LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 21 mars 2024
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-226, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale visant à évaluer et prévenir le racisme environnemental ainsi qu’à s’y attaquer et à faire progresser la justice environnementale.
Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle Paul Massicotte. Je suis un sénateur du Québec et je suis président du comité.
Aujourd’hui, nous tenons une séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.
J’aimerais commencer par faire un petit rappel. Avant de poser des questions et d’y répondre, je demanderais aux membres du comité et aux témoins présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près du microphone ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité qui se trouve dans la salle.
Je demanderais à mes collègues du comité de se présenter, en commençant par ma droite.
La sénatrice Verner : Josée Verner, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice McBean : Marnie McBean, de l’Ontario.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta.
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba.
[Français]
La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.
[Français]
Le président : Aujourd’hui, le comité poursuit son examen du projet de loi C-226, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale visant à évaluer et prévenir le racisme environnemental ainsi qu’à s’y attaquer et à faire progresser la justice environnementale. Pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons, à titre personnel, Ingrid Waldron, de l’Université McMaster; Élyse Caron-Beaudoin, professeure adjointe à l’Université de Toronto; Sarah Marie Wiebe, professeure adjointe à l’École d’administration publique et directrice par intérim du Programme d’études en justice sociale de l’Université de Victoria.
Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Cinq minutes sont réservées pour vos allocutions d’ouverture. La parole est à vous, madame Waldron. Vous serez suivie de Mme Caron-Beaudoin et de Mme Wiebe.
[Traduction]
Ingrid Waldron, Université McMaster, à titre personnel : Bonjour à tous.
Depuis les décharges et les dépotoirs des communautés afro-néo-écossaises d’Africville, de Shelburne et de Lincolnville, jusqu’aux pipelines prévus pour la Première Nation de Sipekne’katik et la Première Nation des Wet’suwet’en, en passant par les installations pétrochimiques entourant la Première Nation Aamjiwnaang et le mercure déversé sur le territoire de la Première Nation de Grassy Narrows, on ne peut que déplorer le troublant héritage de racisme environnemental qui touche toutes les régions du Canada depuis le début des années 1940.
Qu’est-ce que le racisme environnemental et comment le définir? Le racisme environnemental est une forme de discrimination raciale qui se traduit par une localisation des communautés autochtones et racisées les exposant de manière disproportionnellement plus élevée à la contamination et à la pollution provenant d’industries polluantes et d’autres activités dommageables pour l’environnement.
Depuis l’automne 2012, je m’intéresse aux impacts écologiques, sanitaires, politiques et sociaux du racisme environnemental au moyen d’une approche de collaboration sur une base communautaire qui comprend la recherche; des publications, notamment un livre et des articles dans des revues spécialisées; des projets d’analyse de l’eau; la mobilisation locale; des consultations auprès des personnes touchées; la défense des intérêts des collectivités; des communications multimédias, y compris un documentaire sur Netflix et des entrevues avec les médias; une analyse cartographique au moyen du Système d’information géographique; la sensibilisation dans le cadre d’ateliers, de symposiums et d’autres événements; et la législation.
Cela nous amène au projet de loi C-226 qui émane lui-même du projet de loi 111 auquel Lenore Zann et moi-même avons collaboré, et qu’elle a présenté à l’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse en avril 2015. Le projet de loi C-226 se démarque par sa portée assez large pour englober les expériences partagées des communautés autochtones, des communautés noires et des autres groupes marginalisés qui ont été victimes de racisme environnemental. En même temps, le projet de loi C-226 est suffisamment ciblé pour répondre à la nécessité d’examiner les intersections entre la race, le statut socioéconomique, le risque environnemental et la santé.
Le cadre intersectionnel du projet de loi reconnaît également que le racisme environnemental ne peut être considéré sans tenir compte de l’enchevêtrement complexe d’injustices qui se combinent pour placer les communautés autochtones et racisées dans une position inéquitable du point de vue social, économique, politique et sanitaire.
Le racisme environnemental ne se manifeste pas en vase clos par rapport aux autres iniquités structurelles qui touchent les communautés autochtones et racisées. Au contraire, ces inégalités structurelles sont un terreau fertile permettant au racisme environnemental de s’enraciner et de se perpétuer au fil des générations. Parmi ces injustices structurelles, notons les politiques et les actions qui, au sein de nos structures sociales et de nos institutions, conduisent au sous-emploi et au chômage, à l’insécurité financière et à la pauvreté, à l’excès de zèle policier et au profilage racial, aux mauvais résultats scolaires, à l’insécurité alimentaire, à l’insécurité du logement, à des infrastructures publiques déficientes, y compris un manque d’espaces verts, de sentiers et de trottoirs, et à un mauvais état de santé. Si nous voulons parvenir à une justice environnementale pour les communautés racisées, il est donc important de s’attaquer à ces inégalités qui agissent en tandem au sein de nos structures sociales pour alimenter le racisme environnemental.
Le projet de loi C-226 a l’avantage de s’inscrire dans une optique de justice environnementale qui ne se concentre pas seulement sur l’industrie, les déchets, les contaminants et les polluants, mais qui s’intéresse également au contexte historique, sociopolitique et économique dans lequel se manifeste le racisme environnemental au sein de ces communautés partout au Canada. On y précise en outre très clairement les mesures à prendre pour parvenir à la justice environnementale. Il s’agit notamment de la recherche, des consultations auprès des communautés touchées, de la participation de ces dernières à l’élaboration des politiques et de leur indemnisation. Après 12 années de lutte pour la justice environnementale en faveur de ces communautés, il est gratifiant de constater que le projet de loi C-226 fera bientôt l’objet d’un vote en troisième lecture au Sénat. Je vous demande instamment d’adopter ce projet de loi. Il est grand temps d’agir. Je vous remercie de votre attention.
Élyse Caron-Beaudoin, professeure adjointe, Université de Toronto, à titre personnel : Bonjour à tous les membres du comité. Je vous remercie de me permettre d’être des vôtres aujourd’hui. Je m’appelle Élyse Caron-Beaudoin, et je suis professeure adjointe en santé environnementale à l’Université de Toronto. Suivant une formule de mobilisation des connaissances, notre laboratoire mise sur le savoir communautaire comme source précieuse d’information pour explorer les relations entre les facteurs environnementaux et la santé dans le contexte de la justice environnementale
Je suis titulaire d’un doctorat en biologie avec spécialisation en toxicologie de l’Institut national de la recherche scientifique du Québec. De 2018 à 2020, j’ai été boursière postdoctorale financée par les Instituts de recherche en santé du Canada à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Grâce à cette bourse, j’ai cherché à déterminer si les femmes du nord-est de la Colombie-Britannique vivant à proximité de puits de pétrole et de gaz non conventionnels étaient plus susceptibles de connaître des problèmes comme la prématurité et le faible poids à la naissance à l’issue de leur grossesse.
L’extraction non conventionnelle de pétrole et de gaz est souvent appelée « fracturation ». Pour ce qui est du gaz naturel, la fracturation est utilisée dans certaines régions de la Colombie-Britannique et de l’Alberta, souvent à proximité de communautés rurales et autochtones. Le processus d’extraction consiste à forer des trous verticalement puis horizontalement sur une distance de plusieurs kilomètres, puis à injecter un mélange d’eau, de produits chimiques et de sable à haute pression pour libérer le gaz. Ce procédé industriel peut avoir une incidence sur la qualité de l’air et de l’eau dans les environs et libérer des contaminants potentiellement nocifs à proximité des opérations de fracturation. Aujourd’hui, j’aimerais vous faire part des principaux résultats de mes recherches concernant l’exposition disproportionnée aux contaminants provenant de l’exploitation du pétrole et du gaz par des moyens non conventionnels.
Bien que le Canada soit l’un des principaux producteurs de gaz naturel au monde, nous dirigeons l’un des rares groupes de recherche à étudier activement les répercussions de cette industrie sur la santé humaine. Nos études sont les seules à avoir été publiées dans la littérature scientifique sur la base des données de biosurveillance concernant l’exploitation non conventionnelle du pétrole et du gaz en Colombie-Britannique, au Canada et dans le monde entier. La biosurveillance consiste à mesurer les substances chimiques présentes dans les fluides et les tissus corporels humains, comme l’urine, les cheveux et le sang. Élaborée en partenariat avec les communautés autochtones, notre recherche a révélé des niveaux plus élevés — par rapport à la population canadienne en général — de substances chimiques multiples ayant des effets nocifs connus sur la santé humaine dans l’air intérieur, l’eau du robinet, l’urine et les échantillons de cheveux des femmes enceintes vivant à proximité de cette industrie dans le nord-est de la Colombie-Britannique. Il convient de noter que les concentrations de plusieurs de ces contaminants dans l’air intérieur, dans l’eau du robinet et dans les échantillons biologiques étaient plus élevées chez les participantes autochtones enceintes que chez les participantes non autochtones.
Pourquoi est-ce important? Parmi les risques pour la santé publique associés au pétrole et au gaz non conventionnels, notons les produits chimiques cancérigènes, mutagènes et perturbateurs endocriniens qui sont utilisés par cette industrie et dont les rejets dans l’environnement ont été bien documentés. Le sexe, le genre, l’autochtonie, la race et le statut socioéconomique sont autant de facteurs qui ont pu être reliés à une augmentation de l’exposition et des risques pour la santé attribuables aux activités industrielles. Un examen approfondi récemment rendu public par notre équipe a révélé que la grande majorité des études épidémiologiques publiées font état des liens établis entre la proximité accrue de l’exploitation pétrolière et gazière non conventionnelle et divers effets nocifs sur la santé, comme un retard de la croissance fœtale, la prématurité, des anomalies congénitales à la naissance, une mauvaise santé des nourrissons, des aggravations de l’asthme, des maladies cardiovasculaires, des taux d’hospitalisation plus élevés et une mortalité toutes causes confondues.
En plus de la quantité croissante de données démontrant les incidences de cette industrie sur la santé, on a commencé à s’intéresser dans la littérature récente au fait que l’extraction des ressources entraîne aussi une répartition inéquitable des risques environnementaux. Les communautés systématiquement et structurellement défavorisées sont souvent exposées de manière disproportionnée aux contaminants environnementaux. L’injustice environnementale est très préoccupante pour les communautés autochtones déjà confrontées à des iniquités en matière de santé. Ainsi, de nombreux problèmes de santé attribuables à la pauvreté, à la génétique, à un système de soins de santé inadéquat et au racisme systémique peuvent être exacerbés par l’exposition aux contaminants.
Je me réjouis de constater que ces questions se retrouvent aujourd’hui au cœur de vos échanges. Ma principale recommandation est que le projet de loi C-226 soit adopté. En effet, malgré le fardeau environnemental disproportionné que nous-mêmes et d’autres intervenants avons été à même d’observer dans divers contextes, il n’existe pour ainsi dire au Canada, tout au moins pour l’instant, aucune loi traitant expressément des inégalités créées par l’injustice environnementale. Outre ce projet de loi, la mise en place d’un institut interdisciplinaire permanent entièrement consacré au financement de la recherche sur la santé environnementale au sein des Instituts de recherche en santé du Canada constituerait un atout important pour faire progresser la justice environnementale. Je vous remercie de votre temps et de votre attention.
Sarah Marie Wiebe, professeure adjointe, École d’administration publique, et directrice par intérim, Programme d’études en justice sociale, Université de Victoria, à titre personnel : Bonjour à tous. C’est un privilège de me retrouver ici sur le territoire algonquin anishinaabe — après avoir fait le voyage depuis le territoire non cédé des Salish du littoral — pour m’adresser au Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles afin de lui faire part de mon appui au projet de loi C-226.
Comme l’explique la Commission de vérité et réconciliation du Canada, les Canadiens ont la responsabilité d’être des témoins, d’apporter leur soutien, de faire de la sensibilisation et d’appuyer les événements favorisant la vérité et la réconciliation, à l’échelle tant nationale que communautaire. Cela s’applique aux enjeux du racisme environnemental et de l’injustice environnementale dont nous traitons aujourd’hui.
