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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 7 juin 2023

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 48 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Note de la rédaction : Certains témoignages en langue des signes américaine ont été présentés par l’intermédiaire d’un interprète.]

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, j’aimerais commencer par reconnaître que la terre sur laquelle nous nous réunissons est le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe qui abrite aujourd’hui de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits de toute l’île de la Tortue.

Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis, d’Epekwitk, aussi appelé l’Île-du-Prince-Édouard, et je préside le Comité des peuples autochtones.

Avant de commencer, j’aimerais demander à toutes les personnes présentes dans la salle de ne pas se pencher trop près du microphone, ou d’enlever leur oreillette si elles se rapprochent de celui-ci. Vous éviterez ainsi tout retour de son qui pourrait nuire au personnel du comité présent dans la salle.

Je vais maintenant demander aux sénateurs ici présents de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou leur territoire.

La sénatrice Martin : Sénatrice Yonah Martin, Colombie-Britannique.

La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, Colombie-Britannique, territoire du Traité no 6.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson. Je suis une Métisse du territoire du Traité no 6 en Alberta.

La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, Alberta, parc national de Banff, territoire du Traité no 7.

Le sénateur D. Patterson : Dennis Patterson, Nunavut.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Antigonish, Nouvelle-Écosse, Mi’kma’ki.

[Français]

La sénatrice Audette : Kwe. Michèle Audette, du Québec, Nitassinan.

La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, sénatrice indépendante, division des Laurentides, au Québec.

[Traduction]

Le président : Je vous remercie, chers collègues.

Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir de jeunes Autochtones de partout au pays dans le cadre de l’édition 2023 de La voix de jeunes leaders autochtones. Nous inviterons chacun d’entre eux à prononcer une déclaration préliminaire d’une durée maximale de cinq minutes. Il y aura ensuite une série de questions et de réponses avec les membres du comité.

J’aimerais présenter notre première témoin pour cette réunion. Mme Paula MacDonald est une femme sourde Saulteaux-Cree qui est membre de la Première Nation de Pasqua en Saskatchewan. Mme MacDonald prononcera une déclaration préliminaire d’une durée maximale de cinq minutes, qui sera suivie d’une séance de questions et de réponses avec les membres du comité.

[Interprétation]

Paula MacDonald, à titre personnel : Bonjour. Je vous remercie de votre invitation. Participer à cette réunion est une occasion unique pour moi.

Je viens d’obtenir un diplôme en études autochtones et canadiennes à l’Université Carleton. Au cours de mes études, j’ai voulu connaître d’autres personnes qui s’identifiaient comme sourdes et qui étaient des survivantes des écoles autochtones. Pendant que la Commission de vérité et de réconciliation menait son travail, j’ai trouvé un document. Il n’y avait pas beaucoup de documents disponibles, mais j’ai pu trouver une personne. Il était inscrit comme le fils d’Esau Montahugh, mais cet enfant s’appelait Augustus John Montahugh. Il est né en 1890 et a fréquenté l’Ontario School for the Deaf, qui est maintenant l’école Sir James Whitney, à Belleville. Il y est entré en 1901. En 1903, il a quitté l’école. Je tenais à raconter cette histoire parce que je ne sais pas ce qu’il est advenu de cet enfant. J’espère que plus tard, nous disposerons de plus de ressources et que nous pourrons trouver plus d’informations pour savoir qui était cet enfant.

J’ai vécu beaucoup d’expériences pendant mon enfance. J’ai été adoptée. Je viens d’une famille avec un père monoparental. J’ai connu beaucoup de changements avant de rejoindre la famille avec laquelle je vis aujourd’hui. Je me souviens avoir appris la langue des signes américaine à l’âge de sept ans. Avant cela, j’utilisais des pancartes pour communiquer. Je me débrouillais avec un minimum de communication. J’ai emménagé dans une famille non autochtone, qui était très bien. J’ai eu la chance d’être soutenue et d’avoir pu faire des études. Je me souviens du moment où j’ai enfin compris une phrase complète. Cela avait pris un certain temps. Ma mère adoptive m’a expliqué ce qu’était le shampoing et m’a montré une bouteille de shampoing et un pain de savon. Elle m’a fait signe de ne pas utiliser le pain de savon pour mes cheveux, ce que je faisais parce que je ne savais pas que le shampoing était pour les cheveux et que le pain de savon était pour le corps. C’est ma mère adoptive qui me l’a appris. C’est là que j’ai commencé à apprendre à communiquer. Cette histoire pourrait avoir une incidence sur d’autres enfants autochtones, et cela me touche personnellement.

Le thème de cette année est l’éducation, et c’est très important, car il existe beaucoup d’Autochtones sourds et malentendants, mais souvent, ils ne sont pas reconnus. Ils peuvent vivre dans une communauté isolée et avoir des difficultés à l’école. Comme d’autres l’ont mentionné aujourd’hui, ceux d’entre nous qui sont sourds et malentendants font face à plus de difficultés. Par exemple, dans cette salle, combien de personnes sont capables d’entendre? Un grand nombre d’entre vous le peuvent, alors que moi, je suis sourde. Si je ne connaissais pas la langue des signes, si je ne savais pas comment communiquer et si je n’avais pas accès à ma culture, comment pourrions-nous communiquer? Je me suis sentie très isolée et seule pendant mon enfance.

C’est ce que j’ai vécu à l’école. J’étais une enfant entourée d’élèves qui entendaient, jusqu’à ce que je devienne plus âgée et que j’aille à l’école pour les personnes sourdes. Cette expérience m’a touchée de différentes manières et m’a permis d’apprendre la langue des signes et la culture sourde. Le savoir autochtone ne faisait toutefois pas partie du programme. Je n’ai compris cette identité que plus tard, lorsque je suis allée au collège et à l’université et que j’ai pu découvrir mon identité.

Je voulais vous dire que nous avons des écoles et des programmes d’étude pour les personnes sourdes, mais que ce dont nous avons besoin, c’est du point de vue des personnes sourdes autochtones. Les personnes sourdes ne vivent pas toutes la même chose. Je voulais donc vous parler des différences qui existent.

Comme vous pouvez l’imaginer, bon nombre de nos communautés sont éloignées, mais les expériences que je décris peuvent également s’appliquer dans les environnements urbains. Lorsque l’on naît sourd ou qu’on le devient plus tard, pour quelque raison que ce soit, ce seront parfois les parents qui prendront les décisions, et, parfois, ce seront les éducateurs et les médecins qui les prendront. Lorsqu’ils constatent qu’un enfant est sourd, la décision est difficile à prendre. Il n’y a pas beaucoup d’options qui s’offrent à eux. Allez-vous envoyer votre enfant sourd dans un pensionnat? En général, ils sont assez éloignés de la communauté, et ils ne se trouvent que dans les endroits peuplés.

Si un enfant décide de rester dans sa communauté, il risque de ne pas apprendre la langue des signes. Nous avons une approche très occidentale de l’enseignement des langues. Souvent, dans cette communauté, il n’y aura pas d’éducateurs ni de ressources pour soutenir l’enfant sourd. Dans les pensionnats pour les personnes sourdes, cela signifie que l’enfant sourd pourrait être plus durement éprouvé, et c’est encore un problème aujourd’hui. C’est une décision difficile à prendre.

Allez-vous choisir d’envoyer votre enfant au pensionnat ou de le garder dans votre communauté? Les familles doivent prendre cette décision parce qu’elles veulent que leur enfant ait accès à leur culture. Mais la langue est essentielle pour avoir accès à la culture. Il est facile de trouver des interprètes en langue des signes dans les zones urbaines, mais ce n’est pas toujours le cas dans les communautés éloignées. De plus, les services d’interprétation peuvent coûter très cher. La communauté pourra-t-elle s’offrir ces services?

L’autre problème est que les interprètes ne connaissent pas nécessairement la culture autochtone et ont besoin d’une formation supplémentaire pour pouvoir répondre aux besoins d’un enfant sourd autochtone. Vous savez que l’apprentissage et l’éducation commencent très tôt dans l’enfance, et que cette fenêtre se referme tôt. Des éducateurs sourds qui connaissent la culture autochtone seront parfois embauchés dans les écoles, mais cela n’arrive pas très souvent. Serez-vous en mesure d’établir un lien avec cet éducateur et ces ressources? Peut-être, ou peut-être pas.

Il n’y a pas beaucoup de mesures de soutien ou de ressources qui tiennent compte de la perspective autochtone. Par exemple, pendant la pandémie de COVID-19, de nombreux jeunes ont pu continuer à aller à l’école grâce à Zoom et à d’autres applications, mais pour ce faire, il fallait disposer d’un bon réseau Internet, d’une bonne connexion WiFi, d’une caméra et d’ordinateurs. Dans les régions et les communautés éloignées, il se peut que vous n’ayez pas accès à tout cela ou que vous n’ayez pas les moyens de vous offrir cet équipement. Comme jeune ou enfant sourd, vous ne pourrez peut-être pas accéder à l’éducation dans votre communauté, ce qui a une énorme incidence et entraîne des retards d’apprentissage.

Que vous choisissiez d’aller dans une école pour personnes sourdes ou de rester dans la communauté, je pense que le résultat final sera le même. Il n’y a pas beaucoup de différence parce que les ressources sont très limitées. S’il n’y a pas de ressources, nous ne savons pas très bien qui couvrira les coûts. Seront-ils payés par le gouvernement fédéral ou par le gouvernement provincial? Qui fournira ces services à l’enfant sourd dans la réserve ou à l’extérieur de la réserve?

La situation est très difficile pour les jeunes sourds. Le pourcentage de décrochage scolaire est élevé, ce qui se traduit par des taux de chômage élevés, et cela est lié au manque de ressources en matière linguistique.

Je vous remercie de votre attention.

[Traduction]

Le président : Je vous remercie, madame MacDonald.

Nous allons maintenant commencer la séance de questions et de réponses. Je cède la parole aux sénateurs.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je vous remercie, madame MacDonald. J’ai l’impression que vous avez ouvert une fenêtre sur un monde que je n’ai jamais connu. Je suis en admiration devant la façon dont vous nous avez communiqué vos émotions aujourd’hui.

Ma question porte sur la conception du monde. Je suis sûre que la langue des signes américaine comporte une conception du monde très occidentale. Comment un enfant autochtone se familiarise-t-il avec la culture autochtone par le biais de la langue des signes américaine?

[Interprétation]

Mme MacDonald : Je serai heureuse de répondre.

D’après mon expérience, la langue des signes américaine a déjà pris de l’expansion et est devenue la langue dominante, comme l’anglais. Nous avons des langues des signes autochtones, mais c’est toutefois différent. Par exemple, lorsque nous parlons de la traduction d’une langue inuite vers l’anglais, il y a beaucoup de mots qui n’existent pas nécessairement. C’est la même chose pour les langues des signes autochtones. Elles fonctionnent pour la vie quotidienne, offrent ce qu’il faut pour fonctionner. Cependant, lorsqu’il s’agit de discussions plus soutenues, c’est difficile.

Il est difficile pour les jeunes Autochtones sourds d’avoir accès à la langue des signes. Nous pourrions en parler longtemps. La meilleure option est d’apprendre la langue des signes pour pouvoir communiquer. Mais si l’on veut faire des études postsecondaires, il faut apprendre l’anglais. Il faut avoir recours à un interprète gestuel pour pouvoir faire ces études. Je ne peux pas m’attendre à ce que chaque interprète connaisse une langue autochtone en plus de l’anglais et de la langue des signes américaine. Peut-être un jour, mais il faudrait une formation supplémentaire, et il faut du temps pour former un interprète. J’accorde de la valeur à mon temps, et je veux me consacrer à mes études maintenant.

