LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 30 octobre 2024
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.
[Note de la rédaction : Veuillez noter que cette transcription peut contenir un langage fort et aborder des questions délicates qui peuvent être difficiles à lire.]
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Avant de commencer, j’aimerais demander à tous les sénateurs et autres participants en personne de consulter les cartes sur la table pour connaître les directives à suivre afin d’éviter les effets larsen. Veillez à ce que votre oreillette soit toujours éloignée de tous les microphones. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la face vers le bas sur l’autocollant placé sur la table à cet effet. Merci à tous de votre coopération.
Je voudrais commencer par reconnaître que la terre sur laquelle nous nous réunissons est le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe et qu’elle abrite aujourd’hui de nombreuses autres Premières Nations, des Métis et des Inuits de l’ensemble de l’île de la Tortue.
Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis d’Epekwitk, également connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis président du Comité des peuples autochtones.
Je vais maintenant demander aux membres du comité de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou territoire.
La sénatrice Hartling : Bonjour. Je suis la sénatrice Nancy Hartling du Nouveau-Brunswick sur le territoire non cédé du peuple mi’kmaq.
La sénatrice McPhedran : Bonjour. Je suis la sénatrice Marilou McPhedran, du territoire du Traité no 1 au Manitoba, qui est aussi la patrie de la nation métisse de la rivière Rouge.
Le sénateur Prosper : Bonjour. Paul Prosper, de la Nouvelle-Écosse, territoire mi’kmaq.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de Banff, Alberta, territoire du Traité no 7.
La sénatrice White : Judy White, de Ktaqmkuk, mieux connu sous le nom de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
La sénatrice Audette : [mots prononcés en innu-aimun] Michèle Audette, du Nitassinan, qu’on appelle aussi le Québec.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, sénatrice d’un territoire mi’kmaq, de la Nouvelle-Écosse.
Le président : Merci, chers collègues. Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir un certain nombre de jeunes autochtones de tout le pays dans le cadre de l’édition 2024 du programme Voix de jeunes leaders autochtones.
Cet événement annuel vise à amplifier les perspectives et les expériences de jeunes leaders autochtones âgés de 18 à 35 ans qui sont à l’origine de changements significatifs dans leurs communautés et au-delà. Les témoignages recueillis aujourd’hui contribueront à éclairer les travaux en cours du comité.
Nous inviterons chacun de nos quatre participants à présenter des déclarations préliminaires d’environ cinq minutes, suivies d’une séance de questions-réponses avec les membres du comité.
Juste un rappel aujourd’hui, malheureusement, nous n’avons que 30 minutes et un arrêt brutal à midi; gardez cela à l’esprit.
Notre première témoin à la table est Breane Mahlitz. Mme Mahlitz est une Métisse de l’Alberta qui travaille actuellement comme conseillère en matière de politique de santé au sein du Ralliement national des Métis. J’invite maintenant Mme Mahlitz à présenter ses observations préliminaires.
Breane Mahlitz, à titre personnel : Tansi. Tout d’abord, marsee aux anciens et aux gardiens du savoir pour avoir ouvert ce débat de manière positive ce matin.
Je m’appelle Breane Mahlitz. Je suis une fière Métisse. La passion qui anime le travail de ma vie est le reflet de la profonde gratitude que j’éprouve à l’égard de ma communauté.
Ma communauté m’a donné la vie, mon identité et un but. En tant que fille de parents métis fiers de l’être, je m’engage à préserver et à renforcer les liens qui nous unissent à notre patrimoine, à veiller à ce que nos traditions prospèrent pour les générations futures et à ce que nos voix restent fortes et unies.
Guidée par le principe de travailler dans l’intérêt des familles métisses et des générations futures, je m’engage à réduire les obstacles auxquels se heurtent les jeunes autochtones et à favoriser un leadership qui honore nos traditions et ouvre la voie à un avenir fort et autodéterminé. En fait, en février dernier, j’ai été honorée par ma nation, le gouvernement métis otipemisiwak, qui m’a décerné le prix « Outstanding Youth Award » pour mon engagement continu envers ma communauté. En outre, j’ai eu la chance de représenter l’Association canadienne pour les Nations unies en tant que jeune déléguée à la soixante-huitième Commission de la condition de la femme, ou CSW68, à New York, et dans des discussions sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA.
Ce dévouement m’a amenée à représenter les intérêts des Métis sur diverses plateformes, notamment dans le cadre de mon travail en tant que conseillère politique pour le Ralliement national des Métis, où je me concentre sur la défense des systèmes de soins de santé dirigés par les Métis qui vont au-delà des lacunes de la structure existante pour créer des systèmes qui reflètent nos valeurs. Mon peuple mérite d’être en santé et heureux de sa culture et de sa langue.
Ce désir de voir mon peuple s’épanouir m’a menée à la quête d’un certificat d’études supérieures du programme de santé publique autochtone à la faculté de médecine de l’Université de la Colombie-Britannique, le seul programme de perfectionnement professionnel en la matière au Canada.
Dans le cadre de mon parcours, je demeure déterminée à amplifier la voix des Métis, surtout celle des jeunes. Après tout, Louis Riel avait 25 ans — et était donc plus jeune que moi — lorsqu’il a entrepris la Rébellion de la rivière Rouge.
Ma vision du leadership des jeunes s’inspire du mot Otipemisiwak, des Cris des plaines, qui signifie « ceux qui se gouvernent eux-mêmes ». Notre peuple a toujours tenu au droit inhérent à l’autodétermination, un héritage transmis par nos ancêtres, qui se sont battus pour la reconnaissance des droits des Métis.
La santé est au cœur de notre vision de l’autodétermination. Elle est holistique et comprend le bien-être physique, mental, émotionnel, spirituel et social. Les forces de la famille et de la communauté sont l’épine dorsale de la santé des Métis, qui est profondément liée à la terre et à la continuité culturelle. Ces relations rendent la santé des Métis unique et doivent être préservées pour les générations futures. Les soins de santé investis dans le leadership des jeunes Métis sont associés à des possibilités d’éducation, de mentorat et d’engagement communautaire ancrés dans notre culture. Comme le disait toujours ma défunte tante et aînée, Doris Fox : « Les connaissances doivent être partagées ».
Lorsque la culture métisse est célébrée et que les jeunes sont habilités, nos communautés prospèrent.
Par conséquent, la loi sur la santé des Métis fondée sur les distinctions doit aller au-delà d’une déclaration d’intention; elle doit être une priorité. Une priorité qui mène à de véritables actions. Notre peuple a des besoins, des histoires et des priorités uniques en matière de santé qui doivent être respectés, pas seulement en mots, mais dans des politiques concrètes et efficaces.
Les Métis sont titulaires de droits en vertu de l’article 35. Bien que nous ayons un legs de résilience, de force et de survie face à l’adversité, nous n’avons toujours pas un accès équitable aux prestations de soins de santé et au soutien que nous méritons en tant que peuples autochtones au Canada. Les Métis et nos communautés ne devraient pas être laissés à eux-mêmes dans un système qui ne reconnaît pas leurs besoins et leurs droits inhérents.
Nous en avons assez des promesses creuses. Nous avons besoin d’actions, et non de paroles.
Pour assurer des partenariats authentiques, la réconciliation et l’équité, il faut cesser de mettre de côté la santé des Métis ou de la reléguer au second plan. Il faut prendre des mesures décisives, offrir un soutien continu et élaborer des lois fondées sur les distinctions qui reflètent notre droit à la santé à titre de titulaires de droits en vertu de l’article 35.
Il est maintenant temps pour le Canada de remplir ses promesses. Nos communautés, nos familles et les prochaines générations en ont besoin.
Il est grand temps d’apporter ces changements. Les prestations d’assurance-maladie complémentaires ne sont pas une simple considération en matière de politiques... Elles sont essentielles à la vie.
Le manque d’accès continu aux prestations d’assurance-maladie affecte directement la vie des membres de ma communauté, de mes amis, de ma famille et la mienne également.
Nos peuples méritent mieux. Nous exhortons le Canada à assumer ses responsabilités, à reconnaître enfin les droits des Métis et à agir en conséquence.
Le moment est venu.
Le président : Merci, madame Mahlitz.
Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Je tiens toutefois d’abord à souligner la présence de l’aîné McGregor, de Kitigan Zibi, qui se joint à nous en compagnie de sa femme aujourd’hui. Nous vous souhaitons la bienvenue.
La sénatrice White : Comme nous devons nous arrêter à midi, je me demande si nous pouvons entendre tous les intervenants avant de poser nos questions, au cas où nous manquerions de temps. C’est une suggestion.
Le président : Nous avons jusqu’à midi avec la première témoin.
La sénatrice White : Oh, excusez-moi. D’accord, parfait.
Le président : À titre de précision, nous disposons de 30 minutes par témoin. D’accord.
Je vais poser la première question. En tant que jeune leader autochtone, pouvez-vous me dire quelles sont vos priorités politiques ou législatives, à vous et à vos pairs?
Mme Mahlitz : Comme je l’ai dit plus tôt, je pense qu’une loi sur la santé des Métis fondée sur les distinctions doit être à l’avant-plan si nous voulons vraiment aider mon peuple. Cela doit se faire de manière concertée. À l’heure actuelle, il n’y a pas une grande compréhension à l’égard d’une telle collaboration, mais l’élaboration d’une loi sur la santé doit tenir compte de nos besoins culturels holistiques et distincts, reconnaître l’expérience des Métis et combler les écarts en matière de santé entre les Métis et les autres Canadiens. Il faut donc une élaboration conjointe significative, de nation à nation, de la loi sur la santé; c’est fondamental. J’aimerais vous parler d’un document que j’ai avec moi aujourd’hui.
Il s’intitule Métis Vision for Health et il a été créé en collaboration avec les membres des communautés de tout le pays. Il présente une vision de la santé et du bien-être des Métis pour guider l’élaboration d’une loi sur la santé propre aux Métis, et il comporte trois objectifs, que j’aimerais vous décrire rapidement.
Le premier consiste à établir des principes clés, des priorités en matière de santé et des recommandations qui serviront de fondement à une loi sur la santé propre aux Métis, qui est en cours d’élaboration avec le gouvernement fédéral. Elle est enfin fondée sur les distinctions; à l’origine, elle ne l’était pas, ce qui est un problème en soi.
