LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 1er novembre 2023
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 45 (HE), afin d’étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones, et, à huis clos, pour l’étude d’une ébauche de rapport.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, j’aimerais commencer par reconnaître que nous nous réunissons sur le territoire ancestral traditionnel et non cédé de la nation algonquine anishinaabe, qui abrite maintenant de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits de toute l’île de la Tortue.
Je suis le sénateur micmac Brian Francis d’Epekwitk, aussi appelé Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du comité des peuples autochtones.
Avant de commencer notre réunion, j’inviterai les membres du comité à se présenter en disant leur nom et leur province ou territoire.
La sénatrice Hartling : Nancy Hartling du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta, territoire visé par le Traité no 7.
La sénatrice Busson : Bienvenue. Je suis Bev Busson de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Duncan : Bonsoir, bienvenue. Je m’appelle Pat Duncan et je suis sénatrice pour le Yukon.
Le sénateur D. Patterson : Bonsoir. Dennis Patterson, sénateur pour le Nunavut dans l’Inuit Nunangat.
Le président : Merci sénateurs et sénatrices. Aujourd’hui, nous poursuivons la série de séances qui visent à informer et à orienter l’avenir du comité. Avant de procéder, je tiens à souligner que le contenu de la réunion concerne les pensionnats autochtones, ce que certains pourraient trouver pénible. Toute personne qui a besoin d’aide peut recevoir du soutien en tout temps, sans frais, à la ligne d’écoute téléphonique nationale de Résolution des questions des pensionnats indiens, au 1-866-925-4419, et à la Ligne d’écoute d’espoir pour le mieux-être au 1-800-721-0066 ou à l’adresse www.hopeforwellness.ca.
J’aimerais maintenant vous donner quelques renseignements concernant la journée d’aujourd’hui. Vous vous rappellerez peut-être que, en mars dernier, le comité des peuples autochtones a entendu le Centre national pour la vérité et la réconciliation et le Bureau de l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens concernant leur travail respectif honorant, amplifiant et dévoilant la vérité au sujet du système de pensionnats et ses conséquences douloureuses et durables.
En fonction de ce témoignage, le 19 juillet, le comité des peuples autochtones a publié un rapport provisoire intitulé « Honorer les enfants qui ne sont jamais rentrés auprès des leurs : vérité, éducation et réconciliation ».
Pendant la réunion de ce soir, nous continuerons d’entendre des témoins sur ce sujet important. J’aimerais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. Cheffe Erica Beaudin, de la Première Nation Cowessess, Wela’lin, merci de vous joindre à nous. Nous recevons un membre de la Nation crie de Chisasibi, la cheffe Gertie Neacappo. Merci à vous également de vous joindre à nous.
Les témoins présenteront chacun une déclaration liminaire d’environ cinq minutes, suivie d’une séance de questions et de réponses avec les sénateurs. J’invite maintenant la cheffe Beaudin à présenter sa déclaration liminaire.
Erica Beaudin, cheffe, Première Nation Cowessess : Bonsoir, monsieur le président, monsieur le vice-président et honorables sénateurs et sénatrices. Comme mentionné, je suis Erica Beaudin, cheffe de la Première Nation Cowessess. Je vous remercie de me fournir cette occasion de présenter au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones un exposé au nom de la Première Nation Cowessess portant sur les pensionnats autochtones.
Je ferai des références particulières aux besoins des Premières Nations et à l’expérience vécue par nos équipes de recherche en vue d’accéder aux dossiers dont nous avons besoin pour identifier les enfants disparus dans les tombes et les sépultures anonymes associées aux pensionnats autochtones.
Je commence ma déclaration en me solidarisant avec l’interlocutrice spéciale pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes et avec les Aînés, les gardiens du savoir et les survivants d’un bout à l’autre du pays pour reconnaître la nature sacrée du travail que suppose la découverte de l’identité et de la localisation de nos enfants disparus.
Mes commentaires portent sur le pensionnat indien de Marieval, qui a ouvert ses portes en décembre 1898 dans la Première Nation Cowessess et a fonctionné en tant que pensionnat jusqu’à sa fermeture en 1997. Tout au long de cette période de 99 ans, des élèves de 26 Premières Nations de la Saskatchewan, du Manitoba, de l’Alberta et de l’Ontario ont fréquenté le pensionnat de Marieval. De nombreux étudiants métis l’ont également fréquenté.
J’ai moi-même fréquenté une école de jour, tandis que ma mère et ses frères et sœurs fréquentaient l’école de Marieval et d’autres écoles autochtones, selon ce que l’agent des Indiens décidait, de même que mon mosom et ma kohkom, qui ont également fréquenté l’école industrielle de Marieval. Mes grands-parents, comme de nombreux membres de ma famille, marchent aujourd’hui avec nos ancêtres, et ceux qui sont encore en vie continuent de vivre avec les effets et les conséquences intergénérationnelles de cette institution.
En 2021, une équipe de recherche a été mise sur pied dans la Première Nation Cowessess pour effectuer une recherche sur les tombes anonymes censées se trouver dans le cimetière adjacent à l’ancien pensionnat indien de Marieval. Une église catholique romaine y célébrait des offices pour les Premières Nations et les villes et collectivités rurales avoisinantes. En tant que cimetière paroissial, le lieu de sépulture se trouve aujourd’hui dans la Première Nation Cowessess et comprend des membres de notre communauté, nos ancêtres, d’anciens élèves de l’école, des membres de la communauté métisse de Marieval et des personnes des collectivités environnantes. Il s’agit d’une situation unique, mais nous sommes néanmoins honorés d’être les gardiens des êtres chers de tant de personnes en plus des nôtres.
