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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 23 novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 46 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je tiens d’abord à souligner que nous sommes réunis sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.

Je suis le sénateur Brian Francis, micmac d’Epekwitk, région mieux connue sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je préside le comité des peuples autochtones. Avant de commencer notre réunion, j’aimerais demander à toutes les personnes présentes de ne pas se pencher trop près du microphone et de ne pas retirer leur oreillette lorsqu’ils s’en approchent. Cela permettra d’éviter au personnel de la commission présent dans la salle d’être exposé aux désagréments d’un effet Larsen.

J’aimerais maintenant demander aux membres du comité présents de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou leur territoire.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, territoire du Traité no 6, Alberta.

La sénatrice Pate : Kim Pate, je vis ici, sur les rives de Kitchissippi, le territoire non cédé des Algonquins anishinabes.

La sénatrice Martin : Yonah Martin, Colombie-Britannique.

La sénatrice Busson : Bev Busson, Colombie-Britannique.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, Alberta.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Antigonish, Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Audette : Michèle Audette, Québec.

Le président : Merci, honorables sénateurs. Nous allons commencer ce soir par reprendre notre étude sur la mise en œuvre par le gouvernement fédéral de la Loi sur le cannabis en relation avec les peuples autochtones du Canada. Nous croyons qu’il s’agira de la dernière réunion sur ce sujet.

Aujourd’hui, nous entendrons les témoins du premier groupe, soit Drew Lafond, président de l’Association du Barreau autochtone, et Jukeepa Hainnu, vice-présidente du conseil d’administration de la Ilisaqsivik Society. M. Lafond et Mme Hainnu présenteront chacun leur tour un exposé de cinq minutes, qui sera suivi d’une période de questions et réponses d’environ cinq minutes par sénateur. Ce soir, en raison des contraintes de temps, nous vous prions d’être brefs et concis dans vos échanges. Pour éviter d’interrompre ou de couper la parole, je vous ferai signe lorsqu’il restera une minute au temps alloué.

Me Drew Lafond, président, Association du Barreau autochtone : Merci, honorables sénateurs. Avant la légalisation du cannabis au Canada, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a publié un rapport daté de mai 2018. Ce rapport présentait par écrit des témoignages et des mémoires sur les enjeux pour la communauté autochtone que soulevait la Loi sur le cannabis, qui est maintenant en vigueur. Ce rapport abordait, principalement, la question de la compétence autochtone en matière de réglementation du cannabis. Aux fins de la discussion d’aujourd’hui, je vous renvoie à la partie du rapport qui se lit comme suit :

Le Comité croit fermement qu’en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, les peuples autochtones disposent d’un droit inhérent à l’autodétermination, ce qui s’entend du pouvoir législatif permettant de prendre des décisions qui influent sur la vie de leurs membres et de leurs communautés, y compris la réglementation du cannabis.

Au nom de l’Association du Barreau autochtone, je souhaite exprimer mon soutien inconditionnel à l’évaluation qui a été faite par le comité sur la question du droit inhérent et de la compétence des peuples autochtones en matière de réglementation du cannabis; j’abonde dans le sens du rapport que je viens tout juste de citer. Je souhaite également exhorter le comité à poursuivre ses travaux pour faire en sorte que le droit inhérent et les compétences des peuples autochtones en matière de réglementation du cannabis soient reconnus, mis en œuvre et respectés.

On comprend mieux l’urgence de modifier la relation entre le gouvernement et les peuples autochtones quand on prend la mesure des dommages causés par l’inaction du gouvernement fédéral dans ce dossier. D’abord, en adoptant la Loi sur le cannabis, le gouvernement fédéral a choisi de faire fi du droit inhérent des peuples autochtones et de leur compétence en matière de réglementation du cannabis, ce qui a généré beaucoup d’incertitude.

Certaines communautés des Premières Nations se sont appuyées sur l’article 35 pour adopter leurs propres lois, pour réglementer le cannabis dans les réserves. Ce faisant, elles exercent leur droit et agissent en fonction de leur compétence en matière de réglementation du cannabis.

Toutefois, pour différentes raisons, d’autres groupes autochtones ont préféré ne pas utiliser leur droit inhérent pour réglementer le cannabis. La situation est déplorable lorsque certains groupes autochtones refusent d’exercer ce droit en matière de réglementation du cannabis — même s’il est acquis qu’ils disposent de cette compétence — parce que les risques associés sont trop élevés.

La décision du gouvernement fédéral de faire fi de ce droit a également nui aux relations intergouvernementales. Pour mieux comprendre, je propose de rappeler le premier des principes qui concerne la relation du gouvernement du Canada avec les peuples autochtones, publié par le ministère de la Justice en 2018 qui stipule que :

Le gouvernement du Canada reconnaît que toutes les relations avec les peuples autochtones doivent être fondées sur la reconnaissance et la mise en œuvre de leur droit à l’autodétermination et le respect de leur droit inhérent à l’autonomie gouvernementale.

Jusqu’à présent, les actions du gouvernement fédéral dans le dossier du cannabis n’ont pas été en phase avec ses propres politiques, annoncées à grand renfort de tambours qui sont censées privilégier les rapports de nation à nation, les relations de gouvernement à gouvernement avec les peuples autochtones. Disons-le carrément, le Canada a beau prétendre qu’il privilégie les relations de gouvernement à gouvernement, de nation à nation, on constate avec étonnement qu’il laisse les gouvernements autochtones sur la touche dans le dossier du cannabis et qu’il les oblige à recourir aux tribunaux pour faire reconnaître leur droit inhérent et leur compétence en matière de réglementation du cannabis.

En choisissant de faire fi du droit inhérent et de la compétence des peuples autochtones en matière de réglementation du cannabis, le gouvernement fédéral affecte très concrètement la réalité quotidienne des peuples autochtones. Il faut d’abord savoir que les groupes autochtones qui ont cherché à réglementer le cannabis de différentes manières ont reçu très peu de soutien de la part des gouvernements provinciaux ou fédéral. Aucun financement ne leur a été accordé afin qu’ils puissent élaborer ces lois, contrairement à ce qui se fait pour d’autres initiatives gouvernementales, et il n’existe aucun programme de transfert de connaissances ou de renforcement de capacités.

Une fois que le cannabis est réglementé par un groupe autochtone, par exemple par une Première Nation, l’application de la loi peut s’avérer difficile parce que, souvent, les Premières Nations ne disposent pas des outils nécessaires pour faire respecter les lois sur le cannabis de manière efficace.

Venons-en à la solution. Pour aborder les problèmes évoqués et, plus généralement, pour œuvrer à la résolution des nombreuses difficultés liées au cannabis, un dossier qui interpelle la question de la gouvernance, la santé, la sécurité et le développement économique des Autochtones, l’Association du Barreau autochtone propose de s’en tenir en premier lieu à l’autodétermination et aux impératifs liés à l’autonomie gouvernementale et à la compétence des Autochtones. Partant de là, l’Association du Barreau autochtone soutient que la Loi sur le cannabis et les instruments législatifs qui s’y rapportent doivent être modifiés, afin que soient reconnus le droit et la compétence des peuples autochtones en matière de réglementation du cannabis. Bien que l’article 140 de la Loi sur le cannabis puisse être invoquée pour exempter les groupes autochtones de l’application de la loi sur le cannabis, cette approche est empreinte d’un certain flou juridique. Elle laisse en plan les questions que nous avons abordées aujourd’hui. Alors même que la Cour suprême du Canada s’apprête à examiner le renvoi du projet de loi C-92, la meilleure solution est un réaménagement législatif.

L’Association du Barreau autochtone soutient que notre évaluation de la portée des modifications à la Loi sur le cannabis et des modifications législatives qui en résulteraient doit tenir compte de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA. Nous n’avons pas le temps de consulter tous les articles de la DNUDPA qui sont pertinents pour la discussion, mais je mettrais l’accent sur les articles 4, 23, 24, 31 et 34.

Pour terminer, voici ce qu’une de nos membres, Naiomi Metallic, a récemment écrit :

Un élément crucial et l’un des principaux effets de la Déclaration des Nations unies sera de faire passer le droit des Autochtones à l’autodétermination, à l’autonomie gouvernementale et aux lois autochtones à l’avant-plan du discours sur les droits des Autochtones.

Le président : Merci, maître Lafond. J’invite maintenant Mme Hainnu à faire une déclaration.

Jukeepa Hainnu, vice-présidente, Conseil d’administration de la Société Ilisaqsivik : [mots prononcés dans une autre langue].

Bonsoir, je m’appelle Jukeepa Hainnu et je suis vice‑présidente et cofondatrice de l’Ilisaqsivik Society à Clyde River, au Nunavut. Je vous remercie de me donner l’occasion de vous parler d’Ilisaqsivik et du travail important que nous réalisons en matière de toxicomanie et de suivi psychologique au Nunavut.

Nous sommes un organisme de bienfaisance sans but lucratif, régi et dirigé par un conseil d’administration communautaire composé de bénévoles inuits. La Société Ilisaqsivik est l’un des employeurs les plus importants de Clyde River. Nos programmes de grande envergure sont souvent inédits; ils sont créés par les Inuits pour les Inuits et sont offerts en inuktitut.

Cette année, nous célébrons notre 25e anniversaire. Ilisaqsivik est né en 1997 du besoin criant de trouver nos propres solutions à nos problèmes. En inuktitut, Ilisaqsivik signifie un endroit où l’on peut se reconnaître, et c’est exactement de cela qu’il s’agit. En misant d’abord sur les besoins et le potentiel de chaque Inuit, nous avons évolué jusqu’à devenir un endroit où les gens se reconnaissent, où il est possible de voir ce que nous sommes et ce que nous pouvons devenir. Nous sommes le cœur battant de cette communauté et nous travaillons pour le demeurer en trouvant des solutions qui correspondent aux besoins des Inuits, qu’il s’agisse de construire une bibliothèque, de mettre en place un programme de petits déjeuners dans les écoles, d’offrir des programmes de suivi psychologique en toxicomanie en langue inuktitut, de créer un centre de recherche sur le patrimoine ou une entreprise à vocation sociale. Il y a un fil conducteur dans tout le travail que nous effectuons : accroître le bien-être de tous les Inuits et leur permettre d’atteindre leur plein potentiel.

Ilisaqsivik s’articule autour de trois piliers : 1. le Health and Wellness Centre; 2. le Ittaq Heritage and Research Centre, et 3. la Tukumaaq Social Enterprise.

Le Health and Wellness Centre est le pilier principal d’Ilisaqsivik. Ilisaqsivik offre, en inuktitut, des programmes communautaires et des services de suivi psychologique qui valorisent la culture et qui sont dirigés par des Inuits.

Les programmes communautaires de Clyde River accompagnent la population dans toutes les étapes de la vie, de la période prénatale à un âge avancé. Les programmes de base comme le programme des petits déjeuners, le programme des repas de midi, la bibliothèque communautaire, les services offerts aux mères et aux enfants, les programmes de loisirs, de halte-accueil pour les jeunes, les programmes pour les aînés, les programmes sur le territoire et le programme de nutrition prénatale sont offerts toute l’année.

Les programmes de counseling d’Ilisaqsivik proposent aux résidents de Clyde River et d’ailleurs au Nunavut des formations et des services d’intervention en cas de crise. Nous avons des accompagnateurs à Pond Inlet, à Pangnirtung, à Iqaluit et à Igloolik, qui desservent aussi des collectivités plus éloignées.

