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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le vendredi 13 mai 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 9 h 32 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-4, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’identification des criminels et apportant des modifications connexes à d’autres lois (réponse à la COVID-19 et autres mesures).

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je m’appelle Mobina Jaffer, je suis sénatrice de la Colombie-Britannique, et j’ai le plaisir de présider le comité. Aujourd’hui, la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se déroule sous forme hybride.

[Français]

Si vous éprouvez des difficultés techniques, notamment en ce qui concerne l’interprétation, veuillez le signaler au président ou au greffier et nous nous efforcerons de résoudre le problème.

Je voudrais prendre quelques minutes pour vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui : le sénateur Boisvenu, vice-président du comité, la sénatrice Batters, le sénateur Campbell, la sénatrice Clement, le sénateur Cotter, le sénateur Dalphond, la sénatrice Dupuis, le sénateur Harder, la sénatrice Pate, le sénateur White, le sénateur Wetston et le sénateur Carignan, porte-parole du projet de loi.

[Traduction]

Je rappelle aux sénateurs qu’ils ne doivent faire signe que s’ils ont une question. Sinon, tous les membres du comité sont sur la liste des intervenants. Vous avez quatre minutes.

Honorables sénateurs, je vous remercie de votre présence. Si vous êtes dans l’Ouest, c’est particulièrement difficile, et je présente mes excuses à mon collègue de la Colombie-Britannique pour avoir commencé si tôt. Le comité de direction vous est vraiment reconnaissant de votre appui.

Puis-je vous demander de rester un peu plus longtemps à la fin de la réunion, car je veux simplement vous informer du calendrier de mai et de juin? Merci, honorables sénateurs.

Honorables sénateurs, nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi S-4, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’identification des criminels et apportant des modifications connexes à d’autres lois (réponse à la COVID-19 et autres mesures).

Nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui Me David Parry, avocat, représentant l’Association du Barreau canadien; de l’Association canadienne des chefs de police, nous avons Howard Chow, coprésident, Comité de modification des lois de l’ACCP, en compagnie d’Isabelle Massé, membre du Comité de modification des lois de l’ACCP; et, du Barreau du Québec, nous entendrons Me Catherine Claveau, bâtonnière du Québec; ainsi que Me Michel Marchand, avocat.

Me David Parry, avocat, Association du Barreau canadien : Merci beaucoup. Bonjour. Je m’appelle David Parry. Bien que je sois procureur au bureau du procureur de la Couronne du centre-ville, je m’adresse à vous aujourd’hui à titre personnel, en ma qualité de membre de la Section du droit pénal de l’ABC, et je vous remercie de cette occasion.

[Français]

L’Association du Barreau canadien est une association nationale qui regroupe plus de 36 000 membres, y compris des juristes, des étudiants et des étudiantes en droit, des notaires et des universitaires.

La Section du droit pénal compte dans ses rangs des procureurs de la Couronne et des avocats et avocates de la défense qui proviennent de partout au pays. Ceux-ci plaident au quotidien devant les cours pénales et sont à l’avant-garde de l’adaptation des tribunaux pour plaider devant les instances virtuelles en contexte de pandémie de COVID-19. Notre vision actuelle provient de cette perspective équilibrée et unique.

[Traduction]

En bref, l’ABC appuie le projet de loi S-4 et son objectif de moderniser un certain nombre d’articles du Code criminel. Le mémoire que nous vous avons fait parvenir présente des recommandations et des préoccupations précises fondées sur nos expériences quotidiennes de praticiens. Toutefois, elles ne visent aucunement à réduire notre soutien global.

Il ne fait aucun doute que l’utilisation accrue de la technologie pour les comparutions à distance peut améliorer l’accès à la justice. Elles permettent aux accusés et aux témoins de s’adresser au tribunal plutôt que de se rendre au tribunal, ce qui, bien sûr, est particulièrement important dans les régions rurales ou nordiques. Elles donnent aux parties la possibilité de convoquer des témoins, surtout des témoins experts qui n’étaient peut-être pas disponibles auparavant. Elles élargissent le choix d’un avocat pour les personnes accusées.

Elles peuvent aux yeux du public accroître la façon dont la justice est perçue comme étant rendue, et elles sont particulièrement utiles pour de brèves comparutions administratives, comme les comparutions à date fixe et les confirmations de procès.

Néanmoins, il faut veiller à ce que les audiences à distance ne deviennent pas le parent pauvre des comparutions en personne. La solennité des procédures doit être respectée, et le juge du procès doit toujours pouvoir exercer sa compétence inhérente de contrôler ses propres instances.

Il y a aussi un aspect public important ici, soit le maintien de la légitimité du processus judiciaire et du suivi durant un procès, ainsi que la manière dont le public percevrait l’instruction d’une affaire grave en cas de mauvaise connexion Internet voulant dire que la transcription ne pourrait être produite; la comparution de témoins depuis un restaurant Burger King; une personne plaidant coupable à une accusation de conduite avec facultés affaiblies depuis le siège du conducteur, ou le fait que des témoins ou d’autres participants au système de justice soient enregistrés et diffusés sur YouTube, autant de choses que j’ai malheureusement vues au cours des deux dernières années.

Encore une fois, rien de tout cela ne nous empêche d’appuyer le projet de loi S-4, mais je dis tout cela simplement pour souligner la nécessité de prendre des mesures de protection adéquates pour les comparutions à distance et de veiller à ce que des ressources suffisantes soient fournies pour appliquer ces technologies.

Comme nous l’indiquons dans notre mémoire, la représentativité au processus de sélection des jurés serait préoccupante s’il devait se faire à distance.

Le consentement des parties, en particulier celui de l’accusé, doit être le principe directeur de toutes les audiences à distance. Néanmoins, bien qu’il faille obtenir le consentement formel des parties, les audiences à distance ne peuvent pas, dans les faits, devenir automatiques parce qu’elles sont simplement plus pratiques pour un participant donné du secteur de la justice. Elles constituent un outil très important, mais il va sans dire que beaucoup d’accusés, de témoins et de membres du public qui s’intéressent au procès n’ont peut-être pas accès à la technologie ou à un endroit approprié pour comparaître.

C’est pourquoi nous insistons dans notre mémoire sur la nécessité d’effectuer des investissements adéquats dont j’ai parlé et sur la nécessité de mettre en place une infrastructure de vidéoconférence nettement supérieure à celle des audioconférences.

