LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 8 novembre 2023
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui à 18 h 47 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : J’aimerais commencer par reconnaître que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe et qu’il abrite maintenant de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits de toute l’île de la Tortue.
Je suis le sénateur micmac Brian Francis d’Epekwitk, aussi connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Nous soulignons aujourd’hui la Journée nationale des vétérans autochtones et, plus tard cette semaine, le 11 novembre, nous commémorons le jour du Souvenir. Je veux prendre un moment pour dire wela’lioq — merci — à tous les militaires et vétérans pour leur service, leur bravoure et leur dévouement. Je tiens également à rendre hommage à ceux qui ont perdu la vie, y compris les hommes et les femmes des Premières Nations, les Inuits et les Métis qui sont morts en protégeant les libertés et privilèges dont ils ne jouissaient pas toujours au Canada. Souvenons-nous.
Je vais maintenant demander aux membres du comité de se présenter en énonçant leur nom et leur province ou territoire.
La sénatrice Hartling : Je suis la sénatrice Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.
Je tiens à vous remercier, sénateur Francis, de nous parler du service des Autochtones pendant les guerres. Je vous en suis reconnaissante; merci.
La sénatrice Martin : Nous vous souhaitons la bienvenue. Je suis la sénatrice Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta, parc national Banff, traité no 7.
La sénatrice Audette : [ Mots prononcés en innu-aimun.] Bienvenue. Je m’appelle Michèle Audette.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Bonsoir et bienvenue au comité. Renée Dupuis, division sénatoriale des Laurentides, au Québec.
Merci, monsieur le président, de rappeler la contribution très importante des vétérans autochtones, qui n’a pas été reconnue à sa juste mesure dans l’histoire du Canada.
[Traduction]
Le président : Merci, sénatrices.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’efficacité du Cadre canadien des droits de la personne dans la promotion, la protection et la réalisation des droits des peuples autochtones. Plus précisément, nous tentons de déterminer si les mécanismes existants pourraient être améliorés ou si de nouveaux mécanismes sont nécessaires, y compris des mécanismes propres aux Autochtones.
Pour la première partie de la réunion, nous allons entendre Anemki Wedom. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Je vous invite maintenant à faire une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes.
Anemki Wedom, à titre individuel : [Mots prononcés dans une langue autochtone.]
Monsieur le président, je me joins à vous depuis le territoire non cédé de la nation algonquine, pour lequel j’ai un grand respect. Il occupe une place spéciale dans mon cœur. C’est là qu’on m’a donné mon nom traditionnel, Anemki Wedom. Chaque fois que je viens sur ce territoire, je suis très reconnaissante parce que mon nom traditionnel vient d’ici, de la marcheuse d’eau, la regrettée Josephine Mandamin, de l’Ontario. Je tenais à le reconnaître et à vous remercier tout particulièrement de m’avoir permis d’y être invitée.
Je fais beaucoup de bénévolat dans le dossier des femmes, des filles et des personnes bispirituelles autochtones disparues et assassinées. Je suis membre bénévole de la Coalition des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées de l’Union des chefs autochtones de la Colombie-Britannique. Je suis aussi membre bénévole du Conseil de la justice des Premières Nations et du Comité consultatif des femmes sur l’éducation juridique publique des femmes, ainsi que des jeunes.
Je suis originaire du territoire de Kamloops. Ce soir, je me tiens sur les épaules de mon grand-père, Andy Manuel. Je me tiens sur les épaules de mon père, Lawrence Thomas, et sur celles de ma cousine, Kwemcxenalqs Manuel, qui ont été assassinés et qui ont connu une mort brutale. De plus, je me tiens sur les épaules de ma tante Margaret Thomas, qui a elle aussi connu une mort brutale. Son corps a été démembré et éparpillé dans un champ de notre collectivité... Comme si sa vie n’avait aucune valeur. Ce soir, je veux leur rendre hommage, et c’est en leur nom que j’exprime mes réflexions, mes suggestions et mes idées en vue d’aborder cet enjeu.
Je contribue depuis de nombreuses années à la promotion de la dignité de nos femmes, de nos filles et de nos personnes bispirituelles dans diverses tribunes et régions du pays. L’une des choses qui me préoccupent le plus, c’est que la loi actuelle sur les droits de la personne ne reconnaît pas nos femmes, nos filles et nos personnes bispirituelles. Il n’y a pas d’approche intersectorielle en matière de droits de la personne. On ne reconnaît pas nos droits collectifs en tant que femmes.
