LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 28 novembre 2023
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l’égard des Premières Nations, des Inuits et des Métis, ainsi que tout autre sujet concernant les peuples autochtones.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Note de la rédaction : Certains témoignages en inuktitut ont été présentés par l’intermédiaire d’un interprète.]
[Traduction]
[Traduction]
Le président : Honorables sénatrices et sénateurs, je vous souhaite la bienvenue. J’aimerais d’abord souligner que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe, qui abrite maintenant de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits de toute l’île de la Tortue.
Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis, d’Epekwitk, aussi connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du comité. Je vais maintenant demander aux membres du comité ici présents de se présenter en mentionnant leur nom et leur province ou territoire.
Le sénateur Arnot : Je suis le sénateur David Arnot, de la Saskatchewan. Je vis sur le territoire visé par le Traité no 6.
La sénatrice Hartling : Bonjour. Je suis Nancy Hartling, sénatrice du Nouveau-Brunswick, sur le territoire non cédé du peuple mi’kmaq. Soyez les bienvenus.
Le sénateur D. Patterson : Ulaakut. Dennis Patterson, sénateur du Nunavut, dans l’Inuit Nunangat.
Le sénateur Prosper : [Mots prononcés dans une langue autochtone.] Je suis le sénateur P. J. Prosper. Je viens du territoire mi’kmaq du Mi’kma’ki.
La sénatrice Coyle : Bonjour. Je m’appelle Mary Coyle, d’Antigonish, Nouvelle-Écosse, Mi’kma’ki.
La sénatrice White : Bonjour. Je suis Judy White, fière Mi’kmaq de Ktaqmkuk, mieux connu sous le nom de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le président : Merci à tous.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’efficacité du cadre canadien des droits de la personne pour ce qui est de la promotion, de la protection et de l’exercice des droits des peuples autochtones. Plus précisément, nous examinons la question de savoir si les mécanismes existants peuvent être améliorés ou s’il faut en créer de nouveaux, notamment des mécanismes propres aux Autochtones.
J’aimerais maintenant présenter nos témoins. Nous recevons deux représentants de l’Inuit Tapiriit Kanatami, soit Natan Obed, président, et Will David, directeur, Services juridiques. Nous accueillons également Aluki Kotierk, présidente de la Nunavut Tunngavik Incorporated. Merci d’être parmi nous aujourd’hui. Wela’lin
Les témoins feront une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs et les sénatrices. Je suis heureux de vous informer que nous avons prévu un service d’interprétation simultanée de l’inuktitut vers l’anglais ce matin. Les témoins peuvent donc s’exprimer dans la langue de leur choix. J’invite maintenant Natan Obed à faire sa déclaration préliminaire.
Natan Obed, président, Inuit Tapiriit Kanatami : Nakurmiik. Merci, monsieur le président. C’est merveilleux d’être ici avec vous tous ce matin.
Je suis heureux d’être ici aujourd’hui pour vous présenter le point de vue de l’Inuit Tapiriit Kanatami, ou ITK, au sujet de la création d’un tribunal des droits de la personne des Autochtones, conformément à l’appel à la justice 1.7 de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, ou FFADA. J’ai l’honneur de comparaître aujourd’hui en compagnie d’Aluki Kotierk, présidente de la Nunavut Tunngavik Incorporated et membre de l’Instance permanente sur les questions autochtones des Nations unies.
La disparition et l’assassinat de femmes et de filles autochtones constituent un problème grave, colossal et persistant de discrimination qui a été qualifié de génocide dans le cadre de l’Enquête nationale elle-même. Au Canada, les Autochtones qui n’ont pas été touchés par la disparition ou l’assassinat de femmes et de filles autochtones sont très rares, pour ne pas dire inexistants. Les répercussions sur nos familles, nos sociétés et nos peuples ont été dévastatrices, et cette dévastation persiste.
Devant une telle dévastation, les Inuits ont été forcés de se demander ce qu’ils pouvaient faire pour mettre fin au cycle de la violence et faire en sorte que leurs enfants et petits-enfants puissent vivre sans crainte d’être victimes d’actes criminels et assassinés. La réponse de l’ITK, c’est que les violations massives des droits de la personne exigent des solutions fondées sur les droits de la personne. Un élément clé d’une solution fondée sur les droits de la personne consiste à reconnaître les femmes et les filles inuites comme des êtres humains et à reconnaître nos droits comme des droits de la personne. Les droits fondamentaux de tous les peuples sont des droits qui doivent être respectés, et les États doivent prendre des mesures correctives lorsqu’ils sont violés.
L’ITK a d’abord proposé la création d’une institution nationale des droits de la personne pour les peuples autochtones en 2017. L’établissement d’un tribunal des droits de la personne pour les peuples autochtones comblerait une lacune sur le plan de la compréhension et de la mise en œuvre des droits fondamentaux des peuples autochtones. Depuis 1971, les Inuits participent à la négociation des traités modernes à l’échelon national. Notre expérience collective en matière de mise en œuvre de ces traités nous a appris que la simple existence d’un droit ne garantit pas sa mise en œuvre.
Contrairement aux obligations particulières contenues dans les traités modernes, la nature et parfois même l’existence des droits de la personne des peuples autochtones sont souvent remises en question par les gouvernements publics au Canada. Nous sommes tous d’accord pour dire que les obligations internationales en matière de droits de la personne existent, mais nous ne nous entendons pas tous sur l’interprétation juste des instruments internationaux en matière de droits de la personne ni sur la meilleure façon de les mettre en œuvre dans le cadre du droit canadien.
La création d’une institution nationale des droits de la personne axée sur les Autochtones aiderait les Inuits et le Canada sur le plan de la mise en œuvre. Un tribunal pourrait offrir des recours et des réparations en exigeant que le gouvernement modifie sa conduite, ses programmes et ses politiques, de même que son interprétation de ses propres lois.
L’acceptation des plaintes des Autochtones eux-mêmes constituerait un puissant levier qui permettrait aux Autochtones et aux titulaires de droits collectifs de cerner les différends ainsi que des solutions ou des recours possibles définis par les peuples autochtones plutôt que par les experts en matière de politiques du gouvernement.
L’établissement d’un tribunal des droits des Autochtones entraînerait aussi la création d’un centre d’expertise indépendant en matière d’application des droits de la personne collectifs et individuels des Autochtones. Les mécanismes des droits de la personne existants n’offrent que rarement, voire jamais, ce type d’expertise. L’expertise indépendante est essentielle non seulement pour le règlement des différends relatifs à la mise en œuvre des droits des Autochtones, mais aussi pour la fourniture de conseils et de directives sur les droits des Autochtones aux gouvernements, aux peuples autochtones et aux Canadiens.
Pour ces raisons, l’ITK a produit deux documents sur l’idée d’un tribunal national des droits de la personne des peuples autochtones en 2017. Lors de l’élaboration de la loi fédérale sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, l’ITK a demandé et obtenu des dispositions législatives laissant la porte ouverte à la création par les Canadiens d’un tribunal des droits de la personne pour les peuples autochtones.
L’une des difficultés cernées par l’ITK dans le cadre de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, c’est que les effets de la colonisation engendrent des situations d’extrême vulnérabilité pour les femmes et les filles inuites, tandis que les protections prévues par la loi — les recours et réparations — sont rarement accessibles. Par conséquent, l’ITK appuie fermement la mise en œuvre complète de l’appel à la justice 1.7 de l’Enquête nationale, qui concerne la création d’un tribunal et d’un ombudsman.
La marginalisation causée par le colonialisme est fondée sur l’injustice. Par conséquent, les mesures qui ne s’attaquent qu’aux symptômes ou aux effets de cette injustice seront inefficaces. Les Inuits sont conscients que le changement systémique est difficile, mais les femmes et les filles inuites ne vivront pas dans un environnement sûr tant que le respect de leur bien-être et de leurs droits les plus fondamentaux sera considéré comme un programme facultatif.
Je suis heureux d’avoir l’occasion de vous parler de cela ce matin. Nakurmiik
Le président : Merci, monsieur Obed. J’invite maintenant Mme Aluki Kotierk à faire sa déclaration préliminaire.
[Traduction de l’interprétation]
Aluki Kotierk, présidente, Nunavut Tunngavik Incorporated : Merci. Je suis heureuse d’être ici pour témoigner, et je souscris aux propos de Natan Obed. Je suis présidente de la Nunavut Tunngavik Incorporated, l’organisme qui représente notre peuple, les Inuits. À titre de présidente de la Nunavut Tunngavik Incorporated, je suis également membre de l’Inuit Tapiriit Kanatami, et je représente également les Inuits et les peuples autochtones.
[Traduction]
Les Inuits ont toujours préconisé la création d’une commission nationale indépendante des droits de la personne des Autochtones semblable à la Commission canadienne des droits de la personne.
Une commission des droits de la personne des Autochtones serait chargée de veiller à ce que le gouvernement fédéral respecte les droits énoncés dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA, ainsi que de promouvoir et d’évaluer la mise en œuvre de ces droits à l’échelle nationale.
Cela est conforme à l’appel à la justice 1.7 de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, qui porte sur le fait de :
[...] créer un poste d’ombudsman national des droits des Autochtones et des droits de la personne, qui aura autorité dans tous les domaines de compétence, et de mettre sur pied un tribunal national des droits des Autochtones et des droits de la personne.
La mise en œuvre intégrale de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, conjuguée à un accès universel aux recours et aux réparations au moyen des mécanismes décrits dans le rapport final de l’Enquête nationale, permettrait de refonder sur de nouvelles bases notre relation avec le gouvernement fédéral.
Une commission et un tribunal indépendants des droits de la personne des Autochtones peuvent prendre des décisions éclairées en matière de recours et de réparations. Aujourd’hui, les droits fondamentaux des peuples autochtones sont souvent soumis aux caprices et à la discrétion de fonctionnaires non élus et n’ayant aucun compte à rendre.
Une commission indépendante, crédible et éclairée des droits de la personne des Autochtones pourrait également examiner les lacunes sur le plan de l’accès au logement, aux services de santé de qualité et aux programmes de santé mentale et de toxicomanie dans les collectivités du Nunavut. En raison de graves lacunes dans le continuum du logement et dans les services de santé, de nombreux Inuits sont forcés de quitter le Nunavut afin d’accéder à ces services dans les centres urbains. Cela expose les femmes et les filles inuites ainsi que les membres la communauté 2ELGBTQQIA+ à un risque de violence et de traite des personnes.
Selon le Plan d’action national pour les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées, ces problèmes d’inégalité sociale jouent un rôle crucial dans la lutte contre la violence.
Une nouvelle commission et un nouveau tribunal des droits de la personne propres aux Autochtones doivent favoriser l’autodétermination et l’autonomie gouvernementale des Inuits au sens des articles 3 et 4 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Les retards inacceptables dans la mise en œuvre des appels à la justice privent les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ inuites de sécurité et perpétuent les violations en cours des droits de la personne.
