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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 15 novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones; et à huis clos, pour l’étude d’une ébauche de rapport.

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, pour commencer, j’aimerais reconnaître que la terre sur laquelle nous nous réunissons est le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe, dont la présence ici remonte à des temps immémoriaux.

[Mots prononcés dans une autre langue]

Bonjour. Je suis le sénateur micmac Brian Francis d’Epekwitk, aussi appelée Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Avant de commencer notre réunion, j’aimerais demander à toutes les personnes de s’abstenir de se pencher trop près du microphone ou de retirer leur oreillette lorsqu’elles le font. Cela évitera toute boucle de rétroaction qui pourrait avoir une incidence négative sur le personnel du comité dans la salle. J’aimerais maintenant inviter les membres du comité présents à se présenter en indiquant leur nom et leur province ou territoire. Commençons à ma gauche.

Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

[Français]

La sénatrice Audette : Michèle Audette, du Québec.

[Traduction]

Le président : Merci et bienvenue à tous.

Dans le but d’étayer et d’orienter nos travaux futurs, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones invite les témoins, y compris les ministères fédéraux, des représentants des peuples des Premières Nations, des Inuits et des Métis et d’autres, à venir discuter de leur travail et de leurs priorités. Nous avons reçu de tels mémoires les 1er et 2 novembre, et la réunion est une suite de nos travaux et est divisée en deux groupes de témoins.

Pour le premier groupe de témoins, nous entendrons le président Natan Obed et la directrice exécutive Elizabeth Ford, de l’Inuit Tapiriit Kanatami, ou ITK. M. Obed présentera une déclaration liminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie par une période de questions et de réponses d’environ cinq minutes par sénateur. En raison de contraintes de temps, je vous demanderais de tous bien vouloir garder vos échanges brefs et précis. Pour éviter d’interrompre qui que ce soit ou de couper la parole à qui que ce soit, je vais lever ce carton lorsqu’il vous restera une minute sur le temps qui vous est imparti.

J’invite maintenant M. Obed à présenter sa déclaration liminaire.

Natan Obed, président, Inuit Tapiriit Kanatami : Merci, honorables sénateurs et sénatrices, de permettre à l’Inuit Tapiriit Kanatami de vous présenter cet exposé et de tenir cette conversation.

L’Inuit Tapiriit Kanatami est une organisation représentative, qui se distingue des autres organisations autochtones de défense des droits, de la société civile ou des parties prenantes. Nous sommes l’organisation nationale des Inuits du Canada parce que nous sommes dirigés par les quatre organisations inuites signataires de traités qui représentent collectivement tous les Inuits dans notre relation avec la Couronne.

Nous comptons parmi nos membres la Société Makivik, à Nunavik, dans le Nord du Québec; le gouvernement du Nunatsiavut, dans le Nord du Labrador; Nunavut Tunngavik, qui partage le même espace géographique que l’ensemble du Nunavut, mais qui est une organisation fondée sur les droits au sein de cette administration; et la Société régionale Inuvialuit, qui se trouve dans les Territoires du Nord-Ouest. Les quatre dirigeants élus de ces organisations siègent au conseil d’administration de l’Inuit Tapiriit Kanatami. Je suis donc élu pour représenter les intérêts de ces quatre membres du conseil d’administration et des organisations signataires de traités, plutôt que d’être élu en fonction de mon propre mandat, de mes croyances ou de ma vision des choses qui devraient se produire. En tant que politicien, j’ai la possibilité de façonner le travail de notre organisation, mais tout dépend de l’orientation fournie par nos quatre dirigeants élus.

L’Inuit Nunangat, la patrie des Inuits, englobe plus du tiers de la masse terrestre du Canada et près des trois quarts du littoral du pays. Même si nous avons une population relativement faible d’environ 70 000 personnes, les Inuits sont collectivement les plus grands propriétaires fonciers privés du monde, et nous cogérons une grande partie de notre territoire avec les gouvernements. C’est environ le tiers de la masse terrestre du Canada et environ 72 % du littoral que les Inuits, avec les gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral, cogèrent. Nous sommes vraiment notre propre entité en matière de gouvernance et de relations avec le Canada et ses administrations d’une manière à laquelle, je le sais, aspirent de nombreuses Premières Nations et de nombreux Métis au pays. Nous avons la chance d’avoir ces arrangements avec le gouvernement du Canada, ce qui ne veut pas dire qu’ils sont idéaux en tout temps, mais l’éloignement de nos terres ancestrales a certainement permis de conclure des ententes différentes avec le gouvernement du Canada.

Nous avons une stratégie et un plan d’action très ciblés qui guident notre travail quotidien. Notre stratégie et notre plan d’action actuels sont pour 2020-2023 et les priorités sont la réduction de la pauvreté; les infrastructures; l’avancement des initiatives de santé et de développement social propres aux Inuits; la protection, la revitalisation, le maintien et la promotion de notre langue, l’inuktitut; le soutien à l’autodétermination des Inuits dans la recherche; et le soutien de la gestion côtière et du développement de l’infrastructure maritime dans l’Inuit Nunangat. En plus de notre stratégie et de notre plan d’action, nous collaborons avec le gouvernement fédéral dans des domaines législatifs et stratégiques nationaux, notamment au moyen de plans de travail établis avec les ministères fédéraux par l’entremise du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne, ou CPIC, qui a été établi en 2017.

Un résultat positif récent du CPIC est la politique fédérale sur l’Inuit Nunangat, que nous avons élaborée avec les ministères fédéraux afin d’orienter la façon dont le gouvernement fédéral aborde l’élaboration et la mise en œuvre de politiques, de programmes et d’initiatives qui sont destinés à profiter aux Inuits et qui peuvent avoir une incidence sur nos droits.

Il est important de faire une pause et de réfléchir au type de travail que nous espérons réaliser. Il ne s’agit pas simplement de faire une grande annonce avec une allocation fédérale ponctuelle pour un écart socioéconomique, le logement ou l’infrastructure. Il s’agit de changer la façon dont le gouvernement fait des affaires.

L’élaboration conjointe de la politique de l’Inuit Nunangat, qui a culminé avec l’annonce par le premier ministre de l’adoption de la politique par le gouvernement fédéral en avril, est le type de travail qui est tout aussi transformateur que de recevoir une grosse somme d’argent pour geler un problème particulier dans un budget fédéral. Je dirais que, avec le temps, c’est plus constructif parce que cela change le fonctionnement du gouvernement.

Pour notre organisation, l’espace de la gouvernance, de la politique et de l’interprétation autochtones est tellement complexe que la clarification des domaines politiques propres aux Inuits nous permet d’être beaucoup plus stratégiques dans la façon dont nous passons notre temps, plutôt que d’éduquer les membres de la fonction publique ou les politiciens chaque fois qu’une initiative propre aux Inuits aboutit sur le bureau de quelqu’un. Cela permettra d’intérioriser la façon dont le gouvernement envisage de travailler avec nous au lieu que nous devions l’imaginer ensemble chaque fois.

Pour terminer, en ce qui concerne précisément la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA, nous sommes très heureux d’avoir joué un rôle dans l’élaboration de cette législation avec le gouvernement fédéral, et nous continuons de travailler en partenariat avec Justice Canada pour diriger la mise en œuvre. Un plan d’action doit être présenté dans les deux ans suivant l’adoption de la loi. Nous travaillons sans relâche avec le ministère de la Justice — et avec les Premières Nations et les Métis — pour nous assurer qu’il est aussi solide que possible.

Nous espérons pouvoir travailler avec le Sénat sur un certain nombre de questions différentes. La mise en œuvre de nos droits et la façon dont nos droits sont exprimés au moyen de lois, de politiques ou la façon dont le gouvernement agit à l’égard des Inuits, des Premières Nations et des Métis sont essentielles à la réconciliation, mais aussi à la façon dont nous pouvons transformer ce pays pour le mieux. Nakurmiik.

Le président : Wela’lin. Merci, monsieur Obed. Avant de passer aux questions, je tiens à rappeler à toutes les personnes présentes dans la salle qu’elles doivent s’abstenir de se pencher trop près du microphone ou retirer leur oreillette lorsqu’elles le font.