[Traduction]

La sénatrice LaBoucane-Benson : L’anglais est empreint de racisme. C’est une langue coloniale qui repose sur une structure coloniale. La langue des signes américaine est-elle empreinte de racisme? Dans l’affirmative, comment gérez-vous cela?

[Traduction de l’interprétation]

Mme MacDonald : C’est la même chose. Selon les personnes, s’ils sont autochtones ou non, selon les enseignants et leur apport à la discussion, il y a des préjugés, et ils enseignent à des enfants qu’ils soient autochtones ou non. Pour les personnes autochtones sourdes, il y a l’autisme. C’est le cas pour la communauté de manière générale. C’est la situation que nous vivons également, et peut-être doublement.

[Traduction]

La sénatrice Sorensen : Bienvenue tout le monde, et je vous félicite d’être ici. C’était formidable de vous voir un peu partout au cours des derniers jours. Vous avez égayé notre monde.

Madame McDonald, je vois ici que vous militez pour les jeunes sourds et que vous êtes bénévole au comité des Autochtones sourds du Canada. Je m’intéresse au travail que vous faites là. Avez-vous parfois recours à des interprètes autochtones, ou aspirez-vous à devenir interprète pour personnes sourdes?

[Traduction de l’interprétation]

Mme MacDonald : Tout d’abord, pour les jeunes Autochtones sourds, nous avons récemment créé le comité dans le cadre de l’Association des sourds du Canada. Cela fait seulement trois ou quatre ans. Je me suis jointe au comité et j’ai vu qu’on voulait se concentrer sur de nombreux projets. Il était question de discussions à l’échelle nationale et d’enjeux qui relèvent des provinces. Il y a beaucoup de choses sur lesquelles il faut mettre l’accent. Nous avons de la difficulté puisque nous devons acquérir des compétences pour faire valoir nos points de vue. Certaines personnes sont très humbles, et elles doivent s’y prendre avec plus de fermeté pour défendre les politiques.

[Traduction]

La sénatrice Sorensen : Comme vous le faites déjà.

[Traduction de l’interprétation]

Mme MacDonald : Oui. J’ai remarqué les différentes personnalités des gens. Ils veulent participer, mais c’est difficile. Au bout du compte, c’est toujours une question de financement, ce qui est très important. Nous serions plus motivés si nous en avions.

Pour les jeunes Autochtones sourds, il faut beaucoup de travailleurs bénévoles. Ces bénévoles sont extraordinaires, mais nous voulons aussi des emplois. Nous ne voulons pas offrir que des postes de bénévole. Nous aspirons aux mêmes choses que tous les autres dans la société.

Pour ce qui est de l’interprétation pour personnes sourdes, je viens tout juste d’obtenir mon certificat. Je ne suis pas encore officiellement prête à faire le travail, mais je mets l’accent sur le soutien aux jeunes Autochtones sourds et sur la communauté en général. Je parle seulement en mon nom. Je dirais qu’il y a peut-être moins de 10 — peut-être 5 — interprètes autochtones au Canada. Il n’y en a vraiment pas beaucoup. Parmi les interprètes de langues parlées à l’échelle fédérale, il n’y a qu’une seule personne autochtone, et elle est parmi nous en ce moment.

Il y en a d’autres d’un bout à l’autre du Canada, mais ils travaillent pour leur communauté. Lorsque c’est absolument nécessaire, ils peuvent faire le travail supplémentaire, mais ils ne sont pas particulièrement disposés à accomplir d’autres types de tâches. Ils ne veulent pas travailler pour les grandes entreprises; ils veulent travailler au sein de leurs communautés. Il y a des avantages et des inconvénients à cela.

Nous nous penchons encore là-dessus, car nous devons accroître le nombre d’interprètes gestuels qui se concentrent sur les langues autochtones. Pour ce qui est du programme autochtone, nous voulons accroître la sensibilisation, et nous devons recruter plus de monde.

[Traduction]

La sénatrice Martin : Je me fais l’écho de ce que la sénatrice LaBoucane-Benson et la sénatrice Sorensen ont dit. Vous m’avez ouvert les yeux sur le monde des personnes autochtones sourdes, le travail de défense de leurs intérêts que vous faites et le fait qu’il n’y a environ que cinq interprètes autochtones au pays. Merci beaucoup d’être une militante aussi extraordinaire.

Le mois de juin est le Mois de la sensibilisation à la surdicécité. Vous avez peut-être entendu le discours du sénateur Marwah.

J’ai quelques questions qui se rapportent à ce que vous avez dit. La première observation était à propos d’apprendre à connaître la culture de la surdité. Je suis curieuse de savoir comment c’était pour vous.

De plus, vous avez dit que vous avez trouvé votre identité autochtone à l’université. Je pense que c’est l’essentiel : votre sentiment d’identité. Vous êtes sourde et autochtone. Pouvez‑vous parler un peu de ce à quoi vous faisiez allusion?

[Traduction de l’interprétation]

Mme MacDonald : Bien sûr. Merci de poser la question.

À propos de la culture de la surdité, je pense que la meilleure façon d’apprendre est auprès de la communauté des personnes sourdes et à l’école pour personnes sourdes. À ces endroits, on a l’occasion d’apprendre beaucoup, et on se trouve dans un espace destiné à ces personnes, ce qui signifie que les choses sont plus accessibles visuellement. L’enseignement se fait dans un cercle. Lorsque les enseignants connaissent la langue des signes, c’est formidable. J’ai eu la chance d’avoir cette sorte d’éducation. C’est ce qui m’a permis de faire des études postsecondaires.

Les écoles traditionnelles ont des programmes destinés aux personnes sourdes ou malentendantes. Elles peuvent offrir une bonne éducation, mais il manque l’aspect social. Les élèves font de leur mieux. Je ne veux pas me sentir seule. Je veux socialiser. Si ce n’était des écoles qui offrent des programmes aux personnes sourdes et malentendantes, je ne serais pas la leader que je suis aujourd’hui.

J’ai oublié la deuxième question.

[Traduction]

La sénatrice Martin : Ma deuxième question portait sur la découverte de votre identité autochtone à l’université. Je suis curieuse de savoir ce qui s’est passé. Comment en êtes-vous arrivée là?

[Traduction de l’interprétation]

Mme MacDonald : Merci.

L’école pour personnes sourdes se trouvait près d’une réserve, mais on n’en parlait pas souvent. Il n’y avait aucune personne autochtone à mon école auprès de qui je pouvais apprendre avant d’aller au collège. J’ai fréquenté un collège aux États-Unis puisqu’il y avait un programme pour personnes sourdes à l’institut technique national pour les personnes sourdes du Rochester Institute of Technology. Parmi les étudiants, j’ai rencontré beaucoup de personnes-ressources qui déployaient de nombreux efforts de sensibilisation, et j’ai commencé à m’impliquer et à apprendre ma propre culture. Ils avaient une association d’étudiants autochtones. J’en suis devenue membre et c’est là que j’ai été initiée à ma culture. Je me suis dit: « Pourquoi je m’implique dans la leur? Je devrais en apprendre plus sur la mienne. » Je suis toutefois reconnaissante d’avoir eu cette possibilité, car j’ai pu découvrir des cultures autochtones.

Lorsque je suis revenue au Canada après avoir obtenu mon diplôme, j’ai commencé mon deuxième diplôme. J’ai eu la chance d’avoir des interprètes qui m’ont suivie tout au long de mes études. C’était mieux que rien. J’ai pu apprendre de plus en plus. C’est ce qui m’a donné les occasions qui m’ont menée ici. Je répète que je poursuis l’apprentissage de mon identité et de ma culture.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Merci, madame MacDonald, et merci aux femmes qui nous aident à mieux communiquer entre nous aujourd’hui. Cela ne devrait probablement pas être une expérience aussi révélatrice pour chacun de nous, mais c’est le cas. Je suis honnête : c’est vraiment nouveau pour nous. Je vous remercie de nous ouvrir l’esprit.

Je suis moi-même malentendante. Je ne suis pas sourde, mais malentendante. Je peux augmenter le volume, comme je l’ai fait lorsque vous parliez doucement au début pour pouvoir vous entendre dans mes appareils auditifs. À vrai dire, vous m’inspirez, car il est possible que je ne puisse plus entendre un jour, et ce serait bon à apprendre. Je ne minimise pas ce qu’il faut peut-être pour apprendre ce que vous savez sur la façon de communiquer. Vous êtes pour moi une source d’inspiration.

Voici ma question pour vous : vous êtes maintenant à une étape extraordinaire de votre vie. Vous avez travaillé fort pour apprendre à communiquer dans le monde immense qui vous entoure et avec vos pairs et pour suivre à deux reprises déjà des études postsecondaires. Quelle est la prochaine étape pour vous, madame MacDonald? Que voulez-vous faire avec tout ce que vous avez développé en vous et appris à propos du monde? Il serait intéressant pour nous de vous entendre davantage à propos de vos rêves et de vos ambitions.

[Traduction de l’interprétation]

Mme MacDonald : Oui. J’ai une liste. Je dois commencer par là.

Mais tout d’abord, dans l’immédiat, je vais poursuivre mon travail de sensibilisation. Je vais continuer de le faire. Je ne serai plus considérée comme une jeune encore très longtemps, car j’approche de la trentaine, mais je veux défendre les intérêts d’autres jeunes Autochtones sourds et les appuyer puisqu’ils sont importants pour l’avenir. Nous devons penser aux générations futures. Ils ont la possibilité d’incarner le changement que nous voulons voir dans le monde. Lorsque j’ai obtenu mon diplôme d’études collégiales — j’ai étudié le génie de conception —, je me souviens d’avoir cherché d’autres exemples à suivre, et je n’en ai trouvé aucun. Cela ne se limite pas au fait d’être seule. Cela dépend de notre famille et du soutien que nous avons. Il ne suffit pas de me concentrer sur moi-même et de progresser davantage juste pour moi. Je dois défendre les intérêts d’autres personnes.

Si je peux obtenir la participation de trois, quatre ou cinq autres leaders sourds, nous pourrons alors changer les choses. Je pense qu’il n’y a que deux ou trois jeunes autochtones sourds qui fréquentent un collège ou une université en ce moment. Il n’y en a pas beaucoup. Nous devons améliorer l’éducation autochtone, mais cela commence par la culture de la surdité. Si nous pouvions l’intégrer à nos collectivités afin que les gens comprennent les ressources et le soutien qui sont nécessaires pour un enfant sourd et afin qu’ils engagent les bonnes personnes et aient la bonne formation pour leur donner accès aux deux mondes, ce serait important. Nous avons besoin non seulement d’éducateurs entendants, mais aussi d’éducateurs sourds qui comprennent ce que nous vivons. C’est difficile. Il est facile d’avoir accès à des interprètes gestuels dans les centres urbains, mais c’est très difficile dans les régions rurales. Un financement serait utile, sans aucun doute, mais il y a d’autres difficultés à surmonter.

J’ai une liste des autres choses que je souhaite faire, et c’est seulement ce qui se trouve au début.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : Merci, madame MacDonald. Je me suis réjoui d’avoir eu une bonne discussion avec vous hier soir. Je remercie mes collègues pour leurs bonnes questions cet après‑midi. Je vais en poser deux autres. Madame MacDonald, merci de défendre les intérêts des personnes sourdes et des Premières Nations du Canada. Je vous encourage vraiment à poursuivre votre travail. Merci pour votre courage, votre enthousiasme et votre passion par rapport à ce que vous faites.