La Nunavut Tunngavik Incorporated exhorte les gouvernements à prendre immédiatement les mesures nécessaires pour créer une commission et un tribunal des droits de la personne des Autochtones. La mise en œuvre doit intégrer pleinement les approches, les lois, les cultures, la langue et les valeurs des Inuits de manière à ce que les plaintes puissent être traitées selon une approche tenant compte des traumatismes, adaptée à la culture et propre aux collectivités inuites et du Nunavut. À cette fin, des investissements importants et soutenus seront requis.
Ce sera la seule façon d’aller de l’avant pour s’assurer que les Inuits disposent de recours accessibles et dignes de ce nom. Qujannamiik
Le président : Merci, madame Kotierk. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs, et je vais commencer par vous poser une question à tous les deux.
Selon vous, comment l’ombudsman et le tribunal national des droits de la personne des Autochtones peuvent-ils ou doivent-ils refléter la culture, les lois et les traditions non seulement des Inuits, mais également des Métis et des Premières Nations?
M. Obed : Eh bien, le point de départ idéal consisterait en l’élaboration conjointe de cette fonction dans le cadre du régime des droits de la personne de notre pays. La limite pour nous tous serait d’essayer de créer un processus impartial qui permet de nommer les personnes les mieux placées pour faire le travail plutôt que de politiser l’institution elle-même.
Grâce à divers textes législatifs et à la mise en œuvre de mesures législatives, nous avons pu voir qu’il est difficile de trouver la voie à suivre, mais aussi qu’il faut faire mieux pour ceux qui sont le plus dans le besoin et, en l’occurrence, pour ceux dont les droits sont violés.
Je sais que nous pouvons créer des institutions qui permettent la mise en œuvre systémique de nos droits de la personne et la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones au pays. Un processus d’élaboration conjointe est le premier point de départ, et le gouvernement doit mettre l’accent sur les relations avec les titulaires de droits et les institutions qui les représentent, non seulement dans le cadre de cet exercice, mais aussi dans le cadre de tous les autres exercices législatifs.
Le président : Merci, monsieur Obed. Avez-vous quelque chose à ajouter, madame Kotierk?
Mme Kotierk : Outre l’élaboration conjointe, j’allais entrer dans les menus détails et mentionner qu’il est important de savoir que nous préconisons souvent, entre autres choses, l’adoption d’une approche fondée sur les distinctions. Il est extrêmement important qu’il y ait une très bonne compréhension de la réalité inuite, et qu’il y ait une possibilité — sur laquelle reposent fondamentalement les droits de la personne — de vivre dans la dignité.
Qu’allons-nous faire pour que les Inuits puissent vivre dans la dignité? Nous devons pouvoir leur offrir des services en inuktitut de manière à ce qu’ils puissent avoir accès aux services dans leur langue maternelle. Nous devons être conscients que leur réalité est différente de celle d’un Canadien ordinaire.
Hier, j’ai participé à des discussions portant sur le logement en tant que droit de la personne, et la réalité, c’est qu’il y a une crise du logement qui a une incidence sur la capacité des Inuits de mener à bien leurs études ou qui les pousse à quitter leurs terres ancestrales de l’Inuit Nunangat et à s’installer dans des centres urbains pour tenter d’accéder à des soins de santé.
Il est d’une importance cruciale que l’entité en question possède ce type de compréhension de base de ce qu’est la vie dans l’Inuit Nunangat. Merci.
Le président : Merci, madame Kotierk.
Le sénateur Arnot : Merci à tous les témoins d’être ici aujourd’hui. Monsieur Obed et madame Kotierk, je vous remercie de votre leadership au sein de vos organisations et de nous aider à mieux comprendre la situation.
J’ai trois questions, mais il s’agit de questions ouvertes, alors j’espère que vous serez en mesure d’expliciter certains propos que vous avez tenus et peut-être de les étoffer selon votre point de vue de président et de présidente de votre organisation respective.
Croyez-vous que la création d’un ombudsman ou d’un organisme des droits de la personne propre aux Autochtones pourrait contribuer au processus de réconciliation entre les peuples autochtones et les non-Autochtones au Canada? Croyez-vous qu’un organisme voué aux droits de la personne des peuples autochtones au Canada devrait et pourrait améliorer la représentation et la défense des intérêts des communautés inuites dans le cadre de l’élaboration des politiques nationales au Canada de manière à ce que vous ayez davantage voix au chapitre dans ce processus?
Quels sont les défis particuliers — vous en avez déjà parlé, mais ce serait formidable si vous pouviez nous en dire davantage là-dessus — auxquels sont exposées les collectivités inuites et qu’un organisme des droits de la personne adapté aux peuples autochtones pourrait aborder plus efficacement? Je sais que vous en avez déjà parlé, mais je pose simplement la question.
Tout ce que vous aimeriez dire sur ces questions serait utile. Merci.
M. Obed : Je vais essayer de vous répondre de façon méthodique. En ce qui concerne votre première question au sujet de la réconciliation, j’étais à New York lorsque le gouvernement du Canada a fait volte-face sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. La ministre de l’époque, Mme Bennett, avait parlé d’un nouveau chapitre de la réconciliation au pays.
J’étais un peu perplexe de voir à quel point il semblait simple, du point de vue du gouvernement du Canada, d’appuyer la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones en tant que panacée aux défis systémiques que nous devons relever au moment de faire respecter nos droits de la personne.
Cela m’amène à parler de recours et de réparation. Madame Kotierk et moi-même y avons fait allusion dans nos déclarations préliminaires. Si nous n’avons aucun moyen d’accéder à des recours et à des réparations en cas de violations des droits de la personne, alors nous ne disposons toujours pas du soutien de base requis pour faire respecter nos droits de la personne et les droits d’autres peuples au Canada. Tout au long de notre histoire, nous avons constaté qu’il est coûteux et inefficace d’intenter des poursuites pour faire respecter nos droits de la personne et que, dans bien des cas, les tribunaux ne sont pas préparés à bien comprendre comment faire respecter les droits des peuples autochtones au pays et à fournir ensuite une orientation et des directives à cet égard. Pour l’ITK, l’accès à des recours et à des réparations relativement au respect de nos droits de la personne constitue un élément majeur de la réconciliation.
Pour ce qui est de la représentation des Inuits dans le cadre de cet exercice, je souligne que le travail fondé sur les distinctions est encore relativement nouveau. Ce n’est que depuis 15 ans environ, peut-être 20 si on remonte tout au début, que nous avons des conversations portant parfois sur les Inuits, les Premières Nations et les Métis plutôt que sur les peuples autochtones. Il y a encore des institutions qui ont des points de vue différents sur les limites du langage de l’approche fondée sur les distinctions. Nous aimerions pouvoir être catégoriques. Nous aimerions créer des structures qui constituent des pratiques exemplaires en matière de mise en œuvre adéquate d’une approche fondée sur les distinctions. Là encore, je m’en remets à une définition et à un fondement axé sur les droits pour ce qui est du travail fondé sur les distinctions au pays.
Quant aux défis particuliers auxquels nous sommes exposés, notre population — répartie dans 51 collectivités couvrant 40 % du territoire canadien — est relativement petite. Nous avons d’énormes lacunes en matière d’administration des services essentiels, qu’il s’agisse de la justice, des soins de santé, de l’éducation, des infrastructures ou du logement. Bien souvent, nous sommes fondamentalement incapables d’accéder à des recours et à des réparations ou encore aux systèmes de justice en général.
Nous espérons que la création d’un tribunal et d’un ombudsman des droits de la personne des Autochtones attirera sur ces questions une attention que nous n’avons pas réussi à obtenir à ce jour. Cela réglerait quelques-unes des grandes difficultés auxquelles nous nous heurtons, pour l’essentiel, en tant que composantes administratives du Canada.
Mme Kotierk : J’ai comparu devant le comité à plusieurs reprises, et je tiens à dire à quel point je suis ravie de témoigner en compagnie d’un Inuk, car j’ai l’impression de ne pas avoir à dire quoi que ce soit. Merci.
En ce qui concerne la création d’un poste d’ombudsman, les Inuits ont toujours dit beaucoup de choses en tentant d’attirer l’attention sur les problèmes avec lesquels nous sommes aux prises dans nos collectivités. Je vais encore dire quelques mots à propos du logement parce que c’est très frais dans mon esprit. Pendant des décennies, les Inuits ont parlé de la crise du logement, mais aucun engagement substantiel n’a été pris en vue de s’y attaquer. Souvent, les Inuits disent que la crise du logement a commencé le jour où leur famille a été installée dans une colonie ou forcée de s’y installer. De nombreux Inuits se sont laissé attirer par les colonies, mais on leur a ensuite dit d’y monter une tente parce qu’il n’y avait pas suffisamment de maisons dès le départ et qu’aucun investissement n’avait été fait.
Un ombudsman qui se consacrerait aux questions relatives aux droits de la personne constituerait une voix crédible qui viendrait s’ajouter à celle des Inuits. Les Inuits ont appris par l’expérience qu’une personne crédible à laquelle d’autres Canadiens peuvent facilement s’identifier et qui dit quelque chose que nous avons déjà dit peut parfois faire une grande différence. Dans ce contexte, c’est vraiment important.
En ce qui a trait à certaines des expériences que nous vivons dans nos collectivités, il est extrêmement important d’avoir un bureau qui puisse militer contre les violations des droits de la personne dans nos collectivités, où les droits fondamentaux de la personne ne sont malheureusement pas respectés et où, bien souvent, les gens n’ont pas accès aux services offerts à d’autres personnes, de sorte que nous grandissons en pensant que c’est normal. Cela devient banal. Il est vraiment important qu’un bureau puisse attirer l’attention sur le fait qu’une maison a besoin d’un approvisionnement en eau et d’installations sanitaires de base. C’est ce à quoi tous les Canadiens s’attendent. Cependant, quand on vit comme nous vivons et qu’on voit d’autres personnes vivre comme cela, on se dit que tout le monde vit probablement ainsi. Il est vraiment important de mettre l’accent sur les violations des droits de la personne dans les collectivités inuites. Merci.
La sénatrice Coyle : Je remercie nos invités d’être de nouveau parmi nous et de nous rappeler une fois de plus l’importance de l’approche fondée sur les distinctions, que vous avez qualifiée, monsieur Obed, de relativement nouvelle. Nous sommes loin d’être des experts en la matière, mais je pense que ce que vous nous dites, c’est qu’il s’agit d’une autre occasion de vraiment tirer parti de ce que nous savons au sujet des pratiques exemplaires et de bien les intégrer dans cette nouvelle institution importante que nous sommes en train de créer ici et qui, si j’ai bien compris, a été non seulement approuvée, mais également réclamée par vos deux organisations. Je voulais le mentionner.