Le Canada a promis de renforcer la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones afin de respecter les droits de la personne, et ce document est souvent présenté comme un document ambitieux. Cependant, en lisant la loi et en examinant les initiatives sur la mise en œuvre de la déclaration, on se rend compte qu’il n’y a aucune référence, quelle qu’elle soit, à l’article 22, qui exige des gouvernements qu’ils portent une attention particulière aux femmes, aux jeunes et aux personnes handicapées, ou à l’article 44, qui établit notre droit à l’autodétermination. En tant que titulaire de droits et de titres, en tant que femme secwépemc du territoire non cédé de Kamloops te Secwépemc, je peux vous dire que la participation significative des titulaires de droits et de titres à la promotion de nos droits de la personne fait cruellement défaut. Elle est malheureusement absente des processus actuels.
Nous avons un secrétariat des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, mais il doit être indépendant du gouvernement. Pourquoi ce secrétariat devrait-il faire partie du ministère des Relations Couronne-Autochtones alors que le gouvernement est le plus grand colonisateur de notre peuple en raison de la discrimination systémique continue de la Loi sur les Indiens et des inégalités entre les sexes perpétuées par les mesures connexes? J’exhorte le comité à demander, dans son rapport, le retrait de ce secrétariat du ministère afin qu’il puisse devenir une commission indépendante et mobiliser plus d’experts pour s’attaquer aux nombreuses inégalités que subissent les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones qui veulent faire valoir nos droits et les améliorer.
Je recommanderais au comité de s’inspirer de nos voisins, les États-Unis. Il y a quelques semaines, j’ai eu le privilège de participer à un sommet avec des tribus à Seattle et à Spokane. Elles ont organisé leur deuxième sommet annuel sur les personnes autochtones assassinées et disparues, qui réunissait plusieurs tribus des États-Unis. De nombreuses femmes et filles de nos communautés sont victimes de traite à des fins sexuelles; elles sont transférées de Vancouver vers les États-Unis par l’entremise de notre administration portuaire, qui est située très près de la frontière. Il est très facile de déplacer ces femmes et ces filles vers les États-Unis. Ce que je retiens du travail de ces tribus, c’est qu’elles ont adopté une loi fédérale par l’entremise de l’État de Washington pour établir un groupe de travail indépendant sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées dans tous les États des États-Unis. Elles ont aussi créé des groupes de travail d’État. J’aimerais voir un groupe de travail fédéral semblable à celui qui existe aux États-Unis.
Dans la façon dont elle a été créée en tant que commission fédérale aux États-Unis, elle a abordé les questions du manque de ressources adéquates en matière d’application de la loi et d’enquête, par l’entremise d’un sous-comité. Il y a également un comité qui se penche de façon critique sur les politiques et les programmes et sur les vides qui existent. Il a aussi un comité qui se penche sur le maintien de l’ordre et l’application de la loi. Il y a un autre comité qui se penche sur la compétence criminelle et les poursuites pénales, ainsi que sur l’échange de renseignements entre le gouvernement fédéral et les États. Il y a un comité distinct qui se concentre sur les ressources familiales des victimes dans un contexte de genre autochtone. Il y a enfin un comité législatif qui surveille les diverses politiques et lois que le gouvernement américain met en œuvre pour aborder la question des personnes disparues et assassinées.
Plus tôt cette année, en mars, l’acharnement d’un sergent d’état-major a permis de mettre au jour la violence brutale perpétrée contre de jeunes femmes autochtones à Prince George. Il a exposé un réseau de personnes qui abusaient des jeunes filles, et qui impliquait les juges, la police et le maire, ainsi que les autorités locales. Un juge a été accusé et a été emprisonné; il est mort en prison. Ce qui est triste dans cette affaire, c’est que toute l’information entourant l’enquête avait été camouflée. Grâce à l’acharnement de ce sergent d’état-major, qui s’est battu pendant 14 ans, la vérité sur la façon dont la GRC avait camouflé les plaintes présentées à sa commission civile a été révélée.
Nous avons fait face à de nombreuses réponses négatives et à un manque de réceptivité culturelle, non seulement de la part des organismes d’application de la loi, mais aussi en raison des inégalités dans les services aux victimes.
