LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 4 octobre 2023
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 46 (HE), avec vidéoconférence, à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs); et en séance publique, pur étudier le projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
(La séance se poursuit à huis clos.)
(La séance publique reprend.)
Le président : Honorables sénateurs, je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis d’Epekwitk, aussi connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
J’aimerais commencer par reconnaître que le territoire sur lequel nous sommes réunis est le territoire ancestral, traditionnel et non cédé de la nation algonquine anishinabe, où vivent maintenant de nombreuses autres Premières Nations ainsi que des Métis et des Inuits de toute l’île de la Tortue.
Je prends aussi un moment pour mentionner qu’aujourd’hui, le 4 octobre, nous commémorons la Journée nationale d’action pour les femmes, les filles et les personnes de genre différent autochtones disparues et assassinées. Pensons aux personnes qui ne sont plus là et à celles qui ont survécu ainsi qu’aux membres des familles et des communautés qui continuent de faire preuve d’une force de caractère remarquable dans leur combat pour obtenir justice.
J’invite les membres du comité à se présenter en indiquant leur nom et leur province ou territoire.
Le sénateur Arnot : Je m’appelle David Arnot, je suis un sénateur de la Saskatchewan. Je vis sur le territoire visé par le Traité no 6.
La sénatrice Hartling : Je suis la sénatrice Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick, du territoire non cédé des Mi’kmaqs.
Le sénateur Prosper : Je suis le sénateur Prosper. Je suis de la Nouvelle-Écosse, du territoire traditionnel des Mi’kmaqs. Merci.
La sénatrice Martin : Bienvenue, monsieur le ministre. Je suis Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Tannas : Je suis Scott Tannas, de l’Alberta.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Je suis Patti LaBoucane-Benson, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.
La sénatrice Boniface : Je m’appelle Gwen Boniface, je remplace la sénatrice Mary Coyle.
La sénatrice McCallum : Je m’appelle Mary Jane McCallum, du Manitoba.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, division sénatoriale des Laurentides, au Québec.
[Traduction]
La sénatrice Greenwood : Mon nom est Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique, mais je viens du territoire visé par le Traité no 6.
Le sénateur D. Patterson : Je suis Dennis Patterson, sénateur du Nunavut, Inuit Nunangat.
Le président : Merci à tous.
Aujourd’hui, le comité poursuit l’étude du projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.
Avant de commencer, j’invite tout le monde à faire des interventions aussi brèves que possible. Je vous rappelle que, comme nous disposons d’un temps limité, chaque sénateur aura cinq minutes pour poser une question et recevoir une réponse. À la quatrième minute, je montrerai cette affichette qui a fait ses preuves pour indiquer qu’il vous reste une minute. Nous commencerons par les membres du comité, puis nous passerons à nos autres collègues. Si le temps le permet, nous commencerons une deuxième ronde.
Je demanderais aux témoins de fournir par écrit, d’ici la fin de la semaine, la réponse aux questions restées en suspens.
Je vous présente maintenant notre premier groupe de témoins. Du ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord, nous accueillons l’honorable Gary Anandasangaree, ministre des Relations Couronne-Autochtones. Bienvenue, monsieur le ministre. Il est accompagné de deux fonctionnaires du ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord : Mary-Luisa Kapelus, sous-ministre adjointe principale, Politiques et orientation stratégique; et Kate Ledgerwood, directrice générale, Secrétariat de la réconciliation. Du ministère de la Justice, nous accueillons Me Seetal Sunga, avocate-conseil, Services juridiques. Merci à vous tous d’être parmi nous aujourd’hui.
Le ministre disposera de cinq minutes pour présenter ses observations préliminaires, et il y aura ensuite une période de questions avec les sénateurs. J’invite maintenant le ministre à présenter ses observations préliminaires.
L’honorable Gary Anandasangaree, c.p., député, ministre des Relations Couronne-Autochtones, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada : Bonsoir. Je vous remercie, monsieur le sénateur.
Kwe kwe, ullukkut, tansi et bonjour.
Je tiens à souligner que le Parlement canadien est situé sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe. Je me réjouis de comparaître pour la première fois devant ce comité à titre de ministre. J’envisage avec plaisir de collaborer de près avec chacun d’entre vous sur des enjeux qui nous tiennent mutuellement à cœur et qui sont d’une importance cruciale pour le travail du comité. J’attache une grande valeur au travail du comité ainsi qu’aux expériences et aux perspectives particulières de chacun d’entre vous. Je suis heureux de pouvoir compter sur vos conseils tandis que le gouvernement s’emploie à faire progresser la réconciliation.
Je tiens à remercier mon prédécesseur, le ministre Marc Miller, du travail qu’il a accompli à l’égard de ce projet de loi, et je remercie aussi son personnel.
Je souligne, alors que je m’apprête à témoigner, que la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation — aussi appelée « Journée du chandail orange » — a eu lieu il y a quelques jours, le 30 septembre.
Aujourd’hui, nous soulignons la Journée nationale d’action pour les femmes, les filles et les personnes de genre différent autochtones disparues et assassinées. Nos pensées accompagnent les survivants et les communautés touchées, et nous renouvelons aujourd’hui notre engagement de veiller à mettre un terme à cette tragédie nationale.
Nous sommes ici aujourd’hui parce que, depuis de nombreuses années, les peuples autochtones demandent que le gouvernement du Canada soit tenu de rendre compte du rôle qu’il joue dans la réconciliation et la recherche de la vérité. Nous sommes ici parce qu’en 2015, la Commission de vérité et réconciliation a demandé au Parlement du Canada d’établir un conseil national de réconciliation, parce que les progrès en matière de réconciliation doivent être mesurés si nous voulons avancer.
[Français]
C’est exactement ce que prévoit le projet de loi C-29. S’il est adopté, il permettra d’établir un conseil national de réconciliation sous la forme d’une organisation permanente de la société civile dirigée par des Autochtones.
