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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 12 mai 2022

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-5, Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé.

Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je m’appelle Paul Massicotte, sénateur du Québec et président du comité.

Aujourd’hui, nous tenons une séance hybride du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

Avant de commencer, j’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins que vous êtes priés de garder votre micro éteint en tout temps, à moins d’être reconnu par le président. Lorsque vous parlez, veuillez le faire lentement et clairement. Pour ceux qui prennent part à cette réunion au moyen de Zoom, veuillez utiliser la fonction main levée pour demander la parole. Pour les autres personnes présentes dans la salle, je vous demanderais d’indiquer à la greffière votre désir de parler.

J’aimerais rappeler aux honorables sénateurs que, dans le but d’obtenir le plus d’information possible, nous avons composé des panels de trois témoins. Je ferai de mon mieux pour permettre à tous ceux qui veulent poser une question de le faire. Pour y arriver, je vous demande d’être brefs dans vos questions et préambules. Ces instructions s’appliquent également aux experts.

Chaque sénateur aura droit à une question et une question supplémentaire, ou à un suivi de la première. Veuillez également indiquer à qui s’adresse la question.

J’aimerais également rappeler aux témoins qu’ils ont un total de cinq minutes pour faire leur allocution.

Maintenant, j’aimerais présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui : la sénatrice Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest; le sénateur David Arnot, de la Saskatchewan; le sénateur Claude Carignan, c.p., du Québec; la sénatrice Rosa Galvez, du Québec; le sénateur Clément Gignac, du Québec; la sénatrice Mary Jane McCallum, du Manitoba; la sénatrice Julie Miville-Dechêne, du Québec; le sénateur Dennis Glen Patterson, du Nunavut; la sénatrice Judith Seidman, du Québec; la sénatrice Karen Sorensen, de l’Alberta; la sénatrice Josée Verner, c.p., du Québec.

J’aimerais aussi souligner la présence du parrain du projet de loi, le sénateur Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.

Bienvenue à tous, chers collègues, ainsi qu’à tous les Canadiens et Canadiennes qui nous regardent.

Aujourd’hui, nous continuons notre examen du projet de loi S-5, Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé.

Dans le cadre de notre premier panel, nous accueillons, d’Action cancer du sein Québec, Jennifer Beeman, directrice générale, et Lise Parent, biologiste et spécialiste des perturbateurs endocriniens. Nous accueillons aussi, de Women’s Healthy Environments Network, Kanisha Acharya-Patel, directrice générale, et nous accueillons, à titre personnel, Trevor Dummer, professeur associé, Université de la Colombie-Britannique.

Bienvenue à tous et merci d’avoir accepté notre invitation.

[Traduction]

Jennifer Beeman, directrice générale, Action cancer du sein Québec : Je vous remercie sincèrement, sénateurs, de l’invitation à vous faire part de nos commentaires au sujet du projet de loi S-5.

Notre mission, chez Action cancer du sein Québec, est de prévenir le cancer du sein en nous concentrant particulièrement à l’augmentation du risque attribuable aux substances toxiques. Dans nos efforts de sensibilisation, nous faisons valoir qu’une réglementation rigoureuse réduisant l’exposition de toutes les populations aux produits chimiques est la seule façon efficace et équitable de réduire les graves torts que posent les produits chimiques toxiques à la santé. Nous travaillons de près avec une coalition de groupes sur les substances toxiques, y compris la Fondation David Suzuki, qui, à notre grand regret, n’a pas été invitée à comparaître malgré son important travail sur la LCPE, la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, et particulièrement sur le droit à un environnement sain. En outre, nos efforts liés à la LCPE sont appuyés par un large éventail de groupes de femmes et de promotion de la santé du Québec.

Comme le ministre et les représentants de l’industrie l’ont souligné, la LCPE prévoit un système axé sur les risques pour la réglementation des substances toxiques, et le projet de loi S-5 ne change pas ce mode de fonctionnement. Le risque est évalué selon la toxicité inhérente d’un produit chimique par rapport à l’exposition potentielle de l’ensemble de la population. L’hypothèse sous-tend que, plus l’exposition est importante, plus le risque est dangereux et que nous pouvons établir un seuil général d’exposition sécuritaire. Toutefois, toutes les récentes avancées scientifiques démontrent que ces hypothèses sur l’exposition ne sont pas valides. Plus particulièrement, bien souvent, les produits chimiques perturbateurs du système endocrinien ne correspondent pas à une courbe dose-effet linéaire. Dans bien des cas, de minuscules expositions peuvent être beaucoup plus dangereuses et entraîner des effets plus nocifs pour la santé que de plus grandes expositions. Ma collègue Mme Parent pourra répondre à toutes vos questions sur les produits chimiques perturbateurs du système endocrinien.

Les effets de ces substances varient selon le moment de l’exposition et le sexe de la personne. Nous nous inquiétons surtout de ces expositions : dans l’utérus, chez les bébés et les jeunes enfants, à la préadolescence, à l’adolescence, pendant la grossesse et à la ménopause. De plus, différentes tranches de la population ont différents niveaux d’exposition aux produits toxiques, les communautés racialisées subissant les expositions les plus élevées. Il n’est plus valable de croire qu’on peut établir un seuil général qui protégera toute la population.

Tant le ministre que les représentants de l’industrie ont mentionné, parmi de très nombreux risques pour la santé, le bisphénol A, ou BPA, un perturbateur œstrogénique du système endocrinien associé à un risque accru de cancer du sein. L’exposition intra-utérine au BPA soulève de graves préoccupations, et pourtant la substance a seulement été bannie des biberons pour bébés, et non pas du papier thermique, du revêtement des boîtes de conserve alimentaires, des bouteilles d’eau ou d’autres boissons en plastique ou des nombreuses autres sources d’exposition. Les données démontrent clairement que les substances de remplacement, le bisphénol S et le bisphénol F — connues sous les acronymes BPS et BPF — sont tout aussi toxiques. Une étiquette indiquant qu’un produit est « exempt de BPA » ne signifie pas que le produit n’entraîne pas l’exposition toxique à d’autres bisphénols.

Une réglementation beaucoup plus rigoureuse ainsi qu’une volonté politique pour l’appliquer sont nécessaires afin de conserver un système réglementaire pour les substances toxiques axé sur les risques. Les amendements proposés dans le projet de loi S-5 sont un pas dans la bonne direction mais doivent aller plus loin. Nous devons prioriser l’interdiction de substances toxiques très préoccupantes, établir des échéanciers clairs pour l’évaluation du risque et la gestion des produits chimiques toxiques et veiller au remplacement des produits chimiques toxiques par des substances saines.

En matière d’évaluations des risques, nous devons effectuer plus d’évaluations de risques par catégories comme celles visant les plus de 5 000 SPFA, ou substances chimiques éternelles, afin de restreindre d’un seul coup des groupes entiers de produits chimiques dangereux similaires.

La population doit avoir accès aux renseignements sur les matériaux et les ingrédients entrant dans la composition des produits. Il faut imposer des limites aux allégations des compagnies sur les renseignements commerciaux confidentiels qui leur évitent de divulguer la présence de produits chimiques toxiques. La création d’un droit à un environnement sain se fait attendre depuis trop longtemps. Le projet de loi énonce pourtant que les droits environnementaux seraient soupesés avec les intérêts économiques. Cet équilibre pourrait miner notre droit à un environnement sain.

L’industrie croit probablement que notre réglementation en matière de produits chimiques est optimale parce que le système la favorise. La réglementation n’est pas optimale pour protéger la santé humaine et l’environnement. D’autres administrations apportent des changements beaucoup plus rigoureux pour lutter contre l’exposition des humains et de l’environnement aux produits chimiques toxiques. Les initiatives costaudes de l’Europe et de la France en particulier en font des chefs de file.

Le Canada doit rattraper son retard et il peut y arriver — nous pouvons y arriver —, mais, pour ce faire, nous devons renforcer le projet de loi S-5. Nous vous remercions du temps que vous nous avez accordé, et il nous fera plaisir de répondre à toutes vos questions.

[Français]

Le président : Merci. Madame Parent, avez-vous des remarques liminaires?

Lise Parent, biologiste et spécialiste des perturbateurs endocriniens, Action cancer du sein Québec : Je répondrai plutôt aux questions, si vous me le permettez.

[Traduction]

Kanisha Acharya-Patel, directrice générale, Women’s Healthy Environments Network : Bonjour à tous. Je suis ravie d’être ici aujourd’hui pour discuter du projet de loi S-5. je m’appelle Kanisha Acharya-Patel, et je suis la directrice générale du Women’s Healthy Environments Network, ou WHEN.

Notre organisation a rédigé 27 recommandations qui se trouvent dans notre mémoire, mais aux fins de cet exposé, je vais me concentrer sur nos recommandations pour renforcer les dispositions sur l’évaluation du risque dans la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, ou LCPE. Plus précisément, je me prononcerai sur le rôle du ministre à l’article 45, la collecte de données à l’article 68, la consultation des intervenants à l’article 73 et l’application du principe de la prudence à l’article 76.

Notre recherche et nos recommandations s’appuient sur le cadre de l’Analyse comparative entre les sexes Plus, ou ACS+, du ministère fédéral des Femmes et de l’Égalité des genres, ou FEGC, qui met de l’avant l’analyse intersectionnelle. Le cadre de l’ACS+ de FEGC étudie et tente de tenir compte des différents résultats qu’offrent les initiatives fédérales à des groupes diversifiés de femmes, d’hommes et de personnes de diverses identités de genre selon leur sexe, leur genre, leur ethnicité, leur revenu et d’autres facteurs identitaires croisés. Cette approche est très pertinente dans le contexte de la gestion des produits chimiques où les facteurs identitaires — seuls ou combinés — peuvent augmenter l’exposition ou la sensibilité aux substances toxiques.

Les processus d’évaluation et de gestion des risques actuellement prévus dans la LCPE ne tiennent pas adéquatement compte de la façon dont les facteurs identitaires des personnes comme le sexe, le genre, la race, le revenu ou le lieu géographique interagissent et augmentent l’exposition aux substances toxiques des personnes ou leur vulnérabilité aux effets néfastes sur la santé découlant de ces expositions. Par exemple, les différences physiologiques entre les corps des hommes et des femmes font de ces dernières des personnes plus susceptibles de subir des effets néfastes sur la santé des suites d’expositions aux produits chimiques perturbateurs du système endocrinien, surtout pendant des périodes critiques de vulnérabilité comme la puberté ou la grossesse.

Les différences socio-environnementales entre des groupes de personnes, telles que l’emplacement géographique, peuvent entraîner une exposition accrue pour les populations vivant à proximité de la pollution industrielle. Ces populations sont souvent des communautés à faible revenu ou racialisées, ce qui accentue davantage leur vulnérabilité.

L’approche actuelle de la LCPE se sert de données regroupées, soit des données qui sont censées représenter la population générale, pour estimer l’exposition et les risques pour la santé. Cette approche laisse croire, à tort, que les risques environnementaux se répercutent uniformément dans toute la population. Puisque les facteurs identitaires peuvent entraîner une exposition ou une sensibilité accrues comparativement au reste de la population, il est urgent de produire et de recueillir des données de biosurveillance divisées selon les facteurs identitaires et de mener des recherches épidémiologiques tenant compte de ces facteurs.

Nous recommandons que les recherches et les études sur la toxicité d’une substance ou l’influence d’une substance sur les problèmes de santé prennent les populations vulnérables en considération et impliquent la collecte de données divisées en facteurs identitaires afin de cerner les inéquités en santé parfois invisibles dans les données regroupées.

Selon Femmes et Égalité des genres Canada, la collecte de données non regroupées est nécessaire afin de bien effectuer des analyses comparatives entre les sexes plus, et FEGC et Statistique Canada ont récemment élaboré un plan d’action pour les données non regroupées afin de cerner et de combler les lacunes en matière de renseignements. Ce plan d’action pourrait s’avérer une source utile de données non regroupées afin de repérer les sous-groupes de la population qui sont plus susceptibles d’être exposés à des substances toxiques et d’ensuite prendre des mesures pour atténuer ces risques.

Contrairement aux dispositions actuelles sur l’évaluation du risque qui s’appuient sur l’information disponible, le fait d’imposer au ministre la responsabilité de produire et de recueillir des données ainsi que de mener de la recherche permettront de mener des évaluations de risques plus globales puis d’atteindre des résultats inclusifs protégeant les groupes vulnérables.

Il est également important de noter que, en vertu de son mandat, Femmes et Égalité des genres Canada est responsable de diriger la mise en œuvre de l’ACS+ au sein de tous les ministères fédéraux en mettant en commun la recherche, l’expertise en matière de politiques, les conseils d’experts et l’appui stratégique pour l’élaboration de politiques, de programmes et de textes législatifs. Par conséquent, FEGC pourrait jouer un plus grand rôle pour veiller à ce que les processus d’évaluation du risque en vertu de la LCPE tiennent compte des inéquités en santé subies par les populations vulnérables.