Au cours des 15 dernières années, nous avons également développé et mis en place le programme Our Life’s Journey, dédié à la formation de conseillers inuits agréés qui occuperont des postes de première ligne en santé mentale. Nos conseillers aident les patients qui souffrent de diverses dépendances, comme l’alcool, le cannabis et le jeu. Nous venons tout juste de lancer un programme de 28 jours de traitement de la toxicomanie en milieu naturel, pour répondre au besoin aigu de soutien et de counseling en matière de toxicomanie chez les Inuits. Ce programme est offert en inuktitut. Les patients sont amenés à Clyde River, puis sont envoyés dans un camp que nous avons construit sur la côte, où ils séjourneront pendant 28 jours, le temps de guérir. La plupart des patients cherchent à rompre leur dépendance à l’alcool et au cannabis.

Ilisaqsivik permet d’établir un lien vital entre les résidents de Clyde River et du Nunavut. Nous travaillons dans un bâtiment vétuste qui abrite une grande partie de la population locale de tous âges. Anciennement, notre immeuble était un centre de santé communautaire qui a été jugé inutilisable et déclassé il y a 20 ans. Trop vieux pour être réparé, il nécessite beaucoup d’entretien et une partie du matériel doit être stockée à l’extérieur du bâtiment pour que celui-ci demeure opérationnel. Il y a longtemps que nous avons dépassé la capacité de cette installation, ce qui nuit au développement de nos activités. Nos programmes et nos services sont menacés et l’espace limité ne nous permet pas de nous étendre. Souvent, nos deux ou trois conseillers partagent un même espace de bureau qu’ils doivent libérer quand un collègue rencontre un patient. Nous avons désespérément besoin de plus d’espace pour continuer à soutenir notre communauté et pour veiller à ce que les Inuits aient accès à un soutien et à des services de soutien psychologique offerts par des Inuits, en inuktitut.

Je vous remercie de votre temps.

Le président : Merci, madame Hainnu. Nous allons maintenant passer aux questions. Je commence. Maître Lafond, vous avez mentionné que la Loi sur le cannabis devrait être modifiée pour reconnaître le droit des Autochtones à l’autodétermination, en ce qui concerne le cannabis. Quelles modifications précises proposez-vous?

Me Lafond : Je sais que des dispositions du projet de loi C-92 sont actuellement à l’étude et qu’elles sont contestées devant la Cour suprême du Canada. Sans trop m’attarder au libellé de cette loi, je dirais que nous cherchons une forme de modification législative reconnaissant et permettant l’application des lois autochtones dans la mesure où elles ont trait à la réglementation du cannabis sur le territoire des réserves.

Le président : Merci.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Votre témoignage est d’une grande aide, et je vous en remercie.

Maître Lafond, revenons sur ce que vous avez dit à propos du développement des capacités. Si je ne m’abuse, vous nous disiez que chaque Première Nation dispose, en vertu de l’article 35, du droit à l’autodétermination et du droit de légiférer si elle le souhaite, mais qu’on hésite à se lancer dans ce jeu de réglementation.

Que suggérez-vous au gouvernement afin de renforcer la capacité des Premières Nations à réglementer? Quel genre de soutien pourrait être mis en place pour permettre aux Premières Nations de faire ce travail d’autodétermination?

Me Lafond : Je vous remercie pour cette question, sénatrice. Je pense que cette hésitation des gouvernements des Premières Nations à occuper l’espace législatif, comme on l’a vu ces quatre dernières années, peut être attribuée à deux ou trois facteurs.

Avant d’aborder les questions d’ordre opérationnel ou liées au développement des capacités, je souhaite revenir sur le premier point, lequel pourrait envoyer un signal fort et s’avérer très utile. Il s’agirait d’adopter une loi constituant un fondement législatif pour les organismes d’application de la loi, comme la GRC ou la police municipale, afin d’assurer l’application des lois des Premières Nations en vigueur. Cela ne concerne pas directement le soutien financier accordé aux groupes autochtones, mais si les gouvernements de Premières Nations pouvaient faire appliquer leurs lois dans les réserves, cela changerait la donne.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Voilà qui est tout à fait intéressant. Nous venons d’entendre la même chose de la part des Conseils de gestion des terres. Ils adoptent des lois et ont un code foncier, mais la GRC ne les applique pas. L’idée de miser sur le renforcement de l’application de la loi des Premières Nations par la GRC est d’une importance capitale.

L’autre chose qui me préoccupe concerne le projet de loi C-92, la loi sur la protection de l’enfance, plus précisément l’idée de mettre en place un centre d’excellence pour que les Premières Nations s’étant dotées d’une loi sur la protection de l’enfance puissent accompagner d’autres Premières Nations qui souhaitaient élaborer leur propre loi sur les services à l’enfance et à la famille. Il en va de même pour le code foncier. Un centre de ressources chargé d’aider les Premières Nations à faire ce travail a été mis en place.

Pensez-vous qu’un centre d’excellence sur la réglementation du cannabis pourrait être utile pour éviter aux Premières Nations de devoir assumer des coûts juridiques liés à l’élaboration de cette réglementation pour leur Première Nation?

Me Lafond : Excellente question. Je pense que cela illustre l’une des réalités à laquelle j’ai été confronté dans ma pratique d’avocat ces quatre dernières années. Cela nous ramène à l’un des commentaires que j’ai formulés dans mon mémoire, à savoir que les Premières Nations hésitent souvent à exercer leurs droits inhérents d’adopter et d’appliquer des lois sur le cannabis sur leur propre territoire, non pas par manque de volonté, mais par manque d’assurance.

Je dirais qu’il y a une absence de volonté devant le risque associé à la poursuite des activités liées au cannabis dans les réserves. Malheureusement, plusieurs Premières Nations disposées à prendre ce risque ont pris le relais et, dans bien des cas, elles se sont exposées à des situations risquant d’engager leur responsabilité criminelle, quand elles n’ont pas été amenées à assumer des frais juridiques importants afin de faire reconnaître et de faire respecter leurs droits.

Ces Premières Nations ont engagé des centaines de milliers de dollars en frais juridiques et en honoraires professionnels et, dans bien des cas, elles ont dû improviser. Elles se sont butées à des questions délicates relativement à l’exercice de leur compétence, ce que beaucoup de Premières Nations cherchent à éviter. Ont‑elles été remboursées? Le risque qu’elles ont pris leur a-t-il valu une reconnaissance? Nous dirons très rarement. C’est ce qui m’amène aujourd’hui à venir ici, afin de défendre les intérêts des Premières Nations.

Un centre d’excellence, par exemple, ayant pour vocation de recueillir, d’analyser et de synthétiser les données pour les mettre à la disposition de gouvernements d’autres Premières Nations — de sorte que ceux-ci se lancent dans ces démarches — ne peut avancer à tâtons. Les Premières Nations ne doivent pas sous‑estimer tout ce qui a trait aux traités visant leur territoire, à la question de l’application de la loi par les autorités locales, ni aux gouvernements de leur province ou de leurs municipalités. Ils peuvent toutefois s’inspirer de ce qui se fait ailleurs au pays.

Je ne veux pas donner l’impression qu’il n’existe pas déjà un très bon réseau de communication entre les peuples autochtones du Canada, mais pour ceux qui entament ces démarches, qui se lancent dans cette aventure réglementaire, le genre de collaboration dont je parle serait vraiment bénéfique.

Le sénateur Tannas : Merci pour votre présence. Je vais poser quelques questions à Mme Hainnu. Tout d’abord, je tiens à vous remercier d’avoir fait ce déplacement pour venir ici. Je regardais sur mon téléphone où se trouve Clyde River. C’est comme si vous veniez d’Europe. Ça semble aussi loin. Merci beaucoup d’avoir fait le voyage.

J’étais présent quand nous avons adopté la loi. Des aînés de plusieurs collectivités inuites nous imploraient de ne pas l’adopter.

Que se passe-t-il à Clyde River? Comment les gens se procurent-ils du cannabis? Peuvent-ils en acheter? Comment cela se passe-t-il dans la communauté?

Mme Hainnu : Je pense que le cannabis est commandé ailleurs. Je ne peux pas vous dire exactement comment on se le procure, mais je crois qu’il est commandé à un magasin de cannabis.

Le sénateur Tannas : Il arrive par la poste?

Mme Hainnu : Oui.

Le sénateur Tannas : Il n’y a pas de magasin? Y a-t-il un magasin qui vend de l’alcool à Clyde River?

Mme Hainnu : Non. Il n’y a pas de banque non plus à Clyde River. On y recense à peine 1 000 habitants.

Le sénateur Tannas : Combien de lits y a-t-il dans votre établissement? Combien de pensionnaires pouvez-vous accueillir?

Mme Hainnu : Par « combien de lit » vous voulez dire combien de chambres?

Le sénateur Tannas : Oui. Est-ce que vous accueillez les gens pour la nuit ou s’agit-il seulement d’un programme de jour?

Mme Hainnu : Ce n’est qu’un programme de jour, mais nous organisons aussi des activités sportives pour les jeunes en soirée. Nous utilisons le gymnase de l’école publique pour cela.

Le sénateur Tannas : Mais personne ne vient passer 28 jours dans votre établissement? Personne n’y reste de nuit?

Mme Hainnu : Le programme de 28 jours peut accueillir environ 25 participants, mais il s’agit d’un programme à l’extérieur de Clyde River, où un campement a été aménagé. Ce n’est pas à Clyde River même, c’est à l’extérieur de notre communauté. C’est en quelque sorte un programme sur le terrain.

Le sénateur Tannas : Vous avez besoin d’infrastructures. Y a-t-il un immeuble dans la communauté qui pourrait être acheté ou réaménagé, est-ce que cela répondrait à vos besoins ou vous faudrait-il une nouvelle construction?

Mme Hainnu : Il faudrait que ce soit une nouvelle construction, parce qu’il n’y a pas du tout de bâtiments disponibles. Nous manquons cruellement d’édifices, de bâtiments.

La sénatrice Audette : Merci, maître Lafond et madame Hainnu. Je n’étais pas présente lors du débat, lors de cette discussion animée qui a accouché de cette loi, mais nous avons tous un certain bagage, une histoire.

Je viens d’une belle communauté du nord que je chéris — elle est plus au sud que votre nord à vous — et qui s’appelle Mani‑Utenam ou Schefferville. Quand nous sommes saisis d’un projet de loi comme celui-ci, certains d’entre nous disent qu’on le leur impose, par manque de temps pour établir des balises répondant aux besoins de la majorité ou pour fournir un soutien aux trop nombreuses personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale. Nous sommes conscients de la situation critique en matière de santé mentale et de problèmes sociaux, et nous savons que le gouvernement œuvre à la mise en place d’un comité pour étudier le phénomène et ses répercussions. Je crois en l’importance de l’autonomie de nos dirigeants, qu’ils soient métis, de Premières Nations ou inuits.

Maître Lafond, partant de ce que vous avez dit, où situer l’équilibre entre l’importance de décider par nous-mêmes de ce qui est bon pour nous et ce constat voulant que nous sommes en présence d’une grave crise? Le cannabis entre peut-être dans cette équation. Ces enjeux sont bien réels, mais en ce qui concerne la santé mentale, il y a aussi des chiffres qui montrent que cela n’aide pas. Comment pouvons-nous nous assurer que l’on aide les gouvernements des Premières Nations, tout en tenant compte de cette loi qui existe?

Je suis très inquiète. Il y a tellement de gens au Labrador et à Goose Bay qui n’ont plus de maison ou d’endroit où loger, qui sont sans-abri. C’est comme cela partout au Canada. Cette loi, censée nous aider, a peut-être empiré les choses. C’est une question compliquée, même formulée dans notre langue. Pouvez‑vous confirmer que les dirigeants de nos communautés partagent aussi cette préoccupation, lorsqu’il est question d’autonomie gouvernementale?