[Traduction]
Je souhaite revenir à la vision initiale d’un ancien grand chef, M. Willie Littlechild, et du comité de transition, soit une vision basée sur leurs recherches approfondies et l’engagement du public sur le mandat, la gouvernance et les opérations du conseil.
[Français]
Cette vision comprend un conseil national qui valorise tout le bon travail réalisé pour soutenir la réconciliation, qui met en valeur la sagesse et les bonnes voies à suivre, et qui s’interroge sur ce que font les gouvernements pour soutenir la réconciliation.
[Traduction]
Cette vision comprend un conseil national doté d’une flexibilité maximale lui permettant de se développer et d’évoluer au fil du temps. Un conseil qui s’adresse à tous les Canadiens, parce que la réconciliation est une chose sur laquelle chaque personne au Canada peut agir. Un conseil qui va au-delà de la mise en œuvre des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, car la réconciliation doit se poursuivre après la mise en œuvre des appels à l’action.
À partir de cette vision initiale, le comité de transition du Conseil national de réconciliation a fait appel à des experts techniques autochtones et non autochtones et a formulé des recommandations qui ont mené au projet de loi que nous examinons aujourd’hui.
L’objectif de ce projet de loi est de mettre en place le conseil et de veiller à ce qu’il puisse remplir son mandat. Ensuite, c’est le conseil qui décidera de la suite des événements.
[Français]
Sa première tâche sera d’élaborer un plan d’action fondé sur une collaboration approfondie. On commencera par consulter, écouter et bâtir les relations.
[Traduction]
Le conseil ne se substituera pas aux relations existantes. Les relations de nation à nation, entre les Inuits et la Couronne et de gouvernement à gouvernement joueront un rôle central dans notre relation renouvelée. Le conseil sera totalement différent des relations et des mécanismes bilatéraux permanents déjà en place; il s’agira d’une organisation indépendante du gouvernement.
Le gouvernement fédéral aura toutefois des responsabilités pour aider le conseil à mener à bien sa mission, et c’est ce que prévoit ce projet de loi. Cela inclut le partage d’informations, qui sera bien sûr essentiel au rôle de surveillance du conseil. Il veillera également à ce que le conseil comprenne toujours des représentants des Premières Nations, des Inuits et des Métis, et à ce que le conseil d’administration comprenne des jeunes, des femmes, des hommes et des personnes de sexe différent, ainsi que des personnes originaires de toutes les régions du Canada. La vision du conseil d’administration provisoire et du comité de transition est que les administrateurs siègent en tant qu’individus qui agissent dans l’intérêt supérieur du conseil, et non en tant que représentants d’autres organisations ou intérêts.
Je félicite de leur travail les membres du conseil d’administration provisoire et du comité de transition. Je les remercie d’avoir travaillé sur ce dossier pendant plusieurs années.
Dans le cadre du budget de 2019, 125 millions de dollars ont été placés dans un fonds de dotation, ces fonds devant servir à établir le conseil et à lui permettre de commencer son important travail. Nous sommes conscients qu’il faudra probablement engager d’autres sommes à l’avenir. Il reviendra au conseil d’évaluer ses futurs besoins de financement en fonction du plan d’action qu’il aura élaboré.
[Français]
Monsieur le Président, le temps presse. Ce projet de loi est conçu comme un cadre flexible, et il est le fruit d’années de plaidoyer de la part des dirigeants, des experts et des communautés autochtones.
[Traduction]
Je réclame votre appui afin que le conseil puisse commencer son bon travail qui est urgent et nécessaire pour faire avancer le pays vers une véritable réconciliation, tout en étant ouvert à des moyens de renforcer le projet de loi. J’apporterai volontiers des précisions à mes brèves observations en répondant à vos questions réfléchies.
Meegwetch, qujannamiik, marsee, merci.
Le président : Merci, monsieur le ministre.
Nous passons aux questions des sénateurs, en commençant par le sénateur Arnot, le vice-président du comité.
Le sénateur Arnot : Je vous remercie de votre présence ce soir, monsieur le ministre.
Vous savez sans doute que nous avons entendu un certain nombre de témoins et que près d’une centaine d’amendements ont été proposés au projet de loi. De nombreux témoins ont dit qu’ils voulaient que le conseil soit mis sur pied, et c’est ce qu’il faut absolument faire. Parmi les questions qui ont été soulevées, il y a la composition du comité, la façon dont les membres seront sélectionnés, le mandat et la question de savoir s’il est assez fort pour accomplir le vaste éventail des actions et le financement.
Je veux vous poser une question au sujet de l’argent, car il pourrait y avoir beaucoup de demandes imprévues au fur et à mesure que les choses avancent. Je pense que le financement initial est excellent pour démarrer. La dotation de 125 millions de dollars générerait environ 6,2 millions de dollars à 5 %, ce qui représente un plafond, d’une certaine façon. Vous avez laissé entendre que vous reconnaissez — comme l’ont affirmé de nombreux témoins — que le financement n’est peut-être pas suffisant pour répondre aux exigences de l’avenir. Comment proposez-vous d’apaiser cette préoccupation? Merci.
M. Anandasangaree : Merci, sénateur. Je suis heureux de vous revoir. Nous nous sommes rencontrés lors de la signature historique du traité par la nation Whitecap.
Essentiellement, le projet de loi a été élaboré dans le cadre d’un processus de consultation. En gros, nous avons procédé en deux étapes, auxquelles ont participé le comité de transition et le comité intérimaire qui nous a conseillés. Comme vous le savez, le fonds de dotation de 125 millions de dollars n’est pas un moyen habituel de financer une initiative du gouvernement.