L’approche actuelle prévue dans la LCPE pour l’estimation de l’exposition se fonde sur les caractéristiques normatives par défaut du récepteur, qui sont essentiellement les caractéristiques d’une personne hypothétique, exposée à une substance toxique, censée être représentative de la population générale. Cette approche apporte des solutions qui ne protègent pas les tranches de la population qui sont plus à risque que l’ensemble de la population.

WHEN recommande ainsi que, afin d’étudier la toxicité d’une substance ou les effets d’une substance sur une population vulnérable, le ministre pertinent mène une évaluation du risque pour la santé humaine en se servant d’un récepteur humain présentant des caractéristiques physiologiques et socio-environnementales prédéterminées représentatives d’une personne dont l’exposition est maximale. Cette approche a recours à des données non regroupées afin de cerner et de sélectionner des caractéristiques qui pourraient entraîner des expositions plus élevées ou plus fréquentes, des réactions néfastes pour la santé à plus faibles doses ou des effets plus graves pour la santé comparativement à la population générale.

On présumerait que le récepteur humain hypothétique compterait toutes ces caractéristiques afin de garantir que les risques ne soient pas sous-estimés. Cette approche pêche par excès de prudence afin de veiller à ce que les substances toxiques soient réglementées pour protéger tout le monde, y compris les communautés les plus vulnérables. Elle s’harmonise avec la responsabilité du gouvernement en vertu du paragraphe 2(1) de la LCPE de protéger l’environnement et la santé humaine, d’appliquer le principe de prudence et de prévenir la pollution.

Bien que le projet de loi S-5 propose des amendements majeurs pour la protection des populations vulnérables, son efficacité est minée par la nature discrétionnaire des dispositions et par le manque de précision quant à la façon dont on tiendra compte des populations vulnérables dans la prise de décisions. Le projet de loi fournit néanmoins une occasion au gouvernement d’opérationnaliser son engagement de protéger les populations vulnérables en mettant en œuvre une approche intersectorielle — supervisée par Femmes et Égalité des genres Canada — pour les évaluations du risque lié aux produits chimiques.

Je vous remercie de votre temps et de votre attention. Il me fera plaisir de répondre à vos questions.

Trevor Dummer, professeur associé, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Bonjour. Je m’appelle Trevor Dummer, et je suis professeur associé à l’École de la population et de la santé publique de l’Université de la Colombie-Britannique où je suis aussi titulaire de la chaire en prévention primaire du cancer de la Société canadienne du cancer. Mes intérêts et ma recherche portent précisément sur la façon dont l’environnement cause le cancer et sur les moyens pour réduire plus efficacement les risques et l’incidence de la maladie.

La version révisée de la LCPE énonce clairement que toute personne a le droit à un environnement sain. Je suis tout à fait d’accord. Je crois qu’il s’agit d’un droit fondamental pour toutes les personnes et tous les êtres humains. La grande question est la suivante : comment atteindre ce but? J’ai quelques commentaires et réflexions sur la façon dont le projet de loi peut être amélioré pour réaliser cet objectif.

Je crois qu’un environnement sain dépend de nombreux facteurs, mais les substances nocives pour la santé occupent une place centrale. À cet égard, il est important de reconnaître que les produits chimiques nocifs peuvent soit être des contaminants dont la présence est naturelle dans l’environnement, soit des contaminants introduits dans l’environnement par les humains et leurs activités. Cette distinction est importante en raison de la façon dont nous abordons la surveillance, l’évaluation et l’atténuation de ces différents types de contaminants. Il est primordial que l’application de la loi — qui est, à mon avis, le pilier d’une bonne protection environnementale — nous amène à nous concentrer sur les pollueurs et à composer de la façon la plus appropriée qui soit avec les produits chimiques et les substances nocives pour la santé. Ce faisant, il est fondamental d’adopter une approche préventive par rapport aux produits chimiques dans l’environnement.

Il est tout aussi important de nous attaquer aux substances présentes naturellement dans l’environnement, par exemple l’arsenic et le radon qui sont des substances cancérigènes bien reconnues que l’on retrouve dans des points névralgiques du Canada et dont on ne traite pas adéquatement dans la réglementation actuelle. Je crois donc que des actions ciblées pour les zones d’exposition et de risques sont cruciales.

J’aimerais aussi souligner deux éléments qui ont trait aux recherches et à l’amélioration des activités de surveillance, en particulier par rapport à l’exigence de mener des études de biosurveillance. Je crois qu’ils sont essentiels à l’atteinte des objectifs énoncés dans la LCPE et qu’il faut les améliorer et les renforcer.

Tout d’abord, j’aimerais souligner l’importance de continuellement évaluer le fardeau et les effets des expositions multiples et cumulatives pour la santé humaine. Nous devons adopter ce que nous appelons maintenant dans le milieu scientifique une approche axée sur l’exposome. Il s’agit d’une évaluation qui quantifie les expositions multiples et les voies d’exposition multiples plutôt que d’adopter la méthode d’évaluation du risque plus traditionnelle qui consiste à étudier une substance à la fois. Cette approche serait facilitée si notre infrastructure de recherche était améliorée au Canada, en particulier dans le domaine de la biosurveillance. Je ne fais pas nécessairement référence à la recherche qui est déjà bien rodée pour déceler les produits chimiques et les substances chez les personnes, mais plutôt à l’infrastructure pour recueillir et réunir différents échantillons biologiques de personnes de partout au pays.

C’est ce qui m’amène à mon dernier point. Nos capacités de biosurveillance actuelles sont freinées par des contraintes au Canada. L’Enquête canadienne sur les mesures de la santé, ou ECMS, est importante, mais elle n’inclut pas les communautés autochtones, et les échantillons biologiques recueillis dans le cadre de cette enquête se limitent au sang et à l’urine. Ils ne constituent pas nécessairement les meilleurs échantillons pour tous les types de produits chimiques, en particulier pour cerner les marqueurs biologiques d’une exposition de plus longue durée. On ne pourrait pas se contenter de simplement appliquer l’ECMS à plus de substances ou de groupes sociaux.

Il nous faut plutôt un système pouvant englober plus généralement les tranches de la population canadienne et toutes les personnes. Nous avons besoin de données longitudinales pour un certain nombre de personnes, comme des évaluations et des mesures répétées d’exposition aux produits chimiques chez les mêmes personnes, afin de faire des comparaisons judicieuses au fil du temps. Il nous faut aussi des systèmes qui tiennent compte plus fidèlement des expositions multiples et qui peuvent être liés à d’autres renseignements sur l’environnement et la santé, le but étant d’adopter une approche holistique pour l’évaluation du risque beaucoup plus axée sur l’exposome. Je ne crois pas que nous devions bâtir de nouvelles infrastructures ou de nouveaux systèmes de surveillance; je pense que nous pouvons améliorer des systèmes existants.

Le Partenariat canadien pour la santé de demain, par exemple, aussi connu sous l’acronyme CanPath, est la plus grande cohorte longitudinale en matière de santé de la population, avec 300 000 Canadiens ou plus. Cette ressource longitudinale pourrait servir à la biosurveillance des expositions chez les individus avec suffisamment de soutien et de financement. D’autres cohortes et d’autres infrastructures au pays pourraient également être mobilisées à cette fin. Je ne crois donc pas qu’il soit nécessairement essentiel de créer de nouvelles ressources. Cela dit, nous devons soutenir, améliorer et mieux utiliser celles que nous avons déjà.

Nous devrions aussi réfléchir à la façon dont nos infrastructures de recherche pourraient nous aider à cibler les expositions connues ou certaines populations prioritaires. Dans cet esprit, j’estime qu’il est particulièrement important que nous travaillions de concert avec les groupes autochtones pour veiller à ce qu’ils soient inclus de la bonne façon dans le processus en respectant, bien sûr, les principes PCAP des Premières Nations en matière de propriété, de contrôle, d’accès et de possession de données et de renseignements.

Je serai heureux de répondre à vos questions de vous envoyer un résumé de ce que je viens de dire, si cela peut vous intéresser ou vous être utile. Merci beaucoup.

[Français]

Le président : Merci, monsieur Dummer. C’est très apprécié. Nous allons commencer nos questions en donnant la parole au parrain du projet de loi, le sénateur Kutcher.

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : Merci. Ma question s’adresse principalement à M. Dummer et à Mme Parent. Je tiens à remercier chaleureusement tous les témoins de leurs témoignages. Je suis au fait de certaines des recherches de M. Dummer et de Mme Parent.

Santé Canada procède déjà à des évaluations toxicologiques et à la biosurveillance. L’Enquête canadienne sur les mesures de santé est le principal outil utilisé à cette fin, mais sa capacité est incroyablement limitée en raison de son caractère périodique, transversal, et aussi en raison de la très petite quantité d’échantillons. Nous ne disposons pas d’une infrastructure nationale de recherche en santé environnementale qui offre des programmes. Il existe diverses études, comme l’étude de CanPath, mais il n’en existe pas qu’une seule.

Vous avez parlé de la nécessité d’avoir des cohortes longitudinales multigénérationnelles et des biobanques. Certains ont aussi soulevé l’enjeu de la toxicogénomique. Des ensembles de données ouverts permettraient d’effectuer des analyses d’interférence causale. Le projet de loi S-5 augmentera considérablement la demande pour ce type de travail, même dans son état actuel. Que devrait faire le Canada pour être en mesure de mener correctement des recherches toxicologiques et de la biosurveillance, et comment devrait-il procéder? Faudrait-il augmenter la capacité scientifique de Santé Canada? Devrait-on créer des réseaux nationaux pour la recherche en santé environnementale? Qu’en pensez-vous?

M. Dummer : Merci. Ces questions sont fort importantes. Nous avons une infrastructure pour ce genre de choses, mais vous avez raison : l’ECMS est un outil transversal. Comme l’ont dit les autres témoins, il nous faut inclure toutes les populations. De toute évidence, il faut avoir recours aux échantillons, car il est impossible de tester tout le monde. Nous devons cela dit veiller à avoir un échantillonnage adéquat représentant diverses populations au Canada. C’est la première étape.

Je ne prétends pas qu’il faille nécessairement créer de nouvelles cohortes. Vous avez fait référence à la cohorte de CanPath. Cet outil est utile pour les adultes, tout comme l’Étude longitudinale canadienne sur le vieillissement, qui s’adresse aux adultes plus âgés. Son objectif est de relever des enjeux liés au vieillissement chez les adultes d’un certain âge. Il existe aussi l’étude Mirex, qui elle porte sur les enfants. En ce qui concerne ce qui manque — vous avez demandé s’il existait un réseau —, je crois que nous avons besoin d’une sorte d’institut ou d’un réseau. Cela pourrait se faire au sein des Instituts de recherche en santé au Canada — ou IRSC — ou ailleurs, mais cela permettrait de réunir les diverses initiatives.

Nos expériences scientifiques fonctionnent très bien. Je pense qu’une partie de l’infrastructure nécessaire pour ces dernières est plus fragmentaire, mais cela est dû au financement. Les subventions de recherche ne financent pas le recrutement de participants aux études de biosurveillance. Il nous faut utiliser ce que nous avons déjà; nous disposons déjà de bonnes ressources, mais vous avez raison de dire que la demande va augmenter. La science nous permet de faire notre travail, mais je crois que nous avons besoin d’une sorte d’institut au sein des IRSC ou potentiellement lié à Santé Canada, par exemple. Il devrait servir à la science et être assis sur ces bases pour que nous puissions rassembler certaines des infrastructures existantes.

Le sénateur Kutcher : Est-ce que Mme Parent souhaiterait ajouter quelque chose?

[Français]

Mme Parent : Je suis tout à fait d’accord avec M. Dummer. Il existe actuellement, au Québec, un centre de recherche dont les activités s’étendent au Canada et à l’échelle l’internationale, du nom de Centre intersectoriel d’analyse des perturbateurs endocriniens (CIAPE). Ce centre analyse les perturbateurs endocriniens et leurs impacts sur la santé humaine, mais aussi sur l’environnement. On voit donc apparaître des regroupements de recherche. Effectivement, il faut trouver le financement qui permettra d’étudier tous les aspects et de relever les défis que pose l’impact des polluants sur la santé humaine et sur l’environnement.

D’autre part, étant donné que le fardeau de la preuve repose sur les gouvernements, je crois qu’il faudrait augmenter les ressources des gouvernements afin de faire les suivis et de disposer des connaissances de façon plus appropriée sur l’état des lieux et l’effet des substances chimiques sur la santé humaine, sans oublier l’environnement.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à Mmes Beeman et Parent. Je sais que vous êtes bilingues, vous pouvez bien sûr répondre dans la langue de votre choix.

Je m’intéresse aussi aux perturbateurs endocriniens. Vous semblez dire que l’Europe est en avance sur nous pour ce qui est de l’interdiction et de la limitation de substances comme le BPA dans la production de produits chimiques. J’aimerais que vous fassiez une comparaison à cet effet.

