LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 20 septembre 2023
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 45 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Note de la rédaction : Veuillez noter que ces délibérations peuvent contenir un langage pouvant choquer certaines personnes et qu’elles traitent de sujets sensibles qui peuvent être difficiles à lire.]
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, j’aimerais commencer par reconnaître que les terres sur lesquelles nous nous réunissons sont le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe et que de nombreux autres membres des Premières Nations, Métis et Inuits de toute l’île de la Tortue y vivent aujourd’hui. Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis d’Epekwitk, qu’on appelle aussi l’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du Comité permanent des peuples autochtones.
Avant de commencer notre réunion, je demanderai aux membres du comité présents de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou territoire.
Le sénateur Arnot : David Arnot, Saskatchewan, territoire du Traité 6.
La sénatrice Martin : Yonah Martin, Colombie-Britannique.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, parc national Banff, territoire du Traité 7.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Mi’kma’ki, Antigonish, Nouvelle-Écosse.
La sénatrice White : Judy White, Mi’kma’ki, Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Audette : Kwe, Michèle Audette, [mots prononcés en innu-Aimun], Québec.
Le président : Merci, honorables sénateurs. Nous poursuivons aujourd’hui la série de réunions d’information destinées à informer et à guider les travaux futurs de ce comité.
Avant de poursuivre, je tiens à signaler que cette réunion a trait aux pensionnats indiens, et que certaines personnes pourraient trouver son contenu dur à entendre. Toute personne souhaitant obtenir de l’aide peut le faire à tout moment, gratuitement, en appelant la ligne d’écoute téléphonique nationale de Résolution des questions des pensionnats indiens, au 1-866-925-4419, et la Ligne d’écoute d’espoir pour le mieux‑être, au 1-855-242-3310 ou en consultant le site Web www.espoirpourlemieuxetre.ca.
Je tiens à vous rappeler que, suite aux témoignages du Centre national pour la vérité et la réconciliation et du Bureau de l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens, le Comité permanent des peuples autochtones a publié, en juillet dernier, un rapport provisoire intitulé Honorer les enfants qui ne sont jamais rentrés auprès des leurs : vérité, éducation et réconciliation.
Ce rapport provisoire recommande notamment que le comité s’engage à organiser une réunion ou une audience publique avec les administrations, les églises, les entités et les autres parties qui n’ont toujours pas divulgué certains dossiers relatifs aux pensionnats et aux sites connexes. Au cours de la réunion de ce soir, nous continuerons d’entendre ces témoins.
J’aimerais maintenant présenter notre premier groupe de témoins : du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, Garth Eggenberger, coroner en chef, Bureau du coroner; du Bureau du coroner en chef de l’Ontario, Dr Dirk Huyer, coroner en chef pour l’Ontario; et du Bureau du coroner du Québec, Andrée Kronström, coroner.
Wela’lin. Merci à tous de vous joindre à nous aujourd’hui.
Les témoins auront environ cinq minutes pour présenter leurs observations liminaires, qui seront suivies d’une séance de questions et réponses avec les sénateurs. J’invite Garth Eggenberger à présenter ses observations préliminaires.
Garth Eggenberger, coroner en chef, Bureau du coroner, ministère de la Justice, gouvernement des Territoires du Nord-Ouest : Bonsoir, honorables membres du comité.
Les dossiers des Territoires du Nord-Ouest relatifs à l’expérience des pensionnats sont conservés dans deux endroits distincts, et il existe quelques chevauchements. Les dossiers du coroner des Territoires du Nord-Ouest datant de la Confédération jusqu’en 1967 sont conservés aux Archives du gouvernement du Canada à Ottawa, en Ontario. Le Bureau du coroner en chef des Territoires du Nord-Ouest n’a pas entrepris de recherche dans les documents de Bibliothèque et Archives Canada concernant les rapports du coroner produits entre 1867 et 1967. Cette recherche ne relève pas de la compétence de notre bureau.
Le Bureau du coroner en chef conserve les dossiers du coroner à partir de septembre 1967. Cette date coïncide avec le transfert du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest d’Ottawa à Yellowknife. Certains dossiers, datant de 1954 à 1967, ont également été apportés aux Territoires du Nord-Ouest et se trouvent dans nos archives.
En 2013, à la demande de la Commission de vérité et réconciliation ou CVR, le Bureau du coroner en chef des Territoires du Nord-Ouest a entrepris un examen de tous les décès d’enfants âgés de 0 à 18 ans survenus entre 1955 et 1992, à partir des dossiers conservés par notre bureau. En parallèle, un examen des dossiers conservés au Centre du patrimoine septentrional Prince-de-Galles relatifs aux décès d’enfants âgés de 0 à 18 ans survenus entre 1957 et 1992 a été mené à bien. Ces deux examens ont permis de recenser 360 décès d’enfants. Parmi ces décès, cinq ont été jugés être des décès d’enfants fréquentant un pensionnat ou vivant dans un foyer scolaire géré par le gouvernement fédéral.
Nous avions fourni à la Commission de vérité et réconciliation une feuille de calcul contenant des précisions sur ces décès. Il semble que la Commission de vérité et réconciliation n’ait jamais répondu à l’envoi de la feuille de calcul.
En juillet de cette année, nous avons appris l’existence du site Web du Centre national pour la vérité et la réconciliation ou CNVR et avons commencé à comparer les noms figurant sur ce site pour chaque pensionnat et foyer des Territoires du Nord‑Ouest avec les dossiers de notre coroner. Nous avons recensé un décès supplémentaire d’un enfant ayant fréquenté un pensionnat qui aurait dû être ajouté à la feuille de calcul que nous avons soumise à la Commission de vérité et réconciliation. Notre bureau compare actuellement les noms figurant sur le site Web du Centre national pour la vérité et la réconciliation avec les déclarations de décès des Territoires du Nord-Ouest pour la période allant de 1967 à aujourd’hui. Les documents relatifs à la plupart des cas que nous avons examinés ne permettent pas de déterminer avec certitude que la personne fréquentait un pensionnat.
Pour avancer, il est très important qu’il y ait une collaboration entre le Bureau du coroner en chef des Territoires du Nord-Ouest et d’autres parties qui pourraient disposer de documents contenant les noms de personnes qui ont fréquenté un pensionnat dans les Territoires du Nord-Ouest et de fournir ces noms à notre bureau. Sans collaboration continue, nous ne serons pas en mesure de répondre à l’appel à l’action 71 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, concernant les enfants disparus et les renseignements sur les sépultures.
Cet appel à l’action se lit comme suit :
Nous demandons à tous les coroners en chef et les bureaux de l’état civil de chaque province et territoire qui n’ont pas fourni à la Commission de vérité et réconciliation leurs dossiers sur le décès d’enfants autochtones dont les autorités des pensionnats avaient la garde de mettre ces documents à la disposition du Centre national pour la vérité et réconciliation.
Je vous remercie pour le temps que vous m’avez accordé. Je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Eggenberger. J’invite le Dr Huyer à présenter ses observations liminaires.
Dirk Huyer, coroner en chef pour l’Ontario, Bureau du coroner en chef de l’Ontario : Bonsoir à tous. Je m’appelle Dirk Huyer. Je viens de la province de l’Ontario. Je reconnais que je suis un colon sur ce territoire. J’ai passé de nombreux jours et de nombreuses heures à visiter des territoires, des Nations et diverses communautés sur cette grande terre dont je sais qu’on l’appelle l’île de la Tortue. J’apprécie ces visites et ces apprentissages, et j’ai encore beaucoup à apprendre.
C’est un honneur pour moi d’être ici avec vous ce soir pour parler des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation ainsi que des sépultures anonymes, et pour vous donner un aperçu de la situation en Ontario.
En 2012, comme Garth Eggenberger dans les Territoires du Nord-Ouest, nous avons aidé la Commission de vérité et de réconciliation à recenser les enfants disparus qui avaient été envoyés dans des pensionnats indiens et n’étaient jamais rentrés chez eux. Nous avons formé une équipe et avons mis au point un processus d’extraction, d’évaluation et d’examen des données d’enquête tirées des dossiers sur lesquels nous avons travaillé.
Nous avons utilisé ce que je décrirais comme une méthode non scientifique de reconnaissance des noms et des lieux. Cette méthode n’était pas aussi exhaustive qu’elle aurait pu l’être en raison des limites évidentes liées au fait que les enfants pouvaient avoir des noms anglais et que nous ne pouvions pas les identifier sur cette base. Nous avons cependant examiné toute une gamme de dossiers.
Il convient de garder à l’esprit que le coroner en chef des Territoires du Nord-Ouest, ainsi que la plupart des coroners du Canada, interviennent généralement lorsque quelqu’un meurt de façon soudaine et inattendue d’une mort non naturelle dans un contexte violent. Nous n’intervenons habituellement pas dans le cas d’une maladie infectieuse ou naturelle. Comme vous le savez sans doute, de nombreux enfants des pensionnats sont morts d’infections, et ces cas ne sont généralement pas signalés aux bureaux des coroners en chef du Canada. Il ne faut pas en conclure que ces cas sont sans importance ni que nous ne devrions pas nous y intéresser. Je parlerai plus en détail de ce que nous faisons dans ces circonstances.
Notre équipe a donc partagé le processus avec le Centre national pour la vérité et la réconciliation. Je crois que Garth Eggenberger nous a appris des choses ou que c’est nous qui avons appris des choses à Garth Eggenberger. Nous avons suivi un processus très similaire pour préparer les feuilles de calcul. Nous sommes remontés jusqu’au début des années 1900, au mieux de nos capacités, en consultant les archives et nos propres dossiers.
Comme M. Eggenberger, l’équipe a fourni une feuille de calcul contenant environ les noms de 100 personnes et de nombreuses personnes non identifiées qui ont été incluses en raison de l’endroit où elles se trouvaient. Nous ne savons toujours pas qui sont certaines de ces personnes. Il ne s’agissait pas nécessairement d’enfants. Nous avons examiné tous les cas possibles.
J’ai appris récemment que nous avions fourni la feuille de calcul, qui contenait un grand nombre de renseignements ainsi que les noms et les dossiers que nous connaissions, mais que nous n’avions pas fourni les dossiers. Je n’étais pas chargé de ce travail à l’époque, mais je crois que nous pensions qu’il s’agissait de noms pertinents et que nous attendions de savoir quels dossiers devaient être envoyés.
Cela dit, il s’agit d’une lacune. C’est quelque chose que nous assumons et reconnaissons. Nous sommes en train d’extraire tous ces dossiers de nos archives et de notre entrepôt hors site. Nous allons les fournir au Centre national pour la vérité et la réconciliation de la façon la plus cohérente possible, en collaborant avec lui.
Comme le disait M. Eggenberger, nous avons également examiné les noms répertoriés par le Centre national pour la vérité et la réconciliation. Seize d’entre eux ont été recensés après 1964, et font donc partie des dossiers que nous contrôlons actuellement. Sur ces 16 noms, il a été confirmé que 8 devaient faire l’objet d’une enquête de notre part. Nous fournirons évidemment ces dossiers, mais nous reconnaissons également que tous ces noms ne figuraient pas dans la feuille de calcul précédente, ce qui témoigne des limites du travail que nous avons effectué précédemment.