Dans ce cas particulier, l’une des principales recommandations de la Commission de vérité et réconciliation est que le conseil soit indépendant. Il serait indépendant du gouvernement, ce qui signifie qu’il ne dépendrait pas du gouvernement. Le montant initial de 125 millions de dollars est un investissement important dans un fonds de dotation qui assurera au conseil la capacité de fonctionner d’une manière robuste dès le départ. Maintenant, au fur et à mesure que le conseil sera mis en œuvre et que celui-ci élaborera un plan d’action et déterminera la portée des travaux et les exigences budgétaires, nous devons être ouverts à l’idée d’augmenter le financement. Pour ma part — et je peux vous assurer qu’il en est de même pour le gouvernement —, je répondrai à cet appel. Comme point de départ, 125 millions de dollars, c’est une somme importante, vous en conviendrez, qui permettra de démarrer. Au fur et à mesure que le plan de travail sera élaboré et mis en œuvre, nous serons certainement ouverts à d’autres conversations, et je m’engage personnellement à appuyer un financement supplémentaire au besoin.
Le sénateur Tannas : Bienvenue, monsieur le ministre.
Au printemps, nous avons entendu de nombreux organismes qui voulaient être automatiquement inclus dans le conseil d’administration ou qui ne voulaient pas que quelqu’un d’autre soit automatiquement membre du conseil d’administration, et cetera. Pour nous — certainement pour moi — et au point où nous en sommes dans l’étude de la question, le plus alarmant est que les trois principales organisations autochtones nationales — l’Assemblée des Premières Nations, le Ralliement national des Métis et l’Inuit Tapiriit Kanatami — nous conseillent de ne pas adopter le projet de loi. Nous n’avons pas entendu dire que cela a changé; nous n’avons pas oublié. Pouvez-vous nous donner l’assurance que leurs points de vue ont changé? Devrions-nous les convoquer avant de procéder à l’étude article par article?
Je crains que nous ne placions la charrue devant les bœufs si nous procédons à de nombreux amendements. Selon moi, nous n’avons pas trouvé la solution idéale qui nous permet d’aller de l’avant. Étant donné l’importance du projet, je veux que l’on s’assure de bien faire les choses. Ce serait insensé d’aller de l’avant sans l’appui des grandes organisations autochtones nationales.
Pouvez-vous nous éclairer sur vos conversations, pour nous donner l’assurance qu’elles sont d’accord ou nous dire qu’elles ne le sont pas, quelle que soit la situation?
M. Anandasangaree : Je vous remercie de votre question, sénateur.
Je ne parlerai pas au nom des trois organisations autochtones nationales. Elles s’expriment pour elles-mêmes et je ne reviendrai pas sur leur témoignage, mais je vous invite à leur demander des précisions.
Je crois comprendre que certains, notamment l’Inuit Tapiriit Kanatami, craignent que le mécanisme proposé, le conseil, diminue le partenariat bilatéral qui a été établi au moyen du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne, qui se réunit régulièrement et qui a fait véritablement progresser la réconciliation depuis 2017. On craint, d’une certaine façon, que le projet de loi vienne diminuer cette relation ou si cela va empiéter sur la relation bilatérale établie dans le cadre de ce comité.
Je peux vous dire que l’une des premières choses que j’ai apprises en tant que ministre, c’est à quel point ces comités sont précieux. Dans le cadre de mes fonctions précédentes, j’ai pu assister à bon nombre de conversations de ce genre, qui sont franches et très fructueuses, et donnent des résultats. Cela ne changera en aucune circonstance. Ce qui est dans le projet de loi est clair. L’objectif ne consiste nullement à remplacer les comités qui existent, et je pense que j’en ai parlé dans ma déclaration préliminaire.
Par ailleurs, si on propose des amendements, je vous suggère d’aborder ce sujet et d’indiquer que les relations bilatérales sont primordiales. Je crois que cela contribuerait à recueillir des appuis.
Nous avons beaucoup travaillé au fil des ans pour en arriver là. Je reconnais qu’il y a de l’hésitation, mais la voie est clairement tracée et il est nécessaire de procéder alors que nous travaillons à la réconciliation.
Le sénateur Tannas : Recommandez-vous que nous allions de l’avant même si nous n’obtenons l’aval ou le consentement de ces trois organisations?
M. Anandasangaree : Sénateur, sans vouloir aller trop loin, je vous invite à vous renseigner auprès d’elles, peut-être par écrit, ou à les consulter au sujet d’un amendement envisagé. C’est peut-être la meilleure façon d’aborder la question.
Le sénateur Tannas : Merci.
La sénatrice Martin : Bienvenue, monsieur le ministre.
À titre de précision, avez-vous dit au sénateur Tannas et au comité que le gouvernement est ouvert à des amendements du Sénat visant à clarifier le libellé du projet de loi? Il y a un point que je souhaite soulever, mais dans votre réponse au sénateur Tannas, vous dites-vous ouvert à l’égard des amendements?
M. Anandasangaree : Nous sommes ouverts aux amendements, sénatrice. Nous sommes ouverts à un dialogue constructif. J’ai une équipe ici, et je pense que s’il y avait des idées, nous pourrions certainement vous donner une idée de notre position. Nous venons ici au Sénat pour que les projets de loi soient améliorés, et au fil des ans, je pense que vous avez joué un rôle essentiel dans l’amélioration des projets de loi. S’il y a des amendements, nous les examinerons certainement. Je ne peux pas prendre d’engagements fermes pour l’instant, mais je les examinerais certainement. J’ai une équipe juridique et des gens que je dois consulter.
La sénatrice Martin : Cela dit, il y a une exclusion ou une omission qui a été évoquée. On reproche à ce projet de loi la disposition de l’exclusion du Congrès des peuples autochtones comme l’un des administrateurs permanents du conseil d’administration. Je le comprends, car au comité de l’autre endroit, l’amendement qui y a été proposé pour inclure le Congrès a finalement été retiré à l’étape de la troisième lecture ou à l’étape du rapport.