Le deuxième objectif est d’établir un terrain d’entente pour tracer la voie à suivre en vue d’une loi sur la santé significative, élaborée conjointement et fondée sur les distinctions.
Enfin, le troisième principe consiste à faire progresser la relation de nation à nation entre les gouvernements des nations métisses et le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux en ce qui concerne la santé et le bien-être, puisque nous sommes un peuple autodéterminé, comme je l’ai dit. [Mots prononcés dans une langue autochtone.]
Le président : Merci.
La sénatrice Sorensen : Je vous remercie tous d’être présents. Comme l’a dit le sénateur Arnot ce matin, il s’agit d’un moment fort pour ce comité.
J’aimerais en savoir un peu plus sur vos études en santé publique autochtone. Parlez-nous un peu de ce programme d’études. Aborde-t-il la question de savoir comment les personnes titulaires de ce certificat peuvent défendre ce que vous essayez tous d’accomplir? Le document que vous venez de nous montrer est-il incorporé d’une manière ou d’une autre dans le programme d’études, de sorte qu’il en devienne une priorité?
Mme Mahlitz : Le programme auquel je participe actuellement se déroule à l’Université de la Colombie-Britannique, par l’intermédiaire du Centre d’excellence en santé autochtone. Deux professeurs autochtones sont à la tête de ce centre. Chaque semestre, ils invitent des membres de la communauté et nous nous asseyons en cercle avec nos camarades de classe pour discuter de la vie réelle. Nous commençons par une cérémonie tous les matins et nous terminons par une cérémonie, généralement tous les soirs, parce qu’il y a beaucoup de thèmes à aborder. Ce sont des conversations très personnelles.
J’apprends des hygiénistes dentaires du pays. J’apprends des cardiologues. J’apprends des conseillers en politique de santé. Nous sommes vraiment en face à face avec tous nos professeurs, et ils apprennent autant de nous que nous apprenons d’eux.
Ce dernier semestre, Stephen Thomson, de la Nation métisse de la Colombie-Britannique, est venu nous voir. Il a pu mettre en évidence le rôle de mon travail dans la Vision métisse de la santé, ce qui était génial. Plus encore, j’ai l’occasion d’en apprendre davantage sur les priorités de santé des Premières Nations et des Inuits.
La sénatrice Sorensen : Quel est l’effectif des participants au programme?
Mme Mahlitz : Une trentaine de personnes.
La sénatrice Sorensen : De l’ensemble du Canada ou majoritairement de l’Ouest?
Mme Mahlitz : De l’ensemble du Canada. Je pense que je suis l’une des rares à venir de l’Alberta. Bien sûr, c’est en Colombie-Britannique, donc bon nombre d’étudiants viennent de cette province.
La sénatrice Sorensen : Très intéressant.
La sénatrice White : Merci beaucoup pour votre exposé. Du point de vue du comité, nous avons tenu plusieurs discussions sur la consultation des populations autochtones par le gouvernement et surtout sur l’absence de consultation. Je pense qu’il y a deux ou trois choses à dire.
Tout d’abord, pensez-vous qu’il est important que les consultations se fassent précisément avec les jeunes autochtones? Et si c’est le cas, et je suppose que ça l’est, à quoi ces consultations pourraient-elles ou devraient-elles ressembler? Nous serions ravis de connaître votre avis.
Mme Mahlitz : Je pense que la décision sera prise, en premier lieu, par la communauté. C’est elle qui sait le mieux ce qu’il faut faire. Elle sait à quels jeunes s’adresser et comment s’adresser à eux. Je pense donc qu’une grande partie de la consultation gouvernementale consistera à confier cette responsabilité à la communauté et à la laisser mener cette consultation.
Il faut également veiller à ce que la communauté soit bien équipée financièrement pour faire ces choses. C’est un obstacle majeur que je vois souvent dans mon travail : les gens, pas uniquement des jeunes, mais surtout les jeunes, ne sont pas reconnus ou valorisés pour leurs connaissances culturelles, et celles-ci doivent être rémunérées au même titre qu’un doctorat, une maîtrise ou autre chose. C’est quelque chose dont nous devons vraiment nous soucier en priorité.
Je pense que les jeunes doivent absolument participer. Je pense que nos communautés en sont très conscientes, qu’elles le savent et qu’elles devraient avoir le pouvoir de déterminer comment s’y prendre pour y parvenir de manière satisfaisante.
La sénatrice Hartling : Merci, madame Mahlitz. Très bel exposé. Très bien fait. J’ai appris beaucoup de choses nouvelles.
Je voulais vous demander une chose. Vous suivez un cours théorique et vous retournez ensuite dans la communauté pour mettre en pratique ce que vous avez appris. Pour faire le lien entre certains des problèmes que vous rencontrez dans la communauté et ce que vous apprenez, quels sont les principaux problèmes de santé ou de bien-être dans votre communauté que vous apprenez en théorie et que vous mettez en pratique? Comment pouvons-nous, au sein de ce comité sénatorial, éclairer ces questions dans notre travail?
Mme Mahlitz : Je pense que la chose la plus importante — et cela me brise le cœur —, c’est que les Métis pensent toujours qu’ils ont de mauvais résultats en matière de santé parce qu’ils sont Métis. Cela me brise le cœur, car les mauvais résultats en matière de santé sont le résultat de décennies d’oppression et de politiques oppressives qui ont effectivement cherché à effacer ou à assimiler les Métis. J’ai l’impression que plus les Métis ne bénéficient pas d’une intégration significative ou complète des déterminants sociaux de la santé pour les Métis dans le système de soins de santé, plus le risque est grand que cette situation se perpétue d’une génération à l’autre.
Ce que j’entends surtout de la part de la communauté, ce sont des commentaires sur les prestations de santé non assurées. À l’heure actuelle, les Métis ne bénéficient pas de prestations de santé non assurées ni d’aucun autre service de santé fédéral offert aux autres peuples autochtones, et ils n’en ont jamais bénéficié. C’est quelque chose qui me touche beaucoup, ainsi que ma famille et ma communauté.
En fait, le Ralliement national des Métis réalise actuellement une série documentaire dans le cadre de laquelle nous nous rendons dans les communautés de tout le territoire ancestral pour rencontrer les gens en personne et leur demander de nous raconter leur histoire et de nous expliquer comment ces choses les touchent.
La sénatrice Hartling : Merci.
Le sénateur Prosper : Merci beaucoup pour votre témoignage. Il s’agit d’une occasion d’apprentissage pour de nombreuses personnes, dont moi-même.
Vous parlez avec beaucoup de compassion et de conviction de la notion ou du concept d’autodétermination. Je crois que vous avez fait allusion à un mot des Cris des plaines qui signifie « ceux qui se gouvernent eux-mêmes ». Je pense qu’à plusieurs reprises, vous avez parlé d’une relation de nation à nation.
Pouvez-vous me décrire comment les jeunes Métis perçoivent la notion d’autodétermination et ceux qui se gouvernent dans un cadre de nation à nation? Quelles sont les caractéristiques de ce concept?
Mme Mahlitz : Les caractéristiques de l’autodétermination, je pense qu’elles diffèrent vraiment d’une personne métisse à l’autre. C’est quelque chose qui va évoluer avec le temps.
Je pense à la mienne. J’essaie toujours de garder une écharpe avec moi. J’essaie toujours de penser à mes racines. Pour moi, l’autodétermination, c’est bien plus que moi, ce qui est amusant parce que l’idée de « soi-même » est dans le mot, mais je pense vraiment à la communauté et à la culture. C’est mon point de vue, mais il y a beaucoup de Métis qui n’ont peut-être pas de lien actuel avec la culture métisse, et c’est tout à fait normal. Cela fait aussi partie de l’histoire. Je pense que ces personnes devraient être encouragées et qu’elles devraient tout autant avoir voix au chapitre en matière d’autodétermination.
Mais oui, je pense qu’il est difficile de répondre à cette question parce qu’elle change tellement d’un jeune Métis à l’autre. Pour moi, l’autodétermination consiste à m’assurer que je redonne à la communauté qui en fait tant pour moi, et c’est moi qui sais le mieux comment le faire. Nous savons tous comment nous engager au mieux avec nos communautés. C’est là qu’intervient la notion de nation à nation.
Le sénateur Prosper : Merci.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, madame Mahlitz. Cet exposé était très intéressant. Nous serions ravis d’apprendre que vous avez obtenu votre diplôme. Nous vous souhaitons bonne chance dans vos études.
J’ai quelques questions à vous poser. Vous travaillez pour le Ralliement national des Métis, et le Ralliement national des Métis travaille avec d’autres nations métisses. Certaines nations métisses relèvent du Ralliement national des Métis, d’autres non. Lorsque vous avez cette stratégie, comment est-elle liée aux nations métisses qui ne font pas partie du conseil national? Y a‑t‑il une coordination avec ces autres entités ?
Mme Mahlitz : À l’heure actuelle, il existe une certaine coordination. C’est difficile.
La citoyenneté métisse est liée à l’endroit où l’on vit. Je suis citoyenne de la Nation métisse de l’Alberta. Mes deux parents sont citoyens de la Nation métisse de l’Alberta, et nous avons des racines profondes à Lac Ste. Anne. Je suis très attachée à mon identité au sein de la Nation métisse de l’Alberta, mais si je déménageais au Manitoba, je devrais renoncer à ma citoyenneté de la Nation métisse de l’Alberta. Si je voulais bénéficier de quelque avantage que ce soit de la part de ma nation, je devrais devenir citoyenne de la Fédération des Métis du Manitoba, ou FMM. La FMM, le Ralliement national des Métis et la Nation métisse de l’Alberta sont tous distincts, ce qui rend le processus très difficile. Je pense que du point de vue du citoyen, cela nous dépasse largement. Nous ne savons pas vraiment ce qui se passe à ces niveaux.
La sénatrice Coyle : Je me demandais simplement si vous aviez des homologues dans les autres entités avec lesquelles vous travaillez en coordination.
Mme Mahlitz : Professionnellement? J’essaie. En tant qu’individu, j’essaie vraiment d’y parvenir. Par exemple, avec cette série documentaire, c’est quelque chose que, avec mon équipe, nous avons placé au-dessus de nous. Nous avons envoyé quelque chose au-dessus de nous, cela a été envoyé au-dessus de nous encore une fois et à nouveau au-dessus de nous, et maintenant c’est arrivé tout en haut pour voir si quelque chose se passe à partir de cette politique.