Toutes les dépouilles non identifiées nous ont également été signalées. Cela fait partie d’un examen plus large que nous menons relativement à toutes les dépouilles non identifiées depuis de nombreuses années. Nous les recensons en mettant l’accent sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et sur les sépultures anonymes trouvées dans les pensionnats. Nous examinons donc l’ensemble des différentes personnes non identifiées, afin de cerner tout lien géographique ou tout autre renseignement relatifs aux cas.
Nous avons constitué une équipe nommée Équipe d’enquête sur les décès dans les pensionnats, qui se compose de trois agents et d’un analyste civil. Ces personnes relèvent toutes de mon autorité en tant que coroner en chef, mais elles sont spécifiquement affectées à notre bureau. Elles examinent donc les éléments du point de vue du coroner, c’est-à-dire qu’elles répondent aux questions suivantes : qui est décédé, où et quand, quelle est la cause médicale du décès et comment est-il survenu. Nous avons également ajouté une sixième question, celle de l’endroit où les personnes peuvent avoir été enterrées. Nous examinons les éléments du dossier liés à ces six questions.
Ce travail a commencé en 2022 et relève de notre compétence, non pas d’un point de vue criminel, mais du point de vue du coroner qui doit répondre aux questions afin de pouvoir apporter des réponses aux familles, aux communautés, aux Nations et à d’autres parties.
Comme je l’ai dit, leur travail porte sur toutes les dépouilles non identifiées qui ont été découvertes. Nous avons regroupé environ 400 dossiers depuis le début des années 1960, afin de les évaluer, et nous en ajoutons encore. Nous tenterons ensuite d’établir des tendances et nous effectuerons des analyses pour essayer d’identifier certaines personnes.
Nous travaillons également en étroite collaboration avec l’interlocutrice spéciale indépendante. Elle nous a donné des conseils. J’ai été très touché par le fait qu’elle ait souligné notre travail dans son rapport de juin 2023, dans la section « Pratiques émergentes ». Nous pensons que nous devons avancer, remettre en question les normes de notre système et essayer de saisir les occasions de mieux faire les choses et de tirer des enseignements.
Grâce à l’évaluation des dossiers accessibles au public, notre équipe a trouvé des réponses pour 136 des 433 élèves répertoriés par le Centre national pour la vérité et la réconciliation. Nous faisons tout ce travail pour nous préparer. Si les communautés souhaitent communiquer avec nous et nous poser des questions, nous leur transmettrons ces dossiers et ces renseignements pour répondre à leurs questions concernant les enfants qui ont fréquenté les écoles et ceux qui sont décédés, et pour les aider à trouver l’endroit où ils pourraient être enterrés. Nous espérons pouvoir ainsi les aider.
Nous avons également recensé environ 79 décès supplémentaires dans les pensionnats de l’Ontario en plus des 18 qui n’étaient pas répertoriés par le Centre national pour la vérité et la réconciliation, et nous avons également répondu à la plupart de ces six questions.
Tous ces dossiers sont numérisés. Ils peuvent tous être partagés immédiatement avec les survivants, les communautés ou quiconque souhaite les consulter.
Tous nos travaux sont axés sur la communauté. Pendant que nous effectuons ce travail, nous ne nous déplaçons pas; nous sommes disponibles. Nous avons rencontré de nombreuses Nations et de nombreuses organisations différentes qui évaluent chaque école de l’Ontario. Nous offrons notre opportunité : ce que nous pouvons faire et ce que nous ferons. Nous pensons que la Loi sur les coroners de l’Ontario, la législation occidentale, nous donne la possibilité de recourir à notre autorité, si nécessaire, pour saisir des dossiers, des renseignements, pour répondre à nos questions, non pas d’un point de vue criminel, mais pour répondre à nos questions. Nous nous réunissons donc avec les communautés et partageons ces renseignements avec elles.
Pour conclure, je citerai l’exemple du pensionnat indien de Ste-Anne, où, encore une fois, en utilisant des dossiers accessibles au public, sans nécessairement faire le travail — nous le faisions pour être prêts au cas où la communauté nous demanderait de le faire — en plus des 24 élèves répertoriés, nous avons trouvé 7 élèves qui n’étaient pas répertoriés par le Centre national pour la vérité et la réconciliation. Tous ces dossiers ont d’abord été communiqués à la Première Nation de Fort Albany. Nous les avons contactés pour leur faire savoir que nous avions trouvé ces élèves. Nous entretenons des relations avec ce groupe. Nous n’avons pas travaillé ensemble, mais nous nous sommes rencontrés et nous avons discuté. Nous avons partagé ces renseignements avec le Centre national pour la vérité et la réconciliation.
Nous communiquons les dossiers de façon proactive. Nous reconnaissons ne pas l’avoir fait avant. C’était une erreur de ma part. Nous sommes convaincus que ceux que nous communiquons maintenant répondent vraiment aux besoins. Quant à ceux qui ne l’ont pas été, nous les évaluons et travaillons avec le Centre national pour la vérité et la réconciliation, le CNVR, et d’autres pour déterminer s’ils doivent l’être.
Nous sommes honorés d’avoir accès à la base de données du CNVR. Nous l’utilisons comme source d’information pour procéder à nos évaluations. Nous avons travaillé avec le CNVR pour y avoir accès afin que, grâce à notre pouvoir juridique, nous puissions répondre aux questions et, encore une fois, aider les autres. Nous poursuivons nos efforts pour trouver et fournir des réponses aux familles et aux communautés sur le décès de leurs êtres chers survenu dans un pensionnat indien.
Je serai heureux de répondre à vos questions. Je vous remercie.
Le président : Je vous remercie, docteur Huyer. J’invite maintenant Me Andrée Kronström à présenter sa déclaration liminaire.
[Français]
Me Andrée Kronström, coroner, Bureau du coroner : Bonsoir à tous.
[mots prononcés dans une langue autochtone], pour les membres de la communauté.
Ce soir, je représente le coroner en chef, principalement pour mon implication récente dans l’exhumation de deux jeunes bébés dans la communauté de Pessamit.
Bien entendu, je ferai une présentation sur le cadre législatif et le régime antérieur à 1986. Depuis 1986, qu’est-ce qu’on peut fournir sur le plan des archives? On assiste à une belle ouverture pour ce qui est du Secrétariat aux relations avec les Premières Nations et les Inuit, un organisme créé en marge de la commission d’enquête qui a permis de procéder à l’exhumation de deux jeunes bébés.
Donc, il faut d’abord savoir que les archives des coroners au Québec, telles que nous les connaissons aujourd’hui, ont été créées grâce à l’entrée en vigueur de la Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès en 1986.
Depuis le 1er novembre 2022, la loi s’appelle dorénavant la Loi sur les coroners. La loi de 1986 et celle de 2002 prévoient que le coroner en chef a la garde des archives des coroners; avant cela, il n’y avait pas d’archives. Dans le régime antérieur, c’est‑à‑dire avant 1986, les dossiers des coroners étaient conservés dans les greffes des palais de justice partout dans la province. Ces dossiers ont depuis été versés aux Archives nationales du Québec, qui est une organisation distincte du Bureau du coroner. Ces dossiers, comme je vous le mentionnais, ne sont pas sous l’autorité du coroner en chef ni du Bureau du coroner. Ces archives ont leur propre régime d’accès.
Nous avons fait quelques vérifications en vue du témoignage que j’allais livrer aujourd’hui, et il n’est pas possible pour les Archives nationales du Québec d’extraire des dossiers relatifs à l’ensemble des enfants autochtones décédés dans des pensionnats. Il faut connaître minimalement le nom, la date du décès et d’autres renseignements. On voit ici qu’un défi d’importance se dessine pour le Québec, soit d’obtenir les noms de chaque enfant concerné — et là, je rejoins ce que mon collègue a mentionné tout à l’heure. On a un appel à faire auprès de la population et de la communauté, pour qu’on nous donne des noms. À partir de là, on pourra, comme je vous l’expliquerai dans un instant, amorcer des recherches.
Donc, à partir de 1986, sous la nouvelle loi, le seul pensionnat qui était toujours en activité après la création du Bureau du coroner et des archives, c’est le pensionnat de Pointe-Bleue, situé à Mashteuiatsh, qui a été ouvert de 1960 à 1991.
On a effectué des recherches dans nos archives, mais cela ne nous a pas permis d’identifier de dossier portant sur un enfant autochtone décédé au pensionnat de Pointe-Bleue. Je vais faire un parallèle avec ce que le coroner en chef de l’Ontario a dit : si ces décès étaient totalement naturels, ils n’ont pas été signalés au coroner, puisque nous avons davantage sous la loupe les décès violents.
Par contre, si jamais on nous donnait des noms d’enfants, à ce moment-là, on pourrait transmettre les documents liés à des décès d’enfants qui ont fait l’objet d’un signalement au coroner. Nos rapports et nos dossiers sont publics, et les annexes qui sont justement annexées aux rapports du coroner — pardonnez-moi le pléonasme — sont accessibles sur demande. Nous serons donc heureux de les communiquer. Encore une fois, le défi est d’obtenir des noms.
Sur une note beaucoup plus positive, le Québec, en marge des travaux sur la commission, a adopté la Loi autorisant la communication de renseignements personnels aux familles d’enfants autochtones disparus ou décédés à la suite d’une admission en établissement, une loi qui est entrée en vigueur en 2021.
Cette loi a permis de créer le Secrétariat aux relations avec les Premières Nations et les Inuit, qu’on appelle le SRPNI.
C’est une organisation totalement vouée au soutien des familles. Ce qu’il y a de bien, c’est que la mission du SRPNI vient aussi englober les décès dans des pensionnats. Donc, dans le cas des familles dont les enfants ne sont pas nécessairement décédés dans le réseau de la santé en établissement, mais qui croient qu’ils sont décédés dans un pensionnat, le SRPNI pourra s’en occuper. Le SRPNI coordonne les recherches et accompagne les familles.
Concrètement, deux familles de Pessamit se sont manifestées parce qu’elles n’avaient pas pu ouvrir le cercueil de leur enfant qui était décédé à l’hôpital — c’étaient des bébés de trois mois et six mois — et elles s’inquiétaient de savoir ce qui avait été enterré, parce qu’elles n’avaient pas vu leur enfant.
À la fin du mois d’août, après environ six à huit mois d’accompagnement intensif où le SRPNI a pu avoir un accès privilégié à l’état civil et aux Archives nationales du Québec, le SRPNI a pu reconstituer la preuve documentaire et accompagner les familles dans une requête à la Cour supérieure pour exhumer les corps. Avec le Bureau du coroner, par mon entremise, on a pu exhumer les enfants à la fin du mois d’août. Il y a probablement une identification formelle qui est faite. Tout cela, bien entendu, s’est fait au moyen d’un travail de réconciliation avec les familles.
Le SRPNI a également accompagné une famille de Winnipeg qui voulait retracer la sépulture d’un membre de la famille. C’était une enfant qui était décédée à l’âge de 13 ans et ils n’avaient pas pu l’accompagner ni identifier la sépulture.
J’aimerais ajouter un petit détail. Les deux bébés de Pessamit avaient été enterrés en 1970, donc sous l’ancienne Loi des coroners.
Voilà les propos que j’avais à partager avec vous aujourd’hui. Si vous avez des questions concernant le Secrétariat aux relations avec les Premières Nations et les Inuit, je pourrai vous mettre en contact avec les personnes responsables. Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie, maître Kronström.