Les multiples formes d’oppression dont nos femmes sont victimes se sont aggravées avec la crise des opioïdes. Elle représente un autre outil utilisé pour détruire et tuer nos jeunes femmes, qui sont la proie de trafiquants de drogue. Ma cousine Kwemcxenalqs a été tuée dans le Downtown Eastside de Vancouver l’été dernier, et en l’espace de deux semaines, quatre femmes autochtones ont été tuées dans le même quartier.
La plus jeune avait 13 ans. Elle s’est enfuie de son foyer d’accueil parce qu’elle y subissait des sévices et elle a été retrouvée assassinée dans une maison de chambres du quartier Downtown Eastside de Vancouver. Le trafiquant de drogue qui l’a tuée était bien connu de la police. Il exploitait depuis longtemps des jeunes femmes et filles autochtones, ainsi que des femmes asiatiques, dans le Downtown Eastside. La police s’était rendue à son appartement à trois reprises pour essayer de retrouver cette jeune fille. Ironiquement, lorsque la police s’est rendue à la maison de chambres pour la troisième fois, elle a découvert son corps, ainsi que celui de trois autres personnes.
La situation est catastrophique. Les protections ne sont pas adéquates, l’application de la loi est déficiente et les procédures d’enquête ne sont pas efficaces. Il y a un réel manque de soutien adéquat pour les familles. À qui doivent-elles s’adresser lorsqu’elles ont perdu un être cher? Qui est là pour les défendre et pour les aider à comprendre ce qui se passe? Quels sont vos droits lorsqu’un coroner vient enquêter sur la mort d’un être cher? Quels sont vos droits? Tous ces processus complexes. Un grand nombre de nos familles n’ont pas le soutien dont elles auraient besoin pour obtenir justice.
Je vais en rester là pour le moment. J’aurais encore beaucoup à dire, mais je suis certaine que vous avez beaucoup de questions à me poser.
Le président : Merci beaucoup, madame Wedom.
Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. J’aimerais poser la première question. De quelle façon un organisme national peut-il miser sur les processus et l’expertise des communautés? Je pense notamment à la justice réparatrice ou au recours aux aînés.
Mme Wedom : Les processus actuels en matière de droits de la personne se centrent sur les droits individuels plutôt que sur les droits collectifs, ce qui représente un problème, à mon avis. Il n’y a pas d’approche intersectorielle à l’échelon fédéral ou provincial en matière de droits de la personne. Si nos droits étaient reconnus dans les conventions internationales, comme la Convention pour l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes, dans le cadre des principes visant la protection et l’amélioration de nos droits, alors l’approche serait beaucoup plus efficace. À l’heure actuelle, cette approche est faible. Nos membres n’y ont même pas recours pour déposer les plaintes; comment peut-on miser sur un processus qui est déjà déficient?
Le président : Je vous remercie.
La sénatrice Sorensen : Nous vous remercions d’être avec nous.
Vous avez consacré vos énergies et votre vie à ces enjeux; vous vous trouvez aujourd’hui parmi des gens qui pensent de la même façon que vous. Le Sénat a notamment pour mandat de donner une voix aux groupes sous-représentés, comme les Autochtones, les minorités visibles et les femmes. C’est notre devoir. Nous sommes heureux de vous recevoir aujourd’hui afin que vous nous en appreniez plus sur le sujet.
Ma question est similaire à celle du sénateur Francis. Votre curriculum vitæ est impressionnant, mais vous n’avez pas parlé de votre travail avec le YWCA de Metro Vancouver. Je sais que l’organisation défend ardemment les droits des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre. Je crois que c’est son objectif dans la plupart des communautés.
Mme Wedom : Je peux vous parler de mon travail pour le YWCA.
La sénatrice Sorensen : C’est ce qui m’intéresse. Pour revenir à la question du sénateur Francis, quels sont les programmes offerts par ces organismes à but non lucratif dont pourraient s’inspirer les autres organisations et le gouvernement du Canada? Ce sont des efforts communautaires.
Mme Wedom : Le YWCA de Vancouver se trouve dans une position très privilégiée par rapport à la plupart des YWCA parce qu’il a une entreprise sociale. Cela lui permet d’accroître les services et programmes offerts aux femmes de la communauté, en particulier dans le Downtown Eastside par l’entremise du YWCA de Crabtree Corner. Je pense que c’est l’un de ses avantages.
Le manque de rayonnement de Femmes et Égalité des genres, FEGC, qui est le ministère fédéral des Femmes... À une certaine époque, le ministère était décentralisé, et il comptait des bureaux régionaux partout au pays. Il pouvait jouer un rôle beaucoup plus dynamique pour tisser des liens avec les groupes de femmes et les aider à accéder à des ressources pour lutter contre la violence ou d’autres problèmes qui touchent les femmes et les filles.
