LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 7 juin 2023
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 11 h 33 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, j’aimerais commencer par souligner que nous nous réunissons aujourd’hui sur le territoire ancestral traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe, qui accueille maintenant de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits de l’île de la Tortue.
Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis, d’Epekwitk, aussi connue sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du Comité des peuples autochtones.
Avant de commencer, j’aimerais demander à tout le monde dans la salle de ne pas s’approcher trop près du microphone ou de retirer votre oreillette si vous le faites pour éviter les retours de son qui pourraient avoir une incidence négative sur le personnel du comité présent dans la salle.
Je vais maintenant demander aux sénateurs qui sont ici de se présenter en précisant leur nom et la province ou le territoire d’où ils viennent.
Le sénateur Arnot : Je m’appelle David Arnot. Je vis au cœur du territoire du Traité no 6, à Saskatoon, en Saskatchewan.
La sénatrice Hartling : Bonjour. Je suis la sénatrice Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick, et je vis sur le territoire non cédé du peuple mi’kmaq.
Le sénateur D. Patterson : [Le sénateur s’exprime en inuktitut] Dennis Patterson, sénateur du Nunavut.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Antigonish, Nouvelle-Écosse, Mi’kma’ki. Bienvenue à tous nos merveilleux jeunes leaders et à nos aînés.
La sénatrice Greenwood : Bonjour à tous. Je m’appelle Margo Greenwood, sénatrice de la Colombie-Britannique. Le territoire du Traité no 6 est ma patrie.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Bonjour. Je m’appelle Patti LaBoucane-Benson. Je suis une sénatrice métisse de l’Alberta. Je suis née, j’ai grandi et je vis encore sur le magnifique territoire du Traité no 6.
[Français]
La sénatrice Audette : Kwei. Michèle Audette, du Québec; Nitassinan.
[Traduction]
Le président : Merci, chers collègues.
Aujourd’hui, nous sommes heureux d’accueillir un certain nombre de jeunes Autochtones de partout au pays dans le cadre de l’édition 2023 de Voix de jeunes leaders autochtones. Nous invitons chacun d’entre eux à faire une déclaration préliminaire d’un maximum de cinq minutes, et il y aura ensuite une période de questions avec les membres du comité.
Notre première témoin est Katherine Merrell-Anderson, qui est une Métisse de l’établissement métis Elizabeth, en Alberta. Madame Merrell-Anderson, vous avez la parole.
Katherine Merrell-Anderson, à titre personnel : Tansi. Bonjour, honorables sénateurs. C’est un privilège d’être ici aujourd’hui pour vous raconter mon histoire. Je suis Métisse et je vis actuellement à Edmonton, sur le territoire du Traité no 6. Ma famille habite à l’établissement métis Elizabeth, dont je suis fière d’être membre. L’établissement est situé sur le territoire du Traité no 6, et c’est là que vit la Métis Nation of Alberta, région 2.
Je suis travailleuse sociale autorisée et je travaille comme conseillère en transition à Braided Journeys dans les écoles catholiques d’Edmonton. Nous soutenons les étudiants des Premières Nations, métis et inuits. Je vais parler de mon expérience en tant qu’étudiante autochtone et du rôle que j’occupe.
Lorsque j’étais enfant à Edmonton, j’avais une compréhension limitée de ma culture, peu d’occasions de me l’approprier et aucun modèle autochtone. Pour moi, être Métisse signifiait que je me rendais à mon établissement à Noël, que j’appelais mes grands-parents kokum et mushum et que les membres plus âgés de ma famille faisaient du bannock lorsqu’ils nous rendaient visite. Je croyais que j’étais Métisse parce que j’avais un parent autochtone et un parent non autochtone et aucun sentiment d’appartenance à l’une ou l’autre des deux cultures. C’est là que j’ai commencé à ressentir le syndrome de l’imposteur.
Dans mon parcours de la maternelle à la 12e année, le plus grand défi que j’ai dû relever a été un sentiment d’altérité, l’absence de mon reflet dans l’environnement et chez les autres élèves et l’impression d’être séparée des autres élèves de mon âge. Pendant de nombreuses années, j’ai été la seule élève autochtone ou l’une des rares dans mes classes. Bien que mon école ait organisé des occasions d’apprentissage culturel pour les élèves autochtones, même si ce n’était que rarement, on n’expliquait pas pourquoi nous participions à ces activités, la plus courante étant la purification par la fumée, ce qui n’était pas pratiquée régulièrement à l’époque et n’était pas permise à l’intérieur de notre école.
Pendant que j’étais dehors par une froide journée de printemps pour participer à une cérémonie de purification par la fumée que je ne comprenais pas, je pensais aux autres élèves qui étaient au chaud à l’intérieur. Pour moi qui étais une élève de quatrième année, cette expérience ressemblait davantage à une punition qu’à une récompense, et je n’en ai pas retiré les enseignements culturels qu’elle visait à me transmettre.
Lorsque j’ai obtenu mon diplôme d’études secondaires, la fierté m’a envahie quand mon kokum m’a présenté sur scène ma propre ceinture métisse, symbole à la fois de fierté et de patrimoine pour les Métis. À 17 ans, c’était l’une des seules fois où j’avais eu publiquement une expérience positive de ma culture. C’était un moment exaltant, mais il a été de courte durée et suivi de questions et de ressentiment, car les autres ne savaient pas pourquoi on m’avait choisie et donné des cadeaux qu’eux n’avaient pas reçus. J’ai donc rapidement enlevé ma ceinture, par embarras.
Aujourd’hui, je porte cette ceinture avec fierté.
À l’université, le sentiment que je n’avais pas ma place s’est intensifié et m’a souvent écrasée. Je me suis demandé si mon admission était attribuable au fait que j’avais coché la case PNMI dans le formulaire de demande et qu’on cherchait à remplir un quota d’étudiants des Premières Nations, métis et inuits dans le système ou si j’avais obtenu ma place en fonction de mon mérite et de mes réalisations scolaires. J’ai eu de la difficulté avec mes professeurs, et j’avais l’impression qu’il fallait constamment que je me batte pour leur faire reconnaître les vérités simples que je connaissais en tant qu’Autochtone et pour ne pas être appelée à fournir des renseignements supplémentaires pour le programme d’études en raison de mon appartenance à la nation autochtone. Il s’agit d’une expérience courante chez les Autochtones, puisqu’on nous demande souvent d’être les enseignants des étudiants non autochtones.
Par conséquent, ces sentiments ne se sont jamais dissipés, même si je suis membre de l’établissement métis, que j’ai travaillé pour les services d’apprentissage pour les Autochtones dans une école de culture crie, que j’ai célébré l’obtention de mon baccalauréat par une cérémonie autochtone et que j’ai été choisie pour témoigner devant vous aujourd’hui.
Depuis mon arrivée à Ottawa, j’ai cherché des symboles familiers de ma culture, comme le drapeau métis, pour avoir un sentiment d’appartenance. En parcourant les espaces, la seule chose que j’ai trouvée, c’est une œuvre d’art sur un mur. Cela illustre l’incapacité courante de représenter les Autochtones, en particulier les Métis, dans les aires communes.
Lorsque je pense à mon histoire et à mon identité, je pense aux expériences de mes élèves et aux changements qui doivent être apportés pour qu’ils aient un sentiment d’appartenance dans les espaces qu’ils occupent. Je pense aux obstacles auxquels sont confrontés nos jeunes dans le système scolaire, comme la discrimination, les traumatismes intergénérationnels, le manque de sensibilisation et d’éducation appropriées sur le plan culturel et les inégalités financières. Je pense à la disparité des taux de diplomation.
En Alberta, il existe un écart important entre les élèves autochtones et non autochtones. Le taux provincial d’obtention de diplôme en trois ans chez les étudiants non autochtones est de 83 %, comparativement à seulement 60 % chez les étudiants autochtones. Dans mon district scolaire, grâce au soutien unique du programme Braided Journeys, ce pourcentage est supérieur à la moyenne provinciale, 67 % des élèves métis, inuits et des Premières Nations obtenant leur diplôme dans un délai de trois ans.
Comme conseillère en transition, je m’efforce d’offrir des conseils et du soutien ainsi que de créer un espace inclusif et accueillant où mes élèves se retrouvent, et où leur culture est reflétée et célébrée dans le milieu scolaire. Je crois sincèrement que nous avons une influence positive dans la vie des jeunes avec qui nous avons le privilège de travailler, mais ce n’est pas suffisant. Il n’est pas suffisant d’offrir des programmes comme ceux-ci dans certaines écoles alors que nous avons besoin d’un changement de politique qui rendra obligatoires le soutien à tous les élèves autochtones et les possibilités d’apprentissage axées sur les programmes d’études pour les étudiants et les éducateurs non autochtones qui les aideront à mieux comprendre l’histoire des gens de ce pays et du territoire sur lequel nous vivons tous.
Retourner dans mon ancien district scolaire en tant qu’employée a été une expérience de guérison pour moi, et j’ai l’impression d’avoir bouclé la boucle et de pouvoir m’assurer que mes élèves vivront une meilleure expérience que moi. Je ne cesserai jamais de défendre les intérêts de mes étudiants et de notre peuple. Nous devons veiller à ce que tous les élèves autochtones reçoivent le soutien approprié, les moyens nécessaires pour s’épanouir et des chances égales. Hiy hiy. Merci de votre temps et de votre attention.
Le président : Merci, madame Merrell-Anderson. C’était un très bon exposé.
Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.
Le sénateur Arnot : Je remercie les aînés de tout ce qu’ils ont fait ce matin et d’être ici pour appuyer ce qui se passe. Merci à tous les participants qui sont venus de si loin pour être ici. J’ai un grand espoir pour le Canada, l’espoir d’une meilleure relation entre les peuples autochtones et tous les Canadiens, et j’espère que votre génération sera un chef de file dans la concrétisation de cette vision. J’apprécie vraiment votre passion, votre engagement et votre sollicitude pour votre peuple et votre collectivité.
Je crois au pouvoir de l’éducation, et j’aimerais que vous précisiez ce dont vous pensez avoir besoin et les mesures de soutien que doivent prendre les décideurs de la division scolaire et du ministère de l’Éducation pour fournir les possibilités et les ressources nécessaires afin que tous les Canadiens comprennent l’histoire de notre pays et afin que vous soyez reconnus et respectés et que soient favorisées l’inclusion et l’appartenance dans vos écoles et dans toutes les écoles du Canada.
Mme Merrell-Anderson : Merci. Dans l’appel à l’action no 62, nous demandons que les méthodes d’apprentissage autochtones soient mises en œuvre dans le programme d’études de la maternelle à la 12e année, mais aussi que des fonds soient fournis aux établissements postsecondaires pour que les éducateurs mettent en œuvre ce type d’éducation. C’est important parce que les étudiants qui se reconnaissent dans le programme sont plus susceptibles d’obtenir leur diplôme et de réussir.