Le Ralliement national des Métis ne sera pas le seul à être touché. S’il s’agit d’une loi sur la santé des Métis, elle touchera très probablement tous les Métis, et il est de notre responsabilité de défendre les intérêts de tous les Métis, même s’ils ne sont pas représentés au sein du ralliement national.
Par exemple, avec cette série documentaire, c’est quelque chose que j’essaie vraiment de défendre, c’est-à-dire inclure ces voix autant que possible parce que je ne pense pas que les citoyens devraient être impliqués dans ces politiques, surtout lorsqu’il s’agit de maintenir la vie, n’est-ce pas ?
La sénatrice Coyle : C’est utile.
Nous venons d’adopter la loi sur l’assurance-médicaments, et l’une des choses dont les gens ont parlé — y compris moi‑même — est l’accès à l’assurance-médicaments pour les Métis partout au Canada. Est-ce une question que vous avez examinée?
Mme Mahlitz : Oui, les services de santé non assurés dans leur ensemble. Nous étudions l’assurance-médicaments. Nous étudions les services de conseil. Nous examinons toutes sortes de choses qui ne sont pas incluses dans les services de santé non assurés. L’hébergement et le transport médical, en particulier pour nos communautés éloignées et isolées, sont des obstacles majeurs. Il ne s’agit pas seulement de l’accès à ces services, mais aussi de l’accès à ces services dans le respect de la culture.
La nation métisse a vécu beaucoup de choses. Nous avons un lourd passé en ce qui concerne les pensionnats et la rafle des années 1960, et nous constatons encore aujourd’hui beaucoup de ces conséquences. Il ne s’agit pas seulement de l’accès à l’assurance-médicaments. Il s’agit de l’accès à des médicaments culturellement sûrs.
Je voudrais mentionner ce monsieur de la Saskatchewan qui vient de subir une intervention chirurgicale et dont la tresse a été coupée. Il s’agissait d’une opération de la hanche, et sa tresse a été coupée. Ce sont des choses que nous voyons ici, en ce moment même, chez les citoyens métis. Il ne s’agit donc pas seulement d’accès aux soins. Il s’agit d’un accès aux soins qui soient culturellement sûrs, et qui soient culturellement sûrs d’une manière que nous définissons et que les citoyens définissent.
La sénatrice Coyle : Merci.
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup. C’est un plaisir de revenir au Comité des peuples autochtones.
Votre exposé était excellent, madame Mahlitz, et nous vous sommes vraiment reconnaissants du temps et des efforts que vous y avez consacrés.
J’ai examiné rapidement le rapport que vous nous avez montré, et j’ai été très heureuse de voir que la toute dernière référence, en parlant des principes de la législation métisse sur la santé, est en fait une déclaration selon laquelle l’analyse intersectionnelle fondée sur le sexe des Métis s’est appliquée à la co-élaboration de la législation, de sorte que ma question porte sur ce point.
En fait, la question comporte deux volets. Premièrement, pour vous, en tant que jeune dirigeante métisse, à quoi cela ressemble‑t‑il? Quelles mesures faudrait-il prendre pour que l’analyse comparative entre les sexes soit prise en compte dans l’élaboration de la législation?
La deuxième partie de ma question est la suivante : je ne vois nulle part ailleurs dans le document — et je l’ai lu très rapidement — de référence précise aux différences entre la santé des femmes et la santé des hommes, les corps masculin et féminin. Nous avons été très lents dans ce pays à mener des recherches directement liées à la réalité du corps d’une femme, et j’espère que c’est déjà quelque chose qui est envisagé. Je me demande si vous pouvez en parler.
Mme Mahlitz : Oui, je pense que l’analyse comparative entre les sexes est très importante. Professionnellement, je ne peux pas en parler, mais je suis une femme. Je sais que mon expérience en tant que femme métisse sera très différente de celle d’un homme métis. Un homme métis et une femme métisse auront des expériences très différentes de celles des hommes et des femmes non métis.
Je suis heureuse que vous ayez soulevé cette question, car les systèmes de données actuels ne permettent pas d’identifier les Métis, point final. Même si nous aimerions disposer de données sur les Métis basées sur le sexe, il nous est très difficile d’accéder aux données sur les Métis et d’obtenir le financement nécessaire pour nous assurer que nous obtenons ces données en toute sécurité.
Les limites des données freinent vraiment une grande partie du travail que nous faisons, surtout lorsque nous sommes dans un cadre colonial et que nous essayons de parler à des gens comme le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial. Ils ne considèrent pas les histoires que nous leur apportons avec autant de profondeur que nous.
Ils veulent des chiffres, et surtout lorsqu’il s’agit de financement, ils veulent ces chiffres. Malheureusement, si nous ne disposons pas de beaucoup d’informations sur l’analyse comparative entre les sexes, c’est à cause de ce cercle vicieux : il faut des données pour pouvoir obtenir des données, et il faut une certaine forme de recherche pour pouvoir faire plus de recherche.
Je voudrais juste conclure sur une autre question concrète, à savoir que les limites des données sapent une grande partie du travail que la nation métisse doit accomplir.
La sénatrice McPhedran : Merci.
La sénatrice Bernard : Merci beaucoup pour votre témoignage et vos merveilleuses réponses aux questions de mes collègues.
J’ai remarqué que vous avez utilisé l’expression « soins de santé culturellement sûrs » à plusieurs reprises, et pendant des années, les gens ont fait la promotion de cette notion de compétence culturelle. J’aimerais que vous nous expliquiez en quoi vous considérez ces deux notions comme très différentes — « compétence culturelle » et « sécurité culturelle ».
Mme Mahlitz : C’est une question délicate. Même l’expression « culturellement sûrs » est pour moi une sorte de mot à la mode. Qu’est-ce qui est culturellement sûr? De quelle culture parlons-nous? Je pense que nous devons approfondir un peu plus ce qu’est la sécurité culturelle et ce qu’est la compétence culturelle.
On observe souvent des approches pan-autochtones, ce qui, en soi, est un tout autre problème. Nous avons beaucoup de défenseurs des Premières Nations dans les hôpitaux, et c’est un excellent exemple de compétence culturelle et de sécurité culturelle dans les soins de santé. Cependant, il y a un manque important de défenseurs des Métis et des Inuits dans les systèmes de soins de santé. Nous devons adopter autant que possible des approches basées sur les distinctions et essayer de nous éloigner des approches pan-autochtones.
En ce qui concerne la spécificité des Métis, j’aimerais bien voir chaque membre dirigeant — y compris la Nation métisse de l’Alberta, la Nation métisse de la Colombie-Britannique, la Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest, la Nation métisse de la Saskatchewan, la Nation métisse de l’Ontario et la Fédération métisse du Manitoba — parce que je pense qu’ils auraient tous des idées différentes sur la manière d’intégrer cette spécificité, et je pense que cela changerait aussi probablement entre les zones urbaines et les zones rurales.
Honnêtement, je déteste vraiment les notions de compétence culturelle et de sécurité culturelle. Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais c’est mon point de vue sur ces deux mots.
La sénatrice Bernard : Je pense que vous venez d’ouvrir un champ d’investigation qui mérite d’être approfondi. Je vous remercie.
Le président : Le temps imparti à ce groupe de témoins est maintenant écoulé. Merci, madame Mahlitz, pour le point de vue et les expériences que vous nous avez présentés aujourd’hui. Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir pris le temps de vous joindre à nous.
Le témoin suivant est Bradley Bacon et sa fille, Elaya. Bienvenue. M. Bacon travaille comme traducteur et interprète innu dans sa communauté d’Unamen-Shipu, au Québec, et il est propriétaire d’une entreprise de consultation qui offre différents services aux membres de sa famille.
M. Bacon prononcera une déclaration liminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une séance de questions et réponses avec les membres du comité.
J’invite maintenant M. Bacon à faire part de ses observations.
Bradley Bacon, à titre personnel : [Mots prononcés dans une langue autochtone.]
[Français]
Je me présente : je m’appelle Bradley Bacon et je viens de la communauté de la nation innue du Québec, la communauté d’Unamen-Shipu, communément appelée La Romaine.
Je viens d’une famille où l’éducation est très importante. Mon père a été chef de bande pendant 30 ans. Donc, je me souviens que souvent, quand j’étais jeune, on allait à Ottawa avec mon père au Parlement, notamment pour essayer de faire comprendre nos différentes opinions par rapport aux projets de loi qui ont été mis en vigueur.
Je suis en compagnie de ma fille, Elaya. Je fais la même chose que mon père a faite avec moi quand j’étais jeune. Il m’emmenait souvent pour montrer l’exemple aux enfants et à mes enfants aussi. Cela vient de là, cela vient de mon père.
Je suis venu ici parler des valeurs qu’on m’a enseignées et que ma communauté a imprégnées dans tout ce que je fais actuellement. Je viens d’une famille qui, comme je vous l’ai dit, s’implique beaucoup dans la communauté. Ma mère est enseignante et mon père était chef de bande.
Quand j’étais jeune, je me disais qu’il fallait que je fasse quelque chose moi aussi, que quand je serais grand, il faudrait que je défende les intérêts de ma communauté, pas juste ceux de ma communauté, mais aussi de toute la nation innue du Québec.
Je suis venu pour faire valoir mes idées, parce qu’on est un peuple d’orateurs, donc qui n’écrit pas. J’aime beaucoup cette façon de faire, qui est d’apprendre grâce à des exemples, de regarder. Présentement, je remarque que dans les communautés au Québec, il y a une forme de changement radicale au niveau des valeurs. Je tiens toujours à rappeler aux jeunes de ma communauté et aux jeunes du Québec que les valeurs importantes chez la nation innue sont le respect, l’entraide, le partage et la collaboration. Je mets toujours de l’avant ces quatre valeurs dans tout ce que je fais.
Je suis conseiller linguistique auprès du chef de ma communauté et je m’implique beaucoup en ce qui concerne la langue innue. Quand je parle au chef de ma communauté, il me parle comme si j’étais un expert, alors que je suis jeune et que je ne suis pas encore un expert dans ce domaine — mais lui pense que je suis un expert. Dans notre façon de voir, en tant qu’Innus, ce n’est pas écrit dans des textes, il faut le vivre au quotidien pour voir cette réalité et ses valeurs.