Au cours des échanges que j’ai eus et au sein du comité, nous avons entendu le témoignage du Congrès des peuples autochtones. Il représente 800 000 voix autochtones et constitue un groupe national de grande envergue, qui existe depuis plus de 50 ans. Il est reconnu comme un organisme national. Pourriez-vous expliquer au comité pourquoi le gouvernement a décidé d’infirmer la décision du comité et d’éliminer sa voix au conseil d’administration? Pourrions-nous considérer cela comme un amendement provenant de ce comité?
M. Anandasangaree : Je crois comprendre que le comité a pris sa décision au sujet de cette question, qui a été résolue à la Chambre des communes.
De mon point de vue, on peut citer trois organismes autochtones nationaux qui sont représentés, en l’occurrence l’Assemblée des Premières Nations, Inuit Tapiriit Kanatami, le Ralliement national des Métis et l’AFAC. Ils font partie des neuf à treize membres qui forment le conseil. Les organismes recommandent et proposent des membres, au même titre qu’un individu siégeant au conseil, dont le rôle principal serait de servir le conseil et l’organisme en question en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions.
Au regard du vaste éventail de différents peuples autochtones, je vous invite à jeter un œil sur l’article 12 du projet de loi, qui souligne la nécessité de tenir compte de l’égalité entre les sexes et de toute une gamme d’enjeux — les jeunes, les femmes. Je crois que cela suscitera de l’intérêt.
Il va sans dire que dans le cas où le Congrès des peuples autochtones déciderait de présenter sa candidature, il disposera de débouchés et de voies lui permettant de proposer son adhésion. Selon moi, cette approche serait la meilleure façon de permettre aux organismes d’avoir un membre de plus s’ils le souhaitent. Cette mesure législative, à mon avis, serait la meilleure solution.
La sénatrice Martin : Je sais que l’article énonce la diversité des voix qui seraient autour de la table du conseil. Cependant, j’estime que le Congrès des peuples autochtones se place dans une catégorie différente du fait de son envergure et de sa réputation à l’échelle nationale. N’êtes-vous pas d’accord?
M. Anandasangaree : Le Congrès des peuples autochtones est un organisme que je connais très bien. Ses membres ont comparu devant le comité à plusieurs reprises. Ils ne ratent aucune étude entreprise par un comité. J’ai déjà occupé un poste au ministère de la Justice et, avant cela, j’étais membre du Comité des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes. Oui, j’ai entendu, plusieurs fois, leurs mémoires présentés à des comités sur divers sujets. Plusieurs autres organismes expriment également leurs opinions — qu’ils soient régionaux ou qu’ils aient des priorités différentes...
La sénatrice Martin : Et ils ont une portée nationale.
M. Anandasangaree : Ils ont effectivement une portée nationale.
Cela s’explique par le fait que les trois organismes autochtones nationaux sont reconnus, de même que l’AFAC. Il est clair qu’il faut souligner la représentation des femmes dans cet espace. Par conséquent, je pense que nous avons trouvé le bon équilibre pour faire en sorte que d’autres voix soient entendues.
Le sénateur D. Patterson : Bienvenue, monsieur le ministre.
Vous avez répondu à la préoccupation que je voulais aborder en tant que représentant des Inuits selon laquelle l’ITK leur donne une voix à l’échelle nationale. Natan Obed ne pouvait pas être plus clair dans le témoignage qu’il a fait devant nous, que vous connaissez sans doute. Refusant d’appuyer le projet de loi C-29 dans sa version actuelle, il a dit : « Nous voulons réellement nous assurer que les Inuits participent à ce conseil. »
Vous avez répondu à la question du sénateur Tannas, mais j’aimerais mettre les choses plus au clair, puisque Natan Obed, que nous respectons tous, a bien souligné que les Inuits n’ont pas collaboré à la rédaction de cette mesure législative. Il s’est exprimé très clairement sur ce point. Il a dit qu’il s’agissait d’un processus de participation lacunaire — c’était avant votre arrivée — et il a affirmé ceci :
[...] vous devriez régler les problèmes relatifs à ce projet de loi avant son adoption. Il est probable que les Inuits n’appuieront ce projet de loi que s’il est modifié pour établir le Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne comme mécanisme qui orientera l’élaboration de mesures de réconciliation propres aux Inuits, ou pour préciser et définir la portée des fonctions du conseil.
C’était son témoignage devant notre comité.
J’ai été heureux de vous entendre dire que vous seriez ouvert à des amendements. Vous avez également dit dans votre déclaration que cela ne changerait pas les liens bilatéraux existants, mais le projet de loi n’indique rien à ce sujet à l’heure actuelle. Seriez-vous ouvert à un amendement qui confirmerait que les mécanismes bilatéraux permanents continueront d’être la principale tribune pour répondre aux préoccupations des Inuits et qui, comme M. Obed l’a dit en réponse au sénateur Arnot, ne brouillera en aucune façon les relations fondées sur les droits que les Inuits entretiennent avec la Couronne?
M. Anandasangaree : Oui, sénateur, je serai sans doute ouvert à cette proposition.
Pour mettre les choses au clair, je pense que vous avez laissé entendre que ce projet de loi avait été rédigé en collaboration avec des organisations inuites. Il y a plusieurs mesures législatives qui sont corédigées, y compris le projet de loi C-91 sur lequel vous et moi avons travaillé par le passé. Au fait, la mesure législative qui nous occupe aujourd’hui n’a pas fait l’objet d’une corédaction, parce que la démarche était quelque peu différente. Par conséquent, la rédaction en collaboration avec des organisations inuites est un élément qui fait défaut. Les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation le réclament.
Plus précisément, il y a devant nous deux éléments différents qui sont plutôt uniques, l’un d’entre eux est le comité provisoire. En fait, ils ont tous deux fait le travail de consultation, parce que le processus se poursuit. Même une fois que le conseil sera établi, il aura l’obligation de consultation et de mobilisation en continu. Je suis conscient qu’on pourrait trouver des variations au niveau de la consultation, et je serai le premier à le reconnaître. Néanmoins, il y avait évidemment différentes façons de consultation qui ne ressemblent pas aux formes habituelles, telles que les projets de loi qui n’ont pas fait l’objet d’une corédaction.