Je commencerai par aborder certains aspects d’ordre procédural. La question de savoir si une affaire sera traitée à distance doit être tranchée rapidement, compte tenu des considérations relatives à l’horaire et des dispositions à prendre pour les accusés et les témoins. Cependant, les juges de première instance sont rarement affectés à l’avance dans de nombreux secteurs de compétence, ce qui nous amène à nous demander à l’étape de la mise au rôle du procès qui décide si une audience est tenue à distance. Comment les problèmes potentiels peuvent-ils être résolus à l’avance plutôt que le premier jour du procès?

Ces lacunes importantes du projet de loi sont mises en lumière dans notre mémoire, qui détaille d’ailleurs certaines de nos propositions à cet égard.

Enfin, j’aimerais aborder l’une des questions que nous soulevons dans notre mémoire au sujet de la Loi sur l’identification des criminels. Bien que cela puisse sembler mineur, c’est un point très important, à savoir l’obligation de donner suite à une assignation à comparaître si aucune accusation n’est portée devant le tribunal.

L’ABC soulève depuis longtemps des questions au sujet des conséquences collatérales des démêlés avec le système de justice pénale. On ne saurait sous-estimer l’atteinte à la vie privée que représente le fait de se faire prendre ses empreintes digitales si aucune accusation n’est portée devant les tribunaux, et l’effet que cela peut avoir sur l’intégrité psychologique d’une personne vulnérable. C’est vraiment une lacune du projet de loi et il faut s’y attaquer de façon formelle. Je vous remercie et je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, maître Parry. Nous passons maintenant au chef de police adjoint, Howard Chow, et à Isabelle Massé, tous deux membres du Comité de modification des lois de l’Association canadienne des chefs de police.

Monsieur Chow, nous venons tous les deux de la même province, et j’ai fait remarquer que — je ne veux pas vous mettre sur la sellette — non seulement vous vous êtes levé tôt, mais vous portez aussi l’uniforme. Merci beaucoup d’avoir fait tout cela pour notre comité. Nous allons maintenant entendre l’Association canadienne des chefs de police. Je crois comprendre que vous allez commencer et que Mme Massé conclura. Merci.

Howard Chow, coprésident, Comité de modification des lois de l’ACCP, Association canadienne des chefs de police : C’est exact, merci. Dans mon travail quotidien, je suis le chef adjoint du service de police de Vancouver.

Bonjour et merci de cette occasion de m’adresser à votre comité au nom de l’Association canadienne des chefs de police, ou ACCP. Au cours des deux dernières années, le monde a été aux prises avec la COVID-19 et la société a dû s’adapter aux défis de la pandémie. Le système de justice pénale a également dû s’adapter afin de veiller à ce que la justice continue d’être rendue. Comme nous semblons revenir aux conditions qui prévalaient avant l’épidémie de COVID, il y a des possibilités de consolider certaines des adaptations positives qui ont émergé pendant la pandémie.

Dans l’ensemble, l’ACCP soutient le projet de loi S-4 et son intention d’apporter des changements qui amélioreront l’administration de la justice pénale, tout en normalisant les procédures modernisées. Par souci de brièveté, nous nous concentrerons aujourd’hui sur deux aspects du projet de loi S-4, les télémandats et la prise d’empreintes digitales.

En ce qui concerne les télémandats, nous sommes d’avis que nous devrions adopter les recommandations énoncées dans le projet de loi S-4 visant à élargir le processus de télémandat à tous les mandats de perquisition et à toutes les autorisations judiciaires. Au cours de la pandémie, le processus des mandats a été considérablement limité en raison de restrictions locales en matière de santé publique. Par conséquent, des concessions ont été faites au niveau provincial pour permettre un processus plus efficace d’obtention de mandats.

Les policiers n’étaient plus tenus de rencontrer un juge de paix en personne pour présenter une demande de renseignements en vue d’obtenir un mandat. Les économies de ressources et de temps sont évidentes pour les grands centres urbains, mais elles sont encore plus prononcées pour les endroits éloignés où l’accès à un juge de paix peut souvent être entravé par la distance, le mauvais temps et les conditions des routes.

Les préoccupations relatives à la sécurité et à la protection de la vie privée ont été identifiées comme un obstacle. Cependant, les services de police sont conscients des structures de sécurité qui doivent être mises en place pour gérer ce type de communication. Nous avons fait l’expérience de la mise en œuvre de telles pratiques de sécurité lors du traitement de renseignements classifiés.

Il est important de souligner que les changements proposés n’auront pas d’incidence sur les critères juridiques minimaux pour obtenir des mandats ou des autorisations judiciaires. Le juge, à qui l’autorisation est demandée, devra s’assurer que les critères juridiques minimaux sont respectés.

L’ACCP est d’accord avec la suppression de l’obligation d’expliquer pourquoi il n’est pas possible d’obtenir un mandat par des moyens conventionnels. Dans certains cas, cette exigence signifiait que la demande devait être faite sous serment, ce qui créait des défis supplémentaires en matière de personnel. Plus important encore, la suppression de cette exigence contribuera à atténuer les difficultés de la défense.

Je vais maintenant laisser ma collègue, Mme Isabelle Massé, parler des changements proposés concernant la prise d’empreintes digitales. Merci.

[Français]

Isabelle Massé, membre, Comité de modification des lois de l’ACCP, Association canadienne des chefs de police : Bonjour à tous. L’ACCP appuie les modifications législatives relatives à la prise des empreintes digitales.

À cet égard, l’ACCP soutient que le nouvel alinéa 2(1)c) de la Loi sur l’identification des criminels dissipe toute interprétation restrictive du terme « acte criminel » aux fins de l’application de cette loi. L’État peut donc prélever les empreintes digitales d’une personne accusée d’une infraction hybride, peu importe le choix du mode de poursuite par le poursuivant au stade de la préautorisation des plaintes, dans les provinces où ce système est mis en place. Ainsi, cette modification assure une uniformité dans l’application des mesures d’identification partout au Canada.

Rappelons que les amendements législatifs introduits par le projet de loi C-75 ont augmenté considérablement les infractions de type hybride prévues au Code criminel. Il ne serait pas souhaitable que cette réforme du Code criminel ait pour effet que les policiers soient empêchés de prélever les empreintes digitales des personnes inculpées et poursuivies par voie de procédure sommaire.

