qui est approprié. Ce n’est pas une expérience plaisante, si vous ne vous y connaissez pas beaucoup en cannabis, quand vous prenez un jujube ou un produit comestible très fort. Nous avons vu des gens aboutir à l’hôpital parce qu’ils faisaient une crise d’anxiété ou une crise de panique et avoir des séquelles.

Avec un marché qui change tellement et toute la variété de produits qui existent, je pense que la sensibilisation et un peu plus d’information devraient être une grande composante de l’examen législatif.

Le président : Merci, docteure Elliott. Avez-vous un commentaire, chef Polchies?

M. Polchies : Oui, c’est tout à fait vrai qu’on ne nous communique pas l’information de santé publique à propos de ces produits.

Nous aurions besoin de plus d’information. Bien sûr, nous faisons ce que nous pouvons ici, dans la collectivité, et nous avons de l’information à propos de l’utilisation, des effets et des aspects sociaux. Mais pour répondre à votre question, non, nous n’avons pas suffisamment d’informations de santé publique pour les membres de la communauté, c’est quelque chose dont on aurait besoin et il faut que ce soit noté dans les commentaires.

Le président : Merci, chef Polchies. Les sénateurs et sénatrices ont-ils d’autres questions?

Le sénateur Arnot : Chef Polchies, je crois savoir que la Première Nation de St. Mary’s compte environ 2 100 membres. Vous êtes collé sur Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Vous avez 17 dispensaires. J’ai l’impression que c’est un peu élevé, comme proportion. À combien de dispensaires faites-vous concurrence dans la région de Fredericton? À votre avis, est-ce que les 17 dispensaires sont rentables ou même viables? Quel est l’état du marché? Est-ce qu’il y a une concurrence entre les dispensaires à l’extérieur de la réserve, et comment tout cela fonctionne-t-il? Est-ce que vous voyez des problèmes émerger d’une façon ou d’une autre, dans ce contexte? Vous avez beaucoup d’entrepreneurs, dans votre Première Nation, c’est évident, et je me demandais quelles sont les perspectives de survie pour ces détaillants.

M. Polchies : C’est une bonne question. L’industrie du cannabis était toute nouvelle à l’époque, mais elle s’est avérée très durable, parce que les gens se sont rendu compte que c’était une industrie peu exigeante financièrement et que l’exploitation était fructueuse, alors les magasins ont commencé à apparaître partout dans la collectivité.

En tant que gouvernement, nous avons imposé un moratoire, parce que les choses allaient devenir hors de contrôle. Des magasins familiaux ont vu le jour et, à notre grande surprise — cela fait bien plus de presque deux ans maintenant —, ils sont encore en activité. Il y en a qui réussissent mieux que d’autres, grâce au marketing, à la formation de vendeurs responsables en ventes et à certains outils clés de santé publique qu’ils utilisent pour vendre leurs produits.

Je dis toujours que St. Mary’s est la banlieue de Fredericton, et nous sommes entourés d’une population de 65 à 70 000 personnes quotidiennement. Rappelez-vous que nous agissons comme carrefour, pour les Premières Nations. La ville de Fredericton est réputée pour ses congrès et pour son tourisme. Nous faisons 300 millions de dollars par année grâce au tourisme. Donc, quand les gens visitent notre territoire, ils cherchent ce genre de produits. Bien sûr, nos propres membres les utilisent. Nous encourageons les gens à utiliser nos produits et nos services puisqu’ils sont administrés par la bande, parce que c’est une entreprise sociale pour tout le monde dans la collectivité.

Le sénateur Arnot : Chef, vous avez établi une réglementation. Est-ce qu’elle reflète essentiellement la réglementation à l’extérieur des territoires des Premières Nations, ou y a-t-il des particularités qui font que votre réglementation est différente ou meilleure pour votre communauté?

M. Polchies : La réglementation est adaptée à notre collectivité. Pour être honnête avec vous, je ne l’ai pas vraiment comparée à la réglementation provinciale. Nous n’avons pas beaucoup d’information en matière de santé, mais nous avons des scientifiques et notre propre équipe médicale qui vont examiner notre réglementation pour veiller à ce qu’elle s’aligne au moins sur les normes de l’industrie.

Le sénateur Arnot : Merci.

La sénatrice Coyle : Il y a deux ou trois choses que vous avez mentionnées en répondant à une question que j’aimerais approfondir, même si ce n’est peut-être pas essentiel dans le cadre de l’examen législatif.

Vous avez mentionné entre autres la COVID. Personne ne s’attendait, quand nous avons demandé un examen quinquennal, à ce qu’il y ait eu un confinement intensif de deux ans et demi au cours de cette période quinquennale et à ce que la COVID ait des répercussions sur les comportements, d’un point de vue économique autant que social, relativement à la consommation de cannabis dans vos collectivités. C’est une chose. J’aimerais que vous en parliez un peu plus, puisque vous l’avez soulignée.

Je pense que c’était vous, chef Polchies et Dre Elliott, qui avez mentionné qu’il y a un plus grand sentiment d’acceptabilité sociale dans la communauté, en ce qui concerne l’utilisation du cannabis maintenant — et ce n’est pas que le cannabis n’était pas consommé avant, mais il semble que ce soit maintenant plus socialement acceptable —, et que cela a peut-être eu une incidence sur la possible baisse de la consommation d’alcool. Donc, il y a des conséquences sur la consommation d’alcool, et j’aimerais entendre vos commentaires là-dessus. Quel effet cela a-t-il eu sur les autres conséquences de l’alcool dans vos collectivités?

Pourriez-vous tous parler à la fois de la COVID et de l’acceptabilité du cannabis et de son effet potentiel sur la consommation d’alcool et nous dire s’il y a une réduction ou une augmentation, quelle qu’elle soit?

Dre Elliott : Je pense que nous sommes toujours en train de recueillir des données sur la façon dont la COVID a tout changé... Les gens mangent à coup sûr plus et boivent plus d’alcool, et ils utilisent davantage SkipTheDishes. Les casse-têtes aussi sont revenus à la mode.

Je pense que c’est indéniable que les gens consomment plus. Nous n’avons pas pu consulter la communauté pour en savoir plus.

Nous savons que la consommation de cannabis peut être une activité très sociale pour les gens, mais ça peut aussi rendre les gens très solitaires et les empêcher d’interagir avec les autres.

Ce serait intéressant d’examiner les données et d’entendre les témoignages de notre communauté. Les gens ont-ils plus de difficultés à sortir de chez eux depuis la COVID, à recommencer à participer à la vie communautaire, maintenant que toute notre réglementation a changé à cause de la COVID?

Je ne sais pas ce que disent les données. Vous ne voulez pas échanger un poison contre un autre. Nous savons toutefois que le cannabis a un effet plus calmant, plus intérieur. Cela n’entraîne pas le même niveau d’agressivité ou de conflit qu’on observe avec l’alcool, les méthamphétamines ou les autres substances. Cela dit, quand les gens consomment une combinaison de ces substances, c’est difficile à dire.

Je pense que nous devons être prudents et attentifs; nous ne pouvons pas mettre tous nos œufs dans le même panier et dire : « Oh! Le cannabis, c’est nouveau. Ça va tout arranger. » Je pense que le cannabis a sa place, mais il faut analyser tout cela et ce que cela veut dire, et demander aux membres de notre communauté pourquoi ils en consomment en premier lieu. Est-ce que c’est à des fins récréatives? Est-ce parce qu’ils ont des douleurs chroniques et que le système de santé leur a fermé toutes les portes au nez? Est-ce qu’ils en consomment pour calmer leur anxiété? Quand on dit que nous voulons aller de l’avant et faire un examen législatif, je pense que ce serait important d’examiner ce qui est dit dans la publicité et aussi les avantages pour la santé qui sont véritablement inscrits sur les produits.