Pour revenir à votre deuxième point, je peux vous assurer que les liens bilatéraux sont au cœur de notre travail et de nombreuses réalisations que nous avons accomplies, en particulier en collaboration avec l’ITK et les Inuits. Nous sommes donc tout à fait disposés à examiner le libellé qui permettrait de mettre les choses au clair.
Le sénateur D. Patterson : D’accord, c’est formidable. Vous pouvez probablement vous attendre à voir des propositions présentées.
M. Obed a également abordé la question du mandat. Il a surtout estimé que le mandat était mal défini et qu’il laissait place à l’interprétation des membres du conseil. Il a dit :
« [...] le conseil continuera de s’appuyer sur l’avis d’experts pour évaluer et définir la réconciliation. Cette approche sera instable et fragmentée, mais surtout, elle sera dissociée des organisations qui représentent les Inuits et qui tentent de faire progresser cette question. »
Pourquoi votre ministère a-t-il laissé le mandat de ce conseil si ouvert à l’interprétation? N’aurait-il pas été préférable de définir le mandat et de donner des critères clairs au conseil?
M. Anandasangaree : Sénateur, l’un des aspects de ce conseil et de cette mesure législative est que le gouvernement tente de décoloniser la manière dont les gouvernements agissent, que ce soit financièrement parlant ou autre. Encore une fois, les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation ont appelé à un financement durable à long terme et à un conseil indépendant du gouvernement. Ce sont des éléments qui permettront essentiellement à l’organisation d’autodéterminer son travail. Par conséquent, pour ce qui est des questions telles que le plan d’action qui doit être élaboré et mis en œuvre, le besoin d’effectuer une consultation et une mobilisation continues et de veiller à ce que les initiatives soient axées sur les survivants, il reviendra au conseil d’en décider.
Il y a une limite que j’essaie de ne pas franchir dans la loi actuelle, qui est d’être très normatif. Elle est intentionnellement ouverte afin que le mandat puisse être défini par le conseil lui-même.
La sénatrice Greenwood : Je vais poursuivre sur ce point. Vous m’avez enlevé les mots de la bouche.
Merci, monsieur le ministre, d’avoir pris le temps de vous joindre à nous ce soir. Je remercie aussi vos collègues.
La question que je voulais poser est très similaire à celle du sénateur Patterson; je vais donc poser une partie seulement de la question. Je crois comprendre que — j’ai peut-être tort — vous êtes ouvert à ce que des amendements soient présentés concernant l’obligation de consulter, ou ce concept-là. Seriez‑vous ouvert à un amendement qui préciserait que le travail du conseil national à l’égard du gouvernement ne constitue pas une consultation au regard de l’obligation de consulter? Le but est simplement de rendre le projet de loi plus explicite — plutôt que normatif, comme vous l’avez dit, et de mettre les choses au clair pour les personnes qui liront son contenu. C’est très important. Je réitère ce qu’a dit Natan Obed au sujet du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne, et les consultations dont vous avez parlé sont très importantes.
J’en viens à ma question. Elle porte sur le financement. Vous avez touché le sujet déjà. Bon nombre des témoins qui ont comparu devant le comité dénoncent le mécanisme de financement. Je sais que 125 millions de dollars représentent une somme considérable. Toutefois, on a déjà vu des sommes plus importantes. L’appel à l’action no 54 demande au gouvernement de fournir un financement pluriannuel pour les besoins du conseil national de vérité et réconciliation afin de s’assurer qu’il dispose des ressources humaines, financières et techniques nécessaires pour mener ses travaux. Seriez-vous ouvert à un amendement prévoyant un financement annuel? Vous avez dit qu’un financement serait fourni au conseil en cas de besoin, mais en vérité, quand on pense à l’ampleur du travail par rapport à chacun des secteurs, chacune des disciplines, chacune des nations et chacun des règlements, 125 millions de dollars, ce n’est pas beaucoup d’argent. Seriez-vous ouvert à un amendement prévoyant un financement annuel en supplément des 125 millions de dollars, ou subséquent à cette somme? Pour que le conseil soit une réussite, je crois que nous devons l’outiller adéquatement. Merci.
M. Anandasangaree : Merci, sénatrice.
Je devrai prendre ces deux suggestions en délibéré, car je crois bien que vous en avez formulé deux.
Au sujet du financement, le projet de loi n’a pas été conçu comme la plupart des projets de loi que vous êtes appelés à étudier. On y met vraiment l’accent sur l’indépendance de cette entité. Les appels à l’action nos 53 à 56 insistent sur la nécessité d’un organe indépendant à l’abri des réalités économiques du gouvernement de l’heure et du fait que celui-ci l’appuie ou s’y oppose. Selon moi, la Commission de vérité et réconciliation a réclamé la création d’un organe indépendant pour de nombreuses raisons. Si le gouvernement y consacre un fonds de dotation et un financement annuel continu, cela réimpose un degré de dépendance et je doute que l’on veuille aller dans cette direction.
Si vous dites que les fonds ne suffisent pas, je vous dirais que vous avez probablement raison, et nous envisagerons certainement d’en fournir davantage, mais si vous dites que la somme prévue est bien, mais que vous aimeriez que le gouvernement prévoie un financement annuel en plus, il faudra y réfléchir sérieusement. Cela pourrait réellement changer la portée de ce que nous essayons de faire.
La sénatrice Greenwood : Merci, monsieur le ministre. Je vous remercie de votre réponse et de votre ouverture.
Je sais qu’il existe aujourd’hui des mécanismes qui reçoivent un financement annuel même s’ils sont indépendants du gouvernement et qui font de l’excellent travail. J’en connais quelques exemples. Je vous serais reconnaissante de tenir compte de cela dans votre réflexion.