En juin 2021, la Première Nation Cowessess a annoncé qu’il y avait potentiellement 751 tombes anonymes à l’intérieur et à proximité du cimetière. Elles ont été repérées à l’aide d’un géoradar. Depuis, on a poursuivi les recherches avec plusieurs buts interreliés, y compris la collecte et la documentation de tous les renseignements pertinents liés au cimetière et aux sites funéraires, la collaboration avec les anciens élèves, les victimes, les aînés, les gardiens du savoir et les membres de la collectivité pour repérer les tombes; tout ce que nous pouvons faire en tant que nation est d’aider les familles à tourner la page et à guérir.
Dans le cadre du projet sur les sépultures, on a utilisé toutes les méthodes scientifiques possibles pour trouver les tombes anonymes et entreprendre les recherches nécessaires pour mettre un nom sur ces tombes, comme le géoradar, les archives historiques des églises, les chiens détecteurs de cadavres et le S4, qui est la spectroscopie scientifique des sous-sols et des sols.
Notre équipe de recherche a établi des partenariats avec le département d’archéologie de l’Université de la Saskatchewan et la Polytechnique de la Saskatchewan, qui possèdent une expertise en matière de radar à pénétration de sol. La recherche est en cours, et les dossiers sont tenus par le Centre national pour la vérité et la réconciliation, Bibliothèque et Archives Canada et les registres des oblats conservés à Saint-Boniface. Nous avons établi un partenariat avec le département de langue française de l’Université de Regina, qui travaille avec nous pour traduire et analyser les registres des oblats.
Cette initiative confère à la Première Nation Cowessess un pouvoir décisionnel et nous permet de déterminer la marche à suivre. Même si le processus utilise tous les outils scientifiques et de recherche disponibles, le processus scientifique est géré avec le plus grand respect pour les survivants du système de pensionnats autochtones.
L’équipe du projet collabore avec toutes les parties prenantes pour identifier les récits, les vérités et les renseignements fournis par les survivants et les garder strictement confidentiels. Notre but ultime est de recenser toutes les tombes anonymes et d’inscrire des noms sur le plus grand nombre possible d’entre elles, afin d’honorer les enfants et les autres personnes qui reposent dans notre communauté.
Dans le cadre de ce travail, nous avons dû faire face à de nombreuses difficultés, y compris à des données et à des renseignements datant de la fin des années 1890, la plupart des institutions détenant nos renseignements étant situées à l’extérieur de la province. Les registres détenus par le Centre national pour la vérité et la réconciliation, le CNVR, sont fiables et utiles, mais il est difficile de parcourir sa base de données, et les ententes et les processus d’accès doivent reconnaître et respecter les principes de PCAP, à savoir de propriété, de contrôle, d’accès et de possession des Premières Nations. Bibliothèque et Archives Canada a envoyé un grand nombre de documents pertinents — mais pas tous — au CNVR, et le principal défi lié aux dossiers restants est qu’un grand nombre d’entre eux sont caviardés. Un processus pour accéder aux dossiers complets doit être facilité grâce à la coopération entière de Bibliothèque et Archives Canada.
Le manque de personnel pour les archives est un défi connexe. Les équipes de recherche ne peuvent pas faire leur travail si les documents d’archives ne sont pas catalogués ou mis à la disposition des intéressés.
J’ai mentionné les registres des oblats, qui sont des sources d’information très fiables, pertinentes et précieuses, mais de nombreux documents sont en français, ce qui constitue un obstacle pour les Premières Nations qui ne parlent pas cette langue.
De plus, pour l’essentiel, les registres des oblats ne sont pas catalogués. Ces obstacles entraînent une perte de temps et des recherches coûteuses. Nos équipes de recherche ont besoin de temps et de ressources à long terme pour pouvoir fouiller des documents non catalogués, lesquels, dans le cas qui nous occupe, se trouvent à l’extérieur de la province. Nous pensons qu’il y a d’autres registres de naissance, de baptême, de santé, de décès et de sépulture dans d’autres églises et pour d’autres institutions, comme des hôpitaux et des sanatoriums.
Les pensionnats n’étaient pas des systèmes fermés. Les enfants ont été envoyés dans de nombreux types d’institutions et d’établissements de santé différents, et il est donc essentiel de trouver ces dossiers pour nous permettre d’atteindre notre objectif d’identifier toutes les tombes anonymes et d’honorer les enfants et toutes les autres personnes qui ont été inhumées dans notre communauté.
Bon nombre de ces institutions conservaient nos renseignements au sujet des enfants, mais celles-ci ont été fermées à des moments différents, et il va donc être difficile de trouver l’information. Nous pensons qu’il faudra des années pour obtenir les renseignements nécessaires afin de mettre un nom sur les tombes.
Honorables sénateurs et sénatrices, ce sont les défis que nous devons relever à l’échelle communautaire. Nous savons que le Canada a fait beaucoup au cours des 10 à 15 dernières années pour étudier et prendre des mesures afin de comprendre et de corriger les torts causés par des lois gouvernementales passées dans le génocide des peuples autochtones. Nous savons que nous pouvons passer de la vérité aux réparations et jusqu’à la réconciliation en tant que nation de peuples d’origine, de colons et d’alliés.
Nous sommes nés dans la réalité des répercussions personnelles ou intergénérationnelles que nous vivons quotidiennement, et nous devons nous-mêmes connaître et documenter notre vérité à partir de notre vision du monde et passer à une résurgence ou à une renaissance, si vous voulez. C’est ce dont nous avons besoin pour passer de la survie à l’abondance. Nous assumons cette responsabilité pour ceux dont la vie a été volée ou enlevée trop tôt, nos ancêtres, des survivants et des enfants à naître qui méritent de vivre sans cet héritage négatif.
Je vous remercie de m’avoir permis de vous faire part de nos expériences aujourd’hui. Je termine également en vous remerciant d’avoir entrepris cette étude et en soutenant sans réserve les recommandations formulées dans votre rapport provisoire ainsi que vos efforts pour trouver des moyens de nous aider dans notre travail.
