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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 19 septembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Note de la rédaction : Veuillez noter que ces délibérations peuvent contenir un langage pouvant choquer certaines personnes et qu’elles traitent de sujets sensibles qui peuvent être difficiles à lire.]

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je veux d’abord reconnaître que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe qui abrite aujourd’hui de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits.

Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis, d’Epekwitk, aussi appelé l’Île-du-Prince-Édouard, et je préside le comité des peuples autochtones.

Je suis heureux que nous soyons tous de retour à Ottawa après la pause estivale et que nous puissions reprendre nos séances hebdomadaires. Je me réjouis à la perspective de poursuivre le travail efficace du comité au cours des semaines et des mois à venir.

Je vais maintenant demander à mes collègues sénateurs de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou leur territoire, en débutant par le vice-président du comité.

Le sénateur Arnot : Je suis le sénateur David Arnot de la Saskatchewan. J’habite à Saskatoon, au cœur du territoire visé par le traité no 6.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas de l’Alberta.

La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, parc national de Banff, Alberta, territoire visé par le traité no 7.

La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood de la Colombie-Britannique. Je vis sur le territoire visé par le traité no 6.

Le président : Merci, chers collègues.

Avant d’aller plus loin, je veux souligner que la présente réunion porte sur les pensionnats indiens, un sujet que certains peuvent trouver troublant. Chacun peut obtenir sans frais le soutien dont il a besoin via la Ligne d’écoute téléphonique des pensionnats autochtones qui est accessible en tout temps au 1-866-925-4419 et via la Ligne d’écoute d’espoir pour le mieux‑être au 1-800-721-0066 ou par clavardage en ligne sur www.espoirpourlemieuxetre.ca

Je prends un moment pour vous rappeler ce qui nous a menés à la séance d’aujourd’hui. Notre comité a entendu en mars dernier les témoignages des représentantes du Centre national pour la vérité et la réconciliation et du Bureau de l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens. Ces deux témoins nous ont parlé du travail de leurs organisations respectives pour honorer la mémoire des survivants et des victimes, mettre en lumière la situation et exposer toute la vérité concernant le système des pensionnats et ses conséquences douloureuses et durables.

À la lumière de ces témoignages, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a publié en juillet dernier un rapport provisoire intitulé Honorer les enfants qui ne sont jamais rentrés auprès des leurs : vérité, éducation et réconciliation. Ce rapport recommandait notamment la tenue d’audiences publiques avec les gouvernements, les organisations religieuses et les autres entités qui continuent de refuser de divulguer les documents concernant les pensionnats et les sites qui y sont associés. Nous allons entreprendre l’audition de ces témoignages lors de la seconde heure de notre réunion d’aujourd’hui. En guise de préparation, nous recevons au cours de la première heure des experts de toutes les questions touchant les pensionnats indiens, les externats et les établissements connexes.

Nous accueillons ainsi M. Ryan Shackleton, chef de la direction de Know History, et M. Edward G. Sadowski, chercheur, à titre personnel. Wela’lin. Merci d’être des nôtres aujourd’hui.

Nos deux témoins disposent de cinq minutes chacun pour nous présenter leurs observations préliminaires, après quoi ils répondront aux questions des sénateurs.

J’invite maintenant M. Shackleton à bien vouloir partir le bal.

Ryan Shackleton, chef de la direction, Know History : Bonjour à tous et merci beaucoup de me recevoir. Je suis honoré d’être des vôtres aujourd’hui.

Know History est une firme de recherche historique qui a des bureaux ici même à Ottawa ainsi qu’à Calgary. Nous pouvons compter sur l’expertise de quelque 60 historiens. Au cours de la dernière décennie, nous avons collaboré à des centaines de projets avec des Inuits, des Métis et des Premières Nations de tout le Canada. Depuis deux ans, nos clients nous demandent toutefois de plus en plus souvent de les aider à déterminer ce qui s’est vraiment passé avec les enfants placés dans les pensionnats. Nous comptons parmi notre clientèle le Mohawk Institute Survivors’ Secretariat ainsi que des Premières Nations de l’Alberta, du Yukon, de l’Ontario et du Manitoba.

Bien que les expériences vécues par les survivants et les souvenirs qu’ils en gardent demeurent la source la plus importante d’information sur cet épisode honteux de notre histoire, il existe de nombreux documents d’archives pouvant nous aider à mieux comprendre le passé. Les communautés ne peuvent pas se contenter d’une liste des noms des enfants disparus; elles veulent savoir ce qui s’est passé, quel était le sort réservé aux enfants dans ces établissements et, bien sûr, où sont enterrés les enfants disparus. Nous ne pouvons pas nous en remettre à une seule source pour trouver tous ces renseignements. Il faut plutôt chercher à plusieurs endroits à la fois pour recouper parfois des milliers de petits éléments d’information collectés dans des dizaines de dossiers d’archives trouvés dans les différentes régions du Canada et à l’étranger.

Il est extrêmement difficile pour les Autochtones d’avoir accès aux dossiers d’archives qu’ils souhaitent consulter au Canada. Comme ne manque pas de me le rappeler Roberta Hill, une Mohawk des Six Nations, ce sont pourtant des dossiers qui lui appartiennent et qui racontent ses propres expériences.

J’aimerais vous entretenir aujourd’hui de quelques-uns des problèmes avec lesquels nous avons dû composer. Dans un dossier, nous avons consulté les gens de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada — RCAANC — qui nous ont recommandé de soumettre une demande d’accès à l’information en vertu de certaines dispositions de la Loi sur l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels. Dix mois plus tard, ce même ministère nous a répondu qu’il était impossible de donner suite à notre demande étant donné qu’elle ne concernait pas un dossier actif. Un an après notre demande initiale, on nous a informés qu’il faudrait encore au moins trois mois pour la traiter, mais je m’attends à ce que ce soit encore plus long. Il s’agit donc d’un délai de 15 mois avant de pouvoir prendre connaissance de documents.

Dans un autre dossier, nous avons soumis une demande d’accès à l’information et reçu très rapidement une réponse de Bibliothèque et Archives Canada. Il a fallu moins de trois mois. Cependant, l’information et les noms étaient entièrement caviardés. Comme l’exercice visait à connaître les noms des enfants disparus, les documents fournis ne nous étaient d’aucune utilité véritable.

Les agents d’accès à l’information m’ont indiqué qu’ils accordent la priorité aux demandes se rapportant à des litiges en instance. Malheureusement, la recherche d’enfants disparus et de sépultures anonymes n’est pas jugée aussi pressante que les dossiers de litige.

Dans le cadre d’un autre projet, même si une convention de règlement a été conclue, l’établissement a invoqué la loi sur la protection de la vie privée pour empêcher notre équipe d’avoir accès aux dossiers médicaux des patients et aux registres du personnel hospitalier. S’il nous est impossible de déterminer quels enfants sont disparus, comment allons-nous pouvoir établir le lieu de leur sépulture?

Nous sommes des professionnels de la recherche, et nous n’éprouvons aucune difficulté à retracer les documents. Il faut simplement qu’on nous y donne accès pour que nous puissions collecter les données voulues.

Il existe ce qu’on appelle un « statut de chercheur ministériel » qui procure l’accès à tous les dossiers d’un ministère. J’ai bénéficié d’un tel statut au sein de différents ministères par le passé. Je peux alors simplement commander des dossiers et les consulter quelques jours plus tard. Pour les Autochtones n’ayant pas le statut de chercheur ministériel, il faut parfois compter plus d’une année pour avoir accès exactement aux mêmes dossiers. En outre, ces dossiers sont alors largement caviardés. Il s’agit pourtant de documents concernant des expériences qu’eux-mêmes et leurs parents ont vécues. Ce sont des documents qui peuvent nous aider à retracer des lieux de sépulture, mais ils sont en grande partie inaccessibles.

J’ai jadis travaillé pour la Commission de vérité du Qikiqtani. Je me suis alors heurté aux mêmes obstacles qui se dressent devant nous aujourd’hui. Bibliothèque et Archives Canada nous a à ce moment-là offert un accès direct à tous les dossiers pour nous permettre de déterminer ce que nous souhaitions obtenir via une demande d’accès à l’information. Le gros du travail nous retombait sur les épaules. Nous pouvions consulter rapidement les dossiers sans avoir à soumettre des centaines de demandes d’accès à la formation. On assurait ainsi la protection des renseignements personnels sans que les processus bureaucratiques liés à l’accès à l’information ralentissent notre démarche. Des solutions semblables peuvent encore être envisageables, et c’est à nous de les trouver.

Je crains que la situation ne fasse qu’empirer. Comme vous le savez, et comme on l’a souligné dans votre rapport, le Centre national pour la vérité et la réconciliation — le CNVR — est le principal dépositaire des renseignements concernant les pensionnats autochtones. Il détient actuellement 5 millions de dossiers, et peut-être davantage, mais le gouvernement s’apprête à transmettre 25 millions de documents au CNVR au cours des quatre à cinq prochaines années. Il n’y a pas de transparence dans le cadre de ce processus. Malgré mes interpellations, je n’ai pas été en mesure de savoir ce qui est considéré comme un dossier ni qui détermine ce qui est pertinent. Si un enfant est envoyé d’un pensionnat à un hôpital et meurt des mois plus tard, ou si une fillette est retournée à la maison parce qu’elle est malade et meurt, les documents à son sujet sont-ils inclus dans ce lot, ou sont-ils plutôt exclus parce que la mort n’est pas survenue dans un pensionnat? Dans quelle mesure sommes-nous prêts pour le transfert de 25 millions de documents? Est-ce que le financement du CNVR sera augmenté pour lui permettre de gérer une collection ayant cinq fois la taille de sa collection actuelle? Les communautés recevront-elles les ressources nécessaires pour pouvoir faire plus de recherches et aller au bout de ces histoires?

En terminant, j’encouragerais humblement le gouvernement du Canada à revoir ses mesures législatives sur la protection de la vie privée. Les Autochtones ont tout à fait le droit de consulter les dossiers créés à leur sujet pour savoir quel sort a été réservé à leurs enfants après qu’on les a retirés de force de leur domicile. Les obstacles érigés doivent être abattus. Je vous remercie.

Le président : Merci, monsieur Shackleton. J’invite maintenant M. Sadowski à nous présenter ses observations préliminaires.

Edward G. Sadowski, chercheur, à titre personnel : Merci. J’ai été coordonnateur de la recherche au Shingwauk Residential Schools Centre de l’Université Algoma à Sault Ste. Marie, sur le territoire visé par le Traité Robinson-Huron de 1850. Je travaille en étroite collaboration avec la Fondation autochtone de guérison, l’Indian Residential School Survivors Society, un organisme national, et, maintenant, avec la Children of Shingwauk Alumni Association, le regroupement des anciens élèves de Shingwauk. J’ai préparé un exposé que j’aimerais maintenant vous présenter.

Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant votre comité ce matin. Je suis heureux de vous présenter ce résumé et de vous faire part d’un point de vue différent sur certaines questions relatives à la vérité, à la réconciliation et à l’hommage rendu à tous les enfants des pensionnats.