Plusieurs de mes collègues autochtones de l’Université de Victoria évoquent l’importance politique d’un traitement respectueux des témoins, qui va au-delà de la transmission de données, de connaissances ou de faits. Il s’agit d’assumer ses responsabilités, d’écouter et de transformer le statu quo.
Je m’adresse à vous aujourd’hui en ma qualité de chercheure engagée dans la communauté et de professeure adjointe à l’École d’administration publique de l’Université de Victoria. Depuis 2010, j’ai noué des relations avec des membres et des dirigeants de la Première Nation Aamjiwnaang, une communauté autochtone située au cœur d’une région que l’on surnomme la « vallée chimique » du Canada. La cheffe Plain vous en dira davantage sur cet endroit plus tard dans la matinée.
Je ne veux pas parler au nom de cette communauté, mais plutôt lui témoigner ma solidarité — à titre de citoyenne canadienne allochtone — en exprimant les points de vue découlant de mon travail de recherche participative réalisé à Sarnia, en Ontario, pendant mes études doctorales, alors que je collaborais étroitement avec le comité de l’environnement de cette bande afin de sensibiliser les gens aux incertitudes qui règnent quant aux effets d’une exposition continue à des contaminants pour la santé environnementale, la culture et la vie quotidienne des personnes touchées.
Je traite en long et en large des conclusions de mes travaux dans mon ouvrage intitulé Everyday Exposure: Indigenous Mobilization and Environmental Justice in Canada’s Chemical Valley. La lutte pour la justice se poursuit alors que bon nombre de nos concitoyens bien établis dans cette région continuent d’exprimer leurs inquiétudes quant au mélange nocif de produits chimiques dans l’atmosphère qui contamine jour après jour l’air, l’eau, la terre et les animaux.
Dans son témoignage relativement au projet de loi S-5, Sylvia Plain, de la Première Nation Aamjiwnaang, précise la nature de ces inquiétudes en indiquant que sa communauté se retrouve pour ainsi dire dans une « zone sacrifiée ». Cette situation n’a rien de fortuit. C’est le résultat des politiques inadéquates, discriminatoires et racistes adoptées par tous les ordres de gouvernement.
Permettez-moi de vous brosser un tableau de la situation. Imaginez que vous visitez la communauté pour la première fois, comme je l’ai fait il y a 10 ans lorsque Ada Lockridge — qui nous regarde aujourd’hui —, une membre de la communauté qui copréside le groupe Victims of Chemical Valley, m’a rencontré au Leaky Tank pour un repas. Ce petit restaurant, aujourd’hui fermé, se trouvait à quelques kilomètres à peine de la plus forte concentration de raffineries de produits pétrochimiques et de polymères au Canada, avec notamment des bannières comme Imperial Oil, Suncor et Shell. Mme Lockridge m’a ensuite fait faire une véritable tournée de la toxicité. Je vais tenter de partager avec vous l’impact qu’une telle visite peut avoir sur nos sens. Fermez les yeux. Vous pouvez voir les grandes cheminées percer l’air au-dessus de vous — visibles de presque tous les foyers et bâtiments communautaires : le centre de santé, la garderie, le bureau de la bande et, plus sinistre encore, le cimetière. Je me souviens de l’odeur d’œufs pourris qui flottait dans l’air. Chaque lundi, vous entendrez probablement la sirène d’alerte se déclencher — un exercice destiné à s’assurer que le personnel de la raffinerie et les coordonnateurs d’urgence réagissent efficacement en cas d’accident.
Pendant cette tournée de la toxicité, j’ai aperçu des panneaux d’avertissement « Accès interdit » à côté des cours d’eau, empêchant les membres de la communauté d’exercer leur droit traditionnel de consommer des sources de nourriture vitales, comme le poisson, sans craindre d’ingérer des toxines. La tournée s’est terminée au cimetière de la bande où j’ai dû lutter contre les larmes. J’y ai assisté une fois à des funérailles, et les sons et les vibrations des raffineries chimiques ont noyé les tambours et les chants cérémoniels. Ce n’est pas un endroit où les êtres chers peuvent facilement reposer en paix.
Vous pouvez maintenant ouvrir les yeux.
C’est un véritable cas de racisme environnemental, et il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi. Le projet de loi C-226 peut remédier à ces injustices et prévenir d’autres situations comme celle-ci, à Aamjiwnaang comme partout au pays. Réinventons ensemble cet avenir décolonisé.
J’aimerais que mes recommandations d’aujourd’hui soient très clairement comprises. Il faut, premièrement, promulguer le projet de loi C-226; deuxièmement, créer un bureau national de la justice environnementale s’appuyant sur une gouvernance collaborative, une approche multijuridictionnelle et un leadership communautaire; et troisièmement, adopter une optique intersectionnelle de la santé planétaire pour guider les choix réglementaires et les programmes de gestion à venir en matière de justice environnementale.
Si vos questions me le permettent, je pourrai vous en dire plus long sur chacune des recommandations que je vous soumets ce matin. Dans le document de discussion stratégique que je vous ai transmis, vous trouverez une explication détaillée de ces recommandations avec une justification à la lumière des témoignages de membres de la communauté et d’experts en santé environnementale. Vous pourrez y puiser à même un large éventail de sources allant des voix de ceux qui ont vécu directement la situation jusqu’aux études évaluées par des pairs.
Comme Mme Ingrid Waldron — que vous avez rencontrée tout à l’heure —, directrice du projet ENRICH et auteure de l’ouvrage There’s Something in the Water, nous le dit, il faut mettre fin au racisme environnemental pour que la justice environnementale triomphe. Merci, meegwetch.
[Français]
Le président : Merci beaucoup.
[Traduction]
La sénatrice McCallum : Je vous remercie de vos exposés. Ma première question s’adresse à Mme Waldron.
Si l’on considère les communautés autochtones et noires qui vivent dans des quartiers défavorisés où règne la ségrégation raciale — avec des taux élevés de chômage et de sous-emploi, une incertitude quant aux revenus, de l’insécurité alimentaire, des obstacles au transport et d’autres facteurs de stress sociaux —, on peut se demander comment elles en sont arrivées là, et s’il est possible que la politique environnementale ait un rôle à jouer. Le contexte résidentiel influe sur les disparités en matière de santé, en particulier lorsque les industries extractives sont à l’origine de la création des quartiers en question. Étant donné les incidences du racisme environnemental partout au pays et le rôle que pourra jouer la justice environnementale, comment, selon vous, sera-t-il possible de passer de l’un à l’autre?
Mme Waldron : Tous les problèmes auxquels ces communautés sont confrontées — qu’il s’agisse du sous-emploi, de la pauvreté, de l’insécurité alimentaire ou des inégalités en matière d’infrastructures publiques — sont le résultat de mesures stratégiques mises en place par des décideurs qui, souvent, ne ressemblent pas aux gens des communautés dont nous parlons. La situation est attribuable à des décideurs qui élaborent souvent des politiques sans se préoccuper du sort des communautés autochtones et des autres communautés racisées. Le scénario est le même que pour le racisme environnemental, lequel n’est pas un phénomène fortuit. Lorsque nous voyons l’industrie choisir de s’installer dans certaines communautés dans une mesure disproportionnée, c’est le résultat d’interventions stratégiques ayant cours dans les divers ministères de l’Environnement au pays.
Si j’estime important de comprendre le racisme environnemental dans le contexte de ces enjeux sociopolitiques et de ces inégalités sociales, c’est que lesdites inégalités — comme l’insécurité alimentaire et le chômage — affaiblissent à bien des égards le tissu social de ces communautés, ce qui facilite grandement la tâche des industries qui souhaitent s’y implanter. Ce n’est pas que ces communautés soient faibles. Nous savons qu’elles sont fortes, mais leur tissu social et économique est affecté à un point tel qu’elles n’ont d’autre choix que de s’employer en priorité à régler ces différentes problématiques.
Nous savons que des industries s’installent dans ces communautés parce qu’elles ont l’impression qu’elles sont moins susceptibles de se défendre, qu’elles sont plus dépourvues. Le racisme environnemental touche les communautés qui n’ont pas de poids social, politique et économique. Il est intéressant de noter que les communautés dans lesquelles on implante ces [difficultés techniques] n’ont pas de poids social, politique et économique. Bien qu’elles aient une voix — nous avons tous une voix — elles ne sont souvent pas entendues.
Pour lutter contre le racisme environnemental, nous devons comprendre comment il s’alimente de bon nombre de ces iniquités sociales, tout en nous efforçant de les éliminer. Si nous ne le faisons pas, nous ne nous attaquons pas à la racine du racisme environnemental. Tout en nous occupant des industries toxiques implantées dans ces communautés, nous devons nous attacher à régler les problèmes de pauvreté, de sous-emploi et d’inégalités dans les infrastructures publiques, qui ont tous une corrélation étroite avec le racisme environnemental.
La sénatrice McCallum : Merci. Ma seconde question est pour Sarah Wiebe. Vous avez parlé de « réinventer un monde décolonisé », et vous écrivez dans votre ouvrage intitulé Life Against States of Emergency:
Comme le souligne Chantal Mouffe, la déconstruction des identités essentielles . . . est une condition nécessaire à toute réflexion sérieuse sur nos diverses relations sociales afin d’en arriver à un ordre politique plus juste.
Cela indique la nécessité d’une nouvelle vision de la citoyenneté, assortie d’une décentralisation des qualités devenues essentielles pour une nation coloniale cohérente, laquelle continue de favoriser des relations de subordination et de se fonder sur un régime de domination par les élites au pouvoir et de subjugation des terres et des connaissances des peuples autochtones.
Pourriez-vous nous expliquer l’importance de cette question? Je pense au pétrole et au gaz, ainsi qu’aux Premières Nations de l’Alberta qui se sont lancées dans le développement économique sans tenir compte de leur ordre social, et de tous les aspects négatifs — les suicides ont augmenté, tout comme les gangs, sans compter les problèmes avec l’argent.
Mme Wiebe : Je vous remercie de la question, sénatrice, et merci d’avoir lu ce livre avec autant d’attention et d’avoir souligné certains des passages les plus complexes. Quand j’entends cela, je me dis qu’il y a là beaucoup d’éléments à décortiquer. Donc, je vous remercie de m’en donner l’occasion.
Vous avez mentionné Chantal Mouffe, une philosophe française qui parle du paradoxe démocratique. Au Canada, nous aimons penser que nous sommes un pays très multiculturel, diversifié et accueillant, et je pense que les questions relatives à la justice environnementale mettent à mal cette perception. Voilà ce dont il est question aujourd’hui.
Dans ce passage, Chantal Mouffe traite des paradoxes, ironies et contradictions auxquels nous sommes confrontés au Canada, et aussi de nos devoirs, en tant que citoyens, et de la nécessité d’examiner d’un autre angle les effets différents et disproportionnés qu’ont les politiques sur les citoyens de ce pays.
Vos commentaires soulignent davantage la nécessité d’adopter une optique intersectionnelle à l’égard de ce travail, pour les raisons que j’explique dans la troisième recommandation du document de discussion que j’ai préparé. Mme Waldron a également soulevé la question dans ses commentaires, aujourd’hui et à d’autres occasions, et dans ses recherches. Il est primordial d’examiner la corrélation entre statut socioéconomique, genre et santé. Tous ces facteurs entrent en jeu lorsqu’on examine l’incidence de certains projets de développement sur la population. À titre d’exemple, le secteur pétrolier et gazier, la fracturation, les énergies renouvelables ou le secteur de la fabrication de pièces pour véhicules électriques sont parmi les nombreux secteurs qui dépendent de l’extraction, et le problème de ce modèle, c’est que certains groupes sont souvent laissés pour compte. Cela a des répercussions sur la santé et, pour de nombreuses collectivités autochtones — comme l’ont exposé clairement la littérature et les dirigeants —, la terre est au cœur de l’identité, de l’être. Il est essentiel que tout projet de développement respecte les droits autochtones, intègre cette approche intersectionnelle et soit fondé sur elle plutôt que sur une approche considérant la terre et l’eau uniquement comme des ressources.
