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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 31 mai 2023

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 45 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : J’aimerais commencer par souligner que le territoire sur lequel nous nous réunissons est le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe et qu’il abrite maintenant de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits de toute l’île de la Tortue.

Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis d’Epekwitk, aussi connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je vais maintenant demander aux membres du Comité dans la salle de se présenter en indiquant leur nom et la province ou le territoire où ils résident.

Le sénateur Arnot : Je m’appelle David Arnot. Je viens de la Saskatchewan, du territoire du Traité no 6.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, de l’Alberta et du territoire du Traité no 6.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick, sur le territoire non cédé du peuple mi’kmaq.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

La sénatrice Sorensen : Sénatrice Sorensen, Alberta, territoire du Traité no 7.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Antigonish, Nouvelle-Écosse, Mi’kma’ki.

[Français]

La sénatrice Audette : Bonjour, [mots prononcés en innu‑aimun]. Michèle Audette, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, en Colombie‑Britannique, la meilleure partie du territoire du Traité no 6.

Le sénateur D. Patterson : [Mots prononcés en inuktitut] Dennis Patterson.

Le président : Merci. C’était bien.

Nous poursuivons aujourd’hui l’étude du projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.

Avant de commencer, j’aimerais demander à tout le monde d’être bref. En raison des contraintes de temps, chaque sénateur disposera de cinq minutes pour poser une question et recevoir une réponse. Nous accorderons la priorité aux membres du comité, puis nous passerons à d’autres collègues, s’il reste du temps. S’il reste encore du temps ensuite, nous entamerons un deuxième tour. De plus, je demanderai aux témoins de fournir par écrit, avant la fin de la semaine, toute réponse laissée en suspens. Si vous n’avez pas l’occasion de répondre entièrement à votre question avant la fin de votre temps de parole, n’hésitez pas à nous fournir des réponses écrites avant la fin de la semaine. Pour que tout le monde reste sur la bonne voie, au bout de quatre minutes, je vous rappellerai qu’il vous reste une minute pour terminer votre réponse.

J’aimerais vous présenter notre groupe de témoins, les membres du Comité de transition du Conseil national de réconciliation, soit M. Mitchell Case, Mme Edith Cloutier, Mme Rosemary Cooper et M. Michael DeGagné. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui.

Les témoins feront une déclaration préliminaire, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs. J’invite maintenant M. DeGagné à faire sa déclaration préliminaire.

Michael DeGagné, membre, Comité de transition du Conseil national de réconciliation : Je vous remercie de me donner l’occasion de dire quelques mots au sujet de cette initiative.

J’ai un ami proche qui vit dans le Nord-Ouest de l’Ontario. Je lui rends visite probablement tous les deux mois. Il est un survivant d’un pensionnat indien et un important acteur du dossier des pensionnats dans cette région. Nous réfléchissions tous les deux à la façon dont la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens avait progressé. Il a dit : « Vous savez, c’est la partie guérison de ce que nous faisons qui s’est lentement arrêtée pour de nombreux survivants. Beaucoup de survivants de cette région ont raté l’occasion de poursuivre leur guérison. Ils en souffrent. » J’ai demandé : « Qu’est-ce qui, selon vous, aurait été utile? » Il a dit : « Vous savez ce qui aurait été utile? Si nous avions une organisation qui poursuivait ses activités, pour représenter l’initiative de guérison — pas un représentant des survivants, pas un représentant des organisations individuelles, mais quelqu’un qui parler en faveur du mouvement de guérison. »

Cette initiative porte sur la réconciliation. Il s’agit d’un mouvement de réconciliation qui doit se poursuivre après la Commission de vérité et réconciliation. Il y est question d’une structure pour cette organisation, de ce à quoi elle pourrait ressembler, de ce qu’elle accomplirait en général et de ce à quoi pourrait ressembler son mécanisme de gouvernance. Il ne s’agit pas du plan de travail définitif ou de la vision stratégique de l’organisation pour l’avenir. Ce n’est qu’une structure. Cela nous encourage à penser à un mécanisme un peu plus permanent et qui encouragera les Canadiens — tous les Canadiens — à réfléchir à la réconciliation avec les peuples autochtones à mesure que nous avancerons.

Je crois que c’est Phil Fontaine, au début de la Commission de vérité et réconciliation, ou CVR, qui a dit qu’il ne s’agissait pas d’une commission autochtone. Il s’agit d’une commission canadienne sur les peuples autochtones. La réconciliation, et la réconciliation à laquelle adhère cette structure, c’est exactement cela. C’est la réconciliation pour tous les Canadiens. C’est la réconciliation avec les peuples autochtones. C’est pourquoi la structure est proposée comme comprenant des membres autochtones et non autochtones.

Il y a deux questions particulières qui ont été soulevées. L’une d’elles concerne la consultation, et l’autre est la question de savoir si tous les Canadiens auront voix au chapitre comme il se doit, dans le cadre de cette structure.

Je vais d’abord parler de la voix. Nous sommes encouragés à suivre ces autres témoins et les délibérations que de nombreuses personnes ont tenues pour dire : « Je veux que ma voix soit entendue par l’entremise de cette structure. Je veux que ma voix et celle des gens que je représente — les gens pour qui je parle, d’autres personnes comme moi — soient entendues. » Il peut s’agir de jeunes qui veulent se faire entendre, de membres de la communauté LGBTQ ou de femmes en particulier, ou peut-être même d’une représentation régionale; les gens de l’Ouest veulent avoir leur propre voix. Cela nous encourage énormément parce que cela signifie que ce ne sera pas une structure dont personne ne tiendra compte. C’est un mécanisme que les gens veulent appuyer et y adhérer pour parler et participer.

Bien sûr, il n’y a pas suffisamment de sièges au conseil pour représenter tout le monde, à moins, bien sûr, que vous souhaitiez une sorte d’assemblée générale où quiconque représente une organisation, un sous-groupe ou une région différente pourrait se réunir et siéger à une grande assemblée.

Ce que nous proposons ici, c’est une structure de gouvernance qui permet aux gens qui travaillent dans le domaine de la réconciliation depuis un certain temps de se manifester, de contribuer à la gouvernance et de s’assurer que cette organisation atteint son objectif principal, qui consiste à tendre la main à tous les Canadiens dans le cadre d’un dialogue afin que chaque voix puisse être entendue. Nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire d’être représenté au conseil pour se faire entendre.

Deuxièmement, la consultation sera essentielle. À mesure qu’elle progresse, l’organisation participe principalement à des consultations et s’appuie sur toutes les consultations qui ont eu lieu jusqu’à maintenant, que ce soit depuis la Commission royale sur les peuples autochtones, ou CRPA, jusqu’à la Fondation autochtone de guérison, pendant plus de 15 ans, à la CVR plus récemment.

J’attends avec impatience la discussion et les questions. Merci.

Le président : Merci, M. DeGagné, et je crois comprendre que Edith Cloutier aimerait dire quelques mots.

[Français]

Edith Cloutier, membre, Comité de transition du Conseil national de réconciliation : Bonjour. Je suis reconnaissante de prendre la parole devant vous sur le territoire traditionnel anishinabe non cédé de mon peuple. Merci — meegwetch, de cette invitation. C’est un privilège de partager cette tribune avec mes collègues du Comité de transition du Conseil national de réconciliation. Notre comité a été constitué le 16 décembre 2021 par le ministre des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord Canada, M. Marc Miller.

Nous souhaitons également souligner la contribution du chef Wilton Littlechild, ancien commissaire de la Commission de vérité et réconciliation du Canada qui, au début des travaux de notre comité, a rappelé l’urgence de passer à l’action au moyen de la création d’un Conseil national de réconciliation qui passe par l’adoption de cette importante législation. Notre comité a travaillé en gardant le cap sur cet objectif ambitieux, mais réaliste.

Aujourd’hui, nous franchissons un jalon important après deux ans de travaux menés par notre comité, mais aussi huit ans après le dépôt du rapport de la Commission de vérité et réconciliation, et ce, presque jour pour jour. Nous vivons un moment charnière de ce long parcours qui mènera, nous osons le croire, à l’adoption de ce projet de loi. Je reprends donc les propos de la Dre Marie Wilson, ancienne commissaire qui s’est présentée devant vous et qui a recommandé l’adoption de cette loi, et ce, sans la renvoyer à plus tard.

Tout au long de nos travaux portant sur l’élaboration du cadre législatif en vue de l’établissement de ce conseil, nous avons fait un point d’honneur de garder au cœur de notre démarche celles et ceux qui n’occupent pas nécessairement les chaises autour des grandes tables de discussion qui portent, entre autres, sur la réconciliation.

En ce qui me concerne, mon travail de tous les jours au Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or consiste à être aux côtés de celles et de ceux pour qui la réconciliation doit avoir du sens. En côtoyant étroitement mes frères et sœurs tous les jours, j’apprends à partager leur histoire, celle de leur famille, de leurs enfants et petits-enfants, à mieux comprendre leur vécu, leurs luttes, leurs échecs, mais aussi leurs succès.

Le Conseil national de réconciliation doit être le reflet de la vraie vie. Il doit rester connecté à ce qui donne un sens véritable à la réconciliation pour tous et toutes. Meegwetch. Merci.

[Traduction]

Le président : Merci, madame Cloutier. Monsieur Case, je crois comprendre que vous avez quelques mots à dire?

Mitchell Case, membre, Comité de transition du Conseil national de réconciliation : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs, de nous avoir invités ce soir. Je remercie mes collègues du travail qu’ils ont accompli pour en arriver à ce point aujourd’hui, avec le rapport que nous avons présenté il y a plusieurs mois et le projet de loi qui a été déposé.

Je n’en dirai pas trop, parce qu’on veut laisser beaucoup de temps pour les questions, mais je dirai qu’il y aura toujours une autre raison de retarder les choses. Il y aura toujours une autre raison de laisser la perfection être l’ennemi du bien. Il y aura toujours une autre façon d’améliorer les choses. Toutefois, comme on l’a déjà dit, cela fait huit ans que la Commission de vérité et réconciliation a déposé son rapport. Il y a beaucoup plus de raisons, à mon avis, d’entreprendre ce travail, et de demander à cet organisme de faire ce travail.

Le rapport de la Commission de vérité et réconciliation fera une partie du travail de réconciliation au pays. L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées fera une partie du travail. Les ententes d’autonomie gouvernementale et toutes les autres initiatives en cours permettront de faire une partie du travail. Il n’y a pas d’organisme, d’entité ou d’entente qui fera tout ce qu’il faut pour corriger l’histoire compliquée de notre pays, mais chaque petit élément peut contribuer à bâtir quelque chose de mieux.