La majorité des dossiers des pensionnats pour enfants autochtones n’existent plus. Cette question a été mise en évidence lors de la mise en œuvre de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens et continue de l’être aujourd’hui. Les dossiers manquants ou détruits ont eu un impact sur la reconnaissance accordée aux survivants des pensionnats et les montants qu’ils reçoivent. Le Canada a commencé à détruire les dossiers des pensionnats en 1936 et a continué à le faire jusqu’à la signature de la convention de règlement.

Les statistiques du programme de paiement d’expérience commune révèlent que plus de 50 % des demandeurs ont reçu une indemnisation inférieure à celle qu’ils avaient sollicitée. Nombre d’entre eux se sont vu refuser une indemnisation parce que le Canada a déclaré qu’il ne pouvait pas confirmer leur résidence pendant la période où ils étaient dans un pensionnat. Ce qu’on ne leur a pas dit, c’est que le Canada ne disposait d’aucun dossier permettant de confirmer ou d’infirmer la validité de leur demande.

Les dossiers créés à partir des témoignages des demandeurs lors des audiences du processus d’évaluation indépendant — le PEI — sont confidentiels. Cependant, les exposés des faits relatifs aux pensionnats pour l’ensemble des demandes du PEI, créés par le Canada pour résumer les documents donnant un aperçu de l’histoire et de l’administration de chaque pensionnat ne sont pas confidentiels. Ces exposés des faits révèlent la qualité et la quantité des documents utilisés lors des audiences du PEI. Le Canada a refusé de divulguer les exposés complets et définitifs des faits relatifs aux pensionnats pour l’ensemble des demandes du PEI, ainsi que les documents connexes. La rareté des dossiers des pensionnats n’a pas été prise en compte lorsque les arguments ont été présentés à la Cour au sujet de la destruction des dossiers du PEI des demandeurs.

De nombreux documents mis à la disposition de la Commission royale sur les peuples autochtones concernant la maltraitance des enfants et la mort des enfants des pensionnats n’ont jamais été communiqués à la Commission de vérité et réconciliation. Les documents d’accès à l’information révèlent que ces dossiers n’existent peut-être plus.

De nombreuses personnes ont demandé que d’autres établissements soient reconnus comme des pensionnats indiens au titre de l’article 12. Plus de 1 500 demandes ont été déposées et très peu d’établissements ont été ajoutés à la liste officielle. Le pensionnat indien de Timber Bay, le pensionnat de l’Île‑à‑la‑Crosse, la Fort William Indian Hospital (Sanatorium) School et de nombreuses autres écoles hospitalières autochtones figurent parmi les établissements qui ont été rejetés et dont les dossiers ont été détruits par le Canada avant la conclusion de la convention de règlement.

Nous ne connaissons pas les noms de tous les enfants qui ont été envoyés dans chaque pensionnat. Ces enfants des pensionnats doivent également être considérés comme disparus. Ils doivent être identifiés. Les chercheurs autochtones ont besoin d’aide pour créer des registres des élèves de pensionnats. Afin d’honorer la mémoire de chaque enfant des pensionnats, d’autres documents historiques détenus par le Canada doivent être identifiés et mis à disposition.

Les recensements du Canada et du ministère des Affaires indiennes comprennent les noms de tous les enfants des pensionnats qui se trouvaient dans chaque pensionnat au moment de chaque recensement. Les dossiers du Registre des Indiens ont été utilisés pour valider les demandes de la convention de règlement. Les listes de paiement des traités, des annuités et des distributions d’intérêts, ainsi que les listes de membres des bandes indiennes ont également été utilisées pour créer la base de données généalogiques du Registre des Indiens. Ces dossiers permettent d’identifier de nombreux enfants des pensionnats et révèlent également si le décès d’un enfant des pensionnats a entraîné l’extinction d’une famille entière.

La Loi sur les Indiens autorisait l’utilisation de l’argent des traités et des annuités et intérêts pour aider à payer la prise en charge des enfants pendant qu’ils étaient dans un pensionnat, et les pensionnats eux-mêmes. Les dossiers de la caisse de fiducie des Indiens disponibles montrent que les enfants des pensionnats ont payé leurs propres funérailles lorsqu’ils sont décédés dans un pensionnat. Les peuples autochtones ont subventionné leur propre génocide à partir de leurs comptes d’épargne.

Lors des dernières étapes de la rédaction de la Convention sur le génocide en 1948, le Canada a demandé à sa délégation diplomatique à Genève de s’opposer à l’inclusion de tout acte de « génocide culturel » dans le traité. Cependant, la Convention sur le génocide a été adoptée et comprenait la seule référence au « génocide culturel » à laquelle le Canada s’opposait, à savoir l’acte de « transférer de force des enfants du groupe à un autre groupe ».

Le Canada a signé sans réserve la Convention sur le génocide en 1949 et a déclaré avoir rempli ses obligations conventionnelles de mise en œuvre de la convention en 1970. Toutefois, les modifications apportées au Code criminel n’incluaient que deux des cinq actes de génocide visés à l’article II. On n’y trouvait pas le « transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe ».

Il est temps que le Sénat se penche sur l’histoire troublante du négationnisme des pensionnats dont le Canada est à l’origine. Merci.

Le président : Merci de vos observations, monsieur Sadowski.

Je vais maintenant permettre à mes collègues sénateurs de poser leurs questions. Nous entendrons d’abord notre vice-président, le sénateur Arnot.

Le sénateur Arnot : Merci aux témoins qui sont avec nous aujourd’hui.

Je veux dire à la commissaire aux traités Mary Musqua-Culbertson, du Bureau du commissaire aux traités de la Saskatchewan, que j’ai grand-hâte d’entendre son témoignage à ce sujet, car je sais qu’elle peut faire bénéficier notre comité de points de vue éclairés sur lesquels nous pourrons nous pencher.

Ces dossiers auxquels vous ne pouvez pas avoir accès sont très importants pour les survivants, leurs familles et l’ensemble du processus de réconciliation. Tous les Canadiens devraient se demander, comme le Sénat est en train de le faire aujourd’hui, pour quelle raison des organisations auxquelles la vie des enfants autochtones a été confiée refusent maintenant de faire le nécessaire. Nous croyons connaître quelques-uns des motifs les incitant à ainsi masquer les faits et opposer une résistance à l’accès à ces dossiers, mais j’aimerais savoir ce que vous en pensez.

Par ailleurs, quelle serait selon vous la mesure la plus efficace que notre comité pourrait prendre pour veiller à ce que les chercheurs comme vous-même, les organisations et les individus intéressés avec lesquels vous travaillez puissent avoir accès aux dossiers nécessaires pour faire jaillir la vérité?

M. Shackleton : Merci pour la question, sénateur.

Je n’ai jamais rencontré un bibliothécaire ou un archiviste qui a choisi cette profession parce qu’il voulait empêcher les gens d’avoir accès aux dossiers. C’est plutôt le contraire que cherchent à faire tous les bibliothécaires et les archivistes que j’ai croisés à Bibliothèque et Archives Canada. Ils veulent transmettre les connaissances à leur disposition. Ils sont toutefois freinés par une loi, la Loi sur la protection de la vie privée.

En gros, si le document renferme le nom d’une personne — mentionnons que cela varie selon la province ou l’ordre de gouvernement provincial ou fédéral — et qu’il date de moins de 100 ans, les informations peuvent être considérées comme des renseignements personnels parce que la personne est vivante. Vous n’êtes donc pas autorisé à communiquer les informations en question. Ce principe de confidentialité ne cadre pas nécessairement avec la responsabilité collective des organisations autochtones, qui veulent obtenir ces informations au nom de leur communauté. Tout est caviardé. La seule manière de procéder serait de faire signer par chaque personne un document qui permettrait de retracer et de communiquer les informations en question, mais nous ne pouvons même pas voir les informations qui nous indiqueraient quelles sont les personnes qui devraient signer les documents. C’est un cercle vicieux. Je ne blâme pas les organismes. Je blâme plutôt les politiques, qui ne prévoient rien pour franchir ces obstacles. En faire fi peut mener à une perte d’emploi ou à des accusations. C’est cet aspect qui doit être corrigé.

Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration, si les membres des nations autochtones pouvaient obtenir un statut de chercheur ministériel — comme c’est le cas au ministère de la Défense nationale ou au ministère de la Justice — et qu’ils se chargeaient de protéger les renseignements personnels jusqu’à l’étape de la demande d’accès à l’information, le processus s’en trouverait grandement accéléré.

M. Sadowski : Les droits de propriété intellectuelle autochtones n’ont été cédés au titre d’aucun traité. Ces documents appartiennent aux Autochtones. Nous travaillons dans le cadre de structures coloniales qui empêchent les peuples autochtones d’accéder à leurs propres documents.

Dans ma déclaration, j’ai indiqué que le Canada avait refusé de transmettre les exposés des faits relatifs aux pensionnats pour l’ensemble des demandes du processus d’évaluation indépendant. Le terme « Canada » englobe le Commissariat à l’information, qui publie très peu de ses rapports finaux en ligne. D’ailleurs, le rapport dont j’ai remis une copie au comité n’a pas été publié. Dans ce rapport, le commissariat reproche tout simplement au ministère de la Justice de refuser de transmettre des documents.

La situation est la même avec Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, ou RCAANC. Par exemple, le mois dernier, j’ai reçu un courriel du Commissariat à l’information, qui me faisait part d’une mise à jour sur l’accès aux exposés des faits relatifs aux pensionnats conservés par RCAANC. En voici le contenu :

Bonjour, monsieur Sadowski. J’ai reçu un message de RCAANC. Le ministère a indiqué qu’il ne ferait pas suite à la demande concernant les documents. J’ai donc décidé de rédiger une demande au titre de l’article 35 pour que des observations soient envoyées par la direction du Commissariat à l’information à la direction de RCAANC. Je vous tiendrai au courant.

L’accès aux documents en temps opportun fait partie des obstacles auxquels se butent les chercheurs, moi y compris, depuis au moins 20 ans. C’est pour ainsi dire impossible pour un petit groupe d’Autochtones d’accéder aux documents si le ministère de la Justice et RCAANC disent : « Nous refusons de transmettre les documents. Si vous n’êtes pas contents, poursuivez-nous devant la Cour fédérale. » Nous travaillons dans le cadre d’une structure complètement dysfonctionnelle. Je n’ai pas de solution pour corriger la situation. Cette tâche vous revient. Je suis désolé, mais c’est la réalité. Le gouvernement — autant le Commissariat à l’information que les autres organismes fédéraux, notamment le ministère de la Justice et RCAANC — ne veut tout simplement pas transmettre ces documents. Il oppose un refus catégorique. Que pouvons-nous y faire?

Le président : Pourriez-vous parler des compétences requises pour repérer les documents liés aux pensionnats? Savez-vous si les gouvernements provinciaux, le gouvernement fédéral et les Oblats ont retenu les services de personnel qualifié pour trouver à quel endroit les documents sont conservés et comment ils sont organisés?