Les sénateurs et sénatrices peuvent maintenant poser des questions. Je cède la parole à mon vice-président, le sénateur Arnot, pour la première question.

Le sénateur Arnot : Bonjour, invités et témoins. Je vous remercie d’être ici aujourd’hui.

J’ai une question pour M. Obed. Vous avez identifié un plan de travail exhaustif, sur lequel vous avez travaillé conjointement, concernant la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies, qui touche un certain nombre de textes législatifs. J’aimerais que vous décriviez certains des défis que vous voyez, malgré la bonne relation que vous êtes en train de construire. Je comprends parfaitement ce que vous dites au sujet de la création d’une relation positive et constructive entre la Couronne et l’ITK au nom du peuple inuit, mais j’aimerais que vous nous parliez plus en détail des défis que vous entrevoyez en ce qui concerne ce plan d’action multilégislatif.

J’aimerais également avoir vos commentaires sur cette question : êtes-vous satisfait des mécanismes actuellement disponibles, ou qui le seront, pour obliger le pouvoir exécutif à rendre des comptes sur la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies?

M. Obed : Merci beaucoup de poser ces questions. Je vais commencer par les considérations majeures concernant la mise en œuvre de la DNUDPA.

Nous sommes assez préoccupés par les recours et les réparations prévus dans le cadre de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones au Canada. Le gouvernement du Canada — et je pense, les Canadiens en général — admet assez facilement que les peuples autochtones ont des droits. Je pense que nous avons dépassé l’époque où la question était ouverte.

La question qui se pose maintenant est la suivante : quand les droits ne sont pas mis en œuvre ou qu’ils ont été violés, quels recours ou quelles solutions les Premières Nations, les Inuits, les Métis ou les institutions ont-ils dans notre pays pour combler les lacunes au chapitre de la mise en œuvre de nos droits en matière de législation, des décisions de la Cour suprême ou de la primauté du droit dans ce pays?

Nous avions espéré pouvoir créer un tribunal des droits de la personne autochtone qui se concentrerait uniquement sur la résolution de ce problème. Les tribunaux des droits de la personne du Canada n’ont pas toujours bien compris les droits des peuples autochtones et n’ont pas fourni de directives précises à cet égard.

C’est un espace complexe et déroutant qui évolue constamment. Nous espérons pouvoir créer un mécanisme qui tiendrait compte des considérations relatives aux droits de la personne pour un tribunal qui veillerait précisément à ce que les droits des peuples autochtones soient respectés dans notre pays.

Nous sommes également très préoccupés par la façon dont l’article 5 pourrait être mis en œuvre. Il dit ceci :

Le gouvernement du Canada, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, prend toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois fédérales soient compatibles avec la déclaration.

C’est une entreprise énorme et assez complexe, fondée sur des précédents juridiques et des considérations émergentes pour la mise en œuvre de nos droits.

Je dirais que ce sont les plus grands défis. Dire que les peuples autochtones sont importants ou que nous sommes respectés dans ce pays, ce sont des choses merveilleuses, mais trouver comment nous traiter avec équité lorsqu’il s’agit de la violation des droits — en nous fondant sur la déclaration des Nations unies et sur tous les autres instruments relatifs aux droits de la personne dont nous disposons au Canada —, voilà le cœur de nos préoccupations. Nous espérons travailler avec le gouvernement pour trouver des moyens constructifs de surmonter cela.

Il y a d’autres voies que le gouvernement souhaite parfois emprunter, notamment lorsqu’il s’agit, par exemple, de la création d’une législation comme celle qui a trait au Conseil national de réconciliation, mais celui-ci est, par sa nature même, extérieur au gouvernement. Il est créé en tant que société à but non lucratif. Son seul poids est qu’il peut présenter un rapport à un ministre une fois par année. Il n’a pas les outils nécessaires pour offrir un recours et une réparation en cas de violation des droits des peuples autochtones. Je préférerais donc que nous consacrions notre temps à ce genre d’initiatives.

En ce qui concerne la responsabilisation, je pense que cela rejoint également votre dernière question. Nous devons nous assurer de créer une législation et des mécanismes qui exigent que le gouvernement rende des comptes sur la mise en œuvre et la reconnaissance de nos droits. Souvent, nous essayons de terminer en disant que ce sont des droits de la personne. Les droits des peuples autochtones sont des droits de la personne, et ce n’est pas une autre chose que nous créons. C’est simplement une chose que nous mettons en œuvre et que nous avons tous convenu de faire en tant qu’États-nations et en tant que Canadiens.

Le président : Merci, monsieur Obed, de vos commentaires concernant les mécanismes de responsabilisation. C’est une question que notre comité espère examiner au cours des prochains mois.

[Français]

La sénatrice Audette : Comme vous le savez, j’ai fait partie d’une enquête nationale importante, et le défi était de bien présenter les réalités de cette grande diversité que nous représentons comme premiers peuples, de présenter les enjeux que votre peuple vit, comme les Premières Nations et le peuple métis.

Vous avez parlé des mécanismes de reddition de comptes. Il y a des projets de loi qui vont vers cela et qui nous mènent tous ensemble au même endroit. Dans le meilleur des mondes, monsieur Obed, est-ce que, les prochaines fois, on devrait plutôt présenter des conseils nationaux pour les Inuits, des conseils nationaux pour le peuple métis et pour les Premières Nations? Ou alors, doit-on garder cette formule pancanadienne?

[Traduction]

M. Obed : Merci de la question, sénatrice Audette.

Il arrive que certaines politiques s’appliquent de la même manière à tous les peuples autochtones du Canada. D’autres fois, il y a des spécificités au sein d’un secteur stratégique particulier ou d’un secteur d’intérêt particulier — qui peut être géographique — où les Premières Nations, les Inuits et les Métis ont des moyens très différents d’interagir avec le gouvernement ou d’aborder une question stratégique.

Prenons l’exemple de la Loi sur les langues autochtones. Nous avions espéré que le gouvernement du Canada inclurait dans cette loi fédérale des sections sur les Inuits, les Premières Nations et les Métis qui répondraient le mieux aux besoins de chaque population. Pour les Inuits, notre langue — l’inuktitut — est la langue majoritaire dans l’Inuit Nunangat. Dans une administration comme le Nunavut, c’est la langue majoritaire de l’administration, et pas seulement du sous-ensemble inuit de l’administration. Dans un endroit comme le Nunavik, au Québec, les taux de rétention linguistique et les taux de langue maternelle se situent dans le 90e percentile.

L’idée que le gouvernement fédéral n’a pas la responsabilité de fournir des services gouvernementaux à nos populations inuites en inuktitut, dans notre patrie, est tout simplement un écart fondamental par rapport à la façon dont le Canada traite l’anglais et le français lorsqu’il s’agit du statut de langue majoritaire. Le fait que nous ne puissions pas avoir dans cette législation un libellé propre aux Inuits qui reflète notre réalité par rapport à notre langue... nous avons constaté que c’était en grande partie parce que de nombreuses autres langues autochtones au pays sont menacées ou ne peuvent pas être utilisées comme mécanisme de prestation de services publics. En tant qu’Inuits, nous souffrons de cette autre réalité. Ce n’est qu’un exemple de la façon dont, à mon avis, une loi particulière pourrait traiter les Premières Nations, les Inuits et les Métis spécifiquement là où nous sommes et de la façon dont nous interagissons plutôt que de nous regrouper en bloc à certains égards et, en fin de compte, de ne pas pouvoir nous offrir le genre de considération que nous aurions autrement.