Il y a un véritable fossé à l’échelon fédéral, notamment avec Relations Couronne-Autochtones et... J’utilise encore le nom Condition féminine Canada... et les autres ministères, même celui de la Justice. Le programme de justice autochtone du ministère de la Justice du Canada avait autrefois un volet sur l’égalité entre les sexes. Il a été éliminé. Relations Couronne-Autochtones avait une section autochtone chargée de l’égalité entre les sexes, mais elle a été éliminée. Il n’y a donc aucun moyen à l’échelon fédéral d’accroître la participation des femmes autochtones à l’avancement des politiques et à la réforme des lois qui peuvent assurer l’équité d’accès à la justice, à l’emploi et aux initiatives de formation. De plus, l’administration de la justice n’est pas appliquée de façon holistique comme elle pourrait et devrait l’être, ce qui entraîne des inégalités.
La sénatrice Sorensen : Je vous entends parler d’un gestionnaire des relations avec les Autochtones, qui avait un rôle spécifique à jouer pour aborder ces enjeux. Aujourd’hui, le gouvernement fédéral a éliminé ces rôles ou les a amalgamés à d’autres.
Par curiosité, j’aimerais savoir de quelle entreprise sociale vous parlez. Le Y fonctionne comme un hôtel.
Mme Wedom : Oui. L’hôtel YWCA.
La sénatrice Sorensen : Voilà. On séjourne au Y.
Le président : Madame Wedom, selon vous, pourquoi n’a-t-on pas encore mis en place des mécanismes de défense des droits des Autochtones?
Mme Wedom : Les répercussions du colonialisme sont très profondes à la fois dans nos communautés et à l’extérieur de nos communautés. Non seulement les droits fondamentaux des femmes autochtones sont bafoués dans certaines réserves — je ne dirais pas toutes —, mais les droits immobiliers matrimoniaux, par exemple, ne sont pas respectés lorsque les femmes fuient la violence. Par exemple, il n’y a pas une capacité pour aider les Premières Nations à mettre en œuvre des règlements sur les biens immobiliers matrimoniaux. Il y a un décalage à cet égard dans les réserves.
Les répercussions des institutions génocidaires perdurent. Je suis une survivante de troisième génération de cette institution génocidaire, et cette violence intériorisée s’est intensifiée en raison de la crise des opiacés. Trois de mes cousins — tous jeunes — sont morts à cause de leur dépendance aux opiacés. Leurs parents sont tous des survivants de l’institution génocidaire. On n’a pas composé avec ce lourd héritage de manière adéquate, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de nos collectivités.
En outre, l’absence de reddition de comptes des organismes de défense des droits de la personne est déplorable. Une des choses qui me réjouit, en Colombie-Britannique, c’est l’adoption prochaine d’une loi sur les données qui nous donnera une meilleure occasion d’examiner d’un œil critique la façon dont le racisme et la discrimination systémiques fonctionnent au sein des ministères provinciaux. La mise en œuvre d’une mesure semblable à l’échelon fédéral s’impose.
Le président : Je vous remercie de cette réponse.
La sénatrice Hartling : Je vous remercie beaucoup de votre présence parmi nous ce soir pour nous faire profiter de votre expérience. Je suis une grande partisane du YWCA. Nous avons un de leurs établissements au Nouveau-Brunswick; on y fait du bon travail.
Je constate, comme beaucoup d’entre nous, que la violence fondée sur le genre s’est sans contredit aggravée au Canada et dans le monde, en particulier pour les femmes autochtones. Vous le savez d’expérience pour avoir vécu beaucoup de pertes. À cela s’ajoute, comme vous l’avez mentionné, le détachement du gouvernement. Condition féminine Canada était peut-être une ressource importante pour nous à l’époque, mais le ministère semble maintenant moins présent pour nous.
Avez-vous des recommandations pour notre comité sur les mesures qu’il pourrait prendre pour faire avancer les choses ou ce qu’il pourrait inclure dans ses recommandations? Je pense à des choses que vous auriez constatées et auxquelles nous pourrions être plus attentifs.