M. Sadowski : Il faut surtout beaucoup de temps. Le Canada compte de nombreux chercheurs autochtones issus de nombreux pensionnats. Ces chercheurs ont différents niveaux d’éducation, mais ils ont tous à cœur d’essayer de trouver ce qui est arrivé à leur famille et aux membres de leur communauté. Il faut seulement leur fournir les documents. Ils savent quoi faire. Malheureusement, ils n’ont pas les ressources. Ils manquent de ressources financières et ne connaissent pas assez le système pour venir à bout de la bureaucratie, surtout lorsqu’ils se heurtent au refus catégorique des ministères de transmettre les documents. Les peuples autochtones possèdent les compétences en question. Ils doivent seulement patienter avant d’obtenir les documents.

J’ai énuméré les documents qui devraient être accessibles et qui ne sont pas considérés comme pertinents par le Canada. Pourtant, les informations existent et devraient être accessibles. Les peuples autochtones partout au Canada devraient pouvoir les consulter afin d’honorer la mémoire des enfants morts dans les pensionnats.

M. Shackleton : Je vais renchérir en disant que la pertinence est la notion clé. Ce que veulent savoir les nations qui souhaitent retrouver leurs enfants et leurs histoires est très différent d’une nation à l’autre. Les recherches pour retrouver les histoires liées aux pensionnats ne se font pas selon une approche universelle. Certaines communautés avec lesquelles nous avons travaillé veulent tout savoir, tandis que d’autres s’intéressent uniquement aux expériences médicales. Je ne pense pas que le gouvernement est en mesure d’appliquer ce type d’approche. Cette initiative doit être menée par les communautés. Or, celles-ci ne peuvent pas y arriver sans l’accès aux documents qui leur permettront de faire leurs recherches et de suivre les pistes examinées par les historiens.

Le président : Merci à vous deux.

La sénatrice Sorensen : Merci à tous les témoins de leur présence parmi nous aujourd’hui. J’ai vraiment hâte d’entendre lors d’une séance ultérieure la commissaire aux traités, Mary Musqua-Culbertson. Je vais poser une question à M. Shackleton. Je vais demander ensuite aux autres témoins de formuler des commentaires si j’ai assez de temps.

Vos commentaires étaient éclairants, mais j’aimerais que vous donniez davantage de précisions. Je vais vous donner l’occasion de revenir sur le point que vous avez soulevé tout à l’heure et de fournir des explications supplémentaires sur les types de renseignements. Si je comprends bien, les informations recherchées varient d’une personne à l’autre. Toutefois, tous souhaitent clore un chapitre de leur histoire familiale.

J’aimerais que vous en disiez plus sur les justifications fournies par les organismes qui refusent de transmettre des documents. Vous avez mentionné deux fois, je crois, la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui est la loi applicable. Êtes-vous d’accord pour dire que le libellé de cette loi empêche les employés de faire ce que leur cœur leur dicte? Devrait-on modifier la loi? Je pense que c’est ce que vous avez dit dans votre déclaration. Devrait-on ajouter une exemption pour les renseignements liés aux pensionnats?

Enfin, à votre avis — et je pense que le sénateur Arnot y a fait allusion —, de quoi a-t-on peur? D’où vient cette crainte de donner accès à ces documents?

M. Shackleton : Tout d’abord, à propos des types de renseignements demandés, ceux-ci diffèrent selon les communautés, car chaque pensionnat a une histoire différente.

Une communauté donnée pourrait avoir besoin de consulter des dossiers du ministère de la Défense nationale parce que ce dernier avait un champ de tir à côté du pensionnat et que des accusations ont été portées liées à des enfants qui ont été tués à cet endroit. Une autre communauté pourrait demander à avoir accès à des dossiers médicaux associés à l’établissement où ont été envoyés des enfants. Dans les années 1940 et 1950, un nombre grandissant de ces établissements ont été transformés en établissements carcéraux. Des gens ont fait l’objet de menaces. Par exemple, une mère de famille qui était vue avec une bière à la main se faisait retirer ses enfants. Bon nombre d’établissements étaient utilisés comme des écoles de correction. Bref, les renseignements demandés varient.

Ce ne sont pas seulement les documents conservés à RCAANC ou à Bibliothèque et Archives Canada qui devraient être accessibles. Il y a aussi les documents médicaux ainsi que les documents tenus par les communautés et les municipalités. Les églises doivent en transmettre beaucoup plus. Nous avons la preuve qu’elles retiennent encore des renseignements. Je ne fixerais pas de limites à la grande variété de documents qui devraient être accessibles. Je pense que le meilleur point de départ est l’ensemble des ministères fédéraux, mais nous devons ratisser plus large.

Je ne suis pas un expert des politiques, mais je voudrais faire remarquer que la Loi sur la protection des renseignements personnels et les principes régissant l’accès à l’information indiquent que les documents peuvent être rendus publics pour ce qu’on appelle le bien commun ou quelque chose du genre. Qui définit le bien commun? Peut-on parler de bien commun dans ce cas-ci?

Même si je ne suis pas un adepte des théories du complot, je crois que les gens ont peur d’être poursuivis s’ils transmettent des documents. Les ministères ne veulent pas se retrouver devant les tribunaux pour atteinte à la vie privée. Je comprends le principe de confidentialité. Personnellement, je tiens à ce que ma vie privée soit respectée. Toutefois, cela nous ramène à la notion de bien commun. Peut-on donner accès à ces documents tout en protégeant les renseignements personnels?

Pour revenir brièvement au statut de chercheur ministériel, nous signons des contrats avec le gouvernement. Nous obtenons une cote de sécurité. Je peux me rendre dans les locaux du gouvernement pour demander un dossier et le consulter, mais si je travaille pour un client autochtone, je vais peut-être devoir attendre un an pour consulter exactement le même dossier. Je suis pourtant le même chercheur avec le même ordinateur portable et la même cote de sécurité.

La sénatrice Sorensen : Monsieur Sadowski, voulez-vous formuler un commentaire?

M. Sadowski : Oui. Je soutiens toutefois que la Loi sur la protection des renseignements personnels n’a pas à être changée, car elle renferme une disposition qui autorise le ministre à communiquer les documents en question aux groupes autochtones qui ont des griefs à l’égard du gouvernement. Je ne peux pas citer le libellé exact, mais le ministre détient ce pouvoir. Nous avons communiqué avec le ministre au sujet de l’obtention de documents datant de plus de 100 ans sur deux garçons qui s’étaient noyés dans un étang près du pensionnat de Shingwauk. L’événement est survenu il y a plus de 100 ans, et le ministre n’a jamais exercé son pouvoir. Il ne nous est jamais revenu là-dessus. La loi permet au gouvernement de transmettre ces informations aux groupes autochtones, mais ces dispositions ne sont pas appliquées. On peut en dire autant des règles de demande d’accès à l’information. Le ministère de la Justice et RCAANC n’appliquent pas les dispositions sur la transmission de documents. Ces dispositions existent, mais elles ne sont pas utilisées.

Le sénateur Tannas : Merci de votre présence aujourd’hui.

Corrigez-moi si je me trompe, mais vous menez tous deux des recherches par contrat sur n’importe quel sujet pour des organismes ou des entreprises. Est-ce exact?

M. Shackleton : Oui.

M. Sadowski : Non. Je n’ai pas de contrat. Je travaille avec la Children of Shingwauk Alumni Association depuis environ 30 ans. Je n’ai pas de contrat avec eux. Ils me considèrent comme un membre de la famille, et l’inverse est aussi vrai. Je fais ce travail gratuitement.

Le sénateur Tannas : Je me demande si votre statut complique encore plus les choses lorsque les gens dans les ministères vous demandent : « Qui représentez-vous au juste? Avez-vous du pouvoir? » Est-ce que je ferais moins bien que vous si j’appelais pour poser des questions?

M. Sadowski : Non.

Le sénateur Tannas : D’accord. Mais vous, monsieur Shackleton, vous avez une entente de représentation. Est-ce exact? Cette entente est-elle équitable? Comment fonctionne-t-elle?

M. Shackleton : Nous avons accumulé pas mal de connaissances, car un grand nombre de personnes font ce travail, dont moi, depuis plus de 20 ans. Grâce à l’expertise que nous avons développée, nous savons où regarder pour trouver les dossiers. Nous savons aussi quoi demander et comment organiser la quantité volumineuse de données.

Le sénateur Tannas : Le pouvoir que vous avez aux yeux de la personne assise de l’autre côté du comptoir qui vous demande en vertu de quoi vous demandez les documents, est-ce important?

M. Shackleton : C’est très important, sénateur. La loi comporte l’obligation d’obtenir une résolution du conseil de bande qui vous nomme chercheur attitré pour la bande et qui vous confère le pouvoir de demander des documents.

Le sénateur Tannas : Donc, si vous êtes contrarié, c’est en tant que représentant de ce gouvernement autochtone à ce stade.

M. Shackleton : Oui.

Le sénateur Tannas : J’ai dû comprendre à tort que le gouvernement s’était engagé à fournir tous les documents demandés par le Centre national pour la vérité et réconciliation. Est-ce que je fais fausse route?

M. Shackleton : Non. C’est ce dont je parlais, sénateur, lorsque je mentionnais les 25 millions de documents consultés par un groupe de travail qui est dirigé par RCAANC, si je ne m’abuse, mais qui compte des représentants d’autres ministères. Un comité formé de représentants des Premières Nations participe également au processus, mais je ne sais pas comment il détermine si les documents en question sont liés ou non aux pensionnats. Nos clients, les Premières Nations avec lesquelles nous travaillons, veulent savoir ce qui est arrivé dans les organisations médicales. Elles veulent savoir ce qui est arrivé dans les maisons de correction. Nous ne savons pas si ces documents seront inclus dans le processus. Nous ne savons pas non plus qui au gouvernement trie les documents pertinents. Je ne pense pas que ce sont les Premières Nations. Aucun de mes clients n’a été invité à siéger au comité chargé de relever les documents pertinents ou de les examiner.

Le sénateur Tannas : Nous ne pouvons donc pas entrevoir un monde où le sous-ministre ou le sous-ministre adjoint pourrait certifier que chacun des documents a été remis. Ce monde serait-il une chimère?

M. Shackleton : Hélas, oui.

M. Sadowski : Au cours des dernières années, nous avons demandé à plusieurs reprises à RCAANC et à Services aux Autochtones Canada de nous fournir un inventaire de tous les documents historiques en leur possession. Les deux organismes ont refusé. Si nous n’obtenons pas cet inventaire, nous ne saurons jamais ce qu’ils gardent encore dans leurs archives.

M. Shackleton : Il existe des documents d’archives, mais il faut savoir que Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, ou RCAANC, et le ministère de la Justice ont des « dossiers semi-actifs. » Il s’agit de documents qui pourraient toujours servir au ministère et qui sont extrêmement difficiles à consulter. Bien souvent, aucun instrument de recherche n’existe, ce qui nous force à soumettre une demande d’accès à l’information qui doit parfois être très vaste. Puis, le facteur de pertinence a une grande incidence : quelqu’un d’autre détermine pour le demandeur ce qui, dans les collections, lui sera pertinent.