C’est un moment très important, surtout en Alberta, parce que nous sommes en train de réviser le programme d’études en sciences humaines. Notre opposition officielle avait mis en œuvre un programme d’études qui appliquait le savoir autochtone en classe, comme l’enseignement des phases de la lune en sciences et l’utilisation des rythmes et des motifs pour apprendre les mathématiques. Il y a toutes sortes de façons de mettre en œuvre notre savoir, d’autochtoniser le programme qui existe déjà et d’enseigner ces matières. Avec le changement de gouvernement dans notre province, cette information a été supprimée.
Ce n’est pas seulement que nous devons mettre cela en œuvre pour l’appel à l’action, mais nous en avons aussi besoin pour la réussite individuelle de nos élèves. Nous avons besoin de financement et il faut que les Autochtones parlent de ce qui est important pour notre programme d’études et pour que leurs voix soient entendues pendant sa création et sa mise en œuvre.
La sénatrice Hartling : Merci beaucoup, madame Merrell-Anderson. Nous comprenons votre histoire. Je suis travailleuse sociale moi aussi, alors je connais notre profession. Lorsque vous avez étudié le travail social, le programme était-il autochtonisé? Non. C’est ce que je me demandais. Au Nouveau-Brunswick, nous avons maintenant un programme spécial pour les Autochtones.
Pour ce qui est d’aller de l’avant — je suis vraiment contente que vous travailliez dans le système scolaire : c’est un bon endroit où être —, qu’est-ce qu’il doit se passer et que pouvons-nous faire, en tant qu’alliés, pour appuyer ce genre d’initiative? Le travail social peut être patriarcal et tout cela, alors dites-moi ce que vous pensez et ce qui doit arriver.
Mme Merrell-Anderson : En tant qu’allié, il est important de faire ses propres recherches et d’apprendre. Nous pouvons être des partenaires dans le domaine de l’éducation, mais ce n’est pas l’unique responsabilité des peuples autochtones d’être les éducateurs de notre histoire.
Lorsque nous pensons aux contributions historiques et contemporaines et à tout ce qui est arrivé aux peuples autochtones sur le territoire, lorsque nous pouvons le comprendre, nous comprenons pourquoi la réconciliation est importante. Je constate que, lorsque nous enseignons à nos étudiants non autochtones l’histoire du pays, ils veulent apporter des changements, participer en tant que dirigeants et soutenir leurs pairs autochtones.
La sénatrice Hartling : Merci.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup à tous ceux qui sont ici aujourd’hui, surtout les jeunes qui sont venus témoigner. Bienvenue au comité. Je suis très heureuse de vous voir ici. Bienvenue aux aînés; c’est un plaisir de vous accueillir. J’aimerais que vous vous assoyiez ici et que vous posiez des questions également parce que je me demande dans mon for intérieur quelles questions vous aimeriez poser également.
Vous avez beaucoup parlé de la formation de l’identité. Pour ma génération, la question de l’identité colonisée et de tout ce que nous devions faire pour nous guérir à cet égard… Pour bon nombre d’entre nous, la guérison passait par les cérémonies. C’était peut-être l’un des plus gros problèmes que devait gérer ma génération. De votre point de vue, quand vous travaillez avec les jeunes Autochtones maintenant, pensez-vous que c’est toujours le plus gros problème? De votre point de vue, que constatez-vous en ce qui concerne la façon dont les étudiants s’inscrivent à votre programme et la formation de leur identité?
Mme Merrell-Anderson : De mon point de vue, j’ai maintenant la chance de travailler dans une école de culture crie. Les élèves avec qui je travaille comprennent donc très bien leur culture et leurs antécédents. Ce que je remarque du point de vue des éducateurs, c’est que nos élèves ne sont pas compris. Nous avons beaucoup d’élèves qui arrivent fatigués ou qui s’assoient en classe et regardent au loin, et nous constations ces comportements typiques et y voyons un élève défiant.
Nous essayons plutôt de proposer des solutions de rechange et d’examiner les situations et les défis auxquels ils peuvent être confrontés. Cet étudiant a-t-il un crayon? Sont-ils en mesure de rédiger leur travail? Les documents leur sont-ils fournis? Ont-ils eu une bonne nuit de sommeil ou ont-ils eu à prendre soin de jeunes frères et sœurs? Ont-ils d’autres responsabilités? Il y a peut-être un décès dans la famille ou d’autres problèmes qui occupent leur esprit et leur espace. Je ne crois pas que nous faisons preuve de toute l’empathie qui est nécessaire ou que nous pourrions afficher si nous sensibilisions mieux les adultes qui travaillent avec nos étudiants.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Vous semblez parler d’un modèle de prestation de services axé sur les traumatismes que vous aimeriez avoir. Cette formation est-elle offerte aux enseignants et au personnel de votre école?
Mme Merrell-Anderson : Pas à ma connaissance. Je ne suis pas éducatrice, alors je n’ai pas suivi de programme d’éducation. En tant que travailleuse sociale, j’ai suivi une grande partie de cette formation, alors je m’estime chanceuse d’avoir pu apprendre des choses grâce à cette perspective. C’est quelque chose que beaucoup d’éducateurs prennent sur eux et choisissent de faire afin d’assurer la réussite de leurs étudiants, mais ce n’est pas quelque chose qui est obligatoire ou exigé dans leurs programmes.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Monsieur le président, je dois partir un peu plus tôt parce que j’ai une allocution que je n’ai pas pu annuler. Je ne veux pas manquer de respect. Je vais ensuite regarder en ligne les conférenciers que j’aurai manqués. N’interprétez pas mon départ comme autre chose qu’un conflit d’horaire hors de mon contrôle.
La sénatrice Coyle : Merci de votre témoignage. Il y a tant de choses à analyser. Vous avez travaillé dans différentes écoles, n’est-ce pas?
Mme Merrell-Anderson : Oui.
La sénatrice Coyle : Je suis curieuse. Vous avez dit avoir travaillé avec des élèves des Premières Nations, des élèves métis et même des élèves inuits. Nous avons parlé de la formation de l’identité et de l’importance du sentiment d’appartenance. Les écoles doivent favoriser un tel sentiment de la meilleure façon possible. Il s’agit d’un groupe assez diversifié d’élèves autochtones qui se retrouvent souvent dans une école avec des élèves non autochtones.
Avez-vous vu de bons exemples? Je m’intéresse toujours aux bons exemples de situations scolaires où les responsables ont été très conscients de l’identité des différents élèves autochtones qui fréquentent leurs écoles et qui en ont tenu compte. Que pourrions-nous apprendre de ce genre de contexte, si vous en avez constaté?
Mme Merrell-Anderson : Oui. J’ai la chance unique de retourner non seulement dans mon ancien district scolaire, mais aussi dans mon ancienne école. La première année que j’ai passé dans le district, je suis retournée à mon école secondaire de premier cycle. Lorsque j’ai franchi la porte environ 10 ans plus tard en tant qu’employée, j’ai remarqué qu’il y avait un sentiment immédiat d’accueil. Nous avions hissé le drapeau métis, un drapeau en reconnaissance d’un traité. Il y avait une belle murale montrant un ours avec la roue de médecine peinte derrière. C’est la première chose que l’on voit en entrant dans le foyer de cette école.
Nous avions aussi des éducateurs vraiment incroyables à cette école qui, encore une fois, avaient pris l’initiative d’inclure des auteurs autochtones dans leurs cours et leur apprentissage et qui travaillaient avec des textes ojibwés, cris et métis. On a fait appel à différentes personnes pour assurer le maintien du savoir.
C’est quelque chose qu’ils ont fait eux-mêmes, mais mon école en particulier a apporté beaucoup de changements de cette façon. Pour la première fois cette année, nous avons souligné la Journée du chandail orange, le Mois national de l’histoire autochtone et la campagne Moose Hide. Nous avons été en mesure de réunir beaucoup de points de vue. Nous encourageons beaucoup d’initiatives de leadership pour nos étudiants, alors nous les laissons prendre l’initiative. S’ils venaient de différentes communautés, nous leur avons demandé ce à quoi tout ça ressemblait pour eux.
Le sénateur D. Patterson : Je vous remercie de nous avoir fait part de votre expérience de façon très convaincante. Pourriez-vous nous en dire davantage sur le syndrome de l’imposteur que vous avez décrit et sur la façon dont il vous a touché?
Je sais que vous avez dit que nous avons besoin de plus que des programmes : nous avons besoin de l’appel à l’action no 62. J’aimerais, s’il vous plaît, que vous nous donniez plus de renseignements sur ce programme en Alberta, qui a fait passer le taux de réussite des Autochtones de 60 % à 67 %.
Mme Merrell-Anderson : Pourriez-vous répéter la première partie de la question?
Le sénateur D. Patterson : Le syndrome de l’imposteur. Qu’est-ce que cela signifiait pour vous, s’il vous plaît?
Mme Merrell-Anderson : C’est un défi constant pour moi. J’ai l’impression que je n’ai pas ma place dans beaucoup d’endroits. Même ici, parmi ces autres participants brillants, je me suis demandé pourquoi on m’avait choisi. Souvent, je ne me sens pas assez bien pour être là où je suis. C’est un défi. Je pense que ce réflexe vient du fait qu’on ne voit pas d’autres Autochtones dans ces postes, même des étudiants. Lorsque j’ai obtenu mon diplôme, il y avait deux autres étudiants autochtones dans une classe de près de 70 élèves. À l’époque où j’étais en 10e année, je pense que nous étions une dizaine d’élèves; en 12e année, il n’en restait plus que 3, environ.
Souvent, nous devons créer un sentiment d’appartenance et nous dire que nous sommes assez bons. C’est quelque chose qui me cause personnellement de la difficulté parce que je ne me sens pas incluse dans ces espaces.
Pour ce qui est de votre deuxième question, notre programme Braided Journeys a été créé il y a environ 12 ou 13 ans, et nous avons une combinaison de coordonnateurs de la transition dans les écoles secondaires de premier cycle et de conseillers de finissants pour les écoles secondaires. Nos coordonnateurs responsables de la transition travaillent pour aider les élèves de 6e année à passer à la 7e et aider ceux de 9e année à passer à la 10e année, parce qu’il y a beaucoup de décrochage en 9e année avec ce changement.
Nous emmenons nos élèves faire des sorties scolaires dans les écoles secondaires. Nous avons des écoles partenaires où il y a des conseillers de Braided Journeys dans leurs écoles secondaires respectives qui travailleront avec eux pour qu’ils obtiennent leurs crédits. Nous offrons des cours d’été afin qu’ils puissent avoir accès à l’immeuble le plus tôt possible et qu’ils puissent se familiariser avec les lieux. Ils sont presque transférés d’un adulte à un autre, et quelqu’un les accompagne tout au long de leur parcours éducatif.