Il y a des membres de notre communauté qui doivent faire des choix par rapport à leurs médicaments, parce qu’ils ne peuvent pas tous se les payer. Ne vous méprenez pas : je ne suis pas en train de dire que Crestor est un médicament miracle, mais parfois, surtout chez les personnes âgées, les gens doivent choisir entre leur médicament contre le diabète ou le cannabis pour calmer leur trouble de stress post-traumatique, leur anxiété ou leur neuropathie chronique.

Je voulais ajouter ce commentaire, en réponse à votre question.

M. Polchies : Pour répondre à votre question sur la COVID, parce que c’est moi qui en ai parlé, nous avons effectivement constaté une augmentation de la consommation de cannabis. Je ne sais pas si vous le savez, mais des entreprises comme SkipTheDishes livrent des produits directement à votre porte. Puisque nous étions tous isolés dans nos maisons et que nous avions un accès très limité, c’est devenu une façon pour les gens d’atteindre un état de calme et d’atténuer leur anxiété et de surmonter les difficultés à la maison, où les gens qui ont des enfants essayaient de maintenir un certain équilibre mental. C’est donc de ce côté-là qu’on a vu une augmentation de la consommation de cannabis.

Nous n’avons accès à aucun financement pour réaliser des études de notre côté, pour recueillir des données sur la consommation d’alcool. Comme je l’ai dit plus tôt, nous avons observé une augmentation de la consommation des produits du cannabis et de l’alcool à la fois chez nos jeunes. Du financement, ce serait l’élément clé pour que nous puissions recueillir des données, comme la Dre Elliott l’a dit, et aussi pour réaliser des études afin de pouvoir comprendre la situation. Les choses seront différentes d’un territoire à l’autre, en fonction de la population et des gens qui sont aux prises avec divers types de dépendances ou de maladies et aussi de la situation géographique.

Le président : C’est tout le temps que nous avions avec ces témoins. Je souhaite remercier la Dre Elliott et le chef Polchies d’avoir été des nôtres aujourd’hui.

M. Polchies : Wela’lin.

Dre Elliott : Merci.

Le président : Nous accueillons notre prochain groupe de témoins : Mme Carol Hopkins, cheffe de la direction, Thunderbird Partnership Foundation; Mme Nola Jeffrey, directrice générale, Tsow-Tun Le Lum Society; et M. Colin Stonechild, représentant du conseil de bande, Nation crie Peepeekisis. Mme Hopkins, Mme Jeffrey et M. Stonechild auront chacun un maximum de cinq minutes pour nous présenter leur déclaration. Nous passerons ensuite à la période de questions, où chaque sénateur et sénatrice disposera d’environ cinq minutes. J’informerai les témoins quand il ne leur restera plus qu’une minute, et j’avertirai aussi les sénateurs et les sénatrices quand il ne leur restera plus qu’une minute sur les cinq pendant la période de questions. Je m’excuse si je dois vous interrompre. Malheureusement, nous avons un horaire serré. Si cela arrive, j’inviterai les témoins à envoyer leurs réponses par écrit à la greffière avant le mardi 11 octobre prochain.

J’invite maintenant Mme Hopkins à nous présenter sa déclaration.

Carol Hopkins, cheffe de la direction, Thunderbird Partnership Foundation : [mots prononcés dans une langue autochtone] Bonjour. Je vous parle depuis la nation des Lenape, aussi appelée la nation Delaware de Moraviantown, dans le Sud-Ouest de l’Ontario.

J’aimerais parler un peu de la Thunderbird Partnership Foundation. Nous sommes une organisation nationale canadienne qui soutient les Premières Nations dans le domaine du bien-être mental. Notre mandat repose sur trois cadres : le cadre renouvelé Honorer nos forces qui est axé sur la lutte contre la toxicomanie dans les Premières Nations du Canada; le cadre du mieux-être autochtone, axé sur la promotion des 13 indicateurs mesurables permettant de comprendre les effets de la culture sur l’amélioration du mieux-être — soit l’espoir, l’appartenance, le sentiment que la vie a un sens et le but de la vie —, et enfin, le Cadre du continuum du mieux-être mental des Premières Nations.

Aujourd’hui, je vais vous présenter des données que nous avons recueillies auprès des populations des Premières Nations du Canada en utilisant trois principaux instruments.

D’abord, le Système de gestion de l’information sur les toxicomanies du réseau national des centres de traitement pour adultes et pour jeunes. Je vais vous présenter les données tirées de ce système.

Ensuite, nous avons le Sondage sur les opioïdes et la méthamphétamine chez les Premières Nations, mené auprès de la collectivité, qui aborde la question de la consommation de multiples substances, y compris le cannabis. Enfin, nous avons un sondage sur le cannabis en particulier, qui a été mené auprès des jeunes et des adultes. Nous avons recueilli des données avant la réglementation du cannabis, puis nous avons modifié le sondage pour recueillir d’autres données après la réglementation.

De toutes les sources de données, certains thèmes clés émergent : l’importance de comprendre la consommation de cannabis dans le contexte de la consommation de multiples substances. Les interventions ciblées pour le cannabis ne reflètent pas la réalité de la consommation de cannabis chez les Premières Nations. Nous avons aussi de l’information sur l’utilisation du cannabis par les parents, qui montrent que les adultes avec des enfants ont des tendances plus raisonnables.

De plus en plus, le cannabis est perçu comme un élément important pour la réduction des méfaits. Nous avons aussi des données permettant de comparer la consommation de cannabis avant la COVID et pendant la pandémie. Il y a une demande pour davantage de sensibilisation et de ressources, plus précisément, plus de ressources pour accroître la capacité des collectivités des Premières Nations dans le domaine de la santé publique.

Grâce aux données du Système de gestion de l’information sur les toxicomanies, nous savons que la consommation de cannabis a bondi d’environ 10 % en comparaison d’avant la COVID, et 76 % des adultes et 82 % des jeunes qui ont commencé un traitement contre leur dépendance ont déclaré consommer régulièrement du cannabis.

En ce qui concerne l’abus de multiples substances, comme je l’ai dit, c’est important d’examiner la consommation de cannabis dans le contexte des autres substances consommées, pour éclairer la conception des interventions en santé publique. Chez les adultes, il est rapporté que le cannabis est régulièrement consommé avec de l’alcool et du tabac. Chez les adultes qui consomment des opioïdes, il est rapporté que la substance la plus fréquemment consommée avec des opioïdes est l’alcool, puis le cannabis, dans une proportion de 25 %. Chez les adultes qui consomment de la méthamphétamine, ils consomment du cannabis avec leur méthamphétamine dans une proportion de 33 %, ce qui veut dire que la consommation de cannabis est légèrement plus forte avec la méthamphétamine.