J’ai un commentaire puis une question. En Saskatchewan, je sais que les jeunes des Premières Nations qui vivent dans des régions nordiques rurales, éloignées et isolées n’ont pas accès à des soins médicaux dès les premiers symptômes. Par conséquent, de nombreux enfants autochtones au nord de la province deviennent sourds à cause d’une maladie curable, même si c’est très facile à prévenir. Avez-vous une expérience à cet égard, ou avez-vous des observations à propos de ce que le comité pourrait recommander pour pouvoir offrir de meilleurs soins aux membres des Premières Nations des régions rurales qui se retrouvent dans ce genre de situations?

Ma deuxième question est la suivante : avez-vous pour le comité des recommandations concernant la façon dont le gouvernement fédéral peut promouvoir, encourager et financer des services d’interprétation gestuelle pour les Premières Nations?

[Traduction de l’interprétation]

Mme MacDonald : Merci pour vos questions. Ce sont de grands enjeux.

J’aimerais souligner que devenir sourde est une chose positive. De mon point de vue, c’est positif. Je ne me fie pas au modèle médical qui considère que c’est un déficit. Je vois que j’ai des possibilités, et il y a des outils comme les appareils auditifs, les implants cochléaires et ainsi de suite. Cela ne signifie pas qu’ils vont nécessairement vous donner une meilleure vie, mais ils vous mettent sur un pied d’égalité avec les personnes entendantes. De plus, il est important d’avoir accès à la langue des signes.

Les parents peuvent ressentir de la tristesse à cause de la perte d’audition de leur enfant, mais il est important d’offrir à l’enfant les ressources dont il a besoin. Grâce à ces ressources, il pourrait se sentir plus optimiste, mais sans, il pourrait ne pas savoir quoi faire. Cela peut mener à de mauvais résultats et à de mauvaises décisions. Je ne peux pas prédire ce que des parents vont décider pour leur enfant sourd, mais je les encourage à voir le positif ainsi qu’à défendre leur enfant et à surmonter leur chagrin. Je vois cela comme une chose positive.

Pour ce qui est d’offrir un meilleur soutien, cela dépend vraiment des parents. Certains enfants ont des parents sourds. Il arrive aussi souvent que les parents soient entendants, et il est important de les soutenir. Il est important de mettre des interprètes gestuels à leur disposition. Je n’aime pas entendre d’excuses — par exemple aux hôpitaux et aux cliniques — à propos des longs délais et des coûts trop élevés. Cela entraîne des retards dans l’accès au service, et quel est alors le résultat et qui est la personne responsable? Les parents veulent ce qu’il y a de mieux pour assurer la santé et la sécurité de leur enfant, et il est donc important d’offrir ces services le plus rapidement possible.

Ce qui me pose problème, c’est la question de la compétence pour les personnes dans les réserves et celles hors réserve. Dans les réserves, techniquement, le gouvernement fédéral est responsable, et nous avons maintenant la Loi canadienne sur l’accessibilité. On se demande de plus en plus si les réserves devraient offrir les services d’interprétation gestuelle et d’autres mesures de soutien. Ce ne sont toutefois pas toutes les provinces qui offrent ces services, mais les ressources devraient être là. Il y a aussi une petite discussion à propos du principe de Jordan. Quelle est l’administration responsable? Il est important que les enfants et les autres jeunes — et les adultes aussi — aient accès aux services, et s’ils sont améliorés, il y aura beaucoup de retombées.

À propos de votre deuxième question, il est bien d’avoir du financement pour les services d’interprétation, mais ce n’est pas la seule chose que je préconise. Il faut plus d’éducateurs sourds et malentendants, des gens qui connaissent la langue des signes et qui peuvent enseigner dans la langue des signes américaine afin que les élèves puissent communiquer directement avec eux. Il serait bon d’avoir d’autres programmes pour que les enfants sourds puissent prendre part à des activités parascolaires et ainsi de suite. Je répète qu’il est bien de fréquenter une école pour enfants sourds, un établissement qui a des éducateurs et des enseignants sourds et un soutien adapté, mais c’est le point de vue autochtone qui manque. Une grande partie des écoles pour enfants sourds perdent actuellement leur financement, et il pourrait être difficile d’offrir ce point de vue autochtone lorsque nous n’avons même pas les fonds nécessaires pour garder ces écoles ouvertes.

Je ne peux pas parler au nom de tout le monde au Canada. Les besoins et les désirs diffèrent grandement d’une personne à l’autre. Je veux faire plus de recherche. C’est mon objectif.

[Traduction]

Le président : J’aimerais que nous puissions continuer, mais nous sommes limités par le temps ce soir. Le temps imparti à ce groupe de témoins est maintenant écoulé. Je tiens à remercier Mme MacDonald d’avoir accepté de nous rencontrer aujourd’hui.

Notre prochaine témoin est Helaina Moses, de la Première Nation des Na-Cho Nyak Dun, au Yukon. Mme Moses fera une déclaration liminaire d’une durée maximale de cinq minutes, qui sera suivie d’une séance de questions et de réponses avec les membres du comité.

Helaina Moses, à titre personnel : [mots prononcés dans une langue autochtone]

Bonjour. Je m’appelle Hozhá. Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs. J’aimerais vous remercier du temps que vous m’accordez aujourd’hui. C’est un grand honneur pour moi d’être parmi vous. J’espère que vous avez tous eu l’occasion de lire mon témoignage écrit, et j’aimerais qu’il soit consigné au compte rendu.

Je souhaite vous faire part de mon histoire, celle de notre peuple. Je veux vous montrer que le mode de vie nomade existait au Yukon il y a seulement 70 ans, avant la colonisation du Canada. Notre peuple doit participer à la prise de décisions sur notre territoire. Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons réussir à l’avenir.

Je suis Helaina Moses, et mon nom traditionnel est Hozhá. Je me décris comme une guérisseuse de la terre et une leader naturelle et traditionnelle. J’ai une passion pour les racines et le patrimoine de ma communauté, et j’ai 27 ans. J’ai grandi à Mayo, au Yukon, qui compte environ 400 habitants. Je suis membre de la Première Nation des Na-Cho Nyak Dun, ce qui signifie « qui coule de nos eaux ancestrales », également connue sous le nom de « peuple de la grande rivière ».

Dès mon plus jeune âge, on m’a appris à être une environnementaliste et à récolter pour ma famille et moi-même. L’éducation est un outil très précieux pour réussir sa vie et faciliter un changement efficace. J’ai grandi toute ma vie dans de petites communautés au Yukon et j’ai reçu ma scolarité dans une petite communauté. J’étais en sixième année et je faisais des devoirs de neuvième année tout en allant à l’école. J’avais des amis du même âge que moi à l’école qui ne savaient ni lire ni écrire.

J’ai quitté la communauté pour aller à l’école secondaire à Whitehorse, ce qui m’a permis d’avoir un meilleur accès à l’éducation. J’ai obtenu mon diplôme avec mention à l’Université du Yukon, où j’ai suivi un programme de formation en surveillance environnementale. J’ai participé à la rédaction d’un article pour ArcticNet sur l’intégration de la science occidentale et des connaissances traditionnelles dans la recherche. Lorsque j’étais assistante de recherche à l’Université du Yukon, j’ai participé à l’élaboration d’un programme d’enseignement sur l’assainissement de l’esprit et j’ai fait des présentations pour des élèves du secondaire.

Je travaille maintenant avec Yukon Seed & Restoration à l’élaboration d’un programme d’études pour les initiatives de formation à la remise en état. J’ai eu l’honneur d’accepter le prix du championnat communautaire aux côtés de Yukon Seed & Restoration en mai 2023. Je travaille beaucoup avec les jeunes en offrant des possibilités de formation rémunérée à notre communauté.

Mes ancêtres ont vécu heureux dans une petite communauté isolée comme Mayo, au Yukon, pendant des siècles, jusqu’à ce qu’ils soient initiés à l’exploitation minière. Mes grands-parents étaient nomades pendant leur enfance et ont été initiés à l’exploitation minière à un très jeune âge. Ils voyageaient beaucoup avec des attelages de chiens en hiver et des bateaux en peau d’orignal en été.

Les répercussions de l’exploitation minière se font sentir sur notre territoire traditionnel depuis des décennies. Cela a commencé avec la ruée vers l’or au Yukon à la fin des années 1800. Les colons sont arrivés jusqu’à la rivière Stewart pour commencer leur voyage à la recherche d’or. Nous utilisions la fourrure des animaux sauvages comme monnaie d’échange. Nous n’avions jamais utilisé de farine, de thé et de sucre auparavant. La monnaie et l’argent ne faisaient pas partie du mode de vie de nos ancêtres. Nous accordions de la valeur à nos terres et aux ressources qu’elles nous procuraient.

À l’époque, il n’existait que peu de règlements environnementaux pour préserver l’environnement. Cette situation a eu une incidence sur notre mode de vie traditionnel et sur notre culture. La qualité de l’eau change et l’absence de saumon remontant la rivière Steward a eu une incidence supplémentaire sur notre culture. Nous souhaitons récolter les produits de la terre comme nous le ferions normalement.

Ma nation a signé un traité, un accord d’autonomie gouvernementale, en 1993. Nous venons de célébrer les 30 ans de cet accord le 29 mai dernier. Ces accords renfermaient la promesse de zones spéciales de gestion, de zones partagées, de planification de l’aménagement du territoire, de processus d’évaluation de l’environnement et du développement, et ils étaient destinés à éclairer le processus de réglementation. Ces promesses, dont celle d’établir un climat de certitude dans les processus, n’ont pas encore été respectées. Notre principale préoccupation est que même si nous avons commencé à planifier l’aménagement de notre territoire traditionnel, en ce moment, les effets cumulatifs ont eu une incidence sur nos droits.

À l’heure actuelle, le gouvernement canadien accorde la priorité à l’exploitation des minéraux essentiels et exerce des pressions pour que l’or soit considéré comme un minerai essentiel. Les besoins en matière d’éducation, de santé et d’eau sont les promesses fondamentales de n’importe quel gouvernement. Sur les 100 principales mines en activité au Canada, trois se trouvent sur mon territoire traditionnel. Si les entreprises ne parviennent pas à entretenir des relations avec les populations sur les terres desquelles elles travaillent, il leur est facile de se faire exploiter.

Notre lien avec la terre et l’eau a une incidence sur notre santé et notre bien-être. Lorsque nos terres sont détruites, notre culture l’est aussi. Il est alors difficile de transmettre à nos jeunes des connaissances sur les récoltes et les savoirs traditionnels connus. C’est là que l’éducation et la guérison jouent un rôle. La nécessité de mélanger les connaissances traditionnelles et la science occidentale est une première étape importante dans la collaboration avec les communautés des Premières Nations. Les connaissances traditionnelles représentent un lien puissant avec le passé de la communauté. Elles fournissent des renseignements sur l’histoire d’un peuple, la terre sur laquelle il a vécu et les ressources transformées. Les peuples autochtones connaissent la terre mieux que quiconque, et nos ancêtres voyagent au Yukon depuis des générations. La plupart des connaissances de nos ancêtres ont été transmises de génération en génération.