De plus, nous apportons beaucoup de soutien culturel. Nous avons plusieurs gardiens du savoir au sein de notre équipe que nous partageons entre les écoles, et ils sont en mesure de venir enseigner aux élèves. Nous organisons des cérémonies de purification hebdomadaires et nous offrons des collations dans notre salle de classe. Nous avons du matériel dont ils pourraient avoir besoin, comme des sacs à dos, des fournitures scolaires et des vêtements.
Nous offrons aussi beaucoup de mesures incitatives aux enfants. Certaines de nos excursions les plus amusantes pourraient servir comme récompenses pour l’assiduité ou différentes améliorations. De toute évidence, nous cherchons à nous améliorer et non à atteindre la perfection. Nous répondons aux besoins uniques de chaque enfant, en tête à tête et en groupe.
Le sénateur D. Patterson : En ce qui concerne le syndrome de l’imposteur, nous entendons beaucoup de témoins et d’éminents Canadiens au comité. Ils ont cinq minutes pour livrer leur message. Vous l’avez fait aujourd’hui. Vous nous avez bouleversés avec votre histoire personnelle et vos conseils sur ce qu’il faut faire. Vous avez très bien réussi. Merci.
La sénatrice Greenwood : Je vous remercie tous. C’est un plaisir de vous voir ici et de vous avoir parmi nous.
J’aimerais poursuivre dans la même veine. Vous avez déjà dit beaucoup de choses, madame Merrell-Anderson, et vos réponses et votre exposé ont été très instructifs. Hiy hiy pour cela.
J’aimerais que vous nous fassiez part de quelque chose que vous n’avez pas déjà dit. Supposons que je suis une jeune étudiante de premier cycle du secondaire qui fait la transition vers l’école secondaire et qui fréquente une école générale. Quels conseils me donneriez-vous pour réussir dans un tel environnement?
Mme Merrell-Anderson : Si vous étiez dans une école du projet Braided Journeys, je vous suggérais d’aller visiter la salle Braided Journeys. Assurément, nous avons dû chercher quelques-uns de nos étudiants pour qu’ils y aillent, mais si vous y aviez accès, c’est ce que je vous suggérerais de faire.
Dans la négative, je vous suggérerais de trouver des façons de communiquer le plus possible. Parfois, nous tendons la main. S’il y a un adulte dans l’école avec qui vous pouvez communiquer… Ils nous parlent à nous aussi. Notre groupe s’inscrit dans une structure plus grande, et il y a beaucoup de services offerts qui peuvent aider les étudiants.
Pour ma part, j’aurais vraiment eu besoin de voir que je n’étais pas la seule étudiante autochtone et qu’il est possible de réussir. Nous aimons utiliser beaucoup de conférenciers et de modèles autochtones pour nos étudiants afin qu’ils voient que c’est possible. Ils voient où ils peuvent aller. Certains d’entre eux n’ont jamais pensé à autre chose qu’à l’école secondaire ou même au-delà du premier cycle du secondaire. Ils n’ont jamais pensé atteindre la 12e année et obtenir leur diplôme. Il est donc important pour eux de savoir que leurs rêves sont possibles et qu’ils peuvent travailler pour les atteindre.
Le président : Le temps consacré à ce groupe est maintenant écoulé. Je tiens à remercier Mme Merrell-Anderson d’être venue nous rencontrer aujourd’hui et de nous avoir livré un témoignage extraordinaire.
J’aimerais maintenant vous présenter notre prochain témoin, Dylan Adam, qui est un Métis de la Colombie-Britannique. M. Adam fera une déclaration d’un maximum de cinq minutes, suivie d’une période de questions avec les membres du comité. J’invite maintenant M. Adam à présenter sa déclaration préliminaire.
Dylan Adam, à titre personnel : Bonjour, je suis le représentant jeunesse de la communauté métisse à charte de Vermillion Forks ainsi qu’un étudiant de troisième année au campus d’Okanagan de l’Université de la Colombie-Britannique, ou UBCO. Ma communauté a vécu beaucoup de choses au cours des dernières années et continue de persévérer. Nous avons traversé des pandémies mondiales et fait face aux inondations dévastatrices qui ont frappé Princeton en 2021, dont la communauté commence à peine à se remettre.
Mon cheminement n’a pas été facile. Tout au long de mon parcours scolaire, j’ai dû relever des défis pour réussir. L’anxiété sociale est l’un de ces principaux défis, et c’est un problème avec lequel j’ai lutté toute ma vie. Il fait de moi un témoin improbable qui s’adresse à vous aujourd’hui. À l’époque, le système d’éducation n’était pas entièrement outillé pour m’aider à réussir.
Je n’ai pas grandi en immersion dans ma culture métisse. Ce n’est que plus tard dans mon parcours scolaire que j’ai pu renouer avec cette riche culture. Il s’avère que le sentiment d’appartenance que j’ai acquis grâce à cette initiative a contribué davantage à calmer mon anxiété sociale que toute autre solution que le système d’éducation a tenté d’appliquer. Cette expérience m’a ouvert les yeux sur l’importance de veiller à ce que les jeunes Autochtones puissent se rapprocher de leur culture traditionnelle et s’y immerger. Il est important qu’ils disposent d’un espace et d’une plateforme leur permettant d’apprendre de nos aînés et trouvent leurs propres idées pour devenir nos leaders de demain.
J’ai commencé à représenter les jeunes en 2018, lorsqu’une communauté métisse à charte a été formée au sein de notre collectivité, grâce aux efforts de mon oncle Ed Vermette. Auparavant, la communauté métisse la plus proche se trouvait à une distance de 100 kilomètres. Le fait de devenir un membre actif de ma communauté m’a donné un espace pour me développer et croître. Ce lien avec ma culture m’a procuré une nouvelle force qui me permet de continuer à me remettre en question et à aller de l’avant et de relever des défis qui semblaient autrefois impossibles.
Ce rôle m’a également donné une occasion unique d’apprentissage continu par l’intermédiaire de notre communauté à charte. J’ai pu établir de nouveaux liens avec ses aînés, et je continue d’apprendre d’eux. Cet apprentissage m’a permis de devenir le leader que je suis aujourd’hui. Notre groupe contribue à notre collectivité en organisant des événements sportifs et des ateliers d’artisanat traditionnel et en offrant des paniers alimentaires locaux en période difficile.
À mes yeux, il est important de veiller à ce que toutes les communautés autochtones aient accès aux ressources dont elles ont besoin pour s’épanouir, participer pleinement et contribuer à la collectivité de cette façon. Tout cela commence par les capacités. Je sais que c’est un problème avec lequel notre communauté métisse a beaucoup de difficulté. Nous avons eu la chance de pouvoir louer un immeuble formidable à notre administration municipale locale. Notre immeuble est notre maison et, sans lui, nous ne serions pas en mesure de fournir tous les services que nous offrons à notre collectivité locale.
La menace imminente de perdre cette capacité essentielle a toujours pesé sur nous. Là où je veux en venir, c’est que, pour que nos jeunes vivent des réussites scolaires, il faut que les communautés autochtones locales fortes sur lesquelles ils peuvent compter fassent partie de l’équation.
Dans l’avenir, il faudra que davantage de fonds soient accessibles pour les capacités. Je sais que, dans le cas de notre communauté métisse, le fait d’avoir plus de stabilité relativement à notre immeuble nous permettrait de consacrer davantage d’efforts à offrir à nos Métis et à la collectivité locale en général des événements et des services visant à les soutenir, ainsi que nos jeunes.
Je voudrais également prendre un instant pour souligner l’importance de continuer à financer l’éducation postsecondaire des Autochtones. J’ai bénéficié du financement que la Métis Nation British Columbia, ou MNBC, reçoit et rend disponible par le truchement de son programme STEPS. Ces fonds ont contribué à ouvrir des possibilités d’études qui, autrement, n’auraient pas existé pour moi. Je crois qu’il est important que les étudiants autochtones aient ces possibilités afin qu’ils deviennent nos grands leaders de demain.
Je crois fermement qu’il faut accroître la communication entre les écoles et les communautés métisses de la Colombie-Britannique — c’est certain — afin que les élèves soient au courant des possibilités qui s’offrent à eux.
En somme, tout commence à l’échelon communautaire. La communauté est la mieux placée pour répondre aux besoins de ses citoyens et de ses jeunes. Je sais que je ne serais pas sur la voie dans laquelle je me trouve aujourd’hui sans le solide soutien communautaire qu’il a fallu créer de la base au sein de ma collectivité. Les communautés ont besoin de ressources et de soutien pour offrir des espaces culturels sûrs et avoir la possibilité d’informer les jeunes concernant la poursuite d’études postsecondaires et de leur offrir un avenir meilleur.
Merci.
Le président : Je vous remercie de votre intervention, monsieur Adam.
Le sénateur Arnot : Monsieur Adam, merci d’être venu aujourd’hui nous aider à comprendre certains des enjeux que nous devons comprendre pour appuyer ce que vous voulez faire et voir.
J’ai remarqué que vous avez mentionné que vous étudiez les sciences politiques au campus d’Okanagan de l’Université de la Colombie-Britannique. Lorsque vous étiez à l’école secondaire, y avait-il des cours axés sur l’histoire des Métis ou des Autochtones ou sur les traités et les relations scellées par traité? Plus important encore, maintenant que vous êtes à l’université et que vous étudiez les sciences politiques, trouvez-vous des cours de ce genre qui pourraient expliquer l’histoire du Canada à tous les Canadiens? Y en a-t-il suffisamment? Vous sont-ils offerts? Que suggéreriez-vous au sujet de votre programme d’études, tant à l’école secondaire qu’à l’université, pour aider tous les Canadiens à comprendre la nécessité de la réconciliation?
M. Adam : Merci.
Oui, lorsque j’étais à l’école secondaire, nous n’avions jamais de cours précis sur les questions autochtones, et encore moins sur la culture métisse. Dans quelques cours de sciences sociales, nous avons abordé la résistance de la rivière Rouge, mais c’est tout. Je pense que ce genre de cours doivent assurément être offerts, surtout en ce qui concerne la culture métisse, car c’est quelque chose qui est souvent négligé.
À l’université, j’ai pu suivre certains cours d’études autochtones qui sont offerts, et ils sont très instructifs sur bon nombre des enjeux, comme les traités et d’autres questions également, mais je pense qu’il doit y en avoir plus — peut-être à l’université et dans d’autres programmes de cours — qui portent sur les enjeux autochtones en sciences politiques et dans d’autres domaines, où on examine leur perspective. Je ne sais pas si des cours spécifiques aux Autochtones sont offerts au département de sciences politiques en ce moment.
Le sénateur Arnot : Merci beaucoup.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci, monsieur Adam, de votre présentation. Je tiens d’abord à vous féliciter d’avoir eu le courage de parler de votre anxiété sociale. J’ai un fils qui souffre d’anxiété sociale, et je sais à quel point c’est difficile. Je tiens à souligner la qualité de votre exposé. C’était super. Vous avez maintenu le contact visuel avec les gens, et je sais à quel point c’est difficile. Je tiens à souligner la qualité de votre exposé.