Est-ce que je pense que ce que nous avons déposé est parfait? Absolument pas. Je suis assez bon dans le travail des perles. Est‑ce que je pense que cette veste est parfaite? Absolument pas. Pour vous, elle peut le paraître, mais je peux voir qu’il y a encore des choses que j’améliorerais. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il ne s’agit pas d’une magnifique veste et qu’elle ne devrait pas être portée en public et bien paraître. Je pense que c’est là où nous en sommes dans ce travail et c’est pourquoi j’ai été très honoré et heureux de signer le rapport lorsque nous l’avons présenté il y a plusieurs mois. Puisque je ne suis pas très bon avec les dates, je ne me rappelle pas quand nous avons présenté le rapport, mais vous l’avez devant vous.

Je vais m’arrêter ici, monsieur le président.

Le président : Merci, monsieur Case. Madame Cooper, je crois comprendre que vous aimeriez également dire quelques mots.

Rosemary Cooper, membre, Comité de transition du Conseil national de réconciliation : [Mots prononcés dans une langue autochtone] Je m’appelle Rosemary Cooper. Avec le sénateur Dennis Patterson, je viens d’Iqaluit, au Nunavut.

[Mots prononcés dans une langue autochtone]

J’aimerais saluer le sénateur Patterson et sa question sur [Difficultés techniques] qu’il a soulevée tout récemment. Nous savons que l’Association des femmes autochtones du Canada, ou l’AFAC, est représentée. En tant que comité de transition, nous en avons parlé également. Nous reconnaissons également [mots prononcés dans une langue autochtone] et le Conseil des femmes de l’Assemblée des Premières Nations. Nous avons parlé de la façon dont l’AFAC intègre ces voix pour la représentation. Nous espérons qu’une partie de cette représentation sera de nature holistique pour les femmes autochtones au Canada. Quand on pense à notre population de base de femmes inuites, elle représente la moitié du secteur de l’égalité entre les sexes au Canada pour les femmes et les hommes inuits et le tiers des femmes autochtones au Canada. Nous devons tout de même nous assurer que cette voix est entendue par l’entremise de ce comité de transition et de la représentation en son sein. Je voulais soulever ce point supplémentaire.

Encore une fois, comme Mike DeGagné l’a dit, il s’agit d’une réconciliation pour l’ensemble du Canada. Cela englobe les Canadiens et les effets de notre histoire. Il est essentiel que tous ceux qui ont été désignés pour faire partie de ce conseil soient représentatifs. Nous avons eu une discussion approfondie sur la représentation. Comme M. DeGagné l’a dit, tout le monde ne peut pas en faire partie. Nous avons fait un assez bon travail en ce qui concerne la représentation prévue dans le projet de loi et les discussions que nous avons eues à l’interne.

Merci.

Le président : Merci, madame Cooper.

Les sénateurs peuvent maintenant poser des questions.

Le sénateur Arnot : Merci aux témoins d’être parmi nous aujourd’hui. C’est un groupe très important. Vous avez joué un rôle important dans l’élaboration de ce cadre. J’ai une question d’ordre général, puis trois questions distinctes. Je ne m’attends pas à ce que vous répondiez à toutes ces questions ce soir en raison des contraintes de temps.

Ma question générale est la suivante : le projet de loi C-29 correspond-il à votre intention? Est-ce qu’il reflète votre intention?

Comme vous le savez, M. Wilson a parlé d’un organisme financé suffisamment. Que pensez-vous de la durabilité du financement, surtout avec une dotation de 125 millions de dollars? Cette somme générera-t-elle assez d’argent pour permettre à la commission de fonctionner comme vous le souhaitez? Si l’on ne parle que des intérêts, cela ne représente pas vraiment beaucoup d’argent par année.

Un certain nombre de témoins nous ont dit : « Écoutez, le projet de loi C-29 n’est pas parfait, mais nous avons hâte. Nous devons avancer. La quête de la perfection ne doit pas faire obstacle à ce qui est bon. » Y a-t-il des modifications essentielles qui, selon vous, devraient être apportées pour que votre vision soit reflétée dans ce projet de loi?

M. Wilson en a parlé, mais est-ce qu’il y a suffisamment de souplesse pour revoir et ajuster le mandat et corriger le cap au cours des travaux du conseil national?

Je vais maintenant faire une observation générale. M. DeGagné nous a dit que, d’une certaine façon, ce sont les membres du conseil qui s’en chargeront. Ils auront la possibilité d’interpréter ce mandat et d’orienter le conseil dans la direction qu’ils jugent appropriée. Si c’est le cas, pouvez-vous nous en dire davantage? J’aimerais vraiment savoir ce que vous en pensez. Je sais que vous n’aurez peut-être pas le temps de répondre de façon exhaustive, mais je crois vraiment que vous allez nous aider à comprendre ce que nous devrions faire dans le cadre de notre travail.

M. DeGagné : Premièrement, est-ce exactement ce que nous avions envisagé? C’est une série de compromis, mais ce qui est important ici, c’est que la discussion au sujet d’une structure, d’un outil pour nous faire avancer, est positive. Cela nous permettra d’y arriver. La réponse à la première question est oui.

Le financement est-il adéquat? Cela dépend des objectifs du conseil. S’il veut devenir un organisme de financement pour les programmes de réconciliation partout au Canada, le financement est probablement insuffisant. En revanche, pour fonctionner, pour lancer les choses et pour mener les consultations et les dialogues initiaux, il est adéquat. Je pense que ce qui est proposé ici est suffisant.

Pour ce qui est de la troisième question concernant les amendements, je suis très réservé quant au fait d’intégrer tel ou tel groupe comme si la seule façon d’avoir voix au chapitre dans cette structure n’était pas par le dialogue, mais en siégeant au conseil. Nous qui formons le Comité de transition, nous allons soigneusement sélectionner des gens qui ont déjà une expérience de la réconciliation au Canada. Nous sommes à la recherche de techniciens. Nous ne cherchons pas à créer une organisation politique de plus qui s’interposera entre la population et le gouvernement. Ce n’est pas ce qui nous intéresse.

Pour ce qui est des amendements, je m’inquiéterais de l’intégration, par exemple, de la très importante voix de l’Association des femmes autochtones du Canada, l’AFAC. C’est essentiel, mais au bout du compte, cela signifie aussi que nous ne voulons pas oublier les femmes inuites, Les Femmes Michif Otipemisiwak et le Conseil des femmes de l’APN. En intégrant un groupe, vous en intégrez peut-être quatre, puis encore un autre, et avant de vous en rendre compte, vous vous retrouvez avec l’Organisation des Nations unies. Ce n’est pas la direction que nous prenons.

Enfin, un conseil adapté, qui jouera un rôle de gouvernance, aura de multiples possibilités de siéger et d’élaborer des stratégies pour ce qu’il veut faire à court et à long terme, de sorte que toutes sortes de corrections seront possibles.

Le président : Merci. Je rappelle aux témoins que s’ils souhaitent fournir d’autres témoignages par écrit, ils peuvent le faire. Malheureusement, nous avons peu de temps ce soir.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je remercie les témoins de leurs exposés.

Monsieur DeGagné, je suis heureuse de vous revoir. J’ai été frappée par l’histoire que vous avez racontée au sujet de la guérison. Vous étiez en première ligne de ce mouvement de guérison au tout début, lorsque beaucoup de choses se passaient dans notre collectivité. Il n’y avait pas beaucoup de preuves; l’APN en a produit au fur et à mesure. Quelles sont les leçons apprises par la Fondation autochtone de guérison dont vous espérez que nous tirerons vraiment parti pour ce conseil? Qu’espérez-vous voir réaliser par ce conseil? Quand le temps viendra, qu’espérez-vous voir se produire?

M. DeGagné : Oui, j’ai eu affaire à la Fondation autochtone de guérison, la FADG. Je pense que beaucoup de choses positives en ont découlé. Le plus important, c’est que si vous réunissez le bon groupe de personnes, elles trouveront un moyen non seulement de répondre à leurs propres besoins, mais aussi de veiller à ce que les besoins de tous les autres participants soient satisfaits. Pendant 17 ans le conseil d’administration de la Fondation autochtone de guérison s’est principalement occupé du mouvement de guérison et a pris 1 500 décisions cruciales en matière de financement qui ont changé la vie des survivants des pensionnats. Au bout du compte, les Premières Nations, les Métis et les Inuits se sont réunis, ont travaillé ensemble et ont pris les bonnes décisions.

Ce n’est pas seulement une vue de l’esprit. C’est tout à fait possible. J’ai vu cela à l’œuvre. J’ai constaté que si l’on réunissait les bons experts techniques autour de la table, de grandes choses peuvent se produire. Je pense que quelque chose de très semblable se produira dans le cadre du mouvement de réconciliation. Je crois que si vous réunissez les bons groupes de personnes, que vous tenez des audiences publiques itinérantes et que vous écoutez les Canadiens et les peuples autochtones, vous parviendrez à établir un plan qui servira bien les Canadiens à l’avenir.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Nous avons beaucoup entendu parler de la représentation des peuples autochtones, qui est essentielle. Comment voyez-vous la place des non‑Autochtones au sein de ce conseil? Ma question s’adresse à tous les témoins.

[Français]

Mme Cloutier : Quand on regarde partout au pays, on constate que les efforts sont amorcés en vue de la réconciliation dans l’ensemble de la société canadienne et des institutions publiques, plusieurs secteurs du monde des affaires, les universités et le monde du savoir. On ne met pas assez en évidence ce qui se fait déjà et qui est amorcé dans toute cette grande et longue marche de la réconciliation.

Je pense qu’au moyen d’une organisation qui serait mise sur pied particulièrement pour contribuer à mesurer l’avancement de la réconciliation, on aura une occasion d’aller écouter toutes ces organisations et les personnes qui font avancer la réconciliation, de discuter avec elles et de documenter et valider leurs propos.

Il est nécessaire et plus que temps — même urgent — de mettre en lumière ce qui se fait partout au pays, dans l’ensemble de la société canadienne, de ses institutions et de tous les éléments qui composent le Canada. Il est temps maintenant qu’on puisse aller de l’avant et mettre en lumière tout cela.

[Traduction]

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup.

Le sénateur Tannas : Merci à tous d’être ici.

Lorsque nous avons abordé la question des organisations nationales et de ce qui était prévu dans les appels à l’action concernant la participation des organisations nationales au processus de constitution du conseil, Mme Wilson a posé un jalon et nous a dit de regarder qui avait assisté à la présentation des excuses il y a 15 ans, afin de savoir vers quelles organisations nationales nous pourrions nous tourner ou pour déterminer qui devrait être présent. J’avoue ne pas savoir si les attachés de recherche de la Bibliothèque du Parlement ont fait ce travail, mais nous devrions probablement le faire. Cela a été fait? Je ne le savais pas. Désolé. Si quelqu’un pouvait me remettre ce travail, ce serait formidable. Peut-être pourrions-nous en parler. Est-ce une solution qui vous interpelle? C’est ma première question.