Me Lafond : Je vous remercie pour cette question, sénatrice. Sans vouloir simplifier à outrance, je dirais simplement que ce qui est bon pour l’un est bon pour l’autre, ce que je propose de clarifier dans un instant. Je ne voudrais pas présumer que la question que vous avez posée a une quelconque connotation de méfiance à l’égard des gouvernements autochtones ou s’il s’agit de savoir si ceux-ci ont à cœur les meilleurs intérêts de leurs citoyens.

La sénatrice Audette : Je leur fais confiance.

Me Lafond : Quand on parle de créer un espace ou de reconnaître un espace dans lequel les peuples autochtones puissent se doter de leurs propres lois, et que cela soit reconnu à l’échelon fédéral, les répercussions sur le terrain sont très concrètes. Les Premières Nations peuvent travailler en collaboration avec les gouvernements fédéral et provinciaux et elles sont sur un pied d’égalité en tant qu’autorité légitime en matière de réglementation et d’application de la loi.

Je ne veux pas donner l’impression que tout le monde au Canada a envisagé de réglementer le cannabis de la même façon. Quand j’évoque les manquements au chapitre de l’application de la loi dans les réserves, cela ne concerne pas seulement le développement économique ou les activités liées au cannabis, mais aussi les règles entourant la consommation du cannabis dans ces réserves, ainsi que les restrictions et les limites imposées à cet égard. Il serait important que bon nombre de Premières Nations... je dois faire attention de ne pas m’exprimer au nom d’une Première Nation en particulier. J’ai appris au contact, parce que j’exerce dans la région depuis quatre ans, que de nombreuses Premières Nations voulaient vraiment restreindre l’utilisation et la prolifération du cannabis à des fins médicinales, dans leurs communautés. C’est cette relation sacrée avec le cannabis qu’elles considéraient comme le fondement de l’exercice de leur compétence inhérente en matière de législation. D’autres ne voulaient pas du tout de cannabis sur leur territoire tant qu’elles ne disposeraient pas de suffisamment de données, d’analyses et de soutien médical pour pouvoir, selon elles, exercer leur compétence et légiférer en toute connaissance de cause.

La sénatrice Audette : En quelques mots, étant donné que ce projet de loi fait l’objet d’une enquête, que pourrait faire le comité pour mieux appuyer le leadership autochtone? Que recommanderiez-vous?

Me Lafond : Pour poursuivre sur ma lancée, je dirais qu’il faut traiter les Premières Nations comme des partenaires égaux en matière de gouvernance. Si les Premières Nations adoptent une loi qu’elles estiment être dans le meilleur intérêt de leurs concitoyens et si elles pensent que c’est la meilleure façon d’agir, il n’y a aucune raison pour que cette loi ne bénéficie pas du même traitement que toute autre loi fédérale ou provinciale. Les lois qu’elles adoptent devraient régir leur peuple et leur territoire et, en cas de conflit entre une loi et la loi provinciale, c’est la loi de la Première Nation qui devrait prévaloir, car c’est le gouvernement des Premières Nations qui est le mieux à même d’évaluer les besoins de son peuple.

Le président : Merci, sénatrice. Maître Lafond, suite à la question de la sénatrice Audette, conviendriez-vous qu’il y a lieu d’attribuer au peuple autochtone un pourcentage des revenus de la vente de cannabis dans les réserves et hors réserve afin de nous aider à ouvrir l’accès aux soutiens en santé mentale et à d’autres soutiens?

Me Lafond : Sans aucun doute.

Le président : Dans sa décision sur le projet de loi C-92, la Cour d’appel du Québec a statué que certains articles précis de la loi outrepassaient le cadre du pouvoir fédéral en établissant la primauté des lois autochtones en cas de conflit avec les lois provinciales. À votre avis, quels effets cela pourrait-il avoir sur les modifications visant à reconnaître les droits autochtones à l’autodétermination en matière d’activités liées au cannabis?

Me Lafond : Comme vous le savez, cette décision a été portée en appel à la Cour suprême du Canada, qui entendra l’appel dans les prochaines semaines. Nous attendons impatiemment la décision de la Cour suprême du Canada. La façon dont je traiterais l’analyse dans cette affaire serait que toute loi autochtone que pourrait adopter le gouvernement fédéral aurait force de loi fédérale. Je n’ai aucun doute, pour ma part, sur la capacité du gouvernement fédéral d’incorporer par renvoi les lois autochtones et de les traiter comme des lois fédérales en vertu des pouvoirs que lui confère le paragraphe 91(24) de la Constitution. Je pense qu’il n’y a rien à ajouter à cet égard.

La question devient alors une analyse de primauté. La loi autochtone, qui a été reconnue et adoptée et qui fait partie du cadre fédéral, a le même effet que la loi fédérale même. Je crois, et j’espère ne pas me tromper sur ce point, que la conclusion de la Cour d’appel du Québec est que cela allait un peu plus loin. Lorsque la Cour d’appel du Québec a essentiellement déclaré qu’en cas de conflit entre une loi provinciale et une loi autochtone incorporée dans le cadre fédéral, la loi autochtone primerait pour le règlement du conflit, et qu’on n’en parlerait plus. C’est ce que la cour avait rejeté lorsque, tout compte fait, dès lors que cette loi devient fédérale et entre en conflit avec la loi provinciale, une analyse complète est déclenchée selon le critère de primauté des lois pour déterminer laquelle doit primer.

Nous sommes d’avis que cela n’a pas d’incidence sur l’article 35. Ce n’est qu’une analyse du fédéralisme et une analyse du partage des pouvoirs. À partir du moment où une loi autochtone a été incorporée dans un cadre fédéral, s’il y a conflit entre la loi autochtone et la loi provinciale, la loi dispose que la loi fédérale prime en cas d’incompatibilité ou de conflit. C’est une question très technique. Cette analyse soulève de nombreuses questions.

Le président : Bonne réponse. Merci beaucoup.

Le sénateur Tannas : Ma question risque de trahir ma totale ignorance du sujet. Si une communauté autochtone veut faire ses lois... Selon les témoignages que nous avons reçus depuis quelque temps sur des sujets parfois sans rapport avec le cannabis, la communauté a adopté ses propres règlements administratifs. Mais qui va les appliquer maintenant? Comme il n’y a pas de police autochtone, la communauté se tourne vers la Gendarmerie royale du Canada.

Dans la pratique, je ne comprends pas comment la GRC pourrait appliquer une loi autochtone. Appliquer comment au juste? Que ferait-elle? Elle arrêterait la personne? Comment l’accuse-t-elle? À quel tribunal s’adresse-t-elle? Quelle serait la peine infligée? Qui décide de tout cela? Il me semble qu’il serait logique que ce soit un tout. Certaines grandes communautés semblent avoir un peu plus de facilité, en ce sens qu’elles ont leur propre police et d’autres moyens que la police d’exercer des pressions pour faire respecter la loi. Il est intéressant de voir certaines communautés qui font justement... Qui pourrait les en blâmer? Elles adoptent une loi. Eh bien, qu’arrive-t-il si quelqu’un dit non? Qui va-t-il appeler? Comment tout cela fonctionnera-t-il? C’est ahurissant. Il y a déjà des communautés qui vont de l’avant et, comme vous l’avez dit, il est bien clair que la route sera pas mal longue.

Dans d’autres domaines, nous avons vu des institutions autochtones naître et se développer avec la crème de la crème des institutions, les plus avancées dans bien des cas, parce qu’elles sont plus grandes et qu’elles ont les ressources, et cetera. Y voyez-vous quelque chose à un stade précoce du développement en ce qui concerne une institution dirigée par des Autochtones? Dans mon esprit, toutes les grandes institutions ont été fondées par des Autochtones selon un plan. Je veux dire que le gouvernement ne les a pas inventées. Ce sont les communautés autochtones qui les ont inventées pour améliorer leur sort et celui des autres communautés autochtones. Y a-t-il quoi que ce soit là-dedans qui permettrait d’appliquer ici ce qui a été fait dans d’autres domaines dont vous parlez?

Me Lafond : Non, et il y a des raisons pour cela, sénateur. Les raisons découlent de ce que je viens de mentionner, c’est‑à‑dire qu’il faut la reconnaissance fédérale ou l’incorporation des lois autochtones dans le cadre fédéral... Si je devais brosser un tableau, on verrait que toutes les provinces du Canada — et je pense que vous le savez pour avoir entendu de nombreux témoignages à ce sujet — en sont à divers stades de leur cheminement vers la reconnaissance de la réconciliation et des droits inhérents des peuples autochtones à l’échelle du Canada. Une seule province, à ma connaissance, a légiféré pour adopter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et c’est la Colombie-Britannique. Ce n’est qu’un exemple, qui signale ou indique la mentalité ou la philosophie à l’égard de la légitimité des lois des peuples autochtones sur leur territoire.

Certains préféreraient l’adoption et l’application des lois autochtones, et feront primer leurs préférences à cet égard, et cela se reflète dans la législation provinciale. Sans cette reconnaissance fédérale ou provinciale, les forces de l’ordre ont adopté par défaut la position selon laquelle les lois fédérales et provinciales ont préséance et s’appliquent dans les réserves. En cas de non-conformité aux lois fédérales et provinciales, une activité liée au cannabis est illégale. Cela a soulevé bien des questions. Premièrement, même si nos Premières Nations ont investi dans la création d’un solide cadre de réglementation, leur capacité de le faire est limitée. La Première Nation qui veut participer au commerce du cannabis en dehors du régime d’application de la loi ne peut pas contracter un emprunt bancaire parce que les banques ne prêtent pas aux entreprises qui sont « sans permis ». Elle ne peut pas souscrire une police d’assurance sur la propriété parce qu’elle est « sans permis ». Impossible également de faire faire un audit annuel par un auditeur et de produire les états financiers d’une entreprise ou d’une institution parce que l’auditeur refusera de prendre un client s’il croit que l’argent généré par l’entreprise est le produit du blanchiment d’argent, de l’activité terroriste, et cetera. Donc, sur le plan pratique, cela pose certainement un problème pour développer sa capacité et commencer à élargir ses institutions et sa base de connaissances, qui dans de nombreuses communautés est solide, mais inavouée.

Le président : Merci.

La sénatrice Coyle : J’aurais une question à poser à chacun de nos témoins. Je la leur pose tout de suite et chacun pourra répondre, à son tour.

Madame Hainnu, merci non seulement de votre présence aujourd’hui, mais encore du travail que vous faites depuis longtemps. Quel bel effort communautaire que vous faites avec vos collègues. C’est phénoménal. La gamme de vos activités est merveilleuse. Il est clair que vous êtes dévouée à la communauté et que vous rendez un service extraordinaire.

Dans le cadre de votre travail sur la santé mentale et les toxicomanies, avez-vous remarqué un changement important depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis? Quelle était la situation dans votre communauté en ce qui concerne les toxicomanies de toutes sortes, et à quoi ressemble-t-elle depuis la légalisation du cannabis au Canada?

Maître Lafond, je comprends ce que vous dites, et je pense que nous sommes tous bien conscients que le gouvernement du Canada a laissé tomber les gouvernements autochtones, et qu’il faut reconnaître la compétence de ces gouvernements et l’inscrire dans la loi même. Je vous ai entendu le dire. On parle beaucoup de la vente au détail du cannabis, mais je suis curieuse de savoir quelles sont les possibilités plus intéressantes de sa production. Avez-vous examiné cela de près? Auriez-vous quelque chose de particulier à dire sur ce qu’il faudrait pour libérer le soutien et exploiter la capacité de culture et de fabrication?

Mme Hainnu : Je pense que cela a fait reculer la criminalité dans la communauté, parce que cette consommation ne coûte plus aussi cher. Sur le plan financier, je pense que cela a vraiment aidé les familles moins fortunées. De même, j’ai vu davantage de patients atteints de maladies insupportables s’adonner au cannabis et j’ai constaté davantage de résultats positifs depuis la légalisation. Il y a moins de gens qui ne sont plus des criminels et qui sont capables de travailler. S’ils étaient tenus pour criminels parce qu’ils vendent du cannabis, ils ne pouvaient pas travailler et subvenir aux besoins de leur famille, de sorte qu’ils étaient toujours désavantagés par la vie cruelle que nous vivons.