Je vais poser la première question, qui s’adresse à vous trois. Combien de temps vous faut-il, en moyenne, pour répondre aux demandes des particuliers ou des organisations autochtones concernant les décès survenus à un pensionnat ou sur des lieux qui y sont associés? Quels sont les obstacles juridiques, financiers et autres qui entraînent des retards ou des refus? Est-ce un manque de personnel ou encore de collaboration avec les autres ministères ou organismes dans votre province ou territoire?
[Français]
Me Kronström : Merci. Si on prend l’exemple de l’exhumation des deux bébés, il s’agit de deux bébés qui sont décédés en institution, mais si on fait le parallèle avec des enfants décédés dans des pensionnats, le même travail pourrait s’effectuer.
Donc, le principal problème est d’identifier des enfants. Une fois que l’identité d’un enfant potentiellement décédé dans un pensionnat sera confirmée, ce sera beaucoup plus rapide, parce que sinon, on n’a pas accès à nos archives.
Le travail se fait de concert avec le SRPNI. Celui-ci s’occupe de mettre à contribution tous les autres acteurs : le Bureau du coroner, le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale, l’état civil et les Archives nationales du Québec. Donc, tous les autres organismes gouvernementaux sont vraiment mobilisés par le SRPNI.
En ce qui concerne les délais, le SRPNI a des effectifs, soit un noyau de personnes qui se vouent complètement au soutien des familles. Si on prend l’exemple des deux bébés, on parle d’un délai d’environ huit mois entre l’ouverture du dossier avec les procédures devant la Cour supérieure et l’exhumation. Cela a été très réconfortant pour les familles d’assister à l’exhumation, d’être sur place et d’avoir du soutien psychologique. De plus, le tout s’est fait également selon les rites autochtones.
[Traduction]
Dr Huyer : Je vous remercie.
Le temps nécessaire dépend en fait de divers facteurs, tout d’abord le décès remonte à combien de temps et ensuite les détails qui sont disponibles, comme le nom de la jeune personne et l’endroit où elle pourrait être décédée. Plus nous avons de détails, plus nous pouvons procéder rapidement.
Nous utilisons diverses méthodes pour faire une recherche dans nos dossiers, dans les archives, dans les dossiers du CNVR, et nous avons accès à différentes autres sources.
Au sujet des obstacles juridiques, la Loi sur les coroners de l’Ontario est interprétée de sorte qu’elle nous accorde le pouvoir d’obtenir les dossiers. Toutefois, les membres de la communauté et ceux qui effectuent des recherches au sein des communautés rencontrent des obstacles de cette nature, car ils n’ont pas accès, ou un accès aussi facile, à bon nombre des dossiers. Il y a donc des contraintes.
Selon ce que je comprends de la loi au Québec, elle offre une aide satisfaisante à ce sujet. Nous n’avons pas cela en Ontario, mais nous croyons que notre loi... eh bien, notre loi nous donne ce pouvoir. Nous offrons donc notre aide aux communautés lorsqu’elles éprouvent des difficultés à obtenir des dossiers.
Je pense que cela répond à votre question. Je ne sais pas si j’ai couvert tous les éléments.
Le président : C’est très bien. Je vous remercie.
Monsieur Eggenberger, aimeriez-vous ajouter quelque chose?
M. Eggenberger : Oui, je vais donner une réponse en deux parties. Pour les dossiers à partir de 1967, la procédure est assez simple. Les demandeurs peuvent recevoir l’information en un ou deux jours, selon l’endroit où elle se trouve. Nous pouvons savoir sur-le-champ si nous avons le dossier, et ensuite, nous pouvons l’obtenir et communiquer l’information à la famille. Ce n’est pas un problème.
Pour les dossiers antérieurs à 1967, c’est plus difficile, car nous allons devoir coordonner le tout avec les archives à Ottawa. Nous ne l’avons pas encore fait, alors je ne suis pas certain du temps que cela prendrait, et c’est là où je vois un grave problème pour les élèves qui ont fréquenté les pensionnats dans les Territoire du Nord-Ouest. Nous n’avons pas de dossiers pour beaucoup de ceux qui se trouvent sur le site du CNVR. C’est tout.
Je vous remercie.
Le président : Je vous remercie de vos réponses. Je vais maintenant céder la parole au vice-président du comité.
Le sénateur Arnot : Je remercie les témoins. J’aimerais mieux comprendre ce dont Me Kronström a parlé et le pouvoir dont dispose le service au Québec pour exiger la communication de plus d’information aux familles au sujet du décès de leurs enfants et des liens avec les établissements.
Je me demande vraiment... Il semble que la loi du Québec — et je pense que le Dr Huyer a un peu répondu à la question — contient un outil très progressiste afin de pouvoir autoriser la communication de renseignements personnels aux familles des enfants autochtones. Je ne suis pas certain que cet outil se trouve dans d’autres lois sur les coroners, et je ne sais pas s’il est aussi complet dans ce cas. Il semble que vous devriez disposer de cet outil si ce n’est pas le cas, car je crois que l’information serait très utile aux familles endeuillées qui veulent tourner la page.
Maître Kronström, pourriez-vous nous expliquer tout d’abord plus en détail comment cela fonctionne et l’utilisation que vous en avez fait? Pensez-vous qu’il s’agit d’un mécanisme important dans le cadre de la réconciliation? J’aimerais aussi avoir l’avis du Dr Huyer et de M. Eggenberger, s’il vous plaît.
[Français]
Me Kronström : Je vais vous expliquer. J’avais fourni à votre greffière la loi habilitante sur la Loi autorisant la communication de renseignements personnels aux familles d’enfants autochtones disparus ou décédés à la suite d’une admission en établissement. C’est vraiment une loi distincte de la Loi des coroners. Cette loi crée un secrétariat, donc une entité distincte, qui met à contribution les différents intervenants, dont le Bureau du coroner, le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale, les Archives nationales du Québec et le ministère de la Santé et des Services sociaux, s’il y a un besoin d’accompagnement psychologique.
Donc, ce sont eux qui sont en relation avec les familles, qui ont développé des liens particuliers et qui les accompagnent, qui les aident à recueillir tous ces documents pour leur apporter ultimement des réponses si les familles veulent procéder à une exhumation pour confirmer l’identité d’un proche ou savoir si c’est bien leur proche qui est enterré à un endroit. C’est justement ce qui a provoqué l’exhumation des deux jeunes bébés assez rapidement.
C’est vraiment une création. Selon les échanges avec le Secrétariat aux relations avec les Premières Nations et les Inuit et la direction qui est responsable du soutien aux familles — il s’agit ici de ouï-dire —, cela n’existerait pas ailleurs dans les autres provinces. Ce serait un outil assez flexible qui permettrait de concilier la difficulté pour les coroners d’avoir accès à leurs archives, qui souvent sont des régimes dans lesquels il n’est pas toujours facile d’extraire les données... En effet, il faut se servir de mots-clés, et le principal mot-clé actuellement, c’est le nom des enfants. Ce serait peut-être une recommandation à faire pour dynamiser le processus et créer un mouvement potentiellement plus rapide pour venir en aide aux familles autochtones.
[Traduction]
Le sénateur Arnot : J’aimerais avoir l’avis des autres aussi. J’ai l’impression qu’il s’agit d’un outil unique et qui pourrait être très utile aux provinces et aux territoires.
Dr Huyer : Cela pourrait être le cas. Je n’ai pas assez de détails. Je vais avoir besoin de lire la loi, mais en Ontario, nous sommes persuadés que la Loi sur les coroners nous donne l’autorité nécessaire pour tous les enfants qui sont décédés dans un pensionnat. Nous le pensons parce que les circonstances de leur décès ont suscité des questions qui nécessitent une enquête lorsqu’elles sont portées à notre attention. Il y a de nombreuses années, nous ne reconnaissions pas cela, mais c’est le cas aujourd’hui.
De plus, nous croyons qu’il est dans l’intérêt public de comprendre les circonstances entourant ces décès. Même lorsqu’une personne est décédée d’une infection, il peut exister d’autres causes, par exemple, le fait que les gens étaient logés ensemble et que cela aurait pu permettre à l’infection de se répandre. Nous estimons que le fait d’obtenir les dossiers relève de notre pouvoir législatif. C’est ce que nous avons fait en Ontario.
Cela étant dit, de nombreuses communautés et nations ne voudront pas nécessairement travailler avec nous parce que nous sommes un organisme gouvernemental, et je suis conscient que cela pourrait susciter de la méfiance à notre égard et à l’égard de notre organisation. J’espère que nous réduisons cette méfiance, mais je peux comprendre cela. Je pense donc qu’il serait justifié d’avoir une loi ou un mécanisme qui permet aux familles, aux communautés et à ceux qui travaillent avec elles d’obtenir directement les dossiers, sans qu’ils aient à passer par notre entremise et que nous ayons à utiliser notre pouvoir.
Le sénateur Arnot : Je vous remercie de votre réponse.
M. Eggenberger : Je ne suis pas certain d’avoir bien compris la question. Je pense que vous voulez savoir si nous pourrions communiquer nos dossiers à la famille d’une personne décédée. Dans les Territoires du Nord-Ouest, nous communiquons régulièrement — peu importe le cas — le rapport du coroner et le rapport d’autopsie aux proches parents. Cela pourrait s’appliquer aussi aux pensionnats. Je pourrais assurément inclure la famille élargie et pouvoir le faire.
Les familles peuvent aussi consulter les autres éléments du dossier produit par le bureau du coroner. Toutefois, nous ne pouvons pas leur envoyer la documentation de tiers contenue dans le dossier, mais elles peuvent la consulter en venant à notre bureau. Elles peuvent ensuite se servir de l’information pour présenter une demande d’accès à l’information à divers organismes, et nous sommes prêts à les aider, à les guider pour effectuer les démarches. J’ai un pouvoir discrétionnaire en vertu de notre loi sur l’accès à l’information pour prendre d’autres mesures, mais c’est au cas par cas.
Le sénateur Arnot : Très bien. Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Audette : [mots prononcés en innu-aimun]
Je vais vous poser mes questions en français, si vous me le permettez. Un gros merci, madame la coroner Kronström. Ce sont vraiment les familles qui ont participé ou qui ont osé dire les vérités pendant l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Cela fait en sorte que le Québec est le seul endroit où il y aura une loi — une loi qui, malheureusement, a une durée de vie de dix ans et à laquelle il reste environ sept ans.
On voit qu’il est possible d’avoir accès aux hôpitaux, aux archives, aux communautés religieuses, aux bureaux de coroner et ainsi de suite pour obtenir de l’information.
Je sais qu’il y a d’autres coroners en Ontario, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Québec aussi. Quand j’étais commissaire pour l’enquête, j’ai pu constater qu’on avait inscrit « bébé Audette » — il s’agit ici d’un nom fictif, puisqu’il m’est interdit de dévoiler les noms réels — dans un espace. On n’a pas les noms au complet ou on n’a pas baptisé les enfants. Je ne sais pas comment vous pourriez nous aider à faire des recommandations ou à travailler en ce sens.