Le président : Vous avez tous deux accompagné des survivants, des familles et des communautés en quête de vérité, de justice et de guérison. Pouvez-vous décrire les marques réelles que laissent les gouvernements et les églises qui refusent et retardent l’accès aux dossiers? Quels sont les effets sur les particuliers, les familles et les communautés qui n’ont pas accès aux dossiers, et quel message sur la réconciliation cette attitude envoie-t-elle aux communautés?

M. Sadowski : De nombreux survivants sont décédés avant d’obtenir cette information. Très peu d’anciens élèves du pensionnat Shingwauk Wawanosh sont encore en vie, et il ne reste qu’un ancien élève du pensionnat indien Chapleau. Ils tentent de savoir sur ce que leurs proches et les communautés ayant fréquenté ces écoles y ont vécu. Plus de 80 Premières Nations ont fréquenté l’école Shingwauk. Tous les survivants de ces 80 communautés veulent savoir ce qui est arrivé à leurs enfants. Le résultat, c’est qu’ils ne peuvent tourner la page sur ce chapitre. La guérison est impossible. Voilà où nous en sommes aujourd’hui.

M. Shackleton : Le Canada perpétue cette opacité depuis 160 ans, voire depuis plus longtemps, ce qui génère une méfiance envers le gouvernement. Il a beau affirmer que les documents ont été transmis, je ne pense pas que les gens que nous accompagnons le croient parce qu’on ne nous permet pas de voir où ils sont conservés. Le gouvernement ne nous donne pas accès aux dossiers complets, alors un doute subsiste toujours : d’autres documents pourraient exister.

Le président : Merci. Il nous reste encore du temps, alors d’autres sénateurs peuvent poser des questions.

La sénatrice Sorensen : On y a fait allusion, mais, lors d’une autre réunion avant la relâche estivale, je me suis rendu compte que les complexités que vous avez décrites ne touchent pas seulement les documents des pensionnats indiens. Je n’avais jamais réfléchi à cet élément. Je me demande ce qu’il en est dans toutes les autres organisations qui détiennent des renseignements. La situation devient immensément confuse. Je tente de me souvenir d’une conversation sur une entreprise qui a construit un édifice où s’est déjà trouvé un pensionnat indien, alors que nous ne savons pas si des enfants y sont enterrés. Pouvez-vous nous faire part d’autres réflexions sur la complexité de la situation?

M. Sadowski : Madame la sénatrice, les enfants qui ont contracté la tuberculose à un pensionnat indien figuraient toujours dans son relevé trimestriel même après avoir été transférés à des sanatoriums qui avaient des lits disponibles ou à des hôpitaux fédéraux autochtones. Ils demeuraient dans le système parce qu’ils étaient des élèves des pensionnats indiens séjournant dans ces établissements de santé. Le financement suivait les enfants, alors ils figuraient toujours dans les relevés trimestriels. Les subventions étaient toutefois transférées pour couvrir les soins des enfants dans les établissements de santé. Les enfants conservaient leur statut au pensionnat indien, peu importe où ils allaient, puisque leurs noms demeuraient dans les relevés trimestriels. C’est ainsi que le gouvernement suivait la trace des élèves. Le système n’est pas tellement compliqué.

Le gouvernement refuse de divulguer ces dossiers parce qu’il sait qu’il sera question de la tuberculose, un sujet qu’il veut éviter. C’est l’obstacle auquel nous nous sommes heurtés quand nous avons tenté de donner au sanatorium de l’hôpital autochtone Fort William le statut de pensionnat indien dans l’accord de règlement. Nous nous sommes adressés au tribunal, qui a refusé notre demande d’ajouter l’établissement à la liste à cause de documents manquants. Il en va de même pour toutes les écoles d’hôpitaux autochtones au pays.

Chaque hôpital autochtone, chaque sanatorium au Canada était rattaché à une école pour la scolarité des élèves. Ainsi, même quand la tuberculose les faisait séjourner dans ces établissements, les élèves y poursuivaient leur scolarité qui était payée par le gouvernement du Canada. Le système n’est pas aussi compliqué que le gouvernement le laisse croire.

La sénatrice Sorensen : Je ne sais pas si votre réponse me rassure ou m’inquiète davantage, mais je vous remercie.

M. Sadowski : Ce sont les faits, qui recèlent la vérité.

M. Shackleton : Des dossiers du groupe d’archives RG10 documentent les transactions des bandes, ce qui relate le parcours des enfants volés : ils ont fréquenté une école, nombre d’entre eux ont souvent changé d’écoles, les écoliers blessés ont été envoyés à l’hôpital et certains sont allés, plus tard, dans des maisons de correction. Ceux qui se sont enfuis ont des dossiers judiciaires. Ceux qui ont participé aux Cadets de l’Air ont des documents à l’appui. De plus, il faut reconstituer la chronologie au sein des organisations pour comprendre que le lait qui était servi aux enfants provenait de vaches atteintes de tuberculose. Il faut savoir quand la pratique est devenue illégale au Canada et que l’école en servait toujours à ses élèves sept ans plus tard. Tous ces documents dessinent le parcours des élèves, et je crois que c’est ce qui nous manque. Il ne s’agit pas d’une simple liste d’enfants disparus, mais bien de l’histoire des enfants.

Le sénateur Arnot : Chers témoins, j’aimerais revenir à la réalité qui empêche, en vertu de la loi actuelle sur la protection des renseignements personnels, l’accès aux dossiers. Je veux savoir si la politique qui sous-tend cette loi est encore pertinente. J’ai entendu aujourd’hui que la loi en vigueur permet la publication des dossiers pour le bien commun. On nous dit aussi que le ministre, ou la personne qui détient les pouvoirs, n’a pas utilisé ses pouvoirs discrétionnaires de façon à révéler la vérité.

Je crois comprendre que la divulgation des dossiers ne nuira pas aux personnes nommées dans les documents, mais que la loi fait du tort aux personnes, parmi nous aujourd’hui, qui n’ont pas les renseignements voulus. En taisant l’information, à qui faisons-nous du tort, et qui protégeons-nous?

M. Shackleton : À moins que quelqu’un refuse que ses dossiers soient divulgués, je crois que la démarche ne protège personne. Voilà l’opinion tout à fait valide dont nous font part certains survivants. Certains ont subi des expériences dans les pensionnats qu’ils ne veulent pas voir révéler au grand jour. C’est la raison pour laquelle il est crucial que les communautés déterminent comment les dossiers seront présentés lorsqu’ils seront en leur possession. Ces communautés gèrent déjà des dossiers médicaux. Ils détiennent des dossiers sur les services sociaux, entre autres. N’allons pas croire qu’elles sont incapables de protéger la confidentialité de documents. Or, elles ne peuvent pas mettre la main sur les documents, et c’est là le problème. Une survivante m’a dit qu’elle ne veut pas que son dossier soit divulgué, qu’elle ne veut pas que tout un chacun sache ce qu’elle a vécu. C’est toutefois aux communautés qu’il incombe de choisir comment elles composeront avec ces situations.

M. Sadowski : Je souscris à ce qu’on vient de dire, mais je dois ajouter que, à mon avis, le gouvernement du Canada s’inquiète du contenu de ces dossiers et des documents qui sont encore en sa possession. Il contrôle ces documents et, en les cachant, il se protège de la vérité.

Le président : Je ne vois aucune autre main levée, ce qui signifie que nous avons terminé la discussion avec ce groupe de témoins. Je désire remercier tous nos témoins de s’être joints à nous aujourd’hui. Si vous souhaitez fournir d’autres renseignements, je vous invite à les envoyer à notre greffière, Mme Mugny, d’ici une semaine.

Nous allons maintenant entendre des représentants de ministères fédéraux qui refuseraient l’accès à des dossiers essentiels pour documenter la vie et la mort des enfants autochtones qu’on a obligés à fréquenter des pensionnats indiens, des externats autochtones et d’autres établissements.

Nous accueillons plus précisément des représentantes du groupe de la Résolution et des partenariats : Garima Dwivedi, la sous-ministre adjointe, et Kristi Carin, la directrice générale. Nous recevons également des représentantes de Bibliothèque et Archives Canada : la sous-ministre adjointe du Secteur de l’expérience des usagers et de la mobilisation, Jasmine Bouchard, et la directrice générale de la Direction générale des documents gouvernementaux du Secteur des collections, Emily Gusba. Nous vous remercions d’être parmi nous aujourd’hui.

Les témoins vont prononcer des déclarations liminaires d’environ cinq minutes chacune, avant une discussion avec les sénateurs. J’invite Garima Dwivedi à prononcer la sienne.

Garima Dwivedi, sous-ministre adjointe, Résolution et partenariats, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada : Merci beaucoup, monsieur le président.

Kwe kwe, ullukkut, tansi, bonjour.

[Français]

Bonjour. Je tiens à souligner que je m’adresse à vous aujourd’hui depuis le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.

[Traduction]

Je m’appelle Garima Dwivedi et je suis sous-ministre adjointe de la Résolution et des partenariats à Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, ou RCAANC. Mon secteur est notamment responsable de l’initiative de communication de documents relatifs aux pensionnats indiens, de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens et des appels à l’action 72 à 76, y compris le Fonds de soutien communautaire pour les enfants disparus des pensionnats.

J’aimerais remercier les membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones d’avoir invité RCAANC à participer à la séance d’aujourd’hui au sujet de leur rapport intitulé Honorer les enfants qui ne sont jamais rentrés auprès des leurs : vérité, éducation et réconciliation.

Le fait d’aborder les séquelles laissées par les pensionnats est au cœur de la réconciliation et du renouvellement de la relation entre les survivants, leurs familles et leurs communautés, et tous les Canadiens. La découverte de tombes anonymes sur les anciens sites des pensionnats indiens au Canada est un rappel tragique des mauvais traitements infligés aux enfants autochtones dans ces établissements.

Les survivants, les communautés et les organisations les représentant nous ont fait part de la nécessité évidente de diffuser d’autres documents relatifs aux pensionnats indiens afin de garantir que les informations sur l’histoire des pensionnats et sur l’administration de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens sont accessibles. RCAANC s’engage à continuer à faire tout en son pouvoir pour diffuser les documents relatifs aux pensionnats en possession du gouvernement, tout en respectant les souhaits des survivants, les lois, les ordonnances des tribunaux, les ententes de règlement et les processus judiciaires en cours.

En vertu de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, toutes les parties étaient tenues de divulguer les documents relatifs aux pensionnats. Conformément aux directives de la Commission de vérité et réconciliation, ou CVR, le Canada a divulgué plus de quatre millions de documents. À la fin de son mandat en 2015, la CVR a remis sa collection de documents au Centre national pour la vérité et la réconciliation, ou CNVR.

En décembre 2021, une nouvelle approche pour la communication de documents relatifs aux pensionnats a été annoncée. Elle comprend un processus pour entreprendre un examen élargi des documents existants sans se limiter à ceux qui sont déjà diffusés. On garantira ainsi la transparence et la communication complète de tous les documents pertinents additionnels.