Ensemble, nous raconterons la véritable histoire des terres que nous partageons maintenant, et je pense que notre nation et nos peuples en seront plus forts. Je vous remercie.
Le président : Merci, cheffe Beaudin.
Gertie Neacappo, membre, Nation crie de Chisasibi : Merci. Je n’ai pas vraiment préparé quoi que ce soit pour aujourd’hui parce que j’ai été surprise d’avoir été invitée à la réunion.
Dans notre région, le Nord du Québec, nous venons de commencer la recherche cet été. Nous avons fait appel à une équipe de géoradar. Nous l’avons invitée et avions également une équipe cynophile. Nous venons tout juste de prendre connaissance des rapports de l’équipe cynophile et nous attendons maintenant que l’équipe de géoradar nous fournisse un rapport sur ses découvertes. Voilà où nous en sommes pour l’instant.
Nous espérons pouvoir continuer, parce qu’il fait maintenant froid chez nous. Nous poursuivrons nos recherches l’été prochain. C’est tout ce que je voulais dire.
Le président : Je vous remercie, madame Neacappo. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.
La sénatrice Sorensen : Merci d’être ici. Madame Neacappo, je trouve intéressant ce que vous venez de dire concernant la recherche avec les géoradars et les chiens de recherche.
J’essaie simplement de lire l’information dont je disposais. D’une manière ou d’une autre, les recherches par géoradar ont été interrompues. Les renseignements ont-ils pu être rassemblés? Les fermetures de route causées par les incendies ont empêché une équipe de géoradar d’arriver en même temps que les chiens de recherche. L’équipe a-t-elle pu revenir et faire son travail? Cela a-t-il entraîné une charge financière pour la nation, qui a dû faire revenir l’équipe?
Mme Neacappo : Non, c’était bien. Nous espérions les avoir ensemble. Les équipes de géoradar ne pouvaient pas avoir leur équipement dans l’avion. Elles ne pouvaient pas le mettre sur l’avion.
La sénatrice Sorensen : D’accord. Il s’agit d’une histoire inhabituelle.
Cheffe Beaudin, les églises ont-elles contribué d’une quelconque manière à la recherche des tombes anonymes? J’ai été informée à propos de l’histoire qui a été racontée sur CBC à propos des pierres tombales qui ont été intentionnellement rasées au bulldozer dans les années 1960 dans le cadre d’un étrange acte de représailles. C’est une histoire horrible, et une parmi tant d’autres. C’est intéressant d’entendre parler des gens qui ont aidé avec les tombes anonymes.
Premièrement, est-ce que les églises aident? J’ai posé cette question lors d’une autre séance avec des témoins. Est-ce que le personnel qui travaillait potentiellement aux pensionnats et qui est toujours en vie fournit la moindre information? Ces gens-là étaient présents.
Mme Beaudin : Le Pensionnat indien de Marieval se situait dans la Première Nation de Cowessess. Marieval était composé du pensionnat ainsi que de l’église, du presbytère et du cimetière. Tout cela est catholique romain. Nous avions non seulement les enfants et les jeunes des pensionnats qui fréquentaient l’église, mais également les nations pionnières de toute la région de Marieval, donc de plusieurs villes. C’était différent d’une génération à l’autre.
L’histoire de mes grands-parents est différente de l’histoire de mes parents, qui est également différente de la mienne. J’étais une servante de messe à l’église également et j’étais une servante de messe pour de nombreux offices, notamment les services funèbres. Si quelqu’un est catholique romain, il peut aussi comprendre que, à l’époque, si vous mouriez sans être baptisé, alors vous ne pouviez pas être enterré dans un terrain sacré. Si vous commettiez un suicide, vous ne pouviez pas être enterré sur un terrain sacré. Il y a des zones hors des terrains sacrés où des personnes ont été enterrées. Il y a cet aspect-là.
L’église et le presbytère n’existent plus maintenant, pas plus que le pensionnat. Les membres de la communauté, les membres de la Première Nation de Cowessess et les Autochtones qui ont travaillé pour les pensionnats sont ceux qui étaient toujours en vie lorsque les Indiens contrôlaient l’éducation des Indiens, comme ils l’appelaient. L’Église était déjà partie et, en fait, c’était une perte énorme pour notre communauté. La dame qui s’occupait des dossiers ainsi que de l’église — elle était de notre communauté — est décédée il y a environ quatre mois. Nous avons perdu beaucoup de connaissances lorsqu’elle est décédée.
La sénatrice Sorensen : Je vous remercie. C’est très intéressant.
Le président : Cheffe Beaudin, j’ai une question pour vous. Selon votre expérience, devrait-il y avoir une réponse régionale ou nationale coordonnée pour trouver ces dossiers et retrouver les enfants disparus et les lieux de sépulture possibles, en particulier lorsque de multiples administrations sont en cause?
Mme Beaudin : Absolument. Oui.
Le président : Ensuite, quelles sont les priorités les plus urgentes pour vos communautés en ce qui concerne le soutien, les ressources ou le financement accrus?
Mme Beaudin : Pouvez-vous répéter? Je suis désolée.
Le président : Quelles sont les priorités les plus urgentes pour vos communautés en ce qui concerne le soutien, les ressources ou le financement accrus?
Mme Beaudin : Tout d’abord, nos Aînés, nos gardiens du savoir nous disent qu’il y a plusieurs processus en cours au même moment lorsque vous amorcez un projet de ce genre. Il y a des processus spirituels que nous ne pouvons voir. Il y a des processus communautaires qui se déroulent au sein de notre nation afin de nous soutenir mutuellement, en vue de trouver la vérité et d’avancer.
Ensuite, il y a aussi le domaine de la documentation de notre histoire. À Cowessess, nous avons ce que j’estime être une vérité très intéressante, selon laquelle notre cimetière n’est pas un cimetière de pensionnat; il s’agit d’un cimetière de paroisse. Par conséquent, il y a de nombreux colons dans notre cimetière.