Travailler ensemble pour restaurer la terre et l’eau est un intérêt commun que nous partageons et qui est bénéfique à la recherche pour les communautés et les communautés des Premières Nations. Il est essentiel de comprendre que tout est interrelié, qu’il s’agisse de l’histoire de la colonisation, de l’exploitation minière, de l’environnement, des changements climatiques, du bien-être et de l’éducation. Je souhaite que nos communautés bénéficient d’un plus grand nombre de formations, d’enseignements et de guérisons axés sur la terre, afin de vivre comme nos ancêtres l’ont fait dans le passé.

Le taux d’abandon scolaire chez nos jeunes autochtones est élevé, et 15 des 52 élèves de notre école de Mayo ont été touchés par la crise des opioïdes qui sévit actuellement dans notre communauté. Ces 15 élèves ont perdu chacun un parent au cours des trois dernières années. Cela a d’énormes répercussions sur leur éducation et sur le bien-être de la communauté. Nous devons veiller à ce que notre communauté soit en santé, et nous avons besoin de soutien de nos partenaires tels que le gouvernement du Canada. Au nom des jeunes de toutes les nations du Canada, je dirai que nos jeunes ont désespérément besoin de soutien et de bien-être. Nous sommes en train de perdre une génération dans nos terres natales du Yukon. Ma communauté de Mayo continue d’être frappée par la tragédie, notre Première Nation ayant déclaré un état d’urgence pour faire face à la crise des opioïdes le 14 mars 2023. Cette annonce a été faite quelques jours seulement après un double homicide à Mayo, qui a choqué notre communauté. Les gens sont dans un état de chagrin sans fin, en deuil de membres de leur famille et de leurs amis. Nos proches et nos enfants grandissent sans parents.

Je veux voir une différence dans notre communauté grâce à une éducation axée sur la terre, à la création de nouvelles possibilités, à la promotion de l’engagement communautaire, à la pratique de nos valeurs culturelles et à l’échange des connaissances traditionnelles avec les futures générations. Nos jeunes ont désespérément besoin de modèles qui les guideront sur la voie vers le mieux-être. Si nos concitoyens ne sont pas en santé, qui aidera notre pays à réussir et qui seront nos prochains dirigeants? Nous devons les inspirer pour qu’ils réalisent leur plein potentiel. C’est ce que mes grands-parents ont fait pour moi.

Masi cho.

Le président : Merci, madame Moses.

Je me demandais si vous pouviez parler de l’importance de la formation en milieu rural pour les étudiants autochtones et de l’accessibilité de cette formation au Yukon.

Mme Moses : Il faut par exemple offrir une formation sans aucune base ou fournir davantage de soutien et de ressources pour s’assurer que ces personnes réussissent à retourner à l’école ou à trouver un emploi. Il faut également guérir la terre et les gens. Je participe à un programme appelé Yukon Seed & Restoration, YSR, où nous prêtons attention aux effets cumulatifs des répercussions environnementales et culturelles, ainsi que des ateliers de cueillette de semences élaborés en partenariat avec YSR, qui fournit un exemple de la Première Nation et de la façon dont nous maintenons et renforçons nos responsabilités pour garder l’eau propre et la terre en santé pour les générations futures. Les ateliers constituent une plateforme de connaissances et de réseautage pour mettre en relation des citoyens. En renforçant les connaissances pour une récolte honorable des semences, des semences indigènes peuvent être nécessaires dans les efforts de remise en état et de rétablissement, tout en atténuant les dommages causés à la terre. Tout cela se fera en utilisant la langue nordique tutchone pour les noms de plantes et les utilisations médicinales des plantes. Nous intégrons les connaissances traditionnelles à la science occidentale.

Le président : Excellente réponse. Je vous remercie.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie, et je sais que vous vivez dans l’un des plus beaux territoires, probablement dans le monde, mais certainement au Canada. J’ai eu la chance de visiter le Yukon, pas encore Mayo, mais le Yukon à plusieurs reprises, et c’est le paradis sur terre. Je suis vraiment attristée de vous entendre parler de la crise des opioïdes dans votre communauté, et plus particulièrement la façon dont elle affecte les jeunes. C’est le signe que quelque chose ne tourne pas rond. Vous avez relevé certains de ces problèmes. Vous avez également cerné des priorités très importantes.

Notre thème est l’éducation. Vous avez beaucoup étudié, et je fais parfois la distinction entre les études et l’éducation, bien que les études puissent faire partie de l’éducation. Je crois que vous avez dit que votre propre éducation en grandissant vous a préparé d’une certaine manière à poursuivre vos études afin d’en arriver là où vous en êtes aujourd’hui. Pourriez-vous nous parler de vos propres expériences et de la manière dont le type d’expériences que vous avez vécues en tant que jeune personne peuvent être encouragées pour aider d’autres jeunes à suivre cette voie également? Comme vous l’avez dit, il faut davantage de modèles, mais vous en êtes un. Qu’est-ce qui a contribué à faire de vous l’un de ces modèles dont nous pouvons nous inspirer pour aider d’autres personnes à jouir du genre de vie que nous voudrions pour elles?

Mme Moses : J’ai fait des présentations devant des élèves du secondaire où j’ai parlé du travail que j’ai fait pour rassembler les gens et des impacts environnementaux. Nous connaissons tous le Yukon. C’est la capitale minière du Canada.

J’aime faire part de ce que j’ai appris de mes grands-parents à ceux à qui j’enseigne. Une jeune a reçu son diplôme samedi dernier — j’ai assisté à la remise des diplômes à Whitehorse — dans le cadre du programme de surveillance de l’environnement, et je l’ai accompagnée tout au long de son parcours dans l’enseignement supérieur. J’aime être très impliquée avec les personnes à qui j’enseigne, que ce soit au travail, dans les écoles ou dans mon rôle de leader au sein de ma Première Nation. J’aimerais vraiment travailler avec les jeunes et les inspirer pour qu’ils réalisent leur plein potentiel.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci, et vous avez abordé énormément de points dans ce court exposé. C’était fantastique. Il y avait beaucoup d’informations.

Premièrement, comment votre peuple mobilise-t-il les connaissances et les valeurs traditionnelles dans le cadre de la remise en état des mines? Deuxièmement, quels conseils donneriez-vous à une communauté dont le territoire fait l’objet d’un projet de mine de minéraux essentiels?

Mme Moses : Pour répondre à votre première question, nous avons actuellement quelques sociétés minières sur notre territoire traditionnel avec lesquelles nous avons conclu des accords, mais malheureusement, il arrive que ces accords ne soient pas respectés. Il y a un manque de consultation des communautés, elles ne viennent pas dans nos communautés pour parler aux Autochtones. Elles passent par le gouvernement territorial pour faire approuver leurs projets sans consulter les communautés.

Pouvez-vous répéter votre deuxième question?

La sénatrice LaBoucane-Benson : Quel conseil donneriez-vous à une communauté où l’on prévoit ouvrir une mine de minéraux essentiels?

Mme Moses : Participez toujours au processus, du début à la fin. Rédigez des mémoires et participez à l’ensemble du processus. Nous avons une société, ou une organisation au Yukon, qui s’appelle l’Office d’évaluation environnementale et socioéconomique du Yukon, l’OEESY, et c’est l’évaluation environnementale qui passe par les processus pour les projets en cours. Vous pouvez aller sur le site Web, qui vous indique la région ou la nation concernée, et vous pouvez alors rédiger des mémoires ou assister aux réunions de consultation des communautés, s’il y en a.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Vos collaborateurs assurent-ils la surveillance des mines en activité et de l’environnement autour des mines?

Mme Moses : Oui. Notre ministère des Terres et des Ressources compte des contrôleurs environnementaux et des gardiens des terres.

Le sénateur D. Patterson : Je vous remercie de votre exposé très réfléchi et quelque peu alarmant.

J’ai été inquiet de vous entendre décrire l’accord sur l’autonomie gouvernementale, qui a maintenant 30 ans, comme une promesse qui n’a pas encore été tenue. Je sais que c’est une grande question, mais quel est le problème? Comment cela est-il possible? Vous êtes membre du conseil de bande. Que faut-il changer pour que cet accord vous convienne?

Mme Moses : Nous ne sommes pas une bande. Nous sommes une Première Nation autonome.

Le sénateur D. Patterson : Je suis désolé. La biographie que nous avons reçue m’a induit en erreur.

Mme Moses : Pouvez-vous répéter votre question?

Le sénateur D. Patterson : Vous avez dit que les promesses de l’accord sur l’autonomie gouvernementale n’ont pas été tenues. Comment pouvons-nous régler cela?

Mme Moses : Nous avons vraiment besoin de planifier l’utilisation des terres, et je pense que c’est dû au financement. Depuis la signature de notre traité il y a 30 ans, seulement la moitié du Yukon a achevé l’aménagement de son territoire.

Le sénateur D. Patterson : Et de quelle source cet argent devrait-il provenir?

Mme Moses : Du gouvernement du Canada.

Le sénateur D. Patterson : Du Canada. Nous sommes confrontés à de nombreux problèmes liés à des traités modernes non respectés. Je vous en remercie.

Si vous le permettez, vous avez étudié la remise en état des mines, et je sais que c’est un peu en dehors de votre domaine, mais nous avons tous entendu parler du défi environnemental de Faro. Je crois qu’il y a 25 hectares de déchets qui sont apparemment en train d’être assainis. Connaissez-vous ce projet? Comment se déroule-t-il, si je puis me permettre, à votre avis?

Mme Moses : Je pense qu’ils sont encore en train de procéder à la remise en état de leurs résidus. Ces résidus sont très exposés, ce qui entraîne une bioaccumulation au sein de nos communautés. Nous mangeons et récoltons sur ces terres. Qu’est-ce que cela signifie à l’avenir pour ces mines? Il y en a une sur notre territoire traditionnel, le projet Keno Hill. Des résidus miniers reposent encore au fond des ruisseaux et des lacs parce que nous n’avions pas de réglementation environnementale à l’époque. Malheureusement, les entreprises n’ont pas eu à s’inquiéter de ce qu’elles faisaient et ont déversé les résidus où bon leur semblait.

Récemment, en mai, Minto a abandonné sa mine. Maintenant, c’est au gouvernement territorial du Yukon, avec l’argent des contribuables, de financer ce projet de remise en état pour, je ne sais pas, plusieurs années, peut-être pour l’éternité, parce que la qualité de l’eau doit être traitée passivement.

Le sénateur D. Patterson : Votre gouvernement a-t-il été en mesure de négocier certains avantages avec les sociétés minières?

Mme Moses : Oui, ils sont très minimes. Je n’en dirai pas plus.

Le sénateur D. Patterson : Je vous remercie.

Le président : Je tiens à saluer la sénatrice Pate, qui vient d’arriver. Bienvenue, sénatrice. Nous sommes ravis de vous accueillir.

La sénatrice Greenwood : Je vous remercie de votre exposé. Comme mes collègues l’ont dit précédemment, il était très complet et très intéressant.

Vous avez abordé de nombreux aspects dans votre exposé. Je m’intéresse au leadership. Beaucoup d’entre vous ont parlé de leadership, comme vous l’avez fait dans votre présentation. J’aimerais savoir quel rôle les jeunes ont joué dans les conseils consultatifs, les conseils et les organismes décisionnels. Selon mon expérience, les conseils consultatifs nationaux recherchent souvent des représentants des jeunes. Que pensez-vous de cette idée, étant donné que vous êtes une jeune leader dans votre territoire? Quels conseils donneriez-vous à d’autres jeunes qui aspirent à occuper des postes de direction et des postes décisionnels?

