LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 24 mars 2022
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9:02 (HE), par vidéoconférence, pour l’étude de nouvelles questions concernant le mandat du comité.
Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle Paul Massicotte. Je suis un sénateur du Québec et je suis président du comité.
Aujourd’hui, nous tenons une séance hybride du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.
Avant de commencer, j’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins que vous êtes priés de garder votre micro éteint en tout temps, à moins d’être reconnu par le président. Lorsque vous parlez, veuillez le faire lentement et clairement.
Pour ceux qui prennent part à cette réunion sur Zoom, veuillez utiliser la fonction main levée pour demander la parole. Pour les autres personnes présentes dans la salle, je vous demande d’indiquer à la greffière votre désir de parler.
Je ferai de mon mieux pour permettre à tous ceux qui veulent poser une question de le faire. Pour y arriver, je vous demande d’être bref dans vos questions et préambules. Ceci s’applique aux sénateurs et aux témoins, s’il vous plaît.
Si un problème technique survient, spécialement si cela concerne l’interprétation, veuillez me le signaler, ou à la greffière, pour que nous puissions le régler rapidement.
Veuillez noter qu’il se pourrait que nous devions suspendre la séance si des problèmes techniques surviennent afin d’assurer que tous les membres sont en mesure de participer pleinement.
Maintenant, j’aimerais présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui : la sénatrice Anderson, des Territoires du Nord-Ouest; le sénateur Arnot, de la Saskatchewan; le sénateur Carignan, c.p., du Québec; la sénatrice Galvez, du Québec; le sénateur Gignac, du Québec; la sénatrice McCallum, du Manitoba; la sénatrice Miville-Dechêne, du Québec; la sénatrice Seidman, du Québec; la sénatrice Sorensen, de l’Alberta; la sénatrice Verner, c.p., du Québec.
Bienvenue à tous, chers collègues, ainsi qu’à tous les Canadiens et Canadiennes qui nous regardent.
Aujourd’hui, nous nous réunissons conformément à notre ordre de renvoi général. Nous avons l’honneur d’accueillir pour la première heure le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, l’honorable Steven Guilbeault.
Monsieur le ministre, bienvenue au comité.
Vous avez avec vous, pour la première partie, du ministère de l’Environnement et du Changement climatique Canada, Mme Christine Hogan, sous-ministre et M. Paul Halucha, sous-ministre délégué.
De l’Agence canadienne d’évaluation d’impact du Canada, M. Terry Hubbard, président.
De l’Agence Parcs Canada, M. Andrew Campbell, vice-président principal, Opérations.
Bienvenue à tous et merci d’avoir accepté notre invitation.
J’aimerais rappeler aux sénateurs que le ministre est ici pour nous parler de sa lettre de mandat. Pour les questions relatives au projet de loi S-5, qui est toujours au Sénat, nous inviterons le ministre lorsque le projet de loi nous sera renvoyé.
Monsieur le ministre Guilbeault, vous avez la parole.
L’honorable Steven Guilbeault, c.p., député, ministre de l’Environnement et du Changement climatique : Merci, honorables sénateurs et sénatrices, de m’avoir invité ici aujourd’hui.
Je suis très heureux d’avoir l’occasion de discuter de la lettre de mandat que le premier ministre m’a remise en décembre dernier.
[Traduction]
Monsieur le président, étant donné que vous avez déjà mentionné les excellents membres du ministère qui m’accompagnent, je ne les présenterai pas.
[Français]
La santé et le bien-être des Canadiennes et des Canadiens dépendent d’un environnement et d’une économie saine. Je suis sûr que beaucoup d’entre vous ont pu lire le rapport publié par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, communément appelé le GIEC.
[Traduction]
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, a souligné la nécessité d’une action urgente et exhaustive de la part de tous les pays, tant en matière d’atténuation du changement climatique que d’adaptation à celui-ci. Le coût de l’inaction est immense.
Honorables sénateurs, ces 12 derniers mois seulement, nous avons été témoins de l’impact de phénomènes météorologiques extrêmes : inondations, feux de friches, coulées de boue et tempêtes de vent. La lettre de mandat ambitieuse que j’ai reçue en tant que ministre de l’Environnement et du Changement climatique reflète ces réalités.
[Français]
Elle exige des politiques progressistes associées à des mesures efficaces et significatives élaborées et mises en œuvre grâce à une collaboration et à un engagement continus avec l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes, les ordres de gouvernement, les peuples autochtones et les principaux acteurs de la société et de l’économie.
[Traduction]
Pour ce faire, les divers points de vue des Canadiens et des Canadiennes, notamment ceux des femmes, des personnes LGBTQ2+, des Noirs et des personnes racisées doivent être activement recherchés et intégrés.
[Français]
Honorables sénateurs et sénatrices, notre approche inclusive et transparente des consultations est en cours depuis 2016. Nous avons fait des investissements climatiques et promulgué des politiques fondées sur la science.
[Traduction]
Il faut accélérer la lutte contre le changement climatique : Nous devons maintenant passer à la vitesse supérieure. Comme vous vous en doutez, l’accélération de la lutte contre le changement climatique est l’une de mes priorités principales. Mon mandat m’engage à poursuivre la mise en œuvre du plan climatique renforcé du Canada. Il m’engage à appliquer la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité et à présenter un plan de réduction des émissions pour atteindre nos objectifs de 2030 en réduisant nos émissions de gaz à effet de serre de 40 à 45 % par rapport aux émissions de 2005. Il m’engage enfin à accélérer davantage l’action climatique pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050 et limiter l’augmentation des températures moyennes mondiales à 1,5 °C.
[Français]
Le premier ministre a également inclus deux engagements dans ma lettre de mandat, dont le suivant, et je cite :
Promulguer une loi canadienne sur la protection de l’environnement renforcée afin de protéger tout le monde, y compris les personnes les plus vulnérables, aux effets nocifs des substances toxiques et ceux et celles qui vivent dans des collectivités où l’exposition est élevée.
J’ajouterais l’engagement de reconnaître le droit à un environnement sain dans le droit fédéral.
[Traduction]
Le gouvernement a déposé le projet de loi S-5, la Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé, au Sénat le 9 février 2022. Ce projet de loi propose des modifications à la LCPE portant sur deux grands thèmes : la reconnaissance du droit à un environnement sain tel que prévu par la LCPE et le renforcement de la gestion des produits chimiques et autres substances au Canada. Une fois que le projet de loi aura été renvoyé au comité, je me ferai un plaisir d’y revenir pour en discuter en détail. J’invite tous les honorables sénateurs à se pencher sur la première mise à jour importante de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement en 20 ans.
[Français]
Depuis 2016, des efforts pangouvernementaux ont été déployés pour infléchir la trajectoire des niveaux de pollution au Canada.
Quand notre gouvernement libéral est entré en fonction, à la fin de 2015, les émissions du Canada se dirigeaient vers une augmentation de 12 % d’ici 2030. Corriger la trajectoire climatique du Canada a été une tâche monumentale.
Depuis 2016, nous avons engagé plus de 100 milliards de dollars pour les investissements économiques dans le climat et l’écologie dans plus de 100 mesures différentes.
[Traduction]
En 2021, le Canada a montré qu’il était enfin en voie de dépasser son objectif de réduction de 20 % fixé de longue date pour 2030. Le gouvernement a ensuite annoncé la nouvelle contribution du Canada fixée au niveau national dans le cadre de l’Accord de Paris, qui consistera à réduire les émissions de gaz à effet de serre de façon à ce qu’elles soient 40 à 45 % inférieures aux niveaux de 2005 d’ici 2030.
Peu de temps après, la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité est entrée en vigueur et a consacré l’engagement du Canada à atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Cette loi a également établi l’objectif du Canada pour 2030 comme étant le premier jalon clé de ce cheminement et a assuré un processus transparent et responsable pour atteindre notre objectif en matière de climat. C’est pourquoi, le 29 mars, je présenterai une exigence clé de la loi, le plan de réduction des émissions pour 2030. Il s’agit de la première d’une longue série d’exigences. Cette loi exige que le ministre de l’Environnement et du Changement climatique fixe des objectifs pour 2035, 2040 et 2045 au moins 10 ans à l’avance et qu’il fasse rapport sur le plan établi pour les atteindre.
[Français]
Ce plan sera guidé par les conseils de l’organisme consultatif indépendant Net-Zero (Groupe consultatif pour la carboneutralité), les commentaires des provinces et des territoires, des partenaires autochtones et des Canadiens de partout au pays y seront inclus. Cela nous fournira une feuille de route pour atteindre notre objectif actuel.
Honorables sénateurs et sénatrices, la lettre de mandat exige également que je travaille avec le ministre des Ressources naturelles pour parvenir à un réseau électrique propre à zéro émission nette d’ici 2035 et un avenir électrique 100 % propre. Il s’agit d’une action climatique qui fournira à la population canadienne une énergie abordable et fiable tout en atteignant l’objectif de la carboneutralité.
Nous nous efforçons également de réduire la pollution des transports. L’objectif est de faire en sorte que plus de la moitié de tous les nouveaux véhicules neufs vendus au Canada soient des véhicules zéro émission d’ici 2030, et 100 % d’ici 2035.
[Traduction]
Mon ministère travaille également sur un plan de réduction des émissions de méthane. Cet engagement de mon mandat permettra de réaliser des réductions dans l’ensemble de l’économie canadienne. Il comprendra des règlements visant à réduire, d’ici 2030, les émissions de méthane provenant du secteur pétrolier et gazier d’au moins 75 % par rapport aux niveaux de 2012, ainsi que d’autres règlements visant à capter le méthane des décharges. Je travaille également avec Agriculture et Agroalimentaire Canada, ou AAC, pour veiller à ce que le secteur agricole fasse sa part.
[Français]
Malheureusement, nous avons atteint le point où nous ne pouvons pas simplement travailler pour ralentir le changement climatique. Nous devons également aider la population à s’adapter à ses impacts.
[Traduction]
Nous accélérons en priorité l’important travail d’adaptation aux changements climatiques, notamment en élaborant la première stratégie nationale d’adaptation du Canada, afin de rendre les collectivités plus sûres et plus résilientes.
[Français]
En plus de s’attaquer aux problèmes critiques d’adaptation au Canada, comme les répercussions locales des inondations, des incendies de forêt et des vagues de chaleur, la stratégie tiendra compte des répercussions des changements climatiques qui traversent les frontières et affectent le bien-être partagé. Nous prévoyons présenter la stratégie cet automne.
[Traduction]
Honorables sénateurs et sénatrices, les crises du climat et de la nature sont deux faces d’une même médaille. La conservation des terres est l’un des moyens les plus importants pour s’attaquer à la double crise du changement climatique et de la perte de biodiversité.