Lorsque je regarde les appels à l’action, je constate qu’il pourrait y avoir pour cette organisation — surtout lorsque nous voyons la concurrence pour faire partie de ce conseil — une réelle tendance dans un sens ou dans l’autre à aller vers un programme axé sur les activistes, alors que trois des quatre fonctions qui figurent dans les appels à l’action visent davantage à fournir de l’information et à mesurer les progrès — à mesurer en profondeur les progrès, et non seulement de façon superficielle — et à s’assurer que ces progrès sont signalés par l’entremise de cette reddition de comptes. Pour en revenir à la question de savoir qui siégera au conseil, craignez-vous que si nous ne faisons pas bien les choses, nous passions à côté de l’une ou l’autre de ces deux fonctions? Pour ma part, je pense que nous avons beaucoup d’organisations militantes, d’organisations de détenteurs de droits et d’organisations gouvernementales de défense des droits, mais nous n’avons pas d’organisation qui mesure, qui évalue, qui analyse et qui fait la promotion de tout cela comme moyen d’aller de l’avant plutôt que de simplement faire de grands discours. Quelqu’un peut-il en parler? Cela m’inquiète. Je crains que nous commettions une erreur en nous précipitant ou en répondant de façon erronée à ce qui me semble être un moment particulièrement difficile dans la naissance de cette organisation.

M. Case : Je vais essayer de répondre rapidement, sénateur.

Je pense que vous avez raison. Il y a beaucoup d’organisations, d’entités et de gouvernements. Je ne suis certainement pas intéressé à ce qu’une autre organisation défende mes intérêts en tant qu’Autochtone. Il y en a déjà une, et elle fait un très bon travail. Cette organisation, cette entité, devrait pouvoir mesurer et suivre le travail, être en mesure de voir où nous faisons des progrès et où nous prenons du retard, et être à l’écoute d’une certaine façon. La réconciliation n’a pas la même signification à Sault Ste. Marie, d’où je viens, que dans le nord de la Colombie-Britannique ou ailleurs. Il n’y a pas de solution universelle. En ce qui concerne les 9 ou 11 membres du conseil, peu importe le nombre, si nous pensons faire en sorte que la réconciliation au Canada repose sur les épaules de 9 à 11 personnes, arrêtons-nous tout de suite. Entre ma collectivité et le Canada, la réconciliation est le fait de nos dirigeants et d’autres, mais dans d’autres collectivités, il y a peut-être quelqu’un qui a besoin d’être entendu et ainsi de suite.

Pour terminer, j’ai fait les calculs dans ma tête, et je crois que c’est la septième fois en 10 ans que je comparais devant le comité. Je n’ai jamais pensé qu’il fallait être sénateur pour être entendu ici. Je peux venir ici et vous faire part de mes réflexions, et je sais qu’elles sont entendues. On peut penser qu’il en sera de même pour ce conseil.

M. DeGagné : J’étais présent lors de la présentation des excuses, et il y avait ces gens au Parlement, assis là-haut, et puis nous étions quelques centaines assis sur des chaises entre les portes ouvertes, à regarder. Je pense que chacune de ces personnes travaille encore à faire avancer ces questions importantes, et elles devraient toutes être consultées dans le cadre de ce réseau incroyablement solide, qui est encore très robuste. Je sais que vous êtes 10 dans cette salle. C’est encore solide, et nous devrions tous nous consulter les uns les autres. Il n’est pas utile que tout le monde siège au conseil, mais chacun doit être consulté, et ce dialogue doit se poursuivre. Oui, je pense que cette liste est un bon point de départ.

En ce qui concerne l’activisme, 95 % des organisations du monde autochtone sont politiques et activistes. Nous ne voulons pas ignorer le besoin très réel de bâtir une société civile pour les peuples autochtones et la nécessité de nous tenir à l’écart de ce qui, trop souvent, n’est que de la politique.

La sénatrice Sorensen : Bienvenue à tous nos témoins.

Tout d’abord, je tiens à dire que j’ai entendu très clairement — et j’apprécie le fait que cela soit aussi clair — que nous devons aller de l’avant. Nous avons entendu des opinions différentes à ce sujet, alors il est bon d’obtenir des éclaircissements de la part de ce groupe de témoins.

Je tiens également à dire que j’apprécie les observations de haut niveau qui ont été faites aujourd’hui. Vous ne vous perdez pas dans les détails comme certains témoins que nous avons entendus. Je suis parfaitement d’accord avec le fait qu’il n’est pas nécessaire de faire partie du conseil pour être entendu, et l’idée de rechercher des techniciens en réconciliation m’a vraiment interpellée.

Ma question comporte deux volets. Je vais commencer par Mme Cooper, parce qu’elle n’a pas beaucoup parlé. Je répète une question que la sénatrice LaBoucane-Benson a posée au sujet du rôle des non-Autochtones au sein du conseil et s’il y a un rôle pour les non-Autochtones au sein du conseil au nom de la réconciliation.

Pour ce qui est de la raison d’être du conseil, je crois que c’est le sénateur Tannas qui s’est engagé dans cette voie. J’ai bien aimé votre commentaire selon lequel le conseil déterminera l’objectif. Cela me semble logique. Cela dit, nous avons beaucoup entendu dire que ce conseil doit tenir le gouvernement responsable des appels à l’action et de l’absence d’action ou, dans certains cas, de certaines réussites, et qu’il devrait être une organisation axée sur la solution aux nombreuses injustices dont les peuples autochtones sont encore victimes. Ce matin, nous nous sommes dit qu’il s’agirait d’un conseil d’écoute qui poursuivra le chemin de la guérison. J’aimerais que vous me disiez chacun ce que serait votre vision de ce rôle. Je vais commencer par Mme Cooper, puis nous verrons où nous en sommes avec le temps.

Mme Cooper : Merci, sénatrice Sorensen.

Pour ce qui est de la présence d’un représentant canadien au conseil, c’est extrêmement important. Nous avons besoin d’une personne qui soit un champion et qui soit visible sur le plan de la réconciliation. Il faut un modèle dont nous pouvons dire qu’il a travaillé à la réconciliation avec les peuples autochtones du Canada. C’est le type de modèle ou de représentant que nous appelons de nos vœux.

La mise en forme est donc essentielle. Au fur et à mesure que nous formerons le conseil se mettront en place les règlements administratifs et tous les instruments requis, la composition — nous en avons beaucoup parlé —, et la consultation que nous adapterons une fois que le conseil sera en place. Nous n’avons pas fait grand-chose sur le front de la consultation. Cependant, comme Mary Wilson l’a dit, cela fait huit ans. La Commission de vérité et réconciliation du Canada a tenu de nombreuses consultations. En qualité de Comité de transition, nous sommes en train de façonner le conseil qui s’en vient, et nous avons hâte de le voir s’épanouir. Nous voulons que ce projet de loi soit adopté rapidement.

J’aimerais ajouter quelque chose. Historiquement, lorsque vous regardez les statistiques et les données sur les Autochtones, j’ai grandi en comprenant qu’étant Autochtone, je suis le meilleur au pire. Toutes les statistiques concordaient pour me dire qu’il était inutile pour moi de travailler pour réussir, le contexte général m’inculquait que je ne pouvais pas grand-chose pour faire mes preuves dans la société. Cet effort de réconciliation vise vraiment à nous élever en tant que Canadiens, à nous considérer comme une seule personne et à envisager des mesures de réconciliation. Les excuses sont derrière nous. J’ai également assisté à la présentation des excuses et j’ai vu à l’époque Mary Simon, qui était présidente d’ITK, et Peter Ittinuar. Ce sont des champions de la réconciliation, et ils continueront leur travail. Merci.

M. Case : J’ai deux réflexions.

Pour ce qui est de charger le conseil de demander des comptes au gouvernement, je vous mettrais en garde contre cela. Les Canadiens doivent demander des comptes au gouvernement. Le conseil peut présenter des rapports en vertu desquels les Canadiens pourraient exiger de savoir, élection après élection, pourquoi rien n’a changé. Je ne pense pas qu’il soit bon de déléguer cela au conseil.

J’ai dit tout à l’heure que je suis un couseur de perles et que je remarque les motifs, les schémas. En observant votre comité et celui de la Chambre, j’ai remarqué qu’il semblait se dégager une tendance selon laquelle si j’obtiens un siège à ce conseil, alors ce conseil est excellent, sinon il est mauvais, ce n’est pas bon et nous ne pouvons pas aller de l’avant. Je dis cela avec tout le respect que je dois à toutes les personnes concernées. Je n’ai pas vu de propositions concrètes sur l’aspect que pourrait avoir ce conseil s’il devait être différent de ce que nous avons proposé.

Lorsqu’il y a une longue liste de gens ici et au comité de la Chambre qui disent : « Je devrais avoir un siège à ce conseil », je pense que le conseil et la structure elle-même sont logiques. Comme Michael DeGagné l’a dit dans sa déclaration préliminaire, les gens veulent en faire partie, alors je pense que cela répond en quelque sorte à la question.

La sénatrice Sorensen : Merci.

La sénatrice Coyle : Je remercie sincèrement chacun d’entre vous de votre contribution ce soir, de votre sagesse et de ce que vous avez apporté au processus avant même de venir nous voir.

Vous savez que nous éprouvons des difficultés. Vous avez suivi ce qui se passe ici. Ce qui me pose problème n’est pas ce que vous avez dit, monsieur Case, pour ce qui est de savoir si ce devrait être celui-ci ou celui-là. Non, parce que c’est compréhensible. Ce qui est difficile, du moins pour moi, c’est que les organisations qui ont été désignées pour occuper un de ces sièges, les trois premières en particulier, ne sont pas satisfaites. Donc, pour moi, le problème ce ne sont pas les organisations qui veulent en faire partie; ce sont celles qui ont déjà été désignées comme étant essentielles à la composition de ce conseil. Je ne veux pas dire qu’il doit s’agir de politiciens ou des représentants, mais il s’agit de nommer les bonnes personnes. Ces organisations nous ont dit qu’elles n’étaient pas satisfaites. Hier, j’ai dit que nous étions dans l’impasse. Ce n’était peut-être pas la bonne formule, mais l’adhésion et la confiance sont vraiment importantes pour que ce conseil démarre, oui, de toute urgence. Oui, cela fait longtemps. Oui, il y a tant de travail qui s’est fait ici et il reste tant à faire, et plus nous attendrons pour nous atteler à la tâche, plus nous tarderons à faire le travail important. Comment pouvons-nous répondre aux préoccupations que nous entendons afin de mettre en place ce succès qui dépend de la confiance de tous les Canadiens et de tous les peuples autochtones du Canada, mais aussi des représentants de ces organisations de défense des droits? J’aimerais vous entendre à ce sujet.