Cela dit, les corps de police constatent qu’un fort pourcentage de personnes inculpées ne se présentent pas à la date fixée pour la prise de leurs empreintes digitales. La pandémie que nous vivons depuis plus de deux ans a exacerbé cette réalité. Dans ce contexte, il devient important pour l’État de pouvoir bénéficier d’occasions supplémentaires, en cours de procédure, de prélever les empreintes qui n’ont pu être prises.

Ainsi, nous accueillons favorablement la possibilité pour un juge, à toute étape du processus judiciaire, de décerner une sommation, afin d’enjoindre à un accusé ou à un contrevenant de comparaître pour la prise de ses empreintes digitales, lorsque des motifs exceptionnels auront empêché la prise desdites empreintes à la date initialement prévue à cette fin.

De plus, l’ACCP tient à souligner l’importance du nouveau pouvoir octroyé aux juges, lors d’une décision sur mise en liberté, d’ordonner à un accusé de comparaître à une date ultérieure pour la prise de ses empreintes, lorsqu’elles n’auront pas été prises avant sa comparution. Nous estimons que ce nouveau pouvoir servira au mieux l’administration et les intérêts de la justice criminelle.

En conclusion, la pandémie a révélé certaines faiblesses du système judiciaire canadien. Durant cette période, le recours à la technologie numérique s’est considérablement accru et a été bien accueilli dans plusieurs sphères de notre société.

Toutefois, à bien des égards, le système judiciaire canadien n’a pas su tirer profit de cette technologie de manière significative. Des occasions d’améliorations subsistent, et nous sommes d’avis que les propositions sur les télémandats et la prise des empreintes digitales sont des exemples importants d’adaptation à la situation sanitaire. Nous estimons qu’un retour aux anciennes pratiques serait, à notre avis, un recul.

Merci beaucoup.

[Traduction]

La présidente : Merci, chef de police Chow et madame Massé. Nous vous en sommes reconnaissants.

Nous passons maintenant à Catherine Claveau, bâtonnière du Québec, et à Michel Marchand, avocat.

[Français]

Me Catherine Claveau, bâtonnière du Québec, Barreau du Québec : Merci, madame la présidente. Mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour. Je suis Catherine Claveau, avocate et bâtonnière du Québec. Je suis accompagnée de Me Michel Marchand, avocat de la défense et membre du Groupe d’experts en droit criminel du Barreau du Québec.

Nous vous remercions d’avoir invité le Barreau du Québec à témoigner au sujet du projet de loi S-4.

Le projet de loi S-4 a pour objectif la modernisation de la procédure criminelle en permettant aux tribunaux de bénéficier de larges pouvoirs quant à la façon de mener les procédures pénales et de rendre des ordonnances. À l’instar d’autres initiatives législatives, les modifications proposées s’inscrivent dans l’esprit de modernisation et de facilitation des procès criminels.

En effet, le projet de loi S-4 vise notamment à pérenniser des solutions touchant l’administration de la justice largement mises sur pied afin de répondre aux difficultés vécues durant la COVID-19.

Le Barreau du Québec soutient l’objectif de modernisation de la justice. À cet égard, les solutions technologiques constituent des outils incontournables aux problèmes d’accès à la justice, et peuvent faciliter l’efficacité des procès criminels.

Cela dit, nous sommes d’avis que l’impact des modifications apportées grâce au projet de loi et ses bienfaits escomptés doivent être évalués bien au-delà du contexte pandémique dans lequel ces solutions ont été pensées.

En effet, nous estimons que tout effort destiné à faciliter l’accès à la justice doit également en assurer la qualité. Plus précisément, il doit permettre de donner plein effet aux garanties procédurales enchâssées dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Ces garanties sont essentielles à la tenue d’un procès criminel dont l’issue est susceptible de compromettre l’une des valeurs fondamentales de notre société, soit la liberté de la personne.

Ainsi, le barreau croit nécessaire qu’une étude plus approfondie de l’impact des mesures ciblées par le projet de loi S-4 sur ces garanties constitutionnelles, comme la publicité des débats, la défense pleine et entière, le procès juste et équitable et l’égalité de tous devant la loi soit menée pour appuyer le projet de loi.

D’autres éléments, comme l’impact des mesures ciblées sur la réalisation du mandat de représentation de l’avocat et le respect de ses obligations déontologiques, doivent également être considérés.

En effet, fort de sa mission de protection du public, le barreau estime que le projet de loi tel qu’il est présenté soulève plusieurs interrogations et risque de miner l’adhésion des acteurs judiciaires à la réforme proposée, particulièrement en ce qui concerne le nouveau régime proposé par la visiocomparution.

À défaut d’avoir plus de données sur l’impact de la visiocomparution sur les garanties procédurales criminelles, nous suggérons de maintenir le principe de la comparution en personne, à tout le moins pour recevoir la preuve testimoniale.

Par ailleurs, le barreau propose d’autres solutions en lien avec le principe de la visiocomparution proposé par le projet de loi, notamment en ce qui a trait aux règles applicables lorsque l’accusé est sous garde.

Enfin, le barreau fait une dernière recommandation, de clarification, cette fois-ci, ayant trait à la possibilité, pour un accusé, de communiquer avec un avocat selon qu’il reçoit des conseils juridiques ou qu’il est représenté par celui-ci.

Nous vous remercions sincèrement de nous permettre de participer à la réflexion entourant cet important projet de loi, et nous sommes maintenant disponibles pour répondre à vos questions.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup à vous tous de vous être rendus disponibles aujourd’hui. Nous sommes particulièrement heureux que le Barreau du Québec soit également représenté ici. Merci d’être ici.

J’ai une question pour Me Parry et Me Claveau, qui porte sur l’interprétation.

Dans le passé, un de nos témoins a discuté du projet de loi S-4 et a expliqué que l’influence de la technologie pourrait accentuer des préoccupations préexistantes. Je pratique le droit et il m’arrive souvent que le juge me demande de jouer les interprètes parce qu’il manque d’interprètes. Cela se passe quand les gens sont à distance et visibles à l’écran. Avez-vous des préoccupations au sujet de l’interprétation pour l’accusé quand c’est à distance? Vous pouvez commencer, maître Parry.