[Français]
La crise climatique et la crise des milieux naturels sont les deux faces d’une même médaille. La conservation des terres est l’un des moyens les plus importants pour lutter contre la double crise du changement climatique et de la perte de biodiversité.
C’est pourquoi ma lettre de mandat du premier ministre me demande de continuer à travailler avec le ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, ainsi que ses partenaires afin de veiller à ce que le Canada atteigne ses objectifs de conservation de 25 % de ses terres et de ses eaux d’ici 2025, et de 30 % de chacun d’ici 2030.
La lettre nous engage également à travailler, à arrêter et inverser la perte de la nature d’ici 2030 au Canada et parvenir à un rétablissement complet de la nature d’ici 2050.
[Traduction]
Pour réussir, nous devons impérativement travailler en partenariat avec les peuples autochtones. C’est pourquoi nous veillons à ce que ces travaux restent fondés sur la science, le savoir autochtone et les perspectives locales. Les efforts de conservation menés par les Autochtones comprennent le soutien de nouveaux programmes de gardiens autochtones, l’établissement de nouveaux réseaux de gardiens autochtones et l’offre d’une aide aux communautés autochtones pour qu’elles renforcent leur capacité à établir davantage d’aires de protection et de conservation autochtones.
Mon mandat en matière de conservation prévoit la création de 10 nouveaux parcs nationaux et de 10 nouvelles aires marines nationales de conservation au cours des cinq prochaines années.
[Français]
Les confinements en lien avec la pandémie n’ont fait que renforcer le lien entre les Canadiens et leurs grands espaces naturels. J’ai reçu le mandat d’ajouter 15 nouveaux parcs urbains d’ici 2030 avec au moins un nouveau parc urbain national dans chaque province et territoire. L’accès aux espaces verts est si bénéfique à la santé mentale et physique et à la qualité de vie, j’ai hâte de participer à la création de ces nouveaux parcs et aires marines nationaux de conservation.
[Traduction]
Honorables sénateurs et sénatrices, vous comprenez les avantages incroyables qui découlent d’une action climatique opportune : la prospérité des emplois et une économie et un environnement plus sains et plus durables pour tous les Canadiens. Nous mettons en place des règlements, des lois et des politiques solides pour lutter contre les crises liées au changement climatique, à la perte de la nature et de la biodiversité et bien plus encore.
[Français]
En même temps, nous travaillons également avec des entreprises, des secteurs d’activité et des régions du pays en les aidant à bâtir un pays plus durable et positif pour la nature et carboneutre, dont toutes et tous pourront bénéficier.
Honorables sénateurs et sénatrices, je vous encourage à lire ma lettre de mandat pour voir l’ensemble des mesures environnementales que nous nous réjouissons de mettre en œuvre au cours des prochaines années.
En attendant, je suis heureux de répondre à toutes vos questions. Merci beaucoup.
La sénatrice Miville-Dechêne : Bienvenue, monsieur le ministre, et merci de votre engagement.
En effet, votre lettre de mandat parle de mesures audacieuses — bold en anglais. Jusqu’à maintenant, et vous y avez fait allusion, nous avons été timides et nous avons même parfois eu des reculs.
Je vous donne trois exemples de cela. Le Canada a adopté une taxe carbone, mais a exempté plusieurs de ses grands pollueurs pour ne pas nuire à l’économie. Deuxièmement, et vous l’avez dit, nos émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 20 % depuis 1990. Finalement, ce qui est assez troublant, c’est que même si on cherche aujourd’hui à réduire l’empreinte carbone de notre industrie du pétrole et du gaz en ne calculant que les émissions de portée 1 et 2, celles-là ne comptent que pour 20 à 30 % des émissions totales, et c’est en contradiction avec des standards scientifiques.
En tenant compte de cette réalité, les actions du Canada en matière de climat ont toujours été subordonnées à l’impératif économique à court et à moyen terme. Croyez-vous que cette approche est encore justifiable aujourd’hui, étant donné qu’il y a urgence climatique?
M. Guilbeault : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Je vais répondre à vos trois questions.
Pour ce qui est de la tarification, je tiens à préciser que les grands émetteurs ne sont pas exemptés de l’application de la tarification du carbone au Canada. Il y a des mesures pour l’ensemble des secteurs et des grands émetteurs. D’ailleurs, le Fonds monétaire international a récemment publié une étude dans laquelle il citait le modèle canadien comme étant un modèle international à suivre en matière de tarification du carbone.
Comme vous le savez, le système est en vigueur au Canada depuis 2018, et en ce qui concerne l’intensité du prix par tonne de carbone émise, nous avons déjà dépassé ce que fait le Québec, la Colombie-Britannique et la Californie, et nous dépasserons l’Union européenne, des états et nations qui ont commencé à mettre en place leur système il y a déjà plus d’une décennie — 15 ans pratiquement dans le cas de l’Union européenne.
En ce qui a trait à l’augmentation des GES, vous avez raison de dire que depuis 1990, il y a eu une augmentation, mais depuis notre arrivée, grâce à la mise en place de notre plan — selon le dernier inventaire disponible de 2019 —, nous avons réussi à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 30 millions de tonnes.
Pour mettre cela en perspective, les émissions annuelles du Québec sont de 81-82 milliers de tonnes par année. En l’espace de quelques années seulement, notre plan a commencé à être déployé en 2016, donc de 2016 à 2019, nous avons réussi à réduire les émissions de 30 millions de tonnes; cependant, je suis tout à fait d’accord avec vous, ce n’est que le début et il faut en faire plus.
En ce qui concerne votre dernier point au sujet des inventaires, nous utilisons, comme tout pays qui se respecte, les normes du GIEC sur les inventaires d’émissions de gaz à effet de serre. C’est ce que font l’ensemble des pays de la planète. De façon générale, pour simplifier, parce que c’est quand même assez compliqué, les émissions sont calculées au point de combustion. Or, on calcule les émissions du secteur pétrolier par rapport à la combustion de pétrole et de gaz au point d’émission et dans le cas des transports. Vous dites qu’on ne tient pas compte des émissions de type 3; on en tient compte bien sûr lorsque l’essence est brûlée dans la voiture, par exemple. C’est dans le secteur des transports que les émissions seront comptabilisées, mais il n’y a pas d’émissions qui échappent aux inventaires. Nous utilisons les normes prescrites par le GIEC quant aux inventaires.
La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question était plus générale quant à savoir si l’impératif économique à court et moyen termes est encore le critère nécessaire pour combattre les changements climatiques, sachant qu’il y a une économie, en ce moment, qui fonctionne avec beaucoup de carbone, mais que cette économie pourrait devenir verte. Quand on regarde les mesures — vous parlez de la taxe de carbone —, plusieurs spécialistes disent qu’ils ne sont taxés qu’à 16 %. Il y a toutes sortes de controverses là-dessus, mais je veux vous entendre plus généralement sur l’importance de l’impératif économique de protéger les emplois actuels dans vos plans.
M. Guilbeault : Lorsque nous disons que l’économie et l’environnement vont ensemble, ce n’est pas une formule creuse pour faire plaisir à la galerie. On ne peut plus, aujourd’hui, simplement regarder le volet économique de notre société sans tenir compte des impacts des changements climatiques qui ont des répercussions, évidemment, sur les humains et sur la biodiversité, mais aussi d’importantes répercussions sur l’économie. On a qu’à regarder le coût des dernières catastrophes naturelles, les inondations en Colombie-Britannique, le dôme de chaleur, les feux de forêt. Cela doit faire partie de notre analyse.
Là où vous et moi nous rejoignons, c’est qu’il faut manifestement en faire plus. Nous avons commencé à infléchir la courbe de réduction des émissions de gaz à effet de serre au Canada; c’est la première fois que cela arrive. Il y a eu de légères baisses dans le passé, attribuables essentiellement à des ralentissements économiques. On n’a pas les inventaires encore pour la COVID, mais de 2016 à 2019, il n’y a pas eu de ralentissements économiques ni au Canada ni à l’échelle mondiale. L’économie fonctionnait à plein régime et nous avons réussi à réduire les gaz à effet de serre. Il faut en faire beaucoup plus et intégrer des critères d’environnement, de lutte aux changements climatiques, dans nos prises de décision. Ne pas le faire serait irresponsable même d’un point de vue économique. On voit à l’échelle internationale que les investissements dans les énergies propres, dans les énergies vertes, dépassent les investissements dans les combustibles fossiles. Si on veut préserver les emplois, il faut décarboniser notre secteur de l’énergie, notre secteur du transport, le secteur industriel, la production de l’électricité, sinon nous perdrons des emplois et des investissements.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
[Traduction]
La sénatrice McCallum : Merci, monsieur le ministre, pour votre exposé et pour votre présence parmi nous aujourd’hui.
Je veux examiner la protection des communautés et la protection des habitats et des eaux qui existent au Canada, ainsi que votre mandat en matière de collaboration avec le ministre de Ressources naturelles en vue de l’établissement d’une norme sur l’électricité propre et de l’adaptation de la Loi sur les ressources en eau du Canada de façon à rendre compte des droits des Autochtones.
Je vis au Manitoba, où des mégabarrages ont causé d’énormes dégâts. Ils n’ont pas été surveillés pendant tout ce temps. On présente l’hydroélectricité comme la solution de rechange au pétrole et au gaz, mais aucune étude n’a été faite pour s’assurer qu’elle est propre et verte, car elle ne l’est pas. Nous ne voulons pas commettre avec l’hydroélectricité les mêmes erreurs qu’avec le pétrole et le gaz, surtout lorsque nous pensons aux véhicules électriques et aux batteries qu’ils utilisent. Il faut régler la question des batteries.
Lorsque je travaille avec les groupes du Manitoba, j’examine la toxicité de l’hydroélectricité pour l’environnement, les collectivités, les personnes et l’habitat des poissons. Au Manitoba, il s’agit des esturgeons de la rivière Churchill, sur laquelle ont été construits des mégabarrages. Les membres des collectivités se préoccupent pour ces poissons.
Pensez-vous qu’il est temps d’examiner les responsabilités inégales des parlementaires et les niveaux d’accès aux ressources nécessaires dont les Premières Nations ont besoin pour garantir un monde égalitaire qui les favorise au lieu de favoriser les personnes privilégiées qui ont tiré parti des dégâts climatiques en raison de l’économie? Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
M. Guilbeault : Merci beaucoup, madame la sénatrice.
Nous parlons parfois d’énergie propre ou d’énergie verte, mais nous devrions plutôt parler d’énergie plus propre ou plus verte, car la production de tout type d’énergie a un impact sur l’environnement. Nous disposons aujourd’hui de bien meilleurs outils et processus pour évaluer l’impact des différentes formes de production d’énergie. Je pense que notre rôle en tant que société est de nous orienter vers les formes d’énergie qui ont le moins d’impact sur l’environnement. À l’heure actuelle, nous ne connaissons pas de moyen de produire de l’énergie ou de l’électricité qui n’ait aucun impact sur l’environnement.