Dans le cadre d’un examen initial de la portée, les ministères et organismes du gouvernement du Canada ont ciblé jusqu’à 23 millions de documents supplémentaires liés aux pensionnats et à la mise en œuvre de la convention. Il s’agit notamment de certains doubles de dossiers déjà fournis au CNVR.

En plus de l’examen interne, une nouvelle structure a été créée pour régir la communication de documents. Le Comité consultatif sur les documents relatifs aux pensionnats indiens, présidé par Cadmus Delorme, ancien chef de la Première Nation de Cowessess, a été créé afin de cerner et de proposer des recommandations pour la communication de documents pertinents présentant un intérêt historique.

Huit membres du comité devaient être identifiés lors de consultations avec le Centre national pour la vérité et la réconciliation, l’Assemblée des Premières Nations, l’Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis. Il y a actuellement six membres, et deux autres sont à venir. Les six membres sont : Eugene Arcand, survivant, Première Nation de Muskeg Lake, Saskatchewan; Maata Evaluardjuk-Palmer, survivante, Mittimatalik, Pond Inlet, Nunavut; Shirley Horn, survivante, Première Nation des Cris de Missanabie, Ontario; Brenda Macdougall, présidente de la recherche sur les Métis, Université d’Ottawa; Gwen Point, survivante intergénérationnelle, Première Nation de Skowkale, Colombie-Britannique; Ted Quewezance, survivant, Première Nation de Keeseekoose, Saskatchewan.

Le comité comprendra également des membres de 13 ministères et organismes fédéraux. Le Centre national pour la vérité et la réconciliation y est représenté, ainsi que l’Interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et sépultures anonymes.

Le comité fera des recommandations au gouvernement quant à l’élimination des obstacles qui limitent l’échange de documents. L’une de ses principales priorités est de veiller à ce que les points de vue des parties prenantes, notamment ceux des survivants, des communautés et des organismes autochtones, soient pris en compte lors des discussions et pour la prise de décisions.

Pour ce qui est du Centre national pour la vérité et la réconciliation, le CNVR, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada s’est engagé à lui fournir un financement de 24,9 millions de dollars sur cinq ans afin de l’aider à s’acquitter de son important mandat. Ce mandat consiste à préserver l’histoire des pensionnats, honorer les vérités des survivants, mener des recherches pour appuyer la guérison en continu, promouvoir la compréhension du système des pensionnats et l’enseignement en la matière. Le ministère continue de travailler en étroite collaboration avec le CNVR sur toutes les activités connexes. Aux fins d’examen, le CNVR a soumis une version révisée d’une proposition de financement pour soutenir les travaux en cours.

Le Fonds de soutien communautaire pour les enfants disparus des pensionnats de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada fournit des moyens financiers aux communautés et familles autochtones qui souhaitent faire des recherches afin de localiser et de documenter les lieux de sépulture associés aux anciens pensionnats indiens. Au 11 septembre 2023, le ministère avait reçu 149 demandes de financement pour un montant de 380,5 millions de dollars sur quatre ans. Jusqu’ici, 117 demandes ont été approuvées, pour un total de 160,4 millions de dollars. Le programme évalue actuellement une autre demande de financement de 70,6 millions de dollars. Les communautés et l’interlocutrice spéciale nous ont demandé de prolonger le programme jusqu’en 2033. Nous continuons à évaluer l’intérêt et les besoins des communautés.

En ce qui concerne les appels à étendre ce programme à des sites ne relevant pas de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada évalue au cas par cas les demandes de suivi concernant les enfants qui auraient été déplacés d’un pensionnat reconnu à un autre établissement géré par le gouvernement fédéral. L’approche du ministère à l’égard des établissements gérés par le gouvernement fédéral et ne relevant pas de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens continuera d’être élaborée en collaboration avec divers groupes de survivants. Il sera primordial de veiller à ce que les expériences particulières de ces personnes soient entendues et prises en compte dans l’élaboration des approches.

Le Canada reconnaît l’importance de préserver et de faire circuler la documentation afin d’honorer la mémoire des enfants qui ont fréquenté les pensionnats. À cette fin, nous continuerons de travailler en étroite collaboration avec le Comité consultatif sur les documents et le CNVR.

Je me ferai un plaisir de répondre aux questions du comité.

Meegwetch. Qujannamiik. Marsee. Thank you. Merci.

Le président : Merci, madame Dwivedi. J’invite maintenant Mme Bouchard à nous livrer sa déclaration liminaire.

[Français]

Jasmine Bouchard, sous-ministre adjointe, Secteur de l’expérience des usagers et mobilisation, Bibliothèque et Archives Canada : Mesdames et messieurs les membres du comité, merci de m’avoir invitée à m’adresser à vous aujourd’hui. Je m’appelle Jasmine Bouchard. Je suis sous‑ministre adjointe à Bibliothèque et Archives Canada (BAC) et je suis responsable de l’expérience des usagers et de la mobilisation. Mon équipe coordonne notamment les relations avec les collaborateurs de BAC, y compris notre relation avec le Centre national pour la vérité et la réconciliation. Je suis accompagnée d’Emily Gusba, directrice générale des documents gouvernementaux.

Dans son rapport intitulé Honorer les enfants qui ne sont jamais rentrés auprès des leurs, le comité demandait à Bibliothèque et Archives Canada d’accélérer le transfert des dossiers liés aux pensionnats autochtones vers le Centre national pour la vérité et la réconciliation. Le comité demandait aussi que Bibliothèque et Archives Canada lui fasse rapport de l’état d’avancement de ces travaux d’ici décembre 2023. Je suis ici aujourd’hui pour vous parler des façons dont Bibliothèque et Archives Canada se mobilise pour répondre à cette recommandation.

Entre 2008 et 2015, Bibliothèque et Archives Canada a transmis à la Commission de vérité et réconciliation plus de deux millions de pages liées à l’histoire des pensionnats. Ces documents ont ensuite été intégrés aux collections du Centre national pour la vérité et la réconciliation.

En 2015, lors de la cérémonie de clôture de la Commission de vérité et réconciliation, Bibliothèque et Archives Canada a déposé une lettre dans la boîte de bois cintré, marquant notre intention de continuer à soutenir les travaux du Centre national pour la vérité et la réconciliation au-delà de la réalisation de nos obligations juridiques.

Depuis ce temps, BAC a intégré dans ses activités le repérage de dossiers pertinents et leur transfert au Centre national pour la vérité et la réconciliation. Par exemple, cet été, nous avons repéré et transféré 40 000 pages de la série de dossiers relatifs aux écoles. Après la publication du rapport du comité, nous avons rapidement repéré 32 documents audiovisuels gouvernementaux à transférer au Centre national pour la vérité et la réconciliation. Ces documents seront traités et transférés cet automne.

Bibliothèque et Archives Canada s’affaire également à repérer et à numériser jusqu’à six millions de pages de dossiers gouvernementaux traitant des externats. Ces documents n’étaient pas visés par la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. Nous en sommes au début du processus, c’est-à-dire à l’étape du repérage des dossiers. Nous estimons qu’il faudra deux ans pour compléter le projet.

Nous discutons activement avec le Centre national pour la vérité et la réconciliation en vue du transfert progressif du plus grand nombre de documents possible. Nous sommes conscients de l’importance cruciale que revêtent ces documents pour les survivants, leurs proches et leurs communautés, et nous comprenons bien leur déception face à tout délai. Toutefois, le processus est relativement long, notamment parce que les documents sont éparpillés un peu partout au pays. De plus, Bibliothèque et Archives Canada doit trouver un équilibre entre son obligation de donner accès aux documents et son obligation d’assurer la protection des renseignements personnels.

En bref, nous continuons de progresser dans nos travaux et nous devrions être en mesure de vous présenter notre rapport d’étape d’ici décembre 2023.

J’aimerais également souligner le profond impact que la Commission de vérité et réconciliation a eu sur Bibliothèque et Archives Canada. À titre de responsable des archives historiques du gouvernement, notre institution a joué un rôle important en fournissant des documents à la commission, ainsi qu’au Centre national pour la vérité et la réconciliation par la suite.

Cet engagement a transformé Bibliothèque et Archives Canada et nous a motivés à repenser la façon dont nous soutenons les groupes et les personnes qui souhaitent raconter leur propre histoire. Au-delà de son simple rôle de « mémoire du gouvernement », Bibliothèque et Archives Canada se veut aujourd’hui un partenaire qui appuie activement les communautés partout au pays et qui relaie toute une gamme d’expériences, de perspectives et de récits.

En tant qu’institution gardienne de nombreux récits, Bibliothèque et Archives Canada reconnaît que, sans vérité, il ne peut y avoir de réconciliation; nous poursuivons nos efforts en vue d’offrir le meilleur accès possible eu égard aux dossiers des pensionnats autochtones.

Nous sommes heureux de soutenir le Sénat dans ses travaux sur cet enjeu et nous répondrons avec plaisir à vos questions.

Merci.

[Traduction]

Le président : Merci, madame Bouchard.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Je vais commencer avec cette question qui s’adresse à vous deux.

Comme suite aux témoignages antérieurs entendus par le comité, pouvez-vous cerner les dispositions exactes de la Loi sur la protection des renseignements personnels et des régimes d’accès à l’information qui empêchent les ministères de permettre l’accès aux dossiers? Pouvez-vous également nous fournir une liste détaillée de tous les documents que le gouvernement fédéral retient actuellement concernant les pensionnats, les externats, les hôpitaux, les sanatoriums et les sites connexes? Enfin, pouvez-vous décrire la procédure exacte que le gouvernement fédéral exige des survivants, de leurs familles et de leurs communautés pour accéder à ces dossiers? Quels sont les exigences et les coûts particuliers de ces demandes? Quel est le nombre de demandes qui ont été reçues et traitées au cours de la dernière décennie, et quels sont vos délais de traitement?

Si vous n’êtes pas en mesure de répondre maintenant à ces questions, nous vous serions très reconnaissants de vous engager à nous fournir une réponse écrite avant la fin du mois.

Mme Dwivedi : Monsieur le président, je me demande si vous pouvez répéter cette liste. Il y a certaines réponses que je pourrais peut-être donner aujourd’hui, et d’autres pour lesquelles nous devrons solliciter le point de vue du ministère.

Le président : Pourriez-vous cerner les dispositions exactes de la Loi sur la protection des renseignements personnels et des régimes d’accès à l’information qui empêchent les ministères de permettre l’accès aux dossiers? Pourriez-vous nous fournir une liste détaillée de tous les documents que le gouvernement fédéral retient actuellement concernant les pensionnats, les externats, les hôpitaux, les sanatoriums et les sites connexes? Enfin, pourriez-vous nous indiquer la procédure exacte que le gouvernement fédéral exige des survivants, de leurs familles et de leurs communautés pour accéder à ces dossiers? Plus précisément, quels sont les exigences et les coûts, quel est le nombre de demandes reçues et traitées au cours de la dernière décennie, et quels sont les délais de traitement?

Mme Dwivedi : Monsieur le président, je commencerai par la question portant sur les détails de l’ensemble des dossiers, y compris de ceux qui concernent les externats et les autres établissements.