Vous avez une responsabilité dans vos provinces et territoires. Quelles seraient les recommandations que nous pourrions faire, qui feraient en sorte que nous travaillions ensemble ou qui permettraient de conclure une entente spécifique pour les familles qui cherchent? Avant l’adoption de la loi au Québec, pendant 40 ans, les familles au Québec voulaient savoir pourquoi et de quoi leur bébé était mort. Cette loi a fait en sorte qu’aujourd’hui, nous pouvons trouver des réponses à nos questions. Comment pouvons-nous travailler ensemble?
Vous semblez sympathique à la cause. Si vous et moi ne sommes plus là et que la sympathie n’y est plus non plus, comment pourrons-nous légiférer ensemble et nous assurer que les lois seront respectées pour que les familles obtiennent des réponses?
[Traduction]
Le président : Qui aimerait tenter de répondre à cette question? Docteur Huyer?
Dr Huyer : Je peux commencer, bien sûr. Je vous remercie de la question.
Je dirais tout d’abord que c’est en s’engageant à travailler ensemble que nous pouvons commencer à travailler ensemble. C’est ce que nous faisons en Ontario, et il semble que ce soit le cas aussi au Québec et dans les Territoires du Nord-Ouest. Quand on apprend les uns des autres, on réfléchit à la meilleure façon de procéder. C’est en travaillant avec les communautés en Ontario que nous avons appris que dans certains cas, elles ne peuvent pas obtenir les dossiers et nous leur avons dit que nous allions le faire pour eux. C’est ce que nous faisons : nous examinons les pouvoirs que nous confère la loi, et nous répondons aux besoins des familles.
J’aimerais souligner un petit point au vice-président : nos dossiers peuvent être communiqués en totalité. Nous n’avons pas d’hésitation à communiquer l’information aux familles. Nous communiquons tout ce qui se trouve dans nos dossiers. Dans le cas des dossiers que nous obtenons, nous ne communiquons pas nécessairement l’intégralité du dossier, mais nous communiquons aux familles l’information qui concerne leur enfant.
Ce n’est donc pas un problème du tout en ce qui nous concerne. Ce qui est difficile, c’est d’obtenir les dossiers. À mesure que les choses avancent, nous voulons que les familles et les communautés aient accès aux dossiers sans devoir passer par nous. Je pense que nos lois sont semblables. Encore une fois, je pense que la façon logique de procéder serait de donner l’accès aux familles dans certaines circonstances.
[Français]
Me Kronström : Je vais réitérer un principe qui est fort important ici, celui du cadre législatif. Comme la sénatrice Audette l’a mentionné, le Québec s’est doté, justement à cause de la Commission de vérité et réconciliation, d’un cadre législatif qui a créé une entité — le Secrétariat aux relations avec les Premières Nations et les Inuit — entièrement vouée à la réconciliation, pour répondre aux questions des familles et les aider dans leur quête de vérité.
Toutes les personnes qui font partie de ce secrétariat, et plus particulièrement la direction qui est responsable du soutien aux familles, sont très proches de la culture. Ils ont développé des liens privilégiés. Après cela, c’est le secrétariat qui réunit les différents organismes ou ministères pour nourrir leurs dossiers et les étayer. Parfois, c’est très difficile. Le fait que les enfants n’étaient pas baptisés est un défi supplémentaire, parce que souvent, ils n’étaient pas enterrés dans les cimetières.
Je crois que, dans le cas des deux bébés, nous avons eu recours à un géoradar avant les exhumations. Nous nous adjoignons des services d’experts, nous sommes imaginatifs et nous travaillons ensemble. Cela prend, comme dans toute chose, un chef d’orchestre, quelqu’un pour insuffler une énergie première. C’est le secrétariat qui a la meilleure position. C’est pour cela que nous avons pu, en très peu de temps, procéder à deux exhumations.
La sénatrice Audette : Juste 30 secondes, madame la coroner : il s’agit des appels à la justice nos 20 et 21 de l’Enquête nationale sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées — le rapport Kepek. Ce n’est pas la Commission de vérité et réconciliation. Je le dis avec amour. Merci.
Me Kronström : Oui, tout à fait; merci. Il faut bien resituer le débat. Vous avez très bien fait. J’étais sur une lancée verbale. Je pense que ce modèle devrait être importé dans d’autres provinces.
[Traduction]
Le président : Monsieur Eggenberger, aimeriez-vous ajouter quelque chose?
M. Eggenberger : Tout comme mes collègues du Québec et de l’Ontario, je pense que la clé, c’est la collaboration. Un problème particulier que nous avons actuellement vient du fait que dans les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut et, dans une certaine mesure, le Yukon, nous devons envoyer des gens au sud pour qu’ils obtiennent des traitements médicaux. S’ils décèdent dans cette administration, il nous est alors difficile d’avoir accès aux dossiers. C’est un gros obstacle pour savoir ce qui s’est passé.
Je n’ai pas examiné de dossiers antérieurs à 1967, parce que je n’y ai pas accès, mais je soupçonne qu’il en était de même alors. Je sais qu’à partir de 1967, nous avons envoyé régulièrement des gens à Edmonton, au Manitoba et en Ontario pour qu’ils suivent des traitements. Très souvent, il faut regarder du côté de nos pensionnats, mais aussi ailleurs.
J’ai parlé d’un site Web plus tôt et c’est un bon endroit pour commencer nos recherches et vérifier si des noms se trouvent ailleurs. Je serais très heureux que les autres administrations nous communiquent l’information. Je pense que l’élément le plus important, c’est la collaboration. J’espère que cela répond à votre question.
La sénatrice Coyle : Je pense que notre dernier témoin a commencé à répondre aux questions relativement aux enjeux entre les provinces et les territoires.
Vous avez mentionné que des élèves dans les pensionnats pouvaient avoir été envoyés ailleurs pour suivre des traitements. Mon beau-frère, à titre d’exemple, vient de la Baie-James dans le Nord du Québec. Il est allé à trois pensionnats différents, dont au moins un en Ontario, à Moose Factory.
Comment cela fonctionne-t-il actuellement entre les administrations? Le dossier se trouve-t-il au lieu du décès? Si c’est le cas, est-il alors communiqué à l’administration d’où la personne est originaire?
Si quelqu’un peut répondre à cette question, j’aimerais en savoir plus à ce sujet.
Dr Huyer : Les décès relèvent des provinces et des territoires. Les statistiques de l’état civil et le système d’enquêtes sur les décès, que l’enquête soit menée par un médecin légiste ou un coroner, relèvent des provinces et des territoires. C’est là où l’information sur le décès se trouverait.
En ce qui concerne ce qui s’est passé avant, il faut voir ce que souhaite chaque famille. Nous nous concentrons actuellement sur l’information relative au décès pour déterminer où se trouvent les dépouilles des enfants. C’est sur quoi nous nous concentrons d’abord.
Si les familles souhaitent pousser plus loin l’enquête, nous allons le faire. Nous avons une bonne collaboration avec nos collègues qui s’occupent des systèmes d’enquêtes sur les décès partout au Canada, alors je pense que nous pourrions trouver une façon de procéder. Encore une fois, cela pourrait présenter un défi du point de vue législatif, mais je pense que nous pourrions trouver une façon de le faire, même si ce ne sera pas nécessairement facile.
La sénatrice Coyle : C’est très utile. Dans les cas dont vous vous occupez actuellement, des familles se trouvent-elles à l’extérieur de la province?
Dr Huyer : Je ne sais pas. Encore une fois, nous examinons les cas d’enfants qui sont décédés en Ontario, et nous ne sommes pas allés plus loin.
La sénatrice Coyle : Je vous remercie.
La sénatrice Martin : Certaines de mes questions ont déjà trouvé réponse.
M. Eggenberger a mentionné le fait de ne pas avoir accès aux archives du Canada et certains des obstacles. Je présume que c’est en partie une question de ressources financières. Avez-vous aussi des obstacles de ce genre en Ontario?
Et au Québec, je me demande s’il y a aussi des obstacles du côté du financement ou des ressources humaines.
Dr Huyer : La réponse est toujours que nous pouvons utiliser plus de ressources. Nos dossiers ne sont pas envoyés aux archives du Canada, mais conservés aux archives de l’Ontario. Nous avons une bonne relation avec l’archiviste en chef en Ontario. John Roberts et son équipe sont très proactifs pour nous fournir un accès aux archives. Nous n’avons pas de problème d’accès du point de vue légal. Cela dépend de nos paramètres de recherche.
La sénatrice Martin : Et au Québec?
[Français]
Me Kronström : J’allais justement enchaîner. Comme je l’ai dit dans ma présentation, ce n’est pas une question de financement, mais de régime juridique. Nos archives de coroner n’existent que depuis 1986. Avant, selon l’ancienne loi, les dossiers étaient conservés dans les greffes des palais de justice et là, toutes ces archives, qui sont devenues des documents anciens, ont été classées aux Archives nationales du Québec. Donc, les documents n’ont pas été détruits, mais les Archives nationales du Québec peuvent avoir de vieux rapports de coroner.
Cependant, l’enjeu, c’est le mot-clé qui nous permet d’amorcer la recherche. Il nous faut absolument un nom d’enfant. Pour faire un lien avec la question précédente, c’est pour cela que le SRPNI a pu aider une famille de Winnipeg, donc d’une autre province, qui l’avait sollicité pour retrouver une jeune fille de 13 ans qui était décédée en institution et qui avait été enterrée au Québec.
Les documents existent, mais l’enjeu est vraiment de trouver un nom et d’autres détails afin d’amorcer la recherche.
[Traduction]
La sénatrice Martin : Et comment prenez-vous en considération la protection des renseignements personnels lorsque vous traitez des dossiers historiques?
Dr Huyer : La protection de la vie privée fait partie de notre quotidien. Toute tragédie qui survient en Ontario, présente ou passée, est de nature privée. Nous sommes très vigilants et rigoureux sur ce point. Nous avons d’importantes mesures de protection en place. Si la famille demande une information, elle a droit à cette information. Nous avons une procédure pour la lui communiquer. La Loi sur les coroners nous donne le pouvoir de communiquer l’information aux familles. Comme notre collègue des Territoires du Nord-Ouest l’a mentionné, c’est aussi en partie une question de liberté d’accès à l’information. Nous protégeons l’information et la fournissons à ceux qui y ont droit. Nous avons beaucoup de mesures de protection en place pour le faire.
Le président : Je vais poser une question complémentaire à des questions soulevées plus tôt par la sénatrice Coyle et la sénatrice Audette. Vous pouvez répondre par écrit pour gagner du temps.
Selon vous, devrait-il y avoir un organisme national pour permettre aux coroners et d’autres entités qui possèdent des dossiers pertinents partout au pays de travailler ensemble pour aider les familles autochtones à obtenir des réponses au sujet de leurs enfants? Cet organisme permettrait-il d’accélérer le traitement des demandes et le transfert des dossiers?
Dr Huyer : Je vais commencer. Je dirais qu’en principe, la réponse est oui, mais je pense que la question est de savoir comment cela se ferait. Il est important qu’il n’y ait pas de lourdeurs bureaucratiques pour arriver à obtenir les dossiers. En principe, je pense que la réponse est oui.
M. Eggenberger : Je vous remercie. Comme le Dr Huyer, je suis d’accord en principe. Toutefois, le diable se cache dans les détails et le problème serait d’harmoniser le tout. Les enjeux liés à la protection des renseignements personnels seraient un problème. Je vous remercie.