Vous avez raison de souligner que l’hydroélectricité a un impact sur l’environnement. Cet impact est moindre en termes d’émissions de gaz à effet de serre, bien que l’hydroélectricité en produise une certaine quantité. L’impact est souvent très local, notamment pour ce qui est de la contamination au mercure dans les plans d’eau qui sont inondés, principalement en raison de la dégradation de leur biodiversité et de leur biomasse. Nous en savons beaucoup plus aujourd’hui qu’il y a 20, 30, 40 ou 50 ans, lorsque de nombreux grands barrages ont été construits au Canada et que nous ne disposions que de peu de renseignements à ce sujet. Nous comprenons maintenant quel est l’impact sur les collectivités locales.
Je suis d’accord avec vous pour dire qu’il est de notre responsabilité de nous assurer que nous fournissons des ressources adéquates aux collectivités, notamment aux collectivités autochtones, qui ont été et continuent d’être touchées par ce développement. C’est quelque chose que nous faisons maintenant à Environnement et Changement climatique Canada par le biais de différents programmes, en particulier dans le cas des évaluations de l’impact sur l’environnement, dans le cadre desquelles nous fournissons des ressources aux collectivités autochtones afin qu’elles puissent participer pleinement à ce processus, qu’il s’agisse de barrages hydroélectriques ou d’autres projets. Je pense qu’il est de notre devoir de le faire.
Vous avez un peu parlé des voitures électriques et des batteries. Nous devons examiner ce que nous appellerions l’analyse du cycle de vie complet de ces produits. De toute évidence, la façon dont l’électricité est produite dans votre administration influe grandement sur les avantages du passage d’un moteur à combustion interne à un véhicule électrique. Même dans les endroits, par exemple dans de nombreux États américains où l’on produit du charbon, l’avantage en termes de gaz à effet de serre est d’environ 30 %. Il passe à 60 ou 80 % en termes de réduction des gaz à effet de serre dans une région où la majeure partie de l’électricité est produite par des sources à faibles émissions comme l’hydroélectricité, les éoliennes et l’énergie solaire. C’est le cas au Québec, par exemple. Il y a donc des avantages, mais vous avez raison. Nous devons exploiter des minéraux critiques pour produire des batteries et des véhicules électriques. Ce processus a aussi un impact, et c’est pourquoi nous devons être extrêmement prudents et nous assurer de plus en plus de bien comprendre cet impact.
La sénatrice McCallum : Pour atténuer l’impact dans le Nord, pensez-vous que nous devrions sérieusement envisager de construire des barrages près des villes qui consomment la majorité de l’électricité, mais qui ne perçoivent pas les impacts, car ils sont cachés dans le Nord, près des collectivités autochtones, afin que les gens comprennent ce qui se passe? Seriez-vous d’accord pour que nous commencions à le faire?
M. Guilbeault : Je comprends votre question, madame la sénatrice. Évidemment, l’hydroélectricité est très particulière au site où elle est produite. Une rivière présente un bon potentiel hydroélectrique ou elle n’en présente pas. Ces rivières ne sont généralement pas situées près de centres urbains. Elles en sont habituellement éloignées, ce qui pose des difficultés. Vous avez raison. Les habitants des villes ne se rendent souvent pas compte de l’impact de ces grands projets.
Je pense que pour ce qui est de l’électricité, nous nous éloignons lentement d’un modèle fondé sur de grands centres de production, comme des barrages hydroélectriques, des centrales au charbon ou au gaz naturel, pour passer à un modèle dit plus décentralisé. Le futur du développement de l’énergie reposera sur la création de grands parcs éoliens ou solaires, mais de plus en plus de personnes installeront des panneaux solaires sur le toit de leur maison ou disposeront de systèmes de batteries qui leur permettront d’accumuler l’énergie dans leur maison, et je pense qu’elles prendront ainsi davantage conscience de l’impact de la production et de la consommation d’électricité, car nous deviendrons tous de petits producteurs d’électricité et nous y participerons, ce qui n’est pas le cas actuellement.
[Français]
Le sénateur Carignan : Monsieur le ministre, bienvenue à notre comité. Avant de vous poser mes questions, j’aimerais une précision. Vous avez fait mention d’une réduction des gaz à effet de serre de 2016 à 2019, et votre site Internet dit le contraire. Le site Internet indique une augmentation des émissions qui sont passées de 707 à 730. Est-ce une erreur dans votre site Internet? Pouvez-vous préciser s’il vous plaît?
M. Guilbeault : Effectivement, j’aurais dû préciser que la réduction de 30 millions de tonnes s’étendait sur l’horizon 2030. Les projections indiquaient que nous allions nous situer à 12 % au-dessus des niveaux de 2005, alors que dans les faits, nous allons nous situer à 30 millions de tonnes en deçà de ces projections.
Le sénateur Carignan : Je vous remercie. C’est parce que ça prêtait à confusion.
M. Guilbeault : Vous avez raison.
Le sénateur Carignan : Mon autre question porte sur le projet Bay du Nord. C’est un projet dont la décision d’aller de l’avant est retardée une fois de plus. Le 4 mars, votre gouvernement a demandé une prolongation d’une quarantaine de jours, à la suite d’autres demandes de prolongation, la première étant le 6 décembre, la suivante le 6 mars. Vous avez parlé de réduction ou de contributions de réduction aux gaz à effet de serre au-delà de nos frontières.
Le projet Bay du Nord peut amener une énergie de transition. C’est un projet qui va remplacer l’exploitation de centrales au charbon, notamment, mais qui va aider également nos amis européens à se départir de leur dépendance au pétrole et au gaz russes.
De plus, on a le rapport de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada qui mentionne ce qui suit : « [...] le projet d’exploitation de Bay du Nord n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants. »
Pourquoi attendre autant de temps pour prendre une décision, alors que l’Agence d’évaluation d’impact du Canada dit qu’il y a peu d’effets néfastes? Pourquoi demandez-vous constamment des prolongations? J’ai l’impression que ce dossier vous empêche de dormir. Il me semble que c’est un dossier qui est gagnant-gagnant, pour lequel il est facile de décider.
M. Guilbeault : Laissez-moi vous rassurer, monsieur le sénateur. Je dors sur mes deux oreilles et très bien d’ailleurs.
Le sénateur Carignan : Ça me rassure.
M. Guilbeault : Comme vous le savez, il y a eu une première demande de prolongation en décembre 2021 et une deuxième en mars dernier. Une décision sera prise d’ici la mi-avril sur ce projet complexe. Lorsque l’Agence d’évaluation d’impact du Canada m’a présenté le rapport, je n’étais ministre que depuis quelques semaines. C’est un dossier complexe et en tant que ministre de l’Environnement, je veux m’assurer de faire mon travail de façon responsable avant de prendre une décision.
J’aimerais apporter quelques précisions. De façon générale, personne ne considère le pétrole comme une énergie de transition. On utilise peu le pétrole dans le secteur de la production d’énergie. Si le projet Bay du Nord doit aller de l’avant, on ne déplacera pas la production d’électricité à partir de charbon puisque le pétrole est plutôt utilisé dans les procédés industriels et dans les transports. À ma connaissance, une seule usine au Canada utilise du pétrole pour produire de l’électricité, et c’est au Nouveau-Brunswick.
Nous voulons faire tout ce que nous pouvons pour aider nos amis et collègues européens à réduire leur dépendance au pétrole et au gaz russes. Toutefois, il faut bien comprendre que si le projet de Bay du Nord va de l’avant, il ne pourrait produire du pétrole avant 2028. Or, je doute que nos amis et collègues européens attendent tout ce temps, mais cela dit, nous allons faire le plus rapidement possible tout ce que nous pouvons pour les aider.
Je vous cite simplement la présidente de l’Union européenne qui disait récemment que la meilleure façon de réduire la dépendance de l’Europe au pétrole et au gaz russes, c’est de réduire la dépendance de l’Union européenne au pétrole et au gaz tout court, et donc d’accélérer la transition vers les technologies propres et les énergies renouvelables; mais il faudra quelques années pour le faire et l’Europe a des besoins, d’ici là.
Mon collègue et ami, le ministre Wilkinson, est actuellement à l’Agence internationale de l’énergie, à Paris, pour travailler avec ses collègues européens afin de voir ce qu’il est possible de faire au Canada et dans les autres pays occidentaux pour les aider.
Le sénateur Carignan : Le gaz est tout de même moins producteur de gaz à effet de serre.
[Traduction]
Le président : Désolé de vous interrompre, sénateur Carignan, mais je tiens à tous vous prévenir qu’il nous reste 25 minutes. Nous avons six intervenants, nous devrons donc nous limiter à une question chacun. Le ministre doit nous quitter à 10 h, mais les autres témoins resteront avec nous pendant encore 45 minutes, alors nous poursuivrons les questions en son absence. Je demanderais au ministre de rester bref et de condenser ses réponses. Cela nous serait utile.
La sénatrice Seidman : Merci de votre présence parmi nous aujourd’hui, monsieur le ministre.
Monsieur le ministre, en plus de moderniser la Loi sur les ressources en eau du Canada, qui n’a pas été revue ou modifiée de façon significative depuis 1970, le premier ministre vous a confié le mandat de créer une Agence canadienne de l’eau, qui s’est vue attribuer un budget de 17,4 millions de dollars sur deux ans à compter de 2021.
Au début du mois de mars, lorsque le directeur parlementaire du budget a comparu devant notre comité, je l’ai interrogé au sujet de l’Agence canadienne de l’eau et de son budget. En réponse à ma question, il m’a dit ceci:
... d’après mon expérience, il me semble un peu incohérent de voir un chiffre très précis comme 17,4 millions de dollars, mais de ne toujours pas avoir de détails sur le mandat de l’Agence et sa composition.
Dans la version provisoire de la Stratégie fédérale de développement durable 2022 à 2026, qui a été communiquée à notre comité, il est indiqué qu’une Agence canadienne de l’eau ne sera créée qu’à la fin de 2023 et non en 2022 comme promis précédemment.
Monsieur le ministre, vous avez beaucoup de travail à faire sur un sujet très important, et je vais vous poser quelques questions directes. Voici la première : Pourquoi ce retard? On vous a donné un budget à partir de 2021, et la promesse des libéraux était que l’Agence serait établie en 2022. Selon cette nouvelle version de la stratégie, l’Agence ne sera créée que fin 2023. y a-t-il un énoncé de mission pour l’Agence et un plan détaillé de ses activités et responsabilités? Merci.