Mme Moses : Oui. Nos ancêtres ont travaillé fort — très fort — pour obtenir ces accords. J’ignore si vous connaissez le document intitulé Ensemble aujourd’hui pour nos enfants demain, qui a été présenté au premier ministre Pierre Elliott Trudeau dans les années 1970. Il est important que nos générations futures lisent ce document et qu’elles le connaissent pour comprendre à quel point notre peuple a travaillé fort pour obtenir ces accords avec le gouvernement du Canada et pour faire respecter nos droits et privilèges dans le cadre de ces accords. Cela doit faire partie du programme d’enseignement au Yukon. Parlons de l’Accord-cadre définitif. Informons nos concitoyens de leurs privilèges et de leurs droits.

Ai-je répondu à toutes vos questions?

La sénatrice Greenwood : Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui viendrait vous voir et vous dirait : « Helaina, comment est-ce que je peux participer? » ou « Comment puis-je participer à la prise de décisions? »

Mme Moses : J’encouragerais fortement les jeunes à jouer un rôle au sein de leur gouvernement, dans diverses équipes, comme l’équipe chargée de la politique, l’équipe de mise en œuvre, l’équipe de gouvernance, ou peut-être même l’équipe des terres et des ressources, car c’est là que j’ai commencé.

La sénatrice Sorensen : Je n’allais pas poser de question, puis vous avez dit qu’il faut toujours participer au processus, ce qui est l’un de mes mantras. Cela m’a interpellée. J’ai joué un rôle actif au sein de mon conseil communautaire local durant 17 ans. Je suppose que c’est cette déclaration qui vous a incitée à vous impliquer au sein de votre gouvernement local. Trouvez-vous ce travail gratifiant? Ce rôle vous permet-il de réaliser certaines des choses que vous espériez faire? Vous devrez peut-être m’expliquer le fonctionnement de votre gouvernement local. Il s’agit d’un conseil, mais est-il géré localement?

Mme Moses : Oui. Nous sommes une Première Nation autonome. Nous régissons divers aspects, notamment les affaires sociales, l’éducation, les terres et les ressources, la justice, etc. Nous gouvernons notre peuple. Nous avons un chef et un conseil. Récemment, en avril, nous avons élu une femme au poste de cheffe pour la première fois.

Quelle était votre autre question?

La sénatrice Sorensen : Personnellement, trouvez-vous qu’il s’agit d’une bonne voie à suivre et un outil gratifiant pour faire progresser les causes qui vous passionnent?

Mme Moses : Le travail acharné porte ses fruits. Lorsque l’on consacre son temps, son attention et son amour ou sa passion à ce en quoi l’on croit, c’est profondément gratifiant. Je peux vous dire que je me sens très récompensée d’être ici devant vous tous et de vous raconter l’histoire de mon peuple.

La sénatrice Sorensen : Oui. Je pense que c’est l’amour de la communauté qui incite à participer à la gouvernance communautaire. Cela me manque.

[Français]

La sénatrice Audette : J’aimerais partager un commentaire avec vous.

J’aimerais dire à Helaina, à Paula et aux autres qui ont parlé ce matin que je nous souhaite collectivement que vous deveniez des témoins qui seront appelés à témoigner souvent sur différents sujets comme l’environnement, le développement économique, la santé et les droits autochtones, afin qu’on puisse vous voir dans le cadre du travail d’autres comités.

Je ne sais pas s’il s’agit de votre première expérience, mais je suis très impressionnée et je suis vraiment fière de voir que nous avons des jeunes aussi solides. Je souhaite que nous les invitions à nouveau. Voilà, c’était mon seul commentaire.

[Traduction]

Mme Moses : Merci, sénatrice. Je serais honorée de revenir, et j’espère un jour être parmi vous.

Le président : Le temps imparti pour cette témoin est maintenant écoulé. Je tiens à remercier Mme Moses de son témoignage aujourd’hui.

Je vais maintenant présenter notre prochaine témoin. Mme Audrey-Lise Rock-Hervieux vient de la communauté innue de Pessamit, au Québec. Mme Rock-Hervieux fera une déclaration liminaire d’une durée maximale de cinq minutes, suivie d’une période de questions avec les membres du comité. J’invite maintenant Mme Rock-Hervieux à faire sa déclaration.

[Français]

Audrey-Lise Rock-Hervieux, à titre personnel : Bonjour à tous [mots prononcés en innu-aimun].

Je m’appelle Audrey-Lise Rock-Hervieux et je suis une Innue de la communauté de Pessamit. Comme vous l’avez constaté, je me suis d’abord exprimée dans ma première langue, puisque ce sont d’abord nos langues autochtones qui sont nées ici, sur nos territoires, avant même que la langue française et la langue anglaise prennent toute la place. La langue et l’éducation étant liées, je le fais également afin que vous puissiez constater à quel point il est important de sauver nos langues autochtones avant toute autre langue. Nous étions et nous sommes ici depuis bien longtemps. Il serait enfin temps de nous écouter, parce que nous avons énormément de choses à dire et à défendre. Je suis d’ailleurs honorée d’être ici aujourd’hui avec vous afin de prendre la parole sur notre vision sur l’éducation. Je dis bien « notre », car je parle aujourd’hui au nom des jeunes.

Je ne suis pas ici pour parler uniquement de la langue; je suis ici également pour parler de l’éducation chez les Premières Nations. Peut-être que mon témoignage ne rejoindra pas tous ceux qui sont ici en ce moment, mais pour moi, ça n’a aucune importance. Si je peux déjà faire une différence chez une seule personne ici présente, ce serait déjà un grand pas vers l’avant. Je suis d’ailleurs extrêmement reconnaissante d’être ici aujourd’hui. Par ma présence ici, je souhaite porter la voix des jeunes des Premières Nations, car ces jeunes sont l’avenir de demain.

Lorsqu’on parle d’éducation, il y aurait énormément de choses à dire. On pourrait en parler pendant des jours entiers, mais je vais essayer de faire une présentation courte et efficace. Je me suis longtemps demandé ce qu’on pourrait faire pour améliorer le système d’éducation chez les Premières Nations; j’ai cherché des réponses partout dans nos institutions, mais je n’ai jamais réellement trouvé ce dont j’avais besoin. Je l’ai enfin trouvé en territoire en mars dernier. En résumé, je suis étudiante en gouvernance autochtone et bientôt finissante en tant que gardienne du territoire. C’est là que j’ai pris conscience de la nécessité d’avoir une éducation ancrée dans nos valeurs et nos traditions ancestrales.

En plus de mon parcours scolaire, j’ai d’ailleurs pris l’initiative d’aller à la rencontre de mon peuple afin de vous faire part de ce qu’il souhaiterait en matière d’éducation. Il y a, bien sûr, l’autodétermination dans les programmes pédagogiques pour toutes les communautés autochtones partout au Canada. Il serait enfin temps que nous puissions nous-mêmes travailler sur nos propres programmes, au lieu de nous faire imposer les programmes du gouvernement. Si je peux me permettre de parler de ma propre expérience, j’ai dû refaire mon cours d’histoire, qui, rappelons-le, est un cours obligatoire pour obtenir un diplôme d’études secondaires.

Trouvez-vous cela normal que, en 2023, l’histoire du Québec et du Canada, telle qu’elle est présentée dans nos institutions, ne soit pas la vraie histoire? Il y a là matière à réflexion. Je crois sincèrement que l’éducation que l’on présente dans nos diverses institutions n’est pas du tout adaptée à la réalité autochtone. Avant de vouloir nous apprendre des matières qui ne sont pas adaptées à nos réalités, il serait plus juste d’offrir des cours obligatoires sur les enjeux autochtones dans les institutions scolaires.

Il y aurait également matière à revoir les formations offertes aux enseignants, parce qu’ils ne sont pas à jour non plus dans leurs connaissances sur les enjeux autochtones. Bien souvent, cela engendre des difficultés à établir un contact avec les jeunes étudiants autochtones. Sinon, au-delà de tout cela, avoir au Québec une université autochtone, avec une pédagogie entièrement adaptée à nos réalités, serait l’un de mes plus grands souhaits. Je ne suis pas la seule à y penser; nous sommes plusieurs à en rêver.

Je suis consciente qu’il y a beaucoup de développement dans les programmes universitaires un peu partout, mais il n’y a malheureusement pas d’infrastructures vraiment adaptées à nos cultures et à nos traditions.

Bref, au-delà de tout cela, le message que je souhaite transmettre aujourd’hui au gouvernement, c’est qu’il serait enfin temps de décoloniser les mentalités trop fermées. Il serait grand temps de changer cette bonne vieille paire de lunettes, de voir la réalité en face et de se rendre compte que l’éducation chez les Premières Nations n’est pas toujours facile. C’est sans parler du sous-financement que plusieurs communautés autochtones subissent encore aujourd’hui.

Dans un monde idéal, il faudrait envisager d’accorder plus de fonds pour la revitalisation de la culture par la pratique en territoire, car l’apprentissage commence en territoire avant tout.

Sinon, comment voulez-vous que nos jeunes se démarquent dans leur parcours scolaire si nos gouvernements n’ouvrent pas les yeux? Oui, il y a énormément de potentiel chez les jeunes des Premières Nations. Si j’ai pu faire mes preuves, imaginez ce qui peut se produire dans l’avenir. Je suis convaincue que la jeunesse autochtone est capable d’effectuer le travail que vous faites tous ici en ce moment, et même plus encore. Il suffit d’aller vers eux, d’être à l’écoute de leurs besoins réels et de leur donner de bons outils pour l’avenir.

Cessons de vouloir toujours mettre des bâtons dans les roues de tout le monde et commençons à travailler ensemble. On ne cesse de dire que le Canada est un pays où il fait bon vivre. Montrons donc enfin l’exemple aux autres. Montrons-leur qu’il est possible de travailler ensemble collectivement, et non séparément. Cessons de toujours considérer les Premières Nations comme des citoyens de seconde zone, parce qu’au contraire, il y a énormément de potentiel dans nos communautés autochtones. Il suffit d’ouvrir les yeux, d’aller à notre rencontre et de venir nous parler; nous n’attendons que cela.

Arrêtez de créer pour nous des projets que nous n’avons pas demandés. Prenez plutôt le temps de vous asseoir avec nous et de nous poser les bonnes questions sur ce que nous souhaitons réellement. Encore aujourd’hui, il arrive trop souvent, lorsqu’on souhaite amener et faire valoir nos bonnes idées — parce que oui, nous en avons à la tonne, des idées innovatrices —, de nous faire mettre de côté encore et encore.

C’est assez! Il faut que cela change, mais pour cela nous devons nous asseoir ensemble, entamer un vrai dialogue et ne pas avoir peur de le faire. Nous ne nous entendrons peut-être pas sur tout, mais essayons au moins de le faire pour nos enfants, et surtout, pour le bien des prochaines générations. Vous avez d’ailleurs toute ma confiance, mesdames et messieurs les sénateurs ici présents, pour faire résonner nos voix et nos espoirs.

[mots prononcés en innu-aimun]

Merci de m’avoir écoutée. Je souhaite un avenir meilleur. À bientôt. Si vous avez des questions sur mon parcours scolaire et professionnel, n’hésitez pas.

[Traduction]

Le président : Merci, madame Rock-Hervieux. Je donne maintenant la parole à mes collègues.