La sénatrice Boniface : Merci beaucoup de vous joindre à nous encore une fois. C’est bon de vous voir. Vous avez parlé du cadre de politique dont vous avez convenu dans le contexte de la « transformation ». Ce n’est pas un mot que l’on entend souvent dans le travail que vous faites avec le gouvernement fédéral. J’aimerais avoir un peu plus d’information sur la politique elle-même, sur la façon dont vous recensez les secteurs et sur la façon dont vous vous y prenez pour obtenir une reddition de comptes. Je pense au roulement au sein des ministères et au changement de personnel, qui est souvent une source de frustration pour différents groupes qui ont affaire à un gouvernement de la taille du gouvernement fédéral. Je me demande si vous pouvez nous en dire un peu plus et nous expliquer pourquoi vous pensez que cela constitue la pierre angulaire de certains des problèmes qui seront durables.

M. Obed : Merci de la question, sénatrice Boniface. Nous avons passé presque trois ans à élaborer cette politique de l’Inuit Nunangat, en grande partie parce que nous avons été marginalisés dans le cadre de la politique fédérale. Avant 2015, chaque fois que vous voyiez le mot « Autochtone » dans un budget fédéral, il était en grande partie synonyme des Premières Nations dans les réserves, lié aux obligations du gouvernement fédéral en vertu de la Loi sur les Indiens et n’était jamais destiné aux Métis ou aux Inuits. Si les Inuits voulaient collaborer avec les ministères fédéraux et essayaient de se prévaloir de certains de ces fonds, ils se faisaient dire que ce n’était pas vraiment destiné aux Inuits.

Après des décennies où il n’y avait pas nécessairement de spécificité inuite dans les ententes de financement que le gouvernement fédéral a conclues avec les peuples autochtones, le gouvernement fédéral imaginant que les gouvernements publics s’occupent des besoins d’Inuits, que le gouvernement fédéral se décharge de ses responsabilités autochtones sur Terre-Neuve-et-Labrador, le Québec ou les Territoires du Nord-Ouest, et que, au bout du compte, il serait responsable de la façon dont les fonds sont acheminés aux Inuits, nous avons voulu perturber de force cette situation. Cela a commencé par intégrer une spécificité inuite dans les budgets fédéraux, et 2016 a été le premier budget fédéral où il y avait une allocation propre aux Inuits pour les régions visées par les revendications territoriales. Maintenant, il y a des sections du budget fédéral pour les Inuits, les Premières Nations et les Métis qui prévoient des allocations spécifiques pour les Inuits qui sont versées aux organisations inuites signataires de traités plutôt qu’aux gouvernements. Cette mesure s’inscrivait dans le cadre de cette transformation.

Maintenant que la spécificité inuite fait partie des volets de financement fédéral, lorsqu’un ministère est chargé d’actualiser cette spécificité, il doit rédiger une présentation au Conseil du Trésor, la soumettre au Conseil du Trésor, et celui-ci doit l’examiner, puis revenir avec des conditions. Mais si tous ces bureaucrates fédéraux le long de cette chaîne n’ont qu’une relation informelle avec l’ITK et les Inuits sur la façon de procéder, alors peut-être qu’un petit groupe de pairs au sein de Services aux Autochtones Canada ou de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, ou de RCAANC... c’est vraiment propre à chaque situation. Cela nous prend tellement de temps, en tant qu’ITK, d’essayer d’être des courtiers positifs dans le cadre de ces relations, que le poids total de la spécificité inuite n’est pas réalisé.

C’est seulement dans le cadre des volets de financement fédéral, mais avec la politique actuelle qui comporte des considérations particulières pour les Inuits qui sont au Canada et la façon dont le gouvernement fédéral interagit avec les Inuits en ce qui concerne l’élaboration de lois, de politiques ou de programmes, cela raccourcit toutes les conversations informelles que nous avons eues. Elle fournit également une orientation plutôt que des spéculations. Souvent, les bureaucrates fédéraux soupesaient les risques de travailler avec nous plutôt que de dire que tout cela est un processus fermé. Au final, la façon dont ils appliquaient la spécificité inuite dans leur travail était subjective selon le ministère et le fonctionnaire fédéral.

Encore une fois, cette politique vise à changer complètement cette considération. Nous pouvons également utiliser la politique pour exiger du gouvernement qu’il agisse d’une certaine manière. Le plus important, c’est que ce n’est pas notre politique, c’est la politique du gouvernement du Canada.

La sénatrice Boniface : Oui. Merci beaucoup.

Le sénateur Tannas : Merci d’être ici. Dans votre déclaration liminaire, vous avez dit que vous représentez environ 70 000 personnes. Combien d’entre elles se trouvent dans le Nord et dans le Sud? Je m’intéresse particulièrement à celles qui ne sont pas dans le Nord. Quels types de services et de soutien sont offerts? Comment le travail envisagé que vous avez réalisé dans la politique à laquelle vous faites référence, mais aussi le travail qui est fait avec la mise en œuvre de la DNUDPA... comment ces personnes sont-elles prises en considération? Combien sont-elles et comment s’intègrent-elles dans cette équation?

M. Obed : Environ 65 % des Inuits vivent dans l’Inuit Nunangat. De plus en plus d’Inuits vivent à l’extérieur de notre territoire. En grande partie, ils sont regroupés dans des zones qui sont également des zones de prestation de services pour le Nord et le Sud. Nous n’avons pas d’université, nous n’avons pas de dispositions particulières en matière de soins de santé, nos systèmes de justice sont également diffus et leurs zones de desserte sont également différentes. St. John’s, Montréal, Ottawa, Winnipeg, Edmonton et Yellowknife sont des régions où il y a maintenant beaucoup d’Inuits, parfois plusieurs centaines, voire des milliers.

Souvent, les situations de vie — qu’il s’agisse d’un manque de logement, d’éducation ou d’autres choses — ont amené l’Inuit dans cette région, mais il y a aussi de simples choix de vie. Ce n’est donc pas toujours négatif. De nombreux Inuits choisissent de vivre dans le Sud, et seront tout à fait heureux et prospères. Ils sont toujours fiers de leur identité, parlent toujours l’inuktitut et ont également des communautés dans le Sud.

Nous les appelons maintenant des « Inuits urbains ». Peut-être que ce nom changera, mais c’est tout simplement le cas parce qu’il y a beaucoup d’Inuits qui vivent dans de très petites collectivités du Sud. Le bassin de population est toujours quelque chose que nous voulons nommer de la meilleure façon possible.

Fournir des services aux Inuits à l’extérieur de l’Inuit Nunangat est un plus grand défi. Nous avons des relations productives avec de nombreuses provinces. Nous avons également un réseau d’organisations inuites communautaires qui servent les populations inuites. Je pense ici à Ottawa à Tungasuvvingat Inuit et à Akausivik Inuit, qui est un fournisseur de soins de santé exclusivement inuit.

Dans de nombreux centres du Sud, des services propres aux Inuits sont offerts. Cependant, tout cela se fait de façon ponctuelle. En tant qu’Inuits, nous devons aussi veiller à ce que, peu importe où ils vivent, ils aient une voix au sein de notre gouvernement régional ou national, et à ce qu’ils aient le sentiment que leurs droits sont respectés et que leurs services sont offerts. L’un des grands défis que nous aurons à relever au cours de ce siècle, c’est la population urbaine émergente et la façon dont nous y pourvoyons.

Le sénateur Tannas : Si je peux me permettre, je pense que cela va devenir un plus grand défi. Nous courons le risque d’arriver à l’équité pour avoir une sous-iniquité avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis qui ne sont pas là où ils sont « censés être » et qui ne sont donc pas traités équitablement.

Où voyez-vous, le cas échéant, la possibilité de paiements directs aux citoyens en remplacement des structures gouvernementales situées loin et qui seront probablement aussi ineptes que les gouvernements canadiens l’ont été à fournir des services à distance?

M. Obed : Nous n’avons pas envisagé cela pour assurer l’équité. Nous avons travaillé avec les gouvernements pour des choses comme la solution de rechange propre aux Inuits au principe de Jordan. Nous avons des programmes et des services que nous élaborons ou sur lesquels nous travaillons conjointement avec le gouvernement et qui permettent aux Inuits d’être admissibles, peu importe où ils vivent. Je pense que le principe de Jordan et l’équivalent inuit du principe de Jordan sont un excellent exemple de la façon dont le gouvernement fédéral a essayé de rencontrer les Inuits là où ils sont, surtout les enfants inuits.