Le président : Maître Kronström, aimeriez-vous ajouter quelque chose?
[Français]
Me Kronström : Ma suggestion rejoint celle que j’ai faite précédemment. Avant de penser à un organisme national, il faudrait peut-être se tourner vers des organismes provinciaux, comme le SRPNI, pour essayer de colliger le plus d’informations provinciales possible. On ne doit peut-être pas créer un organisme, mais simplement conclure des ententes prévoyant la circulation des informations. Ce serait peut-être un procédé plus flexible; cela permettrait de ne pas alourdir le processus en créant un autre organisme, comme mes collègues l’ont mentionné précédemment.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie.
La sénatrice Greenwood : Dans ces dossiers, les anciens dossiers que vous avez vus et même les dossiers actuels, est-ce qu’on mentionne la communauté à laquelle appartiennent les personnes?
Dr Huyer : Non, et c’est un problème important. Il s’agit des actes de décès. Ils ne contiennent pas habituellement le nom de la communauté. Le lieu du décès est mentionné, ensuite on retourne aux dossiers des écoles, puis on procède à rebours. La communauté est rarement mentionnée.
La sénatrice Greenwood : Je vous remercie.
Le président : Je vous remercie tous de vos témoignages. Si vous souhaitez nous faire part de quelque chose d’autre par écrit, n’hésitez pas à envoyer le tout à notre greffière, Andrea Mugny, d’ici une semaine. Elle sera heureuse de recevoir tout témoignage.
La période qui était réservée au premier groupe est maintenant écoulée. Je tiens à remercier encore une fois tous les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui.
Nous souhaitons la bienvenue à notre second groupe de témoins. Nous accueillons des représentantes du Musée royal de la Colombie-Britannique : la vice-présidente des archives, des collections et de la recherche, Mme Jodi Giesbrecht; et la directrice des archives, Mme Emma Wright. Nous accueillons également des représentantes de la Société historique de Saint‑Boniface : la directrice générale, Mme Janet La France; et l’archiviste en chef, Mme Julie Reid. Merci à vous toutes de votre présence.
Les témoins feront une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes. Par la suite, les sénateurs leur poseront des questions. J’invite Mme Jodi Giesbrecht à commencer.
Jodi Giesbrecht, vice-présidente, Archives, Collections et Recherche, Royal BC Museum : Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, je m’appelle Jodi Giesbrecht. Je suis vice-présidente des archives, des collections et de la recherche au Royal British Columbia Museum, soit le Musée royal de la Colombie-Britannique. Je suis accompagnée de ma collègue, Emma Wright, qui est directrice des archives.
Nous sommes heureuses de vous parler ce soir depuis le musée et son service d’archives. Nous nous trouvons sur les territoires non cédés des peuples Lekwungen, connus aujourd’hui sous le nom de nation des Songhees et nation d’Esquimalt.
Le Musée royal de la Colombie-Britannique assure la conservation des archives de deux congrégations catholiques qui ont participé à la gestion des pensionnats indiens en Colombie‑Britannique : les Oblats de Marie Immaculée et les Sœurs de Sainte-Anne. Nous conservons ces archives de façon très responsable en traitant avec grand respect la vérité et le lourd héritage laissé par les pensionnats dans la province.
En avril 2022, le Musée royal de la Colombie-Britannique a signé un protocole d’entente avec le Centre national pour la vérité et la réconciliation, ou CNVR. Nous nous sommes engagés à lui fournir des copies de dossiers numériques relatifs aux pensionnats et les métadonnées connexes sans restriction. La priorité est le transfert numérique des dossiers des Oblats de Marie Immaculée et des Sœurs de Sainte-Anne.
En 2019, les Oblats de Marie Immaculée ont fait don de leurs dossiers à notre musée. Sur 74 mètres linéaires de documents, 19 mètres portent directement sur les pensionnats et ils ont été numérisés et transférés au CNVR en priorité.
En date de juillet 2023, tous les documents textuels ont été décrits et ils sont accessibles au public dans la base de données des collections de BC Archives, le service des archives de la Colombie-Britannique. La numérisation a été rendue possible grâce au financement du ministère des Relations avec les Autochtones et de la Réconciliation de la Colombie-Britannique et de l’Indian Residential School History and Dialogue Centre de l’Université de la Colombie-Britannique.
À ce jour, environ 36 % des documents ont été numérisés et 78 % des principales séries de cette collection ont été numérisées. Cela représente plus de 37 000 pages ou 3 366 gigaoctets. Nous prévoyons transférer la première série au CNVR... En fait, nous sommes en train de le faire.
En 2022, les Sœurs de Sainte-Anne et le musée ont pris un nouvel engagement pour accélérer la mise en œuvre d’un accord de 2012 sur le transfert de leurs documents, qui était initialement prévu pour 2027. Le musée a acquis légalement les documents en juin 2023.
Sur 210 mètres linéaires de documents, environ 4 mètres portent sur les pensionnats et sont traités en priorité pour leur numérisation et leur transfert au CNVR. Le traitement et la description de ces documents ont été entamés immédiatement après leur transfert.
Le Centre national pour la vérité et la réconciliation a reçu des reproductions des dossiers des Sœurs de Sainte-Anne lors de sa création en 2015. Le Musée royal de la Colombie-Britannique est en train de numériser les documents originaux selon les normes de préservation et d’accès du CNVR. Nous transférerons les reproductions numériques au CNVR. Le financement de ce travail de numérisation est également assuré par la province de la Colombie-Britannique et l’Université de la Colombie-Britannique.
Nous avons numérisé environ 13 % des documents pertinents, ce qui représente environ 4 000 pages ou 381 gigaoctets. Nous sommes en train de transférer la première série au CNVR. En gros, nous avons numérisé 27 110 documents au total à ce jour.
Pour servir les communautés, le musée s’assure que les documents sont disponibles, même lorsqu’ils sont en cours de numérisation. Il s’agit d’un service essentiel pour la communauté, mais cela a des répercussions sur notre emploi du temps et nos ressources.
Afin de faciliter l’accès aux documents, nous avons obtenu des fonds pour l’embauche de deux techniciens en numérisation pour un an. Nous sommes à la recherche d’autres possibilités de financement pour accélérer le processus de numérisation et de transfert.
De plus, le service des archives de la Colombie-Britannique offre un accès aux documents sur place, publie en ligne des descriptions des documents des Oblats de Marie Immaculée et fournit des instruments de recherche et des guides de recherche détaillés. En outre, nous renonçons aux frais de reproduction pour les clients autochtones.
Nous avons également mené des activités de communication auprès des membres du public sur la manière dont ils peuvent accéder plus facilement aux documents. Nous avons conclu des protocoles d’entente concernant des accords de divulgation avec un certain nombre de nations de la Colombie-Britannique afin de pouvoir rendre les documents numérisés demandés accessibles.
Il s’agit d’un élément essentiel du mandat de notre gouvernement provincial, qui consiste à améliorer l’accès aux documents relatifs aux pensionnats, et de notre engagement à adopter et à mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Le Musée royal de la Colombie-Britannique travaille en partenariat avec des organismes gouvernementaux pour s’assurer que le CNVR reçoit l’information le plus rapidement possible et que les communautés reçoivent le soutien et les renseignements dont elles ont besoin et qu’elles méritent.
Nous continuons d’être à l’écoute des communautés, des survivants et de leurs familles et d’être guidés par eux et nous comprenons que l’accès à l’information est un élément essentiel à la vérité et à la réconciliation. Le musée appuie sans réserve les recommandations qu’a formulées le Sénat dans le rapport intitulé Honorer les enfants qui ne sont jamais rentrés auprès des leurs : vérité, éducation et réconciliation. Nous savons que le CNVR a besoin d’un financement adéquat, prévisible, stable et à long terme pour pouvoir remplir son mandat. Merci beaucoup.
[Français]
Janet La France, directrice générale, Société historique de Saint-Boniface : Tansi. Bonjour.
J’aimerais commencer en remerciant le comité sénatorial de m’avoir invitée à m’exprimer aujourd’hui.
Je m’appelle Janet La France; je suis une Métisse de la rivière Rouge, inscrite auprès de la Manitoba Métis Federation. Je suis aussi directrice générale du Centre du patrimoine, un centre d’archives communautaire francophone à but non lucratif géré par la Société historique de Saint-Boniface et situé au cœur du territoire du Traité no 1.
Notre mission est la préservation et la promotion du patrimoine francophone et métis dans l’Ouest canadien, et en particulier au Manitoba. Nous sommes dirigés par un conseil d’administration bénévole, et nous avons un personnel de cinq employés permanents et de trois à quatre étudiants l’été. Nous pouvons compter sur l’aide de 37 bénévoles communautaires qui nous assistent à tous les niveaux au sein de l’organisme.
Notre budget annuel est d’environ 700 000 $, dont près de la moitié est autogénérée en collaboration avec des partenaires communautaires. Notre financement opérationnel issu des gouvernements provincial et fédéral n’a pas augmenté depuis près de 25 ans.
Le Centre du patrimoine n’est pas une institution liée aux oblats de Marie-Immaculée ni une institution religieuse, bien qu’environ un quart des documents d’archives que nous hébergeons provient de congrégations religieuses francophones. Je dis « nous hébergeons », car il faut préciser que les documents des oblats qui se trouvent dans nos voûtes n’appartiennent pas à la Société historique de Saint-Boniface. Ils n’ont pas été donnés et nous n’en contrôlons pas l’accès. Ces documents sont plutôt entreposés au Centre du patrimoine, où ils sont préservés conformément aux normes archivistiques et accessibles selon les restrictions imposées par les oblats eux-mêmes.
En acceptant ces archives, nous avions compris que tous les documents pertinents avaient été copiés et fournis à la Commission de vérité et réconciliation et ensuite au Centre national pour la vérité et la réconciliation, et que cette tâche était ultimement la responsabilité du propriétaire des documents. Cela avait été le cas pour toutes les autres congrégations religieuses ayant conservé leurs documents dans nos voûtes. C’était donc une surprise d’apprendre que certains dossiers pertinents des oblats n’avaient pas été transférés au Centre national pour la vérité et la réconciliation, et que certains de ces documents pourraient se retrouver sous notre garde.
Depuis ce temps, notre équipe a subi un véritable déluge de demandes d’accès aux dossiers des pensionnats. Nous avons donc déployé des efforts herculéens pour inventorier, identifier et rendre tous ces documents accessibles au Centre national pour la vérité et la réconciliation et aux survivants.
Nous avons réorienté notre programmation afin de prioriser des projets axés sur les communautés autochtones et les pensionnats.
Nous avons mis en place des protocoles pour mieux accueillir les chercheurs autochtones au centre. Nous avons créé des glossaires, des vedettes-matière et des descriptions bilingues afin de faciliter l’accès. Il faut dire que la majorité de nos documents sont en français.
Nous avons fait des demandes de financement afin de numériser des photos, des enregistrements et des documents liés aux pensionnats et aux communautés autochtones. Nous avons contacté directement les communautés autochtones pour les informer de l’existence de documents dans nos voûtes qui pourraient concerner leurs familles et leurs proches disparus.
Nous avons établi un partenariat avec les oblats et le Centre national pour la vérité et la réconciliation afin d’identifier tous les documents pertinents qui n’avaient pas encore été transférés, de les numériser, de les décrire et de les envoyer sous forme de copies numériques à haute résolution.