Monsieur Obed, je crois vous avoir entendu dire que vous considérez le tribunal comme un centre d’expertise indépendant, ce qui n’est pas souvent le cas des institutions existantes. C’est là un des problèmes : nous ne voyons pas cela dans les institutions existantes. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cette expertise qui doit être intégrée et d’une certaine façon protégée contre l’ingérence politique de toutes parts? Selon vous, qu’est-ce qui est essentiel à ce centre d’expertise? Pensez-vous qu’il aura aussi une influence sur les autres institutions au-delà de son propre fonctionnement?
M. Obed : Merci de la question. Je pense qu’il est également bon de souligner que ce ne sont pas toutes les administrations inuites qui disposent de leur propre tribunal ou de leur propre commission des droits de la personne. Dans certains cas, cette compétence est partagée avec d’autres administrations canadiennes, ce qui constitue aussi une lacune sur le plan de l’administration et de l’orientation. J’aimerais demander à Will David de répondre à cette question précise.
Me Will David, directeur, Services juridiques, Inuit Tapiriit Kanatami : J’ai deux ou trois observations à faire. Tout d’abord, en 2017, comme M. Obed l’a mentionné, l’ITK a publié deux documents au sujet d’une commission des droits de la personne des Autochtones. Dans l’un d’eux, on réclamait la création d’une commission qui corresponde à une institution de catégorie A au sens des Principes de Paris, précisément pour qu’elle soit indépendante du gouvernement. L’indépendance est un principe clair que nous avons à l’esprit.
En ce qui a trait à l’expertise, là encore, lorsqu’on songe à une institution nationale des droits de la personne, on envisage une institution qui possède non seulement la capacité de fournir des recommandations, des directives et des conseils aux autres au sein de la société, mais aussi la capacité de régler les plaintes et les différends. En théorie, pour que la signification d’un droit puisse être véritablement comprise et définie, il faut qu’une certaine forme de fonction de règlement des différends puisse non seulement inciter les institutions gouvernementales à adopter une meilleure conduite, mais aussi contribuer à accroître la compréhension de la façon dont les droits devraient être appliqués au cas par cas. C’est l’une des raisons pour lesquelles la question des recours et des réparations est si étroitement liée aux fonctions de nature plus consultative qu’exercent habituellement les institutions nationales des droits de la personne.
La sénatrice Coyle : Madame Kotierk, vous avez beaucoup parlé des violations systémiques, des défis et de la nécessité de soutenir la recherche de solutions à ces problèmes systémiques. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le rôle que devraient jouer, selon vous, l’ombudsman et le tribunal en ce qui concerne non seulement le traitement des plaintes individuelles de violations des droits de la personne, mais aussi certains des efforts systémiques que vous avez cernés en matière d’accès à la justice, au logement et à des soins de santé adéquats — pour ne nommer que ceux-là — et qui n’existe tout simplement pas à ce moment-ci? À vos yeux, en quoi la création d’un ombudsman et d’un tribunal permettra-t-elle de trouver les solutions systémiques qui se font attendre depuis longtemps?
Mme Kotierk : Ces structures permettraient de mettre en évidence les problèmes, mais aussi de trouver des solutions propres aux Inuits. Nous disposons souvent de solutions pour régler les problèmes dans nos collectivités, et cela nous donnerait l’occasion de mieux nous faire entendre et de mettre en valeur les solutions que nous avons dans nos collectivités.
Je pense aussi que cela permettrait de rappeler aux gouvernements qu’ils ont des obligations et qu’ils doivent les respecter.
Le sénateur D. Patterson : Merci.
Les arguments que vous avez tous les deux présentés avec éloquence en faveur d’un tribunal des droits de la personne pour les Autochtones sont clairs, d’après les appels à la justice découlant de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et la Loi sur la DNUDPA. Je sais que c’est une priorité aux tables de partenariat entre les Inuits et la Couronne, auxquelles vous participez activement.
Le comité étudie activement cette question, et je ne pense pas que nous aurions pu accueillir de meilleurs défenseurs que vous deux aujourd’hui.
Je veux vous poser une question à tous les deux. Je tiens à préciser qu’elle ne vise pas à contester vos recommandations; je vous demande plutôt de répondre à une question qui sera posée, selon moi, et à laquelle il faudra répondre. Elle sera posée dans les cercles gouvernementaux qui seront chargés de donner suite à une recommandation qui, je m’y attends, viendra du comité et appuiera vos recommandations.
Le Tribunal canadien des droits de la personne, ou TCDP, existe et a tranché des affaires autochtones. Je sais que 15 années se sont écoulées depuis la plainte de 2007 concernant les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, mais il est clair qu’en 2019, le Tribunal canadien des droits de la personne a ordonné que le Canada cesse ses pratiques discriminatoires, ce qui a mené au règlement le plus important — 23,4 milliards de dollars — de cette affaire de discrimination contre les enfants des Premières Nations.
Ma question — et, encore une fois, je pense qu’il suffit de la poser — est la suivante : que diriez-vous aux personnes qui pourraient affirmer que le Tribunal canadien des droits de la personne fonctionne et que le récent règlement en faveur des enfants et des familles des Premières Nations le démontre?
Je cède la parole à M. Obed.
M. Obed : Merci. Je demanderai également à M. David de compléter ma réponse.
Il y a peut-être eu quelques affaires récentes mettant en cause des peuples autochtones à l’égard desquelles le tribunal a joué un rôle dans un changement de cap de la part des administrations, qu’elles soient provinciales, territoriales ou fédérales. Cependant, au cours de l’histoire des tribunaux et des commissions des droits de la personne et de leur travail au pays, je pense que, si on regarde le bilan des violations des droits des peuples autochtones au Canada, il contraste fortement avec l’affirmation selon laquelle ce mécanisme a systématiquement servi à faire respecter les droits de la personne des peuples autochtones.
Par conséquent, en cette période de réconciliation et alors qu’on se concentre explicitement sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et les personnes 2ELGBTQQIA+, il faut que l’on crée des mécanismes exceptionnels pour s’attaquer à ces problèmes extraordinaires. Il s’agit également d’un réseau de commissions distinctes, et, si ce tribunal des droits de la personne des peuples autochtones était établi, il aurait naturellement un bassin d’expertise dont la structure serait canadienne plutôt que régionale. Il disposerait également d’une expertise émergente en matière de compréhension et de réinterprétation du droit canadien qui coïnciderait non seulement avec la DNUDPA, mais aussi avec la Constitution et les arrêts de la Cour suprême que de nombreux tribunaux ne sont pas en mesure d’évaluer adéquatement.
Mon dernier point concerne le temps et la tension. La capacité de se concentrer explicitement sur les peuples autochtones est très différente d’un vaste mandat.
M. David : Simplement pour revenir sur ces points, je n’ai jamais vu une institution des droits de la personne, et plus particulièrement une qui s’occupe de réparation, qui n’était pas complètement débordée de cas. Alors, l’un des grands avantages qu’aurait une institution nationale des droits de la personne axée sur les Autochtones serait d’alléger une partie de la charge de travail de la Commission canadienne et du Tribunal canadien des droits de la personne.
Le cas dont vous parlez est propre aux Premières Nations, et c’est l’une des préoccupations que j’aurais relativement au fait de se fier exclusivement à la Loi canadienne sur les droits de la personne et à ses institutions. L’étendue de l’expertise autochtone est limitée précisément parce que les mandats des organismes sont très vastes.
Pour revenir à des questions posées plus tôt à ce sujet, j’affirmerais également que la Loi canadienne sur les droits de la personne a été modifiée il y a quelque temps afin que les traditions et les lois coutumières des Premières Nations puissent être prises en compte dans le traitement des plaintes. Ce n’est pas vrai dans le cas des Inuits et des Métis. Ce n’est pas nécessairement en conséquence de cette modification, mais c’est simplement que la composition de la commission et du tribunal ne représente pas la moindre expertise provenant de la réalité de l’Inuit Nunangat, ce qui contribue à un manque de participation de cas propres aux Inuits, y compris la réticence des Inuits à faire appel à la commission et au tribunal. C’est quelque chose qui est probablement vrai pour les peuples autochtones en général. Il s’agit certainement de l’un des facteurs qui ont mené à l’abrogation de l’article 67 de la loi, qui avait soustrait la Loi sur les Indiens à l’application au titre de la loi.
Le sénateur D. Patterson : Je vous remercie de ces réponses. Il est important qu’elles figurent au compte rendu.
J’ai une question connexe. Ma question s’adresse peut-être à M. David ou au président Obed, mais le document de 2017 que l’ITK a publié et dont vous avez parlé préconisait la création d’un tribunal des droits de la personne autochtone indépendant doté d’un mécanisme de règlement des différends. Encore une fois, j’aimerais poser la question suivante : ces principes seraient-ils différents de ceux que nous appliquons actuellement au Tribunal canadien des droits de la personne, en ce sens qu’il s’agirait d’un tribunal plus indépendant que le tribunal canadien et qu’il serait doté d’un mécanisme de règlement des différends qui n’existe pas actuellement dans le régime du Tribunal canadien des droits de la personne?
M. Obed : Je vais peut-être revenir à 2016-2017. À l’époque, surtout compte tenu de la volte-face du Canada à l’égard de la DNUDPA, le gouvernement canadien disait que les peuples autochtones jouissaient désormais de ce qu’il appelait « une boîte pleine de droits », de sorte que, comme par magie, du jour au lendemain, nous n’aurions pas besoin des tribunaux pour intenter des poursuites. Nos droits seraient respectés. C’était un tout nouveau monde.
Mais, comme on n’a pas mis explicitement l’accent sur les recours, les mesures de réparation et les mécanismes qui modifiaient systématiquement le statu quo par rapport aux jours qui ont précédé la décision du gouvernement d’appuyer la DNUDPA, qu’avons-nous vraiment changé?
C’est la question sur laquelle l’ITK et les membres de son conseil d’administration se sont penchés. Voilà pourquoi le conseil d’administration de l’ITK a présenté les deux documents complémentaires en 2017, un document subséquent que nous avons publié il y a quelques années seulement et le témoignage que nous avons livré dans le cadre de l’enquête sur les FFADA et effectué le travail que nous avons fait relativement à la DNUDPA et à la création du plan d’action. Tout cela vise à répondre à une question très centrale : comment introduire les recours et la réparation dans la nouvelle position du gouvernement en faveur du soutien des droits de la personne existants des peuples autochtones?
Les échecs spectaculaires du respect de ces droits sont attribuables à toute la structure de la Commission canadienne des droits de la personne en place avant 2017. Alors, nous mettons en place une structure qui vise à faire en sorte que nous soyons dans une situation différente de celle où nous étions avant que le Canada ne donne son appui très réel à la DNUDPA, mais nous ne voulons pas qu’elle soit symbolique; nous voulons qu’elle soit appliquée de façons très précises. C’est pourquoi nous avons proposé cette solution.