En ce qui concerne les pensionnats, je dirais que l’un des principaux mandats du Comité consultatif sur les documents relatifs aux pensionnats indiens est d’examiner le potentiel et de fournir des conseils aux ministères sur ce qui constitue des documents connexes. C’est là le travail du comité consultatif. J’ai vérifié auprès de son président, Cadmus Delorme, et il m’a dit que si le comité avait de l’intérêt à cet égard, il serait prêt à comparaître pour exposer le travail du comité. Le comité s’est réuni une fois en juin; sa deuxième réunion aura lieu en octobre.

Pour d’autres établissements — par exemple les pensionnats qui faisaient partie de la Convention de règlement d’Anderson à Terre-Neuve-et-Labrador —, les survivants ont choisi de garder les documents à proximité des communautés concernées, donc au Labrador. Pour d’autres groupes de survivants, comme ceux visés par l'Entente de règlement ayant trait à la rafle des années 1960, l’une des dispositions de cette convention était que leurs documents soient confiés à la fondation de guérison de la rafle des années 1960 — la Sixties Scoop Healing Foundation —, conformément aux souhaits des survivants. Nous honorons et respectons les souhaits de chaque groupe de survivants.

Pour ce qui est des détails concernant les dispositions exactes, le processus et le nombre de survivants au cours de la dernière décennie, je pourrai vous les fournir par écrit à une date ultérieure.

[Français]

Mme Bouchard : Merci de poser cette question. Comme ma collègue l’a précédemment formulé, nous allons vous revenir avec des détails concernant les dispositions législatives de la loi et la grande quantité de documents à transférer ou à ouvrir.

Avant de vous envoyer plus de détails, j’aimerais vous dire un mot au sujet du processus d’accès. Bibliothèque et Archives Canada offre différents mécanismes pour accéder aux documents historiques qui se trouvent dans ses entrepôts. Le premier est un service de référence spécifique aux communautés autochtones qui a été mis sur pied au cours des derniers mois. Nous pouvons compter sur des experts provenant des différentes communautés qui peuvent aider les gens à naviguer dans l’immense quantité de documents dont nous prenons soin.

Nous avons aussi des personnes-ressources qui connaissent bien l’expérience vécue par les gens qui nous approchent et qui peuvent donc bien les guider à travers les différents services et les méandres de nos processus. Nous pourrons vous envoyer plus de détails sur le nombre de demandes reçues au cours des années et sur la façon d’accéder à ces services.

J’aimerais aussi ajouter un bref commentaire sur le processus ayant trait aux demandes d’accès à l’information. À propos des demandes concernant les documents qui ne sont pas ouverts et qui renferment souvent de l’information confidentielle, Bibliothèque et Archives Canada a reçu des sommes d’argent substantielles, au cours des dernières années, afin de traiter le vaste retard accumulé. Un grand effort a été fait à ce sujet et nous en sommes toujours à rattraper tout le temps perdu. Nous pourrons ultérieurement vous donner une idée de la mesure de cet effort à l’aide de données chiffrées.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : Cette question s’adresse au ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord et à Mme Dwivedi en particulier. Je crois savoir que vous avez mis sur pied un comité consultatif sur les documents relatifs aux pensionnats indiens, avec Cadmus Delorme, Ted Quewezance et Eugene Arcand. Je connais ces personnes. Je suis certain qu’ils vont faire un excellent travail. Quand ce comité a-t-il été créé? Vous dites qu’il n’a tenu qu’une seule réunion, alors que deux autres personnes doivent y être ajoutées.

Je pose cette question dans le cadre de ce dossier : le Centre national pour la vérité et la réconciliation nous a fait parvenir une lettre en avril 2023 qui renvoyait à une lettre qu’il vous avait envoyée en mars 2022. Le CNVR demande au comité de soutenir et d’accélérer l’officialisation par le Canada d’un partenariat avec le Centre national pour la vérité et la réconciliation afin de produire des informations statistiques agrégées et dépersonnalisées. En d’autres termes, des données très génériques, non désagrégées et non identifiées. Quel est l’état d’avancement de la proposition de partenariat entre le Centre national pour la vérité et la réconciliation et le gouvernement du Canada en vue de fournir ce type de renseignements très génériques? Ce projet est-il toujours en cours?

Mme Dwivedi : Merci beaucoup de votre question, sénateur.

Monsieur le président, le Comité consultatif sur les documents relatifs aux pensionnats indiens a tenu sa première réunion à la fin de juin 2023. Sa deuxième réunion aura lieu en octobre. Il est en train de définir la portée de son travail et de cerner des orientations à l’intention des ministères. Le but est de faire en sorte que nous ayons une approche cohérente et d’éviter que nous ayons à le refaire plus tard. C’est ce que nous avions fait pour la Commission de vérité et réconciliation — nous avons transféré plus de quatre millions de documents —, mais il y avait d’autres documents connexes. Par exemple, qu’est-il advenu des bâtiments lorsqu’ils ont cessé d’être utilisés? Il y a toutes sortes de détails et de documents.

Les ministères et organismes s’attendent à ce que le comité consultatif leur fournisse des conseils de manière à ce que nous ayons une approche standardisée pour procéder à l’examen des documents pertinents, ainsi que des conseils concernant les étapes subséquentes. Comment passer en revue ces documents et identifier ce qui fait double emploi? Comment les transférer au CNVR? C’est un processus énorme en soi. Cela prendra du temps. Comme je l’ai mentionné, nous avons réalisé l’exercice initial qui consistait à délimiter le champ d’application, mais ce n’est qu’une première étape. Selon les orientations qui seront données par le comité consultatif — ces personnes, les survivants et les experts —, nous pourrions avoir un différent exercice de cadrage ou avoir à procéder à l’ajout d’éléments. Nous comptons vraiment sur eux pour cela, car ce n’est pas nous qui devrions mener la barque. Ce sont eux qui dirigent.

Le sénateur Arnot : Savez-vous si le Centre national pour la vérité et la réconciliation est satisfait de cela? Est-il un partenaire dans la mise en place de ce comité?

Mme Dwivedi : Oui, et il fait également partie du comité, au même titre qu’un représentant. L’interlocutrice spéciale a été invitée et un représentant de son bureau fait également partie de ce comité.

Le sénateur Arnot : J’ai l’impression que cela pourrait prendre beaucoup de temps, un certain nombre d’années, pour que ce comité fasse son travail. Est-ce exact?

Mme Dwivedi : Je pense que vous devriez poser cette question au président. Je ne veux pas parler en leur nom. Nous avons recensé 23 millions de documents dans l’ensemble des ministères et organismes du gouvernement. Au sein du ministère auquel j’appartiens, Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord Canada, nous en avons recensé 13 millions. Je pense qu’il faudra un certain temps pour les passer en revue. Je ne sais pas combien de temps cela prendra. Je ne suis pas une experte en technologies de l’information, je ne peux donc pas me prononcer.

Le sénateur Tannas : Pour faire suite à cela, les documents que vous avez repérés sont-ils tous numérisés?

Mme Dwivedi : Merci beaucoup de me poser la question.

Ils ne sont pas tous numérisés, et ce travail est également nécessaire. Différents ministères détiennent différents types de documents.

Le sénateur Tannas : Donc, pour l’ensemble de cette démarche — quelqu’un a parlé de 14 ministères — vous avez fait beaucoup de travail pour trouver ce qui pourrait convenir. Il est question d’environ 25 millions de documents. Au moins, nous avons un point de départ qui nous permet de dire : d’accord, il y a 25 millions de documents qui doivent aller quelque part. Les chercheurs, comme nos amis du dernier groupe, sauront alors qu’ils peuvent accéder à ce dont ils ont besoin par l’intermédiaire du Centre national pour la vérité et la réconciliation au nom de leurs clients ou des personnes pour lesquelles ils travaillent bénévolement. C’est une bonne chose.

En ce qui concerne la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, quand a-t-elle été mise en place? Je crois que c’était en 2013, non?

Mme Dwivedi : La convention de règlement a été signée en 2005.

Le sénateur Tannas : Il y a donc 18 ans. Pouvez-vous confirmer que vous avez respecté les engagements de fournir les documents prévus aux termes de cette convention particulière?

Mme Dwivedi : Dans le cadre de cette entente et sous les conseils de la Commission de vérité et réconciliation, nous avons transféré plus de quatre millions de documents à la commission, qui les a ensuite transférés au Centre national pour la vérité et la réconciliation. Après cela, nous sommes aussi revenus en arrière, car certains de ces documents et la technologie de l’époque n’étaient pas aussi bons. Des images à plus haute résolution de certains de ces documents ont donc aussi été fournies au CNVR au cours des deux dernières années.

Le sénateur Tannas : Amélioration des documents existants. Vous pouvez cependant confirmer que, selon les termes de cette convention, 18 ans plus tard, nous en avons fini avec cela? Nous parlons maintenant d’un champ d’application plus large parce que nous nous rendons compte qu’il y a des hôpitaux et toutes sortes d’autres établissements et activités connexes qui n’étaient pas visés par cette convention. Est-ce exact?

Mme Dwivedi : C’est exact.

Le sénateur Tannas : Et c’est là qu’intervient l’initiative de partage des documents de 2021. C’est bien cela?

Mme Dwivedi : Merci de cette question.

Nous reconnaissons que ce qui a été partagé en 2015 répondait aux exigences de la ​Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. En même temps, il y a d’autres documents relatifs aux pensionnats qui seraient vraiment utiles pour les communautés. Je vais donner un exemple. Il y a peut-être une photo d’enfants qu’un ministère possède et qui pourrait aider une communauté à repérer un enfant dans un établissement particulier. Il peut y avoir des documents qui sont utiles pour des recherches plus approfondies. Il s’agit donc de répertorier tous ces autres documents connexes qui pourraient être utiles aux communautés ou aux personnes qui effectuent des recherches. Je ne veux pas dire que nous avons défini ce que seront ces documents, car nous attendons du comité consultatif qu’il brosse un portrait de l’étendue de ce travail et qu’il définisse les types de documents à rechercher. Nous ne voulons pas que ce soit le gouvernement qui décide.

Le sénateur Tannas : Je suis curieux. En 2021, une initiative envisage la création de ce comité. Nous sommes dans la troisième année après la prise de cette décision, et le comité s’est réuni une fois. Combien de temps s’est-il réuni? Combien d’heures?

Mme Dwivedi : Merci beaucoup de cette question.

Lors de sa première réunion, le comité s’est réuni pendant deux jours. Il s’agissait d’une réunion en personne de deux jours. Une réunion est prévue en octobre. Je crois qu’elle durera deux jours, mais je vais demander à ma collègue Kristi Carin de le confirmer.

Kristi Carin, directrice générale, Résolution et partenariats, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada : Je vous remercie.

Oui, sénateur, la première réunion a eu lieu en juin de cette année. La deuxième réunion aura lieu en octobre et elle durera deux jours.

Le sénateur Tannas : Vous attendez-vous à ce que le rythme s’accélère? Les gens ne vivent qu’un certain temps; il y a beaucoup de gens qui cherchent des réponses. Nous avons un comité qui a été créé il y a presque trois ans, qui s’est réuni une fois et qui se réunira à nouveau en octobre. D’ici 2024, il se sera réuni deux fois. Selon vous, s’agit-il d’une réussite? Est-ce là où vous pensiez en être aujourd’hui lorsque cette initiative vous a été confiée en 2021?