Chez les parents qui consomment du cannabis, au cours des deux dernières années, nous avons constaté que 52 % des membres des Premières Nations qui ont demandé un traitement pour leur dépendance ont rapporté consommer du cannabis 10 fois ou plus par mois; toutefois, la majorité d’entre eux consommaient du cannabis 20 fois ou plus par mois, donc presque chaque jour. Aussi, 50 % de ces personnes ont dit avoir des enfants à charge en plus d’avoir des problèmes juridiques. Malgré tout, il s’agit d’une tendance statistiquement significative, puisque la consommation de cannabis était proportionnellement plus faible chez ces parents que chez ceux qui consommaient du cannabis 20 fois ou plus par mois et chez ceux qui n’avaient pas d’enfants à charge ni de problèmes juridiques.

Pour ce qui est du cannabis en tant qu’élément important de la réduction des méfaits, il y a de plus en plus de connaissances chez les Premières Nations sur le concept de la réduction des méfaits. Lorsqu’il est question des méfaits liés à l’abus de multiples substances, nous devons garder à l’esprit que ces méfaits peuvent dévaster des familles et des communautés, surtout pour les gens qui consomment des drogues. Mais le cannabis est vu comme une solution de rechange efficace à ces substances plus nocives. Les familles des gens qui consomment des opioïdes ou de la méthamphétamine croient que le cannabis est moins toxique que les opioïdes ou la méthamphétamine.

Nous constatons aussi que les pratiques culturelles autour du cannabis s’organisent. Les services axés sur la terre soutiennent les Premières Nations dans le contexte de la prestation des services axés sur la terre lorsqu’il s’agit de consommation de cannabis non réglementé parce qu’il est entendu qu’il s’agit d’une méthode de réduction des méfaits.

Les gens croient que le cannabis est une solution de rechange aux opioïdes. Cela peut aider à atténuer les symptômes de sevrage des opioïdes et réduire à d’autres égards la consommation de substances.

Les Premières Nations rapportent que le cannabis à usage médicinal est très efficace, mais 29 % ont déclaré qu’elles n’y ont pas accès. Pour ce qui est de la consommation du cannabis chez les jeunes et les adultes, ils rapportent consommer du cannabis pour atténuer le stress, l’anxiété et les traumatismes non résolus. Il s’agit ici des problèmes les plus graves que les gens ont dit vivre pendant la COVID-19.

Le président : Madame Hopkins, je suis désolé, mais votre temps est écoulé. Nous avons un horaire serré aujourd’hui.

Je vais maintenant inviter Mme Jeffrey à nous présenter sa déclaration.

Nola Jeffrey, directrice générale, Tsow-Tun Le Lum Society : Bonjour. Je suis une Salish du littoral et je suis née dans un petit village à une trentaine de kilomètres au nord de Fort Rupert. Je vis sur l’île de Vancouver. Les trois premières familles de l’île étaient les Salish du littoral, les Nuu-chah-nulth et les Kwakiutl.

Je travaille dans une maison de ressourcement appelée Tsow-Tun Le Lum, ce qui veut dire, en langue hul’qumi’num, « maison d’aide ». Nous menons nos activités depuis plus de 34 ans. La maison a été ouverte par les trois familles de l’île, il y a très longtemps, entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, parce que les gens se disaient que l’alcool était un problème et qu’il se consommait beaucoup d’alcool. Nous savons à présent que nos gens consomment de l’alcool, de la marijuana et des opioïdes comme forme d’automédication, à cause des traumatismes qu’ils ont vécus et des traumatismes historiques.

Présentement, nous offrons un programme contre l’abus de substances et un programme de soutien aux traumatismes. Les choses ont changé depuis la COVID. Avant, les admissions se faisaient en alternance, mais à présent, les admissions se font en même temps, le même jour. Nous ne faisions jamais de test de dépistage de drogue, avant, mais depuis la COVID, nous avons commencé à en faire parce que les symptômes de sevrage peuvent ressembler beaucoup aux symptômes de la COVID et nous voulions savoir ce que les gens avaient dans leur système.

Notre programme est fondé sur l’abstinence. Notre but est que les gens restent sobres afin de pouvoir vivre la meilleure vie possible. Nous accueillons des gens — autant des hommes que des femmes — de toute la Colombie-Britannique et du Yukon. Nous travaillons aussi avec le Service correctionnel du Canada pour accueillir dans notre maison de ressourcement des gens qui se retrouvent dans des établissements carcéraux. Nous avons commencé à faire des tests de dépistage de drogue. Nous vous sommes très reconnaissants, madame Hopkins, de toutes les données que vous avez présentées. Cependant, ce que nous avons constaté, c’est que pratiquement toutes les personnes que nous accueillons pour des problèmes de toxicomanie avaient dans leur système du cannabis ainsi que de nombreuses autres drogues.

Nous avons constaté que, parmi les gens qui participent à notre programme de soutien aux traumatismes, certains avaient aussi du cannabis dans leur système. Le critère d’admission pour notre programme de soutien aux traumatismes est d’être sobre depuis six mois, et cela inclut aussi le cannabis à usage médicinal, alors aucun THC ni CBD. Beaucoup de gens ont obtenu un résultat positif. Cela nous pose énormément de problèmes parce que les gens se mettent en colère contre nous à cause de nos politiques.

Nos politiques sont établies par notre conseil. Notre conseil est constitué de neuf membres de la communauté provenant des trois nations, ainsi que d’un autre membre de la communauté de la nation Mohawk qui représente la population urbaine. Nous servons les Autochtones, les Métis et les Inuits.

Une chose, c’est qu’il y a des gens qui disent qu’ils n’ont pas consommé de la marijuana, mais qu’ils vivent avec des gens qui consomment de la marijuana. J’ai parlé avec des professionnels de la santé, qui m’ont dit que, même si vous n’avez pas consommé de la marijuana vous-même, vous pouvez quand même avoir un résultat positif au test. Pour moi, c’est une énorme préoccupation, surtout lorsqu’il est question de familles et d’enfants, et même des personnes âgées, le fait qu’ils consomment cela et qu’ils ont un résultat positif après une analyse d’urine.

Une autre de mes préoccupations tient au fait que la plupart des gens vivent en dessous du seuil de la pauvreté. Le cannabis est un produit très dispendieux pour les gens qui en consomment. Ce qui m’inquiète, c’est l’idée que des familles et des gens vont se priver, en ne se nourrissant pas bien et en ne prenant pas correctement soin d’eux-mêmes.

Je serais aussi d’accord pour dire que, pendant la COVID, nous avons subi des conséquences à beaucoup d’égards. Cela a été anxiogène pour une grande partie de notre peuple. Cela s’explique de deux ou trois façons : il n’y a pas si longtemps, en Colombie-Britannique surtout, les gens ont contracté des maladies qui ont tué une partie de notre population.

Je crois en l’épigénétique, la mémoire du sang, je pense que cela a énormément d’influence sur qui nous sommes en tant que peuple et sur ce que nous vivons quand nous sommes isolés. Nous avons vécu la même chose quand on nous a enlevé nos enfants pour les emmener au pensionnat ou à l’externat ou quand ils nous ont été carrément arrachés pour être donnés à d’autres familles. Cela a eu d’énormes répercussions, pas seulement sur notre santé mentale, mais aussi sur notre santé spirituelle, émotionnelle et physique. Je crois que les gens consomment des substances pour être capables de supporter les traumatismes qu’ils ont subis, pour être capables de vivre. Je pense que la consommation de substances, y compris le cannabis, a augmenté.