Le sénateur D. Patterson : Merci. Il était bon que cette réponse soit également consignée au compte rendu.
Le sénateur Prosper : Je remercie les témoins de nous avoir fait part de leur expertise et de leur expérience dans ce domaine. J’ai deux questions à poser, une à M. Obed et une à Mme Kotierk.
Monsieur Obed, vous avez mentionné — et c’est vraiment très décourageant — 51 collectivités. Je crois que c’est 40 % du Canada. Et vous avez lié ces chiffres à un problème d’accès à la justice, qui est une considération importante. Une partie de votre témoignage… et une chose que je ne sais que trop bien, c’est que la simple existence d’un droit ne garantit pas nécessairement qu’il sera mis en œuvre. C’est certainement ce que je retiens de la situation relative à la pêche dans l’Est… et d’où la nécessité de mettre un accent distinct là-dessus.
Vous avez mentionné qu’il faut qu’une expertise émergente soit là pour traiter des droits individuels et collectifs. Je suis curieux de savoir quelle approche vous adopteriez relativement à ce tribunal.
Madame Kotierk, vous avez parlé d’une commission des droits de la personne autochtone crédible et éclairée et d’une qui serait dirigée par des Inuits, qui évoluerait grâce à vos propres approches, lois et valeurs, et qui pourrait avoir des solutions concrètes et réelles. De votre point de vue, si une commission ou un tribunal de ce genre est créé, quels signes indiqueraient qu’il fait du bon travail? Je suis toujours curieux de connaître les points concrets à retenir d’un projet qui est sur la bonne voie.
J’espère que ces deux questions n’étaient pas trop alambiquées.
M. Obed : Je vous remercie de votre question. Le processus d’élaboration conjointe consistera en partie à répondre à la question très essentielle que vous avez posée au sujet de l’expertise et à tenter de faire en sorte que puissent être nommées systématiquement des personnes qui ont une compréhension approfondie du droit de la personne propre aux Autochtones, mais aussi une façon de comprendre le monde axée sur les distinctions, afin qu’il n’y ait pas d’angles morts naturels au sein de ces entités en raison de leur composition ou de leur administration. Les personnes qui seront embauchées et qui s’affaireront à l’appuyer comprendraient qu’elles sont là pas seulement pour une section des peuples autochtones du pays, mais aussi pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis, conformément à la Constitution.
Je demanderais à Will David de compléter ma réponse.
M. David : J’ajouterais qu’il est facile de parler des droits collectifs et des droits de la personne des peuples autochtones de façon abstraite et très théorique.
Dans cette situation, l’appel à la justice 1.7 vise à faire en sorte que les femmes et les filles autochtones vivent en sécurité. Je ne sais pas s’il est possible d’y arriver en tenant une conversation théorique sur ce que le gouvernement devrait ou ne devrait pas faire, ou bien en formulant des recommandations. La seule façon d’arriver à bien comprendre comment concilier des intérêts divergents dans la société et s’assurer que les droits sont respectés et mis en œuvre, c’est par le règlement des différends. Nous proposons qu’il ait lieu dans le cadre d’un processus fondé sur les droits de la personne. Merci.
Mme Kotierk : Je me disais que l’une des grandes tâches auxquelles les dirigeants inuits et les Inuits en général font face, c’est la nécessité de toujours sensibiliser les gens. Il faudra leur rappeler que c’est notre réalité et essayer de les mettre au diapason de celle-ci avant qu’il soit possible de faire bouger les choses pour apporter la moindre amélioration.
Personnellement, je passe beaucoup trop de temps à parler de notre réalité et à sensibiliser les gens. L’établissement d’une entité axée spécifiquement sur les droits de la personne des Autochtones contribuerait à créer une institution où les Inuits pourraient se sentir reconnus et ne pas avoir à s’expliquer avant d’être en mesure de communiquer leurs préoccupations.
Sur le plan culturel, en tant qu’Inuits, nous sommes très pratiques. Souvent le fait de nous plaindre nous décourage. On nous apprend plutôt à discuter en ayant une solution en tête.
À mes yeux, une marque de réussite serait que les Inuits se sentent reconnus, vus et à l’aise de s’adresser à cette entité, où ils pourront parler de la solution et de la façon dont ils vont en arriver à cette solution. Merci.
Le président : Merci. J’ai une question à poser à M. Obed ou à n’importe lequel des témoins.
Quelles sont certaines des pratiques exemplaires que vous avez observées relativement à une approche fondée sur les distinctions dans l’élaboration de politiques ou de lois?
M. Obed : Je vais souligner la création de la Politique sur l’Inuit Nunangat, qui a été adoptée par le gouvernement du Canada en avril 2022. Au cours des cinq ou six dernières années, nous avons travaillé et avons connu parfois des succès, parfois des difficultés, par l’intermédiaire du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne. C’est la première fois que le gouvernement du Canada et les dirigeants inuits se réunissent de façon systématique pour créer des domaines prioritaires et des plans de travail communs, puis pour évaluer continuellement les progrès que nous avons réalisés à l’égard de ces plans de travail et de ces domaines prioritaires.
L’un des grands défis pour nous dans un contexte fondé sur les distinctions est la compréhension qu’ont tous les ministères du gouvernement du Canada des Inuits. Nous ne sommes pas assujettis à la Loi sur les Indiens, car nous avons des relations structurelles très différentes avec le gouvernement du Canada et sommes admissibles à des programmes et à des services qui varient d’un ministère à un autre. Nous avions établi la création d’une politique gouvernementale qui orienterait le travail de tout ministère ou de toute personne qui travaille pour le gouvernement du Canada et qui tente de régler un problème qui touche les Inuits. Nous avons travaillé sur cette politique pendant plus de deux ans et l’avons élaborée conjointement. Nous étions très fiers lorsque le gouvernement du Canada et le premier ministre l’ont approuvée.
Nous avons dû surveiller de près sa mise en œuvre et pousser le gouvernement à la mettre en œuvre pleinement, mais c’est un excellent exemple d’élaboration conjointe. Il y avait une lacune particulière dans la façon dont le gouvernement du Canada fonctionnait pour ce qui est de dissiper adéquatement les préoccupations des Inuits ou d’inclure les Inuits en tant que peuples autochtones dans les politiques et les programmes du gouvernement, et nous avons travaillé systématiquement avec lui pour essayer de combler ces lacunes. C’est le mieux que nous puissions faire de notre côté.
Dans le cadre de la mise en œuvre, nous entendons souvent dire qu’il s’agit soit d’une politique inuite, soit d’une politique de l’ITK, et nous avons dû corriger un certain nombre de fonctionnaires, de ministères et de nouveaux ministres en leur disant parfois que non, en fait, il s’agit d’une politique du gouvernement du Canada qui a été élaborée de concert avec les Inuits. C’est quelque chose qu’il faut garder à l’œil, c’est-à-dire que, même lorsque nous faisons de petits progrès — et, dans ce cas-ci, il n’est pas petit; cette politique devrait entraîner un changement fondamental dans la façon dont le gouvernement du Canada interagit avec les Inuits —, nous ne savons pas nécessairement si c’est suffisant. Nous ne savons pas si des poursuites seront nécessaires. Nous ne savons pas s’il faudra prendre d’autres mesures pour le moment afin que le gouvernement du Canada mette en œuvre ses propres politiques. À mon avis, cette incertitude s’inscrit également dans le contexte de nos revendications territoriales et de l’absence de mise en œuvre systémique des traités modernes.
Le président : Merci, monsieur Obed.
La sénatrice Coyle : Je vous remercie de me donner une deuxième chance.
Chaque fois que je vous écoute tous les trois, de plus en plus de questions me viennent à l’esprit parce que nous n’avons pas toujours assez de temps pour entendre le point de vue des Inuits. Il est tellement distinct et important, et nous devons vraiment en tenir compte. J’essaie simplement d’écouter chaque mot que vous prononcez.
Nous sommes tous là pour parler du fait d’assurer le succès de cet ombudsman et de ce tribunal des droits de la personne pour les Autochtones… le succès pas seulement en ce qui a trait à l’aspect qu’ils prendront au départ, mais aussi en ce qui concerne le fait de faire leur travail des façons que vous décrivez, de tenir leur promesse et d’honorer ce qu’on les établit pour faire.
L’une des questions que je n’arrête pas de me poser concerne les mécanismes de reddition de comptes et de rétroaction. Cette élaboration conjointe initiale très solide devrait contribuer au succès du tribunal. D’accord, il a été mis sur pied et fonctionne maintenant. Comment assurer son succès continu? Comment peut-on aller au-delà de l’élaboration conjointe pour passer à la surveillance conjointe, à l’assurance conjointe, à la responsabilisation conjointe et à ce genre de choses? Qu’en pensez-vous?
M. Obed : Imaginez que nous réussissons à créer un poste d’ombudsman et un tribunal des droits de la personne pour les Autochtones et que nous passions ensuite à un processus d’élaboration conjointe de la loi, puis du règlement qui s’y rattache. Nous disposerons désormais de ces entités. Le plus grand défi que je prévois serait que le gouvernement du Canada conteste les conclusions de l’institution et continue de s’opposer aux décisions, qui finissent par dégénérer en décennies de contestations, non seulement pour la mise en œuvre adéquate des droits existants, mais aussi pour les ressources gaspillées des institutions qui luttent contre les peuples autochtones.
J’espère que nous pourrons aller au-delà de ces querelles, mais, si l’histoire récente est un exemple, je pense que c’est ce qui devrait nous inquiéter le plus. Je ne suis pas certain de savoir comment amener la Couronne à agir honorablement lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre des droits de la personne des peuples autochtones, à part essayer ce que nous faisons maintenant. Nous n’avons pas d’autre voie. L’honneur de la Couronne est ce qui me préoccupe le plus.
Le sénateur Arnot : Monsieur Obed, j’aimerais revenir sur la question de l’honneur de la Couronne et sur le fait qu’elle y porte atteinte depuis 150 ans. Il s’agit d’une norme morale élevée, et le gouvernement du Canada a échoué, échoué, échoué.
Pensez-vous que l’ombudsman ou le tribunal devraient se concentrer davantage sur la résolution de problèmes, la médiation et l’établissement d’objectifs de collaboration entre le gouvernement et les collectivités et organisations inuites plutôt que sur les litiges qui les opposent? Ce serait une caractéristique importante du travail qui se ferait loin des aspects coloniaux des litiges, parce que vous désignez très clairement les lacunes. Elles sont très claires. L’établissement d’une autre institution fondée sur la pensée coloniale produira d’autres échecs.