M. Guilbeault : Merci, honorable sénatrice.
La création de l’Agence canadienne de l’eau est l’une des priorités de ma lettre de mandat et du ministère. Vous vous interrogez sur ce retard. Malheureusement, la COVID a ralenti le processus de création de l’agence de l’eau et de son mandat. Nous avons mené des consultations approfondies auprès des provinces, des partenaires autochtones et d’autres intervenants, et nous allons réaliser des progrès importants à ce sujet, notamment grâce à l’élaboration d’un plan détaillé, dans un avenir très proche.
[Français]
La sénatrice Galvez : Bienvenue, cher ministre. Merci pour votre présence. Je tiens à vous féliciter parce que franchement, vous êtes dans une position très difficile. J’imagine que les décisions et les pressions peuvent avoir des effets sur vous et notre société.
J’ai une question à propos du projet de loi S-5.
[Traduction]
Il y a plus de deux décennies que le Parlement a adopté la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, qui est une pierre angulaire de la prévention de la pollution. La prévention de la pollution diffère de la réduction de la pollution.
J’ai deux questions, et j’aimerais que vous expliquiez certains des changements. Certains sont très bons et je les salue, mais il y en a deux qui me font réfléchir.
Le premier point est que les choses ne vont plus être énumérées dans une liste de substances toxiques. Les mots « substances toxiques » ont été supprimés. Pourtant, pour des raisons de transparence, le public, mais aussi les personnes qui interviennent et qui manipulent et transportent les substances doivent savoir qu’elles sont toxiques et peuvent être dangereuses pour leur santé et leur sécurité. Pourquoi avons-nous fait disparaître cette information?
Le deuxième point concerne le calendrier. Nous devrions être en mesure d’interdire certaines substances. Nous avons déjà interdit des substances par le passé. Je pense à la couche d’ozone, et nous avons eu la possibilité d’interdire des substances qui étaient trop toxiques. Il semble que cela ne soit plus possible dans cette nouvelle version. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? Merci.
M. Guilbeault : Merci, honorable sénatrice, pour vos aimables paroles.
En ce qui concerne les substances toxiques, il y a plusieurs raisons pour lesquelles nous avons changé le nom. Nous avons ajouté des substances telles que les plastiques, qui peuvent être considérées comme toxiques dans certains cas, mais pas nécessairement dans d’autres, en fonction de ce que nous en faisons. S’ils finissent dans une décharge ou sur nos plages, alors ils ont un impact, mais si nous nous orientons vers une économie circulaire et veillons à ce qu’ils ne finissent pas dans notre environnement, dans nos décharges, et qu’ils sont réutilisés à plusieurs reprises, alors nous créons quelque chose avec eux.
Nous serons toujours en mesure d’interdire des substances toxiques si nous déterminons qu’elles ont un effet négatif trop important. Le projet de loi ne nous empêche pas de le faire. Si vous estimez que certains éléments du projet de loi doivent être renforcés dans ce sens, je serais heureux de recevoir votre proposition, et mon cabinet pourrait communiquer avec votre bureau pour s’assurer que nous comprenons parfaitement votre point de vue et vos propositions.
[Français]
Le sénateur Gignac : Bienvenue, monsieur le ministre. Vous ne serez pas surpris de savoir que ma question porte plutôt sur un angle financier. Avant de la poser, permettez-moi de vous féliciter, puisque plus tôt cette semaine, on apprenait que pour la première fois de son histoire, le Canada avait fait une émission d’obligations vertes. C’est toute une réalisation.
J’ai vu dans votre lettre de mandat une mention de collaboration avec la ministre des Finances. J’aimerais en savoir davantage sur la divulgation obligatoire de renseignements financiers liés au climat. Or, on apprenait un peu plus tôt cette semaine que la U.S. Securities and Exchange Commission est déjà en mode action. Elle effectue des consultations et il sera obligatoire pour les entreprises de divulguer leur empreinte carbone dans leur rapport annuel, ainsi que la façon dont les changements climatiques peuvent affecter leur modèle d’affaires. J’aimerais savoir quand le Canada va bouger là-dessus.
M. Guilbeault : Merci, sénateur. Un bref commentaire sur les obligations vertes : vous avez peut-être vu que l’engouement du secteur privé et des investisseurs a été très fort. Nous avons reçu deux fois plus d’offres que ce qu’on proposait en matière d’émission d’obligations. Cela augure très bien. C’est la première fois que nous le faisons. Nous allons apprendre de cet exercice et je soupçonne que nous allons le répéter. Les gouvernements n’arriveront pas à financer seuls la transition. Il faut que le secteur privé et des investissements fassent partie de cette aventure avec nous.
Pour ce qui est de la réglementation du secteur financier, mon ministère travaille étroitement avec celui de ma collègue la vice-première ministre et ministre des Finances. Vous avez peut-être vu que pendant la conférence de Glasgow, la Banque du Canada a publié un communiqué de presse où elle précisait qu’elle allait exiger de plus en plus d’information de la part des institutions financières quant à l’exposition de leurs investissements aux risques climatiques.
D’une part, nous avons le Bureau du surintendant des institutions financières qui a commencé à travailler là-dessus. Nous avons mis sur pied un comité d’experts venant du monde de la finance, des institutions financières canadiennes et des investisseurs — un monde qui vous est très familier — pour déterminer l’ensemble des gestes que le gouvernement fédéral devrait poser, dans certains cas en collaboration avec les provinces — je pense notamment aux autorités des valeurs mobilières des différentes provinces — pour que le Canada se dote d’un système comme celui qui est en train d’apparaître en Europe et, comme vous l’avez précisé, aux États-Unis.
Le sénateur Gignac : Merci beaucoup.
[Traduction]
La sénatrice Sorensen : Bonjour, monsieur le ministre. Encore une fois, merci beaucoup de nous avoir rendu visite récemment dans le parc national Banff. Votre visite a été très appréciée. Je me passionne pour tous les parcs nationaux du Canada et je suis profondément fière des cinq parcs nationaux de l’Alberta.
Avec le mandat d’établir au moins un nouveau parc urbain national d’ici 2030 — j’aime beaucoup le parc de la Rouge; je l’observe depuis sa création et j’ai constaté son succès — et d’investir dans les parcs nationaux existants à mesure qu’un plus grand nombre de Canadiens visitent ces sites, et nous savons tous que cela va se produire très rapidement, je suis curieuse de savoir où en est la sélection de l’emplacement des nouveaux parcs urbains, outre le choix d’en avoir dans toutes les provinces et tous les territoires, ou peut-être pourriez-vous nous dire quelles provinces ou quels territoires sont actuellement privilégiés. De plus, quels seront les critères ou les formules utilisés pour les investissements dans les parcs nationaux existants? Dison que je demande pour un ami.
M. Guilbeault : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. J’ai beaucoup apprécié le temps que nous avons passé ensemble au parc national Banff.
En ce qui concerne les parcs nationaux urbains, je m’en remettrais à mon collègue du ministère, Andrew Campbell, pour voir s’il peut vous donner une réponse plus précise. Pour ce qui est des critères que nous utilisons pour faire un choix, l’un des premiers critères envisagés est la mobilisation des peuples autochtones dans chaque projet au pays.
Nous tentons d’accomplir diverses choses, y compris certainement en matière d’accessibilité. Nous savons que certains de nos parcs nationaux ne sont tout simplement pas accessibles pour nombre de Canadiens. Ils n’ont pas les moyens de prendre l’avion pour visiter certains de nos plus beaux parcs à l’autre bout du pays. Nous voulons que la nature soit aussi proche d’eux que possible. La protection de la biodiversité, ou, dans certains cas, la restauration est un autre des critères dont nous tenons compte.
Monsieur Campbell, pourriez-vous nous dire où vous en êtes dans divers projets au pays, je vous prie?
Andrew Campbell, vice-président principal, Opérations, Parcs Canada : Merci, monsieur le ministre, et je vous remercie de votre question, madame la sénatrice.
Nous avons certainement un certain nombre de projets en cours dans chaque province, comme l’indique clairement la lettre de mandat du ministre. Nous avons eu quelques annonces récentes, aussi récemment que [difficultés techniques] nous avons aussi...
M. Guilbeault : Pardonnez-moi, monsieur Campbell, mais nous avons de la difficulté à vous entendre.
La sénatrice Sorensen : Pourquoi ne pas passer aux questions qui s’adressent à vous, monsieur le ministre, et M. Campbell pourra répondre aux questions ensuite.
M. Guilbeault : D’accord. Pour en revenir à la dernière question, ce que je peux vous dire, c’est qu’il y a eu des travaux exploratoires à Victoria, à Edmonton, dans la vallée Meewasin à Sasksatoon, ainsi qu’à Winnipeg, Windsor et Halifax. Des discussions initiales ont eu lieu à Montréal. Le travail a commencé, et, comme vous pouvez vous l’imaginer, cela génère beaucoup d’enthousiasme et d’exaltation au pays.
La sénatrice Sorensen : Merci.
Le sénateur Arnot : Bonjour, monsieur le ministre. Je vous remercie d’être parmi nous aujourd’hui.
Je serai bref. Je vous ai entendu parler en public en Saskatchewan sur les ondes d’une station de radio d’information, et vous avez clairement exprimé votre point de vue, en dépit de questions rigoureuses. Je serai moins rigoureux.
Monsieur le ministre, je suis en faveur d’une approche à actions multiples, ce que vous offrez; cela dit, j’aimerais que toute nouvelle option énergétique viable soit envisagée, y compris l’énergie éolienne et solaire ou encore les batteries. Je ne vous ai pas beaucoup entendu parler des petits réacteurs modulaires qui devraient faire partie du plan pour atteindre les objectifs que vous désirez atteindre.
Je m’intéresse aussi à l’enjeu de la transition vers de nouvelles sources d’énergie et de l’adaptation de la main‑d’œuvre. Il s’agit d’un enjeu important pour l’Ouest canadien pour des raisons évidentes. Votre lettre de mandat fait état de plusieurs dizaines d’engagements. Votre mandat est très ambitieux et comprend beaucoup d’objectifs.
Quelles sont vos priorités pour répondre au mieux aux attentes du premier ministre? Ce n’est pas clair pour moi. Vous avez des dizaines et des dizaines d’objectifs.
M. Guilbeault : Merci, monsieur le sénateur.
Pour répondre à votre première question, nous explorons toutes les formes de sources d’énergie à faibles émissions et sans émissions, y compris l’énergie nucléaire. Je crois que c’est la semaine dernière que le ministre Champagne a annoncé un investissement de 50 millions de dollars avec Westinghouse dans le secteur des petits réacteurs modulaires.