On parle maintenant de populations vulnérables. Est-ce que cela signifie que les femmes enceintes devraient être considérées comme faisant partie des populations vulnérables, étant donné les risques pour le fœtus?

Mme Beeman : J’inviterais Lise à répondre à la question, puisqu’elle connaît bien ce qui se passe en France, et je pourrai compléter.

Mme Parent : En ce qui concerne la réglementation, en France et en Europe, on parle d’une réglementation que l’on appelle REACH. C’est une autre façon d’aborder les problèmes de gestion des pesticides. Plus encore, il y a des programmes qui sont adoptés par l’Assemblée nationale, et puis la France est très active et est un précurseur en Europe de la question des perturbateurs endocriniens, entre autres, parce que dès 2014, elle a mis en place la première Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens qui a été adoptée par le gouvernement français. Puis cela a aussi été fait par la Suède et le Danemark, c’est une première à l’échelle mondiale.

Que fait cette stratégie, finalement? Elle a été créée pour réduire l’exposition de la population et de l’environnement aux perturbateurs endocriniens. Ce n’est pas tellement sorcier comme système, il s’agit de promouvoir l’innovation verte dans le monde des affaires, de renforcer les capacités d’analyse et d’évaluation des substances, d’amener le sujet à l’échelle européenne pour avoir des mesures qui seront communes, puis surtout et toujours, d’améliorer l’information du public, tant à la maison que sur les lieux de travail. Cela a entraîné la création de la stratégie no 2 sur les perturbateurs endocriniens, en 2018, qui a aussi été adoptée par la Commission européenne. Tout cela est basé sur le programme One Health, une approche « une seule santé », qui s’appuie sur l’idée que la santé des écosystèmes est indissociable de la santé humaine et animale. Réduire la présence des perturbateurs endocriniens dans l’environnement nécessite de collecter des données sur l’imprégnation des différents milieux pour pouvoir agir à la source.

Il y a toutes sortes d’autres mesures qui sont prises, qui peuvent paraître simples, mais elles permettent de communiquer, de sensibiliser et de faire en sorte que tout le monde est au courant de ce qui se passe. Il y a, par exemple, l’opération Zéro Phtalates qui a été organisée dans plusieurs villes en France — à Paris, à Strasbourg — et qui vise à prélever trois centimètres d’un cheveu des élus municipaux et d’analyser différents métabolismes des phtalates. C’est une opération qui permet de voir que tout le monde — même si on prenait des échantillons, ici, autour de la table —, a dans son corps 100 à 300 substances chimiques dont plusieurs perturbateurs endocriniens; ce sont des substances qui n’existaient pas il y a 50 à 60 ans. Alors, on est une première génération à être touchée.

J’espère que je réponds à votre question. Je laisserais Mme Beeman vous parler de vulnérabilité.

Mme Beeman : En ce qui concerne la spécificité de la période de la grossesse, à la fois pour la personne enceinte et pour des expositions in utero, il est clair que cela constitue une population vulnérable.

Tous les pas vers l’avant dans la prise en compte des populations vulnérables sont vraiment fondamentaux, parce que cela varie tellement, selon les dimensions sociales et économiques ou bien physiologiques. Certaines populations ont des niveaux de vulnérabilité beaucoup plus importants. Donc, absolument, la grossesse fait partie des facteurs de vulnérabilité.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une brève sous-question.

Vous avez mentionné en particulier les PBA. Est-ce que vous considérez qu’ils devraient être complètement interdits, et surtout, y a-t-il une alternative, parce que vous semblez dire que les autres produits sont tout aussi toxiques?

Mme Beeman : Nous, à Action cancer du sein Québec, nous tournons très souvent vers l’Endocrine Society, aux États-Unis, pour obtenir de l’information sur les perturbateurs endocriniens. La société vient de sortir une étude sur le BPA qui s’appelle Update on the Health Effects of Bisphenol A: Overwelming Evidence of Harm.

Il faut refaire l’évaluation du risque associé aux BPA et regarder les substituts qui sont utilisés. Il s’agit d’un perturbateur endocrinien œstrogénique qui touche tellement d’aspects du développement des êtres humains, de maladies et de conditions. Ce qui est intéressant, c’est de voir les industries qui vont de l’avant et qui la remplacent au moyen de vraies substitutions sécuritaires; par exemple, dans le papier thermique qui dépend du BPA, mais qui est très souvent remplacé par le BPS. Il y a des options qui existent. Il y a des industries qui le prennent très au sérieux et qui trouvent une alternative, et c’est possible. Il s’agit vraiment d’une question : il faut absolument revoir l’évaluation du risque du BPA, parce que l’exposition est trop importante et l’impact est trop grave.

La sénatrice Miville-Dechêne : Pourriez-vous, madame, nous envoyer l’étude dont vous avez parlé? Est-ce qu’on pourrait avoir la référence?

Mme Beeman : Avec plaisir, je peux vous envoyer notre dossier sur les BPA.

[Traduction]

La sénatrice Galvez : J’ai une question pour Mme Beeman et une autre pour Mme Acharya-Patel.

Le gouvernement a décidé de conserver son approche actuelle en matière d’évaluation des risques. Si nous en proposions une nouvelle, elle serait jugée hors de portée. Nous ne pouvons pas faire cela.

D’un autre côté, il nous aura fallu 20 ans pour en arriver à réviser ce projet de loi. J’espère que vous comprenez à quel point il est important que nous l’amendions de la meilleure façon qui soit, car Dieu sait quand nous pourrons le réviser à nouveau.

Madame Beeman, au bénéfice de mes collègues, j’aimerais que vous nous fassiez part de certaines statistiques sur les effets sur la santé. Que perdons-nous en matière de capacités et d’aptitudes lorsque nous sommes exposés à des substances telles que les produits chimiques éternels et les perturbateurs endocriniens dont vous avez parlé?

Mme Beeman : C’est toute une question. Je suis complètement d’accord pour dire que ce projet de loi est important. Le système demeure, mais le projet de loi S-5 doit être renforcé. Votre travail est extrêmement important et nous sommes très honorés de participer au processus. C’est si important pour tous les groupes impliqués. Tant de groupes se sentent concernés par ces travaux, alors je vous remercie de votre rigueur.

Pour ce qui est des effets sur la santé, de nombreuses évaluations ont été réalisées sur l’immense impact. Les perturbateurs endocriniens nous préoccupent particulièrement. Je suis certaine que M. Dummer dispose de nombreuses ressources pour connaître les impacts de l’exposition à ces produits chimiques et pour savoir si cela peut avoir une incidence économique. Une large étude a été menée — je n’ai pas la référence exacte, mais je peux vous la trouver ultérieurement — sur l’impact économique et neurologique des expositions in utero aux perturbateurs endocriniens en faisant référence au TDAH, ainsi qu’aux liens possibles avec l’autisme et avec toute une série d’impacts neurologiques et économiques pour ceux qui, par exemple, ne peuvent conserver un emploi ou encore dépendent de services. À tous les égards, les impacts économiques ne concernent pas seulement l’industrie, mais aussi les individus. Ce n’est là qu’un exemple d’impacts très réels.

Pour une raison quelconque, parce qu’il ne s’agit pas de maladies contagieuses — il s’agit de maladies ou de conditions chroniques —, nous n’agissons pas avec l’urgence qu’il se doit. Nous les endurons; les familles s’adaptent. Nous composons avec le cancer du sein; c’est maintenant considéré comme une maladie chronique, et pourtant tant de femmes en souffrent. Le cancer du sein est l’un des cancers hormono-dépendants associés aux produits chimiques de type perturbateurs endocriniens, tout comme le cancer de l’utérus, des ovaires, de la thyroïde, de la prostate et des testicules. Le système médical et les gens composent avec la situation. La Société canadienne du cancer fait un travail exceptionnel, mais le problème ne devrait pas être d’une telle ampleur. Malgré cela, nous ne réagissons pas.

Beaucoup de travail a été fait en France sur les produits chimiques de type perturbateurs endocriniens, ce qui a mené au mouvement social populaire Villes et territoires sans perturbateurs endocriniens. Plus de 100 villes ont signé une charte. Paris fait partie des signataires. Un mouvement a découlé de tout cela et il existe une réelle indignation, contrairement à ce que nous voyons ici. Nous espérons donc que le projet de loi S-5, avec ces travaux, permettra de sensibiliser la population à cet enjeu, et encouragera les discussions — publiques, espérons-le — sur ce qu’il vise à empêcher.

La sénatrice Galvez : Merci, madame Beeman.

Madame Acharya-Patel, nous devons utiliser ces évaluations des risques, et vous avez raison de dire que nous n’envisageons pas l’exposition des populations vulnérables. Nous utilisons un récepteur général, soit une personne générale. Je n’entre pas dans cette généralisation, n’étant pas un homme blanc de 60 kg.

Des scientifiques du monde entier ont recueilli bien des renseignements toxicologiques. Cela dit, nous n’avons pas suffisamment d’information sur les impacts cumulatifs et sur les vulnérabilités de certaines populations. Si nous désirons adopter une approche prudente, ne devrions-nous pas envisager le pire scénario, et donc concentrer notre expertise sur certains projets afin d’évaluer réellement ces effets cumulatifs lors des évaluations des risques? Quel risque est jugé acceptable en vertu de la loi actuelle? Merci.

Mme Acharya-Patel : Je vous remercie de votre question. Pour ce qui est des impacts cumulatifs, je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il s’agit d’un grave problème pour les populations vulnérables, qui, en raison de divers facteurs identitaires, font face à différents types d’expositions provenant de diverses sources. Lorsque nous devons composer avec de multiples facteurs identitaires, nous devenons et restons plus vulnérables.

En ce qui concerne les évaluations des risques, WHEN préconise entre autres la collecte de renseignements. Nous devons certes recueillir des données de biosurveillance et mener des recherches épidémiologiques qui se concentrent sur les femmes et les autres populations vulnérables, mais il nous faut aussi augmenter le financement, recueillir plus de données et mener davantage de recherches. Si nous utilisons la science pour nous guider dans les évaluations des risques, elle doit inclure toutes les populations, ce qui n’est présentement pas le cas.

Si l’on souhaite adopter une approche prudente, la seule réelle option serait d’adopter une approche qui renverserait le fardeau de la preuve. Il incomberait ainsi à l’industrie de démontrer que ses produits sont sécuritaires ou encore qu’elle a mené des recherches adéquates pour garantir qu’il n’existe aucune solution de rechange plus sécuritaire. Cela dit, comme nous gardons un processus axé sur les risques, nous devons veiller à ce qu’il inclue réellement les populations vulnérables.

Afin d’aider le gouvernement à cibler les milieux sur lesquels se concentrer pour faire enquête sur les populations vulnérables, nous recommandons, dans la recommandation 22, de modifier la définition des populations vulnérables afin d’énumérer spécifiquement ceux qui en font partie, y compris les nourrissons, les enfants, les adolescents et les femmes — incluant les femmes enceintes et celles se trouvant dans un stade de vulnérabilité critique. Il s’agit d’un point très important, car les paramètres toxicologiques des femmes diffèrent souvent de ceux des hommes en raison de leurs différences physiologiques, et ces paramètres sont encore plus réduits durant certaines périodes de vulnérabilité critique, qui peuvent survenir dès la puberté.

La sénatrice Seidman : Je remercie chaleureusement les témoins d’être parmi nous ce matin. Vous nous avez sérieusement donné beaucoup de matière à réflexion, y compris sur l’enjeu du risque de toxines métaboliques endocriniennes. Il est assez ahurissant d’imaginer que rien n’a été fait de façon concrète malgré toute la preuve recueillie au fil des ans. Vous avez déjà abordé cet enjeu, ainsi j’aimerais poser une question sur un autre sujet.

La semaine dernière, des témoins nous ont parlé de l’importance d’inclure une substitution sécuritaire dans le projet de loi S-5. L’une des recommandations du Women’s Healthy Environments Network, parmi les mesures d’atténuation des risques visant à contrôler la présence de substances dans notre environnement, est la substitution sécuritaire, c’est-à-dire le développement et l’utilisation d’autres options plus sécuritaires qui devraient être mandatées dans la LCPE.

J’aimerais que la représentante du Women’s Healthy Environments Network nous en dise plus à cet égard. D’autres témoins ont aussi abordé ce sujet. Merci.

Mme Acharya-Patel : Pardonnez-moi, madame la sénatrice, mais pourriez-vous répéter l’essence de votre question?

La sénatrice Seidman : Oui, ma question portait sur la substitution sécuritaire. Vous avez une recommandation à cet égard dans vos mesures d’atténuation des risques. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? L’article 68 traite de cet enjeu jusqu’à un certain point, mais est-ce suffisant? Merci.

Mme Acharya-Patel : Le Comité permanent de l’environnement et du développement durable, ou ENVI, avait également recommandé de rendre obligatoire la substitution sécuritaire dans ses recommandations visant à améliorer la LCPE en 2017. Cela démontre qu’il y a une intention législative d’améliorer les processus de gestion des risques pour veiller à ce que les substances très préoccupantes soient au moins examinées pour garantir l’utilisation d’options plus sécuritaires, si possible.