Me Parry : Je vous remercie de cette question. La préoccupation qui est souvent soulevée, c’est qu’il y a deux types d’interprétation. Il y a l’interprétation simultanée pour l’accusé, mais il faut aussi tenir compte d’autres types d’interprétation pour les témoins ou d’une procédure vraiment bilingue.

Il s’agit de s’assurer que la technologie est en place et, lorsque ces questions ou enjeux sont tranchés à l’avance, qu’ils sont discutés et envisagés à ce moment-là plutôt que le premier jour du procès. Par exemple, j’ai vu des situations où un interprète arrive, mais où il n’y a pas les moyens technologiques pour offrir l’interprétation simultanée. Si l’on avait songé plus tôt à cette situation dans l’analyse, le problème aurait pu être évité.

C’est un aspect. Le deuxième aspect, c’est que l’augmentation du nombre de comparutions à distance offre plus de possibilités aux interprètes de l’ensemble de la province ou du pays. Mais encore une fois, cela ne peut pas simplement devenir une solution de rechange plus pratique et, par conséquent, pratiquement une norme de fait. Il faut mettre en place une infrastructure et il faut faire des investissements pour s’assurer que les comparutions à distance fonctionnent et que nous ne nous retrouvions pas sur une pente glissante consistant à dire que, comme nous pouvons tout faire à distance maintenant, pourquoi devoir continuer de veiller à ce qu’il y ait suffisamment de ressources pour les comparutions en personne? Merci.

La présidente : Merci, maître Parry.

[Français]

Me Claveau : Je vais laisser mon collègue répondre, puisqu’il est praticien en matière criminelle et qu’il sera mieux à même de répondre à la question que moi.

Me Michel Marchand, avocat, Barreau du Québec : Bonjour. Merci de me donner la parole et merci pour l’invitation ce matin.

En ce qui concerne l’interprétation, cela complique évidemment la situation problématique, d’autant plus que les technologies ne sont pas toujours là pour que les débats soient enregistrés. Il faut que tout soit enregistré, donc à certains endroits, si c’est en simultané, ce ne sera pas enregistré parce que les deux parlent en même temps. Il faut avoir l’interprétation à beaucoup d’endroits où l’un parle, ensuite on attend complètement et l’autre parle et ainsi de suite, pour que tous les débats soient complètement enregistrés s’il y a un appel ultérieurement.

Il s’agit là d’un problème que j’ai déjà vécu et qui est existant; ce ne sont pas tous les palais de justice — à tout le moins au Québec — qui sont en mesure de faire de l’interprétation simultanée enregistrée.

Ce que je voulais dire par là, c’est que, dans le cas de la preuve testimoniale, c’est sûr qu’au fond cela complique tout le processus. La position du Barreau du Québec, comme Me Claveau l’a mentionné plus tôt, c’est d’avoir plus d’études d’impact, notamment pour ce qui est de la preuve entendue, la preuve testimoniale. C’est une grosse préoccupation du Barreau du Québec, et celle que vous soulevez par rapport aux interprètes vient compliquer la donne à cet égard.

Le sénateur Carignan : J’essaie de concilier la recommandation de l’Association du Barreau canadien et celle du Barreau du Québec sur la question des témoins.

Je comprends que, du côté de l’Association du Barreau canadien, on serait prêt à utiliser la visioconférence lorsqu’il y a des témoins s’il y a consentement entre les parties, ce qui peut avoir un certain impact. Cependant, dans le cas du Barreau du Québec, on semble avoir des réserves. On n’utiliserait pas nécessairement la visioconférence, même s’il y a consentement, parce qu’il risque d’y avoir des problèmes techniques d’interprétation ou de communication qui feront en sorte qu’on peut avoir plus tard d’autres genres de problèmes qui pourraient occasionner des délais, des appels ou nuire au processus d’appel, parce que les enregistrements ne sont pas précis.

Vous recommandez donc de ne pas utiliser la visioconférence lorsqu’il y a des témoins pour cette raison spécifique; est-ce que je comprends bien les deux positions?

Me Claveau : C’est un peu cela, mais je pense aussi qu’on peut penser à l’exemple concret de l’accusé ou du citoyen qui n’est pas représenté. Celui-ci pourrait, par exemple, consentir à faire tout cela par visioconférence pour une question de commodité ou de coût; en même temps, est-ce qu’il est assez conscientisé à tout l’impact que cela pourrait avoir sur ses droits fondamentaux? Son consentement à le faire en visioconférence, lorsqu’il n’est pas représenté, soulève pour nous une question très importante. Il y a aussi le volet du langage non verbal, qui est quand même un volet très important. C’est pour cela qu’on insiste pour dire que, lorsqu’il est question de témoignages, on devrait obligatoirement avoir des parties qui sont en présence.

Le sénateur Carignan : Il n’y a pas un certain avantage pour ce qui est de l’accès à la justice? Je m’explique : pour un accusé représenté par un avocat, il y a aussi une question de coûts qui entre en jeu à un moment donné. Peut-être que le client dira qu’il est prêt à subir un certain risque d’erreur ou de non-transcription, parce que le procès se fait à l’aide de la visioconférence. Il pourrait se dire que cela lui coûtera 2 000 $ de moins pour cette procédure et qu’il sera alors en mesure de se rendre jusqu’au bout s’il fait certaines économies, alors que, sans ces économies, il ne sera plus en mesure de payer son avocat en fin de compte. Il y a quand même certains avantages, non?

Me Claveau : Certainement. Il faut bien comprendre que nous sommes en faveur de la modernisation de la justice et de la visioconférence comme principes de base. Là où on a des réserves, c’est qu’on est en train de rendre des mesures pérennes en se basant sur l’expérience des deux dernières années, alors qu’il s’agissait d’une période de crise et de pandémie. Il faudrait davantage étudier tous les impacts sur les droits fondamentaux et prendre plus de temps pour faire des études par rapport à cela. Peut-être que le résultat final sera le même, mais nous sommes d’avis que deux ans de pandémie, c’est une période insuffisante pour mesurer l’impact sur les droits fondamentaux.

Le sénateur Carignan : En plus des technologies qui ont été installées un peu à la va-vite et avec quelques disparités selon les différentes régions.

Me Claveau : Effectivement.

Le sénateur Carignan : D’accord; je comprends. Merci.