La sénatrice Coyle : Donc, l’intention avouée de ce genre d’avantages... Ce que vous dites en fait, c’est qu’ils trouvent leur place dans la communauté.

Mme Hainnu : Oui.

La sénatrice Coyle : Merci.

Me Lafond : La compétence législative des instances dirigeantes autochtones ou des Premières Nations ne se limite pas, selon moi, à ce qui est délégué à la province en vertu de la loi, à savoir essentiellement la vente au détail et la distribution. La culture, la transformation, la vente au détail, la distribution, la vente et la possession sont autant d’aspects des activités rattachées au cannabis qui devraient relever de la compétence législative d’une Première Nation.

Chaque étape que franchit une Première Nation pour lancer une nouvelle initiative législative comporte ses défis. De toute évidence, il y a des défis liés aux modalités d’application, aux ressources à consacrer à la réglementation et au fonctionnement en harmonie avec les administrations voisines.

À mon avis, on ne peut pas empêcher les Premières Nations de légiférer sur l’ensemble des opérations, de l’ensemencement à la vente. Elles doivent pouvoir exploiter l’occasion si elles le veulent.

Le président : Merci à vous deux d’avoir fait le long voyage qui vous a amenés ici et de l’important travail que vous faites pour les Autochtones. Votre témoignage est très apprécié.

Dans ce groupe, nous entendrons Karen Hogan, vérificatrice générale, et Glenn Wheeler, directeur principal, du Bureau du vérificateur général.

Wela’lin, merci, madame Hogan, de votre présence ce soir. Vous disposerez d’environ cinq minutes pour votre déclaration préliminaire, qui sera suivie d’une période de questions et réponses d’environ cinq minutes par sénateur.

En raison des contraintes de temps, je demande à tout le monde d’être concis et précis dans ses échanges. Pour ne pas vous interrompre ou vous couper la parole, je lèverai cette affiche lorsqu’il ne vous restera qu’une minute, pour vous signaler que votre temps de parole est presque écoulé.

J’invite maintenant Mme Hogan à faire sa déclaration préliminaire.

[Français]

Karen Hogan, vérificatrice générale du Canada, Bureau du vérificateur général du Canada : Je vous remercie de nous donner l’occasion de discuter des récents rapports que nous avons présentés au Parlement ainsi que les audits en cours et prévus.

Je tiens d’abord à reconnaître que cette rencontre se déroule sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe. Je suis accompagnée aujourd’hui de Glenn Wheeler, directeur principal, qui audite les questions autochtones depuis plus d’une décennie.

Mon bureau a audité des questions importantes pour les Autochtones depuis des décennies et nous avons souligné à plusieurs reprises la disparité des résultats pour les peuples autochtones du Canada. Par exemple, depuis 2015 seulement, nous avons présenté des rapports sur les services de santé, le soutien aux revendications territoriales, la réinsertion des délinquantes et des délinquants au sein de la société, les programmes d’emploi, la salubrité de l’eau potable et le soutien offert aux collectivités autochtones durant la pandémie de COVID-19.

La semaine dernière, nous avons présenté au Parlement un rapport d’audit sur la gestion des urgences dans les collectivités des Premières Nations. Tout comme lors de notre audit de 2013 à ce sujet, nous avons conclu que Services aux Autochtones Canada n’avait pas fourni à ces collectivités le soutien dont elles avaient besoin pour gérer les urgences comme les inondations et les feux de forêt. La fréquence et l’intensité de ces urgences d’origine naturelle ne cessent d’augmenter.

Nous avons constaté que les mesures prises par le ministère visaient plutôt à réagir aux urgences qu’à les prévenir. Malgré les nombreux projets d’infrastructure cernés par les collectivités des Premières Nations qui permettraient d’atténuer les répercussions des situations d’urgence, le ministère avait un arriéré de 112 projets qu’il avait approuvés, mais qu’il n’avait pas financés.

Les dépenses de Services aux Autochtones Canada liées aux activités d’intervention en situation d’urgence et de rétablissement étaient trois fois et demie plus élevées que les dépenses visant à aider les collectivités à s’y préparer ou à en atténuer les répercussions.

En dépit de notre recommandation faite en 2013, le ministère n’avait toujours pas recensé les collectivités des Premières Nations ayant le plus besoin de soutien pour renforcer leur capacité à se préparer aux situations d’urgence. Jusqu’à ce que le ministère se concentre sur la prévention et l’investissement dans les infrastructures, les collectivités sont susceptibles de continuer à subir des répercussions plus marquées dans les situations d’urgence.

Je souhaite également attirer l’attention du comité sur deux rapports que nous avons présentés en 2021. Ils portaient sur la salubrité de l’eau potable et sur les ressources en santé pour les collectivités autochtones pendant la pandémie de COVID-19.

L’accès à une eau potable est essentiel à la vie. Or, dans un grand nombre de collectivités des Premières Nations — il y en a plus de 600 au Canada — l’accès à l’eau potable pose un problème persistant. La mise en œuvre d’une solution durable qui permettrait aux collectivités des Premières Nations partout au pays d’avoir accès à une source fiable d’eau potable est un élément important de la réconciliation.

En 2015, le gouvernement fédéral a promis de mettre fin à tous les avis à long terme sur la qualité de l’eau potable touchant les réseaux publics d’approvisionnement en eau dans les réserves des Premières Nations avant le 31 mars 2021.

[Traduction]

Notre rapport d’audit a été présenté à l’approche de cette date limite, six ans après cette promesse. Nous avons été déçus de constater que 60 de ces avis à long terme demeuraient en vigueur dans 41 collectivités de Premières Nations. Près de la moitié des avis étaient en vigueur depuis plus d’une décennie. Certains avis à long terme ont été levés grâce à des mesures provisoires sans que les déficiences sous-jacentes soient corrigées, et la mise en œuvre de solutions à long terme n’a presque jamais été envisagée avant plusieurs années.

Nous avons constaté que les efforts de Services aux Autochtones Canada ont été limités par une politique désuète et une formule de financement vieille de 30 ans relativement au fonctionnement et à l’entretien des réseaux publics d’approvisionnement en eau. Tant que la formule ne sera pas modernisée, il sera difficile de savoir si des fonds supplémentaires suffiront à répondre aux besoins en matière d’infrastructures d’approvisionnement en eau des communautés de Premières Nations.

Dans notre autre audit de 2021, nous avons constaté que Services aux Autochtones Canada avait adapté rapidement ses interventions pour répondre aux besoins supplémentaires en matière de soins de santé des collectivités des Premières Nations pendant la pandémie de COVID-19. Le ministère a agi afin d’élargir l’accès aux équipements de protection au personnel infirmier et ambulancier. Les collectivités ont reçu l’équipement demandé du ministère dans un délai de 10 jours en moyenne. Même si Services aux Autochtones Canada n’a pas été en mesure de répondre à plus de la moitié des demandes de personnel infirmier et ambulancier supplémentaire sous contrat pour lutter contre la COVID-19, dans l’ensemble, le soutien du ministère a aidé les collectivités et les organisations autochtones à faire face à la pandémie.

La semaine passée, j’ai présenté au Parlement un rapport sur l’itinérance chronique. Cet audit a permis de démontrer que le gouvernement ne savait pas si les efforts et les investissements faits jusqu’alors avaient permis d’améliorer les conditions de logement des personnes et des groupes vulnérables en situation d’itinérance ou d’itinérance chronique. Selon moi, cela montre qu’il est encore plus important de répondre aux besoins en matière de logement de toute la population canadienne, y compris les peuples autochtones. Nous sommes aux premières étapes de la planification d’un audit qui portera sur les besoins en matière de logement des Premières Nations, un secteur que nous avons examiné la dernière fois en 2003.

Mon bureau est également l’auditeur législatif des trois territoires du Nord du Canada. Nous présentons régulièrement des rapports à chaque assemblée législative. Nos audits des territoires visent souvent des programmes qui concernent les peuples autochtones. À titre d’exemple, en 2021 et en 2022, nous avons examiné les services correctionnels au Nunavut, les services de prévention et de traitement des dépendances dans les Territoires du Nord-Ouest, et les services de logement et de santé mentale au Yukon. L’an prochain, nous présenterons un rapport sur le sujet important des services à l’enfance et à la famille à l’Assemblée législative du Nunavut.

En 2011, Sheila Fraser, à la fin de son mandat en tant que vérificatrice générale du Canada, a employé le mot « inacceptable » pour résumer son impression des mesures prises par le gouvernement après 10 ans d’audits et de recommandations connexes sur les enjeux touchant les Premières Nations. Cinq ans plus tard, Michael Ferguson, mon prédécesseur, a qualifié la situation de « plus qu’inacceptable ».

Aujourd’hui, plusieurs décennies d’audits ont montré que les programmes et les engagements du gouvernement n’ont pas servi les peuples autochtones du Canada, et ce, de nombreuses fois. Il me paraît évident que les discours fermes ne suffisent pas pour opérer un changement; il faut prendre des mesures concrètes pour corriger ces problèmes de longue date, et le gouvernement doit être tenu responsable de ses actes.

Mon bureau continuera d’auditer ces questions parce qu’elles sont importantes. Nous travaillons maintenant à recenser les secteurs d’audit qui apporteront la plus grande valeur aux parlementaires. Nous serons heureux d’avoir l’occasion de collaborer avec le comité.

Honorables sénateurs, voilà qui conclut ma déclaration d’ouverture. Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du comité. Merci.

Le président : Merci, madame Hogan. Je rappelle à toutes les personnes dans la salle de ne pas parler trop près de leur microphone et de ne pas retirer leur oreillette. Avant de passer aux questions des sénateurs, je souhaite faire un commentaire.

Madame Hogan, vous avez fait parvenir une lettre à notre comité le 21 novembre en réponse à la recommandation que nous avons faite dans un rapport récent demandant à votre bureau d’effectuer un audit de gestion de l’inscription des personnes par Services aux Autochtones Canada, ou SAC, en mettant l’accent sur la mise en œuvre des modifications apportées à la Loi sur les Indiens depuis 1985. La lettre indique que ce sujet n’est pas inclus dans votre plan de travail de 2023 et 2024 afin que vous puissiez :

[...] mettre l’accent sur les questions que vous jugez urgentes et qui pourraient avoir une incidence plus vaste sur un plus grand nombre d’Autochtones.

En tant qu’Autochtone et ancien chef, je tiens à dire clairement que la discrimination continue qui découle des dispositions de la Loi sur les Indiens en matière d’inscription a des conséquences dévastatrices sur d’innombrables membres de Premières Nations, notamment en termes de déconnexion culturelle et sociale, de déni de participation et de processus politiques, de manque d’accès aux services et aux soutiens essentiels et plus encore.

Notre comité demeure préoccupé par le faible nombre d’inscriptions, d’autant plus que de nombreuses personnes ne savent toujours pas qu’elles sont nouvellement admissibles au statut. Nous sommes encore plus troublés par les longs délais de traitement des demandes par le ministère et par le processus complexe, opaque et indéchiffrable auquel se heurtent les personnes.

Je reconnais que votre bureau a des priorités concurrentes à équilibrer et j’apprécie sincèrement tout le travail que vous avez accompli dans le cas des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Cependant, j’espère que vous et vos collègues pouvez comprendre pourquoi il est urgent de mettre fin à la discrimination dont sont victimes des milliers de femmes et de descendants des Premières Nations qui ont été privés de leur statut et de leur identité.