Je suis extrêmement heureuse que Mme Hopkins ait ces statistiques, parce que je me fie uniquement à mon expérience et à ce que j’ai vu dans notre maison de ressourcement. J’ai des préoccupations, parce que, comme d’autres l’ont dit avant moi, les Autochtones, les Métis et les Inuits n’ont pas été consultés quand le cannabis a été légalisé. Je pense que nous devons étudier les deux côtés de la médaille et nous demander : d’accord, est-ce que cela aide ou est-ce que cela nuit? Quels sont les méfaits que cela entraîne? Je ne pense pas que nous ayons assez de données sur les types de méfaits.

Mais je sais pour quelle raison les gens choisissent d’en acheter, pourquoi ils choisissent d’en consommer.

Le président : Madame Jeffrey, il vous reste une minute.

Mme Jeffrey : Je voulais seulement dire que je ne pense pas que la consommation de cannabis a mis un frein à la consommation d’alcool, parce que les gens consomment les deux. On sait que c’est une drogue d’introduction, et c’est pourquoi je me soucie des jeunes et de leur consommation.

Même en ce qui me concerne, je ne peux pas me promener dans les rues de la Colombie-Britannique sans sentir une forte odeur de cannabis en plein visage, et c’est aussi quelque chose qui me préoccupe.

Le président : Merci, madame Jeffrey. Je vais maintenant inviter M. Stonechild à présenter sa déclaration.

Colin Stonechild, représentant du conseil de bande, Nation crie Peepeekisis : [mots prononcés dans une langue autochtone] Je vous serre tous la main, et je vous accueille.

D’abord et avant tout, je tiens à vous remercier de m’avoir invité. J’ai entendu tous les points de vue : qu’il s’agisse de la spiritualité, de la dépendance ou de l’économie, et je peux aborder toutes ces questions. Ma principale préoccupation, et c’est aussi le message principal que je veux transmettre, concerne l’économie et notre capacité de créer des possibilités économiques et de souveraineté pour notre peuple.

J’ai écouté Mme Jeffrey et Mme Hopkins, et je les remercie des données présentées. Je suis dans les Prairies. Une grande partie des problèmes des peuples autochtones découlent entièrement des traumatismes des pensionnats. En tant que chef de ma communauté, je crois que la seule façon dont nous pouvons surmonter ces obstacles, c’est par l’économie. Toutes les nations signataires de traité, sans exception, n’ont tout simplement pas accès à suffisamment de fonds. Il n’y a pas suffisamment d’argent pour les programmes destinés à aider notre peuple à surmonter la dépendance et les traumatismes et les autres problèmes du genre.

Pour nous, les Premières Nations, il est fondamental que nous puissions créer des emplois et des possibilités économiques pour nos gens, que nous puissions exploiter la terre et suivre nos propres lois, notre propre autodétermination en tant que Première Nation, pour que nous puissions créer des occasions de croissance économique.

En ce qui concerne la santé, je sais que bien des gens, partout en Colombie-Britannique... Je me trouve présentement à Kamloops et ma conjointe se trouve au centre de la Colombie-Britannique — le fait est que les drogues de rue, les drogues dures, la méthamphétamine et le fentanyl ont commencé à être mélangés sur le marché noir avec la marijuana, le cannabis.

Je n’aime pas l’expression « le moindre mal ». J’ai entendu quelques-uns des témoins précédents en parler ainsi. Ce n’est pas ce que je crois. En tant que chefs, nous n’allons jamais pouvoir lutter contre le marché noir. C’est d’une importance cruciale que nous puissions vendre un produit sécuritaire aux membres de notre communauté. C’est la clé, de savoir ce que nos membres utilisent, d’étiqueter et d’afficher tous les avertissements de sécurité concernant le produit et de naviguer dans le marché gris, noir ou rouge, comme j’ai entendu certaines personnes le dire.

Pour nous, avoir accès à notre propre autodétermination, notre propre souveraineté et nos propres lois, c’est la clé, pour que nous puissions régler les problèmes de la pauvreté dans nos collectivités et garder nos gens en sécurité, nos jeunes qui consomment du cannabis.

Nous n’avons pas de données brutes comme Mme Hopkins. Comme je l’ai dit, dans nos communautés, nous évoluons aussi rapidement que nous le pouvons. Nous vivons dans l’Ouest, et nos gens sont pauvres. Notre nation a été pauvre pendant de nombreuses années. Il y a des choses qui changent maintenant, grâce à nos lois sur le cannabis, les possibilités que cela offre et d’autres choses qui évoluent dans nos communautés afin que nous puissions recueillir des données.

Nous travaillons avec notre ministère de la santé pour diffuser des avertissements quand il y a de la mauvaise marijuana sur le marché noir; nous essayons de diffuser des avis pour que les gens puissent voir à quoi cela ressemble.

Aussi, la réduction des méfaits est un autre élément important. En ce qui me concerne, j’ai perdu deux membres de ma fratrie plus âgés à cause des drogues de rue, des opioïdes, et c’est important pour moi de m’être renseigné pendant autant d’années. Je crois sincèrement que si je m’étais renseigné là-dessus avec eux, ils seraient encore avec nous.

Je ne crois pas que le cannabis soit une mauvaise chose quand on le consomme correctement, que ce soit à des fins médicinales ou récréatives. Chez nous, nous comptons des Aînés parmi nos meilleurs clients, parce que cela permet de soulager leurs douleurs : le THC, les jujubes, les huiles, les gouttes, les pommades et certains produits pour le bain. Tout est axé sur la création d’occasions économiques et la sécurité de nos membres.

Le président : Merci, monsieur Stonechild. Nous allons maintenant commencer la période de questions. Je vais ouvrir le bal en posant une question à Mme Hopkins.

Pourriez-vous, s’il vous plaît, fournir au comité plus d’information à propos des sondages et des données que vous avez mentionnés dans votre exposé? Vous avez parlé d’un sondage qui avait été mené avant la COVID et d’un sondage qui est en cours.

Mme Hopkins : Oui. Le Système de gestion de l’information sur les toxicomanies est utilisé par la majorité des centres de traitement du Canada. Quand la pandémie a frappé, nous avons rapidement adapté le système et avons modifié une partie des services de codage afin de pouvoir filtrer les données d’une manière précise, pour examiner et comparer les données recueillies avant la COVID et durant la COVID. C’est un système permanent; nous aurons toujours ces données.

Nous avons eu de la chance d’avoir pu effectuer le Sondage sur les opioïdes et la méthamphétamine chez les Premières Nations pendant la pandémie. Cela a été formidable de pouvoir interroger ces communautés, et elles ont participé parce que le sondage était accompagné de ressources d’éducation ciblées pour des populations précises, les jeunes, les adultes, les personnes âgées et les travailleurs. Le sondage mettait aussi l’accent sur la compréhension de l’abus de multiples substances. Nous continuons de mener ce sondage. Il a été financé par l’Agence de la santé publique du Canada.

Le sondage sur le cannabis a été financé par la direction générale du cannabis de Santé Canada. On nous a accordé des fonds pour accueillir et organiser une discussion régionale sur le cannabis avec les Premières Nations, avant la pandémie; nous avons réalisé un sondage pour compléter ce que nous avions obtenu de ces groupes de discussion et nous avons publié un rapport national. C’était avant la réglementation. Après la réglementation, au cours des deux dernières années, nous avons obtenu du financement pour modifier ce sondage communautaire sur le cannabis, grâce auquel nous recueillons aussi des données sur l’abus de multiples substances, examinons l’accès aux ressources et leur disponibilité, recueillons les raisons pour lesquelles les gens consomment et de l’information sur ce que les gens considèrent comme étant les meilleures façons d’obtenir de l’information pour les aider à comprendre le cannabis et toutes ses propriétés, ses usages et ses conséquences. Le sondage a été révisé, puis lancé à nouveau vers la fin de 2021. Nous avons des données qui nous permettent de comparer la situation avant et après la réglementation. Nous continuons de réaliser ce sondage. Je le redis, mais le sondage est accompagné d’un certain nombre de ressources d’éducation.