Ainsi, l’histoire de Marieval, qui était celle de Cowessess, et qui est devenue celle de Marieval et est aujourd’hui encore une fois celle de Cowessess, constitue une histoire intéressante d’Autochtones, d’Église et d’État, ainsi que de fermiers, les personnes rurales qui vivaient toutes dans la région. Il y avait absolument un racisme institutionnel. Il y a eu un véritable génocide, si vous voulez. Comme je l’ai dit, la situation a changé d’une génération à l’autre à mesure que l’on montait dans la chaîne, jusqu’à mon époque, où il y avait des externats.
Cela dit — je vous donne la réponse longue qui pourrait être une réponse courte — il faut des ressources financières afin que nous racontions l’histoire de chacune de nos communautés. Je viens de parler un peu de Cowessess qui est passée à Marieval et est de nouveau revenu à Cowessess, mais chaque pensionnat, chaque nation qui est passée par là a sa propre histoire. Non seulement c’est important, mais c’est impératif pour l’identité, pour le bien-être et pour l’abondance que nous racontions la vérité au sujet de chaque communauté et de chaque nation afin que nous honorions la vérité de notre héritage pour la mettre en évidence, mais également pour que nous puissions nous comprendre en tant qu’Autochtones, puis élargir la portée à l’ensemble des Canadiens, pour que nous puissions donner naissance à nos enfants et avoir des petits-enfants et des arrière-petits-enfants qui ne subissent pas les effets intergénérationnels des pensionnats indiens.
Un financement continu en vue de découvrir la vérité et de soutenir les communautés permettra cette décolonisation et nous permettra d’aller au-delà de la situation dans laquelle nous sommes nés, afin que nos futurs enfants n’aient pas à se retrouver avec cet héritage.
Le président : Je vous remercie de cette réponse.
Madame Neacappo, aimeriez-vous ajouter quelque chose?
Mme Neacappo : J’apprends tout simplement. Ils sont avancés comparés à nous. Nous commençons à peine, alors je suis donc en train d’apprendre.
Dans ma communauté, les gens ne connaissent pas vraiment les pensionnats. Nous commençons tout juste. Nous allons organiser un rassemblement en novembre, la semaine prochaine.
Nous manquons de fonds lorsque nous tenons ce genre de rassemblements. Ma sœur est enseignante, et elle souhaite enseigner aux enfants des écoles ce qu’étaient les pensionnats, comment cela nous affecte. Mes défunts parents étaient des survivants. En tant que famille, nous subissons les effets intergénérationnels. J’ai également découvert que les enfants de mon oncle — deux fils — n’étaient pas rentrés à la maison. Ils avaient à peu près l’âge de mon père. Il s’agit d’une chose que j’aimerais découvrir; j’aimerais savoir où ils ont été enterrés. J’aimerais aussi savoir quand ils sont morts et de quelle manière.
Nous devons donc mener davantage de recherches de ce genre. Je sais que nous avons des histoires similaires à la maison.
Le président : Je vous remercie. J’espère que vous trouverez les réponses que vous cherchez.
Mme Beaudin : Puis-je ajouter quelque chose?
Le président : Absolument.
Mme Beaudin : Nous parlons des tombes anonymes. Cependant, quand nous parlons du soutien et des ressources, si nous parlons seulement des tombes anonymes ou en discutons, nous passons à côté d’une énorme partie de ce que nous savons être notre histoire orale en tant qu’Autochtones — la naissance de nos enfants qui sont plus tard incinérés ou noyés. Voilà notre histoire orale qui nous vient également de ma famille. Nous avons grandi en connaissant cette vérité selon laquelle, oui, nous avons des proches dans des tombes anonymes et qu’il existe une possibilité de chercher dans certaines zones au sein de notre communauté. Non seulement au sein de nos pensionnats, mais également au sein d’autres pensionnats autour de nous. Comme je l’ai dit dans mes commentaires, il était très rare qu’un enfant ou un jeune reste dans un pensionnat. Souvent, les enfants et les membres de leur fratrie étaient séparés et ils fréquentaient différents pensionnats.
Lorsque nous parlons de survivants, il n’est pas rare d’entendre qu’ils ont fréquenté deux ou trois pensionnats. Il ne s’agissait pas d’une demande de leurs parents. C’était le choix d’un agent des Indiens de les placer dans différents pensionnats, en particulier pour séparer les familles, les membres de la fratrie.
Par exemple, je suis née dans ces histoires, j’ai grandi en entendant parler des viols, de la violence sexuelle, de ces horribles histoires à propos des grossesses qui en découlent, même au sein de notre propre famille et communauté. J’ai également entendu des histoires au sujet des garçons qui prenaient les enfants et les incinéraient; on leur disait qu’il s’agissait de chats, ou ils les noyaient.
Donc quand nous parlons de ressources, il faut également reconnaître nos vérités que nous ne pourrons jamais prouver, même si nous trouvons les tombes anonymes. Notre réalité, c’est qu’il y a eu de nombreux enfants qui resteront toujours sans nom et sans visage.
Dieu merci, selon notre point de vue, ils sont allés immédiatement retrouver le Créateur, sans baptême.
Le président : Merci, cheffe Beaudin.
La sénatrice Martin : Merci beaucoup de vos témoignages et de votre présence ce soir. Plus j’écoute, plus vos récits et votre histoire deviennent davantage complexes et presque indescriptibles pour moi.
Compte tenu de ce que vous venez de dire, cheffe Beaudin, à propos de l’impact émotionnel et psychologique de tout ce processus sur les survivants et les familles, pouvez-vous parler de la manière dont le soutien en santé mentale est fourni, comment vous composez avec la réouverture de certaines de ces blessures et à quel point le fait de parler davantage de ces histoires et de les partager devient traumatisant? Pourriez-vous nous parler de l’impact sur la santé mentale et du type de soutien dont vous disposez pour votre nation?