Vous avez aussi parlé d’une transition juste. Il s’agit d’un élément essentiel dans notre stratégie globale. Cela dit, cet enjeu ne se trouve pas dans ma lettre de mandat. Je présume que le premier ministre a jugé que la lettre était suffisamment longue. Ce dossier relève des ministres Wilkinson et O’Reagan qui devront déposer un projet de loi sur une transition juste au Parlement. Ils y travaillent activement, et bien que cet enjeu ne soit pas dans ma lettre de mandat, j’ai participé à quelques activités extracurriculaires en prenant part à certaines des réunions qu’ils ont tenues pour le rédiger, parce que je me suis beaucoup penché sur cet enjeu dans mon ancienne vie.
Nous avons un plan détaillé sur la façon dont nous avons l’intention de réaliser les divers éléments énoncés dans la lettre de mandat. J’ai parlé de certaines des priorités à court terme, comme le plan de réduction des émissions qui sera déposé la semaine prochaine à la Chambre des communes, la mise en œuvre continue de notre stratégie d’atténuation du changement climatique ou encore la création de la première stratégie d’atténuation nationale. Il ne s’agira pas d’une stratégie d’atténuation fédérale, mais bien nationale, c’est-à-dire que nous désirons la créer en travaillant de concert avec les provinces, les territoires, les municipalités, les leaders autochtones et les autres parties prenantes intéressées. Le travail est déjà en cours à cet égard.
Le dossier de la nature est très important; l’objectif est de protéger 25 % de notre territoire et de nos océans d’ici 2025. Nous avons fait d’immenses progrès. Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir en 2015, à peine 2 % de nos océans étaient protégés, et nous en sommes maintenant à 14 %. J’aimerais m’en attribuer le mérite, mais je ne peux pas. C’est le travail de mes prédécesseurs.
En ce qui concerne le plastique, nous avons un certain nombre de choses à faire à court terme, notamment travailler avec la communauté internationale pour lancer des négociations fructueuses sur le traité international juridiquement contraignant visant à réduire la pollution plastique et à évoluer vers une économie circulaire.
Il existe nombre d’autres dossiers, mais à court terme, ce sont quelques-unes de nos priorités.
La sénatrice Anderson : Bienvenue, monsieur le ministre.
Ma question portera sur le dossier de l’eau. Compte tenu du problème de la présence de carburant dans l’eau à Iqaluit en automne dernier — et maintenant de l’odeur de carburant et des reflets huileux dans l’eau dans la communauté autochtone de Sachs Harbour, qui est la seule communauté sur l’île Banks et qui fait actuellement l’objet d’un avis de non-consommation de son eau potable — l’approvisionnement en eau potable pour les Canadiens, en particulier dans les communautés autochtones et nordiques, suscite de grandes préoccupations.
Il est intéressant de noter que l’on retrouve un lien vers une page Web intitulée Fact Sheet for Gasoline Oxygenates in Drinking Water du département de la Santé de l’État de New York dans l’article portant sur l’avis de non-consommation de l’eau de Sachs Harbour.
Ma question est la suivante : comment le gouvernement fédéral collabore-t-il avec les territoires et les municipalités pour assurer la salubrité de l’eau potable? Quels types d’échanges d’information ont lieu? Qui est responsable de cette information? Existe-t-il des fiches d’information fédérales créées au Canada pour les Canadiens qui doivent faire face aux problèmes et aux défis liés à l’eau auxquels nous sommes confrontés?
M. Guilbeault : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice.
Comme vous le savez, nous avons levé plus du deux tiers des avis d’ébullition d’eau qui étaient en place lors de notre arrivée au pouvoir. Nous reconnaissons qu’il reste du travail à faire au sein des communautés autochtones, mais notre objectif demeure le même, c’est-à-dire de lever tous ces avis dans un avenir proche.
En ce qui concerne la seconde partie de votre question, plus précisément, je pourrais peut-être demander à ma sous-ministre, Christine Hogan, de vous parler du travail mené par les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral en matière de surveillance des plans d’eau.
Christine Hogan, sous-ministre, Environnement et Changement climatique Canada : Merci, monsieur le ministre. Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous remercie de la question.
Il s’agit d’un dossier qui préoccupe les dirigeants d’un certain nombre de ministères fédéraux en raison des enjeux précis relevés par la sénatrice ce matin. Cet enjeu relève de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada ou RCAANC et de Services aux Autochtones Canada ou SAC. Bien sûr, nous sommes une ressource importante, compte tenu du travail que nous faisons dans le domaine de la science et de la surveillance de la qualité de l’eau, mais le leadership se trouve dans ces institutions. Nous faisons partie de l’effort interministériel élargi visant à répondre à bon nombre des préoccupations que vous avez soulevées ce matin.
[Français]
Le président : Monsieur le ministre, je pense que vous voulez quitter la réunion vers 10 heures.
Est-ce que je peux vous voler quelques minutes supplémentaires pour vous poser une question?
M. Guilbeault : Certainement, monsieur le président.
Le président : Je suis un homme d’affaires et quand j’interprète la situation économique, je regarde l’offre, je regarde la demande et en conséquence, je projette le prix. On parle beaucoup de l’offre. On parle ici d’une commodité internationale et quand vous regardez les autres pays comme l’Arabie saoudite, le Venezuela, etc., les grands experts s’entendent pour dire que l’offre est abondante, qu’on n’en manquera pas. C’est un marché international. Est-ce que cette affirmation est vraie? Si oui, pourquoi tente-t-on autant de contrôler l’offre quand il s’agit d’une défaite certaine sur le marché international?
M. Guilbeault : C’est une question intéressante. Je vous donne quelques éléments de réponses.
La stratégie que nous et plusieurs de nos partenaires internationaux avons adoptée, c’est de travailler à la fois sur l’offre et la demande. Par exemple, nous avons pris l’engagement d’adopter une loi sur les véhicules zéro émission, où 50 % des véhicules qui seront vendus en 2030 seront sans émission, et 100 % en 2035. Nous allons ainsi éliminer la demande des produits pétroliers dans le secteur des transports au cours des prochaines années. Le même engagement se trouve dans le document que nous venons de publier au sujet d’une norme sur l’électricité propre. On vise à avoir un réseau électrique à zéro émission d’ici 2035, également. Le réseau électrique canadien est déjà composé, à environ 80 %, d’énergie renouvelable.
Du côté de l’offre, dans le domaine de l’électricité, il n’y aura à peu près plus de combustibles fossiles d’ici 2035. Il restera probablement un peu de gaz naturel pour les demandes de pointe durant l’hiver et pour des questions de sécurité de réseaux, mais il y en aura très peu.
Pour ce qui est de l’offre, lorsqu’on regarde le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie, elle estime que comme l’ensemble des pays de la planète travaillent à lutter contre les changements climatiques, la production de pétrole va plafonner autour de 2028. On est à environ 90 millions de barils par jour et cette production diminuera de 75 % d’ici 2050. Donc, il resterait encore du pétrole, selon l’agence, en 2050, mais on passera à une production de 90 millions de barils par jour à environ 25 millions de barils par jour.
On travaille à la fois sur la question de l’offre et de la demande de ce côté.
Le président : Merci, monsieur le ministre. Je pense que vous devez nous quitter pour aller à un comité de la Chambre des communes. Malheureusement, je suis certain que cela ne sera pas aussi intéressant qu’avec nous. Je vous remercie de votre disponibilité. Nous continuerons notre discussion avec vos fonctionnaires.
M. Guilbeault : Merci beaucoup.
Le président : Pour notre deuxième heure, nous avons avec nous d’Environnement et Changement climatique Canada, M. Douglas Nevison, sous-ministre adjoint, Direction générale des changements climatiques; M. John Moffet, sous-ministre adjoint, Direction générale de la protection de l’environnement; Mme Hilary Geller, sous-ministre adjointe, Direction générale de la politique stratégique; Mme Nicole Côté, directrice générale, Aires protégées, Service canadien de la faune. Nous avons également de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada, M. Simon Brault, vice-président, Services ministériels; Mme Patricia Brady, vice-présidente, Politique stratégique. Finalement, de Parcs Canada, M. Michael Nadler, vice-président, Relations externes et expérience du visiteur; Mme Christine Loth-Bown, vice-présidente, Affaires autochtones et du patrimoine culturel; Mme Darlene Upton, vice-présidente, Établissement et conservation des aires protégées.
Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Avez-vous des remarques liminaires ou des commentaires ou pouvons-nous passer directement à nos questions?
[Traduction]
Mme Hogan : Je n’ai pas de commentaires. Je crois que nous pouvons passer directement aux questions, monsieur le sénateur.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse au sous-ministre délégué du ministère de l’Environnement et du Changement climatique.
On a tous lu la lettre de mandat avec intérêt; elle est longue et comprend beaucoup d’engagements. Un des éléments qui a attiré mon attention est cette idée d’élaborer un plan pour éliminer progressivement les finances publiques du secteur des combustibles fossiles, y compris les sociétés d’État fédéral.
Vous parlez de sociétés d’État fédéral qui offrent du financement au secteur des combustibles fossiles. Donc, est-ce que cela inclut la plus grosse et la plus riche des sociétés d’État fédéral qui offre le financement, soit le Régime de pensions du Canada, qui investit environ 12 milliards de dollars dans les énergies fossiles en ce moment?
Le président : Je crois que la question est adressée au sous-ministre.
La sénatrice Miville-Dechêne : Oui, elle est adressée à Mme Hogan ou à M. Halucha.
[Traduction]
Mme Hogan : Je vous remercie de votre question qui porte sur l’approche gouvernementale en matière de subventions à l’industrie des combustibles fossiles, madame la sénatrice.
Les sénateurs se souviendront peut-être que, dès 2009, le G20 s’est engagé à rationaliser et à éliminer progressivement les subventions inefficaces à l’industrie des combustibles fossiles. Tel qu’inscrit dans la lettre de mandat du ministre, le gouvernement s’est engagé à accélérer la cadence pour son propre engagement à cet égard et prévoit y arriver d’ici 2023. Je pense que les progrès sont en cours. Vous avez posé une question sur ce que cela comprend, et, comme vous l’avez dit, les sociétés d’État sont incluses.
Je demanderais à Hilary Geller, notre sous-ministre adjointe pour la Direction générale de la politique stratégique, si elle a d’autres renseignements à transmettre à la sénatrice ce matin.
Hilary Geller, sous-ministre adjointe, Environnement et Changement climatique Canada : Merci beaucoup.