Cela dit, avec le projet de loi actuel, on ne se fierait qu’à l’information disponible, ce qui créerait une approche passive pour les recherches sur la substitution sécuritaire. Women’s Healthy Environments Network, ou WHEN, recommande que le gouvernement adopte une approche active, lui qui a présentement la responsabilité de démontrer le caractère sécuritaire des produits chimiques. Nous recommandons de rendre obligatoire la substitution sécuritaire, et que, lorsqu’il démontre l’évaluation de la chose, le ministre explique le raisonnement derrière la recherche menée, mais aussi comment cette dernière se rapporte aux populations vulnérables, la façon dont elle a été réalisée et comment elle sera utilisée dans le cadre d’une approche prudente fondée sur le poids de la preuve, ce qui est requis dans la loi.

La sénatrice Seidman : « Afin de déterminer si une substance [...] est effectivement ou potentiellement toxique... » Voilà comment débute l’article 68, avant de décliner une liste de différentes choses. Dans cette liste, on dit notamment que le ministre peut recueillir des données sans limiter le développement et l’utilisation de solutions de rechange à la substance.

J’aimerais savoir si cela suffit. Je ne crois pas que ce soit le cas. Il s’agit d’une déclaration assez générale. Comment pourrions-nous couvrir ce que nous demandons?

Mme Acharya-Patel : Le libellé « le ministre peut » inscrit à l’article 68 octroie au ministre un pouvoir très discrétionnaire. Cela veut dire qu’il lui revient entièrement de décider quelles sont les priorités, et s’il décide que la substance n’est pas assez toxique, que le niveau d’exposition n’est pas assez élevé ou que la substance est préoccupante, alors il peut sauter l’étape de la recherche de solutions de rechange plus sécuritaires.

Nous recommandons donc d’inclure des exigences explicites à l’article 68(a), à savoir sur la nécessité de tenir compte de l’analyse comparative entre les sexes plus ou, pour être plus précis, de la façon dont l’interaction du sexe et du genre avec d’autres facteurs identitaires peut avoir des répercussions sur l’exposition ou la vulnérabilité.

Cela nous ramène aux quatre exigences de l’ACS+, qui comprennent la collecte de données, la consultation et l’examen des facteurs de vulnérabilité, et enfin l’utilisation de cette information pour définir les mesures d’atténuation. Ces dernières devraient inclure la substitution éclairée obligatoire, qui a pour but d’éliminer les substances dangereuses ou de les remplacer par des solutions de rechange plus sécuritaires.

Il est important de faire la différence entre une substitution éclairée et une substitution regrettable. Une substitution regrettable, c’est exactement ce dont ma collègue, Mme Beeman, a parlé, à savoir le fait de remplacer une substance toxique par une substance tout aussi préoccupante, sinon plus. Une telle chose peut servir à démontrer que l’on a fait des recherches sur des solutions de rechange potentiellement plus sécuritaires, mais sans recherche démontrant que cette option est réellement plus sécuritaire pour la santé des populations, y compris nos populations les plus vulnérables, l’efficacité de la substitution est discutable.

Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse à Mme Acharya-Patel et fait suite aux questions des sénatrices Galvez et Seidman.

Vous dites que l’utilisation de données agrégées ne convient pas et qu’il faut utiliser des données désagrégées pour des populations vulnérables précises. Par ailleurs, vous envisagez une norme d’évaluation de la santé humaine qui tient compte des caractéristiques de la personne hypothétique la plus vulnérable.

Je prends bonne note de votre exposé très complet et de vos 27 recommandations. J’aimerais que vous approfondissiez toute question que vous n’avez pas eu l’occasion d’aborder, notamment celle de savoir pourquoi les fonctionnaires du ministère résistent à certaines de ces idées, qui semblent relever du bon sens, et pourquoi vous croyez que cette résistance est tout à fait déplacée.

Mme Acharya-Patel : À mon avis, la façon dont la LCPE est administrée et gérée est hautement discrétionnaire, et c’est un problème qui a touché à peu près toutes les lois environnementales au Canada, dont les dispositions laissent au ministre beaucoup de marge de manœuvre. Ce pouvoir discrétionnaire englobe l’équilibre entre les objectifs des lois environnementales et d’autres facteurs, y compris les intérêts économiques. Comme le révèlent des décennies de données, les intérêts économiques l’emportent encore sur les intérêts environnementaux. C’est pourquoi il est nécessaire de réduire le pouvoir discrétionnaire accordé au ministre en vertu de la LCPE.

À cette fin, il faut modifier le libellé du projet de loi en remplaçant des mots comme « peut » par « doit » ou « le ministre peut » par « le ministre doit » afin de s’assurer que ces facteurs sont réellement pris en considération. Il faut définir davantage ce que signifie l’expression « tenir compte des populations vulnérables ». C’est pourquoi j’estime qu’il est important de préciser que les données recueillies et les recherches effectuées seront désagrégées en fonction des populations vulnérables.

Si vous voulez en savoir plus sur les pratiques exemplaires, sachez que les directives sur l’évaluation des risques pour la santé humaine proviennent du document British Columbia Guidance for Prospective Human Health Risk Assessment, qui évalue des substances et qui contient beaucoup de conseils sur la façon dont le gouvernement du Canada peut mettre en œuvre une évaluation des risques pour la santé humaine qui tient réellement compte des populations les plus vulnérables, en s’assurant que la personne hypothétique qui est protégée dans le cadre de l’évaluation des risques est celle qui connaît les vulnérabilités les plus intersectionnelles.

Le sénateur Arnot : Je voudrais donner à la témoin une autre chance d’approfondir tout ce qu’elle n’a pas eu l’occasion d’aborder

Mme Acharya-Patel : Merci. J’aimerais en fait parler de quelque chose que je n’ai pas eu l’occasion de mentionner à la sénatrice Galvez.

Nous proposons, à la recommandation 21, que la définition de « risque acceptable » soit ajoutée au paragraphe 3(1) de la LCPE. À défaut de quoi, l’expression « risque acceptable » peut être interprétée de bien des façons sans que la définition soit expliquée. Elle peut être utilisée pour dire essentiellement que tout risque est acceptable, ce qui est le cas dans le processus actuel.

Nous recommandons donc que le « risque acceptable » soit défini ainsi :

[...] il existe une certitude raisonnable qu’aucun dommage à la santé humaine, aux générations futures, aux populations vulnérables ou à l’environnement ne résultera de l’exposition à une substance ou de sa fabrication, de sa transformation de son importation, de son utilisation ou de son émission [...]

Il est important que la détermination du « risque acceptable » repose sur des données et des recherches intersectionnelles.

La sénatrice Anderson : Ma question s’adresse à Mme Acharya-Patel.

Vous avez parlé du cadre d’analyse comparative entre les sexes plus, ou ACS+. Je n’ai pas entendu de discussions sur le racisme environnemental ou les sites contaminés où vivent les Autochtones, les personnes racialisées et les Canadiens à faible revenu, ni sur l’établissement de liens entre la race, le statut socioéconomique et l’exposition aux risques environnementaux.

Sachant que l’espérance de vie chez les Premières Nations, les Métis et les Inuits est de 75 ans, ce qui est bien inférieur à celle des non-Autochtones au Canada, pouvez-vous me dire quels efforts sont déployés pour repérer le racisme environnemental?

Mme Acharya-Patel : Je vous remercie de cette question. Je tiens à répéter qu’il y a peut-être d’autres témoins qui se spécialisent dans la collecte d’information sur la santé des Autochtones et les populations autochtones.

Quoi qu’il en soit, comme vous pouvez le constater à l’annexe A de mon mémoire, j’ai fait une étude de cas sur la Chemical Valley, c’est-à-dire la vallée des produits chimiques, qui se trouve près de Sarnia et qui a des effets négatifs sur la santé de la Première Nation Aamjiwnaang.

En ce qui a trait au racisme environnemental, à mon avis, le principal aspect de la vulnérabilité se rapporte à la géographie. Il faudrait donc ajouter à la LCPE la définition de « point chaud de pollution ». On entend par là, en somme, un lieu géographique où les émissions de substances dans l’air, les décharges dans l’eau ou les dépôts sur la terre provenant de sources précises peuvent exposer les populations locales à des risques élevés pour la santé lorsqu’on les compare séparément ou cumulativement à d’autres sources avoisinantes.

Si les données recueillies sont subdivisées en fonction du lieu géographique, nous pourrons repérer les endroits où les expositions ou les effets néfastes sur la santé sont particulièrement élevés, et ces données pourront ensuite servir à définir des mesures d’atténuation pour contrer ces risques.

Plus précisément, le ministre pourrait exiger que les installations industrielles de la région élaborent des plans de prévention de la pollution afin de ramener leurs émissions à un niveau relativement comparable à celui d’une collectivité située loin de la pollution industrielle, le but étant d’utiliser une approche équitable en matière de lutte contre la pollution.

La sénatrice Anderson : Pouvez-vous me dire si cela s’applique aux sites historiques ou abandonnés? Le problème qui se pose, c’est l’absence de responsabilité à l’égard des sites abandonnés. Quel serait le processus pour ce genre de sites?

Mme Acharya-Patel : Honnêtement, je ne le sais pas, mais je serai heureuse de faire des recherches plus poussées et de vous envoyer la réponse plus tard. Pour l’instant, la LCPE n’exige pas que l’on tienne compte des effets d’un lieu géographique sur les populations vulnérables et elle ne précise pas comment les sites devraient être surveillés selon les différents taux de pollution d’une région à l’autre.

Le président : J’ai une question pour Mme Acharya-Patel. Lorsque nous voyons toutes les recommandations que vous avez formulées — et cela vaut aussi pour Mme Beeman —, elles nous semblent très logiques, mais nous ne sommes pas des experts.

Quelle est la réaction des fonctionnaires de Santé Canada lorsque vous vous entretenez avec eux? Comment réagissent-ils à vos observations? Le sénateur Arnot a déjà soulevé cette question. Sont-ils ouverts aux opinions divergentes, ou sont-ils plutôt sur la défensive? Quelle est leur réaction? Pourquoi en est-il ainsi? Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Mme Acharya-Patel : Je pense que les fonctionnaires de Santé Canada et d’Environnement et Changement climatique Canada sont certainement ouverts à l’idée d’apporter certains de ces changements. Votre observation sur les conseils d’experts met justement en lumière un problème qui entrave l’amélioration de la LCPE, d’où l’importance de consulter divers intervenants au moment de renforcer le projet de loi. On pourrait consulter, entre autres, des groupes de promotion de la santé des femmes, des groupes de promotion de la santé des Autochtones et différentes sources de preuves et de recherches afin de prendre une décision éclairée. Cette démarche est d’ailleurs conforme à l’approche fondée sur le poids de la preuve qui est prévue par la LCPE.

Je dirais que Santé Canada prend des mesures pour essayer d’améliorer ses processus d’évaluation aux termes de la LCPE. À l’heure actuelle, le ministère dirige plusieurs laboratoires d’analyse des politiques afin de consulter différents groupes sur la façon d’améliorer la transparence de la chaîne d’approvisionnement, par exemple, ou l’étiquetage des produits dangereux.

Selon moi, bon nombre des problèmes de Santé Canada et d’Environnement et Changement climatique Canada découlent du fardeau qui leur est imposé, parce que ces deux ministères doivent effectuer toute la recherche et toute la collecte de données, sans que l’industrie n’assume une part de responsabilité. À cette fin, je dirais que, sur le plan de l’acquisition de données, l’industrie devrait jouer un certain rôle dans la tenue de recherches et d’enquêtes. Les trois ministères — à savoir Santé Canada, Environnement et Changement climatique Canada, et Femmes et Égalité des genres Canada — pourront intervenir par la suite pour cerner les lacunes en matière de données ou de recherches, prendre des mesures pour combler ces lacunes et, au bout du compte, utiliser cet ensemble complet de preuves pour orienter le processus d’évaluation des risques.

Santé Canada et Environnement et Changement climatique Canada doivent prendre soin d’appliquer de manière concrète une approche préventive pour s’assurer qu’aucune substance préoccupante n’est homologuée tant qu’il n’existe pas de certitude raisonnable qu’aucun dommage ne sera causé.

Mme Beeman : J’ajouterais que l’enjeu réside, très clairement, comme plusieurs personnes l’ont déjà mentionné, dans la nécessité d’accroître les ressources. Tant Environnement et Changement climatique Canada que Santé Canada auront besoin de ressources et de compétences supplémentaires pour assumer leurs nouvelles responsabilités en vue d’examiner toutes ces questions. C’est complexe, mais l’expertise nécessaire existe déjà au Canada. Toutefois, les deux ministères auront besoin de ressources à cet égard.

[Français]

Le président : Nous remercions nos témoins et nos experts pour les conseils et les connaissances qu’ils ont partagés avec nous.