Mme Wedom : Je pense que le groupe de travail autochtone qui existe aux États-Unis serait un très bon modèle, car ce groupe de travail a une portée qui transcende les frontières juridictionnelles qui représentent un obstacle considérable pour beaucoup de femmes autochtones touchées par la violence. Je pense aussi que cette entité devrait avoir des ressources suffisantes et être permanente pour avoir une véritable incidence sur les politiques et les réformes législatives au sein du gouvernement fédéral et entre les différentes administrations.
Je souhaite également la création d’une équipe spécialisée de procureurs de la Couronne dédiée à la lutte contre la violence fondée sur le genre dans chacune des régions. Le Code criminel est de compétence fédérale. Par conséquent, il faudrait un groupe de travail fédéral. À l’échelon provincial, cela n’a pas d’importance.
Les taux de femmes et de filles autochtones qui font continuellement l’objet d’interventions et qui sont emprisonnées sont élevés. L’ombudsman des prisons a souligné la nécessité de régler ce problème dans neuf rapports consécutifs. Les rôles proposés et envisagés pour l’ombudsman et les défenseurs des droits de la personne dans le rapport d’enquête ne comprennent pas les pouvoirs nécessaires pour éliminer les obstacles liés à la compétence ni pour être de véritables agents de changement ministériel.
Il faut s’éloigner de cette mentalité coloniale profondément ancrée dans l’ensemble de l’appareil gouvernemental fédéral, une mentalité qui est dépourvue de la perspective sexospécifique et autochtone nécessaire pour améliorer et créer des programmes et services permettant véritablement d’aider les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones.
La sénatrice Hartling : Qui a le pouvoir? Vous avez parlé d’influence et de la capacité d’effectuer ces changements. Dans quelles mains ce pouvoir repose-t-il?
Mme Wedom : Il faut une loi fédérale pour que cela se concrétise, comme cela a été fait dans le cas des tribus aux États-Unis, avec leur groupe de travail. La Maison-Blanche a promulgué une loi fédérale afin de favoriser la réforme de la législation fédérale et des politiques. Pensons aux organismes de défense des droits de la personne. Lorsqu’on lit le rapport fédéral sur les droits de la personne et le dernier rapport annuel, dans quelle mesure y mentionne-t-on les femmes autochtones? Nous sommes invisibles.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Vous avez dit très clairement à quel point les commissions des droits de la personne qui existent actuellement ne tiennent pas compte des droits collectifs des femmes. Elles sont plutôt axées sur les individus. Vous nous avez rappelé aussi que, pendant des années, ces commissions, y compris la Commission canadienne des droits de la personne, n’avaient pas d’autorité pour examiner des plaintes, parce que la loi interdisait de déposer une plainte si on était membre d’une Première Nation ou si on était une collectivité issue des Premières Nations.
En 2000, un rapport a été rendu public, parce qu’on avait confié à quatre personnes le soin de réviser la Loi canadienne sur les droits de la personne. Une des conclusions de ce rapport était justement d’abolir cette interdiction de déposer des plaintes.
Cela veut-il dire que, de 2008 à 2023, selon votre expérience, il n’y a pas eu de changements majeurs dans la façon d’opérer ces commissions, et plus particulièrement la Commission canadienne des droits de la personne? Est-ce que je comprends bien que c’est une des raisons qui vous amène à dire qu’il faudrait une commission indépendante qui serait chargée d’examiner les droits collectifs des Premières Nations, des peuples autochtones, y compris des femmes autochtones? Vous ai-je bien comprise?
[Traduction]
Mme Wedom : Oui. Absolument. Il est essentiel que ces commissions indépendantes d’experts regroupent des spécialistes de divers domaines — experts en criminalistique, avocats, dirigeantes autochtones — qui, grâce à leur sagesse et à leurs connaissances collectives, pourraient vraiment promouvoir et réaliser le changement de paradigme qui est nécessaire, de manière systémique, au fédéral, au provincial, au municipal et dans les collectivités des Premières Nations.