Qu’en pensez-vous? Si Mme Kotierk a l’occasion de répondre également, si possible, je la prie de le faire.
M. Obed : Immédiatement, je pense à certains des intérêts concurrents de l’heure. Je pense à d’autres projets de loi soumis à votre étude à tous, surtout en ce qui a trait au conseil de réconciliation et à la mesure dans laquelle il sera difficile pour ce projet de loi de changer notre sort dans l’avenir, d’autant plus que nous avons déjà des droits, des institutions qui peuvent interagir avec le gouvernement et le tenir responsable de la réconciliation, les appels à la justice et les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation ainsi que, du point de vue de la gouvernance, la relation de gouvernance respectueuse entre le Canada et les Premières Nations, Inuits et Métis titulaires de droits.
En ce qui concerne la question que vous avez soulevée, elle a été une considération importante pour les Inuits dans la façon dont nous avons proposé l’institution. Je vais demander à M. David d’expliquer comment nous l’avons envisagée.
M. David : L’honneur de la Couronne n’est pas seulement une norme morale. L’un des éléments qui a stimulé une grande partie de notre réflexion, c’est la tentative d’aller au-delà du fait de considérer les droits des peuples autochtones comme des obligations morales ou politiques pour en faire des obligations juridiques, en remarquant que, même lorsque les droits des Autochtones sont reconnus en tant qu’obligations juridiques, il y a encore des défis à relever relativement à leur mise en œuvre.
Je veux contester l’idée que les litiges sont un concept colonial en soulignant que les institutions que nous cherchons à changer sont essentiellement, presque par définition, des institutions coloniales. Nous ne cherchons pas nécessairement à utiliser ce tribunal dans un environnement décolonisé. Par conséquent, on peut soutenir que les litiges et le règlement des différends sont des outils nécessaires dans ce cas.
Vous me pardonnerez. Ma seule véritable expérience de travail avec des institutions des droits de la personne est celle avec la Commission interaméricaine des droits de l’homme et la cour. Même là, lorsqu’il y a une menace ou que la Cour interaméricaine des droits de l’homme rend une décision qui est exécutoire, il y a toujours la possibilité — à laquelle on a souvent recours — de règlement à l’amiable à l’égard soit de la mise en œuvre de la décision, soit du délibéré. En fait, on pourra même avoir recours au règlement à l’amiable au sein de la commission, qui n’a pas beaucoup de leviers contraignants. En tout état de cause, sans ces leviers, les États ont très peu d’incitation à s’engager dans la négociation de règlements à l’amiable.
On pourrait dire la même chose dans notre cas. Nos problèmes concernent essentiellement les structures coloniales. Cela signifie que nous avons besoin d’outils qui sont compatibles avec elles pour apporter des changements.
Le sénateur Arnot : Je vous remercie de cette réponse complète. Je reconnais certes que des poursuites seront requises à un moment ou à un autre, mais peut-être faudrait-il mettre d’emblée l’accent sur un autre moyen. Quoi qu’il en soit, j’apprécie l’exhaustivité de vos commentaires. Merci beaucoup.
Le président : Merci, sénateur Arnot. Le temps dont nous disposions pour ce groupe de témoins est maintenant écoulé, et je tiens à les remercier tous encore une fois de s’être joints à nous aujourd’hui. Si vous souhaitez présenter des observations subséquentes, veuillez les faire parvenir par courriel à la greffière d’ici sept jours.
Je voudrais maintenant vous présenter nos prochains témoins, Robert Morales, négociateur en chef, Hul’qumi’num Treaty Group, et Katherine Hensel, associée chez Fogler, Rubinoff LLP. Wela’lin, merci à vous deux de vous être joints à nous aujourd’hui.
Les témoins feront une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs. J’invite maintenant M. Morales à faire sa déclaration préliminaire.
Robert Morales, négociateur en chef, Hul’qumi’num Treaty Group, à titre personnel : Huy ch q’u, monsieur le président. Merci, monsieur le président. ‘Uy’ skweyul, bonjour, distingués sénateurs et président. Mon nom traditionnel est Robert Morales. [Mots prononcés en langue autochtone]. Je suis membre des tribus Cowichan des Salish du littoral, sur la côte est de l’île de Vancouver.
Si un ensemble de règles est incompatible avec la réalité, normalement, la réalité l’emporte. Le défi lié à la mise en œuvre nationale du droit international en matière de droits de la personne au Canada comporte de nombreuses dimensions. Le degré de réserve dont le régime juridique et politique canadien fait preuve à l’égard de la mise en œuvre du droit international en la matière est troublant. Le Canada n’a pas encore ratifié la grande majorité des documents sur les droits de la personne du système américain des droits de la personne. Son refus de ratifier la Convention américaine relative aux droits de l’homme est particulièrement préoccupant et prive les Canadiens de l’accès à la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Cette cour est un organisme très progressiste en ce qui concerne les droits de la personne des Autochtones.
La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est l’instrument international de droits de la personne le plus complet et le plus universel qui traite expressément des droits des peuples autochtones. Elle affirme un large éventail de droits politiques, civils, économiques, sociaux, culturels, spirituels et environnementaux. Elle constitue une étape importante dans la lutte contre les violations généralisées et persistantes des droits de la personne contre les peuples autochtones dans le monde.
En novembre 2010, au moment de l’adoption de la déclaration, le gouvernement du Canada a décrit cet instrument historique comme un document ambitieux sans effet juridique. On a déclaré que la déclaration est un document ambitieux qui traite des droits individuels et collectifs des peuples autochtones, mais qu’elle n’est pas juridiquement contraignante et qu’elle ne reflète pas le droit international coutumier et ne change pas les lois canadiennes.
Compte tenu de la portée considérable de la Déclaration des Nations unies, il est troublant que le gouvernement canadien cherche à en dévaloriser le statut juridique afin de miner les droits des peuples autochtones et les obligations gouvernementales connexes.
Chuck Strahl, qui était ministre à l’époque, a déclaré que le fait de signer ce document revient automatiquement à dire que les seuls droits en jeu sont ceux des Premières Nations. Bien sûr, au Canada, c’est incompatible avec notre Constitution. Il a ajouté que les droits des Autochtones sont énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne et la Constitution, et il a dit que ces documents reflètent un engagement beaucoup plus concret que l’« ambitieuse » Déclaration des Nations unies.
Dans la décision qu’elle a rendue récemment dans l’affaire Gitxaala, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a déclaré ce qui suit :
J’ai exposé mon analyse de la bonne interprétation de la DRIPA […]
… il s’agit de la Declaration on the Rights of Indigenous Peoples Act — ou loi relative à la déclaration sur les droits des peuples autochtones — de la Colombie-Britannique…
[…] plus bas. En fin de compte, je conclus que cette loi ne met pas en œuvre la DNUDPA sous le régime du droit interne de la province. De plus, j’estime que, correctement interprété, l’article 3 ne crée pas les droits justiciables proposés par les requérants.
Je sais que cette question suscite beaucoup d’intérêt et, jusqu’à maintenant, très peu de commentaires judiciaires. Comme l’a fait remarquer le juge Kent dans l’affaire Thomas and Saik’uz First Nation v. Rio Tinto Alcan Inc. :
Il reste à voir si l’adoption de la DNUDPA n’est qu’une coquille vide politique ou si elle annonce un changement de fond dans la common law relativement aux droits des Autochtones, y compris le titre autochtone.
Ensuite, la cour poursuit en disant ce qui suit :
En ce qui concerne le « contexte » […] la province souligne les commentaires formulés lors des débats législatifs par l’honorable Scott Fraser, ministre des Relations avec les Autochtones et de la Réconciliation. Il a déclaré que la DRIPA, « en soi, ne donne[rait] pas force de loi à la Déclaration des Nations unies. » Il a ajouté ce qui suit : « L’harmonisation des lois avec la Déclaration des Nations unies ne se fera pas du jour au lendemain. Ce sera un travail générationnel. »
Les racines historiques de ce déni et de cette perpétuation de la discrimination à l’égard des droits de la personne des peuples autochtones, y compris le droit à la propriété et à l’autodétermination, remontent à l’arrêt Johnson v. McIntosh rendu au début de 1823, où le juge en chef de la Cour suprême John Marshall a dit au sujet du Nouveau Monde que :
[…] les caractères distinctifs et la religion de ses habitants fournissaient une justification permettant de les considérer comme un peuple sur lequel le génie supérieur européen pouvait prétendre exercer un ascendant [...]
Puis il continue. Je ne lirai pas le reste de la citation; elle figure dans mon mémoire. Mais ce raisonnement avait été suivi par les tribunaux canadiens, depuis l’arrêt St. Catharines Milling and Lumber Co. v. R. jusqu’à la décision récemment rendue dans l’arrêt Tsilhqot’in.
En 2007, le Hul’qumi’num Treaty Group, dont je suis le négociateur en chef, a déposé auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme une requête affirmant que le Canada avait violé les droits de la personne des peuples hul’qumi’num du fait qu’il avait omis de délimiter leurs terres ancestrales, d’en établir des limites et d’enregistrer un titre de propriété sur celles-ci, parce qu’il ne les avait pas indemnisés pour les terres ancestrales du Hul’qumi’num Treaty Group qui sont actuellement entre les mains de tiers et qu’il avait octroyé des licences, des permis et des concessions à l’intérieur de ces terres sans les consulter au préalable et en raison de la destruction de l’environnement, des ressources naturelles et des sites que les « victimes présumées » considèrent comme sacrés.
Dans cette affaire, le Canada s’est opposé fondamentalement à toute interprétation des dispositions de la déclaration américaine fondées sur les obligations énoncées dans des traités auxquels il n’est pas partie. Je tiens à souligner que le fait que le Canada n’ait signé aucun de ces traités est très préoccupant.
Le Canada a également fait valoir que les Hul’qumi’num n’avaient pas épuisé leurs recours nationaux, puisqu’ils n’avaient pas porté cette affaire devant un tribunal national avant de déposer la requête. La Commission interaméricaine des droits de l’homme a tranché en faveur du Hul’qumi’num Treaty Group; elle a déclaré recevables les allégations contenues dans la requête concernant l’article II — le droit à l’égalité devant la loi —, l’article III — le droit à la liberté religieuse et au culte —, l’article XIII — le droit aux avantages de la culture — et l’article XXIII — le droit à la propriété — de la déclaration américaine. La commission interaméricaine a également conclu que le processus relatif aux traités de la Colombie-Britannique n’était pas un mécanisme efficace, puisqu’il n’y a pas eu de solution à la situation des Hul’qumi’num, qui dure maintenant depuis près de 30 ans.
Le Hul’qumi’num Treaty Group a conclu sa preuve et ses observations sur le fond en 2010. Cela fait maintenant 13 ans, et nous attendons toujours une décision sur le fond, sans que les problèmes soulevés soient réglés. Ce n’est pas un recours efficace.