Merci à Mme Jennifer Beeman, directrice générale, Action cancer du sein Québec et Lise Parent, biologiste et spécialiste des perturbateurs endocriniens, ainsi qu’à Mme Kanisha Acharya-Patella du Women’s Healthy Environments Network. Merci à M. Trevor Dummer, professeur associé à l’Université de la Colombie-Britannique, qui a comparu à titre personnel.

[Traduction]

Merci beaucoup à vous tous. Il va sans dire que vos connaissances seront sérieusement prises en considération. Nous vous en sommes très reconnaissants. Merci.

[Français]

Pour notre deuxième panel, nous accueillons la présidente de Prevent Cancer Now, Meg Sears, et de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement, Dre Ojistoh Horn, médecin et membre du conseil d’administration. Nous accueillons aussi, à titre personnel, M. Jeff Brook, professeur adjoint à la Dalla Lana School of Public Health de l’Université de Toronto.

Bienvenue à tous et merci d’avoir accepté notre invitation.

[Traduction]

Meg Sears, présidente, Prevent Cancer Now : Je vous remercie de m’avoir cordialement invitée à prendre part au renforcement de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement de 1999. Je m’appelle Meg Sears, et je suis une scientifique qui parle au nom de Prevent Cancer Now. Il s’agit d’une organisation nationale qui vise à stopper le cancer avant qu’il n’apparaisse, en mettant l’accent sur les expositions qui contribuent au cancer et à d’autres maladies chroniques. Cela comprend de nombreuses substances réglementées en vertu de la LCPE.

Nous participons depuis longtemps à des consultations en présentant des analyses scientifiques pour les plans de gestion des produits chimiques et l’examen de la LCPE. Nous accueillons favorablement les nombreuses modifications proposées dans le projet de loi S-5, notamment le droit à un environnement sain. Les modifications actuelles aident à faire entrer la LCPE dans les années 2010, mais l’augmentation des maladies liées à l’environnement, le déclin de la biodiversité, le chaos climatique et l’exposition à de nouvelles substances exigent d’autres dispositions pour 2022 et au-delà.

Nous devons nous tourner vers l’Europe pour voir à l’œuvre une réglementation progressiste des produits chimiques. Le 25 avril, la Commission européenne a publié sa feuille de route sur les produits chimiques pour assurer la durabilité. À notre avis, ce qui est inacceptable en Europe devrait l’être aussi au Canada. Par exemple, le Canada limite les produits chimiques en fonction de leur persistance, de leur cancérogénicité, de leur pouvoir mutagène et de leur toxicité pour la reproduction. Or, l’Europe évalue également les perturbateurs du système endocrinien et les substances qui sont toxiques pour les systèmes immunitaire, nerveux et respiratoire, ou pour des organes précis. Il est scientifiquement judicieux d’élargir les paramètres réglementaires, mais encore faut-il utiliser des paramètres issus de nouvelles méthodologies si nous tenons à réduire les essais sur les animaux.

L’Europe s’attaque à des groupes de substances. Les produits chimiques à usage restreint peuvent comporter des centaines de substances similaires, et nous devons éviter celles qui présentent une toxicité similaire. Par exemple, la récente Enquête canadienne sur les mesures de la santé a fait état d’une diminution des niveaux de bisphénol A plastique dans les études de biosurveillance, sans toutefois évaluer d’autres perturbateurs endocriniens de type bisphénol qui sont couramment utilisés ou qui présentent une toxicité similaire.

L’évaluation des solutions de rechange vise à recenser des pratiques exemplaires et à cerner ces options toxiques. Une perspective climatique permettrait de tenir compte des répercussions tout au long du cycle de vie. De plus, la prise en compte du caractère essentiel, comme c’est le cas en Europe, nous donnerait l’option de nous passer d’un produit. Un cadre axé sur le principe de substitution pourrait également aider à opérationnaliser les réponses aux initiatives, notamment la restriction des articles en plastique.

Lorsque le gouvernement du Canada autorise la mise en marché d’une nouvelle substance, il part de l’hypothèse que cette substance sera sans danger. Si l’on approuve une nouvelle substance en tenant compte des besoins, mais en utilisant des données limitées sur l’innocuité, on en est encore, tout compte fait, au stade expérimental. Par conséquent, d’un point de vue éthique, il faut faire preuve de prudence et surveiller cette hypothèse pour prendre des mesures correctives précoces, si cela s’avère nécessaire. Le Canada dispose de peu de moyens pour établir des liens entre les expositions environnementales et les maladies ou les incapacités ultérieures. Nous discutons, dans notre mémoire, de la nécessité de recueillir des données et d’effectuer des recherches sans lien de dépendance avec l’industrie et le gouvernement.

Nous proposons également l’ajout d’une disposition dans le projet de loi S-5 concernant un nouvel agent environnemental bioactif qui connaît une croissance rapide. En effet, nous nous joignons à d’autres groupes et à des centaines de scientifiques et de médecins du monde entier qui s’inquiètent du rayonnement des radiofréquences utilisées dans les technologies de télécommunications sans fil. Chose surprenante, les effets environnementaux de cette pollution ne sont pas évalués, surveillés ou réglementés aux termes des lois canadiennes et ne font pas l’objet de recherches par Environnement et Changement climatique Canada. Le rayonnement des radiofréquences est toxique pour toutes les espèces étudiées et peut amplifier la toxicité des produits chimiques. Cela représente une lacune importante en matière de protection environnementale.

Nous recommandons de modifier l’article 44 de la LCPE pour permettre l’étude de cette question, tout en signalant qu’il existe un substitut remarquable. Les câbles à fibres optiques n’émettent aucun rayonnement de radiofréquences, mais ils offrent une plus grande largeur de bande, sont plus rapides, plus sécuritaires, plus résilients et consomment moins d’énergie que les infrastructures sans fil.

En conclusion, nous appuyons le projet de loi S-5, mais nous recommandons de renforcer davantage la LCPE pour relever les défis des années 2020, notamment en adoptant les priorités européennes pour protéger la santé humaine et l’environnement au Canada. Nous appuyons également les amendements proposés par l’Association canadienne du droit de l’environnement et d’autres organismes en rapport avec nos priorités. Je vous remercie de votre travail acharné pour assurer un avenir sain. Nous voulons apporter notre aide, et je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Tout à l’heure, j’ai oublié de présenter Jane McArthur, directrice pour la campagne des substances toxiques de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement. Veuillez m’en excuser.

Dre Ojistoh Horn, médecin et membre du conseil d’administration de l’ACME, Association canadienne des médecins pour l’environnement : Bonjour. Merci, honorables membres du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je suis membre du clan de l’ours des communautés Haudenosaunee de Kahnawake et d’Akwesasne.

Je travaille comme médecin communautaire depuis 14 ans et je suis membre du conseil d’administration de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement, également connue sous l’acronyme ACME. Je suis accompagnée aujourd’hui de Jane McArthur, directrice pour la campagne des substances toxiques de l’ACME. Aujourd’hui, j’aimerais vous parler de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, qui est actuellement à l’étude.

Pour commencer, j’aimerais attirer votre attention sur le mémoire produit conjointement par Ecojustice, l’ACME, Environmental Defence, la Fondation David Suzuki et Action cancer du sein Québec. Notre mémoire présente six points visant à combler les lacunes dans les dispositions législatives actuelles, lacunes qui ont déjà été soulignées dans les interventions précédentes : le droit à un environnement plus sain; l’interdiction des toxines particulièrement préoccupantes; l’évaluation des risques cumulatifs pour l’environnement et la santé humaine; l’établissement d’échéanciers clairs pour l’évaluation des substances jugées toxiques et l’intégration d’une substitution sécuritaire dans le Plan de gestion des produits chimiques; enfin, la mise en œuvre de protocoles qui améliorent la transparence en ce qui concerne l’évaluation des substances. J’aimerais maintenant décrire les lacunes en matière de réglementation et de capacité qui doivent également être comblées.

En 2012, quatre avocates de la Saskatchewan ont attiré l’attention de tous sur la Loi canadienne sur la protection de l’environnement et la Loi canadienne sur les eaux navigables, créant ainsi le mouvement Idle No More. J’ai alors appris trois choses. Premièrement, les communautés et les terres autochtones ne sont pas aussi bien protégées par la Loi canadienne sur la protection de l’environnement que les autres communautés au Canada. C’est ce qu’on appelle une lacune en matière de réglementation, et ce phénomène montre comment les gouvernements provinciaux ne sont pas en mesure de faire appliquer cette loi sur les terres publiques et autochtones, qui relèvent généralement du fédéral.

Deuxièmement, nos communautés ne disposent pas des ressources humaines et logistiques nécessaires pour soutenir les outils nécessaires pour former, planifier, tester, surveiller et appliquer les normes de protection de l’environnement; c’est ce qu’on décrit comme une lacune en matière de capacité. La perte d’accès aux terres et aux eaux polluées, les effets de la pollution sur la santé et l’incapacité à tenir les pollueurs responsables sont autant de préjudices qui rendent difficile l’épanouissement de nos communautés.

En tant que médecin autochtone engagée dans ma communauté, je suis consciente des effets à long terme des toxines persistantes dans la terre, l’eau, l’air, le sol, les poissons, les plantes et la faune qui entourent nos foyers. En 1979, une couverture du magazine Maclean’s décrivait l’île Cornwall, un district d’Akwesasne, comme une île impropre à la vie humaine ou animale. Entourée de six sites industriels, on y a constaté l’omniprésence dans l’environnement de nombreux produits chimiques, dont des HAP, des BPC, des dioxines, de la fluorine et du mercure. Des mesures effectuées sur nos cheveux, notre salive, notre urine, notre lait maternel, notre sang et notre peau ont permis de démontrer que ces produits chimiques étaient présents dans tout notre corps.

L’environnement a été jugé nocif pour la santé et les Haudenosaunee d’Akwesasne ont appris qu’ils ne pouvaient plus manger le poisson de leurs eaux, les produits de leurs jardins, les fruits de leurs arbres, la viande de leurs vaches et de leurs porcs, les remèdes des forêts, le miel de leurs rayons et le lait du sein de leur mère. Les premiers bébés nourris au sein ont reçu la plus forte dose de BPC. On a expliqué à la population que, dans une vingtaine d’années, certaines personnes commenceraient à développer des maladies inhabituelles.

Les enfants qui jouaient dans les effluents des industries, qui se couvraient le corps et faisaient semblant d’être des hommes de boue, sont aujourd’hui dans la quarantaine, la cinquantaine ou la soixantaine. Deux décennies plus tard, je constate qu’un grand nombre de personnes sont atteintes de cancers à un stade avancé, de maladies auto-immunes, de dépression et d’autres troubles de l’humeur, ainsi que de troubles de la cognition et du système nerveux. Le cas d’Akwesasne se répète partout au Canada. Notre peuple a généralement reçu des soins primaires mal coordonnés et mal financés. Nous avons dû supporter un fardeau disproportionné de facteurs de risque environnementaux qui nous ont rendus très malades.

En tant que médecins, nous sommes également censés appliquer les principes de la médecine fondée sur des preuves. Ce principe est problématique, car de nombreux Autochtones, et d’autres personnes défavorisées touchées de manière disproportionnée par la pollution environnementale, ne participent habituellement pas à la production de ces preuves. Je travaille donc sous les auspices d’une médecine qui s’appuie sur des preuves qu’elle génère.

De nombreuses cultures autochtones mettent l’accent sur la responsabilité d’être des protecteurs de la Terre, de la maintenir en bonne santé afin que les générations futures de toute la création puissent survivre et prospérer. Travaillons ensemble, en assumant chacun notre rôle particulier, afin de nous acquitter de notre responsabilité collective pour l’avenir. Vous devez envisager de combler toutes les lacunes décrites dans le mémoire que nous avons soumis au Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup. Madame McArthur, voulez-vous ajouter rapidement quelque chose?

Jane McArthur, directrice pour la campagne des substances toxiques, Association canadienne des médecins pour l’environnement : Merci beaucoup d’avoir posé la question. Non, la Dre Horn a bien représenté l’ACME et notre point de vue. Merci.

Jeff Brook, professeur adjoint, Université de Toronto, Dalla Lana School of Public Health, à titre personnel : Bonjour à tous. C’est un honneur pour moi de comparaître aujourd’hui devant le comité sénatorial. Je m’adresse à vous depuis Midland, en Ontario, ville située sur le territoire traditionnel et visé par un traité du peuple Anishinabek. Je suis professeur adjoint à la Dalla Lana School of Public Health de l’Université de Toronto. Auparavant, j’étais chercheur scientifique à Environnement et Changement climatique Canada, où je travaillais sur la santé environnementale en étroite collaboration avec des scientifiques et Santé Canada.

J’ai lancé et je dirige le Canadian Urban Environmental Health Research Consortium, le CANUE, et le volet environnemental de l’étude de la CHILD Cohort Study, qui suit des enfants canadiens depuis leur naissance, il y a plus de 10 ans. Je travaille aussi sur les questions liées à la pollution atmosphérique pour la Première Nation de Fort McKay, qui est située au cœur des sables bitumineux.