[Traduction]

Me Parry : En fin de compte, nous nous sommes demandé s’il devrait y avoir des présomptions de présence en personne ou de présence virtuelle, ou comment nous allons trouver une solution.

Le thème fondamental ici est le consentement et la souplesse. Nous pouvons tous penser à différentes catégories de témoins. Par exemple, un policier, dont la crédibilité n’est pas vraiment en cause parce qu’il s’agit d’un agent de continuité ou qui ne fait qu’énoncer une très petite partie de l’affaire. Cela pourrait se faire par vidéoconférence. Ensuite, il y a un autre témoin dont la crédibilité devra faire l’objet d’une évaluation approfondie.

Ce n’est pas tout noir ou tout blanc. Une partie de la procédure pourrait consister à entendre l’agent à distance, puis le témoin en personne.

C’est ce que nous expliquons en détail dans notre mémoire. Il faut pouvoir compter sur un mécanisme d’entrée de jeu pour régler ces questions et les autres facteurs pris en compte dans les différentes dispositions, comme les paragraphes 715.23 et 715.25, des considérations qui ont été ajoutées. Il faut qu’un juge puisse, dès le début, établir les conditions d’une comparution à distance. J’ai vu un nombre incalculable de fois des gens se présenter le matin de la comparution. Il y a des problèmes et des enjeux. Tout n’est pas clair et n’a pas été examiné. C’est là qu’il y a beaucoup de problèmes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci à tous nos témoins ce matin; vos présentations sont très intéressantes. Ce projet de loi de modernisation représente un très grand défi, tant sur le plan du droit que sur le plan technologique.

Ma question s’adresse aux représentants du Barreau du Québec. Me Parry a dit un peu plus tôt que les vidéoconférences devraient être basées sur le consentement des accusés. Vous êtes sans doute au courant du fait qu’il existe une Charte des droits des victimes d’acte criminel au Canada qui parle du droit à l’information et du droit à la participation.

Est-ce que ce droit qu’on reconnaîtrait à l’accusé de choisir volontairement une comparution par vidéoconférence devrait s’appliquer aussi aux victimes, dans le sens où on leur reconnaît le droit de participer ou non à un procès par vidéoconférence?

Me Claveau : C’est une excellente question. Nous ne nous sommes pas penchés sur cet aspect dans notre mémoire. Par contre, si vous me le permettez, on pourrait vous revenir avec une réponse plus tard.

Le sénateur Boisvenu : Vous faites une bonne suggestion lorsque vous dites qu’il y aurait lieu de faire une étude sur les droits fondamentaux. Je comprends que vous visiez les accusés, mais cette étude ne devrait-elle pas prendre en compte les droits des victimes?

Me Claveau : Je suis d’avis que oui. La mission première du Barreau du Québec est la protection du public. On ne vise pas nécessairement justement l’accusé, mais le public en général. Effectivement, on pourrait élargir cela à la protection des victimes et des témoins très importants lors des auditions en droit criminel.

Le sénateur Boisvenu : Madame Massé, vous avez parlé de la difficulté de prélever des empreintes depuis deux ans à cause de la pandémie. Avez-vous des données sur le pourcentage de prises des empreintes au cours des deux dernières années? Y a-t-il eu une énorme baisse ou cela s’est-il maintenu comme avant la pandémie?

Mme Massé : J’ai effectivement des statistiques que je peux vous donner pour le Québec. On a des chiffres pour 2017 à 2021. On peut remarquer une chute appréciable de la prise des empreintes digitales à la suite de deux décisions signifiées de la Cour supérieure, surtout la décision Lapointe, de la Cour supérieure du Québec, en 2019. On a vu une chute de la prise des empreintes à ce moment-là; avec le début de la pandémie, on a vu une autre baisse de la prise des empreintes digitales.

Par ailleurs, on a vu une remontée de la prise des empreintes après l’arrêt Lapointe, en mars 2021. Comme vous le savez, cet arrêt a eu un impact important au Québec sur le plan de la prise des empreintes digitales pour les gens qui sont inculpés et poursuivis par voie sommaire. On peut voir, depuis 2021, une remontée de la prise des empreintes digitales et une meilleure protection individuelle pour les policiers lorsqu’ils procèdent au bertillonnage.

Le sénateur Boisvenu : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci beaucoup à vous tous d’être venus témoigner aujourd’hui. Je tiens à tirer certaines choses au clair, car j’ai des témoins très compétents qui peuvent m’aider aujourd’hui.

Quand j’ai examiné cela pour la première fois, j’étais très préoccupée par la capacité de l’accusé de témoigner par vidéo. Il y a de nombreux procès où la crédibilité est un enjeu, et je pense qu’il est très difficile de le déterminer. Pour une raison quelconque — je ne sais pas si c’est quelque chose que j’ai entendu au sujet du projet de loi ou quelque chose que j’ai lu —, j’avais initialement l’impression que cela ne s’appliquerait qu’aux infractions punissables par procédure sommaire. Toutefois, après avoir examiné la loi hier soir, je constate qu’elle vise à la fois les infractions punissables par procédure sommaire et les infractions punissables par voie de mise en accusation, sauf dans le cas des procès devant jury.

Tout d’abord, j’aimerais que vous me le confirmiez. Je vois aussi, maître Parry, que le mémoire de l’ABC indique que votre association est préoccupée par le fait que le consentement du procureur n’est pas exigé dans une situation, soit dans le cas d’un procès sur déclaration sommaire de culpabilité alors que l’accusé est en détention.

J’ai été surprise d’apprendre cela hier soir quand j’ai examiné cette loi, parce que j’ai demandé précisément au ministre de la Justice, M. Lametti, lors de sa comparution devant notre comité il y a une semaine, si le procureur de la Couronne devait consentir à ce que l’accusé témoigne par vidéo. Le ministre Lametti a répondu : « Je crois comprendre que le procureur de la Couronne devrait donner son consentement. » Je lui ai répondu que je m’attendais à davantage de sa part. Puis, la haute fonctionnaire qui l’accompagnait a dit :

Oui, si les deux parties consentent à procéder à distance et que le tribunal convient à sa discrétion qu’il est approprié de le faire dans les circonstances de l’affaire, on peut procéder.