Ce comité est un comité sur les ressources naturelles — pas seulement comme une chose que l’on peut extraire ou prendre, mais comme une relation. Essentiellement, nous parlons d’une approche différente de la connaissance de la nature et de la relation avec la nature, et non de droits de propriété possessifs. On parle de soin de la nature, de communauté, de relations et de ne pas considérer l’humain comme le maître de la nature. J’ai la certitude qu’il existe, au cœur de tout cela, une approche complètement différente qui serait beaucoup plus avantageuse pour tout le monde.
La sénatrice McCallum : Merci.
La sénatrice Galvez : J’ai deux questions qui ne s’adressent pas nécessairement à quelqu’un en particulier. Les relations entre les facteurs environnementaux, les contaminants et les effets sur la santé ont fait l’objet de nombreux travaux. La littérature à ce sujet est abondante. Je suis consternée de constater qu’en 2024, nous devons toujours nous battre pour démontrer qu’il y a des répercussions sur la santé et que le racisme environnemental existe.
Premièrement, quels sont les défis? Pourquoi le gouvernement fédéral n’utilise-t-il pas ces recherches pour agir plus tôt ou plus rapidement?
La deuxième partie de la même question est la suivante : l’année dernière, nous avons adopté — après 23 ans — la réforme tant attendue de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement de 1999, ou LCPE, qui comprenait l’élaboration d’un cadre de mise en œuvre du droit à un environnement sain. Nous savons que le droit à un environnement sain est un élément essentiel de la justice environnementale. Cependant, les représentants d’Environnement et Changement climatique Canada ont répété à quelques reprises, cette semaine, que ce droit vaut uniquement pour l’application de la LCPE.
Pouvez-vous nous dire quelles sont vos attentes quant à l’interaction entre ce droit à un environnement sain et la stratégie dont nous discutons aujourd’hui? Nous pourrions commencer par Mme Wiebe, suivie de Mme Waldron et de Mme Caron-Beaudoin.
Mme Wiebe : Je vais répondre à la première partie de la question, puis je verrai si les autres témoins souhaitent intervenir.
La question qui m’est immédiatement venue à l’esprit est la suivante : pourquoi le gouvernement n’utilise-t-il pas la recherche existante? C’est un excellent point. Je tiens à souligner que d’excellents travaux sont en cours. Je sais que le comité a accueilli d’autres fonctionnaires d’Environnement et Changement climatique Canada qui ont un engagement envers la justice environnementale et l’intersectionnalité et ont entrepris cet important travail. Je pense que cette stratégie s’appuiera là-dessus.
Il importe de répéter que les collectivités autochtones sont visées par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et que c’est un aspect très important de la stratégie.
Quant à la recherche et aux preuves, il est important de savoir que notre société tend à créer une hiérarchie des données et des preuves, ce qui pose problème. Nous avons tendance à considérer les grands nombres comme la vérité ou le summum de l’excellence académique, mais nous devons commencer à traiter les connaissances des collectivités comme des preuves.
Voici un exemple. Au fil des ans, j’ai travaillé en étroite collaboration avec une femme, Mme Ada Lockridge, qui a fait du porte-à-porte dans sa communauté pour collecter des renseignements sur les problèmes de santé. Ses connaissances sont continuellement discréditées sous prétexte que ce ne sont pas des preuves. Ce sont des preuves.
Les études évaluées par des pairs sont évidemment nécessaires. Nous avons absolument besoin de ce genre de données, mais parallèlement à des données communautaires.
Voilà mon plaidoyer auprès des responsables de la stratégie de mise en œuvre : l’expertise communautaire doit être considérée comme preuve au même titre que les études longitudinales. Nous avons besoin de statistiques et d’études épidémiologiques. Mme Caron-Beaudoin serait bien placée pour en parler. Toutefois, il faut aussi regrouper la recherche existante et en tenir compte.
Je crois comprendre que ce projet de loi vise à établir une stratégie qui consisterait à recueillir des données de qualité. C’est un début. Il faut des données de qualité de divers types et de diverses sources. Je tenais à le préciser.
Mme Caron-Beaudoin : Je vous remercie de la question, sénatrice.
J’aimerais ajouter une chose. Un des problèmes, c’est qu’il est difficile d’appliquer le principe de la prudence. À mon avis, cela fait en sorte que les études scientifiques que nous publions sont écartées ou pas nécessairement prises en compte dans les politiques, parce que le poids de la preuve requis pour entraîner une modification des politiques est très élevé et difficile à atteindre, en particulier lorsque nous travaillons dans des communautés rurales où nous n’avons pas nécessairement le luxe d’avoir un vaste ensemble de données.
Je peux donner un exemple lié à la fracturation. De nombreuses études épidémiologiques de grande qualité sur la proximité aux activités de fracturation et les effets sur la santé ont été réalisées aux États-Unis, où beaucoup d’opérations de fracturation ont lieu tant en milieu urbain qu’en milieu rural. Les chercheurs qui travaillent en milieu urbain ont accès à de vastes données administratives sur la santé qui peuvent inclure des centaines de milliers de points de données. D’un point de vue statistique — strictement statistique —, cela génère des types de résultats.
Au Canada, toutefois, la majorité des activités de fracturation ont lieu en milieu rural, où la population est plus faible, de sorte que nous avons accès à des données limitées. D’un point de vue statistique, nos résultats, quoique légèrement plus faibles, ressemblent à ceux des États-Unis, mais ne sont pas considérés comme aussi fiables ou solides.
Partant du principe de la prudence, le poids de la preuve recueillie jusqu’à maintenant devrait suffire à mettre en œuvre une politique plus rigoureuse. Je pense que cela devrait devenir une deuxième façon d’appliquer le principe de la prudence. Les études menées dans les collectivités rurales ou autochtones devraient être considérées comme aussi étoffées et fiables que les études en milieu urbain permettant d’obtenir de plus vastes ensembles de données.
La sénatrice Sorensen : Merci à tous les témoins. Vos témoignages étaient fort intéressants; vous nous avez présenté des faits et des données réels qui nous aideront à comprendre cette question.
Pour moi, le projet de loi C-226 représente essentiellement un document qui offre au ministre une orientation pour l’élaboration d’une stratégie nationale et la prise de mesures par rapport à cette importante question.
Ma question quelque peu répétitive est semblable à la première question de la sénatrice McCallum. Selon vous, comment les organismes communautaires et les membres de la communauté peuvent-ils mieux collaborer afin de conseiller le gouvernement fédéral dans l’élaboration d’une stratégie nationale?
J’aimerais aussi savoir si vous êtes d’avis que des amendements au projet de loi sont nécessaires à ce moment-ci ou si le projet de loi vise à saisir le ministre de la question et que la stratégie servira à définir plus de détails.
Je vais commencer par Mme Caron-Beaudoin. Madame Wiebe, dans votre réponse, vous avez répondu à ma question, en quelque sorte, mais n’hésitez pas à approfondir la question. Madame Waldron, je vous remercie. Je sais que vous avez répondu à la question de la sénatrice McCallum. J’aimerais beaucoup avoir l’occasion d’entendre chacune de vous. Je vous demanderais de limiter vos réponses, si possible, afin que je puisse entendre tout le monde. Il me reste probablement quatre minutes environ. Je commencerai par Mme Caron-Beaudoin.
Mme Caron-Beaudoin : Je vous remercie de la question, sénatrice.
Pour répondre à la question sur la façon dont les membres de la communauté et les organismes communautaires peuvent participer au processus, je vais revenir à l’une de mes recommandations. Il s’agit de créer ou de mettre en œuvre — possiblement au sein des Instituts de recherche en santé du Canada — un institut interdisciplinaire permanent entièrement consacré au financement de la recherche en santé environnementale. À mon avis, la structure de gouvernance de cet institut devrait comprendre des comités qui seraient stratégiquement composés de groupes multidisciplinaires et diversifiés de chercheurs et citoyens de diverses régions, ayant une expérience et une expertise pertinentes, et étant représentatifs de la diversité, comme le genre, le sexe, l’appartenance autochtone, la race, et cetera.
Cette représentativité au sein de la structure de gouvernance d’un tel institut contribuerait réellement au progrès de la recherche et des politiques en matière de justice environnementale. J’espère avoir répondu à votre question.
La sénatrice Sorensen : Selon vous, des amendements sont-ils nécessaires à ce moment-ci?
Mme Caron-Beaudoin : Non, je ne pense pas. J’adopterais le projet de loi tel quel.
La sénatrice Sorensen : Je vous remercie. C’est utile.
Mme Waldron : En fait, c’est déjà dans le projet de loi. L’obligation de consulter les collectivités touchées est l’un des points forts du projet de loi.
Un des critères pour définir le « racisme environnemental », c’est que les collectivités touchées par le racisme environnemental n’ont pas de place à la table. Une des définitions — les cinq critères du racisme environnemental —, c’est le fait que les collectivités n’ont pas l’occasion de participer à la prise de décision et qu’elles ne siègent pas au sein des organismes de réglementation, de divers organismes et des organisations non gouvernementales de l’environnement, ou ONGE. La force du projet de loi, c’est qu’il prévoit des consultations avec les collectivités.
C’est ce qui se passe. La semaine dernière, j’ai joint le ministre de l’Environnement et du Changement climatique à Shelburne, en Nouvelle-Écosse, pour une consultation au sein de la communauté noire. Je considère qu’il s’agit d’un modèle pour la tenue de consultations. Le ministre s’est assis avec les gens de la communauté de Shelburne et a écouté leurs préoccupations. Une dizaine de personnes étaient présentes. Il a écouté leurs préoccupations, puis ils ont demandé au ministre ce qu’il comptait faire. Il leur en a donné une idée et a parlé de la façon dont il collaborerait avec d’autres pour répondre à certaines de leurs préoccupations. Il est primordial de tenir de vastes consultations auprès des collectivités touchées partout au Canada.
Une des meilleures façons de commencer, à mon avis, est de trouver des gens qui sont respectés dans la communauté, ainsi que des organisations non gouvernementales, ou ONG, ou des organismes communautaires qui ont des liens étroits avec la communauté et qui y sont respectés. Ces personnes et organismes peuvent ensuite trouver des gens de la communauté qui seraient intéressés à organiser des consultations, des groupes de discussion ou diverses consultations avec le gouvernement sur ces questions.
Ainsi, ces collectivités participeraient à l’élaboration de la politique. Elles participeraient à la cocréation de la stratégie nationale en matière de justice environnementale, qui est aussi mentionnée dans le projet de loi.
Un des points forts du projet de loi, c’est qu’il permettra aux collectivités touchées, en participant à la cocréation de cette stratégie nationale, d’exprimer leurs préoccupations et de participer à l’élaboration des politiques, probablement pour la première fois, car je ne sais pas si le gouvernement procède habituellement ainsi.
La sénatrice Sorensen : Quel est votre avis au sujet de possibles amendements?
Mme Waldron : Oh, non. Le projet de loi est parfait.
La sénatrice Sorensen : Bien. Avoir un modèle de consultation idéale faciliterait considérablement notre travail. Le problème, c’est qu’une consultation varie beaucoup d’une personne à l’autre, selon le ministère et l’enjeu.
Mme Wiebe : Je ferai écho aux propos de mes collègues. Il est important d’avoir un institut de recherche interdisciplinaire qui se concentre sur la santé environnementale pour collecter le genre de données dont nous avons besoin. Il nous faut ces statistiques. Ma collègue, Mme Caron-Beaudoin, a parlé de l’importance de l’échantillonnage à grande échelle et à petite échelle. Nous avons besoin d’études à grande et à petite échelle.