J’espère aussi que vous réexaminerez la possibilité de mener une vérification indépendante pour tenir un ministère fédéral compétent responsable de questions qui auraient dû être réglées il y a des années, mais qui ne l’ont pas été. Si vous voulez faire des commentaires, n’hésitez pas à le faire.

Mme Hogan : Je remercie le comité de sa lettre et de sa demande d’audit. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, nous avons déjà indiqué que nous voulions examiner la question du logement dans les collectivités de Premières Nations, et c’est quelque chose que nous avons déjà commencé à planifier, ce qui couvre la majeure partie de 2023. Nous sommes en train de mettre une touche finale à notre plan 2024.

J’espère que les travaux du comité et votre rapport sur le système d’enregistrement entraîneront des changements concrets. Nous allons certainement garder cela à l’esprit et en tenir compte quand nous réfléchirons à notre prochaine ronde de travail.

Le président : Je vous remercie de cette réponse. En tant qu’ancien chef, je sais que le logement est un enjeu de taille. Il est très important. Mais si vous n’avez pas votre culture, vous n’avez rien. Si on vous refuse le statut, vous n’avez pas votre culture. J’aimerais que vous gardiez cela à l’esprit pour l’avenir.

Mme Hogan : Tout à fait. Je vous remercie beaucoup de m’avoir aidé à mieux comprendre la question.

Le président : Merci.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup pour le travail que vous faites au nom de tous les Canadiens et des peuples autochtones. Nous vous en sommes très reconnaissants.

J’ai examiné votre rapport sur la protection civile et j’ai remarqué que le gouvernement a augmenté ses dépenses de 180 millions de dollars sur une période de trois ans et, bien que ce soit en quelque sorte un pas dans la bonne direction, j’estime que ce n’est pas suffisant pour l’instant. J’imagine que vous avez eu une discussion avec les gens de Services aux Autochtones Canada, et je me demande quel genre de réponse vous avez eue et si vous avez eu la chance de parler de ce rapport avec la ministre.

Mme Hogan : Faites-vous allusion au rapport que nous avons déposé la semaine dernière sur la gestion des urgences chez les Premières Nations?

La sénatrice LaBoucane-Benson : Oui.

Mme Hogan : J’ai eu l’occasion de discuter de la question avec le sous-ministre qui m’a fait part de certaines de ses préoccupations concernant son budget d’infrastructures, ce qui m’amène à conclure qu’il faudra faire quelque chose de différent à l’avenir. Le ministère reçoit un gros budget au titre des dépenses d’infrastructures, mais celui-ci englobe de petits programmes. Le programme qui vise à soutenir les dépenses d’infrastructures destinées à atténuer l’impact des catastrophes naturelles ne reçoit que 12 millions de dollars par année. À ce rythme, les 112 projets qui ont été approuvés et qui ne sont pas encore financés nécessiteront probablement environ 24 ans pour être financés.

Il m’a semblé évident qu’il fallait adopter une approche différente pour aider les collectivités à déterminer leurs besoins les plus critiques en matière d’infrastructures. Pour certaines, il peut s’agir d’infrastructures liées à l’eau, pour d’autres, il peut être question d’atténuer les répercussions des inondations ou des incendies de forêt. À l’heure actuelle, compte tenu de la façon dont les programmes sont conçus, les collectivités doivent présenter une demande, puis attendre en file. Elles pourraient se sentir découragées de soumettre une demande même si elles ont les moyens ou la motivation d’agir. Il est clair qu’une approche plus proactive s’impose pour aider à régler ces problèmes plus rapidement.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup.

La sénatrice Martin : Dans le même rapport, on dit que le ministère a joué la réaction plutôt que la prévention, ce qui a fini par coûter trois fois et demie plus cher aux contribuables. Les collectivités de Premières Nations ont identifié 112 projets d’infrastructures, comme vous l’avez dit. Je viens de la Colombie-Britannique. Je me demande si vous pouvez nous en dire plus sur les types de projets d’infrastructures qui accusent un retard dans cette province? Quels sont les risques pour les communautés de Premières Nations si ces projets ne sont toujours pas financés par le gouvernement?

Mme Hogan : Je vais demander à M. Wheeler de vous donner plus de détails au sujet de la Colombie-Britannique. Nous avons parlé des conséquences financières de dépenser trois fois et demie plus au titre de l’intervention et du rétablissement que pour la réparation et la prévention. La responsabilité financière exige de mieux se préparer, mais il est encore plus important de mieux préparer les communautés et leurs habitants. Sur ce, je vais demander à M. Wheeler de vous parler de la Colombie-Britannique.

Glenn Wheeler, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : Je pense que la situation en Colombie-Britannique est semblable à celle d’autres régions du pays. Il faut réaliser des projets d’infrastructures de type structurel et d’autres de type non structurel.

Un exemple de projet structurel serait une digue ou un barrage afin d’atténuer ou de prévenir les inondations. C’est un exemple de projet de type structurel. Certains projets non structurels sont également très importants. Il s’agit notamment de cartographier les inondations et d’aider les collectivités à élaborer des plans d’urgence pour faire face à des dangers précis. Il y a donc deux types de projets, mais les 112 dont nous parlons sont de nature structurelle. Ce sont des projets qui, espérons-le, éviteraient ou réduiraient les répercussions d’un grand nombre de catastrophes naturelles auxquelles les Premières Nations sont confrontées.

Et puis, ces projets sont importants pour une autre raison. Dans notre rapport, nous indiquons que, pour chaque dollar investi dans les infrastructures destinées à la prévention, il est possible d’économiser 6 $ en fonds d’intervention et de rétablissement. Si l’on met davantage l’accent sur les infrastructures pour prévenir ou atténuer les catastrophes, cela devrait permettre au gouvernement d’utiliser une plus grande partie du financement là où les besoins sont plus grands.

La sénatrice Martin : Dans ses réponses au sujet du rapport, lors de la période des questions à la Chambre des communes, la semaine dernière, la ministre Hajdu a vanté le bilan des dépenses du gouvernement au profit des communautés de Premières Nations. À votre avis, le gouvernement n’a-t-il tout simplement pas investi suffisamment, ou les lacunes sont-elles attribuables à une mauvaise gestion?

Mme Hogan : En ce qui concerne la gestion des urgences, l’idée est de ne pas risquer d’investir trop peu en aval au titre de la prévention et de la préparation. Au fil des ans et à la faveur d’autres rapports — notamment de notre rapport sur la préparation aux pandémies —, nous avons constaté que les gouvernements ont du mal à investir dans l’invisible. Or, c’est précisément ce à quoi correspond la préparation. Mais il y a de véritables conséquences à ne pas agir en ce sens : une conséquence monétaire, mais aussi une conséquence sur les personnes.

Quant aux budgets, je ne crois pas qu’on puisse parler de mauvaise gestion. Je pense que c’est une question de ressources limitées et de la façon dont Services aux Autochtones Canada a choisi d’affecter celles dont il dispose à différentes catégories de besoins en matière d’infrastructures. Il n’y en a pas assez pour tout le monde, mais le montant alloué aux mesures d’atténuation structurelle est très réduit.

La sénatrice Martin : Merci.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup pour tout le travail que vous faites et pour votre exposé de ce soir. Compte tenu des échanges que nous avons eus avec notre président au début et de la lettre que vous avez reçue de notre part, j’aimerais en savoir un peu plus sur la façon dont sont déterminées vos priorités de travail. Je me rends compte qu’il faut beaucoup plus de planification et que les choses ne se font pas du jour au lendemain. Il serait donc intéressant que nous comprenions votre processus de sélection des priorités pour vos audits.

Mme Hogan : C’est un processus très rigoureux, et nous sommes en train de l’adapter. Pendant très longtemps, nous n’avons pas vraiment sollicité la rétroaction des parlementaires. Toutefois, depuis ma nomination au poste de vérificatrice générale, l’une de mes priorités est de communiquer avec la Chambre et le Sénat et de comprendre les préoccupations des deux chambres.

Je pense que la pertinence de notre bureau réside en grande partie dans le fait que nous communiquons aux parlementaires des rapports qu’ils étudient et dont ils se servent pour continuent de réclamer des comptes au gouvernement. Sinon, ce serait un travail qui accumulerait la poussière sur une tablette, et il n’aurait aucune valeur ajoutée pour les Canadiens.

Cela dit, nous commençons par les ministères. Nous avons des années et des années d’expérience dans certains dossiers. Comme je l’ai mentionné, M. Wheeler vérifie les questions autochtones depuis plus d’une décennie maintenant. Nous utilisons donc une partie de nos connaissances acquises au fil du temps et misons sur les rapports suivis que nous entretenons avec les sous-ministres. Nous avons un portail sur notre site Web où les Canadiens peuvent suggérer des thèmes d’audit. Nous tenons compte de ce que les comités nous ont dit, des lettres individuelles reçues des parlementaires, et nous rassemblons le tout. Ensuite, nous essayons de garder une certaine marge de manœuvre pour nous adapter parce que nous établissons notre programme d’audit pour 2024, mais nous ne voulons pas être inflexibles. Comme nous l’avons vu avec la pandémie, le monde continue de bouger, et nous devons nous adapter.

Il s’agit donc d’équilibrer toutes ces priorités concurrentes et d’essayer de dégager les thèmes qui auront le plus grand impact pour, espérons-le, parvenir à de meilleurs résultats pour les Canadiens et pour le Canada. Ce n’est pas parce que tel ou tel thème ne sera pas digne d’intérêt, mais simplement qu’il faudra peut-être envisager de l’intégrer à un autre audit ou de l’examiner à une autre période.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup. C’était utile. En ce qui concerne le dossier autochtone dont nous parlons ici, est-ce que les communautés autochtones vous font part de leurs commentaires sur les priorités qu’elles considèrent comme devant faire l’objet d’un audit?

Mme Hogan : Je suis désolée de ne pas en avoir parlé parce que nous en tenons compte. M. Wheeler pourrait vous aider à mieux comprendre la situation.

M. Wheeler : Quand nous planifions un audit, nous consultons régulièrement les groupes et les organisations autochtones partout au pays. C’est quelque chose que notre bureau prend très au sérieux. Je me souviens que, dès les années 1990, j’ai consulté divers dirigeants d’un bout à l’autre du pays.

Nous consultons donc les gens selon une perspective à long terme relativement aux prochains audits recommandés à la vérificatrice générale, mais nous le faisons aussi au début de chaque audit, comme en ce moment dans le cas de l’audit sur le logement. Quand nous planifions nos travaux, nous nous faisons un devoir de communiquer avec le plus grand nombre de partenaires ou de parties prenantes en lien avec la question que nous auditons afin d’obtenir une pluralité de points de vue et de mieux comprendre les enjeux. À chaque audit, nous avons essayé de recueillir et d’analyser le point de vue des bénéficiaires des programmes. Pour nous, c’est très important, surtout compte tenu de ce portefeuille et des désavantages socioéconomiques que notre bureau a signalés au fil des ans.

En matière d’éducation, on peut se demander quelles sont les répercussions sur les enfants. Ce dont ils bénéficient ou ne bénéficient pas? S’agissant de logement, nous nous demandons qui en a besoin? Pourquoi certains en obtiennent un et d’autres pas? Comment améliorer les choses? Je le répète, c’est un aspect que nous prenons très au sérieux et la consultation est une grande partie de ce que nous faisons.

Le président : Merci.

La sénatrice Pate : Je vous remercie de votre présence et de tout votre travail. J’appuie entièrement la position qui vous a été présentée par le sénateur Francis au début. Je trouve cela très important pour les membres de ce comité sénatorial, surtout quand nous avons dû faire des pressions en ce sens pour exiger des comptes du gouvernement au cours des six dernières années, et que nous devrons en faire d’autres dans l’avenir, et je tiens à souligner toutes les questions soulevées par le sénateur Francis.