Nous avons consacré énormément de temps et de ressources au traitement d’une collection de documents qui ne nous appartiennent pas, et ce, parce que nous sommes d’avis que les survivants méritent des réponses.
Les documents des oblats dans nos voûtes mesurent 183 mètres linéaires, dont 122 restent partiellement ou entièrement non traités. Des documents relatifs aux pensionnats pourraient être éparpillés au sein de l’ensemble de la collection, ce qui oblige le traitement de sa totalité. En fait, 122 mètres linéaires de documents textuels posés verticalement l’un après l’autre représentent la longueur d’un terrain de baseball standard. Sans un financement accru et des ressources humaines pour entreprendre cette tâche à temps plein, ce processus pourrait prendre des décennies.
Encore une fois, nous avons été surpris de voir notre nom publié dans le récent rapport du comité. Ni notre personnel ni notre conseil d’administration n’ont été contactés par un représentant du comité dans le cadre de la recherche et de la rédaction de ce rapport. Personne ne nous a contactés pour nous demander quel était l’état des archives en question, à qui elles appartenaient ou de quelle manière elles pouvaient être consultées ou pour vérifier les progrès accomplis dans ce domaine.
À la Société historique de Saint-Boniface, nous comprenons le rôle important que jouent les archives en tant que preuves, des preuves qui recèlent la vérité, donnent des réponses et apportent un sentiment de justice aux survivants et à leurs familles. Nous nous sommes attelés à cette tâche sans relâche au cours des trois dernières années, et nous comptons bien continuer à le faire. Malheureusement, le manque d’appui financier ne fait que retarder la justice pour ces communautés qui ont déjà attendu beaucoup trop longtemps.
Marsee. Meegwetch. Merci.
[Traduction]
Le président : Merci, madame La France. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.
Recevez-vous des fonds ou d’autres ressources de la part d’entités catholiques pour mener à bien ce travail?
Mme La France : Oui, nous recevons des fonds des Oblats de Marie Immaculée pour payer le salaire d’une technicienne en numérisation. Elle a déjà numérisé le Codex historicus, les cartes, les plans et tout ce qui était évidemment lié aux pensionnats. Elle les transfère au CNVR. Ils paient ce salaire.
La question est en partie que nous avons un partenariat avec le CNVR. Le centre paie un étudiant pour contre-vérifier les inventaires, de sorte que nous ne fassions pas une seconde fois le travail déjà effectué. Le processus de contre-vérification des inventaires retarde le processus de numérisation, en fait.
Le président : De combien d’archivistes supplémentaires pensez-vous avoir besoin pour accélérer le processus?
Mme La France : Nous avons besoin de tous les archivistes, vraiment. Je pense que nous aurions besoin d’au moins deux archivistes à temps plein pour accomplir la tâche. Comme je l’ai dit dans ma déclaration, 122 mètres linéaires de documents restent non traités. Nous ne savons pas quelle proportion de ces documents est liée aux pensionnats, mais il faut les traiter. Nous aimerions ensuite numériser tous ces documents et les transférer au CNVR.
Le président : Avez-vous des observations à faire, madame Giesbrecht?
Mme Giesbrecht : Ma collègue, Mme Wright, va répondre à la question.
Emma Wright, directrice des archives, Royal BC Museum : De notre côté, en Colombie-Britannique, les deux organisations religieuses dont nous gérons les documents nous ont donné des fonds pour l’embauche d’un archiviste afin de traiter les documents. Je dirais que la question du financement est toujours à l’ordre du jour, comme nous l’avons indiqué dans notre déclaration. Nous avons dit aussi que nous avions dû chercher des fonds ailleurs en Colombie-Britannique pour la numérisation des documents, mais, et ma collègue a dit un peu la même chose, si l’on nous donnait d’autres fonds, nous pourrions accomplir ce travail plus rapidement. Voilà ce dont il est question.
Nous avons la chance d’avoir pu obtenir des fonds pour l’embauche de deux archivistes qui travaillent à chacune des collections, puis pour d’autres postes liés à la numérisation.
Je dirais que l’un des défis, cependant, c’est qu’habituellement, concernant les archives, lorsqu’on reçoit des documents d’organisations privées ou de particuliers, l’accès à ces documents est restreint jusqu’à ce qu’on en ait fait la description, puis possiblement la numérisation. Toutefois, en raison de la nature de l’information, nous veillons à répondre aux besoins des communautés et à leur permettre d’accéder aux documents pendant qu’ils sont traités. Tout ce travail, qui consiste à aider les gens à trouver l’information ou à la communiquer empiète sur le temps que les archivistes et le personnel consacrent au traitement des documents et à leur transmission au CNVR. C’est un défi en soi, comme nous l’avons indiqué. Si l’on pouvait nous donner davantage de ressources, cela nous aiderait vraiment.
Le président : Je vous remercie.
Le sénateur Arnot : Je m’adresse ici aux représentantes des deux organisations : vous faites un travail herculéen, c’est évident.
Je voudrais essayer de mettre les choses en perspective, si possible. Il y a 183 mètres linéaires de documents à la Société historique de Saint-Boniface. J’imagine que vous avez été étonnées de constater qu’après les avoir entreposés, soudainement, les gens ont voulu obtenir l’information.
J’ai trois questions qui s’adressent à vous toutes. Combien de temps croyez-vous qu’il faudrait pour numériser les documents si vous aviez les ressources nécessaires pour le faire correctement, de façon professionnelle et avec compétence? Je crois que vous n’êtes probablement pas en mesure de faire un filtrage préalable d’une partie de ces documents. Avez-vous l’impression que quelque chose sera retenu dans les documents du CNVR? Quand je parle de filtrage préalable, je parle en fait d’un travail de catégorisation qui est effectué au fur et à mesure que l’on fait la numérisation. La numérisation, c’est une chose, mais le fait de connaître le contenu, les mots-clés, les catégories, etc. pourrait faire avancer la cause des archivistes qui devront probablement lire, comprendre et traduire tous ces documents.
Seriez-vous disposées à utiliser des outils d’apprentissage automatique pour vous aider à le faire? C’est que je crois que cela pourrait faire avancer la cause et réduire le temps à consacrer au traitement des documents. Je ne fais qu’avancer l’idée et je veux vraiment savoir ensuite si vous avez les ressources qu’il faut pour bien le faire. Savez-vous ce qu’il en coûterait de le faire d’une manière que chacune de vos organisations jugerait tout à fait professionnelle et responsable? Si vous n’avez pas les fonds nécessaires, vous ne pourrez probablement pas respecter des normes élevées, les normes les plus élevées que vous souhaiteriez respecter.
Voilà donc ma question, et si vous ne connaissez pas la réponse maintenant, pourriez-vous nous la fournir plus tard? Je pense que c’est très important. Vous avez besoin de soutien pour accomplir le travail comme vous l’entendez, ce que vous n’avez pas pour l’instant. Combien cela va-t-il coûter?
Mme La France : Je peux commencer si vous voulez. Je laisserai mon archiviste, Julie Reid, répondre à deux questions. Pour ce qui est des coûts possibles, je n’ai pas la réponse pour l’instant, mais je pourrais en discuter avec mes archivistes. J’en ai deux. L’une de ces personnes a fait un travail pour la Commission de vérité et réconciliation. Elle est aujourd’hui archiviste numérique pour nous et elle s’occupe du transfert de documents au CNVR et s’assure du contrôle de la qualité des documents numériques et de la résolution. Je pourrais donc vous revenir là-dessus.
Nous sommes certainement disposées à utiliser des outils d’apprentissage automatique. Nous le faisons déjà un peu d’ailleurs. Nous invitons de nombreux groupes communautaires autochtones qui font des recherches sur leurs communautés et leur expérience en ce qui a trait aux pensionnats et à la question des enfants disparus à venir consulter nos archives. Nous extrayons tous les documents que nous pouvons pour qu’ils y aient accès. Nous les invitons à numériser les documents eux‑mêmes s’ils le souhaitent. La difficulté réside en partie dans le fait que la plupart des documents sont écrits en français et en lettres cursives. Pour ceux qui sont dactylographiés en français, on peut utiliser Google Lens, en fait. On peut photographier le document et Google Lens le lira à l’oral dans une autre langue. C’est un moyen de traiter les documents dactylographiés. Cependant, dans le cas des documents écrits en lettres cursives en français, les outils d’apprentissage automatique ne m’ont pas encore donné de bons résultats. Il existe peut-être un meilleur programme pour le faire, mais nous n’en avons pas entendu parler.
En ce qui concerne les documents retenus, pour ce qui est de la collection des Oblats dans nos voûtes, les Oblats ont levé toutes les restrictions sur le contenu relatif aux pensionnats à l’exception des dossiers personnels. Les dossiers personnels ont été numérisés et seront transférés au CNVR, où les survivants devront y accéder par l’intermédiaire du CNVR plutôt que par le nôtre. En attendant, nous donnons accès à tous les documents, à l’exception des dossiers personnels.
Si possible, j’aimerais laisser Mme Reid répondre aux questions portant sur le temps que nécessiterait le travail de numérisation et la possibilité de faire un filtrage préalable des documents.
Julie Reid, archiviste en chef, Société historique de Saint-Boniface : Il est très difficile de déterminer combien de temps il faudrait, car peut-être que seulement 10 % des 122 mètres de documents contiennent de l’information sur les pensionnats. Au départ, notre principal défi est de déterminer quelles collections ou quelles parties des collections doivent être traitées rapidement. Nous en avons déjà trouvé quelques-unes. En plus de la collection générale des Oblats pour la province du Manitoba, nous avons des documents de différents oblats. Dans le cas de ces documents, nous avons déjà déterminé lesquels nous devions traiter en premier. De ce fait, je sais à peu près combien de mètres nous avons à faire. Nous avons pu déterminer une période pour ces documents et nous espérons commencer le projet bientôt.
Cependant, dans le cas de la collection générale des Oblats de la province du Manitoba, le défi est grand parce qu’il peut y avoir des documents un peu partout. Par exemple, dans la partie financière des dossiers, nous savons qu’il est possible que des registres contiennent de l’information sur certaines communautés ou sur certains pensionnats qui y sont liés qui pourrait être utile, ou des documents relatifs aux terres, comme des documents de transfert des terres, qui pourraient être utiles. Encore une fois, ce sont de petits éléments dans l’ensemble des documents qui devront être identifiés avant que nous puissions les numériser.
Et nous ne pouvons pas les numériser tant qu’ils n’ont pas été traités, car nous devons être en mesure de leur attribuer des numéros de dossier. Nous ne pouvons pas simplement numériser un tas de documents et les envoyer au CNVR, car il sera alors impossible de les retrouver parce qu’ils n’auront pas été traités.
Nous pouvons essayer de vous donner des chiffres à partir des listes que nous avons, des listes préliminaires, en fonction des séries que nous avons, mais je ne peux pas vous donner un chiffre exact en un claquement de doigts.