Le président : Merci beaucoup. C’était très intéressant.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci, et bienvenue. Ma question est plutôt personnelle. Croyez-vous que les médecins devraient prescrire du cannabis plutôt que des opioïdes pour soulager la douleur? Est-ce que c’est un produit qui devrait être prescrit par les médecins?

Mme Hopkins : Ma réponse est oui. D’ailleurs, l’Assemblée des Premières Nations a tenu un forum national sur le cannabis au début du processus de réglementation, et d’après ce que nous avons entendu là-bas, les Premières Nations préfèrent l’accès au cannabis à des fins médicinales. En fait, la comparaison avec les anciens combattants du Canada à qui on a prescrit du cannabis contre le trouble de stress post-traumatique pour faire passer le message que les Premières Nations consomment déjà beaucoup de cannabis, non réglementé, comme forme d’automédication pour pouvoir composer avec les traumatismes intergénérationnels. Une meilleure stratégie serait de donner aux Premières Nations accès à du cannabis à des fins médicinales. Dans un rapport — je ne me souviens plus de l’auteur — présenté au forum, la conclusion de l’étude était que le cannabis donnait de bons résultats contre l’état de manque chez les consommateurs d’opioïdes. L’un des gros problèmes, avec le sevrage d’opioïdes et de méthamphétamine, en particulier, c’est de composer avec cet état de manque et le risque de recommencer à consommer quand on n’a accès à aucun soutien, aucun service de bien-être mental ou aucun traitement par agonistes opioïdes. Dans ces cas-là, le cannabis peut être une solution de rechange sécuritaire.

Cela a été testé, en particulier par les médecins... Je sais qu’il y a une pratique au Manitoba où on a obtenu de bons résultats en soutenant ainsi les gens dans leur sevrage des opioïdes. Malgré tout, le sevrage et le rétablissement demandent des efforts à long terme. Les Premières Nations n’avaient pas les ressources pour acheter du cannabis réglementé à des fins médicinales, alors les gens finissent toujours par recommencer à consommer d’autres substances, parce que le traitement n’est pas durable. Il y a de bonnes données qui montrent que le cannabis peut être une solution efficace pour atténuer les traumatismes, et aussi pour gérer le sevrage et les états de manque pour d’autres substances.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je sais que des médecins prescrivent aujourd’hui des opioïdes ou d’autres drogues sans hésiter et en se disant que cette personne devrait avoir accès à de la marijuana, afin qu’elle n’ait pas à consommer ce genre de drogues dures.

M. Stonechild : J’aimerais compléter ce que Mme Hopkins a dit. Elle a parlé du groupe du Manitoba et de la Dre Shelley Turner, d’Ekosi Health. J’ai travaillé avec elle, et nous avons discuté souvent de ses études. Ils ont beaucoup de données et d’études. Ils ont aussi des plans. Cela permet en effet de lutter contre les opioïdes, contre les autres maladies transmissibles et la douleur chronique. Il y a des études, des données et des professionnels au Canada. La Dre Shelley Turner d’Ekosi Health, à Gillam, au Manitoba. Ils ont présenté un exposé à l’APN, et je les ai aussi vus à Kelowna, au sommet sur le cannabis aussi. Je suis très au fait de cela. Pour la suite, je pense que si quiconque a des questions, la Dre Shelley Turner de Gillam, au Manitoba, est la personne à qui parler.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci.

Mme Jeffrey : Quand nous avons des traumatismes et que nous les retenons dans notre corps, cela cause une douleur physique. Si nous essayons vraiment de guérir cela, si nous cherchons de l’aide et que nous travaillons sur ce traumatisme, cela atténue aussi la douleur physique, parce que cette énergie doit circuler. Elle reste prise dans le corps, jusqu’à ce qu’elle puisse circuler de la bonne façon. J’ai constaté que la culture et les cérémonies peuvent aider à faire circuler le traumatisme. Il y a d’autres façons d’atténuer la douleur que de prendre une pilule, des drogues ou d’autres choses.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci.

La sénatrice Coyle : Merci à nos témoins. Comme vous le savez, le but du comité est de cerner les éléments qui seront importants pour l’examen législatif de la Loi sur le cannabis. Vous nous aidez beaucoup à ce chapitre. J’ai deux ou trois questions, et j’aimerais savoir ce que chacun d’entre vous a à dire.

De votre point de vue, puisque chacun d’entre vous présente un point de vue très important, quels sont les domaines prioritaires pour les peuples et les communautés autochtones avec qui vous travaillez? Quelles seraient les priorités absolues, qui doivent absolument être étudiées, absolument être examinées dans le cadre de cet examen? J’aimerais que chacun d’entre vous me dise quelles seraient ces priorités, puis j’aurai une question de suivi.

M. Stonechild : Les priorités pour notre communauté seraient axées sur la sécurité, et aussi se sortir de la pauvreté et créer des occasions économiques pour nos gens.

Pouvoir combler cet écart dans l’examen de la loi sur le cannabis, la loi sur laquelle vous travaillez ou que vous allez examiner, c’est important de pouvoir... Vous savez, j’ai entendu parler du moment où le Canada avait mis en œuvre le devoir de consulter les Premières Nations. Je pense que nous serions beaucoup plus avancés, en tant que Premières Nations, et que nos économies se porteraient beaucoup mieux si nous n’avions pas ces obstacles entre les régions dont les témoins précédents ont parlé, et si nous pouvions prendre position nous-mêmes quant à nos droits inhérents et à notre autodétermination.

Je pense que c’est la clé, et je pense que poursuivre les efforts avec le gouvernement au pouvoir, quant à la réconciliation, quant à la mise en œuvre de certaines des recommandations de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones pour nous sortir de la pauvreté, et aussi d’être inclusif envers tous les citoyens du Canada, c’est très important, et aussi de respecter nos traités et de ne pas mettre autant d’obstacles et de barrières qui ne font réellement que créer... Avoir une relation issue d’un traité, et pouvoir avoir ce genre de relation avec nos gouvernements, en étant souverain et en ayant une relation de nation à nation, c’est la clé et très important.

Je pense aussi, pour parler d’économie, que quand nous incluons tout le monde, quand nous avons beaucoup de... Et je crois vraiment en l’entrepreneuriat. Selon mes entreprises, quand il y a de la concurrence, les affaires sont meilleures, la qualité des produits est meilleure et nos produits sont plus sécuritaires. Je pense que c’est très important que notre peuple soit inclus dans cela.

Mme Jeffrey : Je suis d’accord avec ce que dit M. Stonechild sur la nécessité d’être inclus; nos voix doivent être entendues à tous les échelons. C’est à nous de prendre les décisions sur ce qui est le mieux pour la santé et le bien-être de nos communautés.

Je pense que nous devons écouter ce que proposent nos Aînés et nos responsables culturels, parce que je pense vraiment que la culture sauve des vies et qu’il faut que cela vienne de notre perspective, de notre vision du monde.