Ce sont tous des exemples des difficultés associées au fait de compter sur les tribunaux canadiens et les engagements politiques à l’égard de la mise en œuvre des droits de la personne autochtones, ainsi que des difficultés liées au fait de s’en remettre aux organismes internationaux des droits de la personne.
À l’heure actuelle, au titre de la Déclaration des Nations unies et d’autres conventions internationales, le Canada est le seul à décider s’il s’est acquitté de ses obligations en matière de droits de la personne envers les personnes touchées. Pour les Autochtones, cela signifie que, malgré l’histoire troublante avec le Canada et les provinces, il n’y a pas de tribunal national ayant une portée appropriée de recours accessibles que les peuples autochtones recherchent afin de faire valoir leurs revendications à l’égard de ces droits établis.
Les résultats appuient la mise sur pied d’un tribunal indépendant des Autochtones et des droits de la personne, et, selon nous, ce devrait être conformément aux Principes de Paris.
Le président : Monsieur Morales, je suis désolé de vous interrompre. Vous devez conclure. Nous passerons ensuite à notre prochain témoin.
M. Morales : Merci.
En conclusion, nous affirmons que cet organisme doit être établi en fonction de ces principes, y compris la compétence nécessaire pour protéger et promouvoir les droits de la personne, l’autonomie par rapport au gouvernement, la composition pour inclure la représentation autochtone, et ainsi de suite.
Dans les observations écrites, je cite deux décisions de la Cour interaméricaine des droits de l’homme qui, à mon avis, sont pertinentes pour ce qui est de démontrer que les organismes internationaux ou, du moins, ceux de défense des droits de la personne sont capables de s’occuper des problèmes auxquels nous nous attaquons et qu’ils devraient avoir le pouvoir de régler des recours, comme l’ont déjà déclaré les représentants inuits. Merci, monsieur le président.
Le président : Merci, monsieur Morales. Nous allons maintenant passer à Mme Hensel pour sa déclaration préliminaire.
Katherine Hensel, associée, Fogler, Rubinoff LLP, à titre personnel : Weyt-kp, xwexweytep, Katherine Hensel ren skwekwst. Kukwstsétsemc aux sénateurs ici présents qui m’ont invitée à discuter avec vous aujourd’hui. Monsieur Morales, je vous remercie de vos commentaires. C’est évidemment un privilège d’être ici sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinaabe.
Je vais commencer par énoncer une évidence : la vie des peuples autochtones est encadrée et, dans une certaine mesure, définie par des violations des droits de la personne, y compris dans les domaines du logement, des services sociaux, de la santé, de l’éducation, de la citoyenneté, de l’admissibilité aux services et de la protection de l’enfance. Tout observateur raisonnable peut constater que c’est la vérité en regardant n’importe où; il y a de nombreuses commissions et réalités vécues.
Il est inévitable que le vécu des Autochtones en tant que citoyens de leurs propres nations dans les territoires canadiens soit défini par les pénuries, le sous-financement, le traitement discriminatoire et le manque d’autonomie; tous ces éléments agissent ensemble pour produire des manquements aux obligations du Canada en matière de droits de la personne des peuples autochtones.
Il y a un exemple récent où une violation des droits de la personne et le manquement du Canada à ses obligations ont été traités de façon satisfaisante ou, du moins, traités de façon assez adéquate et significative, et c’est, bien sûr, dans le domaine de la protection de l’enfance.
Les nombreuses décisions du Tribunal canadien des droits de la personne concernant les enfants autochtones, leur sécurité et les ressources à leur disposition — à l’intérieur comme à l’extérieur des réserves, mais en particulier dans les réserves — ont, dans une certaine mesure, permis à des enfants et à des familles d’être indemnisés pour les torts graves qu’ils ont subis en raison du traitement discriminatoire et de la violation de leurs droits de la personne.
Les décisions du tribunal ont entraîné une certaine correction des ressources mises à la disposition des corps dirigeants autochtones pour qu’ils puissent servir et protéger leurs propres citoyens afin de gouverner dans ce domaine et d’améliorer les ressources et la sécurité offertes aux enfants et aux familles autochtones ainsi que l’efficacité des services. Je crois qu’elles ont donné lieu, dans une certaine mesure, à la redéfinition ou à la transformation de la relation entre le Canada, les peuples autochtones et les corps dirigeants en ce qui a trait à la reconnaissance et à la mise en œuvre de la compétence inhérente que toutes nos nations détiennent.
C’est un processus incomplet, mais il a au moins la chance d’être suffisant et de régler de façon significative les violations des droits de la personne dans le domaine de la protection de l’enfance. Bien entendu, aucune des mesures prises ne sera pleinement ou significativement efficace si les violations des droits de la personne dans tous les domaines de la vie des peuples et des communautés autochtones ne sont pas réglées elles aussi.
Je crois comprendre que l’une des raisons de l’étude que vous entreprenez, ce sont les problèmes que pose le processus relatif au TCDP. Il est fondé sur les plaintes. Il met l’accent sur les droits individuels à l’exclusion des droits collectifs. Il est très accusatoire. Il est plein de risques et d’incertitude et exige des preuves de discrimination et… dans cette affaire, le sous-financement, qui constituait un obstacle important et a obligé des gens comme Cindy Blackstock et son conseiller juridique à consacrer des milliers d’heures de leur temps à faire quelque chose qu’un gouvernement responsable aurait dû faire de son propre chef.
Pour conclure ma déclaration préliminaire en ce qui concerne tout rôle d’ombudsman ou tribunal envisagé qui serait spécialisé dans les violations des droits des Autochtones et les manquements aux obligations du Canada et de la Couronne à l’égard des peuples autochtones, je proposerais qu’il commence par la reconnaissance de ces violations des droits de la personne. Il devrait moins mettre l’accent sur le besoin de versions coloniales de la preuve et commencer par quantifier et par qualifier ces violations grâce à un mandat de résolution de problèmes, pour qu’il le fasse avec rigueur, équité, justiciabilité, d’une manière qui soit culturellement équitable — ce que le TCDP ne peut tout simplement pas être —, qui soit contraignante et qui reconnaisse que ses décisions doivent être exécutoires pour un gouvernement qui n’est pas seulement dans un environnement décolonisé, comme l’a dit l’intervenant précédent. Le gouvernement continue de coloniser par son approche, surtout en ce qui concerne la médiation, malheureusement, et les processus semblables. Alors, le nouvel organisme devrait reconnaître qu’il doit y avoir une certaine contrainte, que les carottes seules ne fonctionneront pas avec la Couronne, malheureusement, parce que la responsabilité du gouvernement du Canada est principalement politique envers les Canadiens plutôt qu’envers les peuples autochtones du pays.
Le président : Merci, madame Hensel. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs, et je vais commencer par vous poser la première question à tous les deux.
Dans l’affaire de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations, le Canada a porté plusieurs décisions clés du tribunal en appel devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale. Comment envisagez-vous l’interaction du système judiciaire canadien avec un éventuel mécanisme des droits de la personne des Autochtones? Madame Hensel, voulez-vous commencer?
Mme Hensel : Je vais commencer. D’une certaine manière, il faudrait que ce tribunal soit prescrit par la loi. La rigueur et l’équité que j’ai évoquées plus tôt dans ma déclaration préliminaire devront, du moins pour le moment, être encadrées. La Cour fédérale a été créée par la loi, alors c’est assez facile à faire. Mais la capacité des tribunaux canadiens de trouver leur propre approche ou de suivre des approches historiques et colonisatrices pour entendre les témoignages, pour instruire des appels ou des contrôles de ce genre de choses... la loi devrait diriger le tribunal au lieu de compter sur lui pour qu’il mette en œuvre certains des éléments de détail. Il faudrait que l’on procède en reconnaissant le fait que les personnes qui siègent au tribunal sont presque exclusivement des non-Autochtones, que les avocats qui comparaissent devant lui sont presque exclusivement des non-Autochtones et que, par conséquent, le dialogue qui a lieu requiert des contraintes et un soutien importants pour qu’il puisse remplir les obligations que, je présume, le législateur voudrait que les tribunaux respectent dans les circonstances.
J’aurais dû le dire dans ma déclaration préliminaire, mais il devrait aussi inclure la DNUDPA. Cela va presque sans dire, mais nous devrions aussi le prescrire dans la loi.
Le président : Monsieur Morales, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Morales : Oui. Le fait de se fier aux tribunaux fait intervenir la question des précédents, et nous devons pouvoir aller au-delà de ceux-ci dans le système judiciaire. C’est difficile, comme je l’ai dit plus tôt, lorsque le point de départ est ancré dans cette perspective historique, alors comment pouvons-nous surmonter ces difficultés et aller au-delà de cette perspective? Comment en sommes-nous arrivés au point où les ordonnances juridiques autochtones, les systèmes juridiques autochtones sont intégrés dans notre système judiciaire?
Fondamentalement, s’il faut que les décisions des organismes de défense des droits de la personne soient assujetties à un examen par un tribunal national, les tribunaux nationaux doivent avoir la capacité de tenir compte des systèmes juridiques autochtones, et non pas simplement s’appuyer sur des précédents. Ensuite, comme on l’a dit, s’il s’agit d’un tribunal créé par la loi, il nous faut la loi qui l’orientera et lui procurera une marge de manœuvre et des capacités suffisantes pour lui permettre de tenir compte du point de vue autochtone, de la vision du monde autochtone concernant la façon dont ces problèmes devraient être réglés, de sorte que ce ne soit pas un tribunal qui se contente, comme je l’ai dit, de traiter ces questions comme on le faisait auparavant. Merci.
Le président : Merci, monsieur Morales.
Le sénateur Arnot : Je remercie les témoins d’être venus comparaître aujourd’hui. J’ai quelques questions pour M. Morales et d’autres pour Mme Hensel.
Monsieur Morales, compte tenu de votre examen du droit international en matière de droits de la personne comme cadre visant à rendre justice aux peuples autochtones du Canada, quel rôle pourriez-vous voir un organisme spécialisé dans les droits de la personne jouer pour favoriser la réconciliation? Je sais que vous en avez parlé, mais je veux donner aux deux témoins la possibilité de compléter et d’étoffer certains de ces éléments.
Vous avez également mentionné que la réconciliation au chapitre des différends territoriaux des Premières Nations stagne dans un système entravé par des croyances coloniales. Comment un organisme voué aux droits de la personne des Autochtones pourrait-il surmonter ces obstacles systémiques? Quelles seraient vos idées concernant la conception, les éléments fondamentaux et les objectifs fondamentaux qui pourraient être décrits pour ces deux organisations?