Pour nous, il s’agit aussi de comprendre comment fournir les meilleurs conseils et le meilleur soutien possible aux programmes et aux services du gouvernement fédéral auxquels les Inuits sont censés avoir accès, peu importe où ils vivent. Cela demeure encore un énorme travail en cours, et toutes les considérations sur la façon de fournir de meilleurs services et soutiens devraient certainement être encore sur la table en ce moment.

Le président : Monsieur Obed, à quels défis les Inuits sont-ils confrontés pour accéder aux institutions canadiennes des droits de la personne et les utiliser? Et comment la création d’un tribunal des droits de la personne autochtone réglerait-elle ces problèmes?

M. Obed : Je pense au bilan du Canada en matière de droits de la personne et à l’iniquité qui a été démontrée à maintes reprises lorsque les Premières Nations, les Inuits ou les Métis ont cherché à obtenir justice par rapport aux non-Autochtones, ainsi qu’aux mécanismes qui ont été créés pour veiller à ce que les systèmes de justice et les services de police fonctionnent équitablement. Ces domaines comportent un élément de racisme systémique, et ce sont des choses que nous nous efforçons de changer.

Nous avons un protocole d’entente et un plan de travail avec la GRC. Nous essayons de faire des choses avec elles pour relever ces défis du racisme systémique.

Dans le système judiciaire, nous travaillons au sein de nos administrations et à l’échelle nationale pour nous assurer que certains des principaux défis en matière d’accès à la justice ou liés à la façon dont les systèmes judiciaires fonctionnent et fournissent des services aux Inuits ne sont pas discriminatoires.

Dans le régime des droits de la personne, la façon dont les tribunaux ou d’autres entités travaillent en fonction de la spécificité et de la complexité des droits de la personne des Autochtones n’est pas souvent prise en considération dans la façon dont ces organismes fonctionnent, et ce n’est pas vraiment pour cela qu’ils ont été créés. Nous n’avons pas trouvé beaucoup de domaines où nous avons réussi à relever ces défis.

Je pense à des choses comme les droits linguistiques ou les droits des enfants. Nous n’avons pas été en mesure de trouver une façon précise de régler certains de nos problèmes systémiques.

Si vous regardez la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et les mécanismes qu’elle a utilisés pour obtenir justice pour les enfants des Premières Nations pris en charge, vous verrez que c’est devenu une bataille qui a duré 15 ans; je ne suis pas certain des chiffres, mais il semble que cela fasse plus d’une décennie.

Vous pouvez constater à quel point il peut être difficile d’utiliser les mécanismes existants pour faire respecter les droits des peuples autochtones dans ce pays et à quel point il est nécessaire de trouver une façon plus simple et une façon dont les gouvernements, les peuples et les administrations autochtones peuvent tous appuyer les décisions afin que celles-ci soient prises et que la mise en œuvre de ces décisions soit faite de façon ordonnée et ne prennent pas des décennies.

Le sénateur Patterson : C’est bon de revoir les témoins.

J’aimerais vous questionner sur le droit à l’autonomie gouvernementale tel qu’il est énoncé à l’article 3 de la DNUDPA en ce qui concerne les Inuits.

Vous avez communiqué ce que je comprends être une ébauche de plan d’action qui a été élaborée sur l’avancement de l’article 3. Vous recommandez de fournir des ressources législatives et budgétaires à la Société Makivik, à la Société régionale inuvialuite et à la Nunavut Tunngavik.

Je comprends la lutte avec la Société régionale inuvialuite, qui, politiquement, semblait ne pas vouloir faire partie du Nunavut. Elle s’est retrouvée seule dans les Territoires du Nord-Ouest, et elle cherche à obtenir l’autonomie gouvernementale depuis ce moment. Je sais aussi que, même si Makivik a certains pouvoirs par l’entremise de l’Administration régionale Kativik, ou ARK, en particulier dans les domaines de la santé et de l’éducation, elle a également travaillé fort pour faire progresser l’autonomie gouvernementale au Nunavik. Je comprends donc parfaitement cette recommandation. Cependant, votre plan d’action recommande aussi un cadre législatif et des arrangements budgétaires pour le Nunavut par l’entremise de Nunavut Tunngavik Inc.

À première vue, nous avons un gouvernement public dirigé par les Inuits au Nunavut, établi par l’article 4 de l’Accord du Nunavut et la Loi sur le Nunavut. Il reçoit de l’argent et dispose d’un cadre législatif.

Pourriez-vous expliquer ce que vous envisagez comme pouvoirs d’autonomie gouvernementale que vous verriez Nunavut Tunngavik Inc. et Nunavut Inuit obtenir et que le gouvernement du Nunavut n’a pas déjà en vertu de la Loi sur le Nunavut?

Si je peux me permettre une question connexe : vous n’avez pas inclus le Nunatsiavut — et je comprends que c’est une ébauche — dans l’ébauche de recommandation visant à établir un cadre législatif et budgétaire.

Le Nunatsiavut est-il considéré comme ayant déjà l’autonomie gouvernementale?

M. Obed : Merci de poser la question. Je suis très heureux de vous voir, sénateur Patterson.

Le sénateur Patterson : Merci.

M. Obed : Tout d’abord, je ne suis pas en mesure de parler de ce que les membres de Nunavut Tunngavik peuvent vouloir ou non par rapport à cet article particulier. Ce sont eux qui ont mis cela en avant de cette façon dans notre document. Je sais qu’il y a eu des discussions au sein du conseil d’administration de Nunavut Tunngavik et à l’assemblée générale annuelle, et qu’il y a eu des résolutions en ce qui concerne les questions d’autonomie gouvernementale au Nunavut, mais c’est à Nunavut Tunngavik de s’exprimer. Nous, à l’ITK, n’avons pas reçu de directives pour faire des commentaires à ce sujet.

Pour ce qui est de la Société Makivik et de la Société régionale inuvialuite, leurs aspirations en matière d’autonomie gouvernementale sont maintenant, une fois de plus, à l’étude depuis 10 à 15 ans. La Société Makivik a vu de nombreuses personnes différentes diriger les efforts d’autodétermination et d’autonomie gouvernementale. Je sais que Duane Smith, le président-directeur général de la Société régionale inuvialuite, a beaucoup parlé de la mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale en plusieurs tranches ou en plusieurs vagues. Il est certes formidable de voir la Société régionale inuvialuite adopter une loi sur la protection de l’enfance, ce qui est la première mesure législative qu’elle a adoptée.

Le gouvernement du Nunatsiavut a un cadre financier avec le gouvernement du Canada. Il ne figurait pas dans cet article précis parce qu’il dispose d’un cadre financier fonctionnel. Il s’agit aussi d’un gouvernement autonome complètement réalisé qui a certainement encore beaucoup à accomplir au chapitre de sa mise en œuvre, mais il est doté d’une constitution, d’une assemblée, d’un président, de dirigeants élus et constitue un autre ordre de gouvernement au sein de l’administration de Terre-Neuve-et-Labrador et il s’agit de quelque chose dont je suis très fier, étant originaire du Nunatsiavut. Mme Ford et moi-même sommes tous deux originaires de cette région.

Le gouvernement du Nunatsiavut a des sièges dans la circonscription canadienne. Au sein du gouvernement autonome du Nunatsiavut, peu importe où vivent les Inuits du Nunatsiavut, nous sommes représentés au sein de l’assemblée. La représentation est fondée sur la population, donc il y a maintenant deux membres de l’assemblée du Nunatsiavut qui représentent la circonscription canadienne à l’extérieur du Labrador.

L’autonomie gouvernementale a le don de relever les plus grands défis d’une population ou d’une circonscription, et j’espère qu’autant Makivik que la Société régionale inuvialuite pourront s’y retrouver dans le processus et recevoir un soutien adéquat à cet égard. Quant à Nunavut Tunngavik, je laisse à Aluki Kotierk et à ses collègues d’en discuter.

Le sénateur Patterson : Merci.