M. Anandasangaree : Merci, sénatrice.
La sénatrice Hartling : Monsieur le ministre, je vous remercie, ainsi que votre équipe, d’être ici ce soir. Ce projet de loi est très intéressant, et je crois que tout le monde attend impatiemment son dénouement.
Ma question porte sur les résultats. En quoi le projet de loi C-29, s’il est adopté, contribuerait-il à la réconciliation et comment en mesurera-t-on le degré de réussite? Par exemple, comment les Autochtones pourraient-ils participer à la collecte de données pour appuyer, disons, un rapport annuel?
M. Anandasangaree : Merci, sénatrice.
La production de rapports comporte trois éléments distincts, mais d’abord, parlons du mandat de recherche. Ce conseil a pour mandat de réaliser des entrevues et d’effectuer des travaux de recherche originale, inductive ou de synthèse à partir des sources disponibles. Il est également prévu que nous puissions conclure une entente d’échange de données avec le conseil. C’est le premier élément, et selon moi, c’est vraiment le cœur et l’âme du travail qu’effectuera ce conseil.
Du point de vue du gouvernement, le ministre est tenu de fournir des renseignements, en particulier en ce qui a trait aux écarts socioéconomiques, qu’il s’agisse de niveau de scolarité ou de l’une des matrices décrites dans le projet de loi. Je ne vais pas décrire chacune d’elles, mais essentiellement, on parle des écarts systémiques que l’on observe au Canada entre les Autochtones et les non-Autochtones. C’est simplement une mesure pour surveiller les progrès. C’est à cet égard que des outils de mesure bien précis permettront de dire si les choses se sont grandement améliorées ou ne se sont pas améliorées du tout dans cinq ou dix ans. Certaines mesures portent sur l’incidence du système de justice pénale, l’incarcération excessive et des choses qui sont systématiquement cernées comme étant problématiques, comme la protection de l’enfance. Je crois que c’est là que des statistiques solides montreront nos progrès. Cela force le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour pouvoir recueillir les données et les communiquer.
Ensuite, il y a la production de rapports. Le ministre est tenu de communiquer l’information dans les 90 jours suivant la fin de l’année. Si je ne m’abuse, le rapport est produit dans les 90 suivants, puis le premier ministre est tenu d’y fournir une réponse. Voilà le processus. Je crois que chaque rapport comportera une évaluation comparative des statistiques par rapport à l’année précédente. Même si le conseil ne fournit pas cette information comparant les résultats à ceux de l’année précédente, les rapports annuels et la réponse du gouvernement à ces derniers montreront assurément si nous effectuons des progrès.
La sénatrice Hartling : Merci.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup d’être ici.
Je reprends un peu dans la même veine que la sénatrice Greenwood et le sénateur Patterson. J’aimerais comprendre comment le fonds de dotation fonctionnerait, dans l’espoir de comprendre pourquoi vous avez choisi cette voie. Je prends l’exemple de la Commission du droit du Canada. Elle est financée par le gouvernement, mais elle se considère certainement comme indépendante du gouvernement dans l’exécution de son travail. J’essaie de comprendre comment un fonds de dotation permettrait de garder cette distance que vous semblez trouver si importante.
M. Anandasangaree : Avant de me lancer en politique, sénatrice, je comptais parmi ceux qui étaient frustrés par l’absence de financement pour la Commission du droit. En fait, pendant des années, elle n’était pas financée parce qu’un certain gouvernement en avait décidé ainsi. Le gouvernement actuel a choisi de la financer, et c’est donc ce que nous faisons.
Je crois que le contraste est frappant. Un fonds de dotation signifie qu’une somme ponctuelle de 125 millions de dollars sera remise au conseil pour — peut-être que Mary pourrait en expliquer la logistique. De la manière dont j’envisage cela, la somme sera versée dans un fonds en fiducie ou une forme d’instrument à rentes qui garantira un revenu à perpétuité ou durant 20 ou 30 ans. Le gouvernement n’intervient aucunement dans le quotidien. Ce financement est préétabli et garanti. Voilà la différence, selon moi.
La Commission du droit est probablement le meilleur exemple d’un organe dont le financement dépend de la volonté du gouvernement de l’heure. La Fondation canadienne des relations raciales en est un autre exemple. Dans ces deux cas, il n’y a pas eu de fonds de dotation et pendant des années, la Fondation canadienne des relations raciales a dû suspendre ses activités.
C’est un modèle rarement utilisé, car le coût initial est très élevé. C’est comme la différence entre payer une maison comptant ou contracter une hypothèque ou encore la louer. La location ou l’hypothèque signifient des paiements interminables, contrairement à l’achat comptant, qui correspond à ce que nous faisons dans ce cas-ci selon moi.
La sénatrice Boniface : Vous supposez que le conseil puisera dans ce fonds seulement lorsqu’il en a besoin, ce qui, à tout le moins, en prolongera l’utilité. J’ai siégé cinq ans au sein de la Commission du droit, alors je suis tout à fait consciente des hauts et des bas qu’elle a vécus. Je suppose que ce que je veux savoir, c’est si le principal but du fonds de dotation est d’assurer un financement suffisamment durable pour atteindre la réconciliation au Canada.
M. Anandasangaree : Oui.
Mary-Luisa Kapelus, sous-ministre adjointe principale, Politiques et orientation stratégique, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada : J’aimerais ajouter, si je puis, qu’il y avait également un montant initial de 1,5 million de dollars pour l’exploitation. Lorsque le comité de transition s’est réuni, il a eu exactement le même raisonnement que le ministre, c’est-à-dire qu’il perçoit le montant comme un financement mis à sa disposition le temps qu’il prépare son plan de travail, qu’il détermine l’ampleur du travail à faire et qu’il établit plus en détail les coûts à prévoir.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup.