Nous nous penchons sur deux des engagements inscrits dans la lettre de mandat du ministre, dont l’élimination progressive des subventions inefficaces à l’industrie des combustibles fossiles. Nous travaillons sur ce dossier de concert avec le ministère des Finances depuis un certain nombre d’années déjà. Des progrès significatifs ont été réalisés sur le plan fiscal, ce qui correspond bien aux autres pays du G20 qui ont indiqué avoir conclu cet engagement du G20 et être allés de l’avant. Les progrès ont surtout été réalisés sur le plan fiscal.
En ce qui concerne l’engagement supplémentaire d’éliminer progressivement le financement public, il s’agit d’un dossier plus large que le travail sur les subventions à l’industrie des combustibles fossiles qui est en cours depuis un certain nombre d’années. Je pense qu’il est juste de dire que la nature exacte de ce travail est encore en cours d’évaluation avec nos collègues du ministère des Finances et de Ressources naturelles Canada. Nous nous attendons certainement à ce qu’il comprenne des organismes comme EDC et la BDC. En fait, EDC a déjà fait preuve d’une grande transparence quant à ses plans précis d’investissement dans le secteur des combustibles fossiles.
La sénatrice Miville-Dechêne : Le Régime de pensions du Canada sera-t-il inclus? C’était l’essence de ma question. Il s’agit d’un investisseur majeur dans le secteur des combustibles fossiles.
Mme Geller : Je pense qu’il est juste de dire que les détails de la portée exacte de l’engagement et de la façon et du moment où il sera mis en œuvre font encore l’objet de discussions au sein des ministères impliqués.
La sénatrice Galvez : J’ai deux questions. La première porte sur la transparence. Nous savons que le coût du pipeline Trans Mountain a triplé, passant à 21 milliards de dollars, et les agents du DPB nous ont dit qu’il était très peu probable qu’il soit rentable pendant sa durée de vie. Nous savons que vous avez commandé deux rapports, de la BMO et de la Banque TD, sur la viabilité économique de la chose. Les Canadiens sont propriétaires de ces pipelines; serait-il donc possible de publier ces documents, je vous prie?
Ma seconde question est la suivante : dans le dernier budget, le gouvernement a donné des fonds substantiels à l’industrie pétrolière pour nettoyer les puits abandonnés, mais, à nouveau, le DPB nous a dit qu’aucun nettoyage ne s’est fait avec cet argent. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est passé? Merci.
Paul Halucha, sous-ministre délégué, Environnement et Changement climatique Canada : Je serai heureux de répondre à vos deux questions, madame la sénatrice.
Pour ce qui est de votre première question sur le financement du pipeline Trans Mountain, le ministère des Finances est responsable des enjeux budgétaires liés à la société Trans Mountain. Notre ministère n’a pas de responsabilité ou de visibilité sur ces enjeux au-delà de ce qui est dans le domaine public. Malheureusement, nous sommes dans l’incapacité de vous fournir plus de détails à cet égard de notre point de vue.
En ce qui concerne votre seconde question sur le programme des puits orphelins, celui-ci est mené par le ministère des Ressources naturelles, qui serait donc mieux placé pour vous répondre.
Le ministère est impliqué dans la mise en œuvre du pipeline Trans Mountain. Nous offrons une quantité importante d’expertise scientifique. Nous avons des responsabilités en matière de protection des habitats et de surveillance des effets, notamment dans la mer des Salish, et des populations d’oiseaux migrateurs. Nous avons aussi beaucoup collaboré avec les Premières Nations pour inclure et tenir compte de leurs préoccupations environnementales dans le plan d’action sur Trans Mountain qui a été établi une fois l’aval donné pour la construction du pipeline. Le travail est en cours, et je pourrais vous donner plus de détails si cela s’avère utile.
La sénatrice Galvez : J’aimerais qu’ils confirment qu’Environnement Canada n’a pas eu son mot à dire sur des projets tels que celui de TMX. C’est fait et ce n’est plus de votre ressort. Environnement Canada n’a pas plus son mot à dire sur la contamination des puits de pétrole. Nous avons parlé du travail en vase clos des ministres et de la communication qui ne se fait pas. Je crois que cela est confirmé. Merci.
La sénatrice Seidman : Je vais revenir à la question que j’avais posée au ministre sur l’Agence canadienne de l’eau. Malheureusement, je n’ai pas eu le temps de faire un suivi pour obtenir un peu plus de renseignements. Le ministre a dit que l’agence a été retardée à cause de la COVID et qu’elle ne sera donc créée qu’à la fin de 2023. Un montant de 17,4 milliards de dollars a été réservé pour cette agence, mais ma question est toujours de savoir si le mandat a été établi et s’il existe un plan pour les responsabilités et les activités de cette agence.
Mme Hogan : Je serai heureuse de répondre à cette question, madame la sénatrice, et de vous fournir plus de détails, étant donné le temps limité qu’avait le ministre pour comparaître devant vous.
L’Agence canadienne de l’eau est une priorité très importante pour notre ministère et le gouvernement. Vous le savez peut-être, mais plus de 10 ministères fédéraux ont des rôles et des responsabilités différents en matière de gestion de l’eau douce au Canada, et il y a aussi la complexité des compétences provinciales, territoriales et fédérales sur les enjeux liés à l’eau.
Le travail que nous avons accompli, et qui se reflète dans les chiffres que vous avez mentionnés, liés aux ressources dont le ministère dispose, a surtout servi à veiller à ce que nous ayons un processus de mobilisation et de consultation approprié. Cela inclut les communautés autochtones du Canada qui se sont exprimées et qui ont un intérêt considérable dans ce dossier. Nous avons publié un rapport, l’an dernier, faisant état de ce que nous avons entendu au cours du processus de consultation, et nous avons intensifié notre analyse pour savoir exactement ce que fera cette agence et comment elle le fera.
Les consultations ont soulevé des enjeux sur son rôle concernant la science et l’exécution de programmes. De nouveaux enjeux se profilent à l’horizon, tels que l’adaptation au changement climatique, qui est l’un des plus importants. De concert avec nos collègues des divers ministères, nos partenaires provinciaux et territoriaux et les communautés autochtones du Canada, il nous faut réfléchir à la structure, à la gestion et à la portée optimales de l’agence de l’eau. Voilà ce sur quoi nous travaillons présentement.
Je dirai ceci : le travail sur la gestion de l’eau douce se poursuit au sein du ministère et du gouvernement fédéral. Il existe des programmes très importants. Cette année marque le 50e anniversaire de l’Accord relatif à la qualité de l’eau dans les Grands Lacs. Notre travail et nos investissements se poursuivent pendant que nous continuons de travailler sur la conception de l’Agence canadienne de l’eau, qu’il s’agisse de travaux hydrologiques, d’analyses de la qualité de l’eau, de la gestion de l’eau douce, ou encore de l’exécution de programmes avec des collectivités.
La sénatrice Seidman : Madame Hogan, notre comité a mené une étude sur les enjeux liés à l’eau en 2005. Une des recommandations était d’uniformiser la collecte des données sur l’eau et de créer un centre de statistiques sur l’eau. D’après vous, cela pourrait-il faire partie des responsabilités de la nouvelle agence?
Mme Hogan : La question a été soulevée dans le cadre des consultations et des discussions. Nous réfléchissons très sérieusement au rôle qu’aura la nouvelle agence. Il faut aussi tenir compte des compétences de base dont dispose Environnement Canada. C’est ce ministère qui effectue une grande partie du travail réalisé à l’échelle fédérale dans le domaine de la surveillance et de l’évaluation de la qualité de l’eau. Comme vous pouvez l’imaginer, l’ajout d’un nouvel élément à la structure donne lieu à une vaste gamme de réflexions. Un des objectifs des efforts déployés est de renforcer la gestion des données.
La sénatrice McCallum : Je souhaite la bienvenue au groupe que nous accueillons aujourd’hui.
Dans un document intitulé Rights of Nature & Mother Earth: Rights-Based Law for Systemic Change, des groupes autochtones affirment qu’il faut cesser de traiter la Terre comme une matière première. Ils ajoutent qu’il faut reconnaître que les droits de la nature, y compris ceux liés à la terre et à l’eau, sont indissociables; c’est impossible de les séparer. Par conséquent, les activités humaines et le développement ne doivent pas nuire à la capacité naturelle des écosystèmes d’absorber les effets de ces activités, de se renouveler, de s’épanouir et d’évoluer. Cela signifie également que les auteurs de la destruction, y compris les entreprises et les gouvernements, doivent être tenus entièrement responsables de leurs actes. Quelles mesures le gouvernement prendra-t-il par rapport à ses responsabilités à l’égard des écosystèmes, ainsi que des droits de la personne et des droits des peuples autochtones?
Mme Hogan : Merci beaucoup.
Ce sont des questions et des considérations importantes. Je tiens à dire à la sénatrice qu’Environnement et Changement climatique Canada place de plus en plus ces enjeux au centre de son travail et de ses politiques de lutte contre les changements climatiques. Je pense à la fois aux efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre et au travail très important que nous effectuons sur le plan de l’adaptation aux changements climatiques et de l’élaboration de la Stratégie nationale d’adaptation, dans le cadre de laquelle nous collaborons de manière très proactive avec les communautés autochtones, les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Ces questions sont aussi au cœur des efforts que nous déployons en vue de respecter nos engagements liés à la nature, aux aires protégées et à la gestion des espèces par l’intermédiaire du Service canadien de la faune. Ce sont des questions fondamentales, et nous avons établi de véritables partenariats. Nous avons des programmes qui placent les communautés autochtones au premier plan de notre travail sur la nature, comme le programme de gardiens autochtones. J’ai mentionné notre travail dans le domaine de la gestion de l’eau douce, ainsi que nos réflexions concernant la future Agence canadienne de l’eau. Les questions liées aux communautés autochtones sont maintenant au cœur de l’approche que nous adoptons pour traiter ces dossiers.
Je vous remercie pour la question.
La sénatrice Sorensen : Je remercie tous les témoins de leur présence. C’est impressionnant de vous voir en si grand nombre, et je vous suis certainement reconnaissante d’être des nôtres. Je salue particulièrement mes amis de Parcs Canada.
Comme nous ne l’entendions pas très bien quand il a tenté de répondre à ma question précédente, j’aimerais donner à M. Andrew Campbell la possibilité de nous fournir plus de détails sur les endroits qui sont pris en considération pour l’aménagement de parcs urbains. J’applaudis l’objectif d’en créer un dans chaque province et territoire. De plus, le ministre a parlé des critères utilisés pour investir dans les parcs actuels, mais je souhaite toujours en savoir plus sur ces formules et ces critères.