La sénatrice Hartling : Merci de votre présence. C’est toujours un plaisir de vous écouter et de prendre connaissance de certains des changements qui se produisent. Dans votre déclaration liminaire, vous avez parlé d’un certain nombre de choses que vous espérez changer en matière de réduction de la pauvreté, de langue et d’autres choses comme cela. Vous avez mentionné que vous espériez que le Sénat travaille avec vous, et en particulier notre comité. Quels sont vos attentes ou vos espoirs pour que nous puissions nous concentrer sur certains de ces domaines? Y a-t-il certains domaines sur lesquels vous espérez que nous travaillerons pour faire avancer les choses? Merci.

M. Obed : Il y a beaucoup de travail que nous faisons qui a trait aux soins prodigués aux enfants et à la santé et la sécurité de ceux qui sont le plus à risque dans nos communautés. J’en ai été témoin le mois dernier en ce qui concerne la prévention du suicide, et c’était très difficile. Cela nous ramène encore et toujours aux investissements en amont que nous pouvons faire afin de nous assurer que les personnes les plus à risque dans notre société reçoivent le soutien et les services appropriés qu’elles méritent.

Pour les Inuits, il s’agit souvent d’un accès à la santé, à l’éducation et à la langue. Cela concerne aussi la pauvreté, la sécurité alimentaire et le fait de veiller à ce que nos enfants aient suffisamment à manger et qu’ils soient en sécurité. Nous espérons que ces questions seront au cœur de notre travail, parce qu’au bout du compte, beaucoup de ces chemins mènent à ces considérations essentielles. Une bonne partie des dysfonctionnements qui peuvent survenir dans la vie d’une personne ou d’une société ne se produisent pas au moment où une personne ou plusieurs sont rendus à l’âge adulte, ayant réalisé leur plein potentiel, mais bien lorsqu’ils sont dans ces années formatrices et que les choses deviennent de grands défis que les gens ont du mal à surmonter plus tard dans la vie. Si nous pouvons court-circuiter ce processus et faire en sorte que les gens grandissent avec une éducation de classe mondiale, avec la sécurité, le soutien et l’amour dans leur vie et la capacité de réfléchir à la manière dont ils peuvent ensuite s’engager dans le monde et apporter des changements positifs à la communauté et au Canada, j’espère que nous pourrons nous concentrer sur ces choses. Le travail que vous faites ici au Sénat peut certainement nous aider à atteindre ces objectifs.

La sénatrice Hartling : Encore une fois, je vous remercie de votre présence ici.

La sénatrice Audette : Nous voyons les gouvernements défiler. Chaque élection, nous pouvons changer, lorsque nous avons un nouveau gouvernement. Mais dans notre paire de mukluks — et pour moi dans mes mocassins — nous savons que nous avons besoin de plus de 5 ou 10 ans de cette politique avec les Inuits et nos gens. Quelle serait la meilleure approche afin que le gouvernement, peu importe qui est au pouvoir, honore ce que vous avez fait? Avez-vous des réflexions à ce propos?

M. Obed : Oui. C’est intéressant. J’y réfléchis beaucoup. Une grande partie du temps que je consacre à l’éducation consiste à mettre en œuvre la Stratégie nationale sur l’éducation des Inuits. Cette stratégie a été lancée en 2011, et Mary Simon était la présidente de l’ITK à ce moment-là.

Je suis toujours fier de la mettre en œuvre. Nous avons changé certaines des priorités et nous avons rajusté certaines des choses que nous ferons, mais il y a une continuité au sein de notre gouvernance de sorte que je n’ai pas à le faire moi-même. Voilà ce que je trouve parfois le plus frustrant quand je travaille avec des gouvernements successifs. Cela devient tout à coup quelque chose qu’il est presque impossible de mentionner. Les cinq années de travail que nous venons d’accomplir, nous ne pouvons plus en parler, et nous devons imaginer autre chose, même si, au final, nous parvenons au même résultat. Nous perdons des années en raison de ce système.

La manière dont nous avons envisagé d’éviter une partie de cette situation consiste à assujettir certains des travaux que nous menons à une loi ou à un genre de traité. Si nous pouvons faire en sorte que quelque chose comme le Comité des partenariats entre les Inuits et la Couronne devienne une norme lorsque le gouvernement fédéral doit travailler avec les peuples autochtones, ou avec les Inuits dans notre cas, ce serait une victoire formidable. Cependant, si le gouvernement changeait, selon le scénario actuel, je ne peux imaginer qu’un nouveau gouvernement adopterait cette idée. C’est vraiment dommage, puisque c’est devenu non pas une affaire partisane, mais bien un mécanisme central permettant de travailler ensemble et d’être sur la voie de la réconciliation. D’un point de vue pratique, c’est plein de bon sens pour le Canada et pour les Inuits.

Voilà des choses pour lesquelles nous pouvons fournir un certain soutien sans avoir à le faire en douce. Pour certaines de ces choses, je déteste avoir le sentiment que nous tentons de déjouer le système afin de faire du bon travail. D’une manière ou d’une autre, nous devons trouver le moyen d’accepter et de soutenir le bon travail lorsqu’il est réalisé et de ne pas tout envisager dans une optique partisane. Je suis conscient qu’il s’agit là d’une déclaration un peu naïve. Je travaille ici depuis sept ans que j’occupe mon poste, mais j’ai toujours espoir. J’ai toujours l’espoir que nous pourrons simplement accomplir des choses qui fonctionnent bien et en être heureux.

Le président : Je vous remercie, monsieur Obed.

Le temps accordé à ce groupe de témoins est maintenant écoulé, et je souhaite remercier M. Obed du temps qu’il a passé ici, ainsi que Mme Ford de sa présence parmi nous ce matin.

Je rappelle à tous que nous continuons à entendre des témoins en vue d’étayer et de guider les futurs travaux de notre comité.

Pour notre deuxième groupe de témoins, je souhaite la bienvenue au directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, du Bureau du directeur parlementaire du budget.

Monsieur Giroux, wela’lin, merci de vous être joint à nous ce matin. Vous disposez d’environ cinq minutes pour faire votre déclaration liminaire, ensuite il y aura une période de questions et de réponses d’environ cinq minutes par sénateur. En raison des contraintes de temps, je vous prie de garder vos échanges brefs et précis. Afin d’éviter d’interrompre quelqu’un ou de lui couper la parole, je lèverai ce carton quand il vous restera une minute du temps qui vous est alloué de manière à ce que tout le monde le sache.

J’invite maintenant M. Giroux à faire sa déclaration liminaire.

Yves Giroux, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Honorables sénatrices et sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant vous aujourd’hui. Je suis ravi d’être ici pour discuter de la récente analyse de mon bureau concernant les questions autochtones.

Conformément au mandat législatif du directeur parlementaire du budget, qui est de fournir des analyses impartiales et indépendantes en vue d’aider les parlementaires à remplir leur rôle constitutionnel, qui consiste à tenir le gouvernement responsable, mon bureau prépare des rapports et des analyses sur la situation financière et économique du pays, ainsi que des analyses des budgets, des estimations et des énoncés économiques en plus de préparer des estimations de coûts indépendantes concernant des propositions soumises au Parlement. De plus, à la demande d’un comité du Sénat, de la Chambre des communes ou d’un comité conjoint des deux Chambres qui a pour mandat d’examiner les estimations budgétaires du gouvernement, mon bureau effectue des recherches et des analyses de ces estimations.

[Français]

Conformément au mandat législatif du directeur parlementaire du budget, mon bureau a étudié le logement et la santé des Autochtones et a notamment analysé les estimations des dépenses du gouvernement pour les Autochtones. Pour notre discussion de ce matin, j’ai préparé une brève présentation qui donne un aperçu de l’analyse récente de mon bureau concernant les questions autochtones.

Je peux faire ma présentation durant quelques minutes et répondre à vos questions par la suite. Je crois que vous l’avez reçue un peu plus tôt hier ou aujourd’hui.

Le point principal dont je vais parler dans la présentation traite surtout de l’analyse des dépenses du gouvernement en faveur des questions autochtones. C’est la deuxième diapositive, donc celle qui vient immédiatement après la page couverture.