Je tiens à féliciter le comité sénatorial permanent d’avoir entrepris la tâche essentielle de renforcer la LCPE. Ce règlement a constitué et continue de constituer un instrument d’une portée considérable pour la protection de l’environnement et de la santé humaine. Un grand nombre des changements proposés sont des améliorations qui seront bien accueillies et qui pourraient renforcer la protection.

La protection exige évidemment l’application de la loi, et les échéances significatives vont souvent à l’encontre des motifs des pollueurs ou d’autres intervenants qui tirent profit du statu quo. Les mesures les plus prudentes, y compris l’adoption du principe de précaution, peuvent même aller à l’encontre des échéanciers d’autres pays, ce qui rend plus difficile pour un petit pays comme le Canada de faire cavalier seul. Mais le Canada doit continuer de faire preuve de leadership à l’échelle internationale. J’ai quatre points à soumettre au comité aujourd’hui, qui ont tous trait à la protection de la santé humaine.

L’approche de la gestion fondée sur le risque reste la seule voie possible. Au fil des ans, depuis l’entrée en vigueur de la LCPE, les connaissances scientifiques se sont considérablement accrues. Voilà clairement l’une des raisons pour lesquelles cette loi doit être mise à jour. On peut toutefois soutenir que les progrès de la science ont entraîné de nouvelles questions sur la façon de mesurer les risques, comme d’autres l’ont dit aujourd’hui, et ce dont nous parlons en termes de risques. Quelles sont les choses auxquelles nous attachons de l’importance et que nous essayons de protéger et d’éviter? La cancérogénicité, le pouvoir mutagène, la neurotoxicité et la perturbation des systèmes reproducteur et endocrinien sont des préoccupations sérieuses. Cependant, nous constatons de plus en plus que les outils permettant de les mesurer font défaut, en particulier dans le cas d’expositions à faible dose et à long terme, des conditions auxquelles les Canadiens sont de plus en plus confrontés.

D’autres outils sont disponibles, et leur rôle dans la définition du risque de toxicité doit être pris en compte dans le cadre d’une LCPE améliorée. Par exemple, avec l’évolution rapide du monde des sciences omiques, comment devons-nous classer les risques de changements subtils de l’expression des gènes, tels qu’ils sont perçus par l’intermédiaire de la protéomique ou de la métabolomique, et dont nous ne connaissons pas encore les conséquences à long terme? Qu’en est-il des mélanges de produits chimiques? Les réponses à ces questions sont complexes, et la LCPE doit donc être suffisamment souple pour suivre l’évolution des idées. Il est clair que ces mesures de la réponse biologique s’appliquent à tous les organismes.

Si l’on examine de près les personnes et les populations au niveau macro, ce qui est sans doute la seule façon d’évaluer le risque d’une exposition à faible dose et à long terme, on constate que le Canada et une grande partie du monde développé connaissent une épidémie de maladies chroniques. Plus les chercheurs étudient la question, plus ils découvrent que l’exposition aux produits chimiques peut jouer un rôle. Nous devons adopter une approche claire, par l’entremise de la LCPE, pour reconnaître le risque de maladie chronique, lui accorder l’importance nécessaire et mettre en place une évaluation des risques et une réglementation adéquates.

Songez au rôle énorme que joue un facteur de risque comme l’hypertension dans [Difficultés techniques]. Elle figure parmi les trois principaux facteurs de risque de mortalité prématurée ou d’années de vie corrigées en fonction d’une incapacité au Canada et dans le monde. L’exposition à des produits chimiques comme des phtalates est liée à une augmentation de l’hypertension. Ce n’est qu’un produit chimique parmi tous ceux dont nous avons entendu parler aujourd’hui. La pollution atmosphérique, notamment les MP2,5, est également liée à l’hypertension. La pollution atmosphérique et certains produits chimiques sont liés à l’incidence du diabète de type 2 et de l’asthme infantile, d’autres maladies courantes et de plus en plus chroniques.

La LCPE renforcée devra fournir un moyen mûrement réfléchi d’envisager de nouvelles mesures du risque en tirant parti des connaissances actuelles. L’évolution du risque de maladie chronique est importante et un certain type de recherche est nécessaire pour élaborer une approche viable.

Mon deuxième point concerne le manque de capacité de surveillance et de recherche. La communauté canadienne est de petite taille et fragmentée. Cette situation ne nous est pas favorable. Il faudra du temps pour la développer, et il ne sera pas suffisant d’y consacrer des fonds. Nous devons consacrer des efforts soutenus au développement d’un personnel hautement qualifié grâce à des formations à tous les niveaux d’enseignement. Pour cela, nous devons d’abord envoyer des signaux à la communauté universitaire. Au Sud de la frontière, il s’agit des National Institutes of Health dont le National Institute of Environmental Health Sciences, les NIEHS. Bien que l’on puisse toujours faire plus de recherches, la qualité, le rythme et la quantité des recherches effectuées aux États-Unis sont enviables. Une grande partie des connaissances et de l’expertise a été acquise grâce aux programmes des NIEHS, ce qui a permis de créer une capacité importante.

Les Instituts de recherche en santé du Canada comptent 13 instituts et la plupart d’entre eux, sinon tous, étudient les risques environnementaux. Mais le caractère limité des ressources fait que cette question ne constitue une priorité pour aucun d’entre eux. La compréhension de ces risques exige également que l’on accorde de l’attention à l’évaluation de l’exposition. L’exposition n’a sa place dans aucun des Instituts de recherche en santé du Canada ou des trois conseils. Il est grand temps que les Instituts de recherche en santé du Canada et le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada s’unissent pour créer un programme permanent et bien financé sur la santé environnementale, au même titre que les autres programmes hautement prioritaires. Comme nous l’avons entendu aujourd’hui, une grande partie du travail essentiel a été effectuée par les ministères fédéraux. Ils doivent participer à ce type de programme motivé par la LCPE renforcée, étant donné que l’un de ses objectifs est l’obtention de données scientifiques pertinentes pour les politiques.

Le troisième point concerne les outils de recherche et de surveillance. Pour ce qui est des substances chimiques présentes dans l’environnement, qui comprennent les espaces extérieurs et intérieurs, il existe des infrastructures. L’air extérieur et l’eau font l’objet d’une surveillance relativement à certains produits chimiques, et ce, de façon assez régulière dans le temps. Une biosurveillance régulière, comme celle effectuée dans le cadre de l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé, est menée, mais il convient de déterminer dans quelle mesure ces données sont utilisées et dans quelle mesure elles répondent à nos besoins.

Pour ce qui est de la recherche sur les risques et du repérage des expositions sans danger, l’une des principales lacunes est la capacité d’entreprendre des études longitudinales représentatives de la population. Pour ce faire, nous devons disposer de données riches sur les expositions, les phénotypes et les facteurs de confusion au sein des populations qui donnent leur consentement à la réalisation de recherches sur la santé, par exemple en utilisant au moins les dossiers médicaux des provinces. Nous devons disposer de ressources stables pour entretenir des cohortes couvrant l’ensemble du cycle de vie, du stade prénatal à la vieillesse. La LCPE doit reconnaître l’importance de ce type de surveillance. Cette démarche est fragmentaire au Canada et continue d’entraver les connaissances sur les générations, car la LCPE doit s’appuyer sur une génération de travail sur les populations ayant donné leur consentement. Il s’agit d’infrastructures essentielles pour faire avancer la science et garantir le respect des droits des populations à un environnement sain.

Quatrièmement, des réglementations géographiquement ciblées doivent traiter les points chauds de la pollution. Ces mesures pourraient renforcer la LCPE et contribuer à garantir le respect des droits des personnes. Je crois que nous savons tous que cette question engendre souvent des injustices environnementales ou du racisme. Les populations autochtones du Canada sont souvent l’une des populations les plus vulnérables, comme nous venons de l’entendre. Mais elles ne sont pas seules. Une LCPE renforcée devra clairement indiquer dans quelles circonstances il faudra agir en priorité et ne pas se contenter de mener davantage de recherches.

Les personnes touchées, même si elles ne représentent qu’un petit nombre de personnes, ne peuvent pas être sacrifiées au nom des coûts ou des gains économiques. Comment la LCPE va-t-elle imposer la prise de mesures, l’application de la loi et le respect des délais dans ces cas? L’existence de la justice environnementale doit être reconnue et priorisée dans la LCPE afin de vraiment assurer l’égalité des droits, peu importe la complexité de la question et de la situation.

Je vous remercie de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions dans la mesure de mes connaissances.

Le président : Merci.

Le sénateur Patterson : Ma question s’adresse à Mme Sears.

Vous avez dit dans vos commentaires que l’ensemble des effets sur la santé et l’environnement du rayonnement ambiant des radiofréquences n’est pas évalué, surveillé ou réglementé par une loi canadienne. J’ai effectué une recherche rapide et j’ai vu que Santé Canada a publié des directives sur les limites d’exposition appelées Code de sécurité 6. Cependant, je suppose que, puisque vous nous demandez de modifier la LCPE pour inclure des recherches et des études supplémentaires, vous estimez que ces directives sont inadéquates. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi?

Mme Sears : Merci pour cette question. Le Code de sécurité 6 s’applique aux expositions subies par les humains, et il est basé sur des durées d’exposition de six minutes. Certaines personnes craignent que le Code de sécurité 6 ne protège pas la santé des êtres humains, mais je laisse cette question de côté pour l’instant, car lorsque nous avons examiné le cadre réglementaire relatif aux oiseaux, aux abeilles et à divers insectes, nous avons constaté que tous les types de biote, à l’exception des êtres humains, étaient affectés par le rayonnement des radiofréquences. Aucune évaluation n’a été faite, et ce fait a été confirmé par Environnement et Changement climatique Canada. Ils n’effectuent aucune recherche sur ce sujet. Nous avons donc remis au Sénat un livre blanc portant précisément sur cette question.

Il existe des règlements. Il y a la Loi sur les dispositifs émettant des rayonnements. Cette dernière et ses règlements font en fait référence à la LCPE, à la Loi sur les espèces en péril et à d’autres lois environnementales, qui ne contiennent absolument rien sur ce sujet. On admet que les espèces non humaines devraient bénéficier d’une certaine protection environnementale, mais rien n’est prévu. Il n’y a aucune disposition à ce sujet.

En 2018, la revue The Lancet Planetary Health a publié des recherches montrant que les expositions environnementales — les pics d’exposition, qui sont en quelque sorte les balles qui sortent du fusil, et qui sont donc importantes — ont été multipliées par un facteur d’un trillion, soit 1 suivi de 18 zéros. Il est inimaginable de voir à quel point les rayonnements ont augmenté, et ces derniers peuvent aussi interagir avec les produits chimiques. Ils peuvent amplifier les effets de la toxicité des produits chimiques. Ainsi, alors que nous constatons une diminution rapide des populations d’insectes, d’oiseaux et d’autres petits animaux sauvages, et que nous attribuons ce phénomène aux insecticides et aux produits chimiques, il est tout à fait probable que le rayonnement des radiofréquences contribue de manière importante à la perte de biodiversité que nous observons actuellement.

Le sénateur Patterson : Je trouve très intéressant qu’une exposition de six minutes selon le Code de sécurité 6 ne reflète pas du tout la réalité, car beaucoup de nos connexions du dernier kilomètre dans les communautés sont sans fil et subissent une exposition quasi constante.

Madame Sears, vous avez mentionné les plantes, les animaux et les insectes. Pourriez-vous fournir au comité des données sur les effets nocifs de ces radiofréquences sur les plantes et les animaux, y compris les insectes?

Mme Sears : Dans le livre blanc, on parle d’un examen très approfondi. Par exemple, certaines fréquences ont tendance à nuire davantage aux insectes, car leur longueur d’onde est semblable à la taille de l’insecte. Il se produit une résonance, ce qui modifie assurément le comportement de l’insecte.

Le sénateur Patterson : Qu’en est-il des arbres?

Mme Sears : Des recherches ont révélé que les arbres commencent à mourir du côté le plus proche de l’antenne, puis l’arbre entier peut mourir lentement. Ce phénomène a été observé à l’échelle internationale dans tous les pays où des recherches ont été menées. Nous constatons ces effets sur les arbres, les oiseaux, les abeilles et toutes les espèces qui ont été étudiées de manière adéquate dans des environnements ambiants dans le monde naturel — et donc pas nécessairement dans des laboratoires ou dans le cadre d’études de laboratoire — y compris à des niveaux bien inférieurs à ceux du Code de sécurité 6.

Des effets ont également été observés chez les insectes et les oiseaux, mais pas chez les êtres humains, en raison de différences physiologiques.

Le sénateur Kutcher : Merci à tous les témoins. Je dois avouer aux membres du comité que j’ai le mauvais pressentiment que notre législation ne peut tout simplement pas suivre le rythme auquel progresse l’expogénétique.