Je vais toutefois vous poser une question différente. À l’instar de vos prédécesseurs, et comme vous l’avez rappelé, vous avez fait un travail admirable dans le traitement de ces questions. En 2016, la vérificatrice générale a publié un rapport sur l’importance d’adopter une approche proactive à l’égard des poursuites en particulier, et sur le fait qu’une grande partie du mouvement qui s’est produit a résulté des litiges, notamment la question dont nous parlions au sujet de l’appartenance et de l’inscription dans la Loi sur les Indiens.

Aujourd’hui, nous venons d’apprendre qu’une fois de plus le gouvernement retourne devant les tribunaux dans l’affaire de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations. Pouvez-vous nous redonner les chiffres de 2016 actualisés sur ce qu’il en coûte pour plaider ces questions et sur les coûts associés au règlement des causes? Si vous ne les avez pas avec vous, pourrez-vous les fournir plus tard au comité?

Vous avez fait un excellent travail en ce qui concerne vos récents rapports ainsi que le rapport de 2016 en soulignant combien il en coûte aux contribuables canadiens, à la fois pour intenter des poursuites et pour devoir verser les indemnités imposées.

Mme Hogan : Je n’ai pas ces chiffres en tête. Je sais, d’après notre audit des Comptes publics du Canada, que le passif lié aux poursuites qui sont souvent liées aux affaires autochtones augmente d’année en année, mais mon bureau n’a pas à se poser certaines questions sur les coûts. C’est une donnée que le gouvernement pourrait vous fournir plus facilement que nous.

En fait, il faudrait que je lui pose la question pour pouvoir répondre par écrit à certaines des interrogations du comité, mais je n’ai normalement pas l’information, à moins qu’elle soit facilement repérable dans les Comptes publics du Canada. Nous allons donc faire de notre mieux, et peut-être même vous suggérer où vous devriez pouvoir trouver les pièces manquantes.

La sénatrice Pate : Ce serait très apprécié. Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Audette : Merci beaucoup de nous rappeler — on se rappelle tous et toutes, nous qui étions en politique dans ces années — ce que votre collègue, Mme Fraser, a dit haut et fort pour qu’on sache ce qui se passait, au quotidien, dans nos communautés.

Bien sûr, monsieur Ferguson, j’apprécie aussi votre franchise.

J’ai deux choses à vous demander. J’aimerais savoir comment on peut faire, lorsqu’on étudiera la question de la crise du logement dans les communautés. On parle des Premières Nations en fonction de la lettre qu’on a reçue. C’est toujours en fonction des personnes inscrites à la nation, à la banque ou au gouvernement. Or, on sait très bien que la Loi sur les Indiens omet des centaines de milliers de gens qui ont le droit d’être inscrits. Peut-être verrez-vous dans votre étude quel impact cela a aussi, parce que parmi les données qu’on transmettra au gouvernement, il manquera de véritables chiffres, car on exclut ceux et celles qui n’ont pas été reconnus par la Loi sur les Indiens. C’est une suggestion.

Il serait bon de rappeler également que la question de la reddition de comptes, elle me touche, elle est importante, d’où votre rôle et votre mandat. On nous dit que des milliards sont alloués à l’ENFFADA, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, pour répondre aux appels à la justice. On veut aussi savoir où est allé l’argent pour répondre à une tragédie nationale. Pour moi, c’est important. Nous allons poser ces questions à la ministre demain : le statut d’Indien, les suites de l’ENFFADA. J’espère qu’un jour cela fera partie de vos priorités aussi dans votre rôle important : l’argent qui est là.

Il est important de dire — si vous êtes d’accord, je ne sais pas — qu’on ne veut pas que ce soient les citoyens et leurs taxes qui nous fassent vivre. On mérite d’avoir nos gouvernements et des territoires pour avoir cette économie et cette façon de payer le logement. Il faut être un gouvernement. Pour l’être, il faut une assise territoriale.

Ces études vont être importantes afin d’apporter ces nuances. Est-ce que c’est possible de votre côté, d’après vous?

Mme Hogan : Vous apportez un angle qu’il est important de considérer dans notre audit sur les logements, pour s’assurer que le bassin où l’on débute est cohérent et complet. J’apprécie vraiment la suggestion, je pense que M. Wheeler est d’accord avec moi, c’est un angle qui est très intéressant. C’est pourquoi votre demande, je comprends bien, de plusieurs membres, est un enjeu sensible et important pour vous.

Alors, je vais le considérer comme un critère lors de notre audit. Je vous remercie pour la suggestion.

En ce qui concerne les audits futurs, on a tellement de choix. On en est rendu au point où l’on doit se questionner à savoir combien d’audits on consacrera à des enjeux autochtones, car il faut continuer de les considérer et conserver la pression et la reddition de comptes. J’apprécie vraiment vos suggestions, cela nous aidera à éclairer nos choix difficiles, car on laisse toujours quelque chose sur la table qu’on aurait aimé vérifier.

[Traduction]

Le président : Je vous en remercie, sénatrice Audette. C’est important.

La sénatrice Busson : Ma question va nous ramener à ce que vous avez dit tout à l’heure au sujet de l’eau potable et des infrastructures en général. Vous avez parlé de vos deux prédécesseurs et du fait que la première a employé le mot « inacceptable » et l’autre l’expression « plus qu’inacceptable ». Si je peux résumer ce que vous décrivez, il est hautement inacceptable que le gouvernement dépense et planifie comme il le fait.

Mis à part les commentaires et les encouragements que nous pourrions inclure dans ce rapport, pourriez-vous nous mentionner toute autre chose que nous pourrions recommander afin de renforcer la notion d’urgence de la question des infrastructures et de souligner l’incapacité totale du gouvernement à élaborer des plans au cours des dernières décennies?

Mme Hogan : Pendant que je préparais mes propos liminaires, j’essayais de réfléchir à l’expression que je pourrais employer, et comme vous avez suggéré « hautement inacceptable », j’ai décidé qu’il n’y avait pas d’autres façons de s’exprimer. J’aurais pu en trouver une tonne, mais je ne pense pas que cela aiderait au changement. Peu importe le nombre de mots tranchants employés, la question demeure de savoir ce qui se passe ensuite.

En ce qui a trait aux infrastructures, j’ai eu des discussions avec les gens de Services aux Autochtones Canada au sujet de la nouvelle approche envisagée par le ministère, selon laquelle les communautés décideront de leurs priorités en matière d’infrastructures. Bien que ce soit excellent en principe, tant que vous n’aurez pas changé la façon de répartir les fonds en fonction des programmes — je déteste parler de phénomène de « cloisonnement », mais c’est l’impression que j’ai —, vous ne favoriserez pas le changement.

Si vous attendez que les communautés se désignent ou lèvent la main, alors nous avons un problème. Premièrement, elles ne sont pas forcément au courant des fonds disponibles; deuxièmement, si elles le sont, elles n’ont pas nécessairement la capacité de s’occuper de la paperasse nécessaire pour y avoir accès. Elles pourraient aussi être découragées par le fait que, comme je l’ai mentionné dans le rapport sur la gestion des urgences, il faut près d’un quart de siècle avant qu’un programme puisse être financé même s’il a été approuvé.

Il est clair qu’il faut faire quelque chose de différent. Je vous encourage à mettre Services aux Autochtones Canada au défi de venir à la table en partenariat avec toutes les communautés. Le ministère doit être plus proactif pour s’assurer que toutes les communautés sont entendues.

L’une de nos préoccupations dans ce rapport était que Services aux Autochtones Canada n’avait pas encore identifié ceux qui avaient le plus besoin de plus de soutien pour gérer les dossiers. Une communauté de Premières Nations devrait d’abord intervenir en cas d’urgence, et si elle manque de moyens pour le faire, elle devrait demander de l’aide. Comme le ministère ignorait qui en avait le plus besoin, il pouvait envisager des investissements limités.

Il n’est pas question de demander des budgets illimités. Il s’agit de cibler les communautés qui en ont le plus besoin en premier et de renforcer leur capacité à s’entraider par la suite.

Je pense qu’il s’agit d’une approche différente que je n’ai pas encore constatée parce que tout reste cloisonné. Je vous encourage à favoriser le changement à cet égard.

Le président : Le temps alloué à ce groupe est écoulé. Je remercie Mme Hogan et M. Wheeler de s’être joints à nous ce soir.

Dans notre dernier groupe de témoins de ce soir, nous entendrons Ivan Zinger, enquêteur correctionnel du Canada.

Wela’lin, merci, monsieur Zinger, d’être ici ce soir. Vous disposerez d’environ cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire, qui sera suivie d’une période de questions d’environ cinq minutes par sénateur.

En raison de contraintes de temps, je vous invite à faire en sorte que les échanges soient brefs et précis. Pour éviter de couper ou d’interrompre qui que ce soit, je vous ferai signe quand il vous restera une minute.

Monsieur Zinger, je vous invite maintenant à faire votre déclaration préliminaire.

Ivan Zinger, enquêteur correctionnel du Canada, Bureau de l’enquêteur correctionnel : Je remercie les membres du comité de m’avoir invité. C’était très gentil, et je suis heureux d’être ici. Je pensais faire quelque chose de différent aujourd’hui. Je vous ai fourni une copie d’une présentation en PowerPoint, et je vais passer en revue certaines des diapositives et j’espère que vous avez une trousse d’information complète.

Avec la deuxième diapositive, je vais vous mettre les services correctionnels fédéraux en contexte. Comme vous le savez, les services correctionnels, en général, partout dans le monde, sont une grosse affaire et c’est certainement le cas pour le Service correctionnel du Canada. Celui-ci dispose d’un budget très impressionnant de 2,9 milliards de dollars pour gérer quelque 12 500 détenus dont 9 000 environ qui sont sous le coup d’une forme de libération conditionnelle ou de mise en liberté sous condition. Le service gère environ 43 pénitenciers comptant 19 000 employés, et elle a probablement le ratio gardiens‑détenus le plus élevé au monde avec 1,2 prisonnier par surveillant. C’est sans équivalent dans le monde, et nous devrions y porter attention. En fait, environ 40 % des pénitenciers comptent en fait plus d’agents correctionnels que de détenus, ce qui est assez extraordinaire. Je n’ai absolument aucun problème à dépenser beaucoup d’argent pour des priorités, et les prisons doivent faire partie des priorités. Mais en tant que citoyen canadien, que contribuable et qu’enquêteur correctionnel, il faut s’attendre à un très bon rendement du capital investi. Je m’attendrais à des résultats exceptionnels sur le plan carcéral ainsi qu’à des pratiques exemplaires dans chaque secteur d’activité du SCC, mais ce n’est tout simplement pas le cas.

Il y a aussi une quantité extraordinaire de cellules vides dans le système à l’heure actuelle — 4 000 —, ce qui équivaut à environ huit pénitenciers vides. Cela en dit long sur leur gestion. Enfin, pour ce qui est des ressources, il en coûte officiellement environ 126 000 $ par détenu par année. Malheureusement, si vous faites un petit calcul, vous devrez ajouter 100 000 $ parce que les chiffres officiels ne comprennent pas les frais généraux, comme l’administration centrale ou les cinq administrations régionales. Il ne faut pas l’oublier.

[Français]

En ce qui a trait à mon rôle et à mon mandat, le bureau a été créé en 1973 et je suis l’ombudsman responsable d’enquêter sur les plaintes des détenus qui purgent des condamnations de deux ans ou plus. J’ai des pouvoirs d’enquête énormes. Par contre, en ce qui a trait aux recommandations, mon autorité est limitée. Tout cela peut fonctionner, évidemment, si l’agence qui est assujettie à ma supervision externe appuie mes recommandations, et cela peut fonctionner très bien. Cela fonctionne moins bien s’il y a un manque de cohérence en ce qui concerne la capacité du service à accepter mes recommandations. En ce qui a trait aux statistiques — je suis à la page 4 du document —, on enquête sur près de 5 000 plaintes. Grâce à un budget de 5 millions de dollars et à une quarantaine d’employés, on fait plus de 1 000 examens sur l’utilisation de la force, et on fait aussi toutes les enquêtes relatives aux décès dans les établissements, par exemple.