J’aime beaucoup parler des valeurs, parce qu’on commence à voir actuellement un changement radical avec l’individualisme qui arrive dans nos communautés. J’ai peur pour la génération qui s’en vient, car elle ne connaîtra pas ce que j’ai connu ou l’enseignement que j’ai reçu. Mon travail, c’est de faire revivre ces valeurs.
[Traduction]
Le président : Merci, monsieur Bacon.
Nous allons maintenant donner la parole aux sénateurs pour qu’ils posent des questions. Nous commençons par la sénatrice Coyle.
La sénatrice Coyle : Merci, monsieur Bacon. Bienvenue à vous et à votre adorable fille. Il est merveilleux de voir que vous poursuivez la tradition de vos parents en amenant votre fille ici. C’est un bon plan.
Vous avez parlé de la langue et des valeurs. J’aimerais savoir si, dans votre communauté, la langue innue a régressé ou s’est perdue au fil des ans, ou si elle est encore forte. Quel est le statut de la langue innue?
Deuxièmement, concernant les valeurs, vous avez exprimé des craintes par rapport à la montée de l’individualisme. Quelles valeurs importantes avez-vous apprises en grandissant? Pouvez‑vous nous le dire? À votre avis, comment pourrez-vous composer avec l’évolution des valeurs pour la prochaine génération?
[Français]
M. Bacon : En ce qui concerne la situation linguistique dans ma communauté, elle n’est pas aussi précaire que dans d’autres communautés. On est chanceux, on est une communauté isolée, donc on n’a pas de route; quand il faut que je sorte de ma communauté, je dois prendre l’avion ou le bateau. Je me dis que je suis content et fier qu’on soit isolé, c’est à cela que tient le fait que notre langue est encore bien vivante, c’est grâce à cette situation, parce qu’on est isolé.
Pour ce qui est des valeurs auxquelles je tiens beaucoup, c’est le respect, donc le respect de l’autre. Le respect dans la langue innue, cela n’existe pas comme tel, cela prend plusieurs formes. Quand je dis « respect » en langue innue, cela peut dire plusieurs choses, comme respecter la femme, respecter l’homme, respecter le chef, respecter l’enseignant, respecter des personnes en situation d’autorité.
Ce que je remarque actuellement dans ma communauté, c’est qu’il y a une diminution de ce respect. Lorsque j’étais jeune, je me souviens que mon père me disait : « Cette femme, il faut que tu la respectes. » Il a amené beaucoup de choses dans la communauté, mais cet aspect a disparu.
Chaque fois que j’en parle, cela vient me chercher. Le respect n’y est plus. Il faut respecter les aînés, mais aujourd’hui, tout a changé.
Je dis toujours qu’il faut respecter nos aînés parce que ce sont eux qui détiennent le savoir de nos ancêtres, notamment avec le respect. C’est pourquoi j’ai toujours eu du respect pour les aînés de ma communauté. J’ai eu une approche facile avec les aînés de ma communauté. Quand j’en parle, cela vient me chercher, car mes valeurs sont là. Mes fondements sont là. Chaque fois que j’en parle, cela me touche indirectement. C’est vrai que je suis un homme, mais cela me touche aussi en tant qu’homme de la communauté. Le respect, je trouve cela important. La valeur qui doit être mise de l’avant, c’est le respect. Le respect, c’est beaucoup de choses pour nous en langue innue.
[Traduction]
Le président : Monsieur Bacon, avez-vous besoin d’un moment avant de poursuivre?
[Français]
M. Bacon : Non, c’est très bien.
[Traduction]
La sénatrice White : Merci beaucoup, monsieur Bacon. Merci d’avoir partagé l’espace, et merci de nous avoir présenté votre fille aujourd’hui. C’est un privilège et un honneur. J’accorde de l’importance à cela, et je tiens à ce que vous le sachiez.
Étant originaire de Terre-Neuve-et-Labrador, j’ai eu le privilège de travailler avec vos nations sœurs, Natuashish et Sheshatshiu. J’ai donc été très privilégié de connaître un certain nombre d’aînés et d’apprendre de ces aînés. Je tenais à vous en faire part.
En tant que Mi’kmaq, la langue, la façon dont nous disons les choses, représente une partie importante de notre culture et de notre savoir traditionnel. Il n’y a pas de mot pour « justice » en langue mi’kmaq. Votre commentaire sur la montée de l’individualisme au détriment du communautarisme m’interpelle. Pouvez-vous en dire plus à ce sujet? Comment en sommes-nous arrivés là? Selon moi, le fait que le communautarisme cède le pas à l’individualisme présente un certain danger. Avez-vous des observations ou des conseils sur la manière de contribuer à façonner cela? Vous donnez manifestement l’exemple en comparaissant en compagnie de votre fille. Wela’lin. Merci.
[Français]
M. Bacon : Comme je vous l’ai dit, je remarque qu’il y a de plus en plus d’individualisme dans nos communautés. Quand j’étais jeune et que j’allais dans d’autres communautés, on voyait du communautarisme. Quand quelqu’un arrivait dans la communauté, tout le monde se précipitait, mais maintenant ce n’est plus comme cela. Les choses ont changé.
Voilà pourquoi je dis que je suis triste par rapport à cette nouvelle forme de changement. On me dit souvent que c’est une innovation, mais je n’appelle pas cela une innovation. C’est quelque chose qui sera perdu pour la génération qui vient. C’est pour cela que je dis que je ne suis pas un individualiste. J’ai été élevé dans le communautarisme. Quand quelqu’un arrivait dans ma communauté, j’étais obligé d’aller lui tenir la main, mais plus maintenant. Ce n’est plus comme cela.
C’est pour cela que quand j’en parle, cela me touche indirectement. J’en ai vu, des situations. Par exemple, en février 2022, on a eu un événement dans ma famille. Mon oncle a été retrouvé gelé dehors dans la communauté. Il est resté dehors pendant trois heures. C’est pour cela que je craque. L’individualisme prend le contrôle de nos valeurs et de nos façons de faire. Je me dis que si j’avais eu 14 ou 15 ans, on n’aurait pas eu ce problème. Les voisins auraient appelé, ils seraient venus chez moi pour dire: « Il y a votre garçon dehors », mais ce n’est plus comme cela. Je suis triste par rapport à cela.
Je me demande souvent comment on en est arrivé là et pour quelle raison. Chaque personne individuellement doit faire quelque chose. Il faut aller chercher nos valeurs dans le partage, dans l’entraide. Je suis triste. Je pleure chaque fois que j’en parle, parce qu’il y aura des impacts sur les générations futures. Si je comprends bien, ma fille, quand quelqu’un la verra, si elle est en train de mourir, il va juste la regarder. Je ne veux pas que cela arrive. Je veux que ma fille prenne conscience que c’est quelque chose de très grave et que ce n’est pas notre façon de faire à nous, les Innus. Il faut faire quelque chose. C’est cela que je veux ramener dans nos communautés et dans nos institutions, auprès des jeunes et de ma communauté. Je veux que cela revienne.
Je me souviens que mon arrière-grand-mère nous disait que cet individualisme allait venir, qu’il fallait se tenir debout, mais je n’étais pas conscient que ce serait dès aujourd’hui, au XXIe siècle. C’est quelque chose que je dois enseigner à la jeunesse autochtone du Québec. Les valeurs, j’y tiens. Comme je vous l’ai dit, chaque fois que je parle de ces valeurs, cela vient de mon cœur, mais quand je parle d’autres choses, je ne pleure pas. Cela vient du cœur. Cela vient de mes ancêtres, de mon arrière‑grand‑mère, de tout ce que j’ai reçu comme enseignement. Cela vient de là.
[Traduction]
Le président : Merci, monsieur Bacon.
Le sénateur Prosper : Merci beaucoup, monsieur Bacon, d’avoir partagé une parcelle de vous, de votre vie et de votre cœur. Cela fait ressurgir certains souvenirs, puisque j’ai grandi dans une petite communauté mi’kmaq et que j’ai vécu certaines choses. Vous avez parlé de l’individualisme, du fait que les gens perdent ce lien identitaire, essentiellement, en tant que Mi’kmaq. Dans notre langue, nous disons l’nu, qui représente tous les peuples autochtones, y compris les Mi’kmaq.
Un aspect auquel j’essaie souvent de revenir et qui me rappelle cela, c’est la connaissance de la place qu’on occupe dans notre famille, dans notre communauté, dans notre nation, avec kisu’lk, le Grand Esprit, ou wsitkamu, notre Terre mère. D’une certaine manière, cela nous rend humbles et crée un équilibre entre individualisme et collectivisme — ces responsabilités. Cela évoque le pétroglyphe représentant l’équilibre entre le monde invisible et le monde visible, et nous semblons essayer de maintenir cet équilibre. Je trouve que les anciens sont d’une aide précieuse à cet égard.
Vous avez sans doute des liens profonds avec votre communauté, votre nation et votre peuple. Pouvez-vous parler des histoires que vous racontent les anciens — vous avez mentionné plus tôt que vous parlez à beaucoup de gens de votre communauté, notamment les anciens —, sur ce qui se s’en vient, sur cet individualisme auquel les jeunes sont confrontés?
[Français]
M. Bacon : Je viens d’une communauté où le catholicisme est très présent. Nous avons un curé qui a baigné la culture innue dans le catholicisme. Par exemple, lorsqu’on est à la chasse, on prie pour que la chasse soit bonne et on demande au Créateur qu’il nous accompagne. C’est tout cet aspect qui fait que l’on croit à l’existence d’un Créateur. Le curé considère que nous sommes un peuple catholique, avec des principes et des valeurs typiquement innues.
Souvent, j’allais à l’église rencontrer des aînés qui se rassemblaient là et qui priaient pour que la communauté se porte bien. Lorsque j’étais jeune, j’accompagnais souvent ma mère, qui enseignait la langue innue. Cela se passait parfois à l’église même. Il y avait des aînés qui étaient des experts en langue innue. C’est là que je m’y suis intéressé. Les aînés m’ont valorisé, ils m’ont dit que j’avais quelque chose à amener, à porter. C’est là que j’ai compris mon véritable rôle au sein de ma communauté, qui était d’éduquer les jeunes et de leur montrer l’exemple.
C’est ce que les aînés m’ont dit. Cependant, au fil du temps, beaucoup de nos aînés sont décédés. Mon travail, qui était d’éduquer les jeunes et l’ensemble de la communauté, a pris de l’ampleur, parce que les aînés qui me garantissaient la sécurité et la bienveillance n’étaient plus là et que je devais me ressaisir.