Le sénateur D. Patterson : Bravo!
La sénatrice LaBoucane-Benson : Je soupçonne qu’il y a des jeunes qui vont regarder votre exposé. Je me demande si vous pourriez leur parler de la façon dont les liens avec votre culture vous ont aidé à atténuer votre anxiété sociale. Vous êtes ici devant le Sénat pour présenter un exposé. Je suis certaine qu’il y a cinq ou six ans, ce n’était probablement pas quelque chose que vous aviez envisagé.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi le lien avec la culture vous a aidé?
M. Adam : Oui. Tout au long de ma carrière scolaire, j’ai éprouvé de l’anxiété sociale et de la difficulté à établir des liens avec mes pairs. Plus tard, lorsque j’ai établi un lien avec ma culture, ce lien a changé les choses parce qu’il m’a donné la possibilité de grandir dans un espace, comme je l’ai déjà dit, une plateforme et, en fait, une structure de soutien, aussi, d’aînés pour me soutenir.
J’ai beaucoup appris de toute cette expérience et je continue d’apprendre chaque jour.
La sénatrice LaBoucane-Benson : C’est fantastique. Merci encore.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, monsieur Adam.
Nous sommes très heureux de vous accueillir. Je pense que chacun d’entre nous a probablement un membre de sa famille — ma fille cadette a souffert d’anxiété sociale tout au long de sa vie et a dû trouver les choses qui la tiennent ancrée et l’aident à tisser des liens. Vous réussissez merveilleusement bien à vivre avec quelque chose qui ne disparaît jamais.
J’ai vraiment apprécié ce que vous avez dit au sujet de la communauté — la culture et la communauté — et du fait que tout doit commencer par la communauté. Je pense que c’est un point de vue très intéressant de la part d’une personne aussi jeune que vous à cette étape de votre vie. Souvent, ce n’est que plus tard dans la vie que nous comprenons l’importance de la communauté ou en prenons conscience. C’est habituellement notre groupe de pairs pendant un certain temps qui est notre communauté, n’est-ce pas?
Vous êtes en train d’étudier les sciences politiques. Compte tenu de votre rôle de leadership communautaire — votre rôle de leader auprès des jeunes — dans votre propre communauté et de votre travail et de vos études en sciences politiques, où les voyez-vous se rejoindre? Quelles sont vos ambitions pour vous-même et votre communauté, et comment ces éléments formeront-ils un tout dans l’avenir?
M. Adam : Ce qui m’a inspiré à faire des études universitaires, c’est la communauté et l’édification. C’était le fait d’assister à ces événements et de devenir le leader jeunesse qui m’a inspiré à m’aventurer davantage dans la politique et les sciences politiques et hors de ma zone de confort. Ce fut un défi intéressant.
J’ai oublié la dernière partie de la question.
La sénatrice Coyle : Y a-t-il des choses que vous apprenez ou que vous constatez dans le cadre de vos études en ce qui concerne les possibilités et les perspectives pour les prochaines étapes que vous pourriez vouloir explorer?
M. Adam : Oui, bien sûr. J’ai beaucoup appris grâce aux études. Je m’intéresse également aux cours d’études autochtones. J’espère utiliser l’éducation que j’aurai acquise pour aider ma communauté, devenir un leader pour elle dans l’avenir, continuer à soutenir ses membres et les Métis et faire rayonner notre culture métisse.
La sénatrice Coyle : Il serait difficile de faire mieux. Bravo.
La sénatrice Hartling : Merci, monsieur Adam. J’ai été ravie de m’entretenir avec votre mère et vous, hier soir. Vous avez présenté un excellent exposé — du très beau travail. Merci beaucoup.
Ce que vous avez dit au sujet de votre culture et du fait que l’apprentissage vous a aidé à renforcer votre confiance et à atténuer votre anxiété sociale était intéressant. Pour les personnes qui nous écoutent, pouvez-vous nous en dire un peu plus? Qu’est-ce que la culture métisse, et quelles sont certaines des choses que vous avez apprises qui vous ont été utiles et que d’autres personnes ne connaissent peut-être pas?
M. Adam : Il est certain qu’une chose était l’établissement d’un lien avec l’histoire — regarder en arrière et lire tous les récits. Il y a beaucoup de bons livres d’auteurs métis aujourd’hui. Le fait d’avoir reçu une ceinture en cadeau en est une autre. À l’obtention de mon diplôme, j’ai reçu une ceinture, et ce fut un grand moment pour moi — établir un lien avec la culture et avoir cette possibilité. La participation à d’autres activités culturelles en est une autre.
En réalité, il s’agit d’une expérience d’apprentissage. Je continue d’en apprendre à ce sujet tout le temps. C’est une vie de participation et d’apprentissage.
La sénatrice Hartling : Certes, il y a des pratiques. Aujourd’hui, nous avons tenu des cérémonies en bas. Les Métis font-ils ce genre de choses?
M. Adam : Dans notre communauté, nous participons également à des activités de purification par la fumée. Nous avons aussi organisé de nombreux événements pour la Journée nationale des peuples autochtones, en partenariat avec d’autres groupes autochtones. Nous faisons assurément beaucoup de perlage et d’artisanat. Nous avons un club de couture dont les membres se réunissent chaque semaine pour travailler sur des choses traditionnelles comme les sacs de médecine.
La sénatrice Hartling : Et la ceinture… utilisez-vous certains tissus, ou est-ce que certaines choses veulent dire certaines choses?
M. Adam : Oui, les couleurs représentent certaines choses sur la ceinture. J’en ai une bleue chez moi qui m’a été offerte par la MNBC, et elle représente la jeunesse… c’est une ceinture de jeunesse. Il y a beaucoup d’autres couleurs qui représentent des choses différentes. Les couleurs sur la ceinture représentent leurs propres choses.
La sénatrice Hartling : Merci. C’était très intéressant.
Le sénateur D. Patterson : Votre exposé était excellent. J’ai été étudiant en sciences politiques, et j’ai fini par faire carrière en politique, quoique, quand j’étais à l’école, je ne savais pas que j’allais finir ainsi. Mais je pense que la politique est la possibilité de changer les choses.
Vous avez parlé de votre immeuble, de son importance pour votre communauté et du fait que la municipalité l’a mis à votre disposition. Je pense que vous vous êtes dit un peu préoccupé par votre capacité à conserver cet immeuble. Parlez-nous un peu de l’immeuble et de vos objectifs pour l’avenir, s’il vous plaît.
M. Adam : Cet immeuble est notre espace culturel, et nous avons créé beaucoup d’œuvres d’art culturelles qui y sont exposées. En outre, nous organisons toutes nos activités à l’extérieur de l’immeuble, comme les ateliers d’artisanat et de couture. Nous avons des professionnels de la santé mentale qui offrent ces services à l’étage supérieur.
En ce moment, nous avons un bail avec la municipalité pour l’immeuble, mais nous allons devoir trouver un moyen de le garder pour continuer à soutenir notre communauté. Je sais qu’elle a vraiment eu de la difficulté à trouver des ressources à cette fin. Nous poursuivons nos efforts en ce sens, et nous espérons régler ce problème afin d’avoir plus de ressources sur lesquelles nous concentrer et de pouvoir continuer à soutenir notre communauté grâce à nos programmes et à nos services.
Le sénateur D. Patterson : Eh bien, des fonds sont disponibles. Il n’est pas facile d’y accéder, mais je vous encourage à travailler avec la MNBC et à voir ce que vous pouvez faire pour garder cet immeuble à long terme.
Nous avons tous observé avec horreur la dévastation causée par les inondations à Princeton. Je pense que c’était tout à fait inattendu. Pouvez-vous nous parler un peu de la façon dont votre collectivité fait face à ces inondations et nous dire si elles vous ont touché personnellement?
M. Adam : Elles ont touché des membres de ma famille. La communauté a été dévastée par les inondations de 2021. La reprise a été longue. Je sais qu’une grande partie de la communauté est toujours visée par un avis d’ébullition de l’eau. Je pense qu’il sera en place jusqu’à l’an prochain encore. On commence tout juste à travailler là-dessus. Je sais qu’il y a encore un grand nombre de maisons et de choses et beaucoup de personnes déplacées. Oui, cette épreuve a été difficile.
Le sénateur D. Patterson : Merci beaucoup.
La sénatrice Greenwood : Monsieur Adam, je vous remercie de votre exposé. Il était vraiment instructif. J’habite près de l’UBCO, à Vernon, et je sais que nous en avons parlé hier soir.
Vous avez répondu à certaines de mes questions. Je m’intéresse beaucoup au travail que vous faites en tant que leader jeunesse dans cette région de Princeton. Avant de poursuivre, je suis très fière que vous soyez un témoin de la Colombie-Britannique. Il fallait simplement que je le dise.
Parmi tous les événements et toutes les activités que vous avez organisés dans votre collectivité, lequel vous démarque vraiment? Pouvez-vous le décrire? C’était peut-être un événement pour les jeunes ou un événement communautaire. Pouvez-vous nous parler d’un événement qui a vraiment une importance particulière à vos yeux?
M. Adam : Oui. La Journée nationale des peuples autochtones est un événement qui a vraiment une importance particulière à mes yeux. Nous avons réussi à convaincre la municipalité de hisser le drapeau métis pour la journée à l’hôtel de ville.
Nous avons également été en mesure de faire venir l’autobus scolaire, tous les élèves — ou bon nombre des niveaux scolaires — dans notre immeuble et d’organiser des ateliers d’artisanat ainsi que des enseignements sur la culture. Des aînés sont venus — des aînés métis également — pour fournir de l’information sur la culture et les sports traditionnels. C’était vraiment stimulant de prendre part à cet événement. Nous espérons en organiser davantage dans l’avenir. C’était un événement spécial. Nous avons également eu l’occasion de travailler avec des enseignants de l’école qui font partie de notre conseil scolaire.
La sénatrice Greenwood : Merci beaucoup.
Le président : Si quelqu’un d’autre a des questions, la parole est toujours aux sénateurs.
La sénatrice Coyle : Je me demande si monsieur Adam a des questions à nous poser. Y a-t-il quelque chose que vous voulez savoir au sujet du comité ou de quelque chose que font ses membres?
M. Adam : Vous me prenez au dépourvu.
La sénatrice Coyle : Je me demandais si vous aviez étudié le Sénat dans vos cours de sciences politiques.
M. Adam : Je n’ai pas beaucoup étudié le Sénat, sauf dans des manuels. La plupart des choses que j’ai apprises à ce sujet viennent du fait que j’ai déjà participé au Sénat modèle. Ce fut une expérience très enrichissante.
Le président : C’est parfait. La période réservée à ce témoin est maintenant terminée. Je remercie M. Adam d’être des nôtres aujourd’hui.
J’aimerais vous présenter notre prochain témoin. Dina Koonoo est une Inuite du Nunavut. Elle fera une déclaration préliminaire d’une durée maximale de cinq minutes, suivie d’une période de questions et réponses avec les membres du comité.