Certaines de nos membres n’osent même pas faire une plainte relative aux droits de la personne, en particulier dans les réserves, par crainte de se voir refuser des droits et des avantages à l’avenir. Lorsque les collectivités sont aux prises avec des situations de violence intériorisée, ces femmes et ces filles doivent avoir accès à un lieu sûr leur permettant de préserver leur anonymat et, si elles décident d’exercer leurs droits de déposer une plainte relative aux droits de la personne, d’être protégées contre l’intimidation et les menaces venant d’élus, quels qu’ils soient, car dans certains cas, elles n’ont aucun recours. Pensons aux mères célibataires qui doivent conserver leur maison, dans leur communauté. Si elles fuient la violence et qu’elles n’ont pas de droits en matière de biens immobiliers matrimoniaux, cela entraîne le fameux cycle des enfants qui se retrouvent dans le système de protection de la jeunesse. Les femmes sont ensuite hébergées chez des connaissances, puis finissent par devenir des sans-abri. Elles perdent leur maison parce qu’on leur a enlevé leurs enfants. Il nous faut des lieux sûrs pour qu’elles aient l’assurance d’avoir accès à la justice.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Selon mon expérience de travail avec des communautés des Premières Nations, je constate que les femmes de ces communautés sont très occupées à travailler dans toutes sortes de services, comme l’éducation, la santé et d’autres. Selon vous, si l’on parle de créer une commission des droits des peuples autochtones, quand vous dites que le processus devrait être dirigé par des Autochtones, devrait-il faire appel à ces femmes qui sont sur le terrain, dans les communautés, et qui sont susceptibles de développer un système qui sera respectueux des coutumes et des valeurs des communautés?
[Traduction]
Mme Wedom : Absolument. La Colombie-Britannique compte 27 nations tribales distinctes ayant chacune une identité tribale, une culture et une langue qui leur sont propres. Il est très important de comprendre cette nuance culturelle lors de l’élaboration de politiques, mais la réalité, c’est qu’on nous traite comme un groupe homogène. Nos origines et notre caractère unique et distinct, en tant que femmes autochtones, sont complètement absents des processus d’élaboration des politiques et des lois. On cherche toujours à nous homogénéiser, comme du lait. C’est l’analogie que j’aime utiliser.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Lorsque vous parlez d’une commission indépendante qui pourrait être créée, qui s’occuperait des questions des droits de la personne, pas seulement des plaintes, mais aussi des plaintes? Cette commission devrait-elle avoir la responsabilité de faire une analyse de chaque projet de loi, pour savoir s’il affecte les droits des peuples autochtones, des femmes autochtones, des jeunes Autochtones, de la même manière que, lorsqu’un projet de loi est déposé au Cabinet, on fait une analyse pour savoir si le projet de loi a un impact sur les droits de certains groupes de la société?
Est-ce qu’on devrait donner à cette commission la responsabilité de faire l’analyse, comme vous l’avez dit, de la discrimination systématique selon les individus, par rapport aux réalités des peuples autochtones?
[Traduction]
Mme Wedom : Je suis tout à fait d’accord avec cela.
Je vais vous donner un autre exemple. La Loi canadienne sur la santé parle d’universalité. Il existe sept principes juridiques, notamment l’universalité, l’accessibilité et l’abordabilité. Aucun de ces principes juridiques n’est appliqué aux femmes, filles ou personnes bispirituelles autochtones, en particulier lorsque les femmes et les filles sont victimes de viol. Il n’y a pas de moyen facile et sûr de consulter une infirmière médico-légale, par exemple. Celles qui ont le courage de se rendre à l’hôpital pour un examen médico-légal sont à nouveau traumatisées par le système. Une réflexion approfondie à cet égard s’impose afin de rendre ces processus véritablement équitables, car les inégalités systémiques sont les obstacles qui perpétuent notre inégalité.
[Français]
La sénatrice Audette : Ce que les gens et mes collègues ne savent pas, c’est que la femme qui comparaît devant nous ce soir, quand nous étions jeunes, avec Gina, était une de mes mentores à Femmes autochtones du Québec. Je suis émue de vous accueillir ici, dans notre shaputuan un peu carré. On essaie de le changer de l’intérieur et de suivre votre carrière avec Bernie Poitras Williams, qui est ma grand-mère spirituelle et qui me parle beaucoup de vos actions pour les femmes et les filles assassinées et disparues. Merci du fond du cœur d’être aussi solides, et merci de votre expérience et de votre manière de nous dire comment on devrait faire les choses.
Trois points m’ont interpellée. Premièrement, il y a le secrétariat pour les femmes et les filles autochtones assassinées et disparues qui se trouverait à l’intérieur d’un ministère fédéral, et dont l’objectif était de mobiliser les ministères. L’idée de sortir de cela pourrait faire partie des recommandations à inclure dans notre rapport, pour qu’on en fasse un espace plus indépendant. Il ne faut pas oublier comment on mobilise cette grande machine rigide. Comment l’obliger à honorer les appels à la justice de cette grande enquête?