[Traduction]

Cette diapositive traite du financement alloué par le gouvernement à Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada ainsi qu’à Services aux Autochtones Canada. La diapositive montre qu’il y a eu une augmentation constante des dépenses allouées aux deux ministères. En revanche, ce qui ne figure pas sur cette diapositive, mais qui fait l’objet d’un rapport, c’est le fait que les deux ministères ont eu de la difficulté, c’est le moins que l’on puisse dire, à respecter les indicateurs de rendement qu’ils ont eux-mêmes établis. Malgré l’importante augmentation du financement, les deux ministères ont en général de la difficulté à atteindre les indicateurs de rendement qu’ils ont eux-mêmes établis, doivent les modifier et souvent reporter la date à laquelle ils doivent les atteindre.

Je vais m’arrêter là puisque je suis persuadé que vous avez quelques questions pour moi.

Le président : Wela’lin, je vous remercie, monsieur Giroux.

Avant de passer aux questions, je tiens à rappeler à toutes les personnes présentes dans la salle qu’elles doivent s’abstenir de se pencher trop près du microphone ou qu’elles doivent retirer leur oreillette si elles le font.

Le sénateur Arnot : Merci, monsieur Giroux. J’apprécie ce que fait le Bureau du directeur parlementaire du budget pour suivre la situation et, en fait, demander des comptes à l’organe exécutif du gouvernement. Comme vous l’avez fait remarquer, nous sommes témoins d’un ensemble d’échecs, car les ministères n’atteignent pas leurs propres objectifs.

Je me demande quelles sont vos propositions que nous pourrions examiner ou faire des recommandations pour que ces deux ministères essentiels parviennent à atteindre leurs objectifs de manière beaucoup plus efficace. De quelle manière pourrait-on tenir l’organe exécutif du gouvernement responsable?

J’ai l’impression que ces excellents rapports qui sont créés — très indépendants et très impartiaux — sont sans doute pris en considération, mais que l’on ne leur accorde pas suffisamment de poids en vue d’atteindre réellement l’objectif, qui est de trouver une solution au problème. Je me demande simplement si vous avez des commentaires à faire quant à la manière dont votre travail est guidé par certaines choses que vous réalisez, ce qui pourrait nous permettre de formuler quelques recommandations pour que ces deux ministères essentiels puissent véritablement atteindre leurs objectifs.

M. Giroux : Je vous remercie, sénateur. Il s’agit d’une question intéressante, car j’ai moi-même été de l’autre côté; j’étais l’un des fonctionnaires qui ont tenté d’établir ces indicateurs de rendement collectivement avec la table de gestion du ministère. Habituellement, la façon dont les ministères s’y prennent est de pousser et de tirer. Certains promoteurs au sein d’un ministère voudront vraiment être ambitieux et produire les meilleurs résultats pour les Canadiens, alors que d’autres tenteront de suivre le chemin le plus facile — en établissant des indicateurs qu’ils savent qu’ils pourront atteindre même en cas d’événements imprévus, s’ils perdent du personnel essentiel ou simplement en s’assurant de ne pas avoir à travailler excessivement dur pour les atteindre. Il s’agit de la nature humaine, je présume.

Une solution pour remédier à cette caractéristique humaine est que les comités, comme le vôtre, demandent à des individus clés au sein de ces ministères de témoigner et d’expliquer comment ils établissent ces indicateurs de rendement, d’expliquer les raisons pour lesquelles ils changent — les incitent non seulement à préciser quoi et pourquoi, mais aussi d’expliquer clairement, dans un langage simple, pourquoi ces indicateurs changent.

Maintenant, ces indicateurs ne sont pas établis de manière isolée. Ils sont souvent établis avec l’agrément et l’approbation du ministre, et bien souvent du Conseil du Trésor lui-même. Non seulement les fonctionnaires des ministères jouent un rôle essentiel dans l’établissement de ces indicateurs de rendement, mais il existe des organismes centraux, comme le Secrétariat du Conseil du Trésor, qui sont chargés de superviser l’établissement et les modifications de ces indicateurs de rendement et la façon dont ils sont atteints. Une autre solution serait de demander à ces organismes centraux d’expliquer pourquoi ils laissent si souvent les ministères s’en tirer lorsque ces indicateurs de rendement sont modifiés, changés ou même pas du tout respectés.

Il existe au sein de la bureaucratie une grande quantité de connaissances qui pourraient servir. En toute justice, il faudrait leur demander de s’expliquer quand ils n’atteignent pas ces indicateurs et leur fournir des solutions pour améliorer les résultats.

[Français]

La sénatrice Audette : Merci beaucoup, monsieur Giroux, de la présentation visuelle que vous avez faite avec la diapositive que vous avez partagée avec nous.

Je viens d’un monde où le côté visuel et la réponse sociale sont importants. Si je regardais votre présentation d’une autre façon, je pourrais me dire qu’on a encore donné beaucoup d’argent aux « Indiens »; c’est un jargon que je n’accepte pas.

Il y a des déficits humains, des déficits d’infrastructures et des problèmes sociaux alarmants dans les communautés et les territoires où se trouvent les peuples autochtones. Il s’agit d’enjeux qui touchent les Autochtones, dans mon jargon, et non d’enjeux autochtones.

Dans le cadre de votre mandat, êtes-vous en mesure de montrer les déficits? En effet, on pense qu’on donne beaucoup d’argent aux Autochtones, mais, au contraire, on essaie de réparer quelque chose qu’on a abandonné pendant trop longtemps.

M. Giroux : C’est une question intéressante sur plusieurs plans.

Puisque je suis économiste de formation et que j’ai le mandat de quantifier les choses, je dirais que les déficits humains sont, en général, plus difficiles à évaluer et à quantifier de façon tangible. Par contre, on peut quantifier certaines lacunes. C’est qu’on a fait avec les questions qui concernent l’eau potable et les investissements qui sont requis. Il n’est pas question d’estimer directement un déficit humain, mais on est en mesure d’estimer combien de communautés ont besoin de systèmes de traitement d’eau potable ainsi que les investissements qui sont requis pour atteindre les objectifs, afin que plus personne n’ait à souffrir d’un manque d’eau potable. Selon nos estimations, les investissements en immobilisation seraient suffisants au cours des prochaines années, mais les investissements en dépenses d’exploitation sont déficitaires. Il n’y a pas assez d’argent pour faire fonctionner les systèmes d’eau potable.

On a aussi essayé d’estimer les écarts ou les manques à gagner en matière de logement abordable. C’est difficile d’évaluer ce qu’est un logement approprié, mais on est capable d’estimer la proportion du revenu que certains ménages doivent allouer à un logement. Des définitions existent en matière de logement abordable, et on arrive à un écart assez important d’environ 600 millions de dollars par année en investissements en matière de logement abordable pour les personnes autochtones.

Ce sont deux exemples où on a été en mesure de quantifier les questions sociales et les déficits humains qui sont toujours existants ou pour lesquels il y a encore des écarts importants. Évidemment, cela n’aborde pas la question de la misère que tout cela engendre, qui est difficile à quantifier. Toutefois, cela met un prix ou un montant sur les initiatives qui pourraient être menées pour résoudre ces problèmes, y compris les indicateurs de performance, qui sont en eux-mêmes des indicateurs de bien-être dans une bonne mesure.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Je vous remercie, monsieur Giroux, vous et votre bureau, de l’incroyable travail que vous faites, comme nous l’avons souvent dit, notamment de votre travail devant le comité. La quantité du travail accompli est tout simplement remarquable, tout comme la qualité, et je vous en remercie.

J’aimerais vous questionner au sujet des liens entre votre bureau et celui de la vérificatrice générale. Vous savez sans doute que, ce matin, la vérificatrice générale a publié un nouveau rapport qui décrit le retard de Services aux Autochtones Canada concernant ses engagements, les déficits en matière de reddition de comptes et l’obligation de s’assurer que le ministère agit de manière responsable, l’arriéré de quelque 112 projets d’infrastructure, l’incapacité d’agir de façon proactive et, par conséquent, les coûts incroyables des urgences après coup, tant sur le plan humain que sur le plan financier, ainsi que l’incapacité de régler adéquatement le problème chronique des sans-abri en général. Mais j’aimerais que vous parliez également des liens avec Services aux Autochtones Canada.