J’invite maintenant Dina Koonoo à faire sa déclaration.
Dina Koonoo, à titre personnel : Merci. Je m’appelle Dina Koonoo Arreak. Je viens de Pond Inlet, au Nunavut, et j’ai 28 ans.
À propos de mon éducation, lorsque je fréquentais l’école primaire, j’avais d’excellents enseignants qui me soutenaient de toutes les façons possibles. J’ai eu d’excellentes notes jusqu’en 9e année.
Avant le début de ma 10e année, j’ai perdu ma mère. C’était elle qui me motivait à aller à l’école, qui m’avait aidée tout au long de ma scolarité et qui était là quand je n’allais pas bien, surtout quand je me faisais intimider. Elle m’a aidée de bien des façons.
Lorsque j’étais en 10e année, mon père m’a dit, juste avant le début de l’année scolaire, qu’il n’était pas confiant du fait qu’il pourrait m’aider à l’école autant que ma mère, comme me réveiller le matin. Je lui ai dit que je ne voulais pas abandonner l’école, alors nous avons conclu une entente. Nous avons convenu que, lorsqu’il essaierait de me réveiller le matin, je me lèverais, et il n’aurait pas besoin de me forcer à aller à l’école.
J’ai recommencé mes études après une pause estivale difficile. Je pleurais encore la perte de ma mère. Je n’arrivais pas à me concentrer sur mon travail. J’ai commencé à consulter un psychothérapeute en raison de mon état de santé mental. Il y a eu des jours où j’ai voulu abandonner, mais je voulais que mon père soit fier de moi. Je voulais qu’il voie ce dont j’étais capable et que j’allais terminer mes études.
Cette année-là, j’ai rencontré deux enseignants formidables qui m’ont écoutée et m’ont soutenue à l’école. Ils sont devenus comme mes parents.
Puis, l’année suivante, j’ai rencontré mon époux. J’ai emménagé chez ses parents. Il m’a soutenue de toutes les façons possibles dans mes études. Il m’aidait parfois à faire mes devoirs et me laissait de la place pour les terminer. Il me réveillait le matin pour s’assurer que je me rende à l’école.
En 12e année, je suis tombée enceinte de mon premier enfant. J’ai finalement obtenu mon diplôme d’études secondaires. Je n’aurais jamais pensé vivre ce que j’ai vécu après avoir perdu ma mère, mais j’ai réussi.
Après avoir obtenu mon diplôme d’études secondaires, j’ai eu deux garçons et je suis resté à la maison avec eux pendant un certain temps avant de commencer un programme de deux ans menant à l’obtention d’un diplôme en éducation de la petite enfance, et j’ai effectué un stage à la Pirurvik Preschool.
Au cours des dernières années, j’ai travaillé à la Pirurvik Preschool, au centre de santé, et je suis maintenant gestionnaire à temps plein du programme Early Years – Inunnguiniq. Je présente aussi des spectacles culturels pendant l’été. J’ai aussi mes deux filles, alors nous sommes une famille de quatre enfants.
L’aide à la garde d’enfants est l’une des plus grandes difficultés avec lesquelles notre communauté est aux prises. Davantage de gens veulent fréquenter l’école afin de pouvoir aller à l’université, mais la plupart ont des enfants, et c’est l’un des plus grands défis du point de vue de l’éducation. En outre, l’aide financière aux étudiants pose problème parce qu’il faut un certain temps avant que l’on obtienne les fonds. Parfois, on ne les reçoit pas à temps, ce qui fait qu’il est difficile de payer l’épicerie et les factures.
Le logement est aussi une crise pour les étudiants qui fréquentent un collège. Lorsque l’on vit dans des espaces bondés, il est difficile d’avoir des moments tranquilles pour se concentrer sur le travail scolaire. Par exemple, les assistés sociaux ou les personnes à faible revenu paient leur logement environ 60 $ par mois. Mais les fonctionnaires paient le leur 1 100 $ par mois. Le logement coûte tellement cher que les gens ne veulent pas avoir d’emploi parce que, même s’ils sont bien payés, la plupart de leurs coûts sont liés au paiement de leur unité d’habitation.
Le coût de la vie est très élevé au Nunavut, et les choses ne correspondent pas. Ce décalage n’aide pas, parce que les gens n’ont alors aucun intérêt à obtenir un emploi au gouvernement pour cette raison. Il est déjà assez difficile d’essayer de travailler comme enseignant ou comme gardien. Au Nunavut, le prix exorbitant de la nourriture et du logement rend la vie très difficile.
Nous avons également besoin de plus de choix de cours au collège de notre collectivité, par exemple, des programmes d’éducation de la petite enfance, d’administration de bureau et bien d’autres. Il est difficile de quitter la communauté où on a grandi et de laisser sa famille et ses amis lorsqu’on doit aller à l’université.
Nous avons besoin de plus d’enseignants et de personnel de garderie pour nos élèves qui tentent de terminer leurs études secondaires. Nous devons encourager ces gens qui ont tellement de potentiel dans leur vie afin qu’ils bénéficient de l’égalité des chances. Aidons-nous les uns les autres, et encourageons-nous les uns les autres à améliorer la vie de notre peuple.
En terminant, je tiens à dire à quel point je suis fière de ma nièce, de mon neveu et de tous les autres diplômés de Pond Inlet, qui ont surmonté beaucoup d’obstacles pour obtenir leur diplôme d’études secondaires. C’était le vendredi 2 juin 2023. J’encourage tous les élèves à terminer leurs études secondaires. Ce peut être difficile, mais cela peut ouvrir de nouvelles voies dans la vie.
Je vous remercie de m’avoir donné cette occasion de m’adresser à vous et de prononcer mon discours. Qujannamiik.
Le président : Merci, madame Koonoo.
Le sénateur Arnot : Merci d’être venue aujourd’hui nous raconter votre histoire, madame Koonoo.
Vous dites que vous pensez que les étudiants ont besoin de beaucoup de soutien pour réussir leurs études et que c’est un élément important de ce qui devrait se passer dans votre communauté. J’ai remarqué que vous vous intéressiez à l’éducation de la petite enfance. Vous avez mentionné qu’elle allie la pensée inuite et Montessori dans vos programmes. Je me demande comment ce mélange a lieu et dans quelle mesure il est efficace. Que pouvez-vous me dire sur le fonctionnement de ce programme?
Mme Koonoo : Il nous aide à enseigner notre culture à nos enfants qui grandissent. Ce que je veux surtout, c’est que les autres adultes qui s’intéressent à la petite enfance aient plus d’occasions d’en apprendre davantage sur les enfants qui sont notre future génération.
Le sénateur Arnot : Merci.
La sénatrice Hartling : Merci de nous avoir raconté votre histoire, madame Koonoo. Je suis certaine que cela a été très difficile de perdre votre mère si jeune. Mais regardez-vous… vous êtes une mère, et vous êtes au milieu de ce qui est le plus important travail au monde : travailler auprès des enfants. Vous le faites tous les jours, et vous les voyez dans leur vie quotidienne.
Constatez-vous qu’il y a des problèmes ou avez-vous l’impression qu’il se passe des choses chez les enfants à l’égard desquels vous pourriez les aider? Y a-t-il des ressources? Dans certaines communautés, par exemple, il y a parfois de la violence familiale, de la pauvreté, des enfants qui ont faim ou d’autres problèmes. Est-ce que vous vivez ce genre de situations avec les enfants? Pouvez-vous m’en parler?
Mme Koonoo : J’ai été témoin de tant de choses comme le fait d’avoir de la difficulté à se procurer de la nourriture parce que les prix des aliments sont exorbitants dans notre collectivité. Par exemple, le poulet croustillant qu’il faut seulement faire préchauffer coûte 60 $ par sac. Je vois beaucoup de familles qui n’ont pas les moyens de se procurer assez de nourriture pour pouvoir manger jusqu’à une autre période de paie ou jusqu’au paiement de la pension alimentaire pour enfants. Parfois, les parents ont du mal à nourrir leurs enfants. Dans le cadre de mon travail, il nous arrive de distribuer de la nourriture aux parents. Nous distribuons principalement des couches, des lingettes — les articles dont les nourrissons ont besoin — ainsi que ce dont les parents ont besoin. Ce sont les aliments qui coûtent plus cher dans notre collectivité. C’est la plus importante difficulté pour les parents.
La sénatrice Hartling : Vous êtes là à tenter de trouver comment aider les gens. L’une des choses dont je me souviens de mon travail dans le passé, c’est que les boissons gazeuses coûtent beaucoup moins cher que le lait et qu’il est donc difficile pour les gens de bien s’alimenter. Dans une communauté comme la vôtre, où les choses coûtent très cher, je ne peux pas imaginer combien coûtent les couches. Elles doivent coûter vraiment cher.
Mme Koonoo : Oui. Une boîte de couches de taille 6 coûte environ 60 $, seulement pour que mon enfant puisse avoir une couche.
La sénatrice Hartling : Est-ce que c’est parce que cela coûte de l’argent pour les expédier là-bas? Est-ce pour cette raison?
Mme Koonoo : Oui. Parfois, c’est le… comment appelle-t-on cela? Oui, le fret est également inclus dans ce prix.
Le problème tient surtout au fait que les emplois sont très peu rémunérés, que le prix des aliments augmente, mais que nous n’obtenons pas d’augmentation de salaire. Cette situation nous donne encore plus de difficulté à essayer de mettre du pain sur la table et de payer nos factures à temps. Parfois, nous devons choisir entre la nourriture et les factures. Parfois, nous devons choisir les factures plutôt que la nourriture parce que nous avons déjà du retard dans nos paiements de factures.
La sénatrice Hartling : Je vous remercie de votre courage, de votre travail acharné, et du témoignage que vous avez présenté aujourd’hui. Je suis très heureuse de vous avoir entendue. Merci.
Le président : Madame Koonoo, je me demande si, selon vous, beaucoup d’enfants se rendent à l’école le ventre vide. Avez-vous des programmes alimentaires en milieu scolaire pour les enfants qui ont besoin d’un petit déjeuner ou d’une collation nutritive, selon le cas?
Mme Koonoo : Nous n’avons qu’un programme de petits déjeuners à l’école primaire. Je ne sais pas exactement ce qui est offert à l’école secondaire, mais nous avons un programme de petits déjeuners à l’école primaire.
Le président : Diriez-vous que beaucoup d’enfants vont à l’école le ventre vide?
Mme Koonoo : Oui.
Le président : Je vous remercie de cette réponse.
La sénatrice Coyle : Merci infiniment, madame Koonoo. Nous avons eu une bonne conversation au petit déjeuner, mais vous m’en avez appris encore beaucoup plus maintenant. Il est évident que votre mère serait très fière de vous. Vous avez décrit la douleur de la perdre, mais aussi cette jeune personne motivée que vous deviez certainement être et que vous devez encore être pour trouver d’autres moyens. Le soutien dont vous aviez besoin, les enseignants que vous avez décrits, votre époux, qui continue, comme vous l’avez dit, de vous offrir un grand soutien afin que vous puissiez faire ce que vous saviez que non seulement vous vouliez faire, mais aussi que vous deviez faire pour être la personne que vous êtes. Je vous félicite d’en être arrivée là. C’est formidable. Je pense que c’est phénoménal.