Mme Beaudin : Je vais parler de manière très générale, mais je vais passer au moment où nous avons commencé le projet actuel.
Le Canadien moyen se demandera pourquoi les Autochtones... pourquoi le stéréotype de l’Indien sale et paresseux existe, si l’on peut dire. Ce stéréotype est le résultat de l’impact intergénérationnel. Si vous êtes nés dans ce type de violence coloniale — par exemple, nous sommes les seuls à être nés avec des numéros attribués par le gouvernement, encore à ce jour, en tant qu’Indiens inscrits.
Ensuite vous regardez en arrière. Comme je l’ai déclaré, cette violence est souvent très banalisée dans nos communautés. J’ai grandi en entendant ces histoires de membres d’une fratrie... de ma mère et de ma tante qui ne connaissaient même pas leurs frères parce qu’elles n’étaient pas autorisées à leur parler. C’était un péché. Ils fréquentaient des pensionnats différents. L’éclatement de la famille. La séparation des grands-parents. Mon grand-père, mon défunt mosom, qui est le mot cri pour grand-père, était un vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui a servi à l’étranger pendant sept ans et s’est battu pour la liberté de chaque Canadien et est ensuite revenu dans un système où il n’était pas autorisé à quitter la réserve sans l’autorisation de l’agent des Indiens.
Il n’avait aucun contrôle sur ses enfants qui restaient à la maison. Le contrôle était exercé par le prêtre et l’agent des Indiens qui venaient chercher les enfants à chaque rentrée scolaire.
Maintenant, pour revenir à ce que vous disiez, lorsque vous naissez dans cet environnement intergénérationnel, cette violence est normalisée, puis, vous réalisiez que votre vie est ingérable, que vous n’arrivez pas à vous débarrasser de votre dépendance, que vous avez des problèmes mentaux, et tout ce que vous voulez. C’est de cette résurgence et de cette renaissance dont je parle, à propos de la décolonisation ou du retour au temps où nous — en tant que personnes et que communautés — pouvions décider nous-mêmes de la façon d’atteindre l’abondance qui, selon nous, a été créée pour nous par le Créateur.
C’est une combinaison. C’est très personnel, mais c’est aussi communautaire. C’est un mélange de nos pratiques et de nos lois traditionnelles jumelées à des connaissances occidentales sur ce qui nous a été donné et que possèdent maintenant les Autochtones, comme des psychologues et des thérapeutes; nous utilisons les deux méthodes pour aider.
Maintenant, en ce qui concerne le moment où notre communauté, notre nation, a lancé le projet des tombes anonymes, les gens et, une fois de plus, la communauté et notre nation ont eu beaucoup de difficulté à comprendre.
À ce moment-là, il y avait aussi Kamloops et plusieurs facteurs atténuants qui s’ajoutaient aux traumatismes accumulés. Les communautés ont senti le besoin de réagir. Un grand nombre de nos communautés, y compris la nôtre, n’étaient pas prêtes à faire face à tout ce qui a été découvert, tant dans notre communauté que dans les autres nations. Ajoutons à cela la pandémie, notre première pandémie, et l’isolement l’a accompagnée.
Comme nous l’avons dit aujourd’hui, tout comme notre conseil, nos gardiens du savoir, nos ketayaks, nos thérapeutes spécialisés en santé mentale et nos psychologues, nous respectons et appuyons la démarche de chaque personne. Cependant, une fois de plus, les ressources doivent être accessibles, les gens doivent être admissibles et les critères doivent nous permettre, en tant que nations, de décider de la façon de guérir. Ce n’est pas au gouvernement, aux politiques gouvernementales ou aux programmes gouvernementaux de décider si une personne est suffisamment bien pour ne plus avoir besoin de soutien traditionnel ou en santé mentale. Présentement, selon les politiques et les programmes, l’aide s’arrête à un moment bien précis, à moins que vous ne suiviez un autre processus pour obtenir une ou deux séances de plus. Du soutien devrait être accessible toute la vie.
Il nous a fallu de nombreuses générations pour arriver au point où nous en sommes, et il nous en faudra beaucoup d’autres pour arriver à surmonter cet héritage.
La sénatrice Hartling : Merci beaucoup de vous être jointe à nous. Merci de votre leadership, cheffe Beaudin. Vous nous avez donné un bon aperçu de ce qui se passe et de ce qui doit être fait. J’aimerais dire que je déplore vraiment la douleur et la souffrance intergénérationnelles que vous avez connues. Nous sommes ici pour apporter notre soutien et, je l’espère, faire avancer les choses.
Il me semble que vos histoires ont été effacées et que vous découvrez votre vérité. Cela prend déjà beaucoup de courage, mais est d’autant plus difficile compte tenu de tous les obstacles que vous devez surmonter. Pouvez-vous nommer une quelconque réparation, disons de la part des entités catholiques ou du gouvernement, qui vous aiderait à guérir et aiderait votre communauté à aller de l’avant?
Mme Beaudin : C’est très intéressant, parce que j’ai grandi dans la confession catholique. Comme je l’ai dit, j’étais servante d’autel. J’ai en fait été choisie avec une autre personne pour aller au Vatican avec la délégation autochtone pour demander au pape de présenter ses excuses et, lorsque le pape est venu au Canada, j’ai aussi personnellement reçu sa bénédiction.
Pour certaines personnes, ce ne sont pas des choses distinctes. Je n’enlève rien à ceux qui se sont détournés de l’Église. Comme je l’ai dit, chacun suit sa propre démarche, et elle lui appartient; il faut le respecter. En disant cela, je viens de réaliser que j’ai oublié la dernière partie de votre question. Excusez-moi.
La sénatrice Hartling : Je demandais seulement si une forme de réparation pouvait venir des églises, des entités catholiques ou du gouvernement. Peut-on faire quelque chose pour aider les gens à guérir?