Je crains que M. Lametti ne nous ait pas donné la bonne réponse. Donc, maître Parry, pourriez-vous me confirmer que le projet de loi s’appliquerait à la fois aux procès par voie sommaire et aux procès par voie de mise en accusation, sauf, bien entendu, les procès devant jury? De plus, pourriez-vous confirmer que le consentement du procureur n’est actuellement pas exigé en vertu du projet de loi pour les procès par voie sommaire lorsque l’accusé est en détention? Honnêtement, ces affaires pourraient être les plus graves.

Me Parry : Oui. Je vous remercie de ces questions, sénatrice. Je crois comprendre qu’il n’y avait aucune restriction quant à savoir si ces dispositions s’appliqueraient strictement à une déclaration sommaire de culpabilité. Cela pourrait aussi s’appliquer aux actes criminels et aux infractions punissables par mise en accusation. Voilà pour la première question.

Pour ce qui est de la deuxième question, je crois comprendre — et je me suis peut-être trompé moi aussi — qu’aucun consentement de la Couronne n’était exigé pour les plaidoyers de culpabilité qu’en situation où l’accusé était en détention. Il ne m’a pas semblé que c’était pour les procès. C’était seulement pour les plaidoyers de culpabilité par des personnes en détention. Encore une fois, excusez-moi si je me suis trompé.

Ce que je dirais de façon générale au sujet de ces deux aspects, si nous adoptons un modèle de consentement, de souplesse, c’est que les parties et le juge du procès sont les mieux placés pour connaître leur cause. Comme je l’ai dit en réponse aux préoccupations du sénateur Carignan, il n’est pas nécessaire que ce soit tout noir ou tout blanc. Il peut y avoir des témoins — et je l’ai constaté dans le cadre de ma pratique — qui témoignent à distance et d’autres qui témoignent ensuite en personne si leur crédibilité est en cause. Ensuite, nous présentons des mémoires par vidéoconférence, et cetera. Si vous adoptez ce modèle de souplesse et de consentement, les parties peuvent habituellement s’entendre, c’est-à-dire que certains témoins doivent comparaître en personne. Il va sans dire que c’est le cas du témoin clé. Nous convenons alors tous que cette partie peut se faire à distance parce qu’elle ne constitue pas une partie particulièrement litigieuse du procès.

Je pense que le résultat final est qu’on donne plus de flexibilité aux parties. En outre, plus le juge de première instance a le pouvoir de contrôler ces questions dès le départ et de fixer certaines conditions dès le départ, plus il peut contribuer à résoudre certaines de ces questions. Ainsi, personne n’est pris au dépourvu et personne n’est surpris par quoi que ce soit lors du procès.

La sénatrice Batters : Comme je crois comprendre que vous êtes procureur, je vais citer l’article 715.232 :

Le tribunal peut permettre à l’accusé de comparaître par vidéoconférence à son procès pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire avec le consentement

a) de l’accusé et du poursuivant, dans le cas où l’accusé n’est pas sous garde;

b) de l’accusé, dans le cas où ce dernier est sous garde.

Il n’est pas question de « poursuivant » dans cet alinéa, puis, sous « Procès — acte criminel », il est écrit :

Avec le consentement du poursuivant et de l’accusé, le tribunal peut permettre à ce dernier de comparaître par vidéoconférence à son procès pour un acte criminel.

Il ne s’agit pas d’autres types de procédures, mais bien de procès. Une autre grande préoccupation que j’ai au sujet du fait de permettre à un accusé de témoigner au procès, et des difficultés liées à la détermination de la crédibilité, c’est que nous parlons d’une période qui peut être longue pendant laquelle l’accusé peut témoigner au procès. Il ne s’agit généralement pas d’un appel Zoom de 20 minutes.

Seriez-vous d’accord, maître Parry, pour dire qu’un accusé à son procès peut souvent témoigner pendant des heures? En supposant que l’on a la capacité d’évaluer adéquatement la situation pendant cette période et que les connexions Internet demeurent stables, et cetera —, pourriez-vous nous dire brièvement ce que vous en pensez?

Me Parry : Oui, je conviens que cela peut prendre des heures.

Je comprends maintenant ce que vous dites au sujet des cas où le consentement de la Couronne n’est pas exigé. J’avais cru comprendre que c’était en vertu de l’article qui traite des plaidoyers et de la détermination de la peine. C’est là où le consentement n’était pas exigé, mais je vois également l’utilité des questions sur la mise en accusation.

Encore une fois, cependant, je pense que cela revient à ce modèle de consentement ici, en ce sens que tout le monde sait que nous sommes les mieux placés et comment les procès peuvent se dérouler.

Il y a aussi une disposition selon laquelle une affaire peut se dérouler à distance. Si, pour une raison quelconque, un juge décide qu’elle ne peut plus se poursuivre à distance, alors la question peut être réexaminée et les procédures peuvent se poursuivre en présentiel, par exemple.

[Français]

La sénatrice Clement : Bonjour et merci à nos témoins. Mes questions s’adressent à Me Claveau, du Barreau du Québec; je vous suis très reconnaissante de vos commentaires concernant le besoin de mener une étude plus approfondie. Avez-vous fait, en tant qu’organisation, une collecte de données sur les deux dernières années, que vous avez partagée ou dont vous discutez entre vous? Voici ma deuxième question : en l’absence d’une étude approfondie, je ne suis pas à l’aise. J’aimerais bien voir une étude, mais quelles discussions prioritaires devrait-on avoir dans le contexte de ce projet de loi?

Me Claveau : Merci de votre question. Nous n’avons malheureusement pas d’étude approfondie à notre disposition pour justement pouvoir faire des recommandations peut-être plus pérennes. L’important, c’est de tout ramener à notre mission, la protection du public, et de voir à ce que, lorsqu’un citoyen doit subir un procès en matière criminelle, tous ses droits fondamentaux sont respectés, c’est-à-dire son droit à la défense pleine et entière, à un procès juste et équitable, la publicité du procès, le respect du décorum, l’administration de la preuve, la recherche de la vérité, la qualité de la preuve testimoniale et la disparité des ressources technologiques, qui représentent tous les facteurs qui sont très pertinents à considérer pour nous, afin de vérifier si les nouvelles dispositions liées à la vidéoconférence peuvent répondre à ces droits fondamentaux des éléments justifiables.