Dans le contexte plus général de la garde d’enfants, du logement et de la nourriture... toutes les choses que vous nous avez décrites, ainsi que les facteurs qui dissuadent les gens de terminer leurs études et de chercher à se lancer dans une carrière, je suis vraiment impressionnée, alors je vous félicite.
Les programmes que vous offrez, et vous avez décrit certaines des choses que vous faisiez pour vous adapter pendant les phases de confinement de la COVID-19... c’était intéressant. Vous avez aussi parlé de travailler avec les parents. L’éducation de la petite enfance est extrêmement importante, mais il semble que vous travailliez aussi auprès de toute la famille. Ai-je raison?
Mme Koonoo : Oui.
La sénatrice Coyle : Pourriez-vous décrire ce travail? Je pense que ce que vous faites est spécial.
Mme Koonoo : Je travaille à Early Years — Inunnguiniq, qui porte sur les parents et leurs enfants. Nous les accueillons dans l’immeuble dont nous disposons en ce moment pour offrir ce programme. Nous tentons de les aider dans le cadre du développement de leurs enfants. Nous avons aussi une aînée, Regilee Ootova, qui nous parle d’événements qu’elle a vécus dans le passé, des sage-femmes et de la façon dont elle a été élevée. Durant les moments où elle parle, nous essayons essentiellement d’aider nos gens à comprendre qu’à l’époque, nos ancêtres n’avaient pas vraiment accès à des médecins ou à des infirmières. Nous aidons les parents à aider leurs enfants au sein de l’environnement.
Nous avons récemment effectué un voyage d’une journée pour emmener les enfants à la pêche, qui est l’une de nos activités culturelles. Nous tentons de leur montrer comment le monde extérieur fonctionne, parce que certains parents n’ont pas les moyens de se payer des motoneiges, et nous leur offrons ces occasions d’aider leurs enfants à comprendre notre culture.
La sénatrice Greenwood : Je vous remercie de votre exposé, madame Koonoo. Il était excellent. C’est toujours bien d’entendre ces histoires personnelles.
Lorsque vous fréquentiez l’école secondaire et l’école primaire, y enseignait-on la culture et la langue inuites?
Mme Koonoo : Oui, nous avions des professeurs d’inuktitut. De nos jours, ils organisent une journée de la culture, c’est-à-dire toute une journée à faire des choses culturelles comme des jeux inuits et le chant guttural. Parfois, je suis là pour enseigner le chant guttural parce que je pratique ce chant et l’ayaya depuis maintenant plus de 12 ans. Ils tiennent des journées culturelles, oui.
La sénatrice Greenwood : Alors, c’était à l’époque où vous fréquentiez l’école secondaire, n’est-ce pas? Il y avait une journée complète, et puis vous aviez aussi des professeurs de langue, n’est-ce pas?
Mme Koonoo : Oui. J’ai gagné un prix pour le cours d’inuktitut en 12e année, lorsque j’ai obtenu mon diplôme.
La sénatrice Greenwood : Je suis heureuse de l’entendre. En écoutant votre histoire, je pensais aux personnes qui vous suivent. Vous avez mentionné que certaines d’entre elles obtiendront leur diplôme ce mois-ci. Elles réussissent, mais, pour les autres qui arriveront plus tard, quels conseils leur donneriez-vous afin qu’elles réussissent aussi? Parce que vous connaissez l’environnement mieux que quiconque.
Mme Koonoo : La vie peut parfois être difficile. Lorsqu’elle vous frappe durement, trouvez quelqu’un, trouvez des amis à qui parler, et n’abandonnez pas. Dans peu de temps, ce sera fini. J’encourage tout le monde à terminer ses études.
Le sénateur D. Patterson : Tunngasugit. J’ai eu le privilège de visiter Pond Inlet. C’est une collectivité spectaculaire surplombant l’île Bylot, qui est couverte de glaciers. Il y a des narvals, des icebergs, et c’est une expérience touristique formidable. Vous avez travaillé à divertir les visiteurs à bord des navires de croisière.
Pouvez-vous nous parler de cette industrie à Pond Inlet? Est‑elle en croissance?
Mme Koonoo : Oui. J’ai travaillé avec Karen Nutarak, qui donne des spectacles culturels. Parfois, nous nous entraidons. Elle est la coordonnatrice principale responsable des touristes. Au cours de la dernière année — je crois que cela fait maintenant un an —, nous avons enfin recommencé à accueillir des touristes. En raison de la COVID-19, il n’y avait pas eu de touristes qui montaient à bord des navires de croisière, mais nous avons récemment commencé à en recevoir. Nous faisons des représentations dans la salle communautaire à leur intention. Je crois que nous avions environ 28 paquebots de croisière l’an dernier, et nous avons présenté des spectacles culturels. Nous avons fait beaucoup de choses pendant l’été, lorsque des touristes sont venus dans notre collectivité.
Le sénateur D. Patterson : Je sais que la population de Pond Inlet est d’environ 1 800 habitants. Elle croît rapidement, comme celle des collectivités du Nunavut. Je crois que, selon Statistique Canada, la croissance était supérieure à 2 % par année, ce qui veut dire que vous avez 35, 40 ou 45 bébés par année, mais vous savez déjà tout cela, compte tenu de l’endroit où vous travaillez. Tous ces jeunes auront besoin d’emplois.
Il y a une riche mine près de Pond Inlet, Baffinland Iron Mines, avec un très riche gisement de minerai de fer sur les terres inuites. Vous n’avez pas parlé de la mine, mais, lorsque certains de ces jeunes enfants qui naissent chaque année atteignent l’âge adulte, pensez-vous qu’ils devraient chercher des emplois assez bien rémunérés à la mine? Qu’en pensez-vous?
Mme Koonoo : Je n’y ai pas encore réfléchi, mais je pense que oui.
J’aimerais beaucoup qu’il y ait plus de possibilités d’emploi à Pond Inlet, parce que nous en avons peu, surtout pour les gens qui n’ont jamais terminé leurs études. J’espère qu’on offrira plus d’éducation aux gens qui n’ont jamais terminé leurs études secondaires afin qu’ils aient plus de possibilités de s’instruire et d’obtenir ces emplois. Pour obtenir certains emplois, il faut avoir terminé ses études secondaires. De nombreuses personnes n’ont pas de diplôme et ne pouvaient pas retourner aux études. Elles sont disposées à retourner au collège et à terminer leurs études, mais nous n’avons pas vraiment d’options à cet égard dans ma collectivité, à Pond Inlet. L’an prochain, on admettra des étudiants pour la deuxième année. Je crois qu’il s’agissait d’un cours en milieu virtuel accentué, puis du programme PASS, qui allait bien au-delà du cours en ligne.
Je suppose que c’est parce qu’on manque de professeurs. C’est peut-être la raison pour laquelle il n’y a pas plus d’options et de possibilités offertes aux gens qui sont prêts à suivre des programmes collégiaux. Peut-être que le coût du manque d’options est dû au fait qu’il n’y a pas beaucoup d’enseignants et de professeurs.
Le sénateur D. Patterson : Je vous remercie infiniment de votre présence.
Le président : Je voudrais ajouter quelque chose à ce que vous avez dit au sujet de la beauté de Pond Inlet. J’y suis allé il y a cinq ans, et j’y ai séjourné pendant quatre ou cinq jours, en attendant qu’un navire de la marine vienne m’emmener au Groenland. C’est une belle communauté avec des gens vraiment gentils. J’ai vu le spectacle culturel. C’était incroyable.
La sénatrice Audette : [mots prononcés en langue autochtone] Merci. Je vais essayer de vous parler en anglais.
La génération de ma mère a vraiment insisté, en 1972 — j’étais très jeune —, pour avoir le contrôle de l’éducation. Les dirigeants de l’époque ont mis en place la première déclaration sur le contrôle de l’éducation des Indiens par les Indiens, quelque chose du genre.
Une voix : La maîtrise indienne de l’éducation indienne.
La sénatrice Audette : Merci. Vous voyez? Je sais comment le dire en français. C’est ce que l’on voit aujourd’hui parce que le français était la première langue de notre communauté, même à l’externat.
La deuxième langue que nous devions apprendre était l’anglais. Toutefois, parce que les gens de cette génération se sont battus à cette fin, on a ajouté une troisième langue, l’innu-aimun. Lorsque nous avons gagné — ces femmes ont lutté avec acharnement —, nous avons pu obtenir dans notre collectivité des écoles innues-aimun où des femmes et des hommes nous enseignaient. Cependant, ce n’est pas le cas de nos jours. Nous devions apprendre l’histoire du Canada et de l’Europe en innu. Elle avait été traduite.
Je me souviens que j’avais chez moi un livre sur les artistes de votre peuple — de belles œuvres artistiques —, mais je ne comprenais pas ce que c’était parce que je ne sais pas lire votre langue. J’espérais que nous pourrions avoir cet art dans notre école quand j’étais enfant.
Pourquoi n’enseignons-nous pas nos propres histoires... au sujet des gens qui ont changé le monde, ou de créatures à moitié animales, à moitié humaines? C’est le dessin qu’il y avait sur mon livre : parfois, c’est un cauchemar, et d’autres fois, la femme dans la scène est belle.
Bénéficiez-vous aujourd’hui dans votre école de cet art qui apporte cette culture qui est la vôtre afin que les gens puissent connaître leurs histoires, leurs origines, et ainsi de suite... et aussi y ajouter le programme d’études canadien auquel vous participez; bénéficiez-vous de cela?
Mme Koonoo : Lorsque je fréquentais l’école secondaire, il y avait des jours où le directeur invitait un aîné à raconter ce qu’il faisait à l’époque et comment il était quand il était petit. Il se passait la même chose quand j’étais au collège. Les aînés racontaient leur histoire. Aujourd’hui, on les invite à venir raconter leur histoire. Nous avons récemment ouvert un centre communautaire de mieux-être, où des dames offrent des programmes, comme des rassemblements d’aînés, le thé des aînés ou quelque chose du genre, et il y a aussi des parents et des tout petits. Nous essayons d’inviter les aînés autant que possible, mais, en raison du très faible nombre... nous perdons nos aînés. Nous tentons de garder leurs histoires pour nous. Dans le cadre de mon travail, nous essayons de conserver leurs paroles. J’espère que, dans l’avenir, nous produirons un livre sur les personnes que nous avons interviewées.
La sénatrice Audette : Merci.
La sénatrice Coyle : Vous avez mentionné le mot « mieux‑être » et le nouveau centre de mieux-être, et le mot « mieux‑être » vient de me venir à l’esprit. Une partie du travail du comité a porté sur les répercussions — positives, négatives ou neutres — de la légalisation du cannabis. Avez-vous remarqué des changements au sein de votre communauté depuis la légalisation du cannabis?