Cela m’attriste qu’on nous ait mis dans ces petites parcelles de terre, surtout ici en Colombie-Britannique, dans ce qu’on appelle des « réserves ». Nos territoires ancestraux sont si petits, et notre capacité de créer de la croissance économique est si restreinte, que de nombreuses nations doivent voir cela comme une occasion de générer des revenus pour leurs collectivités, parce que plusieurs personnes ont dit que nos gens vivent dans la pauvreté, sous le seuil de la pauvreté.

Ma priorité, c’est toujours les enfants, parce qu’ils représentent les générations à venir, alors comment pouvons-nous leur offrir un mode de vie holistique et sain? J’ai espoir que nous pourrons leur offrir une vie sans consommation de substances ou sans dépendance. Peut-être que les gens pourraient consommer de façon récréative.

Mais il faut que nos voix soient entendues, et il faut nous inclure. Nous ne pouvons pas être une arrière-pensée, et c’est malheureusement ce que nous sommes toujours.

Merci.

Mme Hopkins : La chose la plus cruciale et la plus utile que vous pourriez étudier en lien avec le cannabis et les Premières Nations, c’est l’équité. Il doit y avoir une réponse équitable, qu’il s’agisse de la gouvernance du cannabis, des gouvernements communautaires ou de l’équité réglementaire, et il faut aussi s’assurer de l’équité pour la communauté.

Les collectivités des Premières Nations qui connaissent les avantages du cannabis à des fins médicinales et qui veulent l’utiliser n’y ont pas accès. Il n’y a pas d’accès équitable, alors cela doit être pris en considération, avec le continuum de soins. Se libérer d’une dépendance, ce n’est pas un effort d’un moment. Il faut de nombreuses tentatives, et tous les outils et toutes les ressources qui sont accessibles au reste du Canada doivent être rendus accessibles aux Premières Nations également. Le cannabis à des fins médicinales, que ce soit pour soulager les traumatismes ou pour soulager le sevrage des opioïdes et de la méthamphétamine, ou même pour la consommation à des fins récréatives pour surmonter le stress quotidien, doit être offert à notre population.

Aussi, il faut promouvoir équitablement la culture des Premières Nations : cela veut dire de lutter contre le racisme épistémique qui fait croire qu’il n’existe aucune donnée probante de qualité sur les connaissances et les pratiques culturelles autochtones. Je n’ai pas pu en parler aujourd’hui, mais nous avons effectivement des données qui montrent que la culture fonctionne, en créant vraiment un meilleur équilibre entre l’espoir, l’appartenance, le sens de la vie et le but de la vie. Voilà la définition autochtone du « mieux-être ». Nous avons effectivement ces données probantes, et il faut qu’on reconnaisse que la culture fonctionne, et il faut que davantage de fonds soient investis dans les services axés sur la terre, axés sur la culture et axés sur les Autochtones, pendant que nous travaillons à gérer les répercussions des drogues nocives dans nos communautés.

Nous ne pouvons pas continuer de criminaliser les gens à cause de la colonisation. Nous ne pouvons pas continuer de criminaliser les Premières Nations à cause des traumatismes qu’ils portent en eux, qui découlent de la colonisation qui existe encore aujourd’hui. Nous ne pouvons pas continuer de criminaliser les gens parce qu’ils n’ont pas accès à des services équitables dans leur collectivité. Il n’y a pas de services dans les collectivités pour aider les gens qui ont des problèmes avec les opioïdes et la méthamphétamine, et les collectivités des Premières Nations sont désespérées. Dans ce contexte, les gens vont utiliser ce qu’ils peuvent pour affronter leurs problèmes. Le cannabis non réglementé est devenu une de ces sources. Il existe des drogues contaminées partout au Canada, dans les collectivités rurales et éloignées, et ces collectivités n’ont pas accès aux ressources. L’équité s’impose.

Deux autres choses : il n’y a pas de main-d’œuvre dans la collectivité, alors l’approche de santé publique qui pourrait aider les collectivités des Premières Nations à gérer la consommation de cannabis et d’autres substances doit aussi prendre cela en considération. Comment une collectivité qui n’a pas accès à des ressources de santé publique peut-elle encourager le mieux-être de la communauté, que ce mieux-être passe par la consommation de substances, par la santé ou par l’abstinence?

Il y a un continuum. Les gens des Premières Nations ont le droit de prendre leurs propres décisions quant à où ils se situent sur ce continuum, qu’ils désirent l’abstinence, une consommation à des fins de santé ou une consommation à des fins récréatives.

Enfin, les Premières Nations ont besoin de soutien en matière de souveraineté des données. La Thunderbird Partnership Foundation... J’ai parlé des instruments que nous utilisons pour nos sondages et pour recueillir des données, mais c’est beaucoup de travail de recueillir des données, parce que les collectivités n’ont pas cette capacité. Les collectivités des Premières Nations ont besoin d’avoir la capacité de participer à la collecte de données sur les substances et à la surveillance.

Merci.

La sénatrice Coyle : Vous avez tous les trois effleuré ma prochaine question, et je vous suis très reconnaissante des réponses très importantes que vous nous donnez.

Représentant Stonechild, vous avez parlé de la relation issue de traité, de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et du devoir de consulter. Madame Jeffrey, vous avez parlé de l’importance de tenir compte de la pauvreté et de la vision autochtone du monde et d’accorder la priorité aux enfants et aux jeunes. Madame Hopkins, vous avez parlé des diverses formes d’équité qui sont absentes et qui devraient absolument exister, y compris la capacité de participer réellement à la collecte de données essentielles, comme vous venez tout juste de le dire. Vous avez tous soulevé des points très importants.

Donc, pour revenir à ces points, dans le cadre de l’examen législatif, de quels soutiens, financiers ou autres — et la sénatrice Lovelace Nicholas a soulevé l’aspect financier plus tôt, avec notre dernier groupe de témoins —, mais de quels soutiens, financiers ou autres, avez-vous besoin en tant que peuples et communautés autochtones pour être en mesure de vraiment participer réellement à l’examen législatif?

J’aimerais avoir des commentaires de qui veut bien répondre.

M. Stonechild : Je pense que beaucoup des problèmes auxquels nous sommes confrontés en tant que peuples des Premières Nations, c’est omniprésent, nous le voyons. C’est épidémique. C’est la santé mentale.

Je pense que nous devons offrir du soutien en santé mentale tout en sensibilisant les gens aux dépendances et au mieux-être et créer des occasions de donner à notre peuple les outils dont nous avons tous parlé. Il est crucial que nous ayons ces services de soutien en santé mentale, et comme l’a dit Mme Hopkins, l’équité et la capacité de pouvoir offrir des produits sécuritaires. Nous avons effectivement un dispensaire médical, mais ce n’est pas tout le monde qui a les moyens, et c’est pourquoi ils se tournent vers le marché noir, peu importe ce que nous faisons. Il faut que nous ayons accès à ces ressources, à la marijuana à des fins médicinales, que ce soit financé par notre ministère de la santé ou par notre dispensaire, pour les patients à qui cela a été prescrit; il est crucial que nous ayons cela et aussi de l’aide financière pour tout, partout. La santé mentale et la dépendance, ce sont les éléments clés.