Si vous avez des propositions quant à ce que le comité pourrait faire pour essayer d’aider à faciliter ce processus, cela nous serait extrêmement utile en ce qui concerne la façon dont nous pourrions contribuer au volet de la reddition de comptes et, bien entendu, plus précisément, comme cela a déjà été mentionné, en abordant réellement les problèmes dès le départ.

M. Giroux : Merci, sénatrice. On me pose souvent la question : quel est le rôle du directeur parlementaire du budget par rapport à celui de la vérificatrice générale? Pour résumer rapidement, je dirais qu’en général, la vérificatrice générale se présente dans un ministère, examine les dépenses ministérielles et vérifie ce qui s’est passé et ce qui s’est mal passé, le cas échéant. Ce bureau intervient après coup, alors que le directeur parlementaire du budget a de manière générale pour mandat de présenter une perspective d’avenir. Je dis « de manière générale » parce que, bien entendu, il y a des exceptions, qui dépendent de ce que les comités nous demandent de faire.

En général, nous informerons les parlementaires du coût ou des revenus attendus d’une proposition présentée au Parlement ou qui intéresse les parlementaires.

Nous avons donc des mandats qui sont complémentaires. Cependant, nous nous consultons, et nos deux institutions partagent des informations quand cela est pertinent et utile afin d’éviter de chercher les mêmes informations. Les dépenses en matière d’infrastructure, comme le grand plan d’infrastructure, en sont un exemple. Nous devions recueillir beaucoup d’informations pour répondre aux questions des parlementaires. Nous avons aidé le Bureau du vérificateur général à effectuer son propre travail dans ce domaine.

Nous collaborons dans la mesure du possible. Bien sûr, nous n’avons pas le même niveau de ressources. La vérificatrice générale a des centaines d’employés alors que mon bureau compte 39 ou 40 employés au total — nous n’avons pas la même portée, la même taille ou les mêmes ressources.

Vous avez en outre demandé comment améliorer et évaluer les nombreuses lacunes qui ont été cernées par la vérificatrice générale et notre bureau. Le fait que le comité nous demande de témoigner et de parler franchement est une bonne manière de le faire. Bien entendu, le comité est bien placé pour nous poser des questions.

Néanmoins, certaines personnes sont conscientes que ces comités sont publics et donc que tout ce qu’elles disent sera entendu. En général, je ne considère pas cela comme un facteur pouvant m’empêcher de parler franchement, mais il pourrait y avoir des fonctionnaires ou d’autres personnes qui préfèrent parler à huis clos. Il vous revient de décider si les réunions sont à huis clos ou publiques.

Comme je l’ai dit en répondant au sénateur Arnot, le fait d’avoir des personnes — que ce soit la vérificatrice générale, ses fonctionnaires ou les fonctionnaires du ministère — qui puissent expliquer clairement et dans un langage simple ce qu’elles font, pourquoi elles n’atteignent pas leurs propres objectifs et quelles sont les solutions est une excellente idée pour le comité. Les ministres sont en fin de compte responsables, mais ce sont souvent les fonctionnaires qui savent le mieux ce qui s’est passé. Le fait de demander aux fonctionnaires des organismes centraux, à la vérificatrice générale, aux ministres et à moi-même de témoigner et d’expliquer est généralement une très bonne méthode. D’après mon expérience dans la fonction publique, s’il y a bien une chose que les fonctionnaires détestent, c’est de devoir expliquer leurs propres échecs devant les parlementaires. Il s’agit d’un bon moyen de maintenir la pression sur eux.

Le sénateur Patterson : Merci d’être présent aujourd’hui. J’aimerais poursuivre avec la question du sénateur Arnot, mais avant j’aimerais vous demander ceci : vos graphiques sont très appréciés par ceux qui sont capables de les lire facilement. Je ne suis pas de ceux-là. Pouvez-vous nous donner un peu plus de détails sur ce que je crois que vous avez décrit comme une augmentation non planifiée des dépenses, qui a été importante au cours de la période à l’étude, de 2018-2019 jusqu’à 2020-2021? À quel point ces augmentations des dépenses étaient-elles importantes en pourcentage? Est-il facile de faire une généralisation à ce sujet?

M. Giroux : Il faudrait probablement que je vous revienne avec le chiffre précis puisque l’une des choses que j’ai retenues de mon expérience et de mon personnel, c’est qu’il est dangereux de penser que l’on est bon pour faire des maths et établir des pourcentages au pied levé, puis cela reste dans le dossier et quelqu’un doit faire marche arrière.

Je peux dire une chose : les dépenses non planifiées font généralement référence à des propositions faites dans les budgets ou, par exemple, les mises à jour de l’automne. Il peut aussi s’agir de dépenses urgentes, mais en général il s’agit de nouvelles propositions de politiques qui sont présentées après la préparation et la soumission du Budget principal des dépenses.

Le sénateur Patterson : Votre rapport laisse entendre qu’il y a eu des augmentations des dépenses importantes, mais que cela n’a pas amené une amélioration proportionnelle permettant d’atteindre les objectifs. Vous avez dit que les comités devraient questionner les fonctionnaires qui n’ont pas atteint les indicateurs de résultats de leur ministère.

Il s’agit d’une occasion limitée. Je me demande si vous pouvez recommander d’autres manières d’assurer la reddition de comptes. Par exemple, dans le secteur privé, et je crois dans plusieurs autres organisations, les objectifs sont établis pour les gestionnaires, et leur rémunération est établie en fonction de leur succès à atteindre ces objectifs.

Serait-il possible d’intégrer la reddition de comptes dans les évaluations de rendement des gestionnaires afin de veiller à ce que la reddition de comptes suppose bien plus que le seul fait de comparaître occasionnellement devant un comité parlementaire?

M. Giroux : Certainement, et je suis sur le point de me faire beaucoup d’amis au sein de la fonction publique en disant cela, mais cela devrait déjà être dans la gestion du rendement des cadres, à tout le moins. Pour ceux d’entre vous qui connaissent bien la rémunération des cadres supérieurs et la rémunération dans la fonction publique, il y a un montant de cette rémunération qui est à risque. Il varie entre zéro et, je crois, 25 %. Il est généralement lié aux compétences essentielles en matière de direction, à la réalisation d’objectifs précis ainsi qu’à la gestion des personnes.

On s’attendrait à ce qu’un ministère qui n’atteint pas ses propres indicateurs cibles connaisse une diminution ou une proportion inférieure à la moyenne de la rémunération à risque de ses cadres. Je ne crois pas que c’est le cas. Il existe déjà un mécanisme visant à garantir que les indicateurs de rendement sont atteints, mais je ne suis pas sûr qu’il soit appliqué sérieusement. Cela devrait déjà être le cas. En revanche, pour les cadres et les sous-ministres, je ne suis pas certain que leur salaire et le volet à risque de leur salaire dans la rémunération totale soient clairement liés à l’atteinte de ces objectifs. Je pense que, bien souvent, le degré de satisfaction du ministre concernant le rendement de son sous-ministre a beaucoup plus d’incidence sur sa rémunération que le fait que ce dernier ait atteint ses propres indicateurs de rendement.

En déclarant cela, je m’assure de ne plus jamais travailler au sein de la fonction publique, mais je suis d’avis qu’il est probablement dans l’intérêt général d’être franc et honnête. C’est mon opinion. Bien entendu, si vous demandez à d’autres de comparaître, ils vont peut-être dire, « Non, c’est clairement lié aux indicateurs de rendement ». Mais je ne crois pas qu’il existe une corrélation forte et directe entre l’atteinte des objectifs et la rémunération à risque.

Le sénateur Patterson : J’apprécie votre franchise, monsieur.