[Français]

Mme Cloutier : Merci de cette cruciale question. On en a parlé quand on a travaillé à la composition, à l’organisation. On voulait s’assurer qu’elle est la plus agile possible, mais surtout que la composition de ce conseil peut apporter une pluralité de voix dans l’ensemble de ce bel univers et de ce beau monde autochtone. Il faut que cette organisation soit indépendante aussi, mais apolitique dans sa nature. Vous comprendrez que dès le départ, c’est une prémisse avec laquelle nous avons travaillé pour mettre de l’avant le type d’organisation que nous voulons créer.

Aussi, évidemment, il faut que ce soit une organisation dirigée par et pour les Autochtones, mais qui inclut également les non‑autochtones. C’est important que la classe politique l’endosse et l’appuie, et qu’elle soit en mesure d’y contribuer par la nomination de représentants. Cela étant dit, la réconciliation est un espace très inconfortable. C’est inconfortable parce qu’il faut tous contribuer à des compromis pour faire avancer ensemble la réconciliation.

Aujourd’hui, je pense que nous avons l’occasion de marquer un nouveau jalon de l’histoire, « nous » étant tous ceux qui contribuent aux réflexions et à faire avancer la réconciliation, mais surtout à mettre de l’avant une action concrète. On n’est plus dans la réflexion, la théorie et les concepts; il faut passer à l’action. Grâce à la mise en place de ce Conseil national de réconciliation, on va pouvoir réellement aussi passer à l’action.

[Traduction]

M. DeGagné : Nous avons présenté ces trois proposants, qui représentent les Premières Nations, les Métis et les Inuits, pour nous assurer que personne ne serait laissé pour compte et que chacune de ces organisations examinerait attentivement une candidature et ferait partie du conseil. C’était dans le but d’être équitable envers les trois groupes.

Lorsque nous demandons aux représentants d’un organe politique s’il aimerait créer un organe qui n’est pas sous le contrôle des chefs, des Inuits ou des Métis, des sénateurs ou de qui que ce soit d’autre, ils répondent généralement : « Non, nous préférons que ce soit sous notre contrôle. » C’est la nature de ces organisations. Mais je ne pense pas que ce soit aussi simple que cela. Au bout du compte, les organisations politiques craignent que cela ne devienne un organe politique qui supplantera leurs liens directs actuels avec le gouvernement. Tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’il ne s’agit pas de cela. Ce n’est pas ainsi que les choses se passeront.

J’ai travaillé avec la Fondation autochtone de guérison pendant 17 ans, et nous n’avons jamais été politiques. Ce n’est pas impossible. En fait, on s’y attendait, et la commission a été très prudente à cet égard. Est-ce possible? Absolument. C’est ce genre d’organisation dont il s’agit. Je ne blâme pas ces organisations de s’inquiéter du fait que cela les éloigne du gouvernement, mais je ne peux que leur donner toutes les assurances que ce n’est pas ainsi que les choses sont organisées.

La sénatrice Audette : Je me souviens de la Fondation de guérison. Hier, nous avons entendu un témoin extraordinaire, un jeune homme. J’ai inscrit des noms sur la liste, mais je ne connais pas leur position sur le projet de loi C-29. Ce fut une belle surprise de l’entendre parler de réconciliation entre nous aussi et de l’importance qu’il y accorde comme Autochtone. J’ai vu l’impact de ce programme et de cette fondation dans ma propre famille, dans la collectivité, avec Femmes autochtones du Québec, le centre d’amitié.

Je crois fermement que nous en sommes à une étape, en 2023, où les gens devraient nous faire confiance. Ils devraient avoir confiance dans le fait qu’en raison de nos expériences de vie, nous savons ce qui est bon pour nous. Êtes-vous d’accord avec moi? Nous avons eu la gentillesse d’accueillir les gens, et nous voulons continuer d’accueillir les gens et de changer l’histoire. Comment pouvons-nous réunir les gens dans mon nouveau Shaputuan, ma nouvelle vie au Sénat — ce ne sont pas seulement des Autochtones, ce sont des gens extraordinaires — pour qu’ils se sentent à l’aise lorsqu’ils entendent le président d’une organisation dire « non » ou un grand chef dire « non »? Aujourd’hui, ce sont eux, mais dans 10, 20 ou 30 ans, ce sera un autre visage, un autre esprit. Il faut penser aux sept prochaines générations. Comment pouvons-nous dire à mes collègues : « Faites-nous confiance »?

M. DeGagné : C’est un défi. C’est le problème de n’avoir eu que des organisations politiques jusqu’à maintenant. Il n’y a pas beaucoup d’organisations de la société civile que nous pouvons désigner et dont nous pouvons dire : « Vous voyez ce groupe? Il s’agissait d’un groupe de citoyens autochtones qui se sont réunis. Ils avaient une expertise dans un domaine particulier. Ils ont travaillé ensemble et ont produit un résultat positif qui était juste pour tout le monde. » Si seulement nous avions des centaines de ces organisations. Mais ce n’est pas le cas. C’est le problème dans notre collectivité. Tout est politique.

Des organismes politiques ont supprimé des organisations comme la Fondation autochtone de guérison et l’Organisation nationale de la santé autochtone. Nous essayons de rajeunir cela et de montrer que vous pouvez faire confiance aux Autochtones et, dans ce cas-ci, aux non-Autochtones qui appuient également notre cause et qui travaillent ensemble pour en arriver à un résultat équitable pour tout le monde.

La sénatrice Audette : Seriez-vous d’accord pour que nous apportions un amendement au projet de loi C-29 pour qu’il soit écrit noir sur blanc qu’il ne fera pas d’ombre aux relations politiques que ces organisations ont avec le gouvernement, parce que ce n’est pas clair?

M. DeGagné : Eh bien, Mike DeGagné dirait oui. Je ne peux pas parler au nom du comité, mais oui tout à fait.

M. Case : Rapidement, sénateur, le sénateur Arnot a posé plus tôt une question au sujet des amendements que nous apporterions et des discussions que nous avons déjà eues au sujet des règlements éventuels, en supposant que le projet de loi soit adopté. Nous avons longuement discuté des libellés et de la possibilité d’une relation non consultative avec le gouvernement. Si le gouvernement fédéral pense qu’il risque d’entendre quelque chose qui ne lui plaît pas de la part de l’APN, de l’ITK ou du RNM, il ne peut pas demander à ce groupe ce qu’il en pense, n’est-ce pas? Je reviendrais environ 18 mois en arrière — c’est‑à-dire, si j’avais une machine à remonter le temps —, et nous mettrions cela en place. Oui, cela me semble logique.

Mme Cooper : Comme j’ai passé la plus grande partie de ma vie en politique, je sais qu’il y a toujours des changements de gouvernements et d’engagements. N’oubliez pas que souvent des engagements sont pris et que tout a disparu le lendemain. Cet effort de réconciliation va continuer et le projet de loi va suivre son cours. Ce n’est pas politique. Il s’agit d’un mouvement au Canada. Je vais m’arrêter ici. Les politiciens ont leur place et leurs engagements, mais c’est une question de réconciliation.

Le président : Merci.

La sénatrice Greenwood : Je vous remercie de votre présence et de vos exposés et de vos sages paroles.

J’aimerais vous faire part de quelque chose, puis j’aimerais savoir ce que vous en pensez. Avant d’être nommée au Sénat, j’étais directrice universitaire du Centre national de collaboration pour la santé autochtone, il y a près de 20 ans. Nous avons fait face à bon nombre des défis que vous avez mentionnés ce soir. Nous étions apolitiques, mais nous avions des représentants techniques de l’APN, de l’ITK et du RNM. Nous avions de très bons techniciens venant de divers secteurs et divers domaines. Je comprends ce à quoi vous êtes confrontés. Des organisations politiques nous ont dit qu’elles avaient besoin d’être représentées. Cela m’a fait chaud au cœur d’entendre Michael DeGagné dire qu’on penchait davantage vers un comité technique. C’est vraiment difficile de faire travailler ensemble des politiciens et des techniciens. Les politiciens vous devanceront chaque fois, et vous ne pouvez rien faire — du moins, c’est ce que j’ai constaté.

En vous écoutant parler ce soir, je me suis rendu compte de certaines choses que j’ai entendues dans d’autres témoignages. Parfois, le but est déjà là. L’objectif est d’aider les survivants et de mettre en avant le cadeau qu’ils nous ont fait en racontant leurs histoires. Il en a été question dans le rapport de la commission. L’un des appels est fondé là-dessus. Il y a une contradiction entre les expériences coloniales qui se poursuivent encore aujourd’hui. Cela a un rôle à jouer. Avec la réconciliation, nous ne sommes pas seuls. Nous sommes des partenaires et des personnes. Nous sommes nombreux dans ce bateau, si vous voulez.

On met également l’accent sur l’éducation et la guérison. C’est vraiment ce qui nous intéresse. Nous cherchons à réparer une relation qui est longue, ancienne et extraordinairement complexe. Si notre but est de guérir cette relation et si nous nous concentrons sur ces choses, cela nous éloigne de la sphère politique. Les politiciens ont un rôle à jouer, c’est certain, mais peut-être pas ici. Leur rôle viendra plus tard, à mesure que vous ferez avancer les choses et que le conseil fera avancer les choses, après avoir entendu les gens expliquer en détail ce que cela devrait être. Je pense que vous avez les grandes lignes. Les détails seront présentés au conseil. Je me demandais ce que vous en pensiez. Il s’agit peut-être simplement de présenter ce que j’ai entendu.

On a parlé de mettre au diapason les politiciens et leurs hésitations, si vous voulez. Comment pouvons-nous les rassurer? Cet amendement est un excellent moyen de le faire, c’est-à-dire de veiller à ce que le conseil n’éclipse jamais les relations bilatérales ou les relations avec le gouvernement. C’est essentiel. C’est une question de cœur. C’est une question de personnes. C’est une question de guérison. Cela nous concerne tous, pas seulement les Autochtones, mais tout le monde.

Je serais heureuse d’entendre vos réactions. Désolée. C’était très long.

M. DeGagné : Vous avez tout à fait raison. Au bout du compte, il s’agit de guérison. Voilà ce qu’est la réconciliation. Sans nos partenaires — c’est-à-dire s’il n’y a que des Autochtones —, c’est comme si nous demandions à un manchot d’applaudir, n’est-ce pas? Nous avons besoin de tous ceux qui vont participer ensemble.

Il y a beaucoup de réconciliation en ce moment. Ce conseil ne va pas fabriquer la réconciliation ou en être propriétaire. Tout ce que nous allons faire, c’est prendre les gens qui font bien les choses et montrer aux autres Canadiens ce qui est possible. En même temps, nous montrerons où sont les lacunes et où les institutions, les gouvernements et les particuliers peuvent en faire plus. Tout cela fait partie de la guérison. Nos relations et le dialogue que nous créons par l’entremise de ce conseil en font partie intégrante.