Pour faire écho aux commentaires de Mme Waldron, le rôle du gouvernement fédéral consiste vraiment à écouter, à réunir, à coordonner les communautés touchées et à obtenir des orientations de ces communautés. C’est un point essentiel à souligner. Je pense que c’est très bien énoncé dans le projet de loi. Donc, je ne proposerais aucun amendement.
Le président : Avant de passer au deuxième tour, je tiens à signaler que le sénateur Prosper s’est joint à nous.
Le sénateur Wells : Je remercie les témoins de leur contribution jusqu’à maintenant.
Madame Waldron, j’ai une question concernant les projets où il existe un partenariat entre les collectivités autochtones et les entreprises du secteur de l’extraction. Avez-vous observé une approche différente ou des résultats différents lorsque les communautés autochtones et les entreprises du secteur de l’extraction ont des ententes de coopération?
Mme Waldron : Je ne pense pas pouvoir répondre à cette question, car je ne suis pas la mieux placée pour en parler. Mme Wiebe pourrait peut-être en parler, puisqu’elle travaille davantage avec les communautés autochtones. Ce n’est pas quelque chose que j’ai observé.
Mme Wiebe : Un exemple m’est venu à l’esprit tandis que vous formuliez la question. J’ai eu la chance de travailler avec la Première Nation d’Attawapiskat, dont la sénatrice McCallum a parlé plus tôt, par rapport au livre. La mine de diamants De Beers était située près de cette communauté. L’une des préoccupations de la communauté, au fil des ans, concernait l’entente sur les répercussions et les avantages. Les dirigeants ont souvent souhaité revoir l’entente et proposer une relation de traité.
Le problème, c’est que ces ententes sont parfois négociées en privé et ne font pas l’objet de consultations ou de débats publics par la suite. Voilà pourquoi les dirigeants de la communauté souhaitaient rouvrir ces ententes et avoir cette conversation.
Je pense que le problème survient lorsqu’il s’agit d’ententes de haut niveau négociées de façon descendante sans véritable consultation auprès de la communauté. Une des leçons apprises, c’est la nécessité de favoriser une collaboration et une véritable écoute, et d’offrir une véritable occasion aux gens de s’exprimer. Le consentement préalable, libre et éclairé est essentiel.
Je tiens à réaffirmer ici l’importance de la reconnaissance de ces droits issus de traités, et les promoteurs industriels doivent reconnaître ces droits lorsqu’ils se lancent dans ce genre de conversation. Je ne considère vraiment pas ce projet de loi comme anti-développement. Il s’agit de faire du développement de la bonne manière. Je pense que toute politique susceptible de faire progresser les relations fondées sur des traités, de favoriser une réelle participation et des consultations en continu et de réévaluer constamment les accords conclus permettra d’améliorer grandement la situation. Je sais qu’il y a beaucoup de rancœur dans le Nord à cause de l’héritage de la mine de diamants De Beers.
Le sénateur Wells : Je ne parle pas tant des droits issus de traités que de partenaires désireux de collaborer à un projet. Je n’oserais jamais dire à une bande ou à une nation si elle devrait être ouverte ou fermée dans ses consultations. C’est de ses affaires. C’est un autre sujet, et ce n’est pas l’objet de ma question.
Je m’interroge sur l’existence d’un accord ouvert et coopératif, puisqu’il y en a. C’est la pratique courante; ce n’est pas seulement une tendance. De nos jours, il est courant d’avoir des partenariats ouverts avec les communautés autochtones.
Avez-vous constaté, d’après votre expérience ou dans vos recherches, des différences dans les concentrations de toxines susceptibles d’être libérées dans la réalisation de projets? S’agit-il d’une chose qui échappe aux communautés autochtones, ou y a-t-il peut-être une forme de coopération avec les communautés autochtones? Les choses ont-elles changé?
Mme Wiebe : En ce qui concerne les différents types de relations dont j’ai été témoin, je peux vous parler de ce que j’ai observé dans la Chemical Valley. Par exemple, il y a différentes associations, comme les associations environnementales de l’industrie, qui, à mon avis, étaient sincères dans leurs efforts visant à chercher des solutions aux problèmes de santé locaux, notamment pour la population élargie de Sarnia et celle d’Aamjiwnaang. Je pense donc qu’il y a des efforts de bonne foi qui ont été déployés pour essayer de comprendre ces conséquences démesurées sur la santé.
Le problème qui se pose souvent, cependant, est celui de l’étendue et de la taille de l’échantillon étudié.
Dans la Chemical Valley, une étude mettant plusieurs parties à contribution a été menée sur la santé de la population de Lambton. Le problème était la portée de l’étude. Elle s’étendait à l’ensemble du comté de Lambton, soit à une population de 120 000 habitants, alors que la population d’Aamjiwnaang oscille autour de 1 000 habitants.
La difficulté, pour obtenir de bonnes données, c’est qu’il faut voir au-delà de l’échantillonnage d’une vaste population.
Je pense que de bons efforts sont déployés en matière de coopération. Dans les différentes industries, beaucoup de bonnes relations se sont tissées avec les membres de la bande, mais leurs préoccupations en matière de santé demeurent le principal problème. Il y a beaucoup d’incertitude parce qu’il manque de données fiables sur la façon dont cette communauté en particulier est touchée.
Le sénateur Wells : J’ai travaillé dans le domaine. N’est-ce pas l’organisme de réglementation seulement qui devrait pouvoir déterminer ce qui est acceptable d’un point de vue environnemental? L’organisme de réglementation fixe les règles, c’est le principe. Et les exploitants respectent les règles, c’est aussi le principe. Au large de Terre-Neuve, le secteur que je connais le mieux, le respect des règles est une condition à l’obtention du permis, et ce n’est pas une mince affaire.
L’organisme de réglementation n’aurait-il pas un rôle à jouer à ce chapitre?
Mme Wiebe : Vous soulevez des arguments intéressants sur le rôle de la réglementation.
D’après ce que j’ai observé au fil des ans, le ministère provincial de l’Environnement, par exemple, exerce beaucoup d’influence par la réglementation. Le défi, dans un endroit comme la Chemical Valley, c’est qu’il n’y a pas qu’une installation, il y en a des dizaines. Il y a plus de 40 installations situées de part et d’autre de la frontière canado-américaine, qui ont des effets cumulatifs sur la santé de la population. C’est facile de dire : « Ce n’était pas de notre ressort », d’où le sentiment que beaucoup ressentent d’être perdus dans les méandres du système. Il y a une responsabilité réglementaire, mais il y a parfois un manque de suivi.
Cependant, il est arrivé à quelques reprises que différentes installations se voient imposer des amendes, par exemple. À ma connaissance, lorsqu’il y a un déversement ou une fuite et que des sanctions sont imposées, par exemple, l’argent est perçu par l’administration municipale. Il n’est pas toujours redistribué à la bande. Il y a là aussi une répartition inéquitable des ressources.
Je suis d’accord avec vous pour dire que l’organisme de réglementation a un rôle à jouer ici, mais le régime actuel ne fonctionne pas toujours très bien, de multiples façons.
Le sénateur Wells : D’accord. Merci.
La sénatrice McCallum : Je voudrais revenir à la question de la sénatrice Galvez.
Je voudrais toutefois d’abord dire que ce projet de loi n’est volontairement pas prescriptif, parce que s’il l’était, ce serait une fois de plus les parlementaires qui décideraient de la façon de s’attaquer au racisme. C’est une chose que nous essayons d’éviter. On a dit que c’était une question philosophique, mais c’est la façon dont les Premières Nations gouvernent et l’ont toujours fait. C’est leur prémisse. Nous y revenons.
Lorsqu’on considère que le droit à un environnement sain ne s’applique qu’à la LCPE, c’est encore de cloisonner l’idée d’être en bonne santé et de la restreindre au cadre de la LCPE et rien d’autre. Comment peut-on ne pas miser sur l’objectif d’un environnement sain alors qu’il fait partie intégrante de notre structure de gouvernance? L’article 32 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dicte ce qui suit:
Les États mettent en place des mécanismes efficaces visant à assurer une réparation juste et équitable pour toute activité de cette nature, et des mesures adéquates sont prises pour en atténuer les effets néfastes sur les plans environnemental, économique, social, culturel ou spirituel.
Cela pave la voie à un environnement sain. C’est inscrit dans la Constitution des Premières Nations. Nous sommes en mauvaise santé à cause du racisme environnemental. C’est l’un de nos objectifs. S’il ne peut pas être intégré ici, que se passera-t-il?
Le président : Y a-t-il une question là-dedans?
La sénatrice McCallum : Je l’ai posée. Que se passera-t-il?
Mme Wiebe : Puis-je m’arrêter un instant pour voir si quelqu’un d’autre veut répondre?
Mme Waldron : Pouvez-vous reformuler la question?
La sénatrice McCallum : Il a été dit hier que le droit à un environnement sain relève de la LCPE. Si nous voulons combattre le racisme environnemental et favoriser la justice environnementale, ne devrait-on pas inclure ici le droit à un environnement sain?
Mme Waldron : Oui. C’est là que ces deux projets de loi se recoupent : nous comprenons que la santé est fondamentale dans ces communautés. Les répercussions sur la santé y sont majeures. C’est là qu’ils se recoupent.
Certaines personnes ne comprennent pas le concept de la santé des communautés autochtones, qui comme vous le savez, est très holistique. Selon l’épistémologie autochtone, la santé est un tout qui relie la terre, les animaux et les personnes. C’est une conception holistique de la santé. Dans le modèle euro-occidental, nous séparons ces choses.
En ce qui concerne le racisme environnemental, le projet de loi C-226 fait état de la nécessité de réaliser une étude sur le risque environnemental, le statut socioéconomique et les effets sur la santé.
De mon point de vue, les effets sur la santé sont souvent sous-estimés ou négligés. C’est l’obstacle auquel je me suis heurtée lorsque j’ai lancé mon projet : quand j’ai voulu parler au gouvernement des effets sur la santé, je n’ai pas été écoutée. Cela a beaucoup à voir avec la façon dont nous enseignons la santé au Canada et avec la façon dont nous enseignons l’environnement.
Dans de nombreux départements de sciences de l’environnement ou d’études environnementales au pays, la santé est dissociée de l’enseignement dispensé par de nombreux professeurs.
Quant aux départements et aux facultés du domaine de la santé, ils ne considèrent pas les questions environnementales comme des déterminants sociaux de la santé. Une grande partie de cette tension est donc attribuable au fait que la santé ne semble pas être aussi importante pour les scientifiques du domaine de l’environnement qui effectuent une grande partie du travail, à l’exception de quelques-uns.
Pour ce qui est des chercheurs du domaine de la santé — et je relevais du département de la santé —, ils ne sont pas très intéressés par les questions environnementales. Le lien entre les deux n’est donc pas pleinement pris en compte; cela transparaît dans la façon dont la santé est souvent négligée et compromise.
La LCPE est une bonne loi. J’ai mes propres réserves sur la LCPE. On n’y fait pas mention des communautés racisées. On n’y fait pas mention des communautés noires. Elle ne s’appuie pas sur une approche intersectionnelle.
L’une des forces du projet de loi C-226, à mon avis, c’est qu’il inclut les communautés autochtones et les autres communautés racisées et qu’il se fonde sur une approche intersectionnelle, qui tient compte de la race. On y reconnaît que la race est un facteur, un déterminant majeur de la santé. On y parle du statut socioéconomique. On y fait mention de la santé. C’est la force de ce projet de loi, et je pense qu’il est plus fort que la LCPE à bien des égards, parce que la LCPE n’est pas intersectionnelle, selon moi.
Lorsque nous commencerons à appliquer le projet de loi, nous devrons aussi comprendre les diverses interprétations de la santé. Les communautés noires et autochtones, entre autres, en ont une interprétation holistique. C’est donc très important de délaisser votre modèle occidental (que nous appelons le modèle « médical »). Je vois que ce projet de loi le permet, parce que nous allons mener des consultations. Les communautés vont nous dire comment elles voient la santé, donc c’est une grande force.