Deuxièmement, vous avez mentionné que les commissaires ont été sollicités par les États-Unis pour savoir comment cette enquête avait été menée. Beaucoup de pressions ont été faites. Pour ma part, c’était l’appel à la justice no 9.9 de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, pour tous les dossiers non résolus et toutes les histoires auxquelles on n’a pas eu de réponse.
Est-ce à cela que vous faisiez allusion, qui pourrait faire ressortir les dossiers non résolus et qui pourrait assurer à ceux et celles qui sont dans le système de justice d’être traités correctement? Je parle d’anciens dossiers et de ceux qui ont cours actuellement.
Troisièmement, ma collègue la sénatrice Dupuis a bien posé la question : comment faire pour mettre un mécanisme en place? Je crois comprendre qu’à Vancouver, un bureau de l’ombudsman a ouvert une section pour les premiers peuples. Est-ce le cas? Si oui, est-ce que ce sont des exemples dont on pourrait tirer un apprentissage et dont on pourrait s’inspirer?
[Traduction]
Mme Wedom : Oui. Je pense à l’unité autochtone, comme on l’appelle, du bureau de l’ombudsman de la Colombie-Britannique. L’unité compte cinq travailleurs de terrain. J’ignore leur titre exact, mais ces cinq personnes rencontrent les Autochtones pour les informer des démarches en cas de plaintes à des violations commises par des sociétés d’État provinciales ou des ministères provinciaux. Toutefois, l’unité est encore très récente. En outre, les gens ont très peu confiance que ce processus leur sera utile. Vous savez, notre peuple a tellement souffert parce que souvent, les bonnes intentions ont été suivies d’un manque d’action. Il y a eu beaucoup de belles paroles et de discours prometteurs, et c’est à peu près tout.
La solution serait d’adopter une loi fédérale pour créer cette commission indépendante. Elle devrait s’inspirer de l’exemple des États-Unis, qui ont une unité chargée des affaires non résolues ainsi que d’autres comités de travail distincts qui seraient spécialisés dans les différents domaines auxquels j’ai fait référence plus tôt dans mes commentaires.
L’autre partie consiste à obliger les ministères à rendre des comptes. Je précise que j’inclus dans « ministères » les gens qui y travaillent. Prenez par exemple la Commission canadienne des droits de la personne, qui est visée par un recours collectif par des Canadiens noirs. Quel message est-ce que cela envoie? Cela en dit long sur la Commission canadienne des droits de la personne. Des employés autochtones du ministère des Relations Couronne-Autochtones et de Services aux Autochtones Canada ont également déposé une plainte pour violation des droits de la personne contre ces ministères. Le ministère des Relations Couronne-Autochtones et Services aux Autochtones Canada ont une obligation fiduciaire envers notre peuple, mais ils manquent continuellement à cette obligation fiduciaire et se déchargent de leurs responsabilités sur les provinces, ainsi que sur les collectivités des Premières Nations.
Le président : Madame Wedom, certains témoins nous ont dit que le mandat du tribunal proposé devrait s’étendre au-delà du cadre national des droits de la personne qui, selon ce que nous avons entendu, ne prévoit pas de recours efficaces pour les violations des droits économiques, sociaux et culturels. Êtes-vous d’accord avec ce point de vue?
Mme Wedom : Absolument. Voilà pourquoi j’ai mentionné, au début, que cela doit intégrer les conventions internationales, comme l’ACDI, et la Convention relative aux droits de l’enfant devrait être au centre de la réflexion sur nos générations futures. Quant aux autres conventions internationales sur les droits sociaux et les droits civils, toutes ces conventions devraient faire partie intégrante de ce cadre indépendant des droits de la personne.
Le président : Je vous remercie, madame Wedom.
La sénatrice Martin : Monsieur le président, je tiens à vous remercier d’avoir souligné la Journée nationale des vétérans autochtones. D’un point de vue personnel, étant d’origine coréenne, je sais que certains d’entre eux ont servi pendant la guerre de Corée, et c’est grâce à eux que je suis ici. Je tiens à rendre hommage à tous les anciens combattants du pays aujourd’hui.
Madame Wedom, je vous remercie de votre présentation. J’ai mis un certain temps avant de pouvoir vous suivre, car je n’ai pas la profondeur et la portée de votre expérience.
J’ai deux ou trois questions. La première porte sur l’accessibilité, qui est une préoccupation majeure pour les collectivités autochtones rurales et éloignées. Comment le mécanisme autochtone des droits de la personne proposé garantira-t-il que les habitants de ces régions auront un accès égal aux services et que leurs besoins seront satisfaits?