Mme Dwivedi : Merci beaucoup de cette question.

Je ne veux pas parler au nom du président du comité pour ce qui est de la fréquence des réunions ou de la portée et des exigences des membres du comité, parce que cela ne se produit pas seulement en comité. Cela se fait aussi entre les réunions. Nous sommes très respectueux et reconnaissants des conseils qui ont été fournis et qui, j’en suis sûr, continueront d’être fournis aux ministères et organismes gouvernementaux.

Le sénateur Tannas : Le rythme est-il plus lent que ce que vous aviez prévu, ou pensiez-vous que c’est le temps qu’il vous faudrait pour arriver là où vous en êtes actuellement?

Mme Dwivedi : Je vous remercie de la question.

Je suis très respectueuse de la contribution des membres du comité et de leur approche pour ce qui est de la fréquence de leurs réunions.

Le président : Madame Dwivedi, la Children of the Shingwauk Alumni Association a demandé l’accès au Registre des Indiens, qui pourrait contenir de l’information précieuse pour identifier deux garçons et deux filles qui sont décédés lorsqu’ils fréquentaient le pensionnat de Shingwauk à Sault Ste. Marie, en Ontario, au début des années 1900. Pourriez-vous nous fournir par écrit, si possible, les politiques de gestion de l’information entourant le Registre des Indiens? Quel genre de recherches les fonctionnaires de Services aux Autochtones Canada ont-ils menées pour déterminer qu’il n’y avait pas de renseignements utiles à transmettre?

Mme Dwivedi : Monsieur le président, je peux vous fournir par écrit les politiques de gestion de l’information de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada.

Le président : Comment le ministère établit-il les priorités pour l’accès aux dossiers? Le gouvernement accorde-t-il la priorité aux dossiers qui portent sur des litiges, comme l’a laissé entendre le témoin précédent?

Mme Dwivedi : C’est une question complexe, et je crois qu’il n’y a pas de réponse simple, car nous recevons beaucoup de demandes d’accès à l’information. Nous y répondons dans les meilleurs délais. Certaines demandes exigent beaucoup plus de recherches que d’autres et nécessitent donc plus de temps à l’interne. La réponse n’est pas simple, car cela dépend de la complexité de l’information qui est demandée.

Le président : J’ai une dernière question : combien de temps doivent attendre les gens, en moyenne, lorsqu’ils présentent une demande d’accès à l’information?

Mme Dwivedi : Monsieur le président, je peux vous revenir avec une réponse précise par écrit à ce sujet.

Le président : Je vous remercie.

La sénatrice Coyle : Je remercie les témoins de leur travail et de leur présence aujourd’hui. C’est bon de vous voir au premier jour de notre retour au Sénat pour la session d’automne. Je m’excuse de mon arrivée un peu tardive. Nous avons été frappés par un ouragan en Nouvelle-Écosse.

J’essaie de comprendre les différents facteurs. Bibliothèque et Archives Canada et le ministère ont, bien entendu, chacun les leurs dans leur domaine. Il y a eu beaucoup de pressions externes qui n’ont pas donné de résultats satisfaisants pendant longtemps, et c’est pourquoi nous avons cette conversation. Nous avons maintenant un comité qui, et c’est tant mieux, a commencé ses activités, et c’est un élément très positif. La volonté politique est habituellement ce qui fait avancer, et accélérer, un dossier.

J’ai quelques questions. Depuis la création de ce comité, le ministère a un nouveau ministre. Je sais qu’il entreprend à peine son mandat, mais je me demande s’il existe déjà un engagement au niveau politique dans ce dossier et quelle est sa nature. Je présume que Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada sera le ministère responsable parce qu’il est le plus intéressé et détient la majeure partie des dossiers, même si de toute évidence il y en a un peu partout.

Dans chacun de vos domaines, à votre avis et selon votre expérience, que peut-on faire pour accélérer le processus? Vous savez beaucoup mieux que nous ce qui se passe à l’interne. Des gens sont venus nous parler de leurs frustrations, et c’est un problème qu’il faut régler. Le comité sera utile en ce sens, mais vous avez beaucoup d’expérience et vous savez ce qui fait bouger les choses. J’aimerais bien que vous nous parliez de ce qui, selon vous, serait vraiment utile pour faire avancer le processus de manière beaucoup plus efficace.

Mme Dwivedi : Je vous remercie beaucoup. Je suis heureuse que votre voyage se soit bien passé, et j’espère qu’il n’y a pas eu trop de dommages.

Au sujet du nouveau ministre, je peux vous dire que c’est un dossier qu’il a à cœur. Je ne peux pas vous parler de la dimension politique, mais je peux vous dire qu’il s’y intéresse activement.

Pour ce qui est d’accélérer le processus, c’est une discussion que nous avons eue aussi à l’interne. Il est important de ne pas négliger des éléments ou des documents qui pourraient être importants pour les survivants ou les communautés, mais aussi d’être respectueux du fait que nous ne sommes pas aux commandes, alors il faut conjuguer ces deux éléments. Les recommandations du comité consultatif seront cruciales pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de lacunes.

Je ne suis pas experte en technologie, mais je pense que nous progressons à grands pas pour mieux comprendre la façon d’utiliser la technologie pour accélérer les choses. Cela fait partie du travail que nous faisons et que nous devrons continuer à faire, car c’est ce qui va faire une différence à mon avis par rapport à ce qui se faisait il y a à peine 10 ans. La technologie a beaucoup évolué, et j’espère que cela nous permettra d’accélérer le processus et de le rendre plus efficace, plus accessible et plus transparent que par le passé.

[Français]

Mme Bouchard : Je vous remercie de la question. Vous avez parlé de ce qui nous motivait à Bibliothèque et Archives Canada.

J’aimerais mentionner que nous avons publié un nouveau plan stratégique il y a quelques années. Bibliothèque et Archives Canada se veut une organisation centrée sur les usagers, qui répond aux attentes et aux besoins des Canadiens. L’un des enjeux auxquels nous sommes confrontés en raison de cette volonté d’améliorer l’accès à l’information et la transparence du gouvernement, c’est le fait que beaucoup de processus ont été conçus pour des demandes individuelles. En tant qu’individus, les gens veulent un document.

Aujourd’hui, les situations dans lesquelles nous nous trouvons font en sorte que nous devons faciliter l’accès à des masses substantielles de documents. Les processus conçus il y a 10 ou 20 ans ne répondent plus adéquatement aux besoins et ne permettent pas de gains d’efficience sur ce plan.

Bibliothèque et Archives Canada s’est engagé dans un processus visant à faciliter l’accès aux documents. Nous savons que certaines demandes d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels sont plutôt complexes et prennent beaucoup de temps. Donc, ce que nous voudrions, c’est pouvoir donner accès le plus possible en amont, pour que les gens soient informés du fait qu’ils doivent se rendre à ce genre de mécanisme. Nous savons que c’est souvent cela qui ralentit le processus et qui occasionne des délais pour les gens.

Nous examinons toutes sortes de mécanismes liés à la discussion que nous avons aujourd’hui. Nous voulons voir comment nous pourrions ouvrir davantage de documents. Nous voulons discuter avec les gens et déterminer quels sont leurs besoins dans le but de leur fournir les bonnes informations. Étant donné la masse de documentation dont nous disposons, nous ne pouvons pas non plus les submerger d’informations inutiles.

Pour Bibliothèque et Archives Canada, le principal enjeu dans cet effort en vue d’accélérer le processus, c’est la question du volume. Toutefois, nous sommes heureux d’être à la recherche de solutions avec tous les partenaires qui sont à la table.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Je vous remercie tous les deux de vos réponses. C’est important pour nous de comprendre vos défis pour nous aider à poser les bonnes questions.

Madame Dwivedi, vous avez mentionné la technologie à quelques reprises. Nous avons parlé des quantités astronomiques d’information. Je sais que les bibliothécaires et les archivistes sont d’excellents gestionnaires de l’information et qu’ils veulent répondre aux besoins de la population. Ils sont très souvent aux avant-postes des nouvelles technologies qui nous sont utiles. À l’heure actuelle, je n’en sais pas assez pour même imaginer si l’intelligence artificielle peut jouer un rôle positif dans ce cas, mais d’autres solutions technologiques nous aideront sûrement à effectuer une partie du travail qui était si fastidieux par le passé. Madame Dwivedi, vous avez dit ne pas être experte en technologie, mais j’aimerais savoir si ces solutions technologiques sont actuellement au cœur des efforts que déploient vos deux ministères pour presser le pas et atteindre le but.

Mme Dwivedi : Monsieur le président, pour répondre à la question, je vais reprendre un des exemples que j’ai mentionnés, soit le transfert au Centre national pour la vérité et la réconciliation des documents en utilisant une résolution supérieure à ce qui était possible dans le passé. C’est un exemple, et nous examinons d’autres solutions à mesure que le projet progresse, et encore une fois, nous allons consulter des experts pour nous guider dans ce domaine.

[Français]

Mme Bouchard : C’est sûr que l’on souhaite optimiser nos solutions numériques. On cherche différentes technologies qui assurent un transfert et un accès plus rapides et qui assurent aussi une transcription pour être en mesure de faire une lecture accélérée des documents. On regarde aussi du côté de l’intelligence artificielle. Comme tout le monde, on surveille les développements.

Dans le cas des archives historiques, l’un des enjeux pour Bibliothèque et Archives Canada, c’est qu’on a des archives de centaines de ministères. D’un ministère à l’autre, les formulaires et les rapports sont différents. Certains documents étaient manuscrits. Les technologies actuelles offrent des solutions aux problèmes que l’on a aujourd’hui. Parfois, il y a moins de solutions pour les problèmes qui ont été créés par le passé.

Par exemple, si on veut entraîner l’intelligence artificielle à reconnaître que le nom d’un élève est toujours à tel endroit dans un formulaire, si le nom a bougé souvent au fil des ans, c’est plus difficile d’utiliser ces technologies.

Je suis enthousiaste pour ce qui est des possibilités.

Cela étant dit, pour les documents historiques, il est parfois plus difficile de faire cette utilisation. On étudie assurément les possibilités sur le plan de la transcription pour faire une lecture plus rapide et pour déterminer ce que la standardisation nous permettra de faire pour ce qui est de l’intelligence artificielle.

[Traduction]

La sénatrice Greenwood : Je tiens tout d’abord à vous remercier pour tout le travail que vous avez fait et continuer à faire. Je vous en suis très reconnaissante.

J’ai quelques observations, en partie pour m’assurer de bien comprendre, puis j’aurais quelques suggestions. Il se peut que j’aie une question, alors pardonnez-moi si c’est un peu brouillon.