La sénatrice Sorensen : Je vous remercie de l’invitation à vous poser des questions sur votre vie professionnelle. Je suis intriguée par votre travail avec la société de production cinématographique Terre Innue. Je m’intéresse aussi beaucoup à votre blogue, Maman Autochtone. J’aimerais savoir sur quels aspects vous vous concentrez. À ce niveau — que j’appellerais le niveau médiatique et le niveau artistique —, comment le gouvernement peut-il travailler avec les peuples autochtones, non seulement pour stimuler l’investissement et accroître le nombre de productions autochtones, mais aussi pour attirer les auditoires vers les films et la télévision autochtones, ce qui contribue énormément, je crois, à l’éducation et, par le fait même, à la vérité et à la réconciliation?

[Français]

Mme Rock-Hervieux : Tout d’abord, j’inviterais le gouvernement à venir à notre rencontre, parce qu’il brille par son absence actuellement. Je n’ai jamais vu un seul ministre venir nous voir et nous poser les bonnes questions. Je pense que ce serait le premier pas à faire.

[Traduction]

La sénatrice Sorensen : Pourriez-vous parler davantage des activités de la société de production avec laquelle vous travaillez et du thème de votre blogue?

[Français]

Mme Rock-Hervieux : Terre Innue, pour ceux qui ne le savent pas, est une compagnie de production audiovisuelle qui fait des documentaires, des séries et des balados. C’est la même compagnie qui a produit la série Laissez-nous raconter, qui a été diffusée à Radio-Canada et qui sera bientôt diffusée aussi, si elle ne l’a pas déjà été, à CBC.

[Traduction]

La sénatrice Sorensen : Je vais poser une dernière question sur votre blogue, Maman Autochtone. Quels sujets abordez-vous? Je le sais peut-être.

[Français]

Mme Rock-Hervieux : Tout d’abord, avant que le blogue naisse, j’ai fait trois collaborations dans un autre blogue, celui d’une dame qui s’appelle « La parfaite maman cinglante ».

Toutefois, ce blogue ne parlait que de la parentalité et du rôle de la mère. Je voulais aller au-delà de cela; je voulais parler de sujets qui m’interpellent, que ce soit les pensionnats, les blessures intergénérationnelles ou la violence conjugale. Il y a des possibilités infinies. Je voulais m’exprimer librement sur des sujets qui m’interpellent dans la vie de tous les jours. C’est pour cela que j’ai fait le pas et que j’ai créé mon propre blogue.

La sénatrice Coyle : Merci, Audrey-Lise. C’était très intéressant.

[Traduction]

J’ai tellement de questions, mais je tiens d’abord à dire que je compatis. J’ai beaucoup travaillé à l’international. Une de mes bonnes amies a rédigé un mémoire de maîtrise dont le titre signifie « Pourquoi ne pas gratter là où cela démange? » Comme vous l’avez dit, les jeunes autochtones se sont fait imposer beaucoup de choses par des gens qui pensaient que c’était ce dont ils avaient besoin, ou même ce qu’ils voulaient.

Maintenant, vous abordez un sujet pour lequel il y a — comme nous le savons, je pense — un énorme potentiel chez la jeunesse autochtone. Chacune de vous personnifie et représente cet extraordinaire potentiel. Nous savons que vous ne représentez que la pointe de l’iceberg, quel que soit l’endroit d’où vous venez.

Vous avez indiqué, en réponse à la sénatrice Sorensen, que le gouvernement doit aller voir les jeunes Autochtones et poser les bonnes questions. Je crois que vous avez dit que le gouvernement doit leur donner les bons outils. Pourriez-vous expliquer davantage ce que vous entendez par poser les bonnes questions et donner les bons outils? Qu’entendez-vous par là?

[Français]

Mme Rock-Hervieux : C’est une question à laquelle il est difficile de répondre, pour être bien honnête, parce que moi, lorsque je suis venue, je n’avais pas les questions déjà en main. Je suis venue porter le message de ces jeunes des Premières Nations. Je ne peux pas répondre à leur place.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Je vous pose la question : et si c’était vous? Vous ne pouvez pas parler pour les autres, évidemment, mais vous pouvez parler en votre propre nom. Par exemple, si Marc Miller, le ministre des Relations Couronne-Autochtones, était ici avec certains de ses collègues et s’asseyait avec vous, madame Rock-Hervieux, quelles questions une personne qui vous connaît recommanderait-elle au ministre de vous poser pour obtenir les meilleurs conseils?

[Français]

Mme Rock-Hervieux : Tout d’abord, j’inviterais le ministre. Justement, j’ai dit que j’avais participé à la rencontre des jeunes. Récemment, au mois de mars, j’ai assisté au Sommet jeunesse des Premières Nations Québec-Labrador. J’étais triste de constater qu’il n’y avait aucune autre instance qui assistait à l’événement. Dieu merci, Michèle était là pour nous écouter. Quand je parle des hautes instances, je parle des gouvernements, des ministres, que ce soit des ministres provinciaux ou fédéraux. Aucun n’était là. Ce serait déjà un premier pas à faire : qu’ils viennent écouter ce que les jeunes ont à dire. Ce serait le début de quelque chose.

[Traduction]

La sénatrice Martin : Je vous remercie beaucoup de votre présentation. J’ai aussi beaucoup de questions, mais je vais me concentrer sur deux ou trois choses que vous avez dites.

Étant une ancienne enseignante, je sais que dans ma province, la Colombie-Britannique, beaucoup de formation est offerte aux enseignants. La plupart des écoles, sinon toutes, ont des programmes autochtones et du personnel autochtone. Il y a eu d’importants progrès. Vous avez mentionné les mesures qui peuvent être prises pour améliorer l’éducation chez les Premières Nations, notamment la nécessité de revoir la formation offerte aux enseignants et la mise en place de ce qu’on pourrait appeler des programmes d’apprentissage adaptés aux réalités autochtones. J’ai donné un cours que j’avais créé moi-même. Pourriez-vous parler davantage de ce que vous souhaiteriez sur le plan de la formation et des programmes scolaires?

[Français]

Mme Rock-Hervieux : Premièrement, au Québec, il n’en pleut pas des programmes adaptés aux réalités autochtones. S’il en existe, ce sont des formations de quelques heures à peine. Ce n’est pas suffisant. Il faut en faire plus. Encore aujourd’hui, il y a cette vieille mentalité d’autrefois, pour ne pas dire une mentalité coloniale, et il y a encore des préjugés par rapport aux peuples autochtones. C’est là que l’on constate à quel point il y a un manque de connaissances vis-à-vis des réalités autochtones. Malheureusement, au Québec, c’est le cas encore aujourd’hui. Je ne sais pas pour les autres provinces, par contre. Au Québec, c’est triste de constater que c’est encore le cas.

[Traduction]

La sénatrice Martin : Il faudrait plus que quelques heures à peine. Il faudrait donc peut-être un cours intégré à la formation des enseignants, au niveau universitaire, par exemple?

[Français]

Mme Rock-Hervieux : Oui, sûrement. Ce serait l’un de mes souhaits pour l’avenir.

[Traduction]

La sénatrice Martin : Je pense que d’autres provinces, comme la Colombie-Britannique, pourraient être de bons modèles à étudier.

Ma deuxième question porte sur l’élaboration des programmes scolaires. Quel genre d’outils pédagogiques aimeriez-vous voir dans le programme que vous avez mentionné?

[Français]

Mme Rock-Hervieux : C’est une question à laquelle il n’est pas facile de répondre. Je dirais que c’est un travail collectif. Il faudrait que plusieurs jeunes s’assoient ensemble pour faire ce travail. Vite comme cela, je ne peux pas donner un million de réponses à cette question. Il faut d’abord entamer un processus, s’asseoir ensemble et réfléchir à nos idées. Je n’ai pas de réponse à donner dans l’immédiat.

[Traduction]

La sénatrice Martin : Ce sont deux points très importants pour offrir une éducation de qualité. Les enseignants doivent être formés, puis ils doivent revoir le programme scolaire, en collaboration avec les Premières Nations. J’espère que les deux se feront dans un avenir rapproché. Je vous remercie d’avoir soulevé ces points aujourd’hui.

Mme Rock-Hervieux : Merci.

La sénatrice Greenwood : Merci, madame Rock-Hervieux, de votre présentation. C’était très très instructif et j’ai vraiment aimé ce que vous avez dit. Je respecte particulièrement que vous vous soyez exprimée dans votre langue. C’était de la musique à mes oreilles. Je vous en remercie. Hiy hiy.

En outre, je comprends et respecte la nature politique du fait de parler en son propre nom ou au nom d’autres personnes. Je comprends très bien vos réponses à cet égard.

En lisant votre biographie, j’ai vu que vous avez participé à la production de films et à la rédaction de blogues. Pour moi, cela évoque l’art. Vous avez aussi parlé d’apprentissage en territoire. J’aimerais avoir vos observations sur l’utilisation des arts dans l’enseignement et l’apprentissage. Je pense que vous êtes déjà une artiste, d’après ce que j’ai lu ici. Selon vous, est-ce une voie importante pour les jeunes et pour l’apprentissage et l’enseignement?

[Français]

Mme Rock-Hervieux : Sûrement. Votre question est quand même assez large. Si je peux me permettre de revenir à ce que j’ai dit sur l’apprentissage en territoire... Si on regarde en arrière, je n’ai pas toujours été fière d’être Innue; j’ai souvent eu honte. Je n’ai pas nécessairement eu la chance de grandir en territoire. Je n’ai pas eu accès à cette richesse.

Je me suis demandé comment je pouvais faire pour m’engager afin d’apprendre les savoirs ancestraux et les connaissances liées à ma culture et aux territoires. C’est à travers l’art que j’ai réellement découvert tout cela. C’est en partie grâce à mon blogue, qui m’a ouvert des portes.

Quand j’étais en territoire, je ne saurais même pas décrire comment je me suis sentie à ce moment-là. J’ai rêvé et je me suis dit que si je ressentais cela et que je pouvais le partager avec d’autres étudiants, ce serait magique.

J’avais imaginé une université en territoire. Je me disais que ce serait vraiment une belle façon de faire perdurer nos traditions et de les faire vivre encore pendant des millénaires, parce qu’aujourd’hui, où nous en sommes à l’heure actuelle, les jeunes sont malheureusement en train de perdre leur langue et leur culture. Ils ne sont plus intéressés à tout ça. Je pense que ce serait une bonne façon de leur montrer que nos traditions sont belles, que notre culture est belle.

[Traduction]

La sénatrice Greenwood : Merci.

[Français]

La sénatrice Audette : Je vais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Martin. Je pense que tu viens de nous dire quels seraient les sujets d’un programme d’études idéal ou de rêve. Je pense qu’il y a des choses qui se retrouvent en territoire qui devraient faire partie... Je pense qu’on vient de nourrir notre collègue.

Nous allons avoir une université, une maison d’enseignement au Québec. Nadine et beaucoup de gens ont travaillé fort dans ce dossier. On va le faire. Ici, maintenant, on a des alliés, des amis, des sénateurs qui sont très sensibles et qui vont nous soutenir partout au Canada, notamment au Québec, pour qu’on puisse avoir notre maison du savoir universitaire. Cela nous permettra d’arrimer les deux savoirs : le savoir et notre savoir.

Si tu avais un message à nous transmettre, parce que ce sera peut-être mon premier projet de loi, soit la création d’une université du savoir pour le Québec. Je ne sais pas, j’ai envie de rêver.

Qu’est-ce que tu aimerais que l’on recommande en matière d’éducation dans son ensemble, tant pour ce qui est du contenu que des traditions? On a le droit de rêver. Ta mère l’a fait, ma mère l’a fait.

Mme Rock-Hervieux : Si je peux me permettre de parler au nom des Premières Nations, je l’ai dit tout à l’heure : l’apprentissage commence en territoire. C’est l’une des plus belles façons pour les Premières Nations de se sentir à leur place, de se sentir connectées.