Mme Wedom : Cela nous ramène à la question de savoir s’il sera viable de tenir compte de la diversité des différentes régions du pays. Comme je l’ai indiqué plus tôt, on n’aime non seulement homogénéiser les peuples autochtones, mais aussi tous les Canadiens. On pense que ce qui est bon à Whitehorse est bon à Ottawa. Certains facteurs doivent être pris en considération lorsqu’on parle d’éloignement, d’isolement et d’égalité d’accès aux services et au soutien pour les collectivités rurales. Très souvent, beaucoup de ces commissions — le Bureau du commissaire aux droits de la personne de la Colombie-Britannique, par exemple — n’ont pas la capacité d’aller dans les collectivités pour promouvoir les droits de la personne. Il en va de même au fédéral. Les organismes de défense des droits de la personne n’interviennent pas de façon progressiste pour cultiver, nourrir et promouvoir les droits de la personne des Autochtones dans un contexte fondé sur le genre.
La sénatrice Martin : Vous avez dit que le Bureau du commissaire aux droits de la personne de la Colombie-Britannique et la commission fédérale ont de la difficulté à atteindre les régions éloignées. C’est un défi à tous les égards. Y a-t-il des exemples? Vous avez mentionné le groupe de travail autochtone à maintes reprises. Y a-t-il des modèles que nous devrions envisager?
Mme Wedom : Les soins infirmiers médico-légaux sont l’un des domaines dans lesquels j’ai beaucoup travaillé en réseau. Il faut plus d’Autochtones en soins infirmiers médico-légaux. Nous devons faire valoir l’importance de ces domaines spécialisés qui pourraient réellement appuyer les victimes et leur apporter un soutien adéquat d’une manière culturellement adaptée qui honore le caractère distinctif des Premières Nations, ce qui est si important.
Je pense aussi qu’une partie du défi réside dans l’élaboration des politiques et des services. On ne tient pas vraiment compte des différents besoins démographiques qui engendrent ces inégalités. Cela doit faire partie intégrante — je l’espère — de l’évolution possible de ce groupe de travail fédéral nouveau et amélioré sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, en englobant les principes juridiques de ces conventions, de façon à guider le travail du groupe de travail pour garantir, à l’aide d’approches créatives, l’égalité d’accès pour les personnes des régions rurales et éloignées.
Par exemple, une des choses pour lesquelles j’ai milité dans la région d’où je viens... Tk’emlúps te Secwe̓pemc n’est pas vraiment une petite ville, mais ce n’est pas non plus une grande ville. Elle est comme entre les deux, mais pas vraiment. Pour ce qui est de l’accessibilité des services de soins infirmiers médico-légaux, c’est une chance de trouver une infirmière médico-légale à Kamloops. Parmi nos démarches, nous avons discuté avec les responsables de l’établissement universitaire, l’Université Thompson Rivers, pour les encourager à offrir une formation spécialisée pour des choses comme les soins infirmiers médico-légaux. Je pense que nous devons obtenir l’adhésion de partenaires institutionnels pour favoriser une approche globale.
La sénatrice Martin : Les partenaires institutionnels sont l’un des points essentiels, car cela commence par la formation de spécialistes qui peuvent ensuite faire partie du système. C’est très important. Merci.
Le président : Si vous avez d’autres questions, vous avez toujours l’occasion de les poser. Je constate qu’il n’y en a pas. Par conséquent, le temps imparti à ce panel est écoulé.
Je tiens à remercier encore une fois Mme Anemki Wedom d’avoir été des nôtres aujourd’hui. Je vous rappelle que si vous souhaitez présenter d’autres observations, vous devez les envoyer à la greffière, par courriel, d’ici sept jours.
Avant de lever la séance, je tiens à souhaiter la plus cordiale des bienvenues au sénateur Prosper au comité des peuples autochtones, ainsi qu’au Sous-comité du programme et de la procédure, aussi appelé le comité directeur, où il représentera le Groupe des sénateurs canadiens. Il remplacera le sénateur Patterson, que je tiens à remercier beaucoup de ses contributions au fil des ans. Nous lui souhaitons le meilleur.
Chers collègues, notre témoin de la deuxième partie de la réunion ne peut malheureusement pas se joindre à nous, ce qui met fin à nos travaux d’aujourd’hui.
(La séance est levée.)