Le président : Merci, sénatrice Greenwood. Désolé, mais il nous faut avancer, car la liste est encore longue.

Le sénateur D. Patterson : Merci.

Monsieur DeGagné et d’autres, mais je m’adresse à vous en particulier, ce que vous avez dit au sujet du fait de ne plus être une organisation politique m’a frappé. Vous avez parlé de guérison, tout comme la sénatrice Greenwood. Cela a vraiment attiré mon attention.

Dans votre rapport, vous demandez au conseil, à la commission, de surveiller les programmes, les politiques et les lois du gouvernement concernant les peuples autochtones et de faire rapport au Parlement, ce qui me semble très politique. Dans le projet de loi qui nous occupe, on retrouve le même genre de surveillance des politiques et des programmes du gouvernement du Canada, ce qui semble être une interface avec les instances politiques. S’agirait-il de retirer ces éléments pour mieux nous occuper des priorités qui sont selon vous celles des gens ordinaires?

Bien sûr, il y a aussi des organisations politiques qui proposent et obtiennent le droit de nommer des administrateurs. Je me pose des questions et j’essaie de réfléchir aux répercussions de ce que vous avez dit. Je crois vous avoir entendu dire que si vous pouviez retourner 18 mois en arrière, vous pourriez peut-être revoir la situation. Y a-t-il moyen de simplifier les choses pour aller dans le sens que vous avez recommandé et éliminer certains de ces éléments? Le président Obed a clairement dit : « C’est notre territoire qui est en jeu à la table du partenariat entre les Inuits et la Couronne. Nous nous sentons menacés par le projet de loi. » Devrions-nous nous débarrasser de certaines choses pour nous concentrer sur celles qui sont importantes et dont tout le monde parle autour de cette table? Je réfléchis à voix haute. Comment allons-nous donner suite à ce que vous venez de dire?

M. DeGagné : M. Case l’a bien dit. Il ne s’agit pas d’un organisme de réglementation. Le projet de loi ne contraint nullement le gouvernement à poser un geste qui serait à notre avis dans l’intérêt de la réconciliation. Nous ne pouvons que faire la lumière là-dessus.

Cela reflète le sentiment et certains propos tenus par la Commission de vérité et réconciliation. Je pense qu’on avait prévu au départ que ce serait simplement un gros bâton et que sa seule raison d’être était de surveiller ce que le gouvernement faisait et de le secouer au besoin pour qu’il s’y prenne mieux. Or, il n’en est rien. En fait, ce qui est ressorti des six dernières années où nous avons travaillé sur cette question sous une forme ou une autre, c’est que nous nous contentons de faire la lumière sur ce que font les gouvernements — au pluriel —, en laissant aux Canadiens le soin de les obliger à rendre des comptes ou de les applaudir, le cas échéant, pour leurs gestes en faveur de la réconciliation. Ce n’est pas réglementé.

Supposons que nous puissions revenir en arrière, supprimer cette disposition et dire que nous n’allons pas examiner de près ce que fait le gouvernement. Cela pourrait être considéré comme contraire à l’esprit de la recommandation de la Commission de vérité et réconciliation. D’autres penseront peut-être aussi qu’on laisse le gouvernement s’en tirer à bon compte. Je pense donc que nous voulons que les choses soient claires — comme le veut l’amendement auquel la sénatrice Audette faisait allusion. Ainsi, il s’agirait de préciser que notre travail consiste à faire la lumière sur les actions de tous les intervenants. Cela dit, ce n’est pas une organisation qui veut s’immiscer entre les ayants droit et le gouvernement. Nous n’avons ni l’intention ni la capacité de le faire. Ce n’est pas ce que fera ce groupe de base. Je pense que c’est peut-être la façon de procéder.

Le sénateur D. Patterson : Ce que vous dites pourrait être précisé dans le projet de loi — peut-être dans le préambule — pour que ce soit clair au besoin.

M. DeGagné : Oui.

Le sénateur D. Patterson : Il me semble que c’est ce qui pourrait être à l’origine des préoccupations du président Obed, qui mérite toute mon attention, surtout compte tenu de la région que je représente. Il ne fait aucun doute qu’à l’approche de l’étude article par article du projet de loi, l’Inuit Tapiriit Kanatami, ou ITK, pourrait même avoir des amendements à proposer, comme c’est souvent le cas. Mais il me semble que ce que vous venez de dire doit être précisé quelque part, d’une façon ou d’une autre. Je ne fais que réfléchir à voix haute en ce moment. Merci beaucoup.

M. DeGagné : Un commentaire dans le préambule semble être une bonne idée.

Le président : Cela nous amène à la fin de ce groupe de témoins. Je remercie tous nos témoins de leur présence parmi nous.

Comme je l’ai déjà mentionné, je demande à tout le monde de garder les micros écartés du visage et d’être le plus bref possible dans les échanges. En raison des contraintes de temps, chaque sénateur disposera de cinq minutes pour poser une question et recevoir une réponse. La priorité est accordée aux membres du comité, puis aux autres collègues. Je demande aux témoins de fournir par écrit, avant la fin de la semaine, toute réponse demeurée en suspens.

J’aimerais maintenant vous présenter notre deuxième groupe de témoins, soit Manny Jules, commissaire en chef de la Commission de la fiscalité des premières nations, et Dawn Madahbee Leach, présidente du Conseil national de développement économique des Autochtones. Merci à vous deux de vous être joints à nous aujourd’hui.

Nos témoins feront une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes chacun, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs. Pour nous aider à respecter le temps alloué et à garantir l’équité pour tous, lorsque nous atteindrons la limite de quatre minutes de votre temps, je lèverai cette affiche pour vous faire signe qu’il vous reste une minute afin que je n’aie pas à interrompre qui que ce soit.

J’invite maintenant le commissaire en chef Jules à faire sa déclaration préliminaire.

Manny Jules, commissaire en chef, Commission de la fiscalité des premières nations : Honorables sénateurs, bonsoir. Je m’appelle Manny Jules et je suis le commissaire en chef de la Commission de la fiscalité des premières nations, l’une des trois institutions créées par la Loi sur la gestion financière des premières nations. J’ai également été chef de la bande indienne de Kamloops de 1984 à 2000. Je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner devant le comité dans le cadre de votre examen du projet de loi C-29, Loi sur un conseil national pour la réconciliation.

Je me réjouis de la décision du gouvernement d’adopter une loi pour faire de la création du conseil national une réalité, d’autant plus qu’elle est conforme à l’un des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. L’établissement d’une organisation permanente, adéquatement financée, apolitique et dirigée par les Autochtones pour faire progresser la réconciliation est quelque chose que tous les Canadiens peuvent et devraient appuyer. Je pense que nous convenons tous que, compte tenu de l’histoire de la colonisation du Canada, il y a beaucoup de choses à réconcilier. Cependant, je vais limiter mes commentaires au volet économique de la réconciliation, car je crois qu’il s’agit d’un message important sur la façon de réaliser la réconciliation dans toutes ses dimensions.

Permettez-moi de dire que la réconciliation économique veut dire bien plus qu’émettre un simple chèque. En fin de compte, elle doit redonner aux Premières Nations les outils et les pouvoirs décisionnels dont elles ont besoin pour attirer des investissements et participer pleinement à l’économie canadienne. De nombreuses Premières Nations sont pauvres aujourd’hui parce que, par le passé, d’autres personnes pensaient qu’elles pouvaient prendre des décisions en notre nom, mieux que nous ne pouvions le faire pour nous-mêmes. Beaucoup de gens pensaient qu’on ne pouvait pas nous faire confiance pour nous lancer en affaires ou obtenir un prêt hypothécaire. Par conséquent, ils ont estimé qu’ils devaient nous protéger en nous empêchant de nous y mettre. C’est le genre de raisonnement qui a mené à des décennies de sous-investissement dans les terres des Premières Nations, et ce sous-investissement a entraîné la pauvreté, l’itinérance et le désespoir pour bon nombre d’entre nous. C’est le genre de raisonnement qui nous a laissés impuissants sur nos propres terres. Des gens nous ont remis en question à chaque étape. C’était le contraire de l’autodétermination.

Pour une véritable réconciliation, nous devons restaurer non seulement la terre, mais aussi les pouvoirs et les autorités nécessaires pour la rendre productive. C’est ce que j’appelle la réconciliation économique, et la réconciliation économique est une condition nécessaire à l’autodétermination. La réconciliation économique consiste à donner aux Premières Nations leurs propres pouvoirs de générer des recettes dans des conditions où nous pouvons les exercer librement.

Si nous voulons mesurer nos progrès vers la réconciliation, nous devons tenir compte de ce qui suit : premièrement, la disponibilité et le potentiel de croissance des revenus autonomes des Premières Nations; deuxièmement, la mesure dans laquelle ces recettes ne sont pas grevées ou potentiellement grevées par d’autres organismes gouvernementaux; troisièmement, nous devrions être en mesure d’utiliser ces recettes selon nos propres priorités et comme nous l’entendons. En bref, notre pouvoir en matière de revenu correspond-il à nos responsabilités et à nos compétences? Par exemple, pouvons-nous utiliser ces revenus pour améliorer notre capacité de saisir les occasions économiques? Cela nous permettra de réagir, comme disait mon père, au rythme des affaires. Pouvons-nous utiliser ces revenus pour protéger notre assise territoriale et veiller à ce que nos enfants soient éduqués dans notre culture?

Ces questions sont la raison pour laquelle j’ai préconisé avec autant de vigueur l’adoption de la Loi sur la gestion financière des premières nations. Je savais qu’elle générerait des recettes qu’il ne serait pas facile de grever. Je savais qu’elle nous permettrait d’appliquer ces recettes à nos priorités sans la surveillance de qui que ce soit. Je savais aussi que c’était la clé de la réconciliation économique, de l’autodétermination et de la prospérité.

En conclusion, je crois fermement que la réconciliation doit comprendre la réconciliation économique. Nous ne pouvons pas parvenir à une pleine reconnaissance de la réconciliation sans éliminer le legs du colonialisme qui nous a empêchés de participer pleinement à l’économie. Les institutions visées par la Loi sur la gestion financière des premières nations réussissent à le faire depuis près de 20 ans, et il reste encore beaucoup à faire. C’est pourquoi le premier conseil d’administration doit veiller à ce que le conseil national surveille nos progrès et préconise des mesures qui favorisent et améliorent la réconciliation économique.

Comme mes ancêtres l’ont écrit au premier ministre Wilfrid Laurier en 1910, en travaillant ensemble, nous pouvons nous faire mutuellement grands et bons.

Merci beaucoup.

Le président : Merci, commissaire en chef Jules. J’invite maintenant Mme Madahbee Leach à faire sa déclaration préliminaire.