M. Campbell : Je vous remercie pour la question, sénatrice Sorensen, et je vous remercie également de ne pas nous en vouloir pour les difficultés techniques que nous avons eues tout à l’heure. Comme je ne fais plus confiance à la technologie, je pense que ce serait mieux que ma collègue Mme Darlene Upton réponde à votre question.
Darlene Upton, vice-présidente, Parcs Canada : Nous avons lancé le programme urbain le 4 août et nous avons reçu le financement nécessaire pour créer six parcs urbains nationaux d’ici 2025 dans le budget de 2021. Depuis le mois d’août, nous avons signé six ententes de collaboration avec les municipalités de Colwood, d’Edmonton, de Meewasin Valley à Saskatoon, de Winnipeg, de Windsor et de Halifax. Nous sommes aussi en discussion avec Montréal.
Nous avons les fonds nécessaires pour soutenir la participation des municipalités et des groupes autochtones au programme. Le programme des parcs urbains vise trois objectifs principaux. Le premier est de contribuer à la protection et à la conservation de la nature, y compris en ce qui concerne la biodiversité et le climat. Nous croyons que les parcs urbains nationaux pourraient aider à régler certains problèmes touchant les régions urbaines, par exemple les îlots de chaleur. Le deuxième objectif est de rapprocher la population canadienne à la nature, et surtout d’assurer un accès égal à la nature. Le troisième est de favoriser la réconciliation. Cet objectif sera défini par les partenaires autochtones avec lesquels nous travaillons sur tous ces projets.
La sénatrice Sorensen : Je ne peux m’empêcher de sourire. Comme Mme Upton et d’autres le savent sûrement, l’ancien directeur de la Ville de Banff est maintenant le directeur municipal de Colwood. C’est un drôle de hasard. Je suis certaine que M. Earl est ravi de collaborer avec vous.
La sénatrice Anderson : Un rapport intitulé Inuvialuit Settlement Region; Drilling Sumps Failure and Climate Change recense 153 fosses dans les Territoires-du-Nord-Ouest, 69 sur les terres des Inuvialuit et 7 sur des terres inconnues. Un autre rapport fait état d’une île artificielle construite pour l’exploitation pétrolière et gazière, McKinley Bay, qui subit aujourd’hui de l’érosion et de la dégradation. Sur cette île se trouvent de grandes quantités de déchets de plastique, de tissus, de morceaux de bois et de métal et de pièces électriques. De plus, un morceau de métal d’une hauteur de six pieds saillit de l’île.
D’abord, j’aimerais savoir quelles mesures sont prises pour nettoyer les fosses et l’île artificielle qui polluent nos terres, dans le cas où les entreprises qui les ont créées n’existent plus. Ensuite, quels changements ont été apportés aux politiques ou à la législation pour veiller à ce qu’à l’avenir, des mesures proactives soient adoptées pour réduire le risque que de tels problèmes surviennent et pour obliger les entreprises à s’acquitter de leurs responsabilités?
John Moffet, sous-ministre adjoint, Direction générale de la protection de l’environnement, Environnement et Changement climatique Canada : Bonjour à tous.
Je crains bien de ne pas avoir de détails à vous donner immédiatement sur le rapport auquel vous faites référence, madame la sénatrice, mais nous avons un programme des sites contaminés fédéraux, que nous administrons principalement avec le Conseil du Trésor au sud du 60e parallèle et avec Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada au nord du 60e parallèle. Je pense que la meilleure chose à faire pour moi, aujourd’hui, serait de m’engager à consulter mes collègues de RCAANC et à vous fournir une réponse détaillée ultérieurement.
Le président : Par écrit?
M. Moffet : Oui.
La sénatrice Anderson : Qujannamiik
Le président : Madame Hogan, j’aimerais bien poursuivre dans la foulée de la question que j’ai posée au ministre. Dans les exemples que vous avez donnés, il semble assez évident que nous connaissons un certain succès dans le contrôle de la demande pour les produits de carbone. Comme j’essayais de l’illustrer, il s’agit d’un marché international, et c’est une marchandise. Il y a beaucoup de pays et il y a beaucoup de CO2 disponible pour ceux qui le souhaitent. Je pense que nous n’arriverons jamais à contrôler l’offre. L’offre est infinie. Là où nous connaissons du succès, c’est plutôt du côté de la demande.
Si tel est le cas, pourquoi continuer de vouloir essayer de contrôler l’offre sur le marché international, alors que c’est une perte de temps et d’argent? Laissons nos entreprises faire ce qu’elles ont besoin de faire pour être compétitives. En même temps, essayons de contenir la demande le plus possible pour ces produits, tant du côté des gouvernements que de celui des particuliers. Madame Hogan, avez-vous des observations à faire à ce sujet? Est-ce trop simpliste comme perception de l’offre et de la demande, est-ce futile d’essayer d’influencer le marché ainsi?
Mme Hogan : Eh bien, je vous répondrai, monsieur le sénateur, que c’est ce que nous essayons de faire avec nos stratégies sur le climat. Le plan climatique renforcé qui a été lancé en décembre 2020 contient beaucoup d’initiatives de ce type.
Je pourrais peut-être demander à notre SMA de la Direction générale des changements climatiques, Douglas Nevison, de vous parler un peu des dimensions de notre travail directement liées à cela. De même, John Moffet, qui s’occupe directement de l’aspect réglementaire et de la tarification du carbone, aurait peut-être quelques éléments supplémentaires à faire valoir.
Douglas Nevison, sous-ministre adjoint, Direction générale des changements climatiques, Environnement et Changement climatique Canada : Merci, madame la sous-ministre. Merci beaucoup de cette question, monsieur le président. Je laisserai mon collègue, M. Moffet, vous parler des instruments réglementaires et de la tarification de la pollution causée par le carbone.
Comme le disait un peu la sous-ministre, il est certain que les plans climatiques du gouvernement, jusqu’à présent et dans une perspective d’avenir, visent à utiliser divers instruments à divers degrés pour s’attaquer à la fois à l’offre et à la demande. Vous avez mentionné l’accent mis sur la demande, et c’est évidemment un aspect très important.
Du côté de l’offre, une partie des investissements faits par le gouvernement pour lutter contre le changement climatique — il y a consacré environ 100 milliards de dollars depuis 2016 — visent à aider les entreprises à faire la transition vers des technologies à faibles émissions de carbone dans leurs installations de production, par exemple. Je vous donnerais l’exemple des 8 milliards de dollars octroyés à l’Accélérateur net zéro du Fonds stratégique pour l’innovation, qui vise à aider les entreprises à adopter des technologies à faibles émissions de carbone et à entreprendre cette transformation pour contribuer à réduire les émissions. C’est un exemple de l’aide apportée aux entreprises du côté de l’offre, pour qu’elles fassent la transition ou se transforment de manière à rester prospères et concurrentielles dans une économie à faibles émissions de carbone.
Je demanderais peut-être à mon collègue, M. Moffet, de vous répondre sur la réglementation et la tarification de la pollution causée par le carbone. Je vous remercie.
M. Moffet : Peut-être que je commencerais en fait par une réponse plus générale, sénateur, soit que les gaz à effet de serre ne respectent pas les frontières. C’est un défi mondial, qui nécessite une réponse mondiale, donc les actions du Canada en matière de changement climatique comprennent à la fois une présence internationale très active et des activités nationales.
À l’échelle internationale, bien sûr, tout part des données scientifiques et du travail du GIEC, puis nous travaillons au sein de divers regroupements internationaux comme celui de la CCNUCC, qui a mené à l’Accord de Paris. Nous avons également des mécanismes très ciblés auxquels nous collaborons avec des pays partageant les mêmes vues que nous pour encourager les autres pays à réduire leur demande de combustibles fossiles. Nous pouvons citer l’Alliance Énergiser au-delà du charbon, qui remporte un succès considérable afin de réduire la dépendance au charbon dans le monde; il y a aussi l’Engagement mondial sur le méthane, qui a été signé récemment pour inciter tous les pays à réduire leurs émissions de méthane de 30 % d’ici la fin de la décennie; et il y a bien d’autres exemples encore. Ces activités sont d’une importance capitale pour que nous attaquer réellement au problème d’un point de vue environnemental, mais elles sont également importantes pour que nous n’agissions pas seuls et pour ne pas nuire à la compétitivité de l’économie canadienne.
De même, nous prenons diverses mesures à l’échelle nationale, comme l’a souligné M. Nevison, dont une série de règlements et de mesures de soutien, selon la stratégie de la carotte et du bâton, pour faire diminuer la demande de produits à forte teneur en carbone et émetteurs de carbone, tout en évitant que cela n’ait d’effets néfastes sur les populations vulnérables. Nous voulons favoriser la transition nécessaire dans notre économie pour être concurrentiels dans l’économie mondiale à faibles émissions de carbone à laquelle tout le monde s’attend. Par exemple, pour la tarification du carbone, nous avons pris soin de concevoir notre système de tarification de manière à envoyer un signal sur le marché pour favoriser la décarbonisation de la production et faire baisser la demande de la part des fournisseurs, tout en nuisant le moins possible à notre compétitivité. Je serai heureux de vous en parler davantage, mais je m’arrêterai là pour l’instant.
Le président : Je suis tout à fait favorable à ce que l’on contrôle autant que possible la demande. C’est là-dessus qu’il faut nous concentrer. Mais j’ai l’impression que le gouvernement nous induit parfois en erreur en suggérant qu’il essaie de contrôler l’offre, alors que c’est une perte de temps, parce qu’il s’agit d’un produit international et que l’on ne peut réussir à contrôler que la demande en soi. J’ai l’impression qu’on crée de la confusion dans le public parce que cela semble évidemment très populaire d’essayer de contrôler l’offre, mais c’est probablement une perte de temps et d’argent. Qu’en pensez-vous, rapidement? Soyez très bref, s’il vous plaît.
M. Halucha : Sénateur, il faut tenir compte du fait que ce secteur est une source d’émissions et de combustion, comme l’a indiqué le ministre quand il était ici. C’est souvent de la combustion qu’on discute, mais nos processus de production sont également très intensifs en CO2. Le secteur a fait d’énormes progrès au cours des 25 dernières années pour réduire les émissions liées à sa production, mais elles représentent toujours le quart du total des émissions au Canada. Dans notre ministère, nous avons tendance à ne pas penser à l’approvisionnement en pétrole ou en gaz, mais aux émissions qui proviennent à la fois de la production et de la combustion.
La sénatrice McCallum : J’aimerais aborder les problèmes de chevauchement des compétences auxquels sont confrontées les Premières Nations. Je réfléchis depuis longtemps à ces questions, car les Autochtones souffrent de l’inaction qui en découle. Ils sont pris dans une impasse parce que ni le gouvernement fédéral ni le gouvernement provincial ne veulent légiférer de manière robuste ni s’occuper des conséquences de tout cela sur les gens. En raison du partage des compétences et des responsabilités concernant les ressources en eau et les terres, y a-t-il un risque que certaines questions restent irrésolues à cause de cette confusion juridique, de différends ou d’un manque de financement adéquat? Le cas échéant, comment proposez-vous de remédier à cela?