Le président : Avez-vous d’autres commentaires?
Mme Wiebe : Les explications de Mme Waldron appuient bien les commentaires de Mme Caron-Beaudoin sur un institut interdisciplinaire de la santé. Il est crucial qu’un tel institut favorise une approche holistique.
Pour ce qui est de la mise en œuvre du projet de loi, je sais que ce n’est pas ce qui nous est demandé, mais tôt ou tard (pour ceux qui nous écoutent et qui vont y réfléchir), il sera essentiel d’appliquer une stratégie intersectionnelle planétaire au financement de la santé interdisciplinaire, pour éviter les perceptions en vase clos. J’espère qu’une telle stratégie permettra de rassembler les différentes conceptions.
Mme Caron-Beaudoin : C’est parfait.
La sénatrice Galvez : Je veux faire un commentaire. Je viens moi-même du milieu de la recherche et j’ai fait partie de plusieurs organisations, groupes et institutions, si bien que je sais qu’on peut créer bien des institutions et des instituts, mais que cela ne garantit pas que le gouvernement va mettre la main à la pâte. C’est extrêmement important de le savoir. On peut bien créer une structure, sans nécessairement atteindre l’objectif.
J’étais très contente que le sénateur Wells parle des communautés qui ont signé des accords et qui collaborent avec des entreprises qui pourraient polluer les eaux, l’air ou la terre. Cela me fait penser qu’il y a deux types de cas à prendre en considération.
Il y a les cas historiques où la contamination remonte à longtemps. Les ententes sur les répercussions et les avantages, qui sont confidentielles, ne prévoyaient sans doute rien en ce sens. Personne n’est au courant. Cela contrevient au droit défendu par les Nations unies à un consentement libre, préalable et éclairé, qui est public. Il faut régler ce problème de longue date, et j’espère que cette stratégie va changer la donne.
Comme Mme Caron-Beaudoin l’a dit, il y a de nouveaux projets qui misent sur la prudence. Il faut mettre l’accent sur la prudence pour prévenir toute nouvelle situation de racisme environnemental. À ce propos, il y a deux instruments législatifs : la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (la nouvelle version), mais aussi l’évaluation environnementale modernisée, qui doit tenir compte de toute cette intersectionnalité.
Compte tenu de tous les cas actuels de contamination et de réparation (et qui paiera pour les mesures de réparation?) et des nouveaux cas qui surviendront, car on va continuer de multiplier les projets, comment pouvons-nous prévenir le racisme environnemental?
Ma question s’adresse à qui voudra bien répondre.
Le président : Posez-vous votre question aux trois témoins?
La sénatrice Galvez : Oui, je présume que les trois témoins ont quelque chose à dire là-dessus.
Mme Caron-Beaudoin : Merci de cette question.
Vous avez parlé du principe de précaution. Je réitère ce point-là. Par souci de clarté, je précise que son interprétation sera bien utile aux divers niveaux de gouvernance. C’est mon premier point.
Pour ce qui est de l’évaluation du risque environnemental, je pense qu’il faut aussi se demander comment nous allons évaluer les effets cumulatifs des grands projets industriels.
Je peux vous donner un bref exemple lié au pétrole et au gaz provenant de sources non classiques. Souvent, les communautés autochtones vont évaluer ces projets un puits à la fois (un permis à la fois), au lieu d’adopter une approche plus holistique. Il convient de se demander quelle est l’étendue prévue du développement. On ne va pas forer qu’un seul puits.
Actuellement, il y a environ 35 000 puits dans le Nord-Est de la Colombie-Britannique. Si on les évaluait un à la fois, il faudrait y consacrer beaucoup de temps et d’énergie. De plus, les données scientifiques sur le risque à l’environnement et à la santé humaine ne sont pas forcément exactes. Il serait utile d’avoir une structure pour évaluer les effets cumulatifs, au lieu d’y aller projet par projet ou étape par étape. J’espère que cela répond à votre question.
Mme Waldron : Les évaluations environnementales que nous faisons sont justement un moyen de prévenir le racisme environnemental. Nous avons parlé de travail en vase clos. Je connais un professeur qui veille à réunir des spécialistes de différentes disciplines, comme la psychologie, la sociologie, la santé et les sciences de l’environnement. Selon moi, c’est la voie à suivre, mais je ne sais pas si c’est possible. Par le passé, on privilégiait certains professionnels ou certaines disciplines pour mener des évaluations environnementales. Il s’agit d’un enjeu intersectionnel. Si on ne fait pas appel à un spécialiste de la santé, par exemple, on ne saura pas quels sont les effets sur la santé de communautés touchées. L’idéal, c’est de pouvoir compter sur une équipe interdisciplinaire ou multidisciplinaire d’experts et de membres des communautés qui se spécialisent dans différentes disciplines, comme la sociologie, la santé, la psychologie, les sciences politiques, les sciences de l’environnement, etc., parce que les solutions au racisme environnemental (et les solutions à tout problème) sont interdisciplinaires.
J’en ai pris conscience dans mon propre travail, parce que je suis extrêmement collaborative. Je suis sociologue, mais j’ai demandé à des gens de différentes disciplines de me prêter main-forte. Les lacunes que chacun de nous peut avoir sur le plan des connaissances sont résolues, parce que nos différentes connaissances se complètent. Je pense que les évaluations environnementales effectuées par des experts de diverses disciplines (pas seulement par des écologistes) sont la voie à suivre, mais je ne sais même pas si c’est possible.
Il faut aussi comprendre l’épistémologie autochtone. Si on ne comprend pas, par exemple, les déterminants sociaux de la santé et les manières holistiques qu’ont les Autochtones de comprendre le monde dans une évaluation environnementale, on ne fait que répéter ce qui a déjà été fait.
Nous avons besoin d’une stratégie différente. Nous devons comprendre l’approche des Autochtones et combler les lacunes. Pour ce faire, il faut former une équipe multidisciplinaire d’experts et de membres de la communauté touchée.
Mme Wiebe : Je suis d’accord avec tout ce que les autres témoins viennent de dire.
Je veux revenir à ce qui a été dit sur les recherches et les politiques. C’est pourquoi ce projet de loi est si important. Sans lui, il nous manque un peu de pression politique pour signaler au gouvernement qu’il faut agir. Sinon, nos efforts restent un peu comme un coup d’épée dans l’eau. Ce projet de loi sert de catalyseur pour la bonne recherche qui se fait.
Je veux reparler des évaluations environnementales, parce que c’est très important. Si l’on mène ces évaluations de la bonne manière, on peut prévenir le racisme environnemental et promouvoir la justice environnementale. Je ne sais pas si Mme Dayna Scott fait partie de votre liste de témoins, mais je vous conseille de l’inviter ou de lire ses travaux. Elle a beaucoup travaillé avec des communautés autochtones pour cultiver des stratégies qui tiennent compte des points de vue, des approches et des droits autochtones dans les évaluations environnementales.
Je suis tout à fait d’accord qu’il faut des équipes multidisciplinaires. Je pense que c’est essentiel, tout comme le fait de combiner différents champs d’expertise et de reconnaître que les communautés ont beaucoup de savoir. Je répète que j’ai travaillé avec les membres de la Première Nation Aamjiwnaang, qui a réalisé bien des études sur la santé. J’appuie ses dirigeants, son savoir et ses données, ainsi que les équipes universitaires évaluées par des pairs. Cette stratégie est centrale au succès de ce genre de travail.
[Français]
Le président : Merci à vous trois. Vos témoignages ont été très utiles. Plusieurs informations ont été partagées. Votre contribution est très pertinente.
Pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons M. Chris Plain, chef, Première Nation Aamjiwnaang. Je vous souhaite la bienvenue, chef Plain, et je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Cinq minutes sont réservées pour votre allocation d’ouverture, qui sera suivie d’une période des questions de la part de nos collègues. La parole est à vous.
[Traduction]
Chris Plain, chef, Première Nation Aamjiwnaang : Bonjour, monsieur le président, et bonjour aux membres du comité. Je m’appelle Christopher Plain et je suis chef élu de la Première Nation Aamjiwnaang. Je suis ici aujourd’hui pour vous parler du vécu de ma communauté dans une zone de sacrifice environnemental.
Les Nations unies décrivent les zones de sacrifice environnemental comme des régions extrêmement contaminées où les résidants (qui sont souvent des groupes compromis, vulnérables et marginalisés) souffrent de conséquences physiques et mentales et de violations des droits de la personne, parce qu’ils vivent dans des endroits très pollués et lourdement contaminés. Malheureusement, ma communauté a été identifiée comme une zone de sacrifice environnemental par les Nations unies et d’autres.
Depuis plus de 100 ans, le peuple d’Aamjiwnaang doit subir les effets disproportionnés sur la santé de la pollution industrielle toxique sur son territoire. La pollution constante cause des effets troublants sur la santé de notre peuple et nuit à nos relations culturelles avec les terres et les eaux, en réduisant notre capacité d’exercer nos pratiques traditionnelles, conformément aux droits autochtones et issus de traités protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Aamjiwnaang est une communauté anishinaabe située près de Sarnia, dans ce qui est maintenant le Sud-Ouest de l’Ontario, à l’extrémité sud du lac Huron, à l’est de la rivière St. Clair, de l’autre côté de la frontière Canada-États-Unis de Port Huron, au Michigan. Nous comptons environ 2 500 membres, dont 900 vivent dans la communauté et environ le quart sont des enfants.
Dans notre langue, « Aamjiwnaang » signifie « cours d’eau de fraie », en référence aux importants stocks d’esturgeons situés dans notre région. Dans l’histoire orale d’Aamjiwnaang, la lignée de notre peuple remonte aux origines de l’eau. Nos ancêtres ont été témoins de l’ère glaciaire, de deux grandes inondations, des changements dans le niveau des eaux du lac et de l’arrivée des premiers Européens sur notre territoire. En communion avec tout le vivant, nous avons grandi et prospéré au fil du temps, nourris par la richesse et la générosité des lacs et des rivières qui nous entourent.
Aamjiwnaang est une nation souveraine qui a un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Les dirigeants d’Aamjiwnaang ont négocié une série de traités avec la Couronne britannique, dès le XVIIe siècle. En 1827, nous avons conclu le traité 29 avec la Couronne, qui promettait à notre peuple qu’il pourrait continuer à utiliser la terre et les eaux. Je suis le descendant de quatre signataires de traités.
Nous n’avons jamais abdiqué nos droits autochtones, et nous avons accepté de partager notre territoire avec la Couronne et ses sujets.
Les gouvernements canadiens ont favorisé le développement de l’industrie lourde à Sarnia du début au milieu du XXe siècle. Durant la Deuxième Guerre mondiale, le Canada et ses alliés avaient besoin de caoutchouc. Coupé de l’approvisionnement mondial, le gouvernement fédéral a décidé d’en produire à Sarnia. Propriété du gouvernement fédéral, une usine de polymère a rapidement été construite. Les universitaires ont décrit ce développement comme suit :
Le développement avançait à un rythme effréné, malgré les pénuries de main-d’œuvre et de matériaux de construction clés et les conditions de travail cruelles imposées par un hiver inhabituellement long et rude. Après 13 mois (deux mois plus tôt que prévu), grâce au travail de près de 5 500 travailleurs, la construction du complexe industriel Polymer de Sarnia était essentiellement terminée. Les coûts étaient énormes eux aussi : au total, la construction de Polymer a coûté environ 51 millions de dollars, ce qui en faisait la plus importante dépense publique sur un projet durant la guerre dans l’histoire canadienne...
L’histoire de la naissance de la Chemical Valley durant la deuxième moitié du XXe siècle est surtout fédérale. Il s’agit d’un grand investissement public, qui a été suivi de politiques et de mesures publiques opportunes et appropriées pour répondre aux exigences de ce secteur industriel en croissance. Un noyau dense d’entreprises du secteur privé a également stimulé l’investissement. Sans les mesures prises par le gouvernement fédéral pour stimuler la croissance, le développement de l’industrie à Sarnia aurait bien pu être interrompu.