Le sénateur Arnot : Je vous remercie, monsieur Giroux. Selon moi, l’affaire de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations montre l’échec lamentable du modèle de procès. Il y a eu 15 années de procès, et l’affaire n’a toujours pas été réglée.

À la page 4 de votre présentation de ce matin, vous avez estimé ce qu’il en coûterait de se conformer aux deux ordonnances du Tribunal canadien des droits de la personne concernant l’indemnisation des enfants des Premières Nations et de leur famille qui ont été touchés par le système de protection de l’enfance et l’indemnisation pour le retard et le refus de services aux enfants des Premières Nations.

J’aimerais que vous décriviez les estimations concernant l’indemnisation des enfants autochtones et de leur famille touchés par le système de protection de l’enfance. J’aimerais que vous expliquiez, si vous le pouvez, pourquoi les estimations de coûts préliminaires de Services aux Autochtones Canada sont différentes des calculs faits par votre bureau.

M. Giroux : Bien sûr. C’est le rapport que nous avons publié il y a un petit moment — il y a plus de deux ans. Il y en a eu un en février 2021 et un autre en avril 2020. Il y a deux principales sources de différence entre ce que nous avons estimé être le coût et ce que le gouvernement a présenté comme estimations.

Cela tient en partie au fait que nous n’avons pas inclus les coûts potentiels découlant d’un recours collectif relatif à la poursuite Trout. Si vous me demandez davantage de détails, mes connaissances concernant cette poursuite se limitent probablement à cela. L’autre source de la différence, et sans doute la principale, est que nous avions supposé que la période d’indemnisation se situait entre 2007 et 2017, ce qui d’après notre analyse, était cohérent avec la décision du Tribunal canadien des droits de la personne. Cependant, le gouvernement a décidé de remonter jusqu’en avril 1991. Il a prolongé la période d’admissibilité. Si je comprends bien, c’est la principale source de différence entre notre estimation et celle du gouvernement concernant l’indemnisation.

Le sénateur Arnot : Merci.

[Français]

La sénatrice Audette : Monsieur Giroux, comme Innue, cela suscite en moi de la frustration, parce que cela touche l’histoire de milliers de gens que l’on connaît et que l’on côtoie, dont ma famille.

On s’en souvient très bien; en 1996, la Commission royale sur les peuples autochtones a déterminé qu’il fallait remplacer un des plus gros ministères au Canada, le ministère des Affaires indiennes, et qu’il fallait que ce mandat soit transféré aux nations, aux peuples autochtones. Plus le temps passe, plus je vois que cela augmente au lieu de diminuer.

Si cela fait partie de votre mandat, seriez-vous en mesure, dans les jours qui viennent, de nous transmettre cette information et de nous dire quelles sommes il reste, parmi tous ces montants, dans les ministères et organismes qui sont censés répondre aux enjeux qui nous touchent et nous affectent? Pourriez-vous aussi nous dire quelles sont les sommes qui ont été transférées aux communautés?

M. Giroux : Malheureusement, c’est une question à laquelle je n’ai pas de réponse immédiate. C’est certainement quelque chose que nous pourrions considérer. De plus, comme il s’agit de renseignements qui doivent être de nature publique, ce doit être un élément que l’on peut au moins examiner, afin de vous transmettre une réponse par l’intermédiaire de la greffière du comité. J’imagine qu’il nous faudra quelques semaines, le temps de creuser et de trouver ces renseignements.

Nous devrions être en mesure d’en arriver à une bonne estimation, parce que, comme je l’ai dit, ce sont des choses qui doivent être relativement faciles à trouver.

La sénatrice Audette : Je vous remercie.

[Traduction]

La sénatrice Hartling : Je vous remercie, monsieur Giroux, de votre présence et de tout votre bon travail avec votre petit effectif. Wow, vous avez présenté beaucoup de choses.

Je vais revenir au problème de l’eau. Beaucoup de Canadiens avec lesquels je parle dans ma communauté et ailleurs ne comprennent toujours pas pourquoi les Autochtones et les Inuits n’ont pas d’eau potable. Nous avons entendu des témoins, je crois que c’était le printemps dernier, dire que leurs enfants ne peuvent pas prendre de bain, se baigner ou encore boire de l’eau. Nous parlons ici du Canada.

Vous avez mentionné que c’est en partie parce que la formule n’est pas bonne. Comment allons-nous faire pour que cette formule soit bonne et comment doit-elle être? Parce que c’est urgent. Il s’agit de quelque chose qui ne peut pas attendre. Pouvez-vous nous parler davantage du problème lié à l’eau et de la manière dont il peut être réglé? Qu’avons-nous besoin de faire pour que cela se réalise?

M. Giroux : Selon moi, ce n’est pas sorcier dans un pays comme le Canada d’avoir de l’eau potable dans chaque communauté parce que, si l’on regarde autour de nous, on constate qu’il y a beaucoup d’eau, et il en va de même partout au Canada. Ce n’est pas un désert, à l’exception de quelques régions.

Le gouvernement semble avoir alloué suffisamment de fonds pour construire les usines et les systèmes de traitement de l’eau et des eaux usées, mais pas assez pour l’exploitation et l’entretien de ces systèmes. À mes yeux, cela semble être un pur échec ou une erreur au chapitre de la planification. L’exploitation d’une usine ou d’un système de traitement de l’eau et des eaux usées n’a rien de sorcier. Il y en a dans tout le pays et sur tout le continent. À mon avis, il s’agit simplement d’un échec de la part de ceux qui planifient et répartissent ces budgets entre les immobilisations, l’exploitation et l’entretien. Le fait de transférer une partie des fonds des immobilisations à l’exploitation et à l’entretien devrait régler le problème.

Je n’ai rien à voir avec le fonctionnement de ces ministères, mais si mon petit bureau peut voir qu’il existe un écart, je m’attendrais à ce que Services aux Autochtones Canada le voit plus rapidement et soit en mesure de le régler très vite.

La sénatrice Hartling : Il existe donc une réponse à la question : il s’agit simplement d’une question de volonté politique et de changement.

M. Giroux : Pour ma part, je pense que la volonté politique est présente, mais la bureaucratie ne semble pas comprendre le message.

Encore une fois, je suis en train de me faire beaucoup d’amis au sein de la fonction publique. À la fin de mon mandat, je viendrai peut-être travailler pour l’un, pour l’ensemble ou pour plusieurs d’entre vous.

La sénatrice Hartling : J’apprécie votre honnêteté. Merci beaucoup.

Le sénateur Patterson : Dans votre période d’étude, deux ministères ont été créés à partir d’un seul. Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada et Services aux Autochtones Canada ont été créés à partir du ministère des Affaires indiennes du Nord canadien, ou quel que soit le nom qu’il portait à l’époque. Il y en a beaucoup. Avez-vous tiré des conclusions concernant les conséquences de cette restructuration majeure du ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada?

M. Giroux : Nous ne sommes pas parvenus à une conclusion générale, à l’exception du fait que cela nous a mis des bâtons dans les roues au chapitre des indicateurs de rendement et du transfert des responsabilités de Santé Canada, par exemple, à Services aux Autochtones Canada pour le volet santé des Premières Nations et des Inuits. Il s’agit d’un exemple. Cela a permis aux ministères de changer les indicateurs de rendement, ce qui a mené à une période de transition où les indicateurs de rendement que l’on voulait adopter n’étaient pas très clairs.

Même après la transition, il n’y a pas eu d’amélioration importante dans la réalisation des objectifs qu’ils s’étaient fixés. Les ministères eux-mêmes ou les ministres pourraient sans doute expliquer à quel point il a été difficile de transférer certains employés d’une organisation à l’autre, mais je n’ai pas regardé cela. Je n’ai pas tiré de grandes conclusions quant à savoir si cela a entraîné des difficultés particulières.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie.

Le président : Honorables sénatrices et sénateurs, le temps alloué pour ce groupe de témoins est maintenant écoulé. J’aimerais à nouveau remercier M. Giroux de sa présence aujourd’hui. Le comité poursuivra à huis clos l’examen de l’ébauche d’un rapport.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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