[Traduction]

Permettez-moi maintenant de parler des priorités actuelles et futures. Les services correctionnels pour les Autochtones sont une priorité de notre bureau depuis 1973. Nous avons formulé plus de 70 recommandations au commissaire du Service correctionnel, au ministre de la Sécurité publique et au gouvernement du Canada.

Mon dernier rapport annuel, celui-là, qui a été déposé le 1er novembre, comprend la première partie d’une mise à jour en deux temps sur les progrès réalisés depuis le dépôt d’un rapport spécial intitulé Une question de spiritualité — Les peuples autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Nous travaillons actuellement à la deuxième partie, qui constituera le gros morceau de notre rapport annuel de l’an prochain.

Je terminerai en vous donnant un aperçu des défis auxquels font face les services correctionnels fédéraux. Après 10 ans, des améliorations marginales ont été réalisées dans le sens des résultats visés, mais sur des aspects pour lesquels le Service correctionnel avait une influence. Il n’a aucune influence sur les personnes qui entrent dans les pénitenciers. Permettez-moi de vous en faire la lecture, car je veux m’assurer qu’elles figurent au compte rendu.

On constate toujours une surreprésentation disproportionnée dans les établissements fédéraux par rapport à la société. Nous en sommes maintenant à 32 %, et ce pourcentage ne cesse d’augmenter année après année et certainement, depuis 30 ans. Lors du dernier exercice, les Autochtones ont été plus susceptibles que d’autres de recourir à la force, ils étaient surreprésentés dans les établissements à sécurité maximale, surreprésentés dans les unités d’intervention structurée — soit les nouvelles installations d’isolement préventif —, ils étaient plus susceptibles d’être étiquetés comme membres de gangs; plus susceptibles de s’automutiler, de commettre des tentatives de suicide et d’aboutir dans ces tentatives. De plus, un plus grand nombre de délinquants autochtones purgent une peine d’emprisonnement que des non-Autochtones. Chez eux, les taux de récidive et de révocation de la libération conditionnelle sont plus élevés. Dans le cas des femmes, la situation est encore plus grave et la surreprésentation atteint maintenant 50 %. Les femmes autochtones sont également surreprésentées dans les unités à sécurité maximale, ce qui correspond aux anciennes conditions d’isolement préventif. Elles sont aussi sous-représentées, comme nous l’avons indiqué dans notre rapport annuel, dans le rapport mère-enfant. Je vais en rester là. Merci.

Le président : Merci, monsieur Zinger. Avant de passer aux questions des sénateurs, je rappelle à tout le monde de ne pas parler trop près du microphone ou de ne pas retirer votre oreillette si vous le faites. Nous allons maintenant passer aux questions.

La sénatrice Pate : Merci, monsieur Zinger, d’être ici avec nous. Je voulais vérifier une autre statistique qui ne figure pas dans votre rapport et que je viens de voir dans un document du comité consultatif ministériel. Selon vous, 76 % des femmes dans les unités d’intervention structurée sont des Autochtones? Je ne fais qu’ajouter aux statistiques.

M. Zinger : Oui, je pense que c’est à peu près cela. Absolument, elles sont nettement surreprésentées.

La sénatrice Pate : J’ai remarqué que les diapositives suivantes traitent des articles 81 et 84. Vous et moi sommes, malheureusement ou heureusement, assez vieux pour avoir été là quand des comités comme celui-ci ont étudié la loi au début des années 1990. Lorsque la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition a été mise en œuvre, j’avais cru comprendre que les articles 81 et 84 avaient été mis en place pour s’attaquer à ce qui était déjà considéré comme une crise de surincarcération des Autochtones, et j’aimerais savoir ce que vous en avez pensé, vous. À l’époque, les Autochtones représentaient environ 10 % de la population carcérale. L’idée était qu’en vertu de l’article 81, la gouvernance et la souveraineté des Premières Nations seraient reconnues et que les individus pourraient purger la partie de leur peine en prison dans la collectivité en vertu de l’article 81 et la partie de la libération conditionnelle dans la collectivité en vertu de l’article 84.

Depuis, le Service correctionnel du Canada a resserré ses politiques et n’a fait que... Eh bien, l’article 84 est très limité, mais les deux n’ont été accessibles qu’à un seul établissement à sécurité minimale, même si cela ne faisait pas partie de l’intention de la loi. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet, nous parler des tendances que vous entrevoyez et du fait que le gouvernement ne financera que des initiatives permettant l’accès à des établissements à sécurité minimale? Parlez-nous du nombre de pavillons comme la Maison de ressourcement Buffalo Sage? Quand cet établissement a ouvert ses portes, aucune femme autochtone n’y était admissible en raison de la façon dont la politique avait été établie par le Service correctionnel du Canada.

M. Zinger : Vous avez tout à fait raison. Ces dispositions ont été promulguées en 1992 par le gouvernement Mulroney et elles étaient révolutionnaires. Partout dans le monde, les gens considéraient le Canada comme un pays très progressiste, un gouvernement très réfléchi désirant régler le problème de la surreprésentation des Autochtones qui était d’environ 15 %, je crois, et qui est maintenant de près de 32 %.

Je peux vous dire que beaucoup de choses ont bougé et que nous espérons que ces dispositions seront entièrement mises en œuvre par le Service correctionnel du Canada. C’est vrai qu’au départ, le Service correctionnel du Canada a consacré beaucoup de temps à chercher à intéresser différentes communautés et qu’il a investi dans des communautés autochtones n’ayant pas la capacité, mais qui auraient pu l’avoir ou qui avaient une capacité limitée. C’est ainsi qu’il a été possible d’ouvrir un nombre appréciable de pavillons de ressourcement sous gestion assurée en partie par ces communautés et en partie en vertu des dispositions de la loi en vertu desquelles le ministre de la Sécurité publique pouvait conclure des ententes avec ces communautés ou groupes autochtones. Mais tout s’est mis à stagner vers l’an 2000. Nous avons documenté ce qui s’est passé à l’époque, dans notre rapport Une question de spiritualité, soit que le Service correctionnel du Canada a décidé de retirer tout le financement et de réinvestir les fonds, en quelque sorte, dans les services correctionnels, puis il a commencé à financer les unités des Sentiers autochtones. On a donc mis l’accent sur les services correctionnels communautaires, puis, à partir de 2000, on est passé aux services correctionnels institutionnels.

Depuis, et j’ai les chiffres ici, au cours des 10 dernières années, une seule institution a été ouverte aux termes de l’article 81. L’application de l’article 81 relève des communautés autochtones. Au moment où nous avons rédigé ce rapport, le taux de vacance dans les établissements était d’environ 50 %, bien qu’il n’y ait eu que très peu de lits au départ et que la demande soit forte parce qu’il y a environ 4 000 hommes et femmes autochtones incarcérés au niveau fédéral.

C’est un échec sur le plan de la mise en œuvre, un échec majeur, et j’ai formulé des recommandations à ce propos.

Je crois avoir recommandé, il y a quatre ans environ, que le service affecte une partie importante de son budget au financement de l’application des articles 81 et 84. Les médias m’ont finalement demandé ce que j’entendais par « important ». Au vu des 2,9 milliards de dollars, j’ai dit qu’il fallait trouver un chiffre, commencer par 500 millions de dollars, et j’ai bien dit sur une période de 10 ans pour renforcer cette capacité. Cela pourrait se faire sans perte d’emplois, simplement par une élimination naturelle des effectifs et être accompagné de l’engagement de donner aux groupes et aux communautés autochtones les moyens de s’occuper des soins et de la garde des Autochtones.

Le président : Monsieur Zinger, vous avez demandé la création d’un poste de sous-commissaire des services correctionnels pour Autochtones au sein du Service correctionnel du Canada. Quel serait le rôle de ce sous-commissaire et comment le gouvernement fédéral a-t-il réagi à cette recommandation?

M. Zinger : Merci, monsieur le président. Cela fait plus de 12 ans que nous faisons cette recommandation, et elle a finalement été reprise par plusieurs comités parlementaires fédéraux qui ont répété la nécessité qu’un sous-commissaire siège à la table de gouvernance du Service correctionnel du Canada. La recommandation a été reprise par l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et, après moult pressions, le Service correctionnel du Canada a finalement cédé et a décidé de lancer un concours pour doter le poste. J’ai été frappé par la première tentative qui visait simplement à recruter au sein du Service correctionnel du Canada. Quelqu’un a fini par décider que le poste devait être affiché à l’externe. C’était au moins une bonne chose, mais nous avons également remarqué que celui-ci est équivalent à un poste de directeur général, à un poste EX3 au gouvernement et que ce poste existait déjà. Alors il semble qu’il s’agisse simplement d’une nouvelle désignation d’un poste existant. Il s’agissait du poste de directeur général, Direction générale des initiatives pour les Autochtones, mais je crois comprendre que cette personne siégerait au comité de direction et qu’elle aurait dû se situer au niveau de sous-ministre adjoint, un niveau EX4, ce qui lui aurait conféré la même influence que ses collègues à la table.

Le président : Merci, monsieur Zinger.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup pour votre exposé, monsieur Zinger.

J’allais poser une question au sujet du sous-commissaire, mais je vais passer à l’un de vos appels à une réforme systémique, à l’appel no 7, où vous parlez d’initiatives gouvernementales comme la Stratégie de la justice applicable aux Autochtones et le Cadre fédéral pour réduire la récidive. Pourriez-vous nous parler davantage de ce que cela implique?

M. Zinger : Oui, j’ai adressé la dernière recommandation de ce rapport au ministre de la Justice pour veiller à ce que les services correctionnels soient pris en compte dans cette stratégie globale.

Comme il s’agit d’une initiative que pilote le ministère de la Justice, je crains que celui-ci se concentre surtout sur des choses qu’il connaît, comme la réforme du cautionnement ou des tribunaux Gladue, ou peut-être la réforme des condamnations avec sursis ou des choses du genre, ou encore des solutions de rechange à l’emprisonnement.

Mais je pense que les services correctionnels ont un rôle important à jouer dans cette stratégie et nous avons reçu une réponse positive de la part du ministère de la Justice. Comme vous le savez, le Cadre fédéral pour réduire la récidive est défini dans un projet de loi qui a été adopté, et j’espère qu’il n’y a que... Nous en sommes presque à l’étape de la consultation, mais j’aimerais que l’on s’engage fermement à suivre l’évolution des taux de récidive, parce qu’ils sont épouvantables. Ce n’est qu’à la suite d’une recommandation que nous avons faite, il y a trois ans environ, que les services correctionnels ont finalement mené une étude qui a montré que les taux de récidive sont très élevés. On parle d’un taux de récidive d’environ 38 % au chapitre de la violence et de 60 % dans le cas des Autochtones. Nous devons donc suivre la situation de près et avoir de bonnes données pour pouvoir rajuster le service, et le gouvernement du Canada ne peut correctement rajuster ses investissements et ses stratégies s’il n’améliore pas ces taux terribles que nous avons vus jusqu’à maintenant.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Comme vous le savez, j’ai passé beaucoup de temps dans le milieu des pavillons de ressourcement, pour avoir travaillé au Centre de guérison Stan Daniels et à la Maison de ressourcement Buffalo Sage. Pour ajouter à ce que vous avez dit, je précise qu’en 1999, le sous‑commissaire du service correctionnel des Prairies m’a dit, ainsi qu’au PDG des services de counseling autochtones de l’Alberta, qu’il avait obtenu les statistiques sur le baby-boom des Premières Nations, des Inuits et des Métis que l’on était en train de découvrir au Canada, tandis qu’on s’apprêtait à la poussée de cette nouvelle génération d’Autochtones. En réaction, le SCC a planifié la construction de prisons, vers l’an 2000, et cela demeure un objectif du Service correctionnel du Canada.