Après la guerre, le gouvernement fédéral a continué sa production et cherchait à faire de Sarnia une puissance industrielle. Au fil du temps, on a construit d’autres usines de produits chimiques sur nos terres, ce qui les a contaminées. Ainsi a commencé l’empoisonnement multigénérationnel de notre peuple. Le legs de ces décisions illégales et déshonorantes a exposé notre communauté à des dommages environnementaux constants.
Aamjiwnaang est située à l’épicentre de ce que l’on appelle la vallée chimique du Canada, ainsi nommée parce que la région abrite 40 % de l’industrie chimique canadienne. La vallée chimique a été décrite comme l’exemple le plus déconcertant d’injustice environnementale au Canada.
Au cours des 100 dernières années, les terres et les eaux d’Aamjiwnaang ont été appauvries par la surexploitation. Toutes les facettes de l’environnement d’Aamjiwnaang sont polluées, notamment l’air, le sol et l’eau. Les experts qualifient les terres traditionnelles d’Aamjiwnaang de surchargées ou saturées, ce qui signifie que cette zone a atteint un état qui ne peut plus supporter la moindre pollution. D’ailleurs, il est probable que les terres traditionnelles d’Aamjiwnaang soient parvenues à cet état il y a déjà de nombreuses années.
Les membres de la communauté qui ont grandi en nageant dans les eaux, en pêchant des poissons et en récoltant des remèdes traditionnels signalent aujourd’hui des effets négatifs sur la santé résultant de ces activités traditionnelles, lesquelles sont des droits ancestraux et issus de traités protégés par la Constitution en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Dans l’état actuel des choses, il n’y a pratiquement aucun endroit à proximité d’Aamjiwnaang où nos membres peuvent exercer leurs droits ancestraux et issus de traités protégés par la Constitution sans s’inquiéter de la bioaccumulation de produits chimiques dans les plantes, les animaux, les poissons et les oiseaux traditionnels. La pollution peut donner à l’air une odeur d’œufs pourris et provoquer des vertiges et des nausées. Les résidants doivent composer avec le grondement constant des tours de torche, le bruit des sirènes et, à l’occasion, les alertes d’abri sur place. Les problèmes de santé physique et psychologique sont fréquents, notamment les taux élevés de fausses couches, d’asthme infantile et de cancer.
En 2017, la commissaire à l’environnement de l’Ontario, Dianne Saxe, a déclaré qu’Aamjiwnaang est l’un des endroits les plus pollués en Ontario en raison du grand nombre d’usines d’industries lourdes situées si près de la zone résidentielle. Cette situation est l’héritage de décisions d’aménagement du territoire qui ne seraient jamais permises de nos jours.
Le racisme environnemental peut être défini comme l’implantation délibérée ou intentionnelle de sites de déchets dangereux, de décharges, d’incinérateurs et d’industries polluantes dans des communautés habitées par des minorités ou des pauvres. Le concept de racisme environnemental, qui est fondé sur les droits, révèle que les communautés soumises à ce type de racisme sont souvent appauvries, exclues des cultures dominantes et privées d’une citoyenneté à part entière. Ce statut marginalisé laisse les communautés impuissantes sur le plan politique et sans représentation dans le processus d’élaboration des politiques.
Aamjiwnaang est entourée, sur trois côtés, par plus de 60 raffineries industrielles, dont les plus proches se trouvent littéralement en face, surtout, d’importants lieux de rassemblement communautaire comme le bureau du conseil de bande, notre église, notre cimetière, notre centre de ressources et de nombreuses résidences. Ces installations représentent 40 % des raffineries chimiques du Canada. Il en est ainsi depuis de nombreuses générations. Alors que les communautés de colons ont été relogées ailleurs gratuitement, nous sommes restés sur nos terres. Pour nous, cette expérience dénote un profond racisme environnemental.
En 2019, le rapporteur spécial des Nations unies sur les incidences sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination écologiquement rationnelles des produits et déchets dangereux a effectué une visite officielle au Canada, au cours de laquelle il s’est rendu à Aamjiwnaang et dans la ville de Sarnia. Dans son rapport final, daté du 27 novembre 2020, il a fait les observations suivantes — il y en a trois sur la liste :
La situation de la Première Nation Aamjiwnaang à Sarnia est extrêmement troublante. Profondément attachés à leur terre, les habitants de la réserve ont été envahis par l’industrie dès les années 1940.
À vrai dire, c’est à la fin des années 1800 que la Compagnie Pétrolière Impériale s’y est installée, mais on parle ici des raffineries. Je poursuis la lecture du rapport :
Ils sont aujourd’hui presque entièrement entourés de plus de 60 installations industrielles dont la présence crée un stress physiologique et mental chez les membres de la communauté en raison du risque d’explosions imminentes ou d’autres catastrophes et en raison de l’exposition chronique à des substances incontestablement toxiques. Sarnia, l’une des régions les plus polluées du Canada, a été surnommée la « vallée chimique ».
Plusieurs interlocuteurs ont reconnu que les règlements en vigueur ne protègent pas la santé des Aamjiwnaang. Il y a lieu d’apporter des améliorations grâce à l’étude des effets sur la santé, à la mise en place des mécanismes de surveillance appropriés et à l’application des normes existantes. Les évaluations des risques ne tiennent pas pleinement compte des effets cumulatifs sur la santé. L’injustice environnementale dont sont victimes les Aamjiwnaang est une tragédie permanente, héritage d’un aménagement du territoire qui ne serait pas permis de nos jours. Il est encourageant de constater que la communauté et les entreprises ont renforcé leur collaboration et leur engagement au cours des dernières années, notamment au moyen de financement pour permettre aux communautés d’embaucher leurs propres spécialistes de l’environnement afin de favoriser une participation constructive.
Par ailleurs, comme elles vivent en marge de la protection contre les substances toxiques, les communautés autochtones et racisées sont plus susceptibles d’y être exposées parce qu’elles n’ont pas de droits environnementaux exécutoires, d’autant plus qu’elles n’ont généralement pas les moyens politiques ou financiers de s’opposer aux puissantes industries polluantes et qu’elles subissent souvent des pressions sociétales pour accepter ces industries en raison, entre autres, de la nécessité de créer de l’emploi. Comme si cela ne suffisait pas, les « choix de vie » associés à la pauvreté sont invoqués pour rejeter, discréditer et même blâmer les victimes d’une exposition discriminatoire à des substances toxiques aux prises avec des maladies ou des handicaps, au lieu d’imposer aux acteurs polluants le fardeau de démontrer qu’ils n’ont pas contribué aux effets néfastes sur la santé.
Est-ce qu’il me reste assez de temps?
Le président : Si vous pouviez conclure en quelques minutes, je vous en saurais gré.
La sénatrice McCallum : Nous avons fait venir les témoins ici parce que beaucoup de sénateurs n’ont pas fait l’expérience directe du racisme environnemental. Une partie de cet exercice consiste à mettre en évidence ce que les gens vivent réellement. Si possible, pourrions-nous lui permettre de terminer son...
Le président : C’est bien ce que je fais. À vrai dire, nous avons dépassé le temps imparti, mais compte tenu de l’importance de la question et du fait que nous n’avons pas d’autres témoins, je fais preuve d’une grande souplesse.
M. Plain : Je vous remercie beaucoup. Dans son rapport final, le rapporteur spécial des Nations unies a formulé plusieurs recommandations à l’intention du gouvernement du Canada, dont les suivantes :
Reconnaître le droit à un environnement sain dans sa législation, éventuellement au moyen d’une modification constitutionnelle, et s’assurer que ce droit comprend l’obligation de prévenir l’exposition à des substances dangereuses;
Faire en sorte que les lois fédérales, provinciales et territoriales soient pleinement conformes à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones;
Veiller à ce que les normes environnementales dans les réserves soient aussi strictes, voire plus strictes, que les normes en vigueur sur les terres provinciales, territoriales et fédérales avoisinantes afin de garantir une protection égale aux personnes autochtones;
Modifier la Loi sur l’évaluation d’impact, une loi fédérale, afin d’exiger la prise en compte des répercussions des projets et politiques proposés sur les droits de la personne, en particulier les droits des populations vulnérables;
Améliorer la capacité de la Commission canadienne des droits de la personne à lancer des enquêtes et à entreprendre des initiatives en matière d’environnement et de droits de la personne, y compris en ce qui concerne l’exposition aux produits toxiques, notamment au moyen de crédits budgétaires et grâce à la promotion de la recherche;
Exiger la protection des populations vulnérables à toutes les étapes de l’examen de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement et classer les produits chimiques comme toxiques en fonction de leur danger et non de leur risque;
Mettre en œuvre des exigences juridiques pour une diligence raisonnable solide et obligatoire en matière de droits de la personne et prévoir des mesures réparatoires lorsque les activités des entreprises commerciales, tant au pays qu’à l’étranger, sont associées aux répercussions de l’exposition à des substances toxiques, tout en créant une cause d’action pour les victimes à la fois dans le pays hôte et au Canada;
Réviser les voies d’accès à la justice afin de donner plein effet à la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels par l’entremise du système judiciaire au Canada, tout en faisant participer la société civile et les peuples autochtones à cette révision;
Établir un solide cadre de justice environnementale fondé sur les principes de la justice procédurale, de la justice géographique et de la justice sociale;
Faire participer les peuples autochtones et d’autres sous-groupes de la population aux auto-évaluations afin de compléter les évaluations réalisées par les membres des autres sous-groupes.
Par ailleurs, le rapport a un lien direct avec le mandat du comité en ce qui concerne le projet de loi C-226 au regard de la déclaration des Nations unies. Je ne lirai pas le libellé intégral, mais je vais me reporter aux articles 21, 24 et 29.
En 2021, le gouvernement du Canada a adopté la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones afin de proposer ce qui suit :
a) de confirmer que la Déclaration constitue un instrument international universel en matière de droits de la personne qui trouve application en droit canadien;
b) d’encadrer la mise en œuvre de la Déclaration par le gouvernement du Canada.
À la suite des recommandations, le projet de loi C-226 prévoit actuellement que :
Le ministre élabore une stratégie nationale visant à promouvoir les initiatives, dans l’ensemble du Canada, pour faire progresser la justice environnementale et pour évaluer et prévenir le racisme environnemental et s’y attaquer.
Le projet de loi poursuit en précisant que :
(3) La stratégie inclut à la fois :
a) une étude qui comprend :
(i) d’une part, un examen des liens entre la race, le statut socioéconomique et le risque environnemental,
(ii) d’autre part, des renseignements et des statistiques concernant l’emplacement de dangers environnementaux [...]
Bien qu’il s’agisse de facteurs importants à inclure dans l’étude du racisme environnemental, la liste est incomplète et ne tient pas compte des répercussions précises du colonialisme sur les peuples autochtones. En 2022, dans un article de la revue Le Médecin de famille canadien, des experts médicaux ont fait l’observation suivante :
Il est également essentiel de reconnaître l’interaction entre le colonialisme et d’autres déterminants de la santé, en particulier ceux liés à la santé des peuples autochtones. L’histoire du Canada est jalonnée de promesses de traités non tenues, d’actes et de politiques discriminatoires visant l’assimilation et l’appropriation de terres et de ressources à l’exclusion des peuples autochtones. Le colonialisme touche directement la santé et le bien-être des peuples autochtones. Dans le contexte du racisme environnemental, le colonialisme a engendré un racisme structurel et institutionnel qui façonne encore aujourd’hui les politiques et les pratiques environnementales.
Nous recommandons donc que le sous-alinéa 3(3)(a)(i) du projet de loi C-226 soit modifié comme suit :
(3) La stratégie inclut à la fois :
a) une étude qui comprend :
(i) d’une part, un examen des liens entre la race, les répercussions du colonialisme, le statut socioéconomique et le risque environnemental [...]