Mme Hopkins : J’ajouterais qu’il faut un investissement pour la main-d’œuvre des communautés des Premières Nations. La formule de financement pour les programmes communautaires est désuète. Elle est fondée uniquement sur la population, avec une échelle mobile qui tient compte de l’éloignement de la collectivité. Cela ne reflète pas l’épidémiologie dans les Premières Nations. Nos traumatismes sont importants. On n’arrête pas d’en parler : les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées, ce que nous avons vécu dans les pensionnats, les avis d’ébullition d’eau, le manque de logement et la surreprésentation dans le système carcéral. Nous savons que la surreprésentation des peuples des Premières Nations dans tous ces systèmes est liée aux traumatismes non résolus. Malgré tout, nous n’avons pas la main-d’œuvre suffisante dans nos collectivités pour atténuer ce traumatisme. Nous n’avons pas cette capacité.

Nous avons réalisé une étude sur le bien-être mental et les dépendances auprès de la main-d’œuvre des Premières Nations, et nous avons constaté que les travailleurs gagnent 45 % moins que leurs homologues provinciaux. Pourtant, nous avons des services qui offrent des services respectant des normes d’excellence et qui suivent un processus d’accréditation. Ils offrent des services de haute qualité. J’ai présenté nos données pour démontrer que nous comprenons le besoin, et nous avons aussi des données sur les résultats. Nous avons une main-d’œuvre qualifiée, certifiée, qui possède des compétences essentielles, et pourtant, elle gagne 45 % moins que ses homologues provinciaux.

Il faut que les collectivités des Premières Nations aient la capacité de soutenir les approches de santé publique, de favoriser le mieux-être mental et de lutter contre les dépendances. Sans cette main-d’œuvre, sans rémunération équitable, nous ne pourrons pas aller bien loin, et il faut que cela soit pris en considération dans le cadre de votre étude sur le cannabis.

Le président : J’aimerais préciser que la question concernait la participation à l’examen législatif.

Madame Jeffrey, voulez-vous tenter une réponse?

Mme Jeffrey : Nous avons besoin de ressources pour pouvoir participer. Nous avons aussi besoin de sensibiliser les gens. Par exemple, j’ai reçu l’invitation seulement jeudi dernier. Je faisais du travail de réconciliation culturelle à Ottawa pour la journée de la réconciliation. Je ne sais pas quel préavis les autres ont eu, mais nous avons besoin de temps pour nous préparer.

Je reviens toujours à la culture, parce que j’ai vu ce que la culture et les cérémonies peuvent faire pour sauver des vies. J’ai fait partie de la Commission de vérité et réconciliation. Je suis dans ce domaine depuis plus de 23 ans, et je crois fermement au Créateur, à nos ancêtres, à notre culture. Nous n’arrêtons pas de parler des traumatismes et des méfaits que nous avons subis et qui ont eu des répercussions à tous les niveaux : spirituel, mental, émotionnel et physique. Les gens qui entrent dans notre maison de ressourcement, ils ont l’impression de n’être à leur place nulle part. Ils ne se sentent pas importants. Ils n’ont pas l’impression d’avoir une place. Ils n’ont pas l’impression que leur vie a un sens. Quand ils arrivent à renouer et qu’ils commencent à apprendre qui ils sont en tant que peuple et à renouer avec leur culture, la terre et les cérémonies, ils commencent à avoir un sentiment de... je ne sais pas si je pourrais dire de fierté, mais ils savent qu’ils sont importants, qu’ils ont leur place, qu’ils appartiennent à quelque chose de plus grand qu’eux.

J’ai d’autres méthodologies. J’ai des conseillers cliniciens. J’utilise d’autres méthodologies. Mais quand nous faisons un rapport, avec les gens qui viennent nous voir, sur leurs résultats, la première chose qu’ils nous disent, c’est qu’ils ont adoré les Aînés et l’aspect culturel; en deuxième, c’est la nourriture. De la nourriture saine, c’est très important.

Je sais que je suis censée répondre à la question sur la façon dont nous encourageons la participation, à cet échelon, mais nous avons besoin de préavis, d’être inclus et de ressources pour pouvoir participer et envoyer des gens parler en notre nom. J’aimerais vraiment que nos Aînés et nos experts culturels puissent participer.

Le sénateur Tannas : Merci beaucoup. Peut-être que je vais commencer à poser cette question à toutes les réunions que nous avons sur le sujet, parce que je pense que ce serait intéressant de savoir ce que les gens pensent.

Nous avons entendu — je m’en souviens, c’était il y a cinq ans, quand le projet de loi était à l’étude — beaucoup de témoignages sur ce dont nous avons justement parlé aujourd’hui : les traumatismes, les dépendances et la santé mentale dans les collectivités. Des Aînés ont témoigné pour nous dire : « Ne faites pas cela. Cela ne va qu’empirer les choses. »

Pendant l’examen législatif, ce serait peut-être intéressant de savoir quel est le consensus actuellement. Est-ce que chacun d’entre vous pourrait me dire, de son point de vue, si la légalisation du cannabis a amélioré ou empiré les choses?

M. Stonechild : J’aimerais intervenir. D’après ma propre expérience — et je ne peux pas parler pour les autres régions du Canada ni même pour la réserve juste à côté de la nôtre —, certains de nos plus fervents partisans de la réduction des méfaits et du cannabis étaient nos Aînés. Nous avons diffusé en direct des consultations avec tous les membres de notre communauté, par intermittence. Certains de nos meilleurs clients et des gens que nous soutenons sont les gens âgés. Concrètement, ce sont eux qui souffrent de certains des pires traumatismes dans notre collectivité. Ce sont eux qui ont souffert des pires dysfonctions, du népotisme, de la violence latérale, et de choses du genre. Si nous menions des consultations et que nous recueillions des données comme Mme Hopkins l’a fait, je pense que cela montrerait que les choses se sont améliorées dans notre collectivité. Même dans ma propre famille, je sais que nous avons utilisé des produits du cannabis pour aider à adoucir la dépendance aux drogues. Je pense que, économiquement parlant, nous avons créé beaucoup d’emplois et que cela a avantagé beaucoup de gens, et cela a créé un certain niveau de sécurité pour notre communauté.

Je comprends l’aspect culturel. J’ai grandi en participant à des cérémonies. Je suis chanteur traditionnel. Je me suis promené partout. Peu importe ce que nous faisons, nous n’arriverons jamais à faire en sorte que nos collectivités restent 100 % sobres, peu importe les ressources que nous avons. Je n’essaie pas de parler en mal des gens qui mènent une vie sobre et spirituelle, mais la réalité, c’est que nous n’allons jamais pouvoir garder la collectivité sobre. Nous n’allons jamais pouvoir faire en sorte que tout le monde soit 100 % sobre. Malgré tout, la spiritualité et la culture sont la clé pour édifier une communauté saine. Honnêtement, au bout du compte, cela a aidé notre collectivité, mais pour que ce soit encore mieux, je pense que nous aurions besoin de plus de mesures de soutien.

Si on pouvait améliorer tous nos programmes de santé et de dépendance, si on avait des études et des données comme Mme Hopkins et d’autres collectivités dans tout le pays ont pu avoir, si on pouvait intégrer cette armoire à pharmacie dans nos traités et si on pouvait partager ces données, ce serait la clé pour aller de l’avant et changer pour le mieux. C’est une loi sur laquelle on doit travailler. J’aimerais que certaines de nos lois puissent évoluer, mais je pense que c’est une bonne chose que nous soyons ici, et il est essentiel que nous travaillions là-dessus.