La sénatrice McCallum : Bienvenue au Sénat. Merci du travail que vous avez fait dans le cadre de la fouille du dépotoir, à Winnipeg. C’est une si belle journée pour cela.
Je reviens sur la nécessité de mesurer les progrès réalisés et les données existantes que nous possédons. Les données existantes que le conseil mesurera sont en fait les conséquences du colonialisme. L’incarcération excessive, les taux de suicide, la santé des enfants, la prévalence du diabète; tous ces éléments sont une mesure des processus, des politiques et des lois qui rendent notre environnement et les Autochtones vulnérables. C’est le système, le problème, pas nous. Voilà ce que ce conseil va mesurer.
Un aspect qui, je crois, n’a pas été abordé est le génocide et la manière dont cela empêche même la compréhension des pensionnats et l’incidence qu’ils ont eue sur notre enfance et sur nos peuples. J’ai demandé à un médecin, et elle a dit qu’il faudrait de cinq à 10 ans pour recueillir les données pour surveiller notre état, et non celui du système qui ne fonctionne pas.
Par exemple, que fera-t-on des données sur l’incarcération excessive? Vous mesurez le système défaillant. En quoi cela contribuera-t-il à la réconciliation?
M. Anandasangaree : Si on lit l’article 16.1 qui porte sur les rapports annuels, on constate qu’il donne une vue d’ensemble, comme vous l’avez mentionné, des différentes disparités sociales et économiques, en particulier, et des répercussions concrètes du colonialisme. Pensons notamment à l’incarcération, à la protection de l’enfance, aux résultats sur la santé et au suicide. Il existe une série de problèmes que nous connaissons et, du côté du gouvernement, nous considérons qu’il faut combler les écarts existants pour que les Autochtones et les non-Autochtones puissent jouir des mêmes résultats en matière de santé, de protection de l’enfance et ainsi de suite.
Ces résultats sont d’ailleurs assez saisissants si vous les examinez indépendamment les uns des autres. Si vous consultez les rapports annuels de l’enquêteur correctionnel — je consulte souvent les rapports qu’il publie —, les résultats sont assez saisissants. Nous avons présenté le projet de loi C-5, qui visait à lutter contre le racisme systémique au sein du système de justice pénale et le recours excessif à l’incarcération, en particulier chez les Autochtones et les Noirs. C’est ce qu’il faut mesurer, sénatrice. Il nous faut un moyen de mesurer cela, car, si les données n’ont pas changé dans trois ans ou dans cinq ans, nous pourrons évaluer et réévaluer les effets de la loi et déterminer s’il faut tenir compte d’autres facteurs pour changer le système. Essentiellement, si nous n’évaluons pas la situation, nous ne pourrons jamais savoir si nous progressons ou si nous régressons.
En passant, je pense que cela est tout à fait valable, mais les données empiriques sont essentielles pour nous. Quand on parle de racisme systémique — une question sur laquelle j’ai travaillé pendant de nombreuses années —, on en revient toujours aux données. Il faut que des données soient recueillies et disponibles, et je crois que c’est ce que fait ce projet de loi. À de nombreux égards, ces paramètres nous permettront d’établir en continu quelle était la situation en 2023 et quelle sera la situation en 2030.
La sénatrice McCallum : Donc, ce que vous dites, c’est qu’il faudra examiner comment le système se corrige lui-même au moyen des diverses mesures législatives que vous faites adopter.
M. Anandasangaree : C’est un peu cela, en partie du moins.
La sénatrice McCallum : Merci.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Bienvenue, monsieur le ministre. J’ai une question pour vous concernant la mission de cette organisation, donc ce conseil. Je lis ce qui suit dans l’article 6 du projet de loi C-29 :
[Traduction]
Le but du Conseil est de faire progresser la réconciliation avec les peuples autochtones.
[Français]
Dans la version française, on voit plutôt ce qui suit : « Le Conseil a pour mission de faire progresser la réconciliation avec les peuples autochtones. »
Je pense qu’on ne traduit pas la même idée en utilisant l’objet de la création du conseil; c’est son mandat en général. En fait, je pense qu’il a pour mission de promouvoir la réconciliation, mais ce n’est pas lui qui sera responsable de faire progresser la réconciliation. D’autant plus que dans le préambule, on dit que c’est le gouvernement qui s’est engagé à faire avancer la réconciliation.
Donc, j’inviterais les gens qui travaillent dans votre ministère à se pencher sur cette question pour s’assurer qu’on ne donne pas un mandat qui ne relève pas du conseil ou qui lui attribuerait un mandat plus important que ce qu’on lui demande et qui le rendrait imputable envers la population générale et les Autochtones aussi.
M. Anandasangaree : Merci, madame la sénatrice.
[Traduction]
Je veux vous demander une précision, car mon français n’est pas très bon, pour comprendre en quoi consiste la différence dans le libellé. Voulez-vous dire qu’il y a une différence linguistique entre les versions française et anglaise du projet de loi? Si tel est le cas, c’est certainement quelque chose que nous pouvons corriger, car je crois que nos rédacteurs législatifs sont très forts à cet égard. Pouvez-vous m’expliquer?
[Français]
La sénatrice Dupuis : Je pense que les mots dans une conversation personnelle sont moins importants que dans une législation. Dans ce cas-ci, si on veut vraiment définir la mission du conseil, on doit s’assurer que si on dit « to advance reconciliation », il s’agit vraiment de promouvoir la réconciliation et non pas de la responsabilité de faire progresser la réconciliation, parce que cela appartient au gouvernement selon ce que l’on voit dans le préambule.
[Traduction]
M. Anandasangaree : Merci.
Je me demande si notre conseillère juridique veut répondre.
Me Seetal Sunga, avocate conseil, Services juridiques, ministère de la Justice Canada : Je suis reconnaissante de l’observation de la sénatrice au sujet de la traduction, et nous pouvons certainement épauler nos collègues en demandant à nos jurilinguistes de se pencher sur la question.