Mme Koonoo : Non, pas à ma connaissance.
La sénatrice Coyle : Vous ne remarquez aucune différence. D’accord, c’est bon à savoir. Merci.
Le président : La période réservée à ce témoin est maintenant écoulée. Je tiens à remercier Mme Koonoo d’être venue nous rencontrer aujourd’hui et de nous avoir livré un excellent témoignage.
Je souhaite la bienvenue à la sénatrice Bernard, qui vient de se joindre à nous. Bienvenue, sénatrice Bernard. Nous sommes heureux de vous accueillir.
Je voudrais maintenant vous présenter notre prochain témoin, Bertram Bernard, ou Muin Ji’j, qui est un Mi’kmaq de la Première Nation d’Eskasoni, en Nouvelle-Écosse. M. Bernard fera une déclaration préliminaire d’une durée maximale de cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les membres du comité. J’invite maintenant M. Bernard à faire sa déclaration.
Bertram Bernard, à titre personnel : [mots prononcés en langue autochtone]
Je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole au Sénat du Canada dans le cadre de l’événement Voix de jeunes leaders autochtones 2023. Je m’appelle Bertram Bernard fils, mais mon nom mi’kmaq est Muin Ji’j, ce qui signifie « petit ours ».
Je suis un chercheur et un professionnel bispirituel qui habite dans la Première Nation d’Eskasoni, en Nouvelle-Écosse. La Première Nation d’Eskasoni est la plus grande communauté mi’kmaq à l’est de Montréal et l’une des peu nombreuses dont la croissance est parmi les plus rapides sur le plan du développement économique.
Le fait de vivre dans la Première Nation d’Eskasoni m’a permis de comprendre l’importance de la culture et des traditions mi’kmaqs tout en me permettant de redonner à ma communauté. Je travaille actuellement pour l’Union of Nova Scotia Mi’kmaq, à titre de coordonnateur des projets spéciaux au sein de l’équipe responsable de la gouvernance de l’information et des projets de données. Notre équipe travaille avec de nombreux ensembles de données provenant de l’enquête régionale sur la santé des Premières Nations, de l’Enquête sur le développement de la main-d’œuvre et de l’emploi des Premières Nations et d’autres projets connexes pour aider les communautés des Premières Nations à comprendre l’importance des données et de la recherche.
Je consacre la majeure partie de mon temps de bénévolat à Pride Eskasoni, où je suis cofondateur et chef de l’exploitation. Mes responsabilités consistent à superviser tous les aspects des activités au sein de l’organisation, à encadrer la communauté 2SLGBTQ+ grâce à des connaissances en affaires et en éducation et à aider ces gens à réaliser leur potentiel.
Le sujet de Voix de jeunes leaders autochtones cette année — l’éducation — m’a donné beaucoup de matière à réflexion. Je me suis demandé : quel genre d’éducation? Universitaire? Culturelle? Nous valorisons nos aînés. Dans ma communauté, nous disons toujours que les aînés sont tout aussi précieux que les gens qui ont un doctorat parce qu’ils ont beaucoup de connaissances. Je me suis donc demandé : de quoi suis-je censé parler? J’ai choisi de mettre en évidence mes études universitaires et mes antécédents au moment de décider ce que j’allais aborder.
Le sujet de l’éducation est, dans une certaine mesure, controversé, compte tenu des antécédents de ma famille. Mes frères et sœurs et moi-même sommes la première génération de survivants des externats indiens parce que nos parents ont fréquenté l’externat indien de la Première Nation d’Eskasoni. Ils ont raconté les horreurs de la maltraitance subie dans ces établissements d’enseignement. Même si les élèves qui fréquentaient les externats indiens pouvaient rentrer chez eux à la fin de la journée, ils avaient tout de même vécu la même expérience que ceux des pensionnats.
Mes parents n’ont pas eu la possibilité de terminer leurs études secondaires en raison des horreurs qu’ils ont vécues à l’externat indien. Cependant, ils ont veillé à ce que leurs enfants terminent les leurs et fassent des études beaucoup plus poussées.
Trois sur quatre de mes frères et sœurs ont terminé leurs études universitaires et ont obtenu leurs diplômes. Ma sœur aînée a obtenu deux baccalauréats et une maîtrise, et elle a récemment été admise dans un programme de médecine à l’Université Dalhousie. Ma plus jeune sœur a obtenu son baccalauréat en études mi’kmaqs.
J’ai terminé les programmes de maîtrise en administration des affaires et de baccalauréat en administration des affaires offerts à l’Université du Cap-Breton. Ma thèse de maîtrise portait sur l’amélioration du bien-être socioéconomique des Autochtones au Canada.
Malheureusement, au cours de mon parcours scolaire, j’ai vécu un grand nombre de situations et de commentaires racistes et empreints de préjugés et de stéréotypes, comme me faire dire : « Je ne savais pas que les Autochtones étaient intelligents » ou « Vivez-vous encore dans un tipi? » Ces expériences sont attribuables au manque de connaissances concernant les peuples autochtones et aux conséquences des pensionnats et des externats indiens.
Toutefois, après avoir terminé ma maîtrise, j’ai été admis à la Harvard Business School, et j’ai obtenu mon diplôme du programme de certificat Leading People and Investing to Build Sustainable Communities. Ce programme souligne l’importance de la gouvernance et la façon dont elle peut façonner la gestion des investissements en vue de bâtir des collectivités durables.
Ma présence ici, dans l’édifice du Sénat du Canada, à Ottawa, devant ces sénateurs, qui me permettent de souligner mes antécédents en matière d’éducation et de raconter les événements que j’ai vécus durant mon parcours scolaire devrait être un exemple de ce que les jeunes Autochtones peuvent accomplir s’ils travaillent fort pour atteindre leur objectif. J’espère que le fait de voir quelqu’un comme moi, qui a vécu des situations aussi négatives durant sa formation scolaire, suscite une vision : une vision où les jeunes Autochtones peuvent poursuivre leur parcours scolaire et continuer d’apporter des changements importants dans nos communautés autochtones.
Mon prochain objectif universitaire sera de présenter une demande d’admission au doctorat en administration des affaires et de devenir éventuellement le premier Mi’kmaq de l’histoire à être diplômé d’un tel programme.
Si quelqu’un m’avait dit il y a cinq ans que je comparaîtrais devant le comité des peuples autochtones au Sénat du Canada, que j’aurais obtenu mon diplôme de la Harvard Business School et ma maîtrise, je ne l’aurais probablement pas cru. Mais un travail acharné pour réaliser nos rêves peut nous mener n’importe où. On ne sait jamais; un jour, je serai peut-être de l’autre côté de cette table, à écouter la prochaine génération de jeunes leaders autochtones raconter leur histoire.
Wela’lioq, merci. Je vous remercie d’avoir pris le temps aujourd’hui d’entendre le témoignage de nos jeunes Autochtones.
Le président : Merci, monsieur Bernard. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.
Je vais commencer. Compte tenu de vos antécédents, pourriez-vous nous parler de l’importance de la croissance économique et de la prospérité pour votre collectivité?
M. Bernard : Durant mon enfance dans ma communauté, je pouvais voir les possibilités qu’avait Eskasoni. À l’époque, nous n’avions rien; nous n’avions même pas d’épicerie ou quelque chose du genre. Chaque jour, nous devions effectuer un trajet d’une demi-heure, soit une heure par jour. Nous devions nous rendre à Sydney pour nous procurer nos produits — notre épicerie, nos vêtements et toutes les choses du genre.
Aujourd’hui, nous avons nos propres épiceries. Nous avons beaucoup d’autres possibilités sur le plan des affaires. Nous avons un Tim Hortons. Nous avions un Subway, mais les franchisés ont décidé de partir. Nous avons d’autres possibilités. Nous avons Crane Cove Seafoods, une entreprise de pêche. Nous avons aussi nos appareils de loterie vidéo et nos petits centres de jeux vidéo.
Notre collectivité s’est beaucoup développée au cours des dernières années.
Le président : Comme je vous l’ai mentionné tout à l’heure, mon épouse vient d’Eskasoni, alors je connais bien la collectivité. Elle a certainement connu une forte croissance au fil des ans.
Le sénateur Arnot : Monsieur Bernard, je vous remercie de votre témoignage. Vous êtes un leader et un modèle, comme tous les jeunes qui sont des nôtres cette semaine. À un moment donné, vous serez probablement de l’autre côté de la table, ou bien vous jouerez un rôle de leadership politique dans vos communautés.
Vous avez fait beaucoup de recherches sur l’amélioration du bien-être socioéconomique des peuples autochtones. Je me demande simplement ce que votre étude a révélé et ce que vous pourriez nous dire au sujet de certains des obstacles au bien-être économique. Quelles sont certaines des possibilités que vous avez vues dans le cadre de certaines de vos recherches?
M. Bernard : Merci, c’est une excellente question.
Mon mémoire portait principalement sur les éléments socioéconomiques, et mes recherches portaient principalement sur des données primaires. J’ai donc recueilli les données moi-même et effectué mes propres enquêtes. J’ai mené un sondage auprès des membres de ma communauté, et je l’ai soumis pour mon mémoire. Je voulais voir de quelles manières il nous serait possible d’accroître le développement économique de notre collectivité : « Comment pourrons-nous obtenir des emplois? Comment pourrons-nous vous aider à avoir un meilleur avenir, votre famille et vous? »
J’ai examiné des exemples de ce qu’avaient fait d’autres collectivités. Selon l’analyse de mes données, beaucoup de gens souhaitaient surtout obtenir du transport en commun, car, même si Eskasoni compte beaucoup d’entreprises et qu’il y a beaucoup d’emplois, le ratio de personnes… il y a plus de personnes que d’emplois, alors il n’y a pas beaucoup d’emplois à Eskasoni, même s’il y a beaucoup d’entreprises. Les gens auraient aimé avoir du transport en commun entre la collectivité et Sydney en raison des possibilités d’emploi dans cette ville.
C’était en 2019-2020. Depuis, nous avons obtenu à Eskasoni un service de transport en commun qui permet de se rendre à Sydney tous les jours.
Le sénateur Arnot : Merci.
La sénatrice Coyle : Merci, monsieur Bernard. J’aimerais en savoir beaucoup plus à votre sujet. Je tiens à vous féliciter d’en être arrivé là et de nous avoir fait part des ambitions que vous avez exprimées. Je suis vraiment impressionnée par ce témoignage.
J’ai deux questions à vous poser. La première concerne ces ambitions : le doctorat que vous prévoyez faire à un moment donné. De quoi s’agit-il? Vous avez fait beaucoup de recherches pour votre mémoire de maîtrise. Quelle est la prochaine étape de la recherche et de l’apprentissage que vous voudriez réaliser et rapporter? C’est une question.