Je n’ai pas vraiment autre chose à ajouter, à part dire que mes mots disent tout. C’est vraiment une université en territoire que je voudrais voir un jour.

La sénatrice Audette : Peux-tu nous dire où tu vas vivre ta première expérience de gardienne du territoire?

Mme Rock-Hervieux : La Mushuau-nipi.

La sénatrice Audette : Dans le bois. Merci.

[Traduction]

Le président : J’aimerais que le temps ne soit pas écoulé, mais nous avons malheureusement un horaire à respecter. Madame Audrey-Lise Rock-Hervieux, nous vous remercions de votre formidable témoignage. Le temps imparti est maintenant écoulé.

Notre prochaine témoin est Mme Chante Speidel, de la nation crie de Sapotaweyak, au Manitoba, et de la réserve sioux de Standing Rock, dans le Dakota du Sud. Mme Speidel dispose de cinq minutes tout au plus pour sa déclaration liminaire, puis nous passerons aux questions des membres du comité.

Chante Speidel, à titre personnel : [La témoin s’exprime dans une langue autochtone.] Merci.

Bonjour, chers amis et parents. Je vous salue de tout cœur et vous serre la main. C’est un honneur et un privilège d’être ici. Je sais que beaucoup de jeunes voix autochtones comptent sur moi aujourd’hui.

Je m’appelle Chante Speidel. En langue lakota, mon prénom signifie « cœur »; ce n’est donc pas français. On m’a appelée par toutes sortes de noms aujourd’hui, mais nous parlons la langue lakota de mieux en mieux. Mon nom Lakota est Good Red Road of Life Woman. En représentant ce nom, je veux reconnaître mes ancêtres et les inviter à s’asseoir ici avec moi, car je sais que ce sujet de discussion — l’éducation des Autochtones — revêt une grande importance pour notre peuple. En m’exprimant dans cette langue, je reconnais également les sacrifices de mes ancêtres, les épreuves auxquelles ils ont survécu afin que la langue me soit transmise et que je puisse être ici pour m’adresser à chacun d’entre vous aujourd’hui.

C’est un honneur et un privilège d’avoir des parents qui ont ressenti le besoin de nous éduquer, mes sœurs et moi, selon les modes de connaissances des Lakota et des Cris, qui sont influencés par notre langue. Grâce à cette éducation, j’ai toujours su qui j’étais. J’ai toujours été fière d’être une Lakota, une femme crie. J’ai ressenti une grande fierté culturelle toute ma vie. J’ai toujours eu accès à la terre et aux cérémonies. J’ai pu voyager partout au pays pour assister à des cérémonies et danser lors de pow-wow. J’ai aussi été invitée à des endroits comme celui-ci pour parler au nom de mon peuple. Toute leur vie, mes parents ont ouvert la voie et fait tomber les barrières afin que ma génération ait un peu plus de facilité à faire de même.

Lorsque je pense à la question de l’éducation des Autochtones, je souhaite également que chaque jeune Autochtone ait accès à la terre, à la culture et à l’apprentissage de sa langue. Cela ne se limite pas au contexte scolaire. Il y a beaucoup de programmes culturels et d’efforts axés sur la réappropriation des langues. Beaucoup de ces efforts doivent se faire à l’extérieur du système d’éducation. Il est essentiel d’établir des liens avec les jeunes Autochtones vivant en milieu urbain. Je peux en parler, car j’ai grandi en milieu urbain à Saskatoon, mais comme je l’ai dit plus tôt, j’ai toujours conservé un lien avec la terre et les cérémonies. J’ai fréquenté des écoles à prédominance blanche. Je ne pouvais donc pas m’identifier aux gens qui les fréquentaient. Ils savaient que j’étais différente. Ils savaient que j’avais un sentiment de fierté et d’appartenance différent, un accent différent, peut-être, mais que je passais pour Blanche. Par conséquent, on ne m’a peut-être pas considéré comme une Autochtone, jusqu’à ce que je porte ma jupe à ruban ou mes boucles d’oreilles autochtones ornées de perles à l’école. Par la suite, du moment que j’ai été considérée comme Autochtone, j’ai été victime de racisme et de discrimination, qui sont encore très présents dans notre système d’éducation.

Les choses doivent changer afin que les jeunes Autochtones qui fréquentent l’école en milieu urbain puissent y être accueillis et montrer leur fierté culturelle. Ce que je constate, dans les endroits où je travaille actuellement — et dans différentes écoles où je vais en tant que présentatrice —, c’est que beaucoup de nos jeunes Autochtones qui fréquentent ces écoles urbaines ont perdu leur sentiment de fierté culturelle. Ils arpentent les couloirs de ces établissements comme des zombies. Ils ont perdu tout lien avec leur identité autochtone, avec la terre, la culture ou la langue. Si je suis ici aujourd’hui, c’est pour défendre leurs intérêts.

Je sais qu’il existe un important sentiment d’espoir. Je n’ai pas tendance à me concentrer sur le négatif. Je sais que je suis animée d’un sentiment d’espoir, car si je choisissais au contraire de me concentrer sur de nombreux aspects négatifs, la vie ne serait pas vraiment agréable. Je me concentre sur l’esprit d’espoir. Je sais que les jeunes Autochtones ont la possibilité de rétablir le lien avec leur langue et leur culture. Cela fait de nous tous ici dans cette salle des leaders et des pionniers, non pas des chefs de file de demain ou d’après-demain, mais d’aujourd’hui. Nous faisons le travail sur le terrain en ce moment même. Je tenais à le souligner, car souvent, en ce lieu, on nous présente comme de jeunes Autochtones qui sont les leaders de l’avenir. Nous faisons le travail en ce moment même. Nos voix ne feront que s’amplifier à mesure que nous prendrons de l’âge. J’espère poursuivre le travail que j’ai commencé à l’âge de 15 ans, lorsque j’étais Miss Manito Ahbee et porte-parole sur la question des femmes et filles autochtones disparues et assassinées.

Je me trouve maintenant en un merveilleux endroit où je vis ma passion du travail avec les jeunes en ma qualité de conseillère jeunesse pour le projet Oyateki. Il s’agit d’un partenariat financé par la Fondation Mastercard et regroupant trois établissements. C’est un projet local de Saskatoon. Je suis une conseillère jeunesse qui dirige un cercle jeunesse consultatif pour les adolescents et les jeunes qui fréquentent ces établissements. Tous les membres sont de jeunes leaders autochtones. Le fait de les orienter me donne beaucoup de gratitude. Je sais que, dans ce contexte aussi, ils se fient à moi pour discuter des liens à la culture, parce que pas une seule réunion de conseil ne s’est déroulée sans qu’ils expriment leur désir de participer à une cérémonie de purification par la fumée, d’établir des liens avec les aînés de la communauté, de suivre des cours de couture ou de perlage, ou de suivre une formation axée sur le territoire au sein de leurs établissements postsecondaires.

Je vous remercie de m’avoir permis de m’exprimer aujourd’hui. [mots prononcés dans une langue autochtone]

Le président : Merci, madame Speidel.

Nous allons permettre aux sénateurs de poser des questions. Je vais commencer.

Selon vous, quelle est la meilleure façon pour les non‑Autochtones d’en apprendre sur les Autochtones, sans imposer le fardeau d’éducation sur nous, les Autochtones?

Mme Speidel : C’est vraiment une excellente question.

Cette mission représente une grande part de mon travail en tant que membre du bureau des conférenciers du Bureau du commissaire aux traités. Je suis membre de ce bureau depuis environ six ans. J’ai souvent été invitée dans des espaces non autochtones pour représenter l’ensemble des Autochtones ou informer les participants sur l’ensemble des Autochtones. Je sais que c’est une expérience courante pour les personnes autochtones.

Lors de mes exposés, je constate que j’allume une flamme. Je passe le flambeau à tous les non-Autochtones afin qu’ils l’alimentent et qu’ils le portent, permettant ainsi au feu et à la conversation de ne jamais s’éteindre. Tous les renseignements que je communique, en tant que jeune personne lakota ou crie, ont pour seul but d’allumer cette flamme. Les non-Autochtones doivent poursuivre le travail; continuer à poser les bonnes questions; continuer à rencontrer des Autochtones, des aînés; multiplier les visites dans les communautés autochtones; et faire croître cette flamme.

Le président : Je vous remercie de cette réponse.

Le sénateur Arnot : Madame Speidel, je vous remercie de votre exposé.

Vous parlez de la terre, de la culture, de la langue et de l’apprentissage sur le territoire. Plusieurs témoins ont décrit ces questions comme étant importantes. À mon avis, elles font partie de la réconciliation et devraient s’accompagner de financement. Savez-vous si des obstacles freinent les Autochtones qui veulent apprendre sur le territoire, apprendre leur culture et leur langue? De réels obstacles existent-ils? Des témoins nous ont dit aujourd’hui qu’il est difficile de réellement apprendre sur le territoire, de participer à un processus et de rencontrer un aîné pour de l’entraide. Je me demande ce que vous avez à dire à ce propos.

En deuxième lieu, j’ai remarqué que l’Oyateki Partnership est financé par la Fondation Mastercard. Vous avez trouvé du financement en-dehors du gouvernement. J’aimerais savoir comment vous vous y êtes pris et pourquoi vous avez choisi cette voie. Est-ce que la formule fonctionne pour votre équipe? La Fondation Mastercard s’avère-t-elle un meilleur partenaire que le gouvernement du Canada? Voilà ma question, essentiellement.

Mme Speidel : Pour répondre à votre première question, je crois effectivement qu’il est très difficile de suivre une éducation axée sur le territoire et de participer à des programmes culturels. De nombreux obstacles minent les efforts. Il faut du financement et un accès aux ressources du territoire, car le financement n’est pas toujours suffisant pour inviter quelqu’un qui détient un savoir médicinal et les connaissances sur le territoire, ou un accès à celui-ci. Une telle relation permettrait d’inviter des jeunes à participer à des programmes culturels. De plus, le financement n’est pas au rendez-vous pour que les détenteurs de savoir se rendent dans les établissements ou les espaces où se trouvent les jeunes. Voilà le plus grand obstacle.

Votre deuxième question est lourde de sens. L’Oyateki Partnership a établi un partenariat avec la Fondation Mastercard, qui finance de multiples projets dans le monde qui s’apparentent au nôtre. Il est très facile de collaborer avec cette fondation parce qu’elle ne nous impose rien. Elle est surtout là pour nous offrir du soutien. Elle ne contrôle pas vraiment ce que nous faisons dans le cadre de notre partenariat. Le partenariat regroupe l’Université de la Saskatchewan, l’Institut Gabriel-Dumont, et le Saskatchewan Indian Institute of Technologies à Saskatoon. Dans le cadre de la collaboration avec ces trois établissements postsecondaires, il importe vraiment que nous contrôlions ce que nous voulons. L’objectif du partenariat est d’offrir aux jeunes Autochtones des voies d’accès vers l’éducation postsecondaire et le marché du travail. Tous nos efforts visent à appuyer les jeunes autochtones.

Le sénateur D. Patterson : Je vous remercie de votre exposé.

Je crois que vous avez aussi votre propre organisation dirigée par des jeunes. Pourriez-vous nous en parler, s’il vous plaît?