Ce qu’il fallait mettre de l’avant, c’était le respect. Les aînés me parlaient souvent de cette valeur du respect qui revenait toujours. C’est comme un mandat qu’ils m’ont donné.
Par la suite, j’ai travaillé dans la langue innue et j’ai traduit pour le curé de ma communauté et pour les aînés, afin qu’ils comprennent. J’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de respect dans tout cela. Je vois mes aînés actuellement, nous sommes dans une église et ils parlent seulement du respect, mais en langue innue. Pour nous, le respect représente beaucoup de choses. Lorsqu’on en parle dans notre langue, on en discute avec beaucoup de mots. C’est le respect qui est vraiment mis de l’avant.
J’ai aussi développé des programmes d’éducation populaire pour ma communauté, notamment pour essayer d’apprendre la langue innue selon l’ouïe, pas selon ce qu’on nous a enseigné. En résumé, pour nous, la valeur principale, c’est le respect.
La sénatrice Audette : Merci, Bradley. Chers collègues, vous avez vu à quel point les Innus s’entraident. Le greffier m’a demandé d’être la grand-mère protectrice pendant la présentation et c’était important pour moi que notre invitée soit une jeune sénatrice avec nous, dans le même cercle.
En quelques mots, Bradley, les sénateurs et sénatrices ont parfois cette capacité et cette détermination d’influencer les politiques du gouvernement fédéral par le biais d’études ou de projets de loi. Dans ce que tu partages avec nous, on voit qu’il y a plusieurs raisons pour lesquelles on en arrive à devenir très individualistes et à ne plus se reconnecter en communauté.
Qu’est-ce que tu recommanderais au gouvernement, lorsque vient le temps de rappeler l’importance de la nation, l’importance de sa relation avec son peuple et de la cohabitation avec ceux et celles qui ne sont pas innus? Qu’est-ce que tu me recommanderais?
M. Bacon : Parfois, les jeunes de ma communauté s’assoient et suivent les travaux des parlementaires à la télévision. Ils disent que nous sommes très loin au Québec et que nous sommes des oubliés. Je dis souvent aux jeunes que nous ne sommes pas des oubliés et qu’il y a des sénateurs et des députés qui sont aussi des Autochtones et qui sont notre voix à Ottawa.
Je recommanderais que chaque région soit traitée de façon égalitaire. Je viens d’une communauté où on était traité d’égal à égal. Oui, on avait un chef, mais il était assis à la même table que nous. Il n’était pas plus chef que nous. Je recommanderais cette façon de faire et de voir les choses, donc de traiter tout le monde de manière égalitaire.
La sénatrice Audette : Merci.
[Traduction]
Le président : Merci.
Le temps imparti pour ce groupe de témoins est écoulé. Monsieur Bacon et Elaya, je tiens à vous remercier d’avoir été des nôtres aujourd’hui et de votre témoignage percutant.
J’aimerais maintenant vous présenter notre prochain témoin, Mme Faithe McGuire, de l’établissement métis de Paddle Prairie, en Alberta. Elle est documentariste et réalise des films sur son peuple et sur ce que cela signifie de s’identifier comme Métis.
Mme McGuire fera une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, puis nous passerons aux questions des membres du comité.
J’invite maintenant Mme McGuire à faire sa déclaration préliminaire.
Faithe McGuire, à titre personnel : Tansi. Je m’appelle Faithe McGuire. Mes parents sont Sandra Parenteau et Brad Villeneuve. Je viens de Paddle Prairie, l’un des huit établissements métis de l’Alberta, sur le territoire visé par le Traité no 8.
En 1938, à la suite des recommandations de la Commission Ewing, le gouvernement de l’Alberta a adopté la Métis Population Betterment Act. Cette loi a incité les Métis à entreprendre la création des associations des établissements métis. En 1990, le gouvernement albertain a adopté quatre textes législatifs, et a créé un cadre de gouvernance pour les huit établissements. Une superficie de 1,25 million d’acres de terre a été allouée au Conseil général des établissements métis, ou CGEM, formant ainsi la seule assise territoriale métisse protégée au Canada.
Je pense que cela confère aux membres des établissements une identité unique au sein de la communauté métisse. À mon avis, cette assise territoriale a permis de protéger et de préserver notre identité métisse, car nous sommes le peuple de la terre. La possibilité de revenir sur ces terres m’a donné une place dans le monde. Les débouchés qui s’offrent à nous ici, dans l’établissement, dépendent de notre volonté de participer et d’agir.
Je suis photographe, cinéaste et conteuse. Je suis passionnée par mon travail. Ma passion, profondément ancrée dans la tradition, me vient de mon père. Il nous emmenait au musée, dans des parcs à ferraille, au cimetière. Je le regardais marcher çà et là, à inspecter les inscriptions et à reconstituer l’histoire que racontaient ces monuments. J’admirais profondément sa patience et son intérêt sincère pour le passé. Cela m’a marqué. Il m’a insufflé la curiosité nécessaire pour entreprendre mon propre voyage de conteuse.
En 2021, j’ai eu l’occasion de participer à deux programmes. L’Empowered Filmmaker Masterclass m’a permis d’élargir mes horizons afin de perpétuer l’art traditionnel de la narration. Marie Jo Badger et moi avons réalisé un film intitulé Askiy, dans lequel nous partageons, avec un aîné, des perspectives contemplatives sur les effets du colonialisme. Le film devait représenter le voyage du retour chez soi, du retour à la terre. Nous avons remporté le Visionary Storytelling Award. J’ai alors cru, pour la première fois, que mes rêves pouvaient se réaliser, même à petits pas.
J’ai également eu l’honneur de participer à la formation en leadership Reach for the Sky, offert par Les Femmes Michif Otipemisiwak. J’ai appris tant de choses sur mon histoire dans le cadre des cours d’études autochtones de l’Université de l’Alberta et de l’Université Athabasca. Grâce à ces connaissances, j’ai compris qu’il était possible, à l’instar de Maria Campbell et de Jesse Thistle, de surmonter les sentiments de honte et d’insignifiance.
L’histoire de la rédemption de notre peuple métis m’a amenée à être très fière d’être Métisse.
En 2003, le Conseil général des établissements métis a appuyé, par l’intermédiaire d’un cours sur l’entrepreneuriat et le développement, le lancement de mon entreprise de cinématographie et de photographie. Grâce à mon entreprise, j’ai eu l’honneur d’immortaliser l’histoire de la création des mukluks de Heidi Houle dans le cadre du plan d’action pour la vérité et la réconciliation de la Banque Scotia. J’ai également réalisé et produit un documentaire, à la demande de notre établissement. Le film s’intitule Mahti Achimo, qui signifie essentiellement « Raconte-moi une histoire ». Dans ce film, je fais des entrevues avec quatre membres de notre établissement sur des questions d’intérêt. J’y aborde des thèmes communs et, même si beaucoup considèrent que notre communauté est divisée, je vois essentiellement une communauté soucieuse d’autrui et qui cherche à agir à sa façon.
Au cours de ma vie, j’espère assister à la renaissance collective des connaissances de notre peuple. Je souhaite que mes films et mes photographies insufflent chez tous les Métis et les Autochtones un sentiment d’urgence quant à la documentation de cette période historique. Il y a des histoires de notre peuple qui n’ont toujours pas été entendues.
Je vous remercie tous d’avoir pris le temps d’écouter mon histoire.
Le président : Merci beaucoup, madame McGuire, pour votre déclaration liminaire. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.
La sénatrice White : Madame McGuire, je vous remercie de ce partage avec tant d’émotions. Je peux comprendre. Tout me fait pleurer, et j’ai l’impression que cela m’émeut et me purifie. Donc, je vous prie de ne pas avoir le sentiment d’être obligée de vous excuser pour vos larmes, car elles nous définissent.
J’ai été très impressionnée par votre interprétation très libre de l’art, en général, car dans nos communautés, nous n’avons jamais considéré nos récits, nos modes de vie et nos modes de connaissance comme de l’art, mais maintenant, à notre époque, c’est de l’art. Je pense que c’est formidable, et le travail que vous avez fait jusqu’à maintenant à l’aide de différents médias, dans les films que vous avez réalisés, et cetera, est fantastique.
Comment pouvons-nous exploiter votre travail et celui d’autres membres de la communauté, d’après ce que j’ai vu? Je pense en particulier les jeunes, car ils comprennent les médias sociaux et les différentes plateformes, je suppose. Quels conseils auriez-vous pour les jeunes, ou pour nous tous, sur la façon d’utiliser les médias que vous utilisez pour promouvoir la défense des intérêts et raconter nos histoires comme elles devraient être racontées, c’est-à-dire de notre point de vue, et non de celui d’une personne qui, un jour, se lève et dit : « Oh, voilà comment ils sont »?
Mme McGuire : Je vous remercie de votre question. Je suis ravie que vous l’ayez posée, car je pense que c’est également une partie importante de mon parcours. Bien franchement, je viens juste de commencer, et je ne veux pas que notre peuple se retrouve freiné par la crainte de ne pas être parfait dans quoi que ce soit. Je pense que le simple fait d’agir, ici et maintenant, même si ce n’est pas parfait, est un véritable honneur. Il faut se rappeler que l’on a tous une place dans le monde et des occasions qui s’offrent à nous, que l’on pense être prêt ou non.
La sénatrice Hartling : Merci, madame McGuire, et bravo. J’ai aimé entendre votre histoire. Comme la sénatrice White l’a dit, les émotions sont importantes. Nous avons la possibilité d’exprimer ce que nous ressentons vraiment et ce qui nous tient à cœur. J’aimerais en savoir davantage sur ce que vous avez fait avec le groupe, avec l’Université de l’Alberta et les voix des femmes. Il est primordial que les femmes aient l’occasion de se faire entendre.
Pouvez-vous en dire davantage sur la façon dont cela a fonctionné et sur ce que vous avez fait dans le cadre de ce programme?
Mme McGuire : Ce programme a été offert par la Nation métisse de l’Alberta. Les femmes ont été invitées à y participer. Cela a été une occasion d’en apprendre beaucoup sur notre histoire, une histoire considérablement tombée dans l’oubli. On y a présenté l’importance du rôle des femmes dans nos sociétés autochtones qui, historiquement, étaient des sociétés matriarcales. Voilà pourquoi les femmes y étaient valorisées. Personnellement, l’enseignement le plus important a été d’apprendre le mot pour « femme » en langue crie. J’oublie le mot exact — je ne pourrais pas vous le dire maintenant —, mais étymologiquement, il se rapproche du mot pour « feu ». Ce qu’on m’a enseigné, c’est que les femmes étaient le centre et la chaleur, et qu’elles étaient essentielles à la survie des communautés.