Mme Wright : Nous pourrions certes nous aussi prendre tout cela en considération pour déterminer les coûts et le temps que cela pourrait prendre dans le cas de la Colombie-Britannique. Étant donné les ressources actuellement à notre disposition, et en tablant sur le fait que nous allons les conserver, avec notamment deux techniciens en numérisation, nous avons déjà déterminé que nous pourrons numériser et transférer au CNVR d’ici mai 2025 tous les dossiers actuellement jugés prioritaires concernant les pensionnats. Il existe différentes façons de numériser des dossiers, et nous avons des échanges avec Bibliothèque et Archives Canada relativement à la manière dont on s’y prend pour la numérisation à grande échelle des dossiers des externats. Nous pourrons ainsi apprendre de leur expérience en appliquant ces enseignements ici en Colombie-Britannique.
Un peu dans le même sens, je sais que certaines agences gouvernementales de la Colombie-Britannique pourraient disposer des installations nécessaires pour procéder à une numérisation à grande échelle. Nous examinons donc différentes options pour déterminer s’il est possible d’accélérer le processus. Nous pourrons effectivement analyser le tout et fournir de plus amples précisions au comité.
Pour ce qui est de l’information qui pourrait être retenue, nous avons conclu exactement la même entente que celle mentionnée précédemment avec les Oblats lorsqu’ils ont fait don de leurs dossiers. Nous numérisons tous les documents pour les transmettre au CNVR, et celui-ci a conclu un accord avec les Oblats concernant les dossiers personnels. Par ailleurs, les actes de donation établis pour les dossiers des deux congrégations religieuses renvoient à la Loi sur la liberté d’information et la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique. Ce sont donc les dispositions de cette loi qui s’appliquent quant au traitement des renseignements personnels contenus dans les dossiers en question.
Enfin, nous sommes très ouverts à toutes les avancées pouvant découler de l’automatisation. Nous n’avons pas encore exploré sérieusement cette avenue en Colombie-Britannique, mais nous sommes tout à fait disposés à mettre en œuvre n’importe quel outil technologique pouvant nous permettre d’accélérer ce processus ou nous aider à mieux informer les survivants et leurs familles.
Le sénateur Arnot : Merci.
La sénatrice Sorensen : J’ai quelques questions pour nos témoins, en espérant qu’elles pourront y répondre brièvement. La première s’adresse à Mme Giesbrecht. Pouvez-vous nous dire si le financement reçu des Oblats pour deux postes d’archiviste est prévu pour une période déterminée et s’il s’arrêtera un jour?
Mme Wright : Les Oblats ont financé un poste d’archiviste pour le traitement de tous les dossiers textuels, un travail qui a été terminé en juillet dernier. Je m’attends maintenant à ce que nous discutions de nouveau avec eux concernant les documents encore à traiter, soit les fichiers audiovisuels.
Pour leur part, les Sœurs de Sainte-Anne assureront le financement d’un poste d’archiviste jusqu’à leur déménagement aux environs de 2026. Elles se sont engagées à le faire jusqu’à ce moment-là.
La sénatrice Sorensen : Je m’adresse à nouveau à nos témoins de la Colombie-Britannique. Un article de CBC publié en 2022 indiquait qu’une partie du contenu pouvait remonter jusqu’à 1858 et serait peut-être donc trop délicat pour qu’on puisse le manipuler. Est-ce que cette mise en garde est toujours valable? Existe-t-il une solution?
Mme Wright : Je n’ai pas eu connaissance de cet article, et je vous saurais gré de bien vouloir me le faire parvenir. Compte tenu de la quantité de dossiers sous notre garde, il va de soi que nous ne devons pas perdre de vue les exigences du point de vue du traitement de conservation. Nous devons toujours en tenir compte lorsque nous traitons des dossiers. De nombreux dossiers en notre possession exigent un traitement particulier, mais il faut voir s’il nous est toujours possible de les numériser. C’est la raison pour laquelle des technologies différentes pourraient être requises.
La sénatrice Sorensen : Vous semblez optimiste quant à la possibilité d’y arriver.
Nous avons discuté avec vous ainsi qu’avec les témoins qui vous ont précédé du transfert des dossiers au CNVR. Qu’advient-il à cette étape? Le CNVR doit recevoir des dossiers en provenance de toutes sortes de sources différentes. Ces dossiers peuvent-ils être consultés directement ou est-ce qu’un autre processus complet est enclenché pour tout ce que cette organisation reçoit?
Mme Wright : Il faudrait bien sûr poser la question aux gens du CNVR. Les deux bureaux d’archives participant à cette séance s’efforcent de traiter les dossiers avant de les transmettre au CNVR. Cela nous permet de leur communiquer du même coup les descriptions correspondantes. C’est assurément ce que nous comptons faire alors que nous nous apprêtons à transférer les dossiers des Sœurs de Sainte-Anne. Dans la mesure du possible, nous essayons de communiquer les métadonnées descriptives avec les dossiers afin d’éviter toute duplication du travail par les archivistes des deux organisations. C’est d’ailleurs pour cette raison que le service des archives du Musée royal de la Colombie-Britannique utilise le même catalogue descriptif en ligne que le CNVR. Il devient ainsi possible pour le CNVR de télécharger ces descriptions complètes pour utilisation dans son propre catalogue, ce qui lui permet de gagner du temps.
Je crois que le CNVR reçoit effectivement de grandes quantités de dossiers numérisés que l’on doit analyser sur place pour pouvoir en faire une description.
La sénatrice Sorensen : Ma prochaine question est pour Mme La France. Nous avons appris que les Métis avaient été exclus des initiatives fédérales de règlement et d’excuses relativement à leurs expériences dans les pensionnats. Dans quelle mesure jugez-vous que cette exclusion est attribuable à des problèmes d’accès aux dossiers? Croyez-vous qu’il existe des documents, détenus par votre organisation ou peut-être par d’autres, qui pourraient influer sur les efforts à venir en matière de réconciliation et de dédommagement pour le peuple métis?
Mme La France : Il y a certes des problèmes de langue et toutes sortes d’autres éléments qui nous empêchent d’avoir accès à ces dossiers et d’en tirer les informations nécessaires. J’ai mené récemment un projet concernant une école de métier qui a été prise en compte dans la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens parce que la période visée était de 1890 à 1905. Je me suis donc intéressée au cas de la St. Boniface Industrial School. J’ai dû avoir recours à 13 sources archivistiques différentes pour dresser une liste de 300 élèves ayant fréquenté cette école. Nous avons ainsi constaté que 80 enfants sont morts à l’école ou peu de temps après l’avoir quittée, et que le nom de seulement trois d’entre eux figure dans le registre commémoratif du CNVR. Quelque 140 élèves — j’ai oublié le nombre exact, mais c’était près de 40 % des enfants fréquentant cette école — étaient métis. Ils n’étaient pas visés par un traité; on n’associait leur nom à aucune bande ou réserve. On indiquait simplement qu’il s’agissait de Métis provenant d’une communauté comme Saint-François-Xavier ou Saint-Laurent, par exemple.
Selon moi, il ne fait aucun doute que l’expérience vécue par des enfants métis dans les pensionnats n’a pas été pleinement prise en compte. Il est déjà intéressant de noter que leur situation est moins bien documentée du fait qu’ils n’étaient pas visés par un traité. Il est également plus difficile de les relier à une communauté en particulier, alors que pour les enfants visés par un traité, on peut habituellement retracer un lieu de naissance et parfois le plus proche parent, ou le numéro de la bande ou de la réserve dont ils font partie.
Il serait également fort utile de pouvoir consulter les dossiers des hôpitaux. Nous avions celui de l’hôpital de Saint-Boniface jusqu’en 1894. Ces dossiers nous fournissent de grandes quantités d’informations au sujet des patients : les professionnels qui les ont soignés, leur lieu de résidence pendant leur séjour à l’hôpital, les causes de leur décès et leur origine ethnique. Il est peut-être un peu difficile de s’y retrouver dans tous ces renseignements éparpillés, mais l’information est bel et bien là.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup. Je suis vraiment stupéfaite. Je tiens à remercier nos témoins, non seulement pour leurs exposés d’aujourd’hui, mais aussi pour le travail incroyable qu’elles accomplissent. C’est un travail d’une grande importance qui exige énormément de compétence et de dévouement. Je tenais simplement à le souligner.
Vous avez déjà répondu à bon nombre de mes questions. La question paraîtra peut-être simple — et je devrais sans doute connaître la réponse — mais vous devez conserver des copies de tous ces documents que vous numérisez, classez et transférez. Est-ce que vous entendez au sein de vos deux organisations continuer d’offrir des services aux gens et aux communautés une fois que le CNVR aura tous ces dossiers en main et pourra le faire de son côté? Continuerez-vous à agir localement? Le cas échéant, comment allez-vous assurer le maintien de cet aspect de votre travail?
Mme La France : Je crois effectivement que l’on voudra que nos services demeurent accessibles aux différentes communautés. J’estime qu’il s’agit d’un travail exceptionnellement important.
Il faut aussi savoir que nous sommes un service d’archives d’inspiration communautaire. Nos interventions sont très conviviales et se caractérisent par une grande ouverture. Nous avons mis en place des protocoles permettant la purification. Nous organisons des visites en coulisses et des activités pour aider les gens à mieux s’orienter dans nos archives. Nous avons des archivistes qui aident les groupes à s’y retrouver. La demande est telle qu’il est impossible à ce moment-ci pour le CNVR d’y répondre à lui seul.
En outre, le CNVR a actuellement ses bureaux dans un établissement d’enseignement, ce qui représente un obstacle supplémentaire pour les gens qui veulent s’y rendre. Je suis moi‑même Métisse, et si je devais me rendre dans un établissement d’enseignement pour consulter des dossiers, j’y penserais sans doute à deux fois. C’est une autre problématique avec laquelle nous devons composer d’une manière générale avec les archives. En effet, les chercheurs doivent prendre un peu de recul par rapport aux documents eux-mêmes de telle sorte que nous puissions offrir une ligne d’intervention rapide et un espace pour la purification spirituelle et le renouvellement.
Nous continuerons effectivement de permettre l’accès à nos services. Nous comptons exercer des pressions auprès des gouvernements afin d’obtenir un financement opérationnel plus conséquent en vue d’intégrer cette offre de services à nos pratiques courantes.
Mme Reid : Nous accueillons un plus grand nombre de visiteurs des Premières Nations depuis la découverte de Kamloops, ce qui nous a permis d’établir des liens avec ces communautés dans une mesure beaucoup plus forte qu’auparavant. En plus de permettre à ces gens d’avoir accès à tous les dossiers, nous voudrions également mieux profiter de leur contribution. À titre d’exemple, bien des gens qui apparaissent sur les photos ne sont pas identifiés. Le plus souvent, les membres du personnel religieux et les adultes le sont. De temps à autre, une famille peut être identifiée dans certaines photos de la communauté, mais celles des pensionnats présentent simplement des groupes d’enfants sans qu’on les identifie. Il arrive que nous accueillions des survivants qui se reconnaissent sur ces photos, ou y reconnaissent un proche. Nous essayons donc de faire en sorte que l’échange d’information soit bilatéral en ne nous contentant pas de leur fournir les documents, mais en leur demandant également de nous donner des précisions.
Dès que certains éléments sont identifiés, nous pouvons mettre à jour notre base de données en ligne. Les photos qui sont affichées sont dès lors accompagnées de renseignements plus précis, ce qui facilite les recherches et les rend accessibles à davantage de personnes. C’est tout ce que je voulais ajouter.