Mme Speidel : J’ai fondé Techa Oaye, une organisation jeunesse à but non lucratif régie par la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif. Je l’ai fondée pour mettre en lumière la beauté que revêt le fait d’être un jeune Autochtone.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous sommes souvent invités à parler des éléments négatifs, mais, lors de la création de Techa Oaye, et quand j’ai nourri le rêve de fonder cette organisation, l’objectif était de fournir des occasions aux jeunes Autochtones de parler de tout le positif entourant le fait d’être un jeune Autochtone. Célébrons le fait que nous avons notre langue et notre culture et que nous sommes de phénoménaux athlètes et éducateurs autochtones. Dotons-nous d’espaces pour parler aux autres jeunes Autochtones des réussites dans nos communautés. Pour pleinement réaliser cet objectif, nous avons eu et organisé deux conférences couronnées de succès grâce à cette organisation.

Le sénateur D. Patterson : Vous nous avez dit que, lorsque vous avez commencé à montrer l’héritage autochtone dont vous êtes si fière — votre jupe à rubans et vos boucles d’oreilles perlées —, vous avez fait les frais de préjugés dans les écoles non autochtones. Comment avez-vous réagi? Que conseillez-vous aux personnes qui, malheureusement, subissent encore ces préjugés aujourd’hui? Comment peut-on faire face à cette situation?

Mme Speidel : J’ai subi beaucoup de racisme et de discrimination au secondaire en particulier — pas tant au niveau postsecondaire, et j’en suis très reconnaissante. Toutefois, au secondaire, comme je l’ai dit précédemment, j’ai été l’ambassadrice Manito Ahbee. Le règne durait un an et, pendant mon mandat, je me suis dévouée pour porter une jupe à rubans tous les jours pendant 365 jours afin de sensibiliser les autres aux femmes et aux filles autochtones disparues et assassinées. Au départ, pendant mes années à cette école à forte majorité blanche, on ne m’a pas étiquetée comme personne autochtone. Or, lorsque je me suis mise à fréquenter l’école vêtue fièrement de ma jupe à rubans, j’ai dû composer avec le racisme qu’on ne m’avait pas fait subir auparavant.

Je me suis vraiment tournée vers la prière, la foi et l’espoir puisque, comme je baignais dans le savoir traditionnel et que j’avais grandi dans un milieu empreint de culture et de compréhension, je savais que les autres ne faisaient pas preuve de racisme et de discrimination parce qu’ils me haïssaient. Ils ne m’aimaient pas parce qu’ils ne savaient ou ne comprenaient pas pourquoi j’arborais cette jupe à rubans et pourquoi le port de cette jupe et mes actions importaient pour moi. C’est en sensibilisant ainsi les autres que j’ai composé avec le racisme. J’ai toujours veillé, si j’en avais l’occasion, à parler aux autres élèves de mon école de l’importance de la jupe à rubans. C’est ainsi que j’ai réagi à l’attitude de mes pairs.

Le président : Merci.

La sénatrice Greenwood : Merci, madame Speidel, de votre déclaration liminaire.

Mon cœur devient léger lorsque j’entends des gens parler d’espoir, de foi et de prière. C’est parfois facile de sombrer dans le négatif. Il est beaucoup plus ardu de garder la tête haute et de changer de perspective. Je vous remercie de l’avoir fait dans votre exposé.

Je vous écoute parler, et vous avez mentionné les jeunes vivant en milieu urbain. Nous avons entendu parler des concepts du retour au territoire. On m’a souvent posé cette question dans le contexte des jeunes enfants. Comment s’y prendre quand on travaille avec un groupe de jeunes vivant en milieu urbain? Comment reprendre contact avec le territoire? Quelle forme les initiatives peuvent-elles prendre? Pouvez-vous me répondre en termes très concrets?

Mme Speidel : Je vais fournir un exemple. Mon père est agent de liaison culturel pour le district scolaire Saskatoon Public Schools. Il fait un travail phénoménal. Saskatoon Public Schools a acheté des terres en périphérie de Saskatoon pour offrir des programmes culturels et de l’apprentissage axé sur le territoire. Dans le cadre de son rôle, mon père offre entre autres les programmes, et un grand nombre de jeunes du district de Saskatoon Public Schools ont l’occasion d’accéder à ces services et de suivre ce type d’apprentissage. En ce moment, la contrainte et limite à Saskatoon réside dans le fait que d’autres districts scolaires ne jouissent pas de la même possibilité. De plus, nos établissements postsecondaires n’ont pas accès à de tels programmes. Je crois que tous les établissements postsecondaires et tous les districts scolaires devraient probablement acquérir des terres destinées aux programmes culturels et à l’apprentissage axé sur le territoire, car le district Saskatoon Public Schools, en tant que pionnier, a remporté un énorme succès.

La sénatrice Greenwood : Merci.

La sénatrice Audette : J’ai un bref commentaire complètement empreint d’espoir et d’amour. L’éducation est importante, mais les études se font en français ou en anglais partout au Canada. Qu’en est-il des langues autochtones, si on sort de sa communauté? Comment protéger nos langues, sachant qu’il importe de vivre ces expériences à l’université ou au collège? Pouvez-vous m’aider à renforcer ou promouvoir les langues autochtones, ou à leur insuffler une nouvelle force pour veiller à ce que je ne perde pas ma langue si je sors de ma communauté? Avez-vous des solutions ou de l’espoir à me transmettre?

Mme Speidel : Oui. Je crois que la solution commence par l’affichage visuel de la langue dans tous les établissements et espaces autour de nous. Je sais que, chez moi, une initiative d’envergure a consisté à inclure dans tous les édifices des mots de bienvenue dans les six langues autochtones de la région. Pour poursuivre cet effort, je crois qu’on peut afficher les mêmes messages dans tous les édifices, sans exception, en Saskatchewan et à l’extérieur de la province. En outre, dans nos reconnaissances territoriales et autres procédures similaires, nous devons manifester publiquement qu’il y a un besoin et une volonté de nous réapproprier nos langues autochtones.

En plus de ces initiatives, les programmes de langues autochtones importent grandement. Ils doivent être dirigés par des Autochtones ou s’appuyer sur des partenariats autochtones dans les établissements afin d’en conserver le contrôle.

Je ne pourrais pas ajouter grand-chose au sujet des solutions, mais j’espère en avoir fourni quelques-unes.

La sénatrice Coyle : Merci énormément, madame Speidel. Encore une fois, vous avez vraiment ajouté une tout autre dimension à la conversation que nous avons depuis le début de la journée. Je vous en suis vraiment reconnaissante.

J’ai déjà eu la chance de travailler avec de jeunes leaders de Pine Ridge. Je ne sais pas si votre entourage a des liens avec cette communauté, mais il s’y trouvait de très impressionnants jeunes leaders. Ce travail avec eux remonte à des décennies, mais vous avez tout à fait raison de signaler à tous ceux qui ne l’auraient pas remarqué que vous êtes sans contredit les leaders d’aujourd’hui et de demain.

Nous avons grandement parlé du système d’éducation, tant aux niveaux primaire, secondaire que postsecondaire. Vous avez mentionné l’importance de ne pas limiter les efforts au système d’éducation. Tout à l’heure, M. Adam nous a parlé d’un grand nombre de projets auxquels il travaille dans sa communauté et qui vont au-delà du système d’éducation. Dans quels types de projets en-dehors du système d’éducation êtes-vous peut-être impliquée? Quels types d’efforts aimeriez-vous voir déployer dans d’autres domaines pour faire les choses autrement?

Mme Speidel : Un autre domaine où je trouve qu’il est très important d’offrir de l’éducation et de la sensibilisation sur les enjeux autochtones est le monde de l’emploi. Je connais très bien le milieu grâce à mon rôle actuel, mais je crois qu’il y a un avide désir d’inclure la sensibilisation tenant compte des traumatismes dans différentes possibilités d’emploi ainsi que d’offrir plus d’emplois d’été aux jeunes étudiants autochtones. À l’avenir, il sera crucial qu’un grand nombre de nos organisations — pas seulement celles se trouvant dans nos communautés autochtones — appuient les jeunes Autochtones ou leur réservent des places pour des emplois d’été. Ces expériences leur tailleront une place dans le monde de l’emploi, où ils pourront se familiariser avec le système et acquérir une expérience de travail pendant leur jeunesse. C’est vraiment là qu’on peut faire de grands apprentissages, en marge du système d’éducation, et un gouffre béant existe à l’heure actuelle.

La sénatrice Pate : Je remercie tous les membres du comité. Ce comité me manque terriblement, ainsi que son personnel.

Je remercie tous les jeunes. Si vous avez prononcé votre déclaration alors que je n’étais pas présente en personne, sachez que je vous ai écouté, ou que je vous écouterai plus tard. Je vous remercie donc énormément de votre leadership fécond. Je suis désolée que ma question s’adresse à vous, madame Speidel, mais je vous invite tous à m’envoyer l’information; assurez-vous d’avoir ma carte si vous ne l’avez pas déjà. Aussi, je veux chanter en duo avec tous ceux parmi vous qui êtes sur TikTok, lorsque je retournerai sur la plateforme.

J’aimerais que vous nous disiez ce que nous devrions faire. Nous avons le privilège d’occuper nos postes en ce moment. Vous êtes des leaders, tout comme nous, et le courage de faire ce que nous savons être nécessaire nous fait parfois défaut. J’aimerais vous entendre nous dire un, deux, trois éléments — autant d’éléments que vous souhaitez nous communiquer — que vous aimeriez nous voir accomplir dès maintenant. Veuillez nous donner des actions que vous savez être en nos capacités, ou veuillez nous en donner même si vous ne savez pas si elles sont en nos capacités. Si c’est le cas, dites-nous ce qui doit être fait. Vous m’inspirez déjà énormément, et je sais que vos réponses me donneront encore plus d’idées.

Mme Speidel : C’est vraiment une question piège, mais je vous en remercie grandement.

Comme je l’ai dit auparavant, le plus important est vraiment de porter nos voix de toutes les façons à votre disposition, que ce soit dans le contenu d’un projet de loi ou dans tout autre forum à l’extérieur de cette enceinte. C’est primordial. Nous n’avons pas constamment l’occasion d’être invités à de telles réunions, alors si vous transmettez un message entendu aujourd’hui dans un autre forum, l’incidence sera énorme pour moi. Le fait de porter ma voix et celle de mes pairs changera profondément la donne pour moi. J’espère aussi vous avoir inspiré un peu d’espoir qui vous accompagnera. Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous ne faisons qu’allumer une flamme, et votre rôle, en tant que sénateurs, consiste à entretenir ce feu de grosses flammes et de le porter avec vous. C’est tout ce que je peux suggérer en ce moment. Ce n’est peut-être pas la plus grande suggestion qui soit, mais je vous remercie.

Le président : Je vous pose une dernière question parce qu’il nous reste une minute : une formation sur les questions autochtones devrait-elle être obligatoire pour tous les parlementaires — c’est-à-dire nous ici présents — et pour tous les fonctionnaires?

Mme Speidel : Je suis entièrement d’accord.

Le président : Je vous remercie. C’est une excellente réponse.

Le temps avec ce témoin est maintenant écoulé, et j’aimerais remercier Mme Speidel de nous avoir consacré du temps pour son témoignage. Votre témoignage était formidable, comme celui de tous les autres.

Voilà qui met fin à notre réunion. Wela’lin, merci encore à vous tous de votre participation aujourd’hui. Sachez, je vous prie, que nous vous voyons, que nous vous entendons et que nous sommes là pour vous aider. Portez-vous bien, ainsi que vos familles et communautés. J’espère que nos chemins se croiseront à nouveau. Merci.

(La séance est levée.)

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