J’ai des questions pour M. Brook et Mme Sears. Des témoins nous ont parlé de la capacité insuffisante du pays à assurer la biosurveillance des répercussions intergénérationnelles des substances, tant à long terme que pour les groupes vulnérables, de même que de la mise en banque de matériel biologique et de l’incapacité d’obtenir des données pour effectuer des analyses inférentielles informelles, qui sont d’une importance majeure pour prévoir la causalité.

Le projet de loi S-5 viendra augmenter les demandes faites à un système déjà vacillant. Pouvez-vous tous les deux fournir des recommandations précises au comité qui pourraient inciter le Canada à se doter d’une capacité de recherche on ne peut plus nécessaire et fiable pour traiter les questions actuelles? J’invite également les autres témoins à se prononcer.

M. Brook : Merci pour cette question, sénateur. Je crois que votre interprétation est juste quant à la capacité limitée dans ces domaines, et on en parle également du point de vue des ministères fédéraux, de ce qu’ils font et de leur ouverture à cet égard. C’est tout à fait vrai, mais ils sont déjà débordés.

Comme je l’ai fait remarquer, il ne s’agit pas uniquement d’y injecter des fonds aujourd’hui. Nous n’avons pas les talents ni les compétences nécessaires pour œuvrer dans ces domaines. Donc, il faut commencer par former les bons experts et montrer que l’intérêt pour cet effort et sa valeur est soutenu.

Comme je l’ai fait remarquer, je crois qu’il faut que cela émane d’une plus grande reconnaissance de la discipline de la santé environnementale, de l’étude de l’exposition aux substances toxiques et de l’utilisation de celle-ci dans le cadre de ces questions de sciences appliquées très importantes associées aux politiques. Donc, je vous dirais qu’il faut que cela émane d’un meilleur développement de la santé environnementale au sein des IRSC.

J’ai moi-même conçu le Canadian Urban Environmental Health Research Consortium, ou CANUE, grâce à un programme ponctuel de cinq ans des IRSC sur l’environnement et la santé, une initiative de prestige. Après, il n’y a plus rien eu. C’est seulement dans le cadre de ce programme que l’on a réuni les deux volets. Ensuite, plus rien. Donc, les propositions qui portent sur des recherches en santé environnementale sont constamment rejetées par les IRSC ou le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada parce qu’elles n’entrent pas dans les petites cases établies. Pour aller de l’avant, il doit y avoir un plus grand effort réunissant plusieurs conseils afin de mettre cette discipline en valeur, de commencer à former les bonnes personnes et de commencer à créer les ressources nécessaires aux aspects très coûteux de la biosurveillance. Il n’y a donc pas de solution facile; il faut commencer par envoyer les bons signaux aux cohortes qui sont formées aujourd’hui.

Le sénateur Kutcher : Madame Sears, pourrais-je connaître votre opinion là-dessus?

Mme Sears : Merci beaucoup pour cette question.

Je suis entièrement d’accord avec M. Brook. J’ai déjà eu le privilège de recevoir une bourse des IRSC pour une recherche sur les métaux toxiques. Oui, c’était dans le cadre d’une année faste où il y a carrément eu une demande de recherche, mais il n’était pas possible de faire de suivi. Donc, cela s’est produit pour des raisons qui me sont inconnues, mais ce n’était absolument pas un effort soutenu.

Beaucoup de gens travaillent en vase clos, dans des hôpitaux ou d’autres lieux du genre; ils ont une certaine expertise, mais nous avons besoin d’un effort national en matière de formation et de ressources si nous voulons recueillir des données durant une longue période.

En Europe, c’est l’inverse, puisqu’on y a concrètement l’objectif de réduire la quantité et la diversité de produits chimiques rejetés dans l’environnement. Les pays européens estiment qu’il s’agit là d’une obligation imposée par les changements climatiques, mais aussi d’une obligation de santé publique, car, d’après le nombre de produits chimiques et de variables, l’ampleur de l’incertitude rend le problème quasi insoluble. Ils essaient de simplifier le système afin de le rendre beaucoup plus gérable du point de vue de la toxicité et de la recherche, et leur capacité est de loin supérieure à la nôtre.

La sénatrice Galvez : Ma question s’adresse à Mme Sears et à la Dre Horn.

Dans nos discussions avec un très grand nombre de scientifiques à propos du projet de loi S-5, il semble y avoir consensus sur ce projet de loi qui, bien qu’il se fonde sur une approche préventive, est en fait bien timide. Il s’agit essentiellement de réduire la pollution, donc de permettre la production de pollution, dont on atténue ensuite les effets. On y a aussi fait référence en ce qui a trait à l’hypothèse de départ voulant qu’un composé est un produit, et qu’il revient au gouvernement de prouver le contraire.

Actuellement, on peut lire ce qui suit à l’article 3 du projet de loi S-5 :

[...] appliquer le principe de la prudence, si bien qu’en cas de risques de dommages graves ou irréversibles à l’environnement, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement [...]

Toutefois, dans leurs décisions, les tribunaux ont montré qu’ils accordent de la valeur à l’approche préventive et qu’elle a plus de poids, déclarant que ce ne devrait pas être rentable et que l’on devrait insister davantage sur la prudence et la protection de la santé.

Ma question pour vous est la suivante : trouvez-vous acceptable l’inclusion du principe de rentabilité? Merci.

Mme Sears : Merci beaucoup. C’est une pomme de discorde depuis un bon moment, car la rentabilité s’applique à l’industrie. « Est-ce que je peux fabriquer ce produit de plastique avec un type différent de plastique et n’est-ce pas trop coûteux? » C’est en quelque sorte l’essence de la rentabilité. Mais nous sortons à peine d’une pandémie. Nous savons ce qu’il en coûte quand les gens sont malades. Le Canada mine son potentiel avec des maladies chroniques qui sont là avant même la naissance de l’enfant. En éliminant un cas de cancer au sein de notre réseau de la santé, on pourrait très bien payer les coûts applicables à une meilleure bouteille d’eau. La rentabilité n’est pas adéquatement mise en pratique. La marge est très mince pour l’industrie, mais elle ne tient pas compte des coûts pour la société et pour le gouvernement.

La sénatrice Galvez : Merci.

Dre Horn : Je ne peux me prononcer qu’en tant que médecin en milieu communautaire. Comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, nous devons souvent œuvrer selon les principes de la médecine fondée sur les preuves, et de grands pans de la médecine autochtone n’entrent pas dans la composition de ces preuves. La médecine fondée sur leurs preuves est merveilleuse si votre population correspond aux preuves et fait partie des critères qui y sont applicables, mais nous ne sommes jamais inclus.

Quand j’ai recours à la médecine fondée sur les preuves, en vérité, je passe à côté de beaucoup de cas à un stade très précoce parce que les patients sont trop jeunes et ne correspondent pas aux preuves. Puisque beaucoup de nos communautés ne bénéficient pas de soins primaires, nous attendons longtemps et avons des maladies très graves quand elles sont diagnostiquées. Alors, il est souvent trop tard. Quand je demande certains tests, je n’ai pas le droit d’opter pour certaines choses, parce que cela ne correspond pas aux preuves, et donc, n’est pas couvert.

Aussi, les écoles de médecine ne nous fournissent pas de description bien précise de la façon d’aborder l’évaluation, la surveillance de ces produits chimiques dans notre corps. L’Association canadienne des médecins pour l’environnement se penche d’ailleurs là-dessus, pour voir de quelle façon nous pouvons enseigner à nos travailleurs de première ligne, aux médecins sur le terrain qui reçoivent en consultation les patients issus de ces populations, de quelle façon ils peuvent concrètement mesurer cela chez les Autochtones, en procédant du point de vue des soins primaires et secondaires plutôt que de celui de la recherche.

C’est l’approche que nous employons à l’association, car c’est de notre ressort en tant que médecins au Canada.

M. Brook : C’est un point très important. Mme Sears a mentionné les coûts imposés à la société. Il faut arriver de quelque façon à tenir compte des coûts pour les générations futures. C’est très difficile. On affirme souvent vouloir appliquer les pratiques exemplaires dans les limites de ce qui est financièrement raisonnable. Toutefois, je suis d’avis que c’est tout simplement trop ambigu et qu’il y a, bien franchement, une multitude de façons de retarder la prise de mesures pendant que nous débattons des coûts.

Si la question est de savoir s’il est vraiment important de renforcer le libellé quant à la signification d’une prévention rentable de la pollution, oui, tout à fait, il faut que ce soit fait et précisé, car, au point où nous en sommes, cela ne fait que retarder la prise de mesures durant de longues périodes et ne contribue en rien à nos progrès.

Je pourrais poursuivre, mais je suis tout à fait d’accord avec votre question et votre point de vue, sénatrice Galvez.

La sénatrice Galvez : Merci.

La sénatrice McCallum : Ma question s’adresse à la Dre Horn.

Je comprends tout à fait ce que vous nous avez dit. Mon bureau travaille avec des Autochtones de partout au pays. En ce qui concerne votre déclaration quant à la terre désormais impropre à la vie humaine et aux poissons, aux toxines qui pénètrent dans notre corps et aux premiers bébés nourris au sein qui reçoivent les principales toxines, il s’agit là de déclarations fort troublantes.

Le projet de loi donne une nouvelle responsabilité aux ministres qui doivent tenir compte des populations vulnérables et des effets cumulatifs quand ils évaluent la possibilité qu’une substance soit toxique ou puisse devenir toxique. Les ministres doivent tenir compte des renseignements disponibles sur les populations vulnérables et les effets cumulatifs quand ils mènent certaines évaluations des risques et en interprètent les résultats au titre de la LCPE.

Selon vous, en tenant compte du contexte dans lequel nous travaillons, quelle est la meilleure façon de mettre en œuvre la prise en considération de ces deux nouveaux éléments? Avez-vous cerné des préoccupations par rapport à cette approche?

Dre Horn : Le fait qu’elle soit fondée sur un modèle occidental d’étude des données est l’une des principales préoccupations par rapport à cette approche. Les Autochtones qui sont présents sur les terres depuis des temps immémoriaux ont un point de vue unique sur celles-ci. Il est à la fois fondé sur l’observation et la science. Malheureusement, ce point de vue n’est pas jugé aussi valable que la méthode scientifique et, souvent, notre vision des choses et nos histoires sont délégitimisées et personne n’y prête attention.

Nous parlons de problèmes environnementaux depuis longtemps, mais nous ne sommes pas incités à nous exprimer sur le sujet ou ne sommes carrément pas écoutés. Aujourd’hui, l’absence de ces renseignements dans le dialogue est davantage reconnue, et nous sommes maintenant en mesure de nous faire entendre sur la question, ce qui est fort excitant. Mais je crois que c’est chez les personnes qui sont traditionnellement présentes sur ces terres et dans leurs souvenirs que l’on trouve la majeure partie de la recherche qui existe dans nos communautés.

Nous devons vraiment trouver une façon de créer un climat de confiance qui permet aux Autochtones de partager ces renseignements et de commencer à utiliser les ressources exactement là où elles sont nécessaires plutôt qu’à des endroits où elles ne seront peut-être pas aussi efficaces. Je crois qu’il est plus rentable d’aller directement à la source, surtout dans nos communautés, c’est-à-dire nos représentants traditionnels.

La sénatrice McCallum : Le mot « vulnérable » est employé dans tout le libellé. Croyez-vous qu’il soit nécessaire de l’expliquer? Est-ce le bon mot? Certains ont proposé l’expression « populations menacées », simplement parce que, lorsque vous voyez quelqu’un comme vulnérable, c’est une déficience, je crois.

Dre Horn : Pour moi, le mot « vulnérabilité » signifie essentiellement l’incapacité de réagir au stress, qu’il soit chronique ou aigu. Si vous êtes vulnérable, vous ne pouvez pas réagir adéquatement en raison de divers problèmes : les antécédents, l’épigénétique, l’effet fondateur, les problèmes sociaux, les problèmes actuels et les stress économiques et environnementaux actuels. Dans beaucoup de populations, nous devenons inaptes à réagir aux nouveaux stress. À mes yeux, le mot « vulnérable » convient tout à fait, car il englobe différents stress collectifs et individuels.

La Terre a perdu sa résilience, ce qui explique les changements climatiques. Elle a perdu sa capacité de se protéger avec ces zones tampons qui lui permettaient de réagir aux stress. Maintenant, nous avons perdu l’équilibre acide-base qui permettait à la Terre de réagir au stress. En tant qu’humains, nous avons imposé un stress anthropogénique à la Terre. J’estime que cela va du macrodimensionnel au microdimensionnel. « Vulnérable » est un bon mot.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je désire remercier tous les témoins pour leurs critiques du projet de loi S-5. Plusieurs de ces critiques — comme nos lacunes en matière de recherche — sont un peu à l’extérieur du projet de loi et ne peuvent pas être corrigées d’un simple trait de crayon.