Mme Beaudin : Comme je l’ai dit, nous étions catholiques romains. Les pensionnats ne l’étaient pas tous. Ceux de Marieval et de Cowessess l’étaient. Certains survivants ont accordé beaucoup d’importance aux excuses du pape, alors qu’elles ne signifiaient rien pour d’autres.
À Cowessess, notre relation avec l’archevêque, qui habite à Regina, est assez réciproque. Il nous a beaucoup aidés. Il croit à la vérité, à la réparation et à la réconciliation, et il a aidé notre nation de son mieux. Cependant, ce n’est qu’une personne faisant partie d’une institution religieuse très formelle. Il s’est engagé de lui-même. S’il quittait son poste, nous ne savons pas si la personne qui le remplacerait serait aussi dévouée que lui envers notre nation.
Donc, oui, il y a eu réparation, dans la mesure où des relations se sont tissées; c’est mon avis. Cependant, à ma connaissance, il n’y a pas eu de réparation financière de la part de l’Église catholique romaine.
La sénatrice Hartling : Ce serait utile d’avoir cela, surtout après avoir parlé des documents qui doivent être traduits et tout cela. Il manque beaucoup de choses.
Mme Beaudin : Absolument. Encore une fois, c’est une question d’accès à ces dossiers. Monseigneur Bolen, l’archevêque, nous a aidés grandement, dans la mesure de ses compétence; il a aidé les gens de Cowessess à accéder à ces dossiers tels qu’ils sont. Ce qui est intéressant, c’est que je me souviens d’avoir vu ces dossiers quand j’étais une petite fille parce que, je ne sais pas, je devais être une petite intellectuelle ou quelque chose du genre, parce que j’allais m’asseoir avec les sœurs dans le presbytère et elles me montraient les registres qu’elles tenaient. Elles étaient très méticuleuses dans leur tenue de livres. Je dois dire qu’elles avaient aussi les meilleurs biscuits.
La sénatrice Busson : Merci beaucoup à vous deux, comme l’ont dit mes collègues. Le fait que vous nous fassiez part de votre vérité ici nous touche beaucoup et nous commande de comprendre et de bien écouter ce que vous dites... C’est horrible d’entendre votre vérité et de faire partie des colonisateurs qui ont fait tant de dommages épouvantables au sein de vos nations. Je tiens vraiment à vous dire que je comprends cela.
Vous avez toutes les deux beaucoup de pain sur la planche dans vos démarches pour retrouver vos êtres chers. J’ai été frappée par le fait que, comme vous l’avez dit, madame Beaudin, vous avez affaire à 751 tombes anonymes jusqu’à présent. Vous avez dit que vous voulez non seulement retrouver les tombes, mais aussi savoir qui y est enterré.
Le comité a rédigé un rapport et a recommandé que le financement destiné aux enfants disparus des pensionnats, le fonds de soutien aux communautés, soit prolongé jusqu’en 2033. Je ne sais pas si vous le saviez, mais on prévoit maintenant éliminer ce fonds en 2025. Je trouve tout à fait irréaliste qu’il n’y ait plus de fonds disponibles avant que le travail ne soit terminé, du moins, c’est mon point de vue.
J’ai une confession à faire. J’ai déjà été une agente de la GRC. Je ne peux même pas imaginer la quantité de travail qui vous attend quand vous commencerez non seulement à retrouver ces tombes, mais aussi à les identifier. Vous avez beaucoup d’excellents partenaires, comme l’Université de la Saskatchewan, et cetera. Dans le cadre de ce qui, selon moi, sera un immense travail, avez-vous pensé à la possibilité d’utiliser l’identification génétique dans l’avenir? Envisagez-vous la possibilité d’utiliser ces outils pour identifier chacune de ces personnes?
Mme Beaudin : Encore une fois, notre cimetière n’est pas un cimetière de pensionnat. C’est un cimetière communautaire ou paroissial. Nos gardiens du savoir et nos aînés nous ont dit que, selon eux, ce n’est pas quelque chose que la communauté devrait faire. Cela ne veut pas dire que d’autres gardiens du savoir, d’autres nations ou d’autres communautés, ne devraient pas le faire. Comme je l’ai dit, la façon d’aborder et de régler les choses est très personnelle et propre à chaque communauté.
Je ne dirai jamais que, chez nous, nos gardiens du savoir nous ont dit que ce n’est pas la voie à suivre ou que, en fait, une autre communauté ou une autre nation ne devrait pas faire cela. Ce n’est pas une information que j’aimerais donner.
Aussi, encore une fois, je tiens à souligner que les registres ont été assez bien tenus. Même si les pierres tombales ne sont plus là, nous avons une idée générale de la façon dont les gens ont été enterrés, les rangées et de tout le reste, et une assez bonne idée de l’identité de ces personnes. Il n’y aurait pas que des Autochtones; il y aurait aussi des colons établis dans la région. Si nous décidions de nous en remettre à l’ADN, cela nécessiterait la coopération des villages et des hameaux situés autour de ce qui était à l’époque l’église catholique romaine de Marieval.
La sénatrice Busson : Bref, ce ne sera pas facile pour vous deux, peu importe ce que vous décidez de faire. Beaucoup de choses viennent compliquer la situation. Je pense vraiment que les gens manquent de vision à long terme lorsqu’ils parlent de cesser le financement. Vous devriez avoir suffisamment de financement pour atteindre votre vérité. Je voulais simplement le souligner aux fins du compte rendu.
Mme Beaudin : Absolument. Comme l’a mentionné Mme Neacappo, sa nation ne fait que commencer. La nôtre le fait depuis plusieurs années déjà — trois ans, si je ne m’abuse — et d’autres nations n’ont même pas commencé. La date d’échéance me fait très peur. Je crois qu’il s’agit d’une vérité qui concerne le Canada, pas seulement les Autochtones. C’est la vérité du Canada, l’histoire du Canada. Si nous voulons avancer tous ensemble et être forts, nous devons absolument tout reconnaître — les bons et les mauvais côtés — et régler tout cela ensemble afin que la nation soit plus forte que jamais. Si le financement cesse à la date prévue, nous ne trouverons jamais, en tant que nation, la vérité dont nous avons besoin.