Ce programme a été créé pour raviver ce rôle des femmes dans nos collectivités métisses. Donc, oui, c’était très intéressant.
La sénatrice Hartling : Donc, cela vous a aidée à grandir, à progresser et à aller de l’avant. À votre avis, est-il important que les femmes aient des mentors? Avez-vous l’aide d’un ou plusieurs mentors?
Mme McGuire : Oui. Je pense que c’est important, simplement d’après mon expérience personnelle, car ces liens authentiques m’aident à m’épanouir. Donc, je pense qu’avoir ces réseaux de soutien — ma tante m’a accompagnée dans mon parcours —, et ce simple rappel de la communauté, est essentiel à notre survie.
La sénatrice Hartling : Je comprends cela. C’est aussi un heureux anniversaire pour votre tante aujourd’hui.
Le sénateur Prosper : Madame McGuire, je vous remercie de témoigner avec tant d’authenticité et d’ouverture. Tous ces témoignages me rappellent le chemin que j’ai moi-même parcouru. Plus précisément, lorsque vous avez mentionné que la connaissance vous a habilitée et aidée à remplacer ces sentiments de honte et d’insignifiance, je comprends parfaitement.
Le récit est l’une des formes d’expression que vous employez, et pour les peuples autochtones, il s’agit d’un moyen extraordinaire pour partager, apprendre et grandir.
J’aimerais avoir votre point de vue sur l’utilisation du récit sous ces diverses formes. Selon vous, en quoi est-ce bénéfique pour la Nation métisse en général et pour votre communauté?
Mme McGuire : C’est une très bonne question...
Le sénateur Prosper : Le récit est un puissant moyen d’expression, et vous l’utilisez, j’imagine, dans vos diverses activités, comme la photographie et la réalisation cinématographique. Selon vous, comment le récit permet-il de surmonter les sentiments de honte ou d’insignifiance, comme vous le disiez et moi aussi, afin de fournir aux jeunes ou aux membres de la Nation métisse une assise ou un mécanisme leur permettant de prendre la place qui leur revient au sein de leur nation?
Mme McGuire : Je pense qu’il est intéressant d’utiliser la photographie pour raconter des histoires. Je vais me concentrer sur la photographie pour le moment, car il s’agit d’instants figés. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est qu’une photographie peut être interprétée de différentes façons. Je pense que chacun est sensible à des choses différentes. Une photo que j’aurais prise des mukluks fabriquées par Heidi pourrait avoir une tout autre signification pour une autre personne. Par exemple, les mukluks lui font peut-être penser à sa grand-mère, qui fabriquait des mukluks, ou pourrait représenter leur histoire, leur besoin de rétablir leurs liens, ou encore de fabriquer des mukluks avec un esprit, une personne. Donc, de ce point de vue, c’est intéressant.
Dans les films, je fais des entrevues avec les gens. C’est intéressant, car cela me donne l’occasion de me retrouver en tête-à-tête avec les gens, d’écouter leurs histoires et d’établir un lien avec eux.
Je pense que le récit joue un rôle primordial dans toutes les cultures autochtones, car c’est ainsi que nous les transmettons. Pour faire un lien avec l’avenir et la jeunesse, le cinéma et la photographie sont des arts intrinsèquement très créatifs et sujets à l’interprétation. Je pense que ce sont des médias intéressants pour raconter des histoires. Ils ouvrent de nombreuses portes.
Le sénateur Prosper : Merci.
La sénatrice Sorensen : Encore une fois, madame McGuire, excellent travail. Je ne vous connais pas personnellement. Vous me semblez être une personne discrète, et comme je ne le suis pas, j’ai tendance à le remarquer. J’ai beaucoup de respect pour cette sagesse tranquille. Dans ma vie, j’ai dû apprendre, je pense, que les gens tendent à être plus réceptifs quand on ne leur crie pas après.
Je suis tout à fait impressionnée que vous ayez trouvé une façon de vous exprimer, pas nécessairement avec votre propre voix, mais par la photographie, comme vous l’avez dit, et par la réalisation de films où vous vous entretenez avec des gens. C’est une façon créative de raconter votre histoire à travers d’autres voix, d’après ce que je comprends.
J’ai adoré l’œuvre. Si j’ai bien compris, on a fait appel à vous pour reprendre ce projet. Quel était le titre du film qui se traduit par « Raconte-moi une histoire »?
Mme McGuire : Mahti Achimo.
La sénatrice Sorensen : J’adore. Tout d’abord, cela devrait être un livre pour enfants.
Mme McGuire : C’est une chanson.
La sénatrice Sorensen : C’était fantastique. Je crois que vous avez dit avoir interviewé quatre personnes. Ceux qui voulaient que vous tourniez le film vous ont-ils présenté ces personnes?
En d’autres mots, je me demande comment vous décidez avec qui vous faites une entrevue pour discuter, en fonction du sujet.
Mme McGuire : C’est moi qui ai organisé et créé le film. C’est un projet que j’ai moi-même réalisé. J’ai dû lancer un appel aux membres de mon établissement. Je l’ai fait par bouche‑à‑oreille. Lorsque je discutais avec des gens lors d’événements communautaires, je leur demandais : « Souhaiteriez‑vous raconter votre histoire? »
Beaucoup de gens sont comme moi et ont du mal à parler devant un groupe. Les personnes que j’interviewe tiennent à s’asseoir avec moi. Elles m’ont dit qu’elles aimaient ma compagnie parce que je suis calme, réservée, et que je m’intéresse sincèrement à leurs propos.
La sénatrice Sorensen : J’en conviens. Je suis totalement impressionnée. Je pense que vous commencez à prendre conscience — grâce à certains des prix reçus, notamment — de l’importance de votre travail, que vous faites avec votre attitude tranquille et votre modestie. Vous faites énormément bouger les choses.
Mme McGuire : Je travaille encore sur cet aspect de ma personnalité et j’essaie de surmonter ce défi. Il m’est très difficile de me présenter ici aujourd’hui.
La sénatrice Sorensen : Vous vous en êtes très bien tirée.
Mme McGuire : C’est ce que je dis : il ne faut pas laisser la crainte nous ralentir.
La sénatrice Sorensen : Je vous félicite.
La sénatrice Bernard : Moi qui suis également discrète et réservée, je sais combien il faut de courage pour se faire entendre et s’exprimer.
Croyez-moi quand je dis que votre témoignage ici aujourd’hui, votre présence et votre voix sont vraiment essentiels. La prochaine fois que vous sentirez la voix de l’insignifiance essayer de se frayer un chemin jusqu’à votre cerveau, souvenez‑vous de ce moment. Je suis impatiente de voir votre film.
Vous avez parlé de l’établissement et de la propriété foncière. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’importance qu’ils revêtent pour le sentiment collectif d’autonomisation?
Mme McGuire : Je serai heureuse de développer ce sujet. Je suis reconnaissante envers ma terre. Je crois qu’elle m’a donné, comme je l’ai dit, une place dans le monde. C’est génial parce que je vis dans l’un des seuls établissements au Canada. Il y en a huit, et ils ne sont qu’en Alberta. Ces établissements sont cruciaux pour moi parce qu’ils m’ont donné un endroit où grandir. Aujourd’hui, j’y élève aussi mes enfants.
Le territoire nous en apprend tellement. Je pourrais vous décrire pendant une journée entière en quoi il a fait de moi qui je suis aujourd’hui. C’est un sujet très important parce que l’Alberta est la seule province qui a donné aux Métis une assise territoriale. Je m’imagine ce que serait ma situation si je n’habitais pas en Alberta : je serais une Métisse sans assise territoriale à laquelle retourner.
En raison des difficultés de notre peuple au fil des ans, il y a aujourd’hui un grand nombre de sans-abri. Avec la tournure que prend le monde, tout est si cher. Le fait de pouvoir habiter ce territoire me donne un foyer.
La sénatrice Bernard : Peut-être qu’un autre récit est en train de s’écrire. Merci.
Le président : Merci, sénatrice Bernard.
Pour conclure, madame McGuire, je voudrais vous demander quel message clé vous souhaitez que les sénateurs retiennent de votre présentation pour nous aider à orienter nos travaux futurs.
Mme McGuire : Je mettrais sans hésiter l’accent sur l’assise territoriale. Je veux exprimer que ce territoire me relie à mon histoire et à ma famille.
Je n’ai pas connu mon grand-père du côté de mon père; il est décédé avant ma naissance. Les histoires que mon père me raconte de lui sur la terre me donnent l’impression de l’avoir rencontré.
Oui. Le plus important, c’est que nous habitions l’établissement; c’est une énorme chance. Je veux attirer l’attention sur ce point et encourager nos gouvernements à prendre en compte le fait que les Métis et les Autochtones sont mis à l’écart depuis si longtemps. C’est cette assise territoriale qui me construit.
Le président : Je vous remercie, madame McGuire.
C’est ainsi que se termine la discussion avec ce témoin. Je vous remercie encore une fois de votre précieux témoignage, madame McGuire.
J’aimerais présenter notre dernier témoin de la matinée. Reanna Merasty est une artiste, écrivaine et militante Nîhithaw de la Première Nation de Barren Lands, au Manitoba, ainsi qu’une stagiaire en architecture au Number TEN Architectural Group. Elle prononcera une déclaration liminaire de cinq minutes, suivie d’une séance de questions-réponses avec les sénateurs. J’invite maintenant Mme Merasty à prononcer sa déclaration préliminaire.
Reanna Merasty, à titre personnel : Merci.
[mots prononcés dans une langue autochtone]
Je m’appelle Reanna Merasty McKay, je suis une Crie des bois de la Première Nation de Barren Lands, une petite communauté isolée du Nord du Manitoba. C’est sur mon territoire que j’ai acquis une profonde révérence pour nos histoires et pour la façon de marcher sur cette Terre avec bonté et cœur. Ces valeurs ont jeté les bases de mon rôle actuel de stagiaire en architecture et de responsable du design autochtone à Winnipeg, ainsi que de mes rôles d’écrivaine, d’éducatrice, de militante et d’artiste.