Mme Hogan : Je vous remercie de cette question, sénatrice McCallum.
À Environnement et Changement climatique Canada, nous travaillons dans une sphère de compétences partagée avec les provinces et les territoires, mais nous sommes aussi, je pense, extrêmement efficaces dans la conception de processus, de groupes de travail et de façons de travailler en collaboration avec les provinces et les territoires. En ce qui concerne les questions climatiques, je peux citer le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques, qui a été adopté en 2016. Il y a également le Conseil canadien des ministres de l’Environnement et toute l’architecture connexe, où les questions liées à la qualité de l’eau et de l’air sont au cœur du travail. Il n’y a pas un jour qui passe sans que les gens de notre ministère collaborent avec les autres ordres de gouvernement et les communautés autochtones, les Premières Nations, les Inuits et les Métis, sur des questions de gestion environnementale, mais il faut du travail et de l’engagement pour faire avancer les choses.
Madame Geller, voulez-vous ajouter quelque chose en tant que sous-ministre adjointe responsable des questions intergouvernementales et de la politique stratégique?
Mme Geller : La seule chose que j’ajouterais à la réponse de la sous-ministre, c’est que nous cherchons également des moyens, tous les jours, de travailler différemment avec les communautés autochtones du Canada. Il y a quelques exemples intéressants que je peux citer. Il y a notre travail avec une nation côtière de la Colombie-Britannique pour mettre en œuvre le règlement sur l’immersion en mer. C’est mon collègue John Moffet qui en est responsable. Il y a aussi notre travail avec les communautés autochtones locales dans le cadre de notre réflexion sur la réglementation des effluents des sables bitumineux. Ce ne sont là que deux exemples de l’évolution dont parlait la sous-ministre dans la façon dont nous interagissons et travaillons en étroite collaboration avec les communautés autochtones de l’ensemble du pays.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup pour les réponses et les informations que vous avez données au comité.
J’aimerais enchaîner avec le projet de loi S-5 et la modernisation de la LCPE. Comme je le disais tout à l’heure au ministre, c’est la pierre angulaire du cadre juridique de prévention de la pollution. Je suis heureuse que le ministre ait dit que nous aurons toujours la possibilité d’interdire certaines substances, comme par le passé, parce qu’elles sont nocives pour la couche d’ozone. J’étais également ravie d’entendre le ministre dire que nous nous engageons à favoriser une économie circulaire et à proposer des incitatifs en ce sens, pour accroître le recyclage et la réutilisation.
À l’article 29 du projet de loi S-5, je me demande s’il y aurait possibilité de favoriser les substances plus sûres pour en remplacer d’autres. Quand nous avons besoin d’une substance toxique, dangereuse ou cancérigène, mais que l’industrie pourrait utiliser des substituts plus sûrs, ne serait-il pas important d’avoir la possibilité de remplacer les substances nocives par des substances plus sûres et que cela soit reconnu dans le nouveau projet de loi? Je vous remercie.
Mme Hogan : Merci, madame la sénatrice. Je demanderai à M. Moffet, qui dirige les travaux du ministère sur le projet de loi S-5, de répondre à votre question.
M. Moffet : Merci, madame la sénatrice. C’est une excellente question, car vous touchez directement le cœur de la prévention de la pollution. Je ferai quelques commentaires en réponse en cela, et j’ai hâte de poursuivre la discussion avec vous et vos collègues sénateurs au fur et à mesure que nous avancerons vers l’adoption du projet de loi S-5.
Premièrement, en ce qui concerne l’interdiction, le projet de loi élargira les pouvoirs d’interdiction plutôt que de les restreindre. À l’heure actuelle, il existe un pouvoir général d’interdiction des substances toxiques, mais l’accent est mis uniquement sur les substances persistantes et bioaccumulables. Nous proposons maintenant d’étendre ce pouvoir à un plus vaste éventail de substances extrêmement préoccupantes, plus particulièrement aux toxines cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, en plus des substances persistantes bioaccumulables. Encore une fois, la portée de ce pouvoir d’interdiction serait beaucoup plus large.
Pour répondre à votre question sur les substituts plus sûrs, nous convenons à 100 % que l’un des défis auxquels le Canada et le reste du monde sont confrontés, c’est que quand nous identifions des substances problématiques, il n’est parfois pas possible de trouver des substances qui pourraient servir de substituts et d’éviter les remplacements malheureux. Nous nous appliquons attentivement avec nos collègues de Santé Canada à entreprendre toutes les activités possibles pour évaluer les diverses catégories de substances, pour repérer le plus grand nombre possible de substances susceptibles de remplir une même fonction et ainsi fournir un choix éclairé aux chaînes d’approvisionnement et aux consommateurs. Nous avons hâte de discuter avec vous de la nécessité de mentionner expressément les substituts plus sûrs dans le projet de loi, dans le cadre de l’étude de ce projet de loi au Sénat.
[Français]
Le sénateur Gignac : Ma question porte sur l’Agence canadienne de l’eau. J’aimerais connaître le mandat et surtout les pouvoirs qui sont envisagés. Votre Stratégie fédérale de développement durable énonce ce qui suit : « Au Canada, la gestion de l’eau douce est une responsabilité partagée entre les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et autochtones ». Un peu plus loin à la page 65, l’on trouve ce qui suit :
Les provinces et les territoires sont responsables des domaines de la gestion et de la protection de l’eau à l’intérieur de leurs frontières [...]
Cela inclut notamment le développement de l’énergie hydroélectrique. Au Québec, la paix des braves a été signée; au fond, le développement des barrages et de l’hydroélectricité se fait en consultation avec les peuples autochtones puisque bien souvent, c’est sur leur territoire aussi. J’aimerais comprendre : une fois que l’agence sera créée, est-ce que cela veut dire que lorsqu’il y aura des projets de développement de barrages hydroélectriques au Québec, le gouvernement fédéral a l’intention d’être un acteur, d’être un intervenant?
Mme Hogan : Merci, sénateur, de votre question. La gestion des ressources d’eau dans un pays aussi grand que le Canada est complexe, c’est certain. Les défis varient en fonction des régions et les solutions peuvent inclure plusieurs sphères de compétence.
[Traduction]
Je souligne qu’il y a déjà des endroits où discuter des questions liées aux projets énergétiques. Comme nous l’avons évoqué plus tôt et comme le ministre l’a dit, ce n’est pas l’orientation première que je verrais prendre l’Agence canadienne de l’eau. Elle se concentrerait plutôt sur la gestion de l’environnement et de l’écosystème. Il pourrait cependant y avoir des contextes dans lesquels elle interviendrait.
Ce que je peux vous dire, c’est que l’agence de l’eau respectera les compétences des autres ordres de gouvernement. L’une de nos préoccupations est de veiller à ne pas dupliquer les fonctions existantes, il faut qu’il y ait une véritable proposition de valeur lorsque la nouvelle Agence canadienne de l’eau sera mise sur pied, il faut qu’elle soit complémentaire à l’architecture de la gestion de l’eau douce au Canada et y ajoute quelque chose de nouveau.
Madame Geller, vouliez-vous ajouter quelque chose? Le bureau de transition qui travaille au projet de l’Agence canadienne de l’eau fait partie de la direction de madame Geller.
Mme Geller : Merci, madame la sous-ministre et monsieur le sénateur.
Je dirai deux choses. Tout d’abord, ce qu’a dit la sous-ministre sur le partage des compétences est tout à fait exact. Nous avons été très clairs à ce sujet, tant dans le document de consultation que nous avons publié que dans la série de réunions bilatérales que nous avons eues avec toutes les provinces et tous les territoires. Oui, nous avons reçu de l’argent dans le budget pour créer un bureau de transition chargé de mener des consultations et d’effectuer une analyse très détaillée de certains éléments fondamentaux comme les données scientifiques (pour répondre à la question précédente du sénateur) afin d’être en mesure de prodiguer des conseils éclairés.
L’autre chose que j’aimerais mentionner, étant donné l’importance de l’eau, c’est qu’il y a également un engagement dans le mandat du ministre, afin de renforcer la protection de l’eau douce au Canada et d’investir davantage en ce sens. C’est l’autre volet des consultations que nous avons menées au cours des 18 derniers mois environ : où le gouvernement fédéral investit-il actuellement pour protéger l’eau douce, comment cela fonctionne-t-il et où verrait-on des possibilités d’améliorer ces investissements et cette protection, indépendamment de la réflexion sur la structure et le mandat d’une agence de l’eau. Merci.
La sénatrice McCallum : Selon un article signé Kyle Bakx et publié en décembre 2021 :
Le gouvernement fédéral a commencé à élaborer un règlement pour permettre aux exploitants de sables bitumineux du Nord de l’Alberta de commencer à rejeter dans l’environnement les eaux résiduelles traitées, chose interdite depuis des décennies.
... les dirigeants de l’industrie et certains scientifiques sont convaincus que ces eaux peuvent être suffisamment traitées pour être rejetées en toute sécurité.
Cette solution est jugée trop coûteuse pour les municipalités et l’industrie, et les groupes autochtones ont déclaré ce qui suit :
Nous ne voulons pas échanger un passif environnemental, soit les bassins de résidus actuels, contre un autre, soit la détérioration potentielle de la qualité de l’eau dans la rivière Athabasca et en aval.
Qu’avez-vous à dire à ce propos?
M. Moffet : Madame la sénatrice, je dois faire une petite précision. Environnement et Changement climatique Canada est engagé dans des discussions avec les gens de l’industrie et avec toutes les communautés autochtones potentiellement touchées par cette question. Le point de départ de ces discussions consiste à déterminer s’il est nécessaire de permettre le rejet de quelque nature que ce soit des bassins de résidus et, le cas échéant, quelles normes devraient être établies afin d’éviter tout risque supplémentaire pour l’environnement ou les communautés environnantes, notamment les communautés autochtones qui dépendent de cette eau.
Nous n’avons pas encore décidé si nous irons de l’avant, et nous sommes en pleine discussion avec toutes les communautés autochtones concernées dans la région sur ces sujets.
La sénatrice McCallum : Merci.
Le président : Merci à tous nos témoins pour leur expertise. C’est très apprécié. Vous avez contribué à nous rendre plus informés. Je vous remercie encore une fois. Nous remercions aussi le ministre. Vous nous reverrez probablement sous peu au sujet d’un autre projet de loi. Passez une bonne journée.
(La séance est levée.)