Madame Hensel, vous qui avez fait partie de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, quelles leçons peut-on tirer de ce que vous avez vécu dans le cadre de cette enquête afin d’éclairer la structure et la fonction de l’organisme spécialisé dans les droits de la personne pour les peuples autochtones? Autrement dit, quels éléments clés et quels principes sous-jacents doivent être incorporés pour que ces entités se distinguent des entités coloniales existantes dont vous avez parlé?
Deuxièmement — surtout madame Hensel —, vous avez beaucoup d’expérience dans l’éducation et les discours sur le droit autochtone. Croyez-vous que l’une ou l’autre de ces nouvelles entités, ou les deux, devraient avoir une composante éducative non seulement pour la population canadienne en général, mais aussi pour les décideurs dans le contexte canadien?
Je vais rester assis et écouter vos réponses. Ajoutez tout ce que vous pensez que nous avons besoin de savoir.
M. Morales : D’après mon expérience de négociateur en chef dans le cadre du processus des traités de la Colombie-Britannique depuis maintenant 30 ans et ma participation à des affaires judiciaires, notamment à titre d’intervenant devant la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Tsilhqot’in, le système juridique canadien actuel hésite à vraiment tenir compte des droits de la personne internationaux dans le processus décisionnel.
Dans cette affaire devant la Cour suprême, j’ai fait valoir au nom du Hul’qumi’num Treaty Group que la façon dont les droits de la personne sont pris en compte en ce qui concerne les droits territoriaux et les droits de propriété des Autochtones devrait faire partie du processus décisionnel. Amnistie internationale a également présenté ces arguments. Comme nous le savons, la Cour suprême du Canada n’en a pas du tout parlé dans son arrêt.
Comme on l’a dit plus tôt, les tribunaux nationaux sont réticents, comme l’a démontré la Cour suprême de la Colombie-Britannique, à tenir compte de ces instruments internationaux en matière de droits de la personne parce qu’ils disent que le Canada ne les a pas signés et qu’il ne les a pas ratifiés en tant que traité dans notre système juridique national.
Les deux systèmes partent d’une perspective fondamentalement différente, mais la common law canadienne a cette longue tradition, comme je l’ai dit, qui consiste à s’appuyer sur le stare decisis et sur les précédents. Si le précédent a un point de départ qui nie l’existence de ces droits, des droits des peuples autochtones, ce déni imprègne tout le système et perdure, alors que l’approche internationale part vraiment de la reconnaissance du fait que ces droits existent.
Les Autochtones ont droit à l’égalité. Ce droit signifie qu’ils ont un droit égal à la propriété. Le droit égal à la propriété signifie qu’il existe un point de départ fondamental selon lequel les Autochtones ont le droit de voir leurs territoires traditionnels délimités, reconnus par des titres de propriété et ainsi de suite, sans avoir à se battre pendant 20 ans devant les tribunaux pour prouver qu’ils ont effectivement ce droit.
Je pense qu’il y a une différence fondamentale dans la façon dont les deux systèmes juridiques abordent ces questions. Le système américain — non pas les États-Unis, mais la commission interaméricaine et la cour interaméricaine, comme on l’a dit plus tôt — adopte une perspective différente, mais il est limité. D’après mon expérience à la Commission interaméricaine des droits de l’homme, étant donné que le Canada et les États-Unis sont principalement les deux pays anglophones et que la majeure partie du travail de la commission interaméricaine se fait en espagnol, ce qui nous désavantage. Les commissaires ne connaissent pas notre système juridique. Alors, nous voilà, 12 ans après avoir terminé notre décision sur le fond, encore en train d’attendre une décision. Ce n’est pas efficace.
Nous devons trouver une façon de créer un système de droits de la personne efficace pour les peuples autochtones. Il est à espérer que, si nous établissons un organisme indépendant, il aura la capacité de tenir compte de ce genre de questions en temps opportun.
Je comprends les commentaires qui ont été faits plus tôt par les témoins précédents, à savoir qu’il faut tenir compte des distinctions et des systèmes juridiques autochtones des peuples autochtones.
J’espère que cela clarifie les choses. Merci.
Le président : Je vous remercie, monsieur Morales.
Mme Hensel : Je pense que l’une des premières choses à faire serait de donner un mandat au tribunal ou à la commission. Si on part du principe qu’il y a des violations des droits de la personne en ce qui a trait au manque de ressources et à la discrimination, alors il doit y avoir un mandat d’étude, quelque chose de semblable à une enquête publique — j’ai participé à un certain nombre d’entre elles — pour aller voir de manière proactive à quoi ressemblent les logements, en particulier. À ma connaissance, il n’y a pas de logements adéquats dans les collectivités autochtones, et il s’agit d’un facteur important qui a souvent des conséquences mortelles et qui mène aux FFADA et à toutes ces choses terribles. Il faut donner au tribunal le même mandat que celui donné aux enquêtes publiques — au moyen d’audiences, d’études, de recherches, de méthodes adaptées à la culture qui respectent et intègrent les protocoles juridiques et les ordres juridiques autochtones — afin que des faits rigoureux puissent être établis.
L’autre partie du mandat de la commission ou du tribunal serait de remédier à cela. Ce pourrait être un processus plus conflictuel, parce que le Canada n’est peut-être pas d’accord avec la façon dont les peuples autochtones voient la solution au problème, mais si on commence par reconnaître le problème, on n’oblige pas les gens à prouver qu’il y en a un. On commence par reconnaître le problème, puis il y a l’étape ou le mandat de l’étude, et enfin l’étape ou le mandat de la solution, qui peut ressembler davantage à une audience du tribunal, selon l’approche adoptée par les parties.
Je conviens également que l’éducation serait un élément crucial qui permettrait au Canada de faire au nom de l’électorat ce qu’il doit faire. À l’heure actuelle, je ne pense pas que l’électorat soit prêt à autoriser cela d’une élection à l’autre… et pas seulement avec les décideurs politiques, les législateurs, les juges et les avocats, mais aussi avec tous ceux qui ont une capacité d’agir au sein des systèmes sur lesquels la commission se pencherait.
Soit dit en passant, je travaille au nom des Algonquins de Pikwakanagan et j’applique leur loi [mots prononcés dans une langue autochtone] en tant que loi reconnue par le gouvernement fédéral, mais aussi en tant que pouvoir inhérent. Le travail qu’on doit faire auprès des juges, des avocats, des sociétés d’aide à l’enfance et de la police — tous ces instruments du gouvernement — afin de les éduquer est énorme. Cela dépasse les moyens et les ressources des dirigeants d’une collectivité sur le territoire de laquelle on se trouve. Ils ne devraient pas avoir à le faire, et ils ne peuvent pas le faire, à vrai dire.
Bon nombre de gens, bon nombre de ces agents, organismes, décideurs politiques et juges ne veulent pas les écouter. Cela semble idéaliste; cela ressemble à une position ou à un point de vue plutôt qu’à une loi contraignante sur la compétence et de l’exclusivité de la compétence.
Certaines commissions des droits de la personne effectuent déjà ce travail, de sorte que l’on dispose aussi d’une certaine expérience dans la mise sur pied, par exemple, de commissions provinciales.
La sénatrice Hartling : Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse à Mme Hensel. Je sais que vous avez beaucoup d’expérience dans le domaine de la protection de l’enfance. Cindy Blackstock, de la Société de soutien — vous la connaissez —, était ici la semaine dernière, si je ne m’abuse. Elle a fait part à notre comité du besoin de donner aux enfants la possibilité de participer au processus de défense des droits de la personne dans les cas systémiques.
Je me demande ce que vous pensez de l’idée d’inclure les enfants dans la conception de la structure et quelles seraient vos recommandations. Quels seraient les avantages, les difficultés et les façons de protéger les enfants? Nous ne voulons pas qu’ils soient vulnérables dans ce cas-ci. Pouvez-vous nous en parler?
Mme Hensel : Vous voulez éviter d’utiliser les enfants comme aides visuelles, essentiellement, et cela comporte un risque. Vous voulez aussi éviter d’imposer un fardeau aux enfants. Les enfants ont le droit. Le droit diminue avec l’âge. Ils ont le droit qu’on prenne des décisions en leur nom. C’est ce que nous faisons en tant que parents, familles, collectivités et nations. Vous ne demandez pas à un enfant de six ans : « Où veux-tu vivre? Quelle culture souhaites-tu? » C’est votre obligation de prendre ces décisions pour eux, de les élever dans votre culture et de décider de la façon dont on s’occupera d’eux, sans leur imposer ce fardeau et susciter l’anxiété qui en résulterait nécessairement : « Est-ce à moi de décider, moi qui ai huit ans? »
D’un autre côté, le point de vue des enfants par rapport à leur vécu est important. Il peut fournir des perspectives qui ne peuvent provenir de nulle part ailleurs. Mais je dirais qu’il faut des compétences et une expertise incroyables, et qu’il faut être culturellement ancré, et pas seulement culturellement compétent, pour soulever cette question d’une manière qui n’impose pas un fardeau indu aux enfants. Tout notre travail et notre raison d’être en tant que peuples consistent à prendre soin des enfants, à créer des lieux et à prendre des décisions, et si nous avons des cultures, c’est pour enseigner à nos enfants comment établir des liens entre eux et comment prendre soin d’eux-mêmes de façon sécuritaire et efficace. Nous devons donc reconnaître que le fardeau n’est jamais le leur, mais qu’il faut simplement, avec un soin extrême, solliciter leurs points de vue et leurs expériences.
Le sénateur Prosper : Merci aux deux témoins. J’ai une question à laquelle je réfléchissais en écoutant les témoignages. Il s’agit d’un suivi. Le sénateur Arnot a posé une question au sujet de l’interaction entre ce type de tribunal et les cours et de la façon dont cela se traduirait.
Je suis assez curieux de voir un tribunal de ce genre. Je suppose qu’en tout ou en partie, il n’est pas créé en vase clos. Des liens coloniaux sont, en partie, j’imagine, responsables de sa création. Étant donné l’existence d’une composante fédérale pour ce qui est de la compétence d’un tribunal et, sans aucun doute, afin qu’il y ait un effet réel sur les communautés autochtones, il faudrait, d’une certaine façon, que cela éclaire aussi le domaine provincial.
Je suis curieux de savoir quel genre de mécanismes vous envisagez ou proposeriez de mettre en place au sein du gouvernement qui aiderait à soutenir cette institution particulière, ce tribunal. Quelle serait l’interaction avec le domaine provincial? Ma question s’adresse à l’un ou l’autre des témoins ou aux deux.