Des témoins nous ont parlé des lois et de la protection de la vie privée, etc., et nous avons entendu dire que des gens aimeraient communiquer l’information, mais qu’ils ont les mains liées par les politiques. Ce sont des commentaires que j’ai souvent entendus. Il doit être très difficile pour des gens de se retrouver dans ce genre de situation. J’en suis bien consciente. Au cœur de ce dilemme — et l’un de vous l’a mentionné —, il y a la notion de droits individuels par opposition aux droits collectifs, beaucoup plus vastes. L’individuel et le collectif s’affrontent ici.

Je dois vous dire que mon père a fréquenté un pensionnat. C’est donc pour moi une question qui me touche profondément, à la fois sur le plan personnel et professionnel.

Dans la réflexion sur les changements à apporter pour faciliter l’accès, je pense à l’époque où les enfants ont été enlevés. Ce ne sont pas seulement les enfants qui étaient touchés, mais aussi les familles et les communautés. Il s’agissait d’une politique globale. Si je comprends bien, on applique le contexte actuel à un contexte qui était alors très différent.

Je suis aussi très consciente que la réconciliation se fait sur différents fronts à la fois, et qu’une multitude d’engagements sont pris au pays, et c’est ce qui rend l’exercice très complexe. Tous les systèmes sont touchés. Pour avoir un portrait global, il faut penser que cela allait bien au-delà de l’enfant que l’on emmenait au pensionnat. Il faut tenir compte de tout le contexte dans lequel les événements se sont produits, et c’est ce qui rend l’exercice si vaste et complexe. Je pense donc à cet élément.

Je pense ensuite aux principes PCAP : propriété, contrôle, accès et possession. Ces principes sont-ils appliqués? Sont-ils pris en compte dans les lois sur la protection de la vie privée? Comment tout cela fonctionne-t-il ensemble? Ces principes ont été établis par les communautés, par les nations, alors comment sont-ils pris en compte? Ces dossiers appartiennent aux nations, aux familles, aux enfants. Oui, il peut arriver que certains ne veuillent pas que l’information contenue dans leurs dossiers soit communiquée, et je comprends cela, mais je pense que la question est plus vaste ici, et voici une piste de réflexion. Comment peut-on utiliser ces principes et d’autres établis par les nations pour protéger une information qui leur appartient?

Je pense aussi aux droits de la personne et aux actions qui ont été et seront menées pour les défendre et pour favoriser un plus grand accès à l’information, et je vais parler de quelques éléments dans un instant. Ce sont des droits qui sont très importants, pas simplement du point de vue individuel, mais aussi du point de vue collectif, à mon humble avis.

J’ai entendu parler de certaines stratégies que vous avez déjà mentionnées concernant la technologie. Cela peut être très utile, mais il y a des problèmes du côté des processus et de l’accès. Du côté des processus ou des lois, que peut-on faire pour améliorer la situation? Que faut-il faire pour que cela progresse, de la volonté politique, de l’action militante? Je ne sais pas. C’est une question que je me pose. Comment peut-on autoriser l’accès dans le cadre des processus? Pourquoi ne peut-on pas avoir des accords avec un accès ouvert? On ne peut pas déménager l’ensemble de la bibliothèque et des archives, mais alors que peut-on faire pour créer des accords plus ouverts?

Les questions et les tensions dont j’ai entendu parler portent aussi sur le fait de savoir qui détermine ce qui est pertinent. Je ne sais pas trop comment le dire, mais à mon humble avis, c’est un rôle qui revient aux nations. Ce sont leurs enfants, leurs familles et leurs communautés. Cela leur appartient et c’est à elles de déterminer ce qui est pertinent. Vous avez un comité, et je suis convaincue qu’il y aura beaucoup de discussions sur ce sujet.

Vous avez parlé de quelques stratégies sur lesquelles vous travaillez déjà. Il serait très important pour moi de comprendre la situation actuelle — et vous pourriez nous en dire plus à ce sujet —, de même que les avancées auxquelles je pourrais m’attendre dans deux ou trois ans si vous deviez revenir ici. J’aimerais savoir si ce que vous nous diriez à ce moment serait : « Nous avons commencé ici et maintenant nous en sommes là. Nous avons cet accord, le processus est ouvert, et voilà ce qui a changé. »

Je pense qu’il est important de garder à l’esprit ce qui s’est passé, l’histoire, quand on examine les tensions actuelles et qu’on cherche des stratégies novatrices pour honorer le passé et pour honorer les obligations et responsabilités que nous avons aujourd’hui. Je vous remercie de votre travail. C’est une question très complexe.

Le président : En guise de suivi aux observations très importantes de la sénatrice Greenwood, j’aimerais demander aux témoins de nous faire parvenir par écrit des explications détaillées sur l’application, par vos ministères respectifs, des principes des Premières Nations relatifs à la propriété, au contrôle, à l’accès et à la possession des dossiers.

Mme Dwivedi : Monsieur le président, nous pouvons fournir l’information par écrit.

Le président : Je vous remercie.

Le sénateur Tannas : J’écoute les discussions — et je trouve formidable d’entendre mes collègues qui parlent de ce sujet avec beaucoup plus d’éloquence que moi —, mais j’en reviens encore au comité et au fait qu’il y a eu une réunion en deux ans. J’ai relu le communiqué au sujet du comité, etc., et ses membres vont vous formuler des recommandations à propos de ce qui doit être inclus et exclu. Que se passera-t-il si vous ne les écoutez pas, ou encore, s’il vous faut des années pour examiner leurs recommandations? Tout cela n’est pas impossible. C’est une constance quand personne ne veut s’occuper d’un dossier au sein du gouvernement.

Je suis heureux que nous ayons trouvé 23 millions de dossiers. Pourrait-on les transférer dans leur forme actuelle et laisser le comité déterminer ce qui est pertinent et ce qui ne l’est pas? Il semble que chacun doive se présenter au comptoir pour demander un dossier précis, et ensuite finir ou non par l’obtenir. Pourquoi ne peut-on pas les leur remettre tous? Nous pourrions leur dire de les trier, de garder ceux qui sont pertinents et de retourner les autres. On éviterait ainsi de jouer au chat et à la souris. On éviterait, pour tout dire, de se retrouver dans une situation de confiance fragile à l’égard de potentiels progrès. Pourriez-vous me dire pourquoi cette idée est mauvaise et la vôtre est meilleure, à savoir que vous contrôliez les données, les 23 millions de dossiers dont vous avez parlé, dont 4 millions ont été remis, et qu’il y ait un comité qui a tenu une réunion en deux ans et qui un jour livrera sa réponse, à laquelle vous donnerez peut-être suite, et qui nous mènera peut-être quelque part quand nous serons tous morts?

C’est ma frustration qui s’exprime et elle n’a rien de comparable à celle des gens pour qui cette question compte énormément. Devrions-nous nous contenter de poursuivre gaiement sur cette voie? Nous tenons ces réunions parce que la direction du Centre national pour la vérité et la réconciliation nous a fait part de ses frustrations. J’ai l’impression qu’on part de A pour se rendre à B, puis à C, puis à D, au lieu de faire ce qu’on devrait faire, aller de A à D. Pouvez-vous nous dire pourquoi il faut continuer à fonctionner de cette façon plutôt que de remettre les dossiers aux propriétaires en les laissant faire le tri et établir les règles? Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez? Ne vous en faites pas si ce n’est pas possible. Je sais que ce n’est sans doute pas dans vos notes.

Mme Dwivedi : Je vous remercie beaucoup. Il y a beaucoup d’éléments dans votre commentaire.

Quand nous disons avoir ciblé environ 23 millions de documents, cela ne veut pas dire que nous savons exactement où ils se trouvent et que nous les avons en main. Tous les ministères ont procédé à un examen et c’est ce qu’ils pensent. Cela dit, il nous faut encore trouver ces documents dans nos archives.

De plus, nous avons besoin de l’avis du comité pour nous assurer de n’avoir rien oublié. Notre recherche pour tenter de déterminer le nombre de documents nous permet-elle de nous assurer que si le comité cherche des éléments connexes, nous ne les avons pas oubliés? C’est le travail qu’il reste encore à faire.

Je comprends votre frustration et celle des communautés qui sont à la recherche de ces documents. C’est la raison pour laquelle nous avons mis cela en place. Nous voulons rendre les documents accessibles, et nous voulons être transparents. La raison d’être du comité est de faire en sorte que l’exercice soit transparent et que rien ne reste caché.

[Français]

Mme Bouchard : Merci de votre question. Je peux ajouter un mot, pas vraiment à propos des travaux du comité dont fait partie Bibliothèque et Archives Canada, mais sur le fait que nous sommes certainement un facilitateur pour certains de ces dossiers.

Au sujet du traitement des documents relatifs aux pensionnats autochtones au sein de Bibliothèque et Archives Canada, différentes approches peuvent être considérées pour le traitement de ces dossiers. Nous mettrons en place un mécanisme en vue d’accélérer le transfert des documents; plutôt que d’attendre à la fin du projet, nous identifierons le plus rapidement possible les ensembles de documents qui pourraient être partagés rapidement avec le centre.

Nous préconiserons une approche graduelle et itérative afin de nous attaquer d’abord aux documents qui sont plus simples à traiter. Pour ceux qui sont plus complexes en raison de la protection des renseignements personnels, nous y viendrons en temps et lieu.

Je comprends bien que cela ne vous donne pas tout à fait satisfaction, car ce n’est pas demain matin qu’un transfert sera effectué; nous tentons de le faire progressivement afin de raccourcir les délais.

D’un point de vue logistique, le rapatriement de 23 millions de documents est extrêmement complexe; c’est l’une des raisons pour lesquelles on ne pourrait pas le faire demain matin. Cependant, nous sommes heureux d’examiner toutes sortes de solutions ou de possibilités pour accélérer cet accès.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : Je veux revenir au comité. Sa création a‑t-elle créé des retards pour les demandes d’information existantes? Le travail du comité aura-t-il une incidence sur le temps de réponse aux demandes d’information des particuliers, des chercheurs et des communautés qui ne font pas partie de ce groupe de surveillance?

Mme Dwivedi : La création du comité n’a causé aucun retard. Le comité ne s’occupe pas des réponses; il donne son avis sur l’identification des documents qui peuvent ensuite être communiqués au Centre national pour la vérité et la réconciliation.

Sénateur, j’ai oublié votre deuxième question.

Le sénateur Arnot : Le travail du comité aura-t-il une incidence sur le temps de réponse aux demandes des particuliers, des chercheurs et des communautés qui ne font pas partie de ce groupe de surveillance?

Mme Dwivedi : Dans le cas des particuliers et des chercheurs qui n’en font pas partie, le temps de réponse ne devrait pas changer. Le comité donne son avis aux ministères, mais il ne s’occupe pas des réponses aux demandes, alors il ne devrait pas y avoir d’incidence. Nous espérons, au fur et à mesure que le projet avancera, que l’accès sera plus facile et plus transparent pour tous. Un des objectifs est d’accroître l’accessibilité et la transparence du processus.

Le sénateur Arnot : Je vous remercie.

Le président : Notre temps avec ce groupe de témoins est maintenant écoulé. Je tiens à remercier encore une fois tous les témoins de leur présence. Je leur rappelle de faire parvenir par écrit à la greffière toutes les réponses aux questions en suspens avant la fin du mois.

(La séance est levée.)

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