Ekosani. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Mon exposé portera sur un sujet qui découle de mon expérience vécue et de mon parcours de militante : l’importance d’une représentation authentique et dirigée par les Autochtones.
La représentation est devenue prépondérante pour moi dans mon parcours scolaire. En tant que jeune Autochtone faisant mon chemin dans les établissements postsecondaires, en particulier dans le domaine de l’architecture, je me sentais surtout isolée et privée de sentiment d’appartenance. Cette expérience était attribuable au racisme de mes pairs, à la mésinformation du corps professoral et à la faible présence de contenu autochtone — autant d’éléments qui ont été exprimés et parfois ignorés.
Ce que je voulais absolument, c’était d’être entendue, soutenue et représentée fidèlement dans ce que j’apprenais et chez les personnes qui m’enseignaient. Ce désir m’a poussée à vouloir créer un espace où les étudiants autochtones qui viendraient après moi n’auraient pas à vivre la même expérience. C’est alors que j’ai cofondé l’Indigenous Design and Planning Student Association à l’Université du Manitoba, le premier et le plus important groupe d’étudiants autochtones dans une école d’architecture au Canada.
L’organisation a été mise sur pied pour défendre les principes de design, les initiatives, les programmes et, bien sûr, la représentation autochtones. La représentation est cruciale dans nos systèmes d’éducation et permettrait aux jeunes Autochtones de se sentir et d’être véritablement soutenus dans leurs domaines respectifs. La représentation autochtone est également essentielle dans les espaces que nous occupons.
Le manque d’appartenance que je ressentais provenait également du fait que nos histoires, nos connaissances ou nos pratiques n’étaient pas représentées dans l’environnement bâti ou dans l’architecture. Je ne cesse de réfléchir à la confiance que j’aurais acquise dans mon identité de jeune Autochtone si je nous avais vues, ma communauté et moi, célébrées dans les bâtiments où j’entrais et si ma communauté avait été pleinement impliquée dans le processus. C’est ce que l’on appelle l’architecture autochtone. Elle englobe l’engagement et l’implication de la communauté, l’établissement de relations et la représentation authentique du territoire ou de la communauté sur lequel le bâtiment est construit. Ce sont des principes que je défends continuellement au sein de ma profession et à titre de directrice régionale du Manitoba siégeant au conseil d’administration de l’Institut royal d’architecture du Canada.
Pour aller concrètement de l’avant, nous pouvons lancer des projets qui donnent la priorité aux voix autochtones et qui exigent que les architectes, les designers ou les conseillers autochtones ne soient pas simplement des crochets dans des cases, mais qu’ils soient inclus dans l’intégralité du processus. Une autre méthode concrète consiste à mettre en œuvre des réglementations exigeant que les projets, les institutions gouvernementales et les bâtiments publics financés par le gouvernement fédéral réservent un pourcentage du budget à l’architecture et à la représentation autochtones.
Cela se fait déjà dans le programme norvégien du « pourcentage pour l’art, » qui exige qu’entre 0,5 et 1,5 % du budget de chaque projet de construction gouvernemental soit réservé à des projets artistiques, et de nombreux projets font appel à des artistes samis. Mais ce que j’espère, c’est une réglementation qui ira au-delà de ces exigences et qui sera ancrée dans les principes de l’architecture autochtone. En effet, tous les bâtiments publics, qu’ils soient de propriété autochtone ou non, devraient comprendre une certaine forme de représentation autochtone du territoire et de la communauté sur lesquels ils se trouvent.
En plus de la représentation dans notre environnement bâti, il faut donner la priorité à nos langues et à nos histoires autochtones dans nos noms de lieux. Je suis actuellement coprésidente du comité des membres de la communauté de l’initiative Welcoming Winnipeg, qui étudie la possibilité de créer, d’ajouter, de supprimer ou de renommer des marques historiques et des noms de lieux afin de remédier à l’absence de perspectives et d’expériences autochtones. Depuis le début de ma participation, nous avons commémoré des personnalités, des événements et des histoires autochtones importants dans notre communauté et nous avons même remplacé les noms de personnes ayant causé du tort. Par exemple, le boulevard Bishop Grandin a été rebaptisé Abinojii Mikanah ou « Route des enfants » en anishinaabemowin pour honorer les enfants qui ne sont jamais rentrés chez eux après avoir fréquenté les pensionnats indiens.
Le processus de Welcoming Winnipeg est le premier en son genre et doit être mis en œuvre dans l’ensemble du pays afin de mettre en lumière et de privilégier la représentation des langues, des récits et des expériences autochtones. Il doit y avoir des processus de changement de noms pour analyser les noms qui portent préjudice à la communauté autochtone; et un processus nécessitant la participation des Autochtones par le biais d’un cercle de dénomination autochtone.
En résumé, la représentation autochtone doit donner la priorité aux voix autochtones, être authentique et être dirigée par des Autochtones. Elle peut prendre la forme d’un soutien et de programmes d’enseignement pour les jeunes autochtones; d’une réglementation qui donne la priorité à la représentation autochtone du territoire ou de la communauté où se trouvent les bâtiments; ou encore de noms de lieux qui honorent les langues et les histoires autochtones. Tous ces éléments créeraient un sentiment d’appartenance pour mes pairs et moi.
Kinanâskomitin. Je vous remercie énormément de cette occasion de m’adresser à votre comité.
Le président : Merci. Nous allons maintenant entendre les questions des sénateurs.
La sénatrice Sorensen : Merci et bienvenue. C’était un exposé fascinant. J’en apprends tellement à ce comité. Je dois dire que c’est la première fois que j’entends les mots « autochtone » et « architecture » ensemble, ou dans la même phrase.
J’aimerais savoir à quel moment de votre vie, surtout étant donné que vous avez grandi dans un endroit très reculé, vous vous êtes dit : « Hé, je veux devenir architecte. » Je trouve cela intéressant. Vous faites également référence au design, aux principes, aux initiatives et aux représentations autochtones; pourriez-vous nous en décrire quelques-uns plus en détail? J’ai aimé les exemples que vous avez donnés. Puis, j’ai été frappée par le fait que ces principes, dans le monde en général, font avancer des principes comme la durabilité et la responsabilité sociale en architecture. Je suis totalement fascinée par ce que vous faites.
Mme Merasty : Je débuterai par la première question. Je me suis intéressée très tôt à l’architecture. J’ai grandi dans le Nord du Manitoba. Ma communauté est située juste à côté du lac Reindeer, et nos familles occupent donc des îles. Sur ces îles, l’isolement est total, il n’y a ni électricité ni eau courante, et la terre était donc mon terrain de jeu. C’est là que je construisais de petits forts et de petites maisons pour jouer.
Mais c’est aussi là que j’ai côtoyé mon grand-père. Mon grand-père a vécu dans le Nord toute sa vie, tout comme son père avant lui et son père avant lui, et il construit des cabanes en rondins sans aucune connaissance en charpenterie. Il n’est jamais allé à l’école; c’est dans sa famille qu’il a acquis toutes ces connaissances. Ainsi, quand j’étais jeune, j’ai vu mon grand-père lui-même réaliser des projets de charpenterie et de construction, même que je l’aidais. À partir de ce moment, je me suis intéressée à la charpenterie, bien sûr, et en menuiserie, mais aussi à l’architecture parce que cela me semblait encore plus grand. C’était un art ayant une plus grande empreinte que je pouvais offrir à mon peuple.
En réponse à la deuxième question, qui faisait référence à certaines initiatives d’architecture autochtone, nous avons, par le biais de cette association d’étudiants, jeté les bases, tout d’abord, de la sensibilisation culturelle pour nos pairs et, d’autre part, d’une prise de conscience chez les futurs architectes non seulement de l’histoire, mais aussi de la terre. En effet, chaque bâtiment construit au Canada se trouve en territoire autochtone. Les architectes doivent comprendre non seulement la nation, mais aussi les langues, les pratiques et les principes qui sont perpétués au sein de cette communauté.
Par ailleurs, je n’ai jamais eu de ressources sur l’architecture autochtone auxquelles me référer rapidement, alors j’ai publié un livre dans le cadre de mon programme de maîtrise. Il s’intitulait Voices of the Land: Indigenous Design and Planning from the Prairies. C’était une autre initiative, car nous voulions que nos histoires soient représentées dans les projets auxquels nous travaillions.
Une autre initiative à laquelle je réfléchissais était un comité consultatif sur les programmes d’études autochtones, qui a été créé depuis, car je voulais laisser un héritage et des appels à l’action. C’est ce que j’ai fait. Le corps professoral de l’école met en œuvre ces appels à l’action progressivement au fil des ans.
J’ai terminé mes études depuis environ quatre ans. Depuis, l’université a engagé un aîné autochtone en résidence, spécialement pour les écoles d’architecture, et financé un artiste autochtone ou un artiste en résidence dans chacun des quatre départements de la faculté. L’université jouit donc de la représentation et des conseils de ces personnes.
La sénatrice Sorensen : Y a-t-il de telles initiatives ailleurs au Canada? Vous avez parlé de la Norvège. À votre connaissance, y a-t-il d’autres endroits dans le monde où l’on tient ainsi compte des peuples autochtones?
Mme Merasty : À la suite de la mise sur pied de cette organisation étudiante, un de mes amis à l’Université de la Colombie-Britannique a créé sa propre organisation étudiante en s’inspirant de celle que j’ai créée. Cependant, il n’existe aucun autre type d’organisation universitaire similaire dans une école d’architecture. Nous discutons avec des confrères de Yale, de Harvard et de l’Arizona State University, mais aussi avec les Samis de Norvège, de Finlande et de Suède, où j’ai participé à un programme du Centre canadien d’architecture qui nous a permis d’entrer en contact avec d’autres jeunes autochtones de la région et d’organiser un atelier et un dialogue. Ce fut fort intéressant. Nous avons également des conversations avec la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Comme nous sommes actuellement très peu nombreux dans ce domaine, nous nous appuyons les uns sur les autres dans différentes régions du monde.
La sénatrice Sorensen : C’est très impressionnant. Merci.
La sénatrice White : Wow, madame Merasty. Le fait que vous passiez également votre examen provincial lundi est très impressionnant.