Il ne faut pas qu’on fasse affaire à une justice à deux vitesses; on sait tous que la qualité du réseau Internet est variable d’un endroit à l’autre. Donc, celui qui accepte que son procès se fasse par vidéoconférence, si l’équipement ne permet pas de faire un procès dans le décorum ou de saisir toutes les subtilités, est désavantagé. Ce ne sont que des exemples que je donne, madame la sénatrice. On a encore besoin de mener plus d’études et d’aller au fond des choses.

La sénatrice Clement : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Wetston : Ma question s’adresse à Me Parry.

Vous avez relevé des lacunes, surtout au début d’une instance qui pourrait être une audioconférence ou se dérouler par téléconférence. Je voulais explorer une chose que vous connaissez sans doute. Invariablement, quand certaines de ces nouvelles réformes législatives surviennent, tant du côté civil que du côté pénal, on voit souvent la magistrature et le barreau travailler en étroite collaboration pour régler bon nombre des formalités administratives et procédurales associées à la mise en application appropriée de la loi, et ce, dans l’intérêt de la justice et de l’accusé, principalement.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la question que vous avez soulevée et peut-être reconnaître, accepter ou rejeter ma suggestion selon laquelle je pense que la magistrature et le barreau peuvent régler bon nombre des détails associés à la bonne administration de la justice?

Me Parry : Oui, sénateur. Merci beaucoup de cette question.

Ma réponse comportera deux volets. Premièrement, je suis tout à fait d’accord pour dire que la magistrature et le barreau peuvent régler bon nombre de ces questions. La tension intervient au niveau des enjeux initiaux — c’est ainsi que nous les appelons. Seront-ils relégués à des discussions officieuses, par exemple dans le cadre de conférences préparatoires au procès, où les questions seront réglées, ou par la création d’une sorte de mécanisme permettant à un juge de rendre certaines ordonnances avant le procès pour régler les choses à ce stade initial? Ce dernier élément se déroule à huis clos, et il faudrait que ce soit dans les cas où les choses ne sont pas nécessairement litigieuses.

C’est un des pouvoirs, et c’est là que la magistrature et le barreau peuvent travailler ensemble pour dire : « Nous comprenons tous les règles de base, et nous comprenons tous que, pendant les conférences préparatoires au procès, ces choses peuvent être décidées, nous pouvons rendre des ordonnances, et cetera. »

Premièrement, lorsqu’il ne s’agit pas de consentement ou qu’il y a des questions litigieuses — en plus de l’interprétation de certaines administrations —, l’ordonnance doit être rendue par le juge du procès. Nous devons ensuite envisager la possibilité de tenir une audience quelconque avant le procès, si ces choses ne peuvent pas être convenues, elles doivent être tranchées devant la justice. Malheureusement, c’est une situation où, même si la magistrature et le barreau ne peuvent pas travailler ensemble, parfois, les divergences ne peuvent pas être résolues. C’est pour cette raison que nous avons des juges pour entendre les arguments et prendre ces décisions.

Le problème, c’est que s’il y a une interprétation stricte — ce que j’ai vu dans certaines administrations — selon laquelle seul le juge de première instance peut le faire, cela crée un énorme problème d’horaire. On peut penser qu’il faudra peut-être une audience d’une demi-journée pour un procès d’une journée et d’autres types de problèmes de ce genre.

Dans notre mémoire, nous disons qu’il faut créer un mécanisme permettant à n’importe quel juge compétent de l’entendre, de sorte qu’il n’est pas nécessaire qu’il s’agisse d’un juge de première instance, ou que l’on accorde à un juge avant le procès plus de pouvoirs de gestion de l’instance en vertu du Code criminel pour qu’il puisse rendre des ordonnances exécutoires, et cetera. On pourrait ainsi régler ces problèmes dès le départ, en plus d’élaborer des lignes directrices sur la pratique dans chaque province et territoire que la magistrature et le barreau pourraient faire ensemble.

Le sénateur Wetston : Merci.

J’aimerais poser une question semblable à M. Chow, plus précisément au sujet de la relation entre la police et la Couronne, à savoir beaucoup de questions — les empreintes digitales, les mandats et d’autres. Êtes-vous dans une situation semblable, où les détails peuvent être soigneusement réglés entre les corps policiers et la Couronne de façon semblable pour un certain nombre de questions administratives? Je dirais que c’est le cas, compte tenu des différentes responsabilités.

Avez-vous un bref commentaire à ce sujet, monsieur Chow?

M. Chow : C’est tout à fait le cas. Nous le faisons en permanence, et nous continuons d’évoluer et de nous améliorer à certains égards, tout comme d’autres secteurs. On pourrait dire que cela s’est produit au début de la pandémie de COVID-19 par rapport à maintenant dans la façon dont nous avons amélioré notre utilisation de Zoom lors des réunions et à toutes les difficultés que nous avons eues plus tôt.

Il y aura sans aucun doute des accrocs, mais d’autres secteurs le font et ont réglé le problème. Pour ce qui est de l’accès à la justice et de l’obligation de rendre justice, nous nous posons des questions au sujet des autres secteurs, comme les régions éloignées et les gens qui ne peuvent pas se présenter au tribunal ou qui doivent assumer des coûts énormes pour aller d’une petite ville à un grand centre où se présenter au tribunal.

Voilà certaines des choses que nous avons constatées du côté des services de police. Mais je suis très sensible à ce que Me Claveau et Me Parry ont dit au sujet des questions de quorum qui entrent également en jeu.

La sénatrice Pate : Je remercie tous les témoins de leur présence et du travail qu’ils font.

Pour revenir sur les observations du sénateur Wetston et sur l’indication de Me Parry selon laquelle il aimerait voir des mécanismes de protection et des amendements, surtout compte tenu du fait qu’aucune recherche n’a été faite au Canada — mais que certaines ont été menées ailleurs, principalement au Royaume-Uni, où l’on constate à la fois une incidence négative sur les droits du défendeur et l’efficacité de l’avocat dans les cas où l’on a davantage recours à la vidéoconférence, particulièrement dans les affaires criminelles, et les problèmes que bon nombre d’entre nous — y compris probablement certains d’entre vous — ont constaté en voyant les installations de vidéoconférence disponibles dans les centres de détention provisoire et les prisons provinciales et territoriales. Il y a de véritables préoccupations au sujet de la protection de la vie privée, de la coercition et de toutes les questions que vous avez soulevées.