En conclusion, je vous remercie d’avoir bien voulu prolonger mon temps de parole. L’injustice environnementale dont sont victimes les membres de la Première Nation Aamjiwnaang est une tragédie permanente et un exemple flagrant de racisme environnemental. Aujourd’hui, il serait insensé de construire un si grand nombre d’industries à côté de maisons, d’écoles et de lieux de travail. Demandez-vous si vous souhaiteriez élever une famille ici. Pensez-vous que cela se produirait à Oakville ou à Rockcliffe Park, ici, à Ottawa? Dans son rapport de 2022, le rapporteur spécial des Nations unies déclare ce qui suit :
L’existence continue de zones de sacrifice est une tache sur la conscience collective de l’humanité. [...] Les gens qui habitent dans les zones de sacrifice sont exploités, traumatisés et stigmatisés. Ils sont traités comme des objets jetables, leurs voix ne sont pas prises en compte, leur présence est exclue des processus décisionnels, et leur dignité et leurs droits fondamentaux sont bafoués.
Les gouvernements doivent prendre les mesures nécessaires pour garantir l’application des normes environnementales, protéger la santé de nos membres et réduire la pollution dans notre communauté. Les normes gouvernementales ne tiennent pas pleinement compte des effets cumulatifs sur la santé et, malgré d’innombrables lettres, études, pétitions, protestations, rapports et appels à une réforme législative, les dommages se poursuivent chaque jour.
La situation des Aamjiwnaang n’est pas due à un problème d’ignorance, mais bien à un problème d’inaction. De plus, nous devons rétablir les relations fondées sur les traités entre les Aamjiwnaang et la Couronne, de sorte que notre peuple dispose d’une voix égale dans la prise de décisions qui concernent ses terres et ses eaux et qui touchent directement ses membres. Nous devons avoir une place à la table, et nos préoccupations doivent éclairer la voie à suivre. Nous voulons faire partie de la solution. Nous voulons être certains que l’air que nous respirons n’est pas en train de nous tuer à petit feu. Nous voulons vivre avec la certitude que nos enfants ne tomberont pas malades et ne mourront pas avant nous.
Nous espérons que votre travail sur le racisme environnemental marquera le début d’une nouvelle relation honorable où les Aamjiwnaang pourront voir des résultats mesurables de la part d’un gouvernement qui s’est engagé à faire mieux. Meegwetch.
Le président : Je vous remercie, chef. Souhaitez-vous ajouter quelque chose?
M. Plain : Non, mais je tiens à remercier le comité de m’avoir donné l’occasion de témoigner ici aujourd’hui. Ce travail et celui que nous faisons chez nous sont importants, et je ne peux pas résumer le tout en si peu de temps. La quantité de pollution dans notre région est telle que notre communauté ne compte plus que 900 personnes. Depuis au moins 20 ans, il y a toujours eu une personne atteinte de cancer, et nous nous connaissons tous. Il s’agit d’un petit groupe démographique qui doit faire face en permanence à de telles répercussions sur la santé. La pollution sonore, la pollution de l’air et l’exposition constante à la lumière sont des sacrifices avec lesquels nous vivons tous les jours — les gens ne se rendent peut-être pas compte de l’ampleur des répercussions simplement parce qu’ils vivent à proximité. C’est quelque chose qu’il faut également reconnaître. Je vous remercie.
Le président : Merci à vous. Nous allons passer à la période des questions.
La sénatrice McCallum : Je voulais revenir sur votre proposition d’amendement concernant l’examen de la race et des répercussions du colonialisme. Dans le projet de loi, on peut lire ce qui suit :
(3) La stratégie inclut à la fois : [...]
(i) d’une part, un examen des liens entre la race, le statut socioéconomique et le risque environnemental,
(ii) d’autre part, des renseignements et des statistiques concernant l’emplacement de dangers environnementaux [...]
Lorsque nous tenons compte des témoignages des autres intervenants qui ont étudié la région, la race et le colonialisme figuraient déjà parmi les facteurs. Ces éléments ont été pris en compte. Le caractère non prescriptif est intentionnel, car chaque groupe peut ainsi intégrer dans l’étude les éléments qui le touchent — parce que le racisme est au cœur de l’injustice environnementale. Pourriez-vous nous expliquer si votre proposition va au-delà de ce qui est prévu ici?
M. Plain : Je vous prie de m’excuser, mais en ce qui concerne la recommandation, je veux m’assurer de bien comprendre ce que vous demandez afin de ne pas faire perdre de temps au comité.
La sénatrice McCallum : On parle d’un examen qui tient compte de la race et des répercussions du colonialisme.
M. Plain : Je veux m’assurer de bien comprendre la question.
La sénatrice McCallum : Ma question, c’est que les recommandations que vous demandez sont déjà prévues dans le projet de loi.
M. Plain : Je vois. Dans ce cas, je suppose que nous réaffirmons l’importance de cet aspect, notamment en raison des avertissements continus et des études que nous avons produites.
La sénatrice McCallum : Je vous remercie. Comment le projet de loi peut-il soutenir la souveraineté et l’autodétermination des Autochtones? Vous avez mentionné l’établissement de traités et dit qu’il est essentiel que cela fasse partie du processus. Pouvez-vous nous parler un peu de l’importance des traités? Je pense en effet qu’ils sont très importants.
M. Plain : Les traités varient d’une région à l’autre du pays. Bien sûr, le nôtre a été conclu avant la Confédération. Nous avions un traité de cession de terres dans le cadre duquel il a été convenu de partager les terres. Nous comprenons l’importance des traités pour le partage des terres. Je ne sais pas trop ce que votre question...
La sénatrice McCallum : Beaucoup de gens pensent que les traités ne devraient pas entrer en ligne de compte dans le racisme environnemental ou que les traités n’englobent pas toutes les facettes de notre vie ou qu’ils font partie intégrante de...
M. Plain : En vertu de la signature du traité, nous avons cédé 2,2 millions d’acres à la Couronne, à l’exception de quatre parcelles de terre pour notre nation, qui a évolué en quatre Premières Nations et quatre collectivités. Nous avons accepté de partager ces terres, en laissant un total de 10 000 acres pour notre communauté, afin qu’elle puisse jouir de la prospérité et de la vie telle qu’elle était avant la signature du traité. Aujourd’hui, nous ne possédons plus que 2 500 acres, car 7 500 acres nous ont été retirés pour construire cette « vallée chimique ». À la suite d’un certain nombre de mesures de réquisitions de terres, nous ne possédons même plus les terres ayant été laissées de côté en vertu du traité. Nous ne disposons plus que de 2 500 acres. La « vallée chimique » a fini par engloutir les terres qui avaient été officiellement réservées à notre communauté dans le cadre de ce traité.
Si la situation que je viens de vous décrire ne représente pas un exemple frappant de racisme environnemental, je me demande ce qu’il faudrait de plus pour convaincre les gens. Nous avons accepté de partager plus de 2,2 millions d’acres de terres, et nous ne possédons plus que 25 % de la superficie de notre territoire d’origine en vertu du traité, c’est-à-dire un maigre résidu de 10 000 acres par rapport à une superficie totale de 2,2 millions d’acres. La « vallée chimique » s’est développée sur les terres de notre réserve, alors que les terres situées à l’extérieur de notre communauté ont été préservées, elles.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup, chef Plain, d’être venu ici et de nous avoir fait part de votre expérience. Je souhaite rebondir sur les remarques faites par ma collègue, la sénatrice McCallum; seuls quelques-uns d’entre nous ont vécu cette expérience de première main lors de notre déplacement dans certaines de ces zones. C’est un point très important à rappeler.
Vous nous avez raconté une histoire tragique qui dure depuis des décennies, et qui montre que le principe du pollueur-payeur et de prévention de la pollution ne fonctionne manifestement pas. De toute évidence, nos lois et nos règlements en matière de protection environnementale ne sont pas toujours appliqués. La pollution n’est pas découragée, elle est même autorisée. De manière plus générale, je note que le gouvernement tend à se concentrer sur le contrôle de la pollution, mais consacre trop peu d’efforts à la prévention.
La proposition-cadre dont nous sommes saisis indique d’abord que la stratégie du gouvernement doit inclure des mesures pouvant comprendre « […] des modifications possibles aux lois, politiques et programmes fédéraux. ». Je constate que certains amendements pourraient être facilement apportés aux lois actuelles.
La seconde disposition stipule qu’il faut favoriser « […] la participation de groupes locaux dans l’élaboration des politiques en matière d’environnement. ». Je m’entretiens régulièrement avec des représentants des communautés autochtones, et j’ai entendu dire qu’elles en avaient un peu assez d’être consultées sans que rien de concret ne soit fait. Je vous remercie de nous avoir apporté vos recommandations. Nous devons faire en sorte que les consultations du gouvernement auprès des Autochtones ne se limitent pas à une écoute passive, et que le geste suive la parole.
La troisième disposition prévoit « […] l’indemnisation des particuliers et des collectivités. ». Je n’ai pas la réponse, alors je me permets de vous poser la question : qui devra verser cette indemnisation? Devrions-nous indiquer que le principe du pollueur-payeur doit être mis en œuvre?
Mon dernier point concerne la collecte de renseignements et de statistiques relatives aux résultats en matière de santé. Nous venons d’entendre les témoins précédents en parler, et vous venez de mentionner que ce processus ne concerne que 800 personnes. En vous appuyant sur votre expérience et vos connaissances personnelles, avez-vous envisagé de collaborer avec des chercheurs spécialisés dans le domaine de la santé afin de présenter ces données au gouvernement pour l’aider à élaborer des politiques environnementales. Je sais que ma question est très longue, et je m’en excuse.
M. Plain : Je tiens d’abord à préciser que ma communauté ne cherche pas à être indemnisée. Nous voulons simplement pouvoir vivre au sein d’un environnement propre, nous souhaitons avoir accès à de l’eau propre et à de l’air pur. Le gouvernement a déployé de grands efforts en matière d’assainissement des terres, mais en même temps, le développement se poursuit et les normes environnementales ne sont toujours pas appliquées. Voilà la raison fondamentale de ma présence parmi vous aujourd’hui.
De l’autre côté de la clôture qui délimite nos terres, nous constatons des niveaux élevés de benzène qui pénètrent dans notre aire de jeux et dans la zone abritant notre complexe administratif. Les responsables ont été informés des standards qu’ils sont tenus de respecter, mais ils ne font toujours rien.
Comme je l’ai dit, nous ne cherchons pas à obtenir une quelconque indemnisation. Le développement économique de ma communauté se porte bien. Aucune somme d’argent ne pourrait nous satisfaire si nous continuons d’être exposés à ce racisme environnemental. Nous avons investi plus de 200 millions de dollars dans des projets d’énergie propre. C’est de là que nous tirons nos revenus pour pouvoir payer des consultants qui nous confirment à quel point notre communauté est affectée par la dégradation de notre environnement. Nous contribuons à ce que nous pensons être des projets d’énergie verte. Nous consacrons beaucoup d’efforts au développement économique de notre territoire, et nous possédons plusieurs coentreprises. Mais nous tenons également à respecter un principe cardinal : nous ne soutenons pas les entreprises dont les activités sont susceptibles d’entraîner des répercussions négatives sur notre communauté. Quelle que soit l’entreprise et l’indemnisation quelle nous propose, nous allons toujours refuser. Nous recherchons la capacité à soutenir notre communauté pour les sept générations à venir. Je suis désolé si j’ai induit le comité en erreur en suggérant que nous recherchions une quelconque indemnisation.