Le président : J’ai une question pour vous deux. Pourriez-vous nous parler de l’impact de la violence du négationnisme sur vos communautés respectives? Lorsque les gens nient que cela s’est produit ou qu’ils minimisent les faits, quel est l’impact sur vos communautés?
Mme Neacappo : Je dirais que ça rend notre travail difficile. Nous n’entendons pas beaucoup d’histoires. Je sais que ces histoires existent, mais les gens ne veulent pas les raconter. C’est difficile pour eux de les raconter.
Dans ma collectivité, la drogue et l’alcool sont présents depuis des générations. Mon père était un grand buveur. Aussi loin que je me souvienne, il était tout le temps saoul à en perdre connaissance. Il n’a jamais raconté son histoire à personne. Il a fallu attendre que l’on propose aux gens de déposer des revendications. Au tout début, il ne voulait pas déposer sa revendication. Nous avons dû lui dire de le faire. Il ne voulait pas le faire. C’est là que j’ai su que cela l’avait touché. Il n’en parlait jamais.
Le président : Merci.
Mme Beaudin : Comme je l’ai dit, chez nous, selon mon expérience, je ne connais en fait aucune autre personne autochtone qui n’a pas été touchée par les pensionnats. D’après ce que je sais, le négationnisme que pourraient connaître les personnes autochtones, en tant que peuple, est la conséquence directe sur leur vie de ce qu’elles ont vécu; cela ne veut pas dire que rien de tout cela ne leur est arrivé.
Nous vivons dans ce qui est aujourd’hui la Saskatchewan, une province très conservatrice. On parle de négationnisme externe, mais nous connaissons notre vérité. Nous sommes nés avec notre vérité. Cela est néfaste, je crois, mais peut-être moins pour nous, parce que nous défendons notre vérité et que nous devenons plus forts dans notre vérité en tant que peuple autochtone. Cependant, étant donné que l’identité canadienne évolue et qu’il y a beaucoup de nouveaux Canadiens, de réfugiés et différentes personnes qui viennent au Canada, on raconte notre histoire dans les médias. On raconte notre histoire dans les journaux, les imprimés, en présentant des opinions d’extrême droite sur le négationnisme. C’est ce qui nous nuit, parce qu’on ne raconte pas la vérité de notre nation.
Le Canada est une nation formidable. Je crois que nous avons tous voyagé à l’étranger. Nous savons à quel point nous sommes chanceux. Regardez ce qui arrive en Israël en ce moment même.
Nous savons que, malgré les événements horribles qui se sont produits ici, au Canada, il y a aussi de nombreux avantages à vivre au Canada maintenant. Le négationnisme, c’est lorsqu’on dit : « Vous exagérez » ou « Ce n’est pas arrivé » ou « Comment cela aurait-il pu se produire? », et on en parle dans les journaux imprimés. Il a une incidence, je crois, sur les gens qui viennent d’arriver au Canada et qui acceptent comme vraies les attitudes et les opinions qu’ils lisent et entendent parce qu’elles viennent de ce que l’on pourrait considérer comme des autorités. Cela perpétue les mensonges, et c’est ce qui est néfaste. Le négationnisme est néfaste. Il l’est moins pour nous, en tant que personnes autochtones, du point de vue de notre identité et de notre cheminement vers la guérison, mais il continuera à nous toucher par le biais des politiques et d’autres types de racisme institutionnel, si on ne dit pas la vérité sur le Canada actuel.
Une fois de plus, pour revenir à la question du financement et du fait de laisser à chaque nation le temps de se remettre de ce qu’elle a vécu, ce serait incroyablement néfaste et percutant si, dans 10 ou 20 ans, les personnes qui élaborent la politique publique ou les lois du gouvernement ne connaissent pas la vérité.
Le président : Je vous remercie toutes les deux.
Le sénateur D. Patterson : Merci beaucoup à toutes les deux.
Quelle histoire! Le pensionnat a été en activité durant 99 ans. C’est incroyable. Je crois comprendre que le cimetière communautaire est encore plus vieux; il date de 1885, je crois.
Vous avez mentionné que des dossiers détaillés ont été méticuleusement tenus — vous les avez même vus lorsque vous étiez enfant —, mais qu’ils sont difficiles à exploiter en raison de la barrière linguistique, et j’imagine qu’il y a beaucoup de documents. Nous avons entendu les autres témoins dire à quel point la tâche est énorme.
Je pourrais peut-être poser cette question à la cheffe Beaudin. Espérez-vous que les dossiers des élèves des pensionnats vous permettront de savoir quelles tombes appartiennent à votre peuple? Est-ce que c’est ce que vous espérez obtenir des dossiers, si vous avez le soutien nécessaire pour les analyser?
Mme Beaudin : Tout à fait. Notre travail consiste en fait à remettre en place les inscriptions funéraires, pour de bon, pour les personnes autochtones comme non autochtones, qu’elles soient enterrées dans le cimetière ou en terre non sanctifiée.
Grâce aux dossiers des pensionnats, nous aimerions aussi montrer que les enfants et les jeunes ne sont pas nécessairement tous morts soudainement, assassinés ou de mort violente, mais que certains sont morts des suites de la malnutrition, d’expériences scientifiques, de la tuberculose; et ces maladies et décès auraient pu être évités.