Dawn Madahbee Leach, présidente, Conseil national de développement économique des Autochtones : [Mots prononcés en langue autochtone]

Meegwetch et merci de m’avoir invitée à vous parler aujourd’hui du projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.

Je m’adresse à vous aujourd’hui en ma qualité de présidente du Conseil national de développement économique des Autochtones, un organisme apolitique nommé par le ministre qui a pour mandat de fournir des conseils et des directives au gouvernement fédéral sur tous les aspects du développement économique des Autochtones.

La réconciliation ne sera pas complète tant qu’il n’y aura pas de réconciliation économique et que les peuples autochtones du Canada n’auront pas atteint la parité socioéconomique.

Les effets du colonialisme ont été dévastateurs pour la santé sociale et physique de nos collectivités. L’un de ses objectifs les plus infâmes a été l’exclusion délibérée des peuples autochtones du partage des richesses de ce pays.

Il y a un an de la parution de la Stratégie économique nationale pour les Autochtones du Canada. Ce document est le fruit d’une collaboration historique entre plus de 25 organisations économiques autochtones nationales. La stratégie fournit au gouvernement, aux entreprises canadiennes et à toutes les institutions et à tous les Canadiens une vision cohérente pour guider l’inclusion économique des Autochtones d’un océan à l’autre.

La création d’un conseil national pour la réconciliation est une première étape importante pour tenir le Canada responsable des progrès réalisés en matière de réconciliation. L’essence même de la réconciliation doit inspirer les peuples autochtones et non autochtones à transformer la société canadienne afin que les générations futures puissent vivre et s’épanouir ensemble. Pour mieux favoriser la réconciliation économique, notre conseil recommande que les organisations économiques autochtones nationales soient représentées. Les voix des survivantes, des femmes, des jeunes et de la communauté 2ELGBTQIA+ doivent également être incluses de façon significative pour aider à éclairer les approches autochtones et occidentales des efforts de réconciliation.

La responsabilité de la Commission de vérité et réconciliation devrait aller au-delà de la surveillance et de la production de rapports sur les progrès réalisés à l’égard de résultats mesurables, y compris en ce qui concerne l’appel à l’action no 55 de la commission. Elle doit également comprendre la surveillance de la mise en application intégrale de la Loi sur la Déclaration des Nations unies et la production de rapports à ce sujet. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones établit un cadre universel de normes minimales pour la survie, la dignité et le bien-être des peuples autochtones du monde et fournit un cadre efficace permettant à l’industrie et aux entreprises d’établir des relations respectueuses et de travailler en collaboration avec les peuples autochtones. Mais surtout, les sociétés et les gouvernements doivent respecter le droit au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Enfin, j’attire votre attention sur le rôle de leadership que joue l’Université des Premières Nations du Canada pour surveiller la mise en œuvre des 107 appels à la prospérité économique qui se trouvent dans la Stratégie économique nationale pour les Autochtones. Les entreprises et les organisations commencent déjà à communiquer à l’université l’information sur leur travail de réconciliation. L’appel à la prospérité économique 79 de la stratégie dit précisément :

Créer et habiliter un institut autochtone pour recueillir et gérer les données sur la population, les entreprises, les terres et les ressources des Autochtones. Cet institut surveillera et mesurera la mise en œuvre de ces appels à la prospérité économique.

Les responsabilités du Conseil national de réconciliation et de l’Université des Premières Nations devraient être considérées comme complémentaires. Les deux institutions devraient présenter un plan de travail commun portant expressément sur le suivi de la recherche, des politiques et des progrès associés à l’application des appels à l’action de la CVR — la Commission de vérité et réconciliation —, de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et des appels à la prospérité économique contenus dans la Stratégie économique nationale pour les Autochtones.

La CVR a dit clairement que l’établissement de relations et de partenariats constructifs et mutuellement avantageux avec les communautés autochtones contribuera à la croissance économique des communautés, améliorera leur santé et leur bien-être et assurera leur pérennité. Tout cela sera bénéfique, en fin de compte, pour les peuples autochtones et tous les Canadiens.

Merci beaucoup de m’avoir donné l’occasion de vous parler de cet important sujet. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions. Meegwetch.

Le président : Merci, madame Madahbee Leach. Passons maintenant aux questions des sénateurs.

Le sénateur Arnot : Merci aux témoins d’être là.

Bien que les deux témoins aient dit clairement et avec concision ce qu’ils veulent — il n’y a pas beaucoup d’ambiguïté —, l’une des choses que j’entends, c’est que vous voudriez que la réconciliation économique soit inscrite dans le mandat du conseil afin qu’elle puisse être mesurée. Ce qui n’est pas dans le mandat ne sera pas mesuré et ce qui ne sera pas mesuré ne sera pas réalisé. C’est essentiellement le message que je reçois. Vous avez besoin de cette perspective parce que la pauvreté, ou le manque de prospérité, est vraiment au cœur de ce qui a mal tourné dans la relation entre les Autochtones et les non-Autochtones au Canada. Je n’ai pas vraiment de question. Je dirai simplement que je crois avoir compris votre propos. Si vous voulez étoffer et me rendre la chose plus claire, n’hésitez pas à le faire.

Mme Leach : Si vous me le permettez, je voudrais insister de nouveau sur l’importance de la perspective économique, car moi-même et bien des gens avec qui je travaille croyons fermement que s’occuper des questions économiques aide à régler les problèmes sociaux et culturels actuels de notre peuple. Bien sûr, cela peut contribuer à la guérison dont j’ai entendu le premier groupe de témoins parler aujourd’hui. Je crois vraiment que cette perspective économique est essentielle à ce travail.

M. Jules : En 1927, lorsque Mackenzie King était premier ministre du Canada, une mesure législative, le projet de loi C-56, a été présentée pour nous retirer nos pouvoirs financiers. Cette mesure a fait en sorte que nous dépendions à jamais du gouvernement fédéral pour construire la moindre chose dans notre communauté — qu’il s’agisse d’infrastructures ou de maisons —, pour nous occuper de nos propres familles et de nos enfants et pour envoyer nos enfants à l’école. Un organisme indépendant qui s’occuperait de la réconciliation sans s’intéresser d’une façon ou d’une autre aux résultats économiques et sans les mesurer nuirait à l’ensemble des peuples autochtones. Je suis un survivant du pensionnat indien de Kamloops. Cette institution a aussi été mise en place pour nous enlever notre langue, notre histoire et notre culture. Dans notre façon d’aborder la réconciliation, nous ne pouvons pas examiner ces questions isolément les unes des autres. Il ne faut pas se limiter à la politique sociale pour aborder toutes ces questions très importantes. En fait, plus les Premières Nations participent à l’économie, plus elles peuvent se prendre en charge et contribuer à la fédération dans son ensemble.

Le sénateur Arnot : Merci.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, monsieur Jules, et merci à Mme Madahbee Leach. Vous êtes tous les deux de grandes lumières qui éclairent le Canada. Le travail que vous faites tous les deux et votre leadership en matière de développement économique sont tout simplement exemplaires. Nous sommes heureux de vous accueillir.

Je vous remercie vraiment de ce rappel. Comme le sénateur Arnot l’a dit, nous comprenons votre message. De toute évidence, il ne suffit pas de mesurer la pauvreté. Nous voulons mesurer la population qui échappe à la pauvreté, et l’un des meilleurs moyens d’échapper à la pauvreté, c’est l’activité économique, comme vous l’avez souligné.

Le conseil doit aussi braquer les projecteurs sur les éléments positifs un peu partout au Canada. Quels sont ceux qui sont liés à ces éléments positifs? Vous êtes du nombre. Dans bien des cas, vous y avez contribué. Pourquoi ne pas ajouter au projet de loi — sans pour autant en retarder l’adoption — un passage qui reconnaisse l’importance de cet aspect?

Monsieur Jules et madame Madahbee Leach, vous pourriez peut-être tous les deux répondre à la question. On nous dit que la voix de ceux qui travaillent dans le domaine du développement économique est importante, tout comme les autres voix dont vous avez parlé. Vous êtes en fait de bons exemples d’organisations non politiques. C’est ce que le conseil veut être. Vous pouvez probablement nous apprendre certaines choses. Vous avez aussi parlé des relations avec d’autres organisations comme les universités — l’Université des Premières Nations — et du rôle qu’elles pourraient jouer. Avez-vous autre chose à ajouter au sujet d’autres organisations autochtones régionales ou nationales avec lesquelles, selon vous, il sera essentiel que le conseil entretienne des relations?

Mme Leach : J’ajouterai simplement que, dans la Stratégie économique nationale pour les Autochtones, nous insistons vraiment sur la nécessité d’avoir nos propres institutions dans différents domaines. Nous avons vraiment l’impression que les progrès sont plus marqués lorsque nous avons nos propres institutions dirigées par des Autochtones. Je voudrais vraiment que nous puissions dire que vous devez inclure notre institution nationale en matière d’éducation autochtone. Et notre institution nationale chargée du soutien à la famille et des services de garde. Je voudrais pouvoir dire que nous avons une institution nationale chargée des services de santé aux Autochtones. Ce sont là certaines des institutions signalées comme nécessaires dans notre stratégie, et ce sont les types d’institutions qu’il conviendrait de créer pour apporter les perspectives et les compétences voulues. Je constate que, lorsque nous avons de telles institutions, nous sommes en mesure — j’ai entendu la discussion précédente — de faire appel à des techniciens pour faire bouger les choses dans ces divers secteurs. Heureusement pour nous, nous avons un groupe d’organisations autochtones nationales dans divers secteurs économiques, ce qui a aidé à orienter le développement économique au Canada. Il reste encore beaucoup de travail à faire, mais il est certain que le développement de nos propres institutions est un besoin réel en ce moment, parce que nous savons que nous pourrions faire le travail mieux que n’importe quelle autre organisation ou institut parce qu’elles sont dirigées par des Autochtones. C’est un facteur déterminant.

La sénatrice Coyle : Merci.

M. Jules : Dirigé par des Autochtones ne signifie pas exclusivement autochtone. Ma commission compte trois représentants non autochtones. Ils font partie intégrante de la commission. En fait, leur voix est essentielle pour donner un caractère légitime à notre façon d’aborder les problèmes. Leur soutien est extrêmement précieux, car nous devons tendre la main à de nombreux groupes non autochtones, comme la Fédération canadienne des contribuables et d’autres groupes partout au Canada, et travailler avec eux. Ils nous aident à régler les problèmes. J’appuie sans réserve la représentation non autochtone au sein de la commission. Elle est d’une importance absolue. Notre pays est composé de bien des gens et nous devons être en mesure de construire des ponts.

L’un des autres aspects que je trouve très importants, c’est le volet pédagogique. Nous devons être en mesure d’inculquer, de la maternelle à l’université, une nouvelle compréhension de la pensée autochtone et d’apporter la pensée autochtone à tous les établissements d’enseignement. Cela ne peut être fait que par des Autochtones.