Mme Hensel : Je pense que nous en saurons davantage sur le paysage juridique, du moins, d’un jour à l’autre. Une décision sera rendue quant à l’appel du Québec relativement à la protection de l’enfance et au projet de loi C-92. La Cour suprême aura beaucoup à dire sur les relations entre le Canada et les provinces et territoires, le partage des pouvoirs et la façon dont ils se rapportent aux peuples autochtones. Nous ne le savons pas, bien sûr, mais nous nous attendons à ce que cette décision redéfinisse progressivement, dans une certaine mesure, comme le fait la cour, le pouvoir et les obligations des provinces du Canada en ce qui concerne les peuples autochtones, les services fournis et le pouvoir exercé. Nous attendons cela. Nous en saurons plus à ce sujet.
En fin de compte, toute décision rendue par le tribunal des droits de la personne qui est mandatée par le gouvernement fédéral, mais qui a une incidence profonde sur ce qui est accessible et normalement financé et qui relève de la compétence des provinces ne sera pas efficace à moins que celles-ci ne soient d’accord ou qu’elles ne soient obligées… nous avons donc besoin de protocoles à cet égard. Essayons d’établir un protocole afin d’éviter les conflits de compétence. On pourrait tenter de le faire, mais, bien sûr, cela dépend des victoires électorales et politiques et des divergences de points de vue des provinces et des territoires à l’échelle régionale.
Vous ne voulez pas laisser des Autochtones — je ne vais pas nommer de province — dans une province qui ne reconnaît pas les obligations ou les pouvoirs fédéraux, faisant ainsi en sorte qu’ils soient exposés ou plus vulnérables et qu’ils n’aient pas les mêmes droits et les mêmes ressources à leur disposition.
Nous voulons éviter les modifications constitutionnelles parce qu’elles prennent beaucoup de temps, exigent beaucoup de ressources et sont très risquées, mais nous voulons commencer à élaborer des protocoles, dans la mesure du possible, puis à définir les droits, les services et les questions qui seront examinées par le tribunal sous le régime d’une loi fédérale d’une manière conforme à une analyse constitutionnelle de la répartition des pouvoirs. Il n’est pas dit que cela ne sera pas contesté par certaines provinces et, éventuellement, par certains territoires, mais cela, si c’est fait habilement, réduit au minimum le risque que le pouvoir suprême du tribunal ne soit pas renversé par une province qui n’a pas la même opinion à l’égard des articles 91 et 92.
M. Morales : Je travaille dans le domaine de la protection de l’enfance depuis longtemps. Nous avons rédigé une loi. Nous avons ratifié notre loi. Nous sommes en train de négocier un accord de coordination avec le gouvernement du Canada et celui de la Colombie-Britannique. Nous avons beaucoup d’expérience dans ce domaine également.
Je pense que le problème réside dans la volonté politique d’appliquer la loi. Par exemple, dans nos négociations sur la protection de l’enfance, nous faisons référence à certains des engagements pris dans la loi fédérale, dans le projet de loi C-92.
Il y a une résistance, une réticence à inclure certains de ces engagements dans les accords que nous négocions. Même s’il existe une loi fédérale, même s’il y a des décisions du Tribunal des droits de la personne, la volonté politique constitue un facteur important. Alors, comment pouvons-nous régler ce problème? Je pense que cela fait partie du défi.
Le caractère exécutoire des décisions est sujet à interprétation, et je pense que c’est là où nous avons beaucoup de défis à relever. Sur le terrain, lorsque nous essayons de faire avancer d’importantes questions relatives aux droits de la personne, comme les droits des enfants et le fait de remédier à l’histoire des retraits forcés d’enfants autochtones de leurs familles, nous faisons des progrès, cela ne fait aucun doute. Mais nous devons encore composer avec la réticence à vraiment mettre en œuvre certains éléments fondamentaux.
Comme le montre la décision du Québec relative au renvoi, la volonté politique d’intégrer ces questions de droits de la personne dans le système juridique national et dans le tissu juridique national demeure une question. Nous sommes aux prises avec des querelles fédérales-provinciales pour savoir qui est responsable et qui a compétence. Tous ces facteurs entrent en ligne de compte dans la façon dont nous mettons les choses en œuvre, la manière dont nous allons au-delà de la simple discussion de ces questions afin de pouvoir disposer d’un système efficace qui entraîne des changements positifs au niveau communautaire.
Oui, il est certainement difficile d’obtenir l’adhésion à ces décisions importantes qui sont rendues, comme les décisions du Tribunal canadien des droits de la personne en matière de protection de l’enfance. Merci, monsieur le président.
Le président : Je vous remercie, monsieur Morales. Comment le système actuel de défense des droits de la personne ou tout nouveau système autochtone peut-il envisager des mesures comme des ordres d’exécution juridiquement contraignants? Des sanctions seront-elles nécessaires?
M. Morales : Merci. Nous devons établir le fondement de la compétence et du pouvoir d’un tribunal des droits de la personne, comme l’indiquent les mémoires.
En me préparant pour cette occasion, j’ai examiné si les pays se conformaient aux décisions de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, par exemple. La conformité est partielle, mais elle n’est pas totale. Comme je l’ai dit, nous vivons encore dans un monde où les engagements politiques à l’égard de ces enjeux constituent un facteur important. Peut-être que le grand public a besoin de plus d’éducation en matière de droits de la personne et, plus particulièrement, de droits de la personne des Autochtones. Le système politique en fera alors une priorité et s’engagera à les faire respecter.
En ce qui concerne les mécanismes, les décisions de la Cour suprême du Canada sont rendues, mais elles ne sont pas toujours mises en œuvre de la façon dont la Cour le souhaitait. Souvent, il y a cette réticence de la part du gouvernement. Je regarde certaines des décisions judiciaires importantes qui ont été rendues relativement aux droits des peuples autochtones, et je constate que la mise en œuvre ne se fait pas toujours sans heurts. Les choses ne se passent pas toujours comme nous l’aurions espéré, mais nous devons continuer d’essayer de faire avancer ces dossiers. Nous devons vraiment mettre en lumière ce sujet.
Je repense aux premiers débats qui ont eu lieu en Espagne. La grande question qui se posait était de savoir quels étaient les droits des peuples autochtones des Amériques, et en particulier, de savoir si les Autochtones étaient des personnes. Nous le sommes, et nous sommes en droit de nous prévaloir des droits de la personne. Je vais m’arrêter là. Merci, monsieur le président.
Le président : Je vous remercie, monsieur Morales.
Mme Hensel : C’est un défi énorme que de mettre en œuvre des lois autochtones, comme nous le faisons actuellement à l’échelle du pays; ce n’est pas en convainquant et ce n’est pas en persuadant. Les décisions juridiquement contraignantes doivent être une conséquence de l’effet et de l’application des lois. Il faut que ce soit juridiquement contraignant pour que cela fonctionne.
Souvent, et presque inévitablement, les non-Autochtones, les institutions et les gouvernements ne se sont jamais soumis à des lois qui ne sont pas les leurs et n’ont jamais eu à s’y soumettre. C’est un énorme défi. Je peux vous donner comme exemple, dans le domaine de la protection de l’enfance, la fois où j’ai essayé d’éduquer les avocats de sociétés d’aide à l’enfance. Ils demandaient : « Et si vous aviez des familles reconstituées? Que se passe-t-il si les parents non autochtones ne consentent pas à être assujettis à votre compétence? » Non, vous ne pouvez pas choisir qui vous gouverne. Vous ne pouvez pas choisir les lois qui s’appliquent à vous.
Je comprends qu’il s’agirait d’une initiative fédérale et que ce devrait être la loi du Canada, que les choses se sont passées comme elles se sont passées, mais elle pourrait intégrer des lois, des processus et des protocoles autochtones d’une manière ferme, parfois obligatoire et exécutoire dans les décisions… idéalement par consensus, mais pas toujours, de façon non consensuelle et non volontaire. Il s’agit là d’un énorme obstacle psychologique, politique, social et culturel qui nécessite de l’éducation, mais aussi de l’inexorabilité. Il faut que ce soit clair, dans les instruments juridiques qui créent ce système, que c’est en fait obligatoire et non volontaire, si les participants, les parties et les répondants se soumettent aux lois et aux protocoles autochtones, et dans quelle mesure ils le font, le cas échéant.
Le président : Merci, madame Hensel.
Le sénateur D. Patterson : Madame Hensel, lors de la table ronde précédente, j’ai demandé pourquoi un tribunal des droits de la personne des Autochtones est nécessaire alors que nous avons le Tribunal canadien des droits de la personne. Vous avez dit très clairement que cela ne fonctionne pas, que c’est fondé sur les plaintes, que c’est axé sur les droits individuels, et non pas sur les droits collectifs, que cela exige des preuves et que c’est accusatoire.
L’Inuit Tapiriit Kanatami a proposé qu’un mécanisme de règlement des différends soit intégré au tribunal des droits de la personne des Autochtones proposé. Serait-ce une façon de changer la nature accusatoire qui n’a pas fonctionné jusqu’à maintenant?
Mme Hensel : Idéalement, cela fonctionnerait si le Canada, en tant que répondant principal — le plus fréquent répondant systémiquement —, pouvait s’asseoir à la table en respectant les principes et le processus de règlement des différends avec les Autochtones ou un processus moins accusatoire. Ce n’est pas notre expérience. Ce n’est pas mon expérience en tant qu’avocate plaidante qui essaie souvent de détourner les choses vers la médiation. Encore une fois, il faudrait que cela vienne de l’électorat, et nous avons donc besoin d’éducation.
C’est un tout, n’est-ce pas? Parce qu’un gouvernement qui se montre ouvert, bon, conciliant et consensuel à l’égard d’un processus de règlement des différends qui entraînera des milliards de dollars de responsabilité doit être en mesure d’en répondre. Le public doit l’autoriser, au bout du compte… non pas dans l’immédiat, mais un jour. Autrement, ce ne sera pas viable.
Malheureusement, nous n’en sommes pas encore là sur le plan social et culturel au Canada. La situation est meilleure qu’il y a 10 ans, mais il y a du chemin à faire. Les gouvernements changent aussi, ce qui a une incidence considérable sur ce que le règlement des différends rend possible. Des outils accusatoires doivent encore être accessibles, mais il faut comprendre que, en général, ce système accusatoire est intrinsèquement nuisible, coûteux et inefficace pour ce qui est d’obtenir justice. Il s’agit en réalité d’un recours implicite à la force, de faire respecter les ordonnances. C’est un outil préjudiciable, mais parfois nécessaire. Il devrait être utilisé extrêmement rarement. À l’heure actuelle, pour ce qui est de la relation de réconciliation, il est malheureusement nécessaire.
Le sénateur D. Patterson : Je vous remercie.
Le président : Le temps de parole de ce groupe est maintenant écoulé. Je remercie encore une fois tous nos témoins de s’être joints à nous aujourd’hui. Je vous rappelle que, si vous avez d’autres mémoires à présenter, vous devez les soumettre à Andrea Mugny, notre greffière, dans les sept jours.
Merci, honorables sénateurs. Cela met fin à notre réunion. La séance est levée.
(La séance est levée.)