Mon autre question concerne votre expérience au sein de la communauté LGBTQ+ d’Eskasoni et de la Nouvelle-Écosse. D’où tirez-vous votre soutien? Y a-t-il quelque chose que nous pourrions apprendre de votre expérience?
M. Bernard : En ce qui concerne mes recherches futures, je réfléchis encore à ce que je vais faire. À l’heure actuelle, je songe aux politiques en matière de ressources humaines et à tout cela. Je pense que je vais probablement faire plus de recherches sur la manière dont nous pourrons autochtoniser les milieux de travail et les façons dont nous pourrions être un exemple de la façon dont nous pouvons autochtoniser les milieux de travail et modifier les politiques en matière de ressources humaines, dans les organisations autochtones et non autochtones, afin de les rendre beaucoup plus — j’ai envie de dire « agréables » —, d’avoir un emploi qui n’est pas aussi strict et d’une façon coloniale — tenter de se débarrasser de ce colonialisme — ou simplement essayer de les modifier, essentiellement.
Quelle était votre deuxième question?
La sénatrice Coyle : Où allez-vous chercher du soutien — si vous le faites — au sein de la communauté LGBTQ+, celle de votre propre communauté et celle de la Nouvelle-Écosse?
M. Bernard : C’est une excellente question. Je vous en remercie.
Durant mon enfance, je n’avais pas d’exemples à suivre, parce que les personnes qui étaient plus âgées que moi dans mes communautés n’étaient pas vraiment publiquement LGBTQ+. J’ai été — et je le suis probablement encore — un modèle en la matière. Je veux m’assurer que tous les membres de la communauté LGBTQ+ sont pris en charge et qu’ils se portent bien, parce que je les considère comme mes enfants. Je veux simplement m’assurer qu’ils vont bien. Ils disent à la blague que je suis un aîné de la communauté 2SLGBTQ+ et de ma collectivité. Je m’y connais à ce sujet.
La sénatrice Hartling : Merci de nous avoir fait part de vos ambitions et de vos objectifs. Bravo. C’est très intéressant.
Avez-vous un lien de parenté avec la sénatrice Bernard?
M. Bernard : Non. Nous en parlons depuis hier, et tout le monde me demande si nous sommes apparentés. Bien que nous soyons de la Nouvelle-Écosse, nous n’avons pas de lien de parenté. Je crois qu’elle m’a dit qu’elle avait épousé un homme dont le nom de famille est Bernard.
La sénatrice Hartling : C’est exact. Vous pensez de la même façon.
M. Bernard : Oui, nous sommes devenus proches depuis notre rencontre d’hier.
La sénatrice Hartling : Vous avez mentionné que vous étiez déjà venu à Ottawa. Ce n’est pas la première fois que vous y êtes; votre père vous accompagne, je crois. Qu’est-ce qui vous a motivé à poursuivre votre cheminement vers l’atteinte de vos objectifs? Qu’est-ce qui vous motive à continuer? Il y a certainement beaucoup d’obstacles à surmonter.
M. Bernard : Oui. Ce qui me motive, ce sont mes parents parce que, avec leurs antécédents, ils n’ont pas pu terminer leurs études secondaires et ils nous ont toujours encouragés à terminer les nôtres et à aller beaucoup plus loin qu’eux. Ils voulaient que nous obtenions un diplôme, que nous terminions nos études universitaires et tout le reste. J’ai honoré le souhait de mes parents de me voir continuer, et j’ai trouvé un moyen de le faire.
Honnêtement, lorsque j’ai commencé l’université, j’étais titulaire d’un baccalauréat en sciences, mais, quand j’étais jeune, j’ai toujours travaillé dans le domaine du gouvernement, de la gouvernance, des affaires et du développement économique. Alors je me suis dit : « Pourquoi suis-je en sciences? Je devrais être en affaires ou quelque chose du genre. » J’ai changé de programme, et c’est ainsi que j’ai découvert mon amour du programme des affaires. J’ai obtenu mon baccalauréat et ma maîtrise en affaires et j’espère obtenir un jour mon doctorat.
La sénatrice Hartling : Vous l’obtiendrez, cela ne fait aucun doute. Y a-t-il eu des obstacles en cours de route?
M. Bernard : Oui, il y a eu beaucoup d’obstacles. Dans ma vie, il y a eu beaucoup de gens qui ne comprenaient pas le savoir autochtone et notre façon de penser. J’ai été en mesure d’apporter ma façon de penser dans mon travail scolaire et d’éduquer mes pairs également. Lorsque je fréquentais l’école, j’étais toujours avec des non-Autochtones, j’ai grandi avec des non-Autochtones, et ils ont toujours une vision à sens unique des choses, et je n’étais jamais d’accord. Je disais : « Non, ce n’est pas correct; nous devrions voir les choses de telle façon. » Dans le cadre de tous les projets que j’ai réalisés ou auxquels j’ai travaillé avec des gens, j’ai toujours utilisé l’approche à double perspective, et je m’assurais que tout le monde l’interprétait de cette façon. Techniquement, j’éduquais un peu les gens relativement à l’obstacle que je rencontrais en même temps.
La sénatrice Hartling : Merveilleux. Merci beaucoup.
M. Bernard : Je vous en prie.
Le président : Vous avez en quelque sorte répondu à la question que j’allais poser, monsieur Muin Ji’j. Je vais la poser de nouveau, simplement pour que vous puissiez peut-être nous en dire un peu plus, à l’intention des personnes qui ne savent pas ce qu’est l’approche à double perspective, et nous expliquer comment ce principe peut être appliqué dans le contexte de l’éducation.
M. Bernard : C’est mon voisin d’à côté qui a appelé cela l’approche à double perspective. Il vit à Eskasoni, et il est un aîné, Albert Marshall père. L’approche à double perspective, c’est la capacité de voir, de connaître le côté occidental des choses et le côté autochtone des choses et d’appliquer ces deux points de vue à un certain sujet. La capacité de voir de deux manières peut être avantageuse pour tout le monde, pas seulement l’unique manière dont la plupart des gens voient les choses, que je considère comme étant coloniale.
Le président : Je comprends. Merci.
La sénatrice Greenwood : Permettez-moi de vous féliciter, moi aussi, pour votre succès et vos diplômes, en plus de ceux des autres. J’aimerais poursuivre dans la même veine que les sénatrices Coyle et Hartling.
Vous avez abordé le bien-être dans votre exposé, et je suis toujours intéressée à répondre à des questions comme : « Comment vais-je savoir si j’ai réussi? » « Comment puis-je savoir si j’ai atteint le bien-être? » Je me demande, lorsque vous réfléchissez à votre parcours, quels indicateurs — si on veut — ou quels éléments de réussite voyez-vous? Les éléments qui vous disent que vous avez réussi.
M. Bernard : Je le vois déjà chez la jeune génération aujourd’hui. À Eskasoni, en ce moment, la jeune génération — les adolescents, les jeunes dans la vingtaine et les personnes de ce genre — n’a pas peur de s’afficher en tant que membres de la communauté 2SLGBTQ+. Le fait de les voir à l’aise dans leur peau et capables de se présenter tels qu’ils sont me montre que tout le travail que j’ai fait fonctionne. Compte tenu de toutes les activités de défense des droits que j’ai menées, cela montre que mon travail acharné paraît, et je peux être un exemple à suivre pour ces personnes. J’encourage toujours les gens.
Même si certaines personnes ne partagent pas mon point de vue, le fait d’être bispirituel ne signifie pas qu’il faut être gai, lesbienne ou quoi que ce soit du genre. La bispiritualité, c’est quelque chose de différent. Être bispirituel, c’est être capable de comprendre, avoir deux façons de comprendre. Être capable de comprendre la façon dont une femme pense et la façon dont un homme pense, et être capable de réunir ces façons de penser. Il est avantageux de pouvoir élargir mes connaissances à cet égard.
La sénatrice Greenwood : Excellent, merci.
La sénatrice Bernard : Je vous remercie de m’avoir permis de me joindre à vous aujourd’hui. Je suis très heureuse d’être présente avec mon nouvel ami. Je suis ravie que la sénatrice Hartling ait demandé si nous avions un lien de parenté, car je suis certaine que beaucoup de gens se posaient des questions à ce sujet, surtout que nous venons tous les deux de la Nouvelle‑Écosse.
Permettez-moi de me joindre à mes collègues pour vous dire qu’il a été très inspirant de vous entendre parler. Bon nombre des questions que je voulais poser l’ont déjà été. Ce que je veux vous demander de nous dire, si vous le pouvez — vous avez parlé de la vision bispirituelle et de l’approche à double perspective —, c’est comment sont-elles reliées, ou le sont-elles? Y a-t-il un lien?
M. Bernard : C’est une excellente question. Merci beaucoup. Je n’y ai pas vraiment réfléchi. Vous êtes probablement la première personne à me poser cette question. Pour être honnête, je ne sais pas comment y répondre.
La sénatrice Bernard : Ce pourrait être un sujet possible pour votre programme de doctorat. Nous l’appelons de nos vœux.
Je vous écoute parler de ce qu’est l’approche à double perspective, puis j’établis un lien avec ma connaissance de la bispiritualité et de son adoption au sein des communautés autochtones, et je crois qu’il y a un lien.
M. Bernard : Oui.
La sénatrice Bernard : Quelque chose qui mérite d’être approfondi.
M. Bernard : Exactement.
La sénatrice Bernard : Qui de mieux placé que Bertram Bernard pour le faire?
M. Bernard : Merci. De tels éloges. Je vous en suis reconnaissant.
Le président : Je suis tout à fait d’accord.
La sénatrice Audette : C’est très clair, mais vous voyez que nous sommes tous humains. Sénatrice Bernard, je vous aime comme une sœur. Merci beaucoup. Je vous écoute en français et en anglais. C’est très puissant.
Je veux simplement vous remercier, car c’est une question d’espoir. Pour nous, c’était très rebutant à cause de la honte que nous éprouvions tout le temps. Je vois maintenant sur Facebook, comme dans le cas de la COVID, la célébration de la garderie, de la maternelle, de l’école secondaire, puis du collège et de l’université… des parents autochtones qui célèbrent la réussite ou les réalisations de leurs enfants. Nous vous accueillons tous, et c’est une célébration plutôt que de la honte.
C’est bon pour moi. C’est un remède.
Merci. C’est tout.
Le président : Quelqu’un d’autre a-t-il des questions? Puisqu’il n’y en a pas, le temps réservé à ce témoin est maintenant écoulé. Je remercie M. Bernard d’être venu nous rencontrer aujourd’hui.
Voilà qui nous amène à la fin de notre séance. Wela’lin, merci à nos témoins de leur présence aujourd’hui. Vous témoignez tous de la beauté et de la force de vos communautés. Sachez que vos paroles sont puissantes, tout comme vous.
Sur ce, nous avons hâte d’entendre les quatre autres participants ce soir à 18 h 45. La séance est levée.
(La séance est levée.)