L’un des autres aspects qui, à mon avis, revêtent une importance cruciale pour la commission, ce sont les aspects internationaux. Je travaille avec les Maoris de l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande. Dans l’étude des enjeux internationaux et des diverses façons d’aborder la réconciliation, c’est un élément important du travail qui doit se faire à l’avenir. Il ne s’agit pas seulement de la Nouvelle-Zélande. Il y a aussi l’Australie et ce qui se fait aux États-Unis et dans l’ensemble des Amériques.

Le président : Merci, monsieur Jules.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Lorsque je regarde les appels à l’action et le travail de la Commission de vérité et réconciliation, je me dis que la réconciliation en matière de développement économique ne faisait pas vraiment partie de ce travail. Non pas qu’elle n’y attachait pas d’importance. Mais cette commission s’appuyait sur les témoignages des survivants, particulièrement en ce qui concerne les pensionnats et leurs effets intergénérationnels. Je suis ravie d’entendre qu’il y a des appels à la prospérité économique et qu’il y a un rapport. Je l’ai regardé sur mon téléphone et je me suis dit que je devais lire ce rapport.

Néanmoins, je me demande vraiment d’où viendraient les données permettant de mesurer les progrès. Faudrait-il mettre en place des structures ou des projets pour recueillir ces données? Tout d’abord, monsieur Jules — c’est un plaisir de vous revoir, soit dit en passant —, comment envisagez-vous la collecte de données afin que nous comprenions vraiment ce qui se passe en ce qui concerne les revenus tirés des ressources, le développement économique et l’innovation au Canada avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits?

M. Jules : Nous avions une institution statistique qui, malheureusement, ne fonctionnait pas et qui a été supprimée. Il faut réfléchir à ce problème. Le Sénat pourrait peut-être examiner toute la question de la création d’un institut de la statistique dirigé par des Autochtones. Une façon de contourner le problème, puisque cette institution ne relève plus de la Loi sur la gestion financière, consiste à créer cette capacité au sein des institutions financières elles-mêmes, et c’est ce que prévoit le projet de loi C-45.

Il est extrêmement important d’avoir des mesures que nous pouvons examiner non seulement pour quantifier la pauvreté, mais aussi pour évaluer le développement et la croissance économiques. La seule façon d’y arriver, c’est d’avoir des institutions capables de tenir leur bout face aux institutions fédérales et provinciales déjà en place.

La sénatrice LaBoucane-Benson : C’est génial.

Mme Leach : Si vous me le permettez, j’attirerai votre attention sur le fait que le Conseil national de développement économique des Autochtones produit un rapport national sur les progrès économiques des Autochtones. Nous avons publié trois rapports. Ils se trouvent sur notre site Web. C’est un peu comme un rapport sur l’état des nations autochtones. Nous publierons notre quatrième rapport cette année. Le rapport mesure le revenu, le niveau des études et le niveau d’emploi des Autochtones, ainsi que le bien-être et la prospérité économique. Nous examinons toutes ces mesures. Nous produisons ce rapport depuis 2012. Nous tenons donc à le signaler. Nous comparons nos statistiques aux données canadiennes sur l’éducation, le revenu et les niveaux d’emploi. Ce rapport contient également des données fondées sur les distinctions. Je voulais simplement attirer votre attention là-dessus.

J’ajouterais un mot au sujet du rapport de l’OCDE sur le lien entre les peuples autochtones et les économies régionales. C’est une mine de renseignements, et il contient de nombreuses recommandations à l’intention du gouvernement du Canada pour appuyer la participation des Autochtones aux économies régionales. Vous trouverez ces deux rapports sur notre site Web.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Avant d’être nommée au Sénat, j’ai été consultante pour un projet de l’auditeur général de l’Alberta. Il s’agissait d’étudier la participation et la contribution des Autochtones à l’économie en Alberta. Cela représente des milliards de dollars par année. D’autres provinces ou territoires font-ils un travail semblable? Ces données sont-elles reprises dans vos travaux, madame Leach?

Mme Leach : Oui. Le Canada atlantique a produit un rapport semblable, tout comme le Manitoba. Nous avons trois rapports provinciaux. Je sais que d’autres envisagent de produire des rapports semblables qui mettent en évidence les dépenses réelles des Autochtones dans ces provinces et les contributions qu’ils y apportent. Il arrive souvent qu’on ne prenne pas conscience du fait que, lorsque les économies et communautés autochtones progressent, les régions où elles se trouvent en profitent. C’est un point important à souligner.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci.

La sénatrice Hartling : Je remercie les témoins d’être parmi nous ce soir. Votre sagesse compte beaucoup, surtout en ce qui concerne la réconciliation économique. Certainement, cette réconciliation serait habilitante et il faut absolument en tenir compte.

Monsieur Jules, vous avez commencé à parler d’autres pays et d’exemples dont nous pourrions peut-être nous inspirer. Vous pourriez peut-être nous en parler tous les deux. Vous avez commencé à parler de la Nouvelle-Zélande. Y a-t-il des éléments qui pourraient être intégrés à ce conseil national pour la réconciliation et auxquels nous pourrions réfléchir ou dont nous pourrions prendre connaissance?

M. Jules : Absolument. Cela répond en partie à l’une des questions d’un autre sénateur au sujet du travail que nous faisons également, c’est-à-dire communiquer et travailler avec la Banque du Canada, la Bank of New Zealand, la National Australia Bank, la Federal Reserve Bank de Minneapolis-St. Paul et la Federal Reserve Bank de St. Louis. Nous avons convaincu toutes ces institutions bancaires de commencer à prendre à cœur les questions économiques autochtones et à les intégrer à leur base statistique. C’est d’une importance cruciale parce qu’à l’heure actuelle, il n’est même pas tenu compte de notre potentiel économique dans les mesures.

Au début de la pandémie de COVID-19, nous avons appris que, lorsque le gouvernement fédéral mettait en œuvre de nombreux programmes, il n’y avait rien pour les Autochtones. Nous avons donc entrepris cette analyse. Nous avons découvert que nos entreprises dans les communautés où nous travaillons rapportent quelque 17 milliards de dollars par année. Les évaluations foncières avec lesquelles nous travaillons sont maintenant de l’ordre de 15 milliards de dollars. Le poids économique des Premières Nations est considérable, et il ne fera que croître. Il faut pouvoir en tenir compte dans les mesures.

Quant aux enjeux internationaux, nous travaillons en partenariat avec l’Université Thompson Rivers et l’Université de Canterbury. Cela sera officialisé en juillet. Nous travaillons également avec un certain nombre de partenaires en Australie et aux États-Unis. Lorsque nous nous réunissons, nous nous intéressons non seulement à notre potentiel économique, mais aussi à l’élimination des entraves au commerce et nous discutons de nos expériences, des obstacles qu’il a fallu surmonter. Cela pourrait facilement se retrouver dans le mandat de la Commission de réconciliation parce que, pour régler les problèmes, nous devons être en mesure d’examiner non seulement ce qui se passe chez nous, mais aussi chez d’autres peuples qui ont été colonisés à peu près de la même façon que nous.

La sénatrice Hartling : Quelque chose à ajouter, madame Leach?

Mme Leach : Oui. Pendant des années, j’ai observé les progrès de la réconciliation en Australie, le travail que ce pays a accompli. Elle héberge sur son site Web des plans d’action de réconciliation des diverses entreprises et institutions. J’ai toujours pensé que c’était une excellente initiative que de publier les plans d’action pour la réconciliation.

Les Australiens avaient du mal à mesurer et à vérifier les progrès réalisés, mais ils ont commencé à faire ce genre de travail. C’est très important, car ils ont souligné entre autres choses qu’il commençait à y avoir de l’émulation. Les entreprises cherchent à élaborer un meilleur plan d’action que les autres pour la réconciliation, et cela a vraiment changé une bonne partie du paysage là-bas parce qu’il y a un effort concerté et qu’une organisation nationale est chargée de mesurer les progrès.

J’ai vraiment hâte de voir ce que nous pourrons faire avec cette organisation à l’avenir. Cela ne peut qu’être avantageux pour l’ensemble du Canada.

La sénatrice Hartling : Merci.

Le président : Je dois rappeler aux témoins que, s’ils n’ont pas la possibilité de terminer une réponse, puisque le temps nous est compté, ils ont toute liberté de nous fournir après coup des renseignements supplémentaires par écrit.

Le sénateur D. Patterson : Je suis ravi d’accueillir ces témoins ce soir. La sénatrice Coyle a fort bien fait remarquer le leadership dont vous avez tous les deux fait preuve, et ce même comité va bientôt vous aider à faire un pas de géant en étudiant le projet de loi C-45, je crois.

Voici une question au sujet d’une orientation qui nous a été proposée par les membres intérimaires du conseil. Ce soir, ils nous ont dit en somme qu’il leur semble absolument nécessaire de poursuivre les progrès en matière de guérison et de renforcer les capacités des survivants. Mme Madahbee Leach a répondu à cette question, mais j’oserais demander à M. Jules de nous donner brièvement son opinion lui aussi. Quel est le lien entre la guérison et la nécessité de rétablir le pouvoir et l’autorité pour rendre les terres rentables et enrayer la pauvreté? Quel est le lien entre ces efforts de développement économique et la guérison de votre peuple?

M. Jules : Il suffit de penser à ma collectivité de Kamloops, où, il y a quelques années, on a retrouvé en mai les restes de 215 enfants. L’un des engagements du gouvernement fédéral était de financer un pavillon de ressourcement dans ma collectivité. Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux touchent des recettes fiscales de 7 $ pour chaque dollar que nous percevons, et nous allons nous engager à construire un centre de ressourcement grâce à un programme du gouvernement fédéral. À long terme, nous serions en mesure de gérer cela nous-mêmes si nous avions la compétence que possèdent actuellement les gouvernements fédéral et provinciaux. Il existe donc un lien direct dans ma communauté, et vous pouvez le constater à maints endroits dans tout le pays. Si nous avons la compétence, si notre compétence est rétablie, nous serons en mesure de nous prendre en charge nous-mêmes, et la guérison est un élément très important de cette démarche. Sans un esprit sain et solide, impossible d’affronter la multitude de problèmes qui seront les nôtres à l’avenir.

Le sénateur D. Patterson : Merci.

Ma question s’adresse à vous deux. Je ne trouve dans le projet de loi rien qui se rapporte à ce que vous appelez la « réconciliation économique ». Le ministre doit présenter un rapport annuel comparant les niveaux de scolarité et de revenu des Autochtones et des non-Autochtones, mais la plupart des objectifs du conseil sont liés à la réconciliation et aux indicateurs sociaux. Voici ma question : ne devrions-nous pas essayer d’insérer dans le projet de loi une disposition pour reconnaître et préciser l’importance cruciale de la réconciliation économique? Un amendement a été proposé à l’autre endroit, comme nous l’appelons, et un député a dit qu’il ne comprenait pas ce que signifiait « réconciliation économique ». L’amendement a été rejeté. L’objectif de réconciliation économique ne devrait-il pas figurer dans cette nouvelle loi importante? Qu’en pensez-vous?