L’autre question que vous avez posée concerne la consultation. En réalité, nous sommes consultés beaucoup trop fréquemment. Le processus de consultation et les aménagements me préoccupent toujours, car si nous formulons par exemple 14 préoccupations à l’égard d’un projet et que trois d’entre elles ne peuvent faire l’objet d’un compromis ou ne puissent être abordées, 11 sur 14 semble être un taux acceptable pour certaines personnes, mais pas pour nous. Ce que nous devons proposer est plus lourd en termes d’effets cumulatifs, et c’est l’un des défis auxquels nous sommes confrontés. Lorsqu’une industrie cherche à se développer dans notre région, c’est l’impact cumulatif des installations voisines que nous essayons de prendre en compte. Nous ne disposons d’aucune étude en Ontario qui traite des impacts cumulatifs, alors que c’est pourtant le cas dans les provinces de l’Ouest.
La sénatrice Galvez : Le gouvernement a modernisé la Loi sur l’évaluation d’impact. Après 23 ans d’attente, nous avons modernisé cette loi afin de tenir compte du genre, des changements climatiques et des effets cumulatifs. Comme la loi actuelle n’aborde pas l’enjeu fondamental des impacts indirects, j’ai essayé d’y apporter certains amendements.
Néanmoins, et comme vous l’avez expliqué, la loi actuelle n’est pas appliquée au sein de votre territoire. Je ne prétends pas que le gouvernement est parfait, mais il a quand même consacré des efforts considérables en matière de modernisation de ces lois sur la protection de l’environnement. La prochaine étape est de nous assurer que ces lois et ces règlements soient appliqués concrètement.
L’une des raisons pour lesquelles je pense que nous ne sommes pas performants dans ce domaine est que l’expertise de notre gouvernement fédéral s’amenuise. Le pouvoir politique diminue, la bureaucratie prend de l’ampleur, et l’expertise ne cesse de diminuer.
M. Plain : C’est notre responsabilité, et c’est ce que nous devons faire comprendre au gouvernement.
La sénatrice Galvez : Nous vous écoutons.
M. Plain : Nous avons pris la décision d’engager des consultants en gestion de l’environnement, qui nous font bénéficier de leur expertise. D’ailleurs, la plupart d’entre eux ont déjà travaillé pour le gouvernement.
La sénatrice Galvez : J’imagine que les services de ces consultants sont loin d’être gratuits. Pourriez-vous nous en dire plus, je vous prie, car je tiens vraiment à comprendre la situation.
M. Plain : Les services de ces consultants en gestion de l’environnement sont effectivement très onéreux, mais en fin de compte, nous avons la responsabilité fiduciaire de protéger les membres de notre communauté, et nous le ferons à n’importe quel prix. Si nous devons engager les meilleurs experts-conseils, nous le ferons, car nous espérons que le gouvernement les écoutera. Nous devons donc faire venir des consultants d’Ottawa et d’ailleurs au Canada pour défendre nos intérêts, même si nous devrons y consacrer d’importantes ressources financières.
La sénatrice Galvez : D’après ce que je comprends, vous avez accumulé plusieurs études et plusieurs rapports avec le temps?
M. Plain : Nous avons effectivement accumulé plusieurs études universitaires. Nous avons également conclu des partenariats avec différentes universités au Canada et aux États-Unis. Ce sont ces universités qui nous ont proposé de s’associer à notre communauté. Nous devons agir en tant que communauté. L’environnement toxique dans lequel nous baignons nous empêche de mener un mode de vie digne d’une Première Nation. Il faut comprendre que nous consacrons 90 % de nos activités à l’environnement. En fait, chaque jour est consacré à l’environnement.
La sénatrice Galvez : Je vous remercie.
Le sénateur Prosper : Je tiens d’abord à remercier le chef Plain de nous avoir livré son témoignage.
Dans une vie antérieure, j’ai été chef de ma communauté en Nouvelle-Écosse. J’admire votre passion, votre vision et votre détermination à faire ce qu’il y a de mieux pour votre communauté. Votre approche m’a beaucoup inspiré. Vous avez mentionné, je crois, ne plus pouvoir former de partenariats avec certaines universités. Votre communauté a réussi à accumuler des études approfondies et une quantité impressionnante de données en matière d’environnement. Vous avez investi beaucoup de ressources et vous avez noué différents partenariats pour être en mesure d’exposer au reste du pays les problèmes auxquels votre communauté est confrontée.
Monsieur Plain, vous avez mentionné l’importance de préserver votre territoire pour les sept prochaines générations. Les habitants de votre communauté ont confiance en votre leadership. Quelle est votre vision pour la suite des choses? Qu’attendez-vous de la part du gouvernement? Le projet de loi actuel peut certes contribuer à faire bouger les choses sur certains enjeux précis, mais à long terme, que signifie l’éradication du racisme environnemental pour vous en tant que leader communautaire?
M. Plain : Il s’agit d’une question plutôt difficile, et je n’ai qu’une seule occasion d’y répondre, après 24 ans passés à la tête de ma communauté. Dès la première année de mon entrée en fonction à titre de chef, un événement tragique a secoué ma famille. Mon cousin de 15 ans a commencé à saigner du nez, et il est décédé deux semaines plus tard d’une leucémie. Pourtant, rien n’indiquait qu’il était malade. D’autres cas similaires ont eu lieu au sein de ma communauté, et nous soupçonnons bien entendu que ces décès ne sont pas sans lien avec la dégradation environnementale ambiante.
Ce que je souhaite, c’est simplement que la réglementation en vigueur soit enfin respectée. Nous voulons pouvoir compter sur des alliés au sein du gouvernement canadien. Nous souhaitons que notre précieuse contribution à notre région et à notre pays soit reconnue. Nous désirons préserver une relation de confiance entre notre communauté et le gouvernement, telle que cette relation a été établie en 1827 dans le cadre de ce traité. Je suis certain que mes ancêtres et mon septième arrière-grand-père ont déployé des efforts pour perpétuer cette vision. Je fais partie de la septième génération depuis la signature du traité, et je tiens à consolider les liens qui unissent ma communauté au gouvernement du Canada.
Notre communauté ne peut se dérober à toutes les influences tant externes qu’internes. Notre vision pour l’avenir n’est pas la mienne; elle est collective, et je ne suis que l’humble porte-parole de ma communauté. Cette vision est immuable. La dégradation environnementale que je vous aie décrite, tous les habitants de ma communauté la constatent dans leur quotidien.
Je souhaite que les lois et les règlements actuels soient protégés. J’aimerais avoir la possibilité d’engager un dialogue constructif chaque fois que de nouveaux projets sont envisagés dans notre région. Je souhaite simplement être écouté. Je vous ai parlé d’études effectuées auprès de 800 personnes. Les habitants de ma communauté commencer à se lasser face à l’inaction du gouvernement. Nous devons désormais nous en remettre à un ensemble d’universitaires, d’experts et de consultants rémunérés pour défendre nos intérêts auprès du gouvernement, car nous ne sommes jamais écoutés lorsque nous nous exprimons en notre propre nom.
Voilà donc l’un de nos problèmes majeurs. J’aimerais que quelqu’un nous écoute et reconnaisse le rôle important que nous jouons au Canada. Nous contribuons activement à l’économie, alors que nous pourrions nous contenter de recevoir un chèque de manière passive. D’après mon expérience, nous sommes l’une des trois communautés de l’Ontario qui rapportent le plus d’argent au gouvernement fédéral par rapport à ce que nous recevons en retour en matière de financement de base. Je tiens par ailleurs à rappeler que de nombreux oléoducs et de nombreuses lignes de transport d’électricité traversent notre territoire et rapportent des milliards de dollars au gouvernement, alors que nous ne recevons pas un sou. Des industries entières se sont développées autour de notre territoire, mais nous n’en tirons aucun bénéfice. Parlons donc d’indemnisation. Certaines communautés parviennent à générer des revenus grâce à la location de leurs terres. Pourtant, notre communauté n’a même pas la possibilité de tirer un minium de revenus des différentes activités industrielles qui se déroulent autour de notre territoire. Voilà la réalité.
Comme nous n’avons aucune possibilité d’investir à l’interne, nous devons investir en dehors de notre communauté. Différents oléoducs et lignes de transmission traversent notre territoire et nous empêchent de pratiquer nos coutumes et nos droits traditionnels. Notre communauté ne possède plus que 2 500 acres, pour un total de 2 500 habitants. Monsieur Prosper, vous êtes originaire d’une communauté des Premières Nations. Vous savez ainsi que nous dépendons de la terre. Le problème, c’est que nous ne possédons plus suffisamment de terres, car 7 500 acres ont été réquisitionnées pour développer la « vallée chimique ». Par conséquent, notre communauté s’est retrouvée confinée à une zone si restreinte que nous ne pouvons plus échapper aux dommages environnementaux ambiants. Il n’y a qu’un seul endroit dans notre communauté, et c’est une vallée basse où nous tenons notre pow-wow, d’où l’on ne peut pas voir de cheminée industrielle. Pour ma part, j’ai la chance de disposer d’un bureau en coin. Tout le monde veut accéder à un bureau en coin. D’une fenêtre, je peux apercevoir les installations d’INEOS, d’une autre fenêtre, celles appartenant à Impériale, et d’une troisième, celles de Polysar. Telles sont les infrastructures que je peux observer depuis mon bureau.
Pour répondre à votre question, — et je suis conscient qu’il s’agit d’une longue réponse —, nous souhaitons être écoutés. Nous aimerions que le gouvernement prenne connaissance des études que nous avons compilées. Il sera ensuite possible de mener un dialogue constructif sur l’essor de notre région. Notre communauté occupe ce territoire depuis des générations, et nous continuerons à l’occuper pour les sept générations suivantes au moins. Je ne suis pas sûr que le Comité saisit pleinement un trait qui caractérise notre peuple. Nos actions s’inscrivent toujours dans la durée, nous pensons aux intérêts des sept prochaines générations. Je ne suis pas certain que beaucoup de personnes dans la salle, à part les sénateurs d’origine autochtone, connaissent leurs ancêtres remontant à sept générations. En ce qui me concerne, j’habite au sein du même territoire que celui de mes aïeux des sept dernières générations, et il en sera de même au sein de ma famille pour les sept prochaines générations. Mon objectif prioritaire, ma mission, c’est de m’assurer que le développement économique du pays ne se fasse pas aux dépens de la communauté autochtone que je représente.
Le sénateur Prosper : Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup. Nous vous avons écouté avec attention. Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir fait part de vos réflexions, de votre expertise et de votre expérience. Je suis convaincu que votre contribution sera fort utile aux travaux du Comité.
M. Plain : Je vous remercie pour l’invitation. À mon avis, il n’y a pas une seule personne dans ma communauté qui pourrait être capable de résumer dans un si court laps de temps ce que nous avons vécu au cours des cent dernières années. J’ai fait de mon mieux pour présenter notre situation de la manière la plus percutante et pertinente possible.
La sénatrice McCallum : J’aimerais me permettre un dernier petit commentaire. Après avoir consulté l’enregistrement, vous aurez l’occasion de transmettre tout renseignement supplémentaire au Comité, et nous nous ferons un devoir de les étudier.
M. Plain : L’ironie de la chose, si je puis ajouter, c’est qu’à une époque lointaine, une communauté voisine de la mienne a vu le jour. Comme de nombreux colons étaient d’origine française, ils ont baptisé leur communauté Eaux Bleues. Les colons ont bâti une école, et nos élèves y ont été éventuellement transférés.
Les habitants de cette communauté sont restés sur place pendant environ 15 ans. Tout ce qu’il reste aujourd’hui de cette communauté, qui faisait partie à l’époque de notre réserve, est une plaque commémorative indiquant que l’objectif des colons était d’aménager cette fameuse « vallée chimique », mais qu’en raison des dangers liés à la pollution, les habitants ont fini par être relocalisés à l’extrémité nord de la ville. Quand à nous, les membres de la Première Nation Aamjiwnaang, nous n’avons pas migré ailleurs, nous sommes toujours là.
La seule trace de la communauté Eaux Bleues est donc une plaque commémorative qui explique que les colons ont dû être relocalisés en raison de la pollution à laquelle ils étaient confrontés.
Le président : Merci beaucoup.
Je remercie le chef Plain et tous nos invités pour leur contribution aux travaux du Comité.
(La séance est levée.)