Comme nous devons bientôt terminer cette étude et proposer des amendements, quelles sont vos priorités? Évidemment, il y a le fameux droit à l’environnement sain, qui est un principe affirmé; vous avez sans doute des idées à ce sujet. Avez-vous des priorités qui pourraient se retrouver à l’intérieur du projet de loi et qui nécessiteraient des changements ou des amendements qui seraient recevables?

Le président : À qui s’adresse cette question?

La sénatrice Miville-Dechêne : À M. Brook et à la Dre Horn; en fait, à tous les témoins qui désirent répondre.

[Traduction]

M. Brook : Je vais vous donner une priorité, soit rendre obligatoire la reddition de comptes régulière aux décideurs et à la population du Canada. Il est entre autres question dans le projet de loi d’accroître les responsabilités et la reddition de comptes de divers ministres, mais je crois que cette notion doit être beaucoup plus étayée en précisant ce que comprend exactement la reddition de comptes et à quelle fréquence elle doit avoir lieu afin que nous soyons tous au fait des progrès ou de leur absence. Cela exigerait donc que beaucoup plus d’attention soit accordée aux ressources afin d’y cerner plus clairement les lacunes. C’est une suggestion que je ferais.

La sénatrice Miville-Dechêne : Pourriez-vous préciser à quel endroit dans le projet de loi X rend des comptes à Y?

M. Brook : Au tout début, dans certaines des interprétations simples du projet de loi, j’ai vu des tournures sur la reddition de comptes par le ministre de la Santé et le ministre de l’Environnement, mais, là encore, il faudrait mieux définir des mots comme « coûts » et « vulnérabilité ». Je suis d’accord avec la Dre Horn que le mot « vulnérabilité » est bon, mais je suis également d’accord avec la sénatrice que sa définition, comme elle l’a proposée, pourrait être clarifiée. Ces mots demeurent quelque peu ambigus, et c’est peut-être à dessein, mais l’ambiguïté peut mener à diverses interprétations.

Dre Horn : C’est un sujet tellement vaste, mais, à la base, vous semblez vouloir créer un plan. Vous tentez d’établir un plan stratégique à l’intention du pays tout entier, donc c’est une entreprise considérable. C’est énorme et couvre tous les niveaux, y compris, comme je l’ai mentionné, les écoles de médecine, nos institutions qui ont de véritables contacts sur le terrain avec la population et qui évaluent sa santé de même que les personnes du secteur de l’environnement qui évaluent l’état de santé de nos eaux, de nos poissons et de notre faune.

La portée est tellement grande. Tout ce que vous pouvez faire, c’est admettre que toutes ces choses doivent être faites, y compris suivre les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation, car cela porte sur la relation avec la terre et l’amélioration de la santé qui en découle. C’est une façon de l’appuyer.

Mme McArthur : Je vous remercie pour votre question. Je suis d’accord avec ce que la Dre Horn vient juste de dire.

Dans le mémoire que l’ACME a présenté conjointement avec la Fondation David Suzuki, Ecojustice, Action cancer du sein Québec et Environmental Defence, nous avons proposé cinq amendements au projet de loi qui, selon nous, s’inscrivent dans la portée de cette mesure législative. Je vous conseille de consulter ce mémoire pour obtenir davantage de détails, mais je soulignerai que nous avons suggéré des amendements qui visent précisément le droit à un environnement sain, notamment l’abrogation de la disposition sur le soupèsement, qui compromettrait ce droit en soi. Nous souhaitons aussi accorder la priorité à un amendement concernant l’interdiction de certaines substances toxiques. Nous sommes d’avis que le terme « le plus haut niveau de risque » n’est pas défini, ce qui pourrait faire en sorte que des substances qui présentent un haut niveau de risque pourraient continuer d’être utilisées. C’est pourquoi nous préconisons cet amendement.

En ce qui a trait aux effets cumulatifs, nous voulons nous assurer que les effets cumulatifs sont évalués d’une meilleure façon et qu’on exige le recours à des substances de remplacement plus sûres, et non des substitutions regrettables.

Nous avons aussi proposé des amendements aux échéanciers ainsi qu’aux renseignements commerciaux confidentiels. Lors de la session précédente, comme c’est le cas aussi maintenant, on a fait remarquer que la mise en place d’un système qui inverse la charge de la preuve relativement aux renseignements commerciaux confidentiels constituerait un premier pas pour améliorer le droit de savoir en ce qui concerne les substances toxiques. Je vous remercie encore une fois pour votre question, et nous serons ravis de fournir davantage de détails sur le mémoire et sur les cinq amendements que nous avons proposés.

Le sénateur Arnot : Ma première question s’adresse à Mme Sears. Dans votre livre blanc, vous avez fait état d’une lacune évidente à laquelle il faut remédier. Il me semble que vous êtes en train de livrer un combat contre une chose invisible, qui semble ne pas exister, c’est-à-dire la pollution électromagnétique et les rayonnements radiofréquences. Je sais qu’en Saskatchewan, la société SaskTel, une société d’État, a installé de la fibre optique à la grandeur de la province, ce qui représente un énorme investissement pour l’avenir.

Est-ce que des entreprises de télécommunications s’opposent à l’amendement que vous proposez? Observez-vous une résistance de la part de ces entreprises? De son côté, est-ce que le ministère s’oppose à votre amendement, et, le cas échéant, est-ce qu’il a invoqué d’autres raisons que le manque de ressources et de capacité?

Mme Sears : Nous n’avons pas fait beaucoup de publicité sur le sujet, alors, nous n’avons pas reçu de réponse directe de la part de l’industrie.

Comme vous l’avez mentionné, en Saskatchewan, de grandes sociétés misent beaucoup sur la fibre optique pour les raisons que nous avons invoquées, notamment des questions de sécurité, qui vont toutefois au-delà de la portée du projet de loi.

En fait, de nombreux spécialistes des télécommunications tiennent absolument à ce qu’on cesse cette folle course technologique, qui crée de nombreuses redondances, et qu’on adopte ce qui est considéré être une solution technologique qui est de loin supérieure. On dit, je crois, qu’il faut avoir recours au sans-fil seulement dans les régions où il est très difficile d’installer de la fibre optique. Toutefois, même dans le Nord canadien, le gouvernement du Canada installe de la fibre optique, par exemple, le long de la côte atlantique de Terre-Neuve jusqu’au Grand Nord. Ne pas utiliser la fibre optique pose un grand risque environnemental, qui passe complètement sous le radar, si je peux me permettre le jeu de mots.

Le sénateur Arnot : Docteure Horn, vous avez parlé du mouvement Idle No More et des terres autochtones et vous avez soulevé certains enjeux, notamment la pollution des terres autochtones. Il me semble que cette situation va à l’encontre des traités et des relations fondées sur les traités, particulièrement les traités numérotés. Est-ce que les principes d’avantage, de respect et de protection mutuels sont abrogés par la Couronne? Est-ce que la Couronne manque à son devoir en faisant fi des relations fondées sur les traités?

Dre Horn : Je crois qu’il faut examiner cela au cas par cas. Les lacunes dans la réglementation créent des échappatoires, surtout dans la Loi sur les eaux navigables canadiennes. Si on se trouve en aval d’une quelconque industrie, alors c’est une zone grise. Je dirais donc que c’est du cas par cas.

Bien entendu, nos terres devraient être beaucoup plus vastes, mais elles sont très restreintes. Il existe de nombreuses échappatoires, qui sont liées aux limites établies pour nos terres, selon la nouvelle façon d’envisager le Canada, aux industries qui ont été installées tout juste à l’extérieur de ces limites et aux types de lois qui existent pour protéger les terres où nous habitons. C’est la seule réponse que je peux vous donner. Je suis désolée.

Le sénateur Arnot : Merci.

La sénatrice Seidman : Il me semble que nous avons entendu, ce matin, des témoins faire allusion à la quantité d’information accablante et sans cesse croissante exigée par la LCPE ainsi qu’aux besoins que cela entraînera. Comment nous y prendre pour recevoir cette information, en faire la collecte et l’analyse et en faire rapport? Je vois que l’organisme Prevent Cancer Now — et je m’adresse donc à Mme Sears —, dans son livre blanc, parle d’accroître la capacité de collecte et d’analyse de données et de l’échec à cet égard. Nous savons que c’est un échec à Santé Canada, par exemple, à bien des égards, mais je ne vais pas m’étendre sur ce problème.

Madame Sears, j’aimerais que vous nous disiez comment vous proposez de remédier à ce problème dans cette mesure législative. Merci.

Mme Sears : Je vous remercie beaucoup. Je crois que M. Brooks a très bien expliqué qu’il faut renforcer ce que nous avons déjà, notamment, l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé. Il existe certains modèles aux États-Unis, qui fournissent beaucoup plus de données.

Nous n’avons pas, par exemple, les données chronologiques. Nous n’avons pas accès à des données de grande qualité sur l’incidence des cancers au fil du temps dans diverses régions et au sein de différentes populations. Notre organisme, en collaboration avec des chercheurs de l’Institut de recherche de l’hôpital d’Ottawa, a exploré certaines des options. Par exemple, nous avons appris qu’un groupe national de médecins de première ligne serait disposé à élaborer et à gérer à titre de projet pilote un questionnaire sur l’exposition environnementale qui pourrait être mis en place dans le domaine des soins primaires. Des chercheurs au sein du département de santé et sécurité environnementales de l’Université de Toronto se sont penchés là-dessus.

Il existe de nombreux moyens différents de déterminer à quelles substances les gens ont été exposés. On peut notamment prélever des échantillons pour voir quelles substances se trouvent dans leur corps et on peut examiner les effets grâce à des données cliniques et de biosurveillance. Les moyens sont nombreux, et je pense qu’il faut mettre en place un cadre officiel, plus détaillé que celui que moi-même et M. Brooks avons décrit sommairement, en collaboration avec un groupe d’experts au sein des IRSC, ce qui constituerait un premier pas.

La sénatrice Seidman : J’aimerais entendre le professeur Brook nous parler de façon très précise de cette mesure législative en particulier et je voudrais qu’il nous dise s’il existe une façon de bâtir cette capacité.

M. Brook : Je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer à ce sujet. J’ai parlé tout à l’heure de bâtir la capacité grâce à de la formation et de développer l’expertise, car, comme Mme Sears l’a dit, on peut recueillir de l’information, mais lorsqu’il s’agit de l’interpréter, c’est là que le bât blesse. J’aimerais en dire un peu plus long au sujet de la formation parce que je n’ai pas mentionné — mais la Dre Horn l’a très bien expliqué — que les médecins praticiens doivent connaître les risques environnementaux et être en mesure de les expliquer à leurs patients et d’effectuer les tests nécessaires.

Nous pouvons travailler en collaboration avec le milieu médical pour faire de la sensibilisation et recueillir de l’information auprès des gens.

En ce qui a trait à la capacité, comme je l’ai dit, injecter de l’argent n’est pas la solution idéale. Dire simplement à un ministère fédéral de s’occuper de ce problème avec le budget dont il dispose ne donnera jamais de bons résultats. Nous avons observé des progrès considérables grâce à certaines initiatives, notamment le Plan de gestion des produits chimiques, qui a été mis en œuvre pendant un certain nombre d’années et qui visait des objectifs ambitieux. Il faudrait doubler ce genre d’initiatives. Nous avons aussi besoin d’une plus grande souplesse afin d’établir des partenariats avec des universités au Canada.

Le problème, bien sûr, c’est que le Canada est un petit pays et que ce problème dépasse largement nos frontières. Il faut toujours qu’il y ait une réflexion relativement à nos pays partenaires et à la façon dont le Canada peut jouer un rôle et continuer d’être un expert sur la scène mondiale tout en s’inspirant de ce qui se fait à l’étranger. Nous devons nous pencher sur l’établissement de partenariats avec d’autres pays développés, par exemple, pour conjuguer nos efforts et renforcer les capacités de tous à cet égard.

L’interprétation des données est un élément clé. Les rapports ne doivent pas contenir uniquement des tableaux de chiffres; ils doivent aussi comporter une véritable interprétation pertinente des données. Cela exige une expertise et des ressources.

Le président : Je vous remercie beaucoup.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai seulement un petit point à faire valoir. Après que la sénatrice Galvez a posé sa question, j’ai examiné l’article 3. J’ai relevé une grave erreur de traduction. Dans la version anglaise — vous avez tout à fait raison, sénatrice Galvez — on dit « cost-effective measures », mais dans la version française, c’est écrit « mesures effectives », ce qui n’a pas du tout le même sens. Bien entendu, nous voulons connaître l’intention du gouvernement. Est-ce que l’article a d’abord été rédigé en français, puis traduit vers l’anglais, ou vice versa? Nous devrions obtenir cette précision.

Le président : C’est un bon point.

La sénatrice Galvez : C’est un très bon commentaire. Je vous remercie de faire valoir cet excellent point.

Le président : Je tiens à remercier nos témoins, qui ont eu l’amabilité de nous faire profiter de leurs connaissances et de formuler des recommandations. Votre contribution considérable a été très utile. Nous vous remercions d’avoir partagé votre savoir.

(La séance est levée.)

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