Mme Hopkins : J’aimerais ajouter que, quand nous avons eu cette discussion nationale sur le cannabis, à l’échelle du pays, nous n’avions pas de consensus — comme vous le dites — sur la relation entre le cannabis et la culture. Voyez-vous, il n’y a pas une seule culture. Il existe de nombreuses cultures autochtones, autant qu’il y a de nations autochtones.

Donc, certaines cultures des Premières Nations — les cultures originales et sacrées — de nos sociétés sacrées et cérémoniales ont effectivement cette connaissance de l’utilisation du cannabis à des fins cérémoniales, pour aider la guérison. Nous avons ces sociétés de médecine qui ont une compréhension des remèdes. Sous l’angle de la culture ou de la connaissance autochtone, ce n’est peut-être pas le même cannabis que nous avons aujourd’hui, mais c’est tout de même du cannabis. Ils utilisaient du cannabis, que ce soit du chanvre ou du cannabis. Ils avaient des connaissances sur son utilisation en médecine pour faire des vêtements ou en tirer des outils favorisant la guérison et le bien-être de la terre ou des gens ou permettant aux gens de subvenir à leurs besoins et d’avoir certaines aptitudes fondamentales de la vie quotidienne. Mais ce n’est pas uniforme d’un bout à l’autre du pays, parce que, je le répète, il n’y a pas qu’une seule culture autochtone. Il y en a plusieurs.

Si vous demandez comment le cannabis, généralement, s’inscrit dans la culture, vous allez toujours obtenir des réponses différentes. C’est la même chose qu’au Canada. Il n’y a aucune population unique qui dit que le cannabis devrait être donné à tout le monde, malgré cette loi. Il est entendu que le cannabis doit être réglementé. Quand vous divisez les pouvoirs entre les gouvernements fédéral et provinciaux, vous devez reconnaître les gouvernements des Premières Nations. Ce sont des nations distinctes, avec leur propre compréhension de leur relation avec la terre et leur propre compréhension et utilisation de la médecine. Il va falloir tirer parti de cette force culturelle pour l’examen législatif.

Je vais revenir sur le sujet des ressources, que j’ai abordé plus tôt. Il doit y avoir des ressources pour soutenir des discussions inclusives avec les peuples des Premières Nations. Présentement, nous n’avons pas assez de main-d’œuvre dans nos collectivités. Il doit y avoir un processus de mobilisation des Premières Nations pour que nous puissions avoir ces discussions, mais il faut aussi fournir du soutien, reconnaître et affirmer le rôle des Premières Nations dans cet espace. Que ce soit avec le gouvernement fédéral ou provincial, les Premières Nations ont un rôle à jouer. Et je dis cela pour tout le pays. Il y a un rôle pour les gens des Premières Nations.

J’aimerais conclure sur le point suivant : à l’époque où la crise des opioïdes n’était même pas encore déclarée telle, j’ai témoigné devant la Chambre des communes et j’ai demandé que le Suboxone soit inscrit sur le formulaire des Services de santé non assurés, ou SSNA, afin que les gens des Premières Nations puissent y avoir accès. Même s’il y avait déjà énormément de données probantes dans le monde sur le Suboxone et sur son efficacité pour atténuer les symptômes du sevrage des opioïdes, on ne l’a pas rendu accessible aux Premières Nations. Quand on l’a finalement rendu accessible, c’était par exception.

J’ai eu la chance d’être invitée à témoigner devant le Sénat ou devant la Chambre des communes pour diverses discussions. Nous savons que le cannabis fonctionne pour atténuer les symptômes du sevrage. Nous savons qu’il y a une crise. Il y a une crise liée à la pandémie, mais il y a aussi une vague de décès — des décès inutiles — dus aux opioïdes, à la méthamphétamine et aux autres substances dont les impacts pourraient être atténués si nous avions accès au cannabis. Il y a des données probantes qui le montrent. C’est déjà utilisé dans certains programmes fédéraux, comme je l’ai dit, pour les anciens combattants.

J’espère au moins que l’on reconnaîtra que le cannabis peut faire partie des outils auxquels nous devrions avoir droit.

Le sénateur Tannas : Dois-je comprendre que vous diriez que c’est mieux, et non pire? Ce serait intéressant de savoir quel est le consensus, au bout du compte... Est-ce que les choses se sont réellement améliorées, ou tout simplement pas? Ce que vous dites est bien aussi.

Mme Hopkins : J’aurais tendance à être d’accord avec le dernier groupe de témoins. Le cannabis a des effets dévastateurs sur la grossesse, sur les jeunes et sur le développement des jeunes. Il y a les psychoses et ce qu’on appelle le syndrome d’hyperémèse cannabinoïde. Je n’ai pas encore de données là-dessus, mais c’est l’un des facteurs que nous sommes en train d’examiner pour la deuxième mouture de notre sondage national sur le cannabis. Nous nous intéressons à ce que vivent les Premières Nations, par rapport aux problèmes digestifs causés par la consommation chronique de cannabis. Il y a aussi la perte de poids. Il y a des facteurs importants, mais aussi, ces facteurs... Comprenez-moi, comparer la mort à des maux d’estomac; comparer la mort à la psychose. Je ne peux pas répondre à votre question et dire si la situation s’est améliorée ou détériorée. Il y a de bons aspects, et aussi des aspects négatifs.

Mme Jeffrey : Je dirais la même chose que Mme Hopkins. Je ne sais pas si on peut dire que la situation s’est améliorée ou détériorée. Je suis d’accord pour dire qu’il ya de bons aspects et de mauvais aspects. Souvenez-vous : je le répète, mais mon approche est une philosophie fondée sur l’abstinence, même si je comprends aussi et que je peux reconnaître la valeur de la réduction des méfaits et du reste.

Une autre chose que je constate, c’est qu’un bon nombre de lois et de règlements ont été mis en place à propos du tabagisme et de la fumée secondaire et tertiaire. Je ne sais pas si on a soulevé les mêmes considérations jusqu’ici avec le cannabis. C’est impossible pour moi de me promener dans la rue — tout à fait impossible — sans recevoir cinq grosses bouffées de marijuana au visage, ce qui me déplaît, personnellement. Je n’aime ni l’odeur ni le goût. Ce n’est pas quelque chose que j’aime. Puis, je m’inquiète des bébés et des jeunes qui vont ingérer cela. Ce n’est pas leur choix, mais ils en ingèrent de toute façon.

Comme c’est légal, les gens ont maintenant l’impression d’avoir le droit absolu d’en consommer. J’ai eu beaucoup de problèmes avec des gens — même des travailleurs sociaux — qui viennent dans notre maison de ressourcement et qui disent que c’est leur droit. Je leur dis : l’alcool, c’est légal, mais je ne permets à personne de prendre un grog chaud avant d’aller au lit.

Je ne sais pas quoi répondre. Je suis consciente des avantages, mais je constate aussi que cela cause des problèmes.

Le sénateur Tannas : Merci.

Le président : C’est tout le temps que nous avions avec ce groupe de témoins. Je tiens à remercier les témoins d’avoir été avec nous aujourd’hui.

Chers collègues, je vous rappelle que notre prochaine réunion sur ce même sujet a lieu demain, le mercredi 5 octobre, à 18 h 45. J’aimerais aussi mentionner que tous les membres du comité directeur se sont entendus pour que nous acceptions des mémoires écrits pour l’étude en cours jusqu’au 4 novembre 2022.

La séance est maintenant levée.

(La séance est levée.)

Haut de page