Pour en venir à votre question sur le nombre de lits, il est vrai que nous avons maintenant un peu plus de pavillons de ressourcement, mais pas en nombre suffisant pour vraiment contribuer à la guérison des traumatismes historiques, même si certains affichent parmi les meilleurs taux de réinsertion au Canada. Toutefois, le SCC veille à ce que tous ses lits soient occupés avant de remplir un lit de pavillon de ressourcement. Il veille à ce que tout son personnel soit pleinement occupé, même s’il a conclu des contrats par lit avec des pavillons de ressourcement. Le paiement se fait donc par lit occupé et, quand la moitié des lits de certains pavillons de ressourcement sont vides, cela veut dire que l’organisme sans but lucratif est touché et qu’il accuse fort probablement un déficit à cause de places vides, tandis que le SCC, lui, veille à ce que toutes les places dans ses prisons le soient.

Pouvez-vous nous en dire plus des désavantages auxquels sont confrontés les pavillons de ressourcement à cause de leur formule de financement? Ce financement n’est pas dynamique, il est statique, ce qui est nouveau pour le mouvement des pavillons de ressourcement. Quels conseils leur donneriez-vous face à ce parti pris, voire ce racisme systémique dans la façon dont ils sont traités?

M. Zinger : Mon bureau a recueilli deux séries de statistiques. La première est très troublante. En 2013, quand nous avons parachevé le rapport Une question de spiritualité, nous avons découvert que, pour la même quantité de services et les mêmes attentes, les pavillons de ressourcement exploités par des groupes autochtones et financés par le Service correctionnel du Canada percevaient 62 cents par dollar, ce qui représente un gros écart.

Si vous vous rendez dans les pavillons de ressourcement, vous verrez que bon nombre d’entre eux sont en état de décrépitude, comparativement à ceux gérés par le Service correctionnel du Canada, et qu’ils mériteraient un important investissement au titre des infrastructures. J’ai d’ailleurs été très heureux de participer à un article du Globe and Mail sur la maison Stan Daniels. Les pavillons exploités par le SCC représentent un progrès important sur le plan de la qualité des infrastructures. Voilà donc pour les premières statistiques.

La deuxième série de statistiques ne confirme pas ce que vous venez de dire. À l’examen des taux de vacance, il ne nous a pas semblé qu’il y a une grande différence entre les taux de vacance dans les pavillons de ressourcement exploités par le service et les pavillons de ressourcement exploités en vertu de l’article 81.

Le problème tient en partie au taux de vacance très élevé dans les établissements à sécurité minimale gérés par le service. Les maisons de transition ou les pavillons de ressourcement n’ont pas grand intérêt à libérer leurs pensionnaires parce qu’ils risquent de se retrouver à court de prisonniers. Je pense que cela mérite d’être approfondi. Les établissements se sentent obligés de retenir un minimum de pensionnaires parce qu’ils doivent justifier des niveaux de dotation en personnel extraordinairement élevés.

Encore une fois, les niveaux de dotation dans les pénitenciers canadiens sont probablement les plus élevés au monde. Ne l’oublions pas.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci de la précision. Je voulais parler du transfert de détenus d’un établissement à sécurité moyenne à un pavillon de ressourcement où ils seraient reclassifiés. Des détenus, se trouvant actuellement dans des établissements à sécurité moyenne, ne sont pas reclassifiés en tant que détenus à sécurité minimale, ce qui rend impossible leur transfert dans un pavillon de ressourcement.

La sénatrice Pate : Cela nous ramène exactement à ce dont nous parlions tout à l’heure. Selon la politique du SCC, les détenus doivent être dans un établissement à sécurité minimale pour pouvoir être admis dans un pavillon de ressourcement. Quand le premier pavillon de ressourcement pour femmes a été ouvert, le pavillon de ressourcement Okimaw Ohci, il était prévu que la réserve prendrait la relève de l’administration des lieux. Vous vous souviendrez probablement qu’on y avait créé une unité d’isolement baptisée « pavillon de sécurité » censée accueillir des femmes à tous les niveaux de sécurité. Cela a évolué très rapidement et le projet ne s’est pas concrétisé.

Je souhaite que nous parlions de la question du niveau de sécurité. La question de la surclassification des détenus est traitée dans ce rapport et dans celui de la vérificatrice générale, surtout en ce qui concerne les Autochtones et les femmes autochtones.

Pourriez-vous nous parler de la réaction du Service correctionnel du Canada quand il a embauché brièvement une personne de l’extérieur? Le service a déclaré — et je remarque que cela revient encore une fois devant les tribunaux — avoir engagé Mme Moira Law pour examiner le système de classification des femmes en particulier, après que la Commission des droits de la personne s’est associée avec l’enquêteur correctionnel, la Commission Arbour et d’autres pour dire que le système de classification était discriminatoire sur la base de la race, du sexe et du handicap.

Pourriez-vous nous dire ce que Mme Law a recommandé et quelle a été la réaction du Service correctionnel du Canada? Pouvez-vous nous dire en quoi cela a contribué à la situation actuelle en matière de surincarcération et de surclassification des Autochtones, et des femmes autochtones en particulier?

M. Zinger : Votre première remarque est fondée. L’article 81 du projet de loi ne dit pas qu’un pavillon de ressourcement ne peut être qu’un établissement à sécurité minimale. C’est simplement la façon dont le service l’a interprété et tenté de le mettre en œuvre. Comme je vous l’ai mentionné, l’application de cet article laisse à désirer depuis 1982.

S’agissant de l’évaluation des risques, depuis plus de 20 ans maintenant, nous assistons à une véritable saga en ce qui a trait aux outils de classification ou de reclassification des détenus. Il y a 20 ans, les premières observations semblaient indiquer que les outils utilisés par le service étaient discriminatoires, non valides et non fiables pour certains groupes, y compris pour les Autochtones, ainsi que pour les femmes. Le service les utilise continuellement depuis 20 ans.

Notre bureau le dit depuis plus d’une décennie. Je pense que nous avons commencé à documenter la chose il y a 12 ans. Ce n’est qu’après le jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ewert c. Canada que le service s’est fait dire essentiellement : « Vous devez créer de nouveaux outils fiables et valides pour ces groupes particuliers. »

Le SCC n’a toujours pas répondu comme il fallait. Il a maintenant un contrat en place pour élaborer un tel outil, mais il s’appuie toujours sur un autre outil, l’Échelle de classement par niveau de sécurité, qui est discriminatoire à l’égard des Autochtones et qui les surclassifie. Le niveau d’inertie et de manque de réactivité du service dans ce dossier est extraordinaire.

Je suis au courant du travail de Moira Law, que je trouve très intelligent, et c’est quelque chose que le service devrait certainement envisager, mais il est probablement peu disposé à le faire. L’idée est qu’au lieu de considérer le risque et de fausser le jeu a priori contre la personne, on lui dise : « Vous allez entrer dans un établissement à sécurité minimale, mais si votre comportement n’est pas acceptable et que vous ne vous comportez pas comme il faut, nous vous placerons dans un établissement de catégorie de sécurité supérieure. » Cela par opposition à un discours consistant à dire : « Nous savons qui vous êtes vraiment et nous allons vous placer dans la zone de sécurité maximum. Si vous vous comportez bien, nous vous passerons à une catégorie inférieure. »

Nous avons constaté que, dans les unités de garde en milieu fermé et dans les établissements pour femmes, certaines femmes sont en crise. Elles sont en détresse psychologique; elles font face à toutes sortes de problèmes. Plus on veut contrôler et restreindre, plus elles dérapent et plus elles aboutissent dans des unités d’intervention structurée, ou UIS, à sécurité supérieure.

Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’on devrait envisager a priori la détention à sécurité minimale et que les détenus devraient être placés dans des établissements à ce niveau. Ce n’est qu’en cas de problèmes que le niveau de sécurité serait augmenté.

Ce serait certainement plus compatible avec les choix envisagés aux environs de 1990, et je suis donc d’accord avec vous.

Le président : Monsieur Zinger, pensez-vous qu’il y a des aspects particuliers sur lesquels nous devrions nous pencher à l’avenir?

M. Zinger : Je travaille au bureau depuis 17 ans et je dirige cette organisation depuis six ans. Je trouve extraordinaire qu’un ministère soit autorisé à continuer de fonctionner avec ce niveau de financement et qu’il fasse l’objet, depuis au moins sept ans, de lettres de mandat très claires l’invitant à améliorer ses résultats opérationnels, à se réformer afin d’assurer une garde sécuritaire et humaine, et à se réadapter de sorte à parvenir à exécuter pleinement son mandat en matière de sécurité publique.

Je pense que ce ministère devrait soumettre ses programmes à une sorte d’examen externe. Je ne peux pas parler des autres ministères, car c’est celui que je suis chargé d’examiner depuis le début de ma carrière, il y a plus de 25 ans. Il pourrait faire beaucoup mieux s’il entreprenait les réformes hautement nécessaires devant lui permettre d’être le meilleur possible. Nous sommes tellement loin de tout cela, que toute suggestion que vous pourriez formuler relativement à l’examen de ce ministère et à la façon dont il fonctionne serait utile.

Le président : Merci, monsieur Zinger.

La sénatrice Pate : C’était aussi une question de surveillance. Vous avez prévu ce que j’allais demander.

Votre bureau a recommandé des modifications à apporter à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Vous savez que le Sénat a apporté au projet de loi C-83 des amendements qui ont été rejetés par la Chambre des communes, mais qui ont été présentés de nouveau sous la forme d’un projet de loi d’initiative parlementaire sur lequel la regrettée sénatrice Josée Forest-Niesing et moi avons travaillé. Il prévoit un contrôle judiciaire à la façon de ce que vous avez recommandé.

Y a-t-il un autre mécanisme qui, selon vous, pourrait obliger le Service correctionnel du Canada à rendre des comptes, compte tenu de votre expérience avec le Service correctionnel à ce jour?

M. Zinger : Compte tenu de l’attitude méprisante du SCC — pas seulement vis-à-vis de mes recommandations, mais aussi vis‑à-vis des lettres de mandat du premier ministre ou du ministre de la Sécurité publique —, je crois que le Canada serait mieux servi s’il appliquait la formule de financement des poursuites pour violation des droits civils en vigueur aux États‑Unis. Et je ne vous dis pas tout cela uniquement au sujet du Service correctionnel du Canada.

Une loi fédérale américaine dit essentiellement que, si un tribunal conclut qu’un gouvernement a enfreint des droits civils, il doit payer des frais juridiques raisonnables. Cela a essentiellement permis à l’American Civil Liberties Union d’avoir une présence dans tous les États américains.

Je pense que le Canada serait mieux servi si nous pouvions procéder à ce genre de réforme, parce qu’il est évident que l’aide juridique ne permet pas de s’assurer que les causes sont entendues et que les jugements donnent lieu à des changements efficaces. Si mon bureau peut appliquer des correctifs informels pouvant être inefficaces, c’est qu’il convient de soumettre le système officiel, c’est-à-dire le système judiciaire, à un examen, et d’analyser les lacunes qu’il présente en vue de le soumettre éventuellement à des réformes.

Le président : Et voilà, nous en avons terminé avec ce témoin. Merci, monsieur Zinger, de votre témoignage.

(La séance est levée.)

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