Mme Giesbrecht : Du point de vue du Musée royal de la Colombie-Britannique et de notre service d’archives, nous sommes entièrement d’accord avec nos collègues de Winnipeg quant aux capacités du CNVR, aux lacunes encore à combler et à l’importance de veiller à ce que les utilisateurs soient à leur aise.
Nous concentrons nos efforts sur ces deux transferts massifs vers le CNVR, mais nous sommes conscients que nos archives renferment de nombreux autres dossiers pertinents. C’est en quelque sorte un premier pas vraiment important, mais cette démarche doit se poursuivre, et nous savons qu’elle portera fruit dans un avenir prévisible alors que nous continuons de découvrir de plus en plus de dossiers qui vont dans le sens de nos efforts pour contrer les problèmes comme la prise en compte insuffisante des Métis dans les dossiers d’archives. Il y a encore tant à faire dans tous les domaines de la pratique archivistique et de l’accès aux documents. Cela ne se limite pas à la seule numérisation.
J’ajouterais également que le service des archives de la Colombie-Britannique se distingue quelque peu du fait de son intégration au Musée royal, si bien que l’accès aux dossiers s’inscrit dans une vaste approche institutionnelle s’articulant aussi autour d’éléments comme le rapatriement d’artefacts, une priorité pour nous, et la mobilisation communautaire. Nous savons que c’est le travail qui nous attend pour les années à venir, plutôt que simplement une tâche à accomplir à court terme.
La sénatrice Martin : Ma collègue, la sénatrice Coyle, a vraiment bien exprimé mes propres sentiments et impressions en soulignant l’importance de votre travail et le fait que, derrière ces mètres linéaires, peut se cacher un enfant, un être humain, et que vous devez par conséquent traiter des informations de nature très délicate. Je tiens donc à vous remercier moi aussi pour le travail incroyable que vous accomplissez dans ce domaine très spécialisé qu’il est primordial de pouvoir relier à tout le reste.
Vous dîtes vouloir continuer à donner accès à ces documents. Il arrive parfois que l’on ait une foule d’informations et de programmes à offrir, mais je me demande dans quelle mesure les communautés et les familles savent vraiment à qui s’adresser pour y avoir accès. C’est un défi de taille à mes yeux. Je vis en Colombie-Britannique, mais je n’ai moi-même jamais consulté les archives et je ne sais pas par où je devrais commencer.
J’ose espérer que l’on a mis en place des mesures continues et proactives pour l’établissement des liens nécessaires, de telle sorte que les familles et les communautés soient au fait des ressources auxquelles elles peuvent avoir accès. C’était davantage un commentaire, mais je tenais à vous remercier de votre travail.
J’ai une brève question pour les représentantes du Musée royal de la Colombie-Britannique. Dans votre communiqué de 2021, vous parliez d’un échéancier accéléré pour le transfert de toutes les archives des Sœurs de Sainte-Anne au service provincial des archives d’ici 2025, plutôt que 2027. Je crois que vous avez indiqué avoir numérisé environ 13 % de ces archives, et j’aimerais savoir si vous prévoyez pouvoir respecter cet échéancier accéléré.
Mme Wright : Je pense qu’il est sans doute question d’un échéancier accéléré dans ce communiqué en référence au fait que les Sœurs de Sainte-Anne avaient accepté au départ de transférer leurs dossiers au Musée royal de la Colombie-Britannique en 2027. Nous avons conclu une nouvelle entente avec la congrégation pour que ce transfert se fasse dès maintenant. Les dossiers ont donc été transférés cette année au musée, et nous avons pu mettre en branle l’effort de numérisation. Comme nous l’avons indiqué, nous avons numérisé jusqu’à maintenant 13 % des dossiers jugés prioritaires, et je dirais que nous sommes effectivement sur la bonne voie, pour autant que nous conservions le niveau de ressources dont nous disposons actuellement.
La sénatrice Martin : C’est bon à entendre, car je peux à peine imaginer le volume de travail qui vous attend.
Je veux revenir à la question de l’accès. Je pense que c’est Mme La France qui a parlé des efforts de rayonnement déployés pour que les communautés et les familles soient au courant du travail accompli. Est-ce que vous vous employez ainsi à faire le nécessaire pour informer les communautés et les familles des services que vous offrez? Je suppose qu’il existe dans d’autres provinces canadiennes des organisations similaires à la vôtre.
Mme La France : Nous prenons effectivement des mesures concrètes pour rejoindre les communautés et les familles. Nous cherchons généralement à annoncer en ligne, notamment via nos médias sociaux, que nous avons tel ou tel dossier concernant telle ou telle communauté. Il arrive que nous publiions des photos mettant en évidence une communauté en indiquant à ses membres que nous avons d’autres documents les concernant.
L’an dernier, dans le cadre d’un projet financé par The Winnipeg Foundation, nous avons numérisé des photos de communautés autochtones pour ensuite faire savoir aux membres de ces communautés que nous disposions de documents concernant leur communauté, leurs familles et les écoles à proximité. Je crois que notre archiviste numérique a communiqué avec 18 communautés différentes qui étaient représentées dans nos documents d’archives.
La même archiviste a participé la fin de semaine dernière à un rassemblement pour la vérité organisé par la Première Nation de Keeseekoose. Elle a présenté un exposé pour informer les gens — il s’agissait d’un groupe de survivants — des ressources que nous mettons à la disposition des différentes communautés et des moyens à prendre pour y avoir accès. Mme Reid pourrait vous en dire plus long à ce sujet, car elle a aussi conçu des guides à l’intention de ces gens.
Mme Reid : Les gens finissent par nous trouver, parce que nous recevons beaucoup de demandes venant de notre service de référence. Je pense que le bouche-à-oreille y est pour quelque chose, parce que bien des communautés se tournent vers nous, surtout en Saskatchewan ces deux dernières années. Je pense que les gens se parlent entre eux et se disent que nous sommes là.
Nous aimerions avoir plus de groupes du Manitoba et du Nord-Ouest de l’Ontario, parce que nous avons beaucoup d’archives pour cette région du Canada aussi.
Nous encourageons tous les groupes à faire savoir aux autres que nous existons. Comme Mme La France l’a dit, notre archiviste numérique participe à diverses rencontres. Elle connaît beaucoup de personnes. Elle a beaucoup de contacts personnels avec les communautés des Premières Nations et cela nous aide beaucoup. Bien souvent, elle connaît bien des gens qui en connaissent d’autres, donc c’est simplement la meilleure façon d’entrer en contact.
Mais, en effet, nous serions très ouverts s’il y avait un moyen pour nous de contacter plus de personnes pour qu’elles sachent que nous sommes là et comment nous pouvons les aider.
Comme Mme La France l’a mentionné, le principal problème d’accès que nous avons vient du fait que nos archives sont rédigées en français. En Saskatchewan, par exemple, on a obtenu l’aide de l’Université de Regina pour traduire ces documents. Nous invitons les organisations à aider les Premières Nations à faire traduire ces documents ou à trouver des solutions. Si nous pouvions avoir plus d’aide technique à cet égard, ce serait merveilleux, car c’est un grand défi pour nous.
Le président : Je vous remercie, sénatrice Martin. En complément à sa question sur le financement, pourriez-vous nous dire quel pourcentage de votre financement provient du gouvernement, de l’Église et d’autres sources? Vous pouvez fournir une réponse écrite si vous n’avez pas la réponse ce soir.
Mme La France : Si je me souviens bien, nous recevons environ 13 % de notre financement de la province, environ 30 % du gouvernement fédéral et le reste vient de donateurs et de nos propres revenus générés grâce à des partenariats. Un de nos principaux partenariats se fait avec la Fédération Métisse du Manitoba. Nous offrons des services généalogiques à ceux qui veulent obtenir leur carte de citoyenneté métisse depuis 2004. La fédération est un partenaire très important pour nous.
Nous recevons aussi de l’argent de fondations indépendantes comme la Winnipeg Foundation ou la Thomas Sill Foundation. Plusieurs projets sont aussi menés durant l’année à l’aide d’autres financements gouvernementaux ou de fonds privés.
Notre fonds de dotation génère sans doute environ 15 % de nos revenus. Une grande partie vient de dons et d’institutions religieuses.
Le président : Je vous remercie.
Mme Wright : Nous aurons clairement besoin de vous revenir pour vous donner des chiffres. Pour les projets et le travail entourant les archives sur les pensionnats indiens, c’était bien la première fois depuis que je travaille là que nous avons commencé à recevoir des fonds d’autres sources, y compris d’organismes gouvernementaux. Quoi qu’il en soit, nous allons vérifier et vous donner une réponse.
Le président : Je vous remercie.
La sénatrice Greenwood : Tout d’abord, je tiens aussi à vous exprimer ma reconnaissance pour le travail que vous faites et qui a beaucoup d’importance pour bien des familles, alors hiy hiy à vous tous pour votre travail dans ce domaine.
J’ai une petite question sur les archives des Oblats. J’habite sur le territoire visé par le Traité no 6, en Alberta. Je sais qu’il existe des archives des Oblats là-bas, mais je présume que les archives des Oblats de Colombie-Britannique se trouvent en Colombie-Britannique et que celles du Manitoba se trouvent au Manitoba, n’est-ce pas? Ce serait donc un groupe différent dans chaque province qui accomplit le même travail que vous? Ai-je raison de penser cela? D’accord, je vous remercie.
Je veux revenir à une question posée tout à l’heure. Je présume que le Centre national pour la vérité et la réconciliation a un mécanisme établi pour accepter les archives et qu’il les traite selon ses propres normes. Y a-t-il une quelconque coordination? Observez-vous les mêmes normes pour ces archives en Colombie-Britannique et au Manitoba? Sinon, vous vous trouvez à faire deux fois le même travail, n’est-ce pas? J’essaie de comprendre comment vous effectuez votre travail. Pourriez-vous faire un commentaire là-dessus?
Mme La France : Je peux me lancer.
C’est justement pourquoi nous utilisons les services d’un étudiant venant du Centre national pour la vérité et la réconciliation. Le centre nous fournit un étudiant qui examine les archives, qui compare tous les documents et qui trouve ce qui est digne d’intérêt et ce qu’il faut numériser et transférer. Cet étudiant produit la description et toutes les métadonnées liées à l’archive avant que nous fassions la numérisation et le transfert. De cette manière, lorsque l’image numérisée apparaît dans l’archive elle-même, la description ainsi que tout ce dont la communauté a besoin dans sa base de données a déjà été préparé par l’étudiant.
C’est un processus extrêmement lent, cela dit. Le centre nous a fourni un étudiant pour l’été. Je répète que nous avons besoin d’un étudiant bilingue, parce que nos archives sont en français. Je pense que durant l’été, notre étudiant n’a examiné que 500 dossiers d’archive. Ce n’est que la pointe de l’iceberg.
La sénatrice Greenwood : Vous avez tous les deux parlé de financement. Si vous vouliez demander des fonds, vous pourriez en demander au gouvernement fédéral, au gouvernement provincial et au secteur privé, n’est-ce pas? Merci.
Le président : Le temps imparti à ce groupe de témoins est terminé. Je tiens à remercier tous les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui. De plus, si vous n’avez pas encore répondu à certaines questions, veuillez fournir vos réponses par courriel à la greffière d’ici la fin du mois. C’est ce qui conclut notre séance aujourd’hui.
(La séance est levée.)