J’ai quelques questions à vous poser. J’aimerais savoir ce que vous pensez de deux ou trois choses. Je vous remercie pour votre exposé, qui était très intéressant. J’aimerais d’abord vous entendre sur des sujets dont nous n’entendons pas parler... Vos expériences dans le Nord et votre engagement dans la communauté. Je sais que votre communauté est relativement petite. Quels sont les problèmes particuliers dont nous n’entendons pas parler en ce qui concerne les jeunes et leur développement? Étant moi-même membre d’une Première Nation, je sais qu’il est parfois difficile d’entendre ce qui se passe. C’est l’une de mes questions : j’aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur les enjeux qui touchent les jeunes dans le Nord.
Pour ma deuxième question, j’aimerais avoir votre avis. Dans votre témoignage, vous avez parlé de la mise sur pied d’un groupe. Il y a des principes autochtones en matière d’architecture. Comme vous le savez, dans le monde d’aujourd’hui, il y a ce qu’on appelle les « prétendus Indiens ». Je n’aime pas ce terme. Je tiens à être très claire. Le fait de prétendre être Indien évoque un jeu d’enfant, et c’est de la fraude. Appelons les choses par leur nom. J’arrive à ma question. C’est mon point de vue à ce sujet.
Comment pouvons-nous ouvrir la voie aux architectes autochtones tout en protégeant notre identité, puisque les cas de fraude sont tellement nombreux — il y a tellement d’infiltration —, surtout dans les universités? C’est difficile, parce que nous avons été effacés et remplacés par des fraudeurs. J’aimerais beaucoup vous entendre sur le sujet.
Mme Merasty : Je vais d’abord répondre à la deuxième question. C’est un sujet dont nous discutons non seulement au sein de l’université, mais aussi au sein de la profession dans son ensemble. C’est parce qu’il y a très peu d’architectes autochtones au Canada; je pense qu’il y a un peu moins de 30 architectes inscrits. Nous formons un groupe très soudé et nous nous consultons régulièrement. Nous nous soutenons les uns les autres et nous nous échangeons les possibilités. En ce qui a trait au processus de fraude d’identité autochtone — et c’est une tout autre conversation —, il y a des gens avec qui j’ai interagi, mais il est toujours question de se reconnecter. Il faut prendre les choses très à la légère lorsqu’on interagit avec des gens comme eux.
On n’a pas abordé la question parce qu’on ne parle pas beaucoup d’architecture; c’est un domaine en croissance. C’est une question difficile à poser.
Je peux répondre à la première, qui porte sur les réalités du Nord et les difficultés avec lesquelles nous sommes aux prises. Je vais surtout vous parler de ma propre expérience.
Tout d’abord, il est important de savoir qu’en règle générale, il faut quitter sa réserve pour recevoir une éducation supérieure à une huitième année. Je suis très chanceuse, puisque ma famille a déménagé à Brandon, à deux heures à l’ouest de Winnipeg, pour que je puisse recevoir une meilleure éducation. Bon nombre d’habitants du Nord n’obtiennent pas leur diplôme d’études secondaires parce qu’ils sont coupés de leur communauté. C’est l’une des réalités.
Il y a aussi la réalité de la santé mentale, dont je voulais aussi parler aujourd’hui, mais il y a beaucoup à dire à ce sujet. J’ai été placée dans un quartier et une école à prédominance blanche. J’ai été confrontée au racisme au cours de mes études secondaires, et l’environnement dans lequel je me trouvais favorisait l’isolement, la polarisation et l’aliénation. Une telle situation entraîne un sentiment de honte et de culpabilité à l’égard de sa propre identité autochtone. Je me suis aussi demandé pourquoi il n’y avait personne qui me ressemblait dans l’environnement dans lequel je me trouvais.
C’est aussi un problème avec lequel beaucoup de nos jeunes sont aux prises aujourd’hui... cette façon dont nous nous percevons. Certains d’entre nous ne sont pas fiers de leurs origines, à cause des choses polarisantes que nous vivons dès notre plus jeune âge. Je préconise continuellement des programmes et des ressources en santé mentale pour les jeunes dans nos collectivités parce que certains d’entre eux pensent qu’il n’y a pas d’espoir. Ma famille a dû m’inculquer ces valeurs dès mon plus jeune âge, et j’ai dû les trouver ailleurs également. Nous devons nous concentrer sur les personnes qui vivent actuellement dans les réserves et qui sont vraiment en difficulté.
La sénatrice White : Merci beaucoup.
Le sénateur Prosper : Je vais essayer d’être bref. Nous vous remercions de partager votre histoire et votre parcours, et d’être une leader dans un domaine incroyable. Il est rare que nous entendions de tels témoignages. C’est merveilleux.
Vous avez souligné l’importance de la représentation autochtone et des initiatives menées par les Autochtones. Je ne veux pas entrer dans les questions de fraude ou des prétendus autochtones, etc. C’est l’objet d’une autre discussion. Pourriez‑vous nous en dire un peu plus sur l’authenticité en matière de représentation autochtone?
Mme Merasty : L’idée de la panindigénéité a été mentionnée dans une allocution précédente. Selon cette idée, toutes les Premières Nations sont considérées de la même façon. Toutes les Premières Nations pratiquent la même chose. En réalité, cependant, tout dépend de l’endroit où se trouvent les communautés. Ce que je veux dire par authenticité, c’est que le territoire où se trouve une communauté mène à certaines pratiques, à certains noms de lieux et à certaines langues qu’elle adopte dans ce secteur. Ce sont les histoires authentiques que je veux mettre en œuvre, où tout est propre à la communauté, au territoire et à la terre. Ce sont les histoires que je veux voir mises en œuvre.
Il y a tellement d’autres projets auxquels j’ai participé, dans le cadre de l’architecture autochtone, où les gens pensaient qu’en plaçant une roue médicinale ou une plume, tout serait réglé... C’est tellement vrai, et c’est très frustrant, car il faut prendre le temps de bâtir une relation et de comprendre ce qu’une communauté veut. Je fais toujours référence à l’histoire de ma grande amie, Destiny Seymour, et à son travail auprès d’une collectivité où tous les nouveaux bâtiments étaient peints en bleu. Lorsqu’elle en a discuté avec les membres de la communauté, ils lui ont dit qu’ils détestaient le bleu et qu’ils n’en voulaient plus chez eux.
Il faut tenir des conversations pour que les intervenants du domaine comprennent bien que ce qui fonctionne pour une communauté ne fonctionnera peut-être pas pour une autre. Nous avons ces discussions au sein de mon bureau, mais je crois qu’il faut une conversation nationale à ce sujet.
Le sénateur Prosper : Merci.
La sénatrice Hartling : Merci, madame Merasty. Vous m’avez donné beaucoup d’énergie. Je tiens à vous féliciter pour tout ce que vous avez fait jusqu’à maintenant. Ma question est la suivante : parmi ces architectes, combien compte-t-on de femmes, environ?
Mme Merasty : Je dirais que probablement le tiers des architectes sont des femmes.
La sénatrice Hartling : Vous êtes un exemple à suivre pour toutes les femmes et les filles. Merci. Je vous en suis très reconnaissante.
Mme Merasty : Merci. En fait, récemment, un professeur m’a dit que certaines personnes, dans leur lettre decandidature pour le programme d’architecture, faisaient valoir que l’organisation étudiante était ce qui avait motivé leur choix d’établissement. J’ai aussi discuté avec une jeune femme qui présentait sa candidature à la faculté d’architecture, et elle m’a dit : « Je vous admire ». L’idée qu’il y a des gens qui vous regardent et que vous devez leur donner l’exemple est très motivante dans le cadre de ce travail.
La sénatrice Hartling : Bien joué. Merci.
Mme Merasty : C’est ce qui me motive. Merci.
La sénatrice Bernard : Votre témoignage est vraiment extraordinaire. Je pense que vous n’avez aucune idée de l’importance de votre présence, de votre voix, de tout ce que vous avez accompli. Nous ne vous avons pas demandé votre âge, et je ne le ferai pas publiquement. Je vais le faire en privé. Mais vous avez un bel avenir devant vous. C’est incroyable.
J’ai une question. Plusieurs des témoins qui ont pris la parole aujourd’hui ont parlé de l’enseignement et de l’apprentissage multigénérationnels. Nous entendons beaucoup parler de traumatismes multigénérationnels. Nous n’entendons pas assez parler de l’enseignement multigénérationnel. J’ai aimé vous entendre parler de votre grand-père et de la façon dont il a orienté votre choix de carrière, dans un domaine où il n’y a pas une grande représentation, et j’aimerais que vous nous parliez de l’enseignement et de l’apprentissage multigénérationnels, et de l’importance qu’ils revêtent pour vous dans votre parcours.
Mme Merasty : C’est une chose qui me tient grandement à cœur. Je parle très souvent de mon grand-père, mais je parle aussi de ma grand-mère, ma kookum, qui m’a élevée depuis que je suis toute petite. Ces deux personnes m’ont permis de devenir qui je suis aujourd’hui.
L’apprentissage ou la compréhension multigénérationnels sont extrêmement importants sur le plan de l’architecture, parce qu’ils constituent la base ou les racines d’une communauté. Il est important de raconter les histoires de ces gens.
Je pense toujours à mes grands-parents et à la façon dont ils ont été élevés, et je crois qu’il faut préserver leurs connaissances et leurs histoires, qui risquent d’être perdues. Comment pouvons-nous les transférer à la prochaine génération? Je crois que c’est une conversation très importante qu’il faut tenir.
Vous parlez de traumatismes et des apprentissages multigénérationnels, mais je pense aussi aux célébrations autochtones. Souvent, nous entendons parler de ce qui est négatif, mais que se fait-il de positif dans les communautés? C’est à cela qu’il faut toujours revenir. Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question.
La sénatrice Bernard : Tout à fait. Merci.
Le président : Merci. C’est tout le temps que nous avions avec la témoin. Je tiens à remercier Mme Merasty pour son témoignage d’aujourd’hui.
Chers invités et chers collègues, nous en sommes maintenant à la fin de la réunion. Je remercie tous les témoins d’avoir partagé leurs points de vue et leurs puissantes expériences et histoires avec nous aujourd’hui. Vous êtes un symbole de la force et de la résilience de vos communautés. En tant que jeunes leaders, vous représentez non seulement vos pairs, mais aussi les prochaines générations, et vous ouvrez la voie à des changements significatifs. Merci à tous.
Nous avons hâte d’entendre les quatre autres participants de Voix de jeunes leaders autochtones 2024 ce soir, à 18 h 45.
(La séance est levée.)