Le sénateur D. Patterson : Pour en revenir aux préoccupations que M. Obed a exprimées au comité, il a dit que l’« accès limité aux renseignements dont disposera le gouvernement » entraverait « la capacité du conseil à exécuter efficacement le mandat qui lui sera confié ». Il a également déclaré que les Inuits préconisent d’autres mécanismes de reddition de comptes, comme vous le savez sans doute, comme le Tribunal des droits de la personne pour les peuples autochtones.
Je veux seulement vous demander des précisions au sujet de l’article 16.1 du projet de loi dont vous avez parlé et je me demande si vous pouvez répondre à quelques questions.
Comment le gouvernement garantira-t-il l’accès à l’information pertinente? Quelles mesures pourraient être prises pour veiller à ce que le conseil ait accès en temps voulu à l’information dont il a besoin pour remplir son mandat? En fait, je vous demande quels seront, selon vous, les types de renseignements que le gouvernement du Canada communiquera. Il est question de mettre en place un protocole. Supposons qu’il y ait des différends entourant la nature et le niveau de détail de l’information communiquée. Le protocole devrait-il comprendre un mécanisme de résolution des différends? Voilà les quelques questions que je vous pose.
M. Anandasangaree : Je vous remercie, sénateur, et je vais essayer de répondre à tout.
Le rapport sera soumis au Parlement, à la fois à la Chambre des communes et au Sénat. Nous savons que de nombreux organismes indépendants soumettent des rapports annuels à chacune de ces institutions. Lorsqu’il manque de l’information ou qu’il y a des problèmes ou des insatisfactions avec un gouvernement, cela se reflète souvent dans les rapports eux-mêmes. Je pense qu’il s’agit là d’une mesure redditionnelle intrinsèque.
Selon mon interprétation, le ministre — en l’occurrence moi, mais aussi quiconque occupe cette fonction — a l’obligation de fournir les renseignements qui sont expressément énoncés aux paragraphes 16(a) à (g). Il dispose d’un délai de 90 jours suivant la fin de l’exercice, soit le 31 mars, j’imagine. L’échéance pour le conseil ne sera pas la même, c’est vrai, mais il faudra néanmoins produire un rapport. De toute évidence, une fois le rapport soumis ou déposé au Parlement, à la fois au Sénat et à la Chambre, le premier ministre devra y répondre, ce qu’il fera pour l’ensemble de l’appareil gouvernemental.
Vous avez évoqué la nécessité d’une entente sur la communication de renseignements. Je crois que le gouvernement et le conseil s’y attelleront lorsque celui-ci sera sur pied. Les mesures redditionnelles me semblent prévues d’office. À mon avis, s’il manque quoi que ce soit ou qu’il y a des insatisfactions, cela ressortira clairement des rapports, ce qui est souvent très gênant pour un gouvernement. Les gouvernements auront donc intérêt à fournir l’information d’emblée.
Mme Kapelus : Le sénateur a évoqué la question du type d’information. Je pense qu’elle est on ne peut plus pertinente. Le projet de loi prévoit qu’il revient au conseil de déterminer le type d’information qu’il lui faut pour s’acquitter de son mandat. Le ministre en a glissé un mot, mais c’est quelque chose dont on s’occupera dans le cadre de l’entente qui régira la communication d’information. J’espère que cela répond à votre question, sénateur.
Le sénateur D. Patterson : Eh bien, l’article 16(1) est un peu général, pour ne pas dire vague, sur la mise au point d’un protocole.
Monsieur le ministre, vous devez savoir que les chercheurs et les cadres qui s’occupent des revendications issues de traités ont du mal à obtenir certains renseignements du ministère que vous dirigez. Selon ce que je comprends, c’est pour des raisons de confidentialité. Je vous remercie de votre réponse. Je vous ai demandé ce que vous pensiez de l’idée de prévoir une procédure de résolution de conflits en cas de désaccord sur la communication de renseignements.
M. Anandasangaree : Je ne sais pas si vous aviez posé précisément cette question, mais si vous avez quoi que ce soit à ce sujet, nous pourrons nous y pencher, sénateur.
Le sénateur D. Patterson : Merci.
J’espère que vous veillerez à ce que les Inuits, même s’ils ne sont manifestement pas favorables au projet de loi, ne soient pas exclus du conseil. Pour la suite des travaux, entre autres au moment d’examiner les propositions d’amendement, vous conviendrez sans aucun doute que, puisque les Inuits sont reconnus par la Constitution, il est essentiel qu’ils aient une place au conseil.
M. Anandasangaree : Je vous remercie, sénateur. J’ai un immense respect pour ce que fait l’ITK, et nous ne manquerons pas de nouer un dialogue avec son équipe dans le but de remporter son appui.
Le sénateur D. Patterson : Merci.
La sénatrice McCallum : J’ai une question, rapidement. Savez-vous qu’il y a un comité semblable au sujet de la rafle des années 1960?
M. Anandasangaree : À l’échelle fédérale, je n’en suis pas vraiment certain, sénatrice. Je ne crois pas avoir entendu parler d’un tel comité, ce qui ne veut pas pour autant dire qu’il n’y en a pas.
La sénatrice McCallum : Il existe bel et bien un comité. Je vous invite à vérifier. Il a complètement déchiré la communauté. Nous travaillons ensemble, et maintenant, cela part dans tous les sens. Il faudrait en tirer des leçons.
M. Anandasangaree : Des comités indépendants du gouvernement ont pu être créés à la suite du règlement de revendications. Le conseil dont il est ici question est un cas à part, car il fait l’objet d’un projet de loi. Nous ne manquerons pas de vous revenir. Merci.
Le président : Je vous remercie, monsieur Anandasangaree, ainsi que vos collaborateurs, d’avoir été parmi nous ce soir. Nous vous savons gré d’avoir pris le temps de témoigner.
(La séance est levée.)