Mme Leach : Bien sûr, comme mes propos le confirment, j’estime que la réconciliation économique est essentielle si nous voulons faciliter notre processus de guérison, parce que, selon moi, seuls nos gens peuvent vraiment faire progresser la guérison. Parfois, la meilleure façon est d’aider les gens à retrouver leur identité et à être fiers de leur communauté. Lorsque nous voyons les communautés qui progressent sur le plan économique, nous constatons clairement qu’elles sont en mesure d’investir dans leur propre population et de créer les programmes culturels pour lesquels nous n’obtenons pas de fonds. Elles sont en mesure d’apporter une aide que les survivants des pensionnats indiens ne reçoivent pas normalement. Elles peuvent investir dans ce genre de soutien si elles génèrent des revenus qui leur donnent les moyens d’aider à combler une grande partie des lacunes économiques et à soutenir une meilleure éducation. Nous n’avons pas suffisamment de fonds pour aider tous nos jeunes à fréquenter des établissements postsecondaires, mais le développement économique peut aider à combler bon nombre de ces lacunes économiques.

Le sénateur D. Patterson : Merci.

Le président : Très rapidement, monsieur Jules?

M. Jules : De toute évidence, je suis ici pour soutenir que le projet de loi doit englober la réconciliation économique.

Le sénateur D. Patterson : Merci.

La sénatrice Audette : Je dirai au témoin Manny Jules que nous ne vieillissons pas. C’était il y a bien des lunes. Je suis heureuse d’entendre les deux témoins. Pour moi, ils sont la sagesse et la connaissance, le frère et la sœur.

En même temps, il est bon que nous ayons cette discussion parce que c’est la façon dont nous voulons lire la loi, la comprendre et l’interpréter en français ou en anglais. Le texte dit que le conseil est censé surveiller tous les secteurs de la société canadienne et tous les gouvernements au Canada. Si ce n’est pas assez clair pour inclure la réconciliation économique, ajoutons cette précision. Je ne sais pas trop, car c’est ma première expérience, mais monsieur Jules, vous étiez là lorsqu’on a discuté d’un projet de loi sur cette commission il y a des lunes. Je suis certaine que nous n’étions pas à l’aise avec ce qui était proposé, mais aujourd’hui, nous faisons appel à vous et nous vous souhaitons la bienvenue en tant qu’expert.

Ce que je veux dire, c’est que nous voulons créer quelque chose. Nous hésitons, mais vous pouvez nous aider. Vous êtes passé par là, et aujourd’hui, vous nous aidez à prendre de meilleures décisions grâce à vos connaissances ou à votre mandat. Un protocole d’entente est-il une possibilité? Votre organisation a été créée par une loi fédérale. Pourquoi ne pas établir un lien officiel entre ce conseil et votre commission pour s’assurer qu’il y a un dialogue et un échange de données, par exemple?

Je ne vous vois pas.

M. Jules : Je suis là, madame Audette. Heureux de vous revoir.

Une chose est certaine, et c’est que j’appuie clairement la création de la commission. C’est absolument essentiel pour l’avenir et pour le bien-être de notre pays, tant dans son âme que... Comme Ethel Blondin l’a dit il y a de nombreuses années, notre pays doit pouvoir se regarder dans le miroir et se voir tel qu’il est, et cela va nous aider à atteindre cet objectif. Je ne suis pas du tout contre les protocoles d’entente.

La sénatrice Audette : Ou quelque chose d’autre si vous le voulez.

M. Jules : C’est exact. Le fait d’avoir un énoncé explicite sur la réconciliation économique placerait cette notion au premier plan. À mon avis, on ne peut pas s’attaquer à la myriade d’enjeux de politique sociale sans une réconciliation économique, et c’est pourquoi Dawn Leach et moi sommes ici pour renforcer ce message. Nous ne demandons pas de sièges à la commission. Nous préconisons que cela fasse partie de son mandat.

La sénatrice Audette : Merci.

Le président : Madame Leach, quelque chose à ajouter?

Mme Leach : Je tiens à vous remercier, sénatrice, de vos très aimables propos. J’appuie entièrement ce que le chef Manny Jules — car je l’appelle encore chef — a affirmé et répété.

Nous savons que la réconciliation économique est une tâche énorme et qu’elle peut vraiment changer les choses. Elle est déjà amorcée, mais il faut mieux la soutenir à l’avenir. Nous savons qu’il doit y avoir un lien, comme je l’ai dit dans mes observations, avec la Stratégie économique nationale pour les Autochtones du Canada et les 107 appels à la prospérité économique. Il y a aussi la feuille de route élaborée par le Conseil de gestion financière des Premières Nations, qui est aussi très solide. Il a une vision cohérente que tous peuvent suivre, et il serait important que cela soit lié directement au conseil également pour qu’il en soit un élément important. C’est la perte de notre pouvoir économique qui a été la cause de tant de pauvreté et de souffrance. Nous devons rétablir ce pouvoir. Cet élément est indispensable, car nous avions ce pouvoir et l’avons toujours. Nous commençons à l’exercer. Mais c’est très, très difficile si nous n’avons pas de plan. Je suis très heureuse que tous les Canadiens appuient cette mesure.

Le sénateur Arnot : Je voudrais que les deux témoins disent un mot de la réconciliation économique dans le contexte suivant. Pendant une soixantaine de jours, le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles a entendu des chefs et des entrepreneurs des Premières Nations parler de la nécessité que le gouvernement fédéral garantisse des prêts afin que les particuliers, les sociétés ou les collectivités puissent investir dans l’extraction des ressources, l’exploitation minière, le pétrole, le gaz et ainsi de suite. Cette idée existe depuis une vingtaine d’années, mais elle ne s’est jamais concrétisée, et l’exaspération est profonde. À propos de réconciliation économique, il y a quelque chose que le gouvernement fédéral pourrait peut-être faire dans ce sens, comme je l’ai dit. Certains des sénateurs qui siègent au comité ont entendu les mêmes témoignages que moi. Il me semble que c’est quelque chose d’important. On ne peut pas faire de profit à moins d’investir, d’investir des capitaux, pour faire partie d’une société, pour en être propriétaire ou pour siéger au conseil d’administration. Je vois un lien entre ce que vous dites aujourd’hui et ce que j’ai entendu au Comité de l’énergie, et je voudrais savoir ce que vous en pensez.

Mme Leach : Bien sûr. C’est l’une des manifestations de ce que le colonialisme nous a légué : tandis qu’on exploite les ressources autour de nous, nous vivons toujours dans la pauvreté.

Le sénateur Arnot : Juste.

Mme Leach : Nous entrevoyons maintenant des moyens de participer davantage au développement économique ou au développement régional en devenant des partenaires financiers et des propriétaires et en devenant membres du conseil d’administration d’entreprises qui travaillent dans nos territoires traditionnels. Je crois vraiment qu’il y a là un lien fort et que nous avons commencé à bâtir une bonne capacité pour trouver notre place parmi les grands joueurs.

Je ne pense vraiment pas que le Canada, avec son plan visant les minéraux critiques, puisse aller de l’avant sans la participation des peuples autochtones. Pour être en mesure de fournir les minéraux critiques dont le monde a besoin, le Canada doit être le premier à faire participer les peuples autochtones à ce travail de façon plus significative, et pas seulement de façon périphérique, qui ne nous rapporte que des broutilles, et je songe ici aux emplois. Habituellement, il y a des objectifs d’emploi qui ne sont jamais atteints dans beaucoup de ces ententes. La participation au capital et les mesures de soutien pour devenir propriétaires seraient un gain énorme. Mais il sera important d’être en mesure de mobiliser des capitaux à un coût raisonnable également, afin de réaliser des investissements. Il sera également essentiel que nos collectivités aient le soutien et les conseils nécessaires pour prendre des décisions éclairées sur ces investissements — afin qu’elles obtiennent les meilleurs conseils possible.

M. Jules : Il est clair que, en raison du conflit en Russie et en Ukraine, le Canada doit se préoccuper de sa sécurité non seulement alimentaire, mais aussi énergétique, et travailler avec les autres, le Groupe des cinq. Il est extrêmement important que les Premières Nations participent à la mise en valeur des ressources de tout type. En fait, il n’y aura pas d’exploitation des ressources sans la participation des Premières Nations.

Pour faire écho à ce que Dawn Leach a dit, et pour poursuivre dans le même ordre d’idées, l’une des choses que j’ai préconisées aux niveaux provincial et fédéral, c’est l’imposition d’une redevance sur les ressources des Premières Nations afin que nous puissions en bénéficier directement en tant que gouvernements, prendre une part de ce que les gouvernements fédéral et provinciaux percevraient au titre de leur propre impôt sur les sociétés. Je considère la fiscalité comme un pouvoir gouvernemental fondamental. Cela permettrait aux Premières Nations d’exercer leurs pouvoirs gouvernementaux pour obtenir des prêts à long terme et participer davantage.

Quant à la réconciliation, je crois que le Canada est fondé sur ce que j’appelle une économie extractive. Je veux dire par là que les gouvernements fédéral et provinciaux ne pourraient pas extraire les ressources qu’ils revendiquent aujourd’hui sans placer les Premières Nations sur des terres de réserve et sans réserver le même sort aux Inuits et aux Métis.

Le sénateur Arnot : Merci beaucoup.

Le président : Je n’ai pas d’autres noms sur ma liste. Quelqu’un d’autre veut poser une question? Terminé? Il semblerait. Je remercie les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui. Nous les remercions de leur témoignage. La séance est levée. Oh, monsieur Jules? Oui?

M. Jules : Je vais vous raconter une petite histoire. Comme je l’ai dit, je suis allé au pensionnat indien de Kamloops, et un de mes bons amis a écrit un poème intitulé Monstre, qui porte sur l’ancien pensionnat. Dans le poème, il dit qu’il a vu le pensionnat et que, au bout du compte, il lui a pardonné pour tous les torts qu’il lui a causés. Il a reconnu que ce n’était après tout qu’un bâtiment, mais ce sont des personnes qui lui ont fait du mal.

C’est une source d’inspiration pour tout le monde :

Je contemplais un grand bâtiment de quatre étages

Étages d’espoir

Étages de rêves

Étages de renouveau

Étages de lendemains

Le président : Merci, monsieur Jules. J’ai rencontré cet homme en septembre dernier, à l’occasion de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation. C’est un homme incroyable. Merci.

La séance est levée.

(La séance est levée.)

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