De jeunes adolescents sont décédés après avoir été victimes de viol, alors que les documents médicaux indiquent autre chose. Les registres comme les médecins disent que ces décès ont une autre cause. À notre sens, interpréter les documents rédigés par l’église, par le pensionnat, par l’agent des Indiens — encore une fois l’église et l’État — revient aussi en quelque sorte, si vous voulez, à faire une enquête pour découvrir la vraie cause du décès des jeunes qui fréquentaient le pensionnat.
Le sénateur D. Patterson : Pensez-vous que les dossiers contiennent les noms des personnes décédées correspondant aux tombes que votre radar a découvertes? Pensez-vous trouver les réponses si vous obtenez le soutien adéquat pour effectuer ces laborieuses recherches?
Mme Beaudin : Ça devrait être possible. Ça devrait l’être et ça pourrait l’être, tout particulièrement parce que les personnes autochtones et les personnes décédées dans les pensionnats, ainsi que celles qui y sont enterrées, se font attribuer un numéro à leur naissance. Elles se font tout d’abord attribuer le numéro de leurs parents, puis reçoivent leur propre numéro.
Ces numéros sont étroitement liés aux dossiers du gouvernement ainsi qu’à ceux de l’église; donc, une fois de plus, cela prend du temps. Cela nécessite des recherches. Il y a une barrière linguistique, et tout ce dont j’ai parlé, et les documents à examiner datent de plus de 100 ans.
Selon notre équipe de recherche, il faut parfois jusqu’à un an avant de confirmer l’identité de la personne enterrée sous une tombe.
Le sénateur D. Patterson : Vous avez parlé de la nécessité d’avoir plus de ressources. Pouvez-vous nous donner une meilleure idée des fonds qui vous ont été alloués, du délai fixé et de ce que vous envisagez pour l’avenir? Vous pouvez répondre maintenant ou par l’entremise de la greffière, si vous n’avez pas l’information sous la main.
Mme Beaudin : Je vais probablement vous transmettre l’information par l’entremise de la greffière pour vous répondre avec précision. Sinon, je vous donnerais probablement une réponse incomplète.
Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous et votre collectivité.
Mme Neacappo : Je n’ai pas bien compris la question.
Le sénateur D. Patterson : Nous menons une étude afin de présenter un rapport et des recommandations au gouvernement. C’est pourquoi je posais la question au sujet de l’argent que vous avez reçu jusqu’à présent pour faire votre travail, du délai fixé et des autres ressources dont vous pourriez avoir besoin.
Je me rends compte que c’est une question détaillée, donc, si vous préférez transmettre l’information à la greffière, nous pouvons procéder de la sorte, si vous ne l’avez pas sous la main.
Mme Beaudin : Pour les besoins de la cause, je préférerais transmettre l’information à la greffière.
Le sénateur D. Patterson : Bien entendu. Merci.
Si je peux me permettre, j’aimerais savoir ce qui est arrivé au bâtiment du pensionnat. J’ai vu une photo du bâtiment, en 1923, et je crois comprendre qu’il a perdu sa vocation de pensionnat et qu’il est devenu une résidence pour étudiants ou un centre d’éducation communautaire.
Pouvez-vous nous en dire un peu sur l’histoire de ce bâtiment? Je ne sais plus s’il a fermé ses portes ou s’il sert à autre chose.
Mme Beaudin : Non. Nous avons une nouvelle école, et nous rénovons l’ancienne école. Cette école est considérée comme la nouvelle école par les personnes qui sont nées dans les années 1950 et 1960, quand nous avions l’ancien pensionnat.
Après le départ de l’église, le pensionnat a gardé ses portes ouvertes, et les membres de la bande en sont devenus les administrateurs, puis le pensionnat a été fermé et est resté vide. Il a été démoli, et l’église et le presbytère ont été incendiés et également démolis.
Le sénateur D. Patterson : Pouvez-vous nous en dire un peu au sujet de la nouvelle école? Qui la dirige?
Mme Beaudin : Elle relève maintenant de la compétence de la Première Nation Cowessess, et elle offre une éducation allant de la maternelle à la douzième année; il y a également une prématernelle, une pouponnière, un programme d’aide préscolaire et une garderie.
Le sénateur D. Patterson : Comment vont les choses, dans votre école?
Mme Beaudin : Dans le cadre de la rénovation de notre ancienne école, nous construisons une nouvelle aile où, pour la toute première fois, les enfants de 3 et 4 ans auront un tout nouvel espace où ils pourront jouer, apprendre et acquérir le savoir traditionnel et culturel qui soutient leur identité. Nous avons chaque année des diplômés de 12e année, et nous poursuivons la tradition.
C’est un bon système d’éducation. Toutefois, chaque année, nous tentons toujours d’avoir de plus en plus de diplômés. Encore une fois, cependant, comme nous l’avons dit toutes les deux, si ce n’était des répercussions intergénérationnelles — qu’il s’agisse des dépendances, de la santé mentale, des parents, de la situation à domicile —, nous pourrions en avoir beaucoup plus; d’où l’importance de ce que nous faisons ici aujourd’hui. Nous pensons et nous espérons que, un jour, chaque enfant qui verra le jour pourra faire ses études dans un système d’éducation exempt des séquelles et des problèmes que bon nombre d’entre nous avons connus en grandissant et que nous connaissons encore, et qu’il puisse terminer sa 12e année au sein de sa collectivité, avec sa famille et ses proches présents pour le soutenir et lui montrer qu’ils sont fiers de lui.
Le sénateur D. Patterson : Merci beaucoup. Je suis certain que nous sommes tous ravis de terminer sur une note d’espoir, alors je vous en remercie.
Le président : Je vous remercie toutes les deux de nous avoir livré des témoignages très éloquents, ici, ce soir. Nous en sommes très reconnaissants. Merci encore une fois.
Si vous avez d’autres observations à présenter — vous avez dit, cheffe, que vous pourriez transmettre quelque chose à notre greffière —, veuillez le faire dans les sept jours, ce serait très utile pour notre greffière, Mme Mugny.
(La séance se poursuit à huis clos.)