Quels types de mécanismes de protection et d’amendements proposeriez-vous? Nous allons commencer par Me Parry, mais je me réjouis à l’avance que les autres témoins puissent également intervenir. Merci.

Me Parry : Merci, sénatrice Pate. Les mécanismes de protection que l’ABC recommande, et qui sont détaillés dans le mémoire, créent un article — je crois qu’il s’agit de l’article 715.23. Il faudrait également élargir la portée de l’article 715.25 sur les participants — il y a un plus large éventail de facteurs qui peuvent être pris en considération. Par exemple, dans notre mémoire, je crois que nous en avons énuméré trois, à savoir si les parties disposent de la technologie nécessaire et d’une connexion Internet stable, et cetera, s’il existe des facteurs particuliers prendre en considération pour maintenir le principe de la publicité et les préoccupations en matière de sécurité.

En fin de compte, si vous créez un plus large éventail d’intérêts qui doivent être pris en compte à cette étape initiale lorsque les questions de ce genre sont tranchées, on peut alors espérer que les participants sont plus sensibles à certaines questions. par exemple, s’il s’agit d’une procédure très délicate, où un témoignage contre telle ou telle personne pourrait être dommageable et où l’on craint des représailles. Il s’agit d’un facteur explicite qui pourrait être pris en considération si une disposition comme celle sur les préoccupations en matière de sécurité était intégrée.

La sénatrice Pate : Désolée de vous interrompre, maître Parry. J’ai lu cela dans votre mémoire et je m’excuse de ne pas avoir été plus claire dans ma question. Ce que je voulais dire, c’est qui va s’occuper des particularités? À l’heure actuelle, de telles mesures existent, évidemment, avec l’utilisation que l’on fait de la vidéoconférence pour les enquêtes sur cautionnement et ce genre de choses. Pourtant, d’après ce que j’ai pu constater personnellement, et d’après ce que d’autres ont pu observer, personne ne vérifie vraiment si ces mécanismes de protection sont en place.

Me Parry : Oui, je suis d’accord. En fin de compte, s’il est question de détention, il faudra investir dans la technologie. Heureusement ou malheureusement, il incombera aux participants et au juge de première instance, à bien des égards, de régir les procédures. C’est pourquoi, encore une fois — je l’ai peut-être dit trop souvent —, si ces questions peuvent être réglées rapidement, des dispositions peuvent être prises pour que les témoins puissent se présenter à un palais de justice dans une région éloignée ou à un endroit sûr, comme un poste de police ou peu importe les autres conditions qui s’y rattachent. Nous ne pouvons pas tomber dans le piège de dire que tout doit se faire en présentiel ou en distanciel. Il y a des degrés. Il y a des mesures qui peuvent être prises rapidement pour maintenir l’intégrité des procédures.

Encore une fois, c’est en confiant à un plus grand nombre de participants et de juges le soin d’établir ces conditions et de se pencher sur ces questions dès le début que vous mettrez en place ces mécanismes de protection. Vous ne devez pas attendre une étape ultérieure, quand un accusé d’un établissement de détention provisoire téléphone et dit : « Nous n’avons pas de vidéo. Si vous voulez une enquête sur cautionnement, il faudra que ce soit par téléphone. »

Le sénateur Cotter : J’ai deux questions. Je crois que la première s’adresse principalement à Me Parry, mais j’aimerais également connaître le point de vue de Me Claveau. J’aurais pensé que la façon dont nous aborderions la question, surtout en cette période d’après-pandémie lorsque des défis se sont présentés à l’administration de la justice, à l’équité en général et à l’accès à la justice également, c’est qu’en temps normal, nous avons peut-être recensé des occasions ici d’améliorer l’administration de la justice.

Mais j’aurais pensé que, pourvu que l’accès à la justice soit amélioré ou, du moins, qu’il ne soit pas compromis, et que les principes clés de l’administration de la justice soient préservés — les points concernant le principe de la publicité de la justice, la sécurité des gens, la capacité des gens d’observer l’administration de la justice, la capacité des juges de faire leur travail — sous réserve de ces critères, j’aurais cru que, surtout en ce qui concerne cette approche différente de la justice, nous nous serions fiés aux désirs de l’accusé, parce que c’est la personne dont les droits à la liberté sont en jeu.

Je me demande si nous devrions essayer de voir toute cette série d’amendements sous cet angle, et si les critères que nous devrions viser sont, espérons-le, l’amélioration de l’administration de la justice, la préservation des principes clés de l’administration de la justice, mais sans compromis, et de nous en remettre ensuite à la volonté de l’accusé d’être là en personne ou non, sous réserve de la disponibilité de la technologie. C’est ma première question.

Je pourrais peut-être poser ma deuxième question, qui, en réalité, s’inspire des observations d’autrui. J’ai l’impression que nous devons étudier ces amendements, peut-être les adapter un peu, mais que nous devrions vraiment connaître leurs répercussions. Il me semble qu’il faudrait — et je m’inspire de votre observation, maître Claveau — mener une étude sur les répercussions qu’ils auraient sur les différents éléments de l’administration de la justice pénale. Toutefois, je vous dirai très franchement que ce qui me préoccupe le plus, ce sont les répercussions sur l’accusé et la question de savoir si nous avons établi les droits des accusés d’une façon problématique. Je vous pose donc deux questions en une.

Me Parry : Je vous remercie pour cette question. En réponse à la première partie, je vous dirai que je suis tout à fait d’accord avec vous. Il faut examiner ces questions du point de vue de l’accusé. Comme nous l’avons dit, nous avons là une occasion en or d’accroître l’accès à la justice ainsi que d’améliorer l’efficacité des comparutions administratives et autres, comme j’ai essayé de le souligner. Mais la vraie question se résume à ceci : si nous prenons le point de vue de l’accusé et que nous l’utilisons comme fondement ici, alors, dans un certain sens, cela devient... J’essaie de trouver les bons mots pour exprimer cela. Nous devons tenir compte des droits de l’accusé, mais il faut tenir compte d’autres facteurs, comme — un de vos collègues l’a souligné — les considérations relatives aux victimes et autres.

Il devient toutefois nécessaire de créer ces mesures de protection pour éviter, comme je l’ai dit tout à l’heure, que les audiences à distance ne deviennent la norme. Ce qui nous préoccupe ici, c’est que si nous ne partons pas du point de vue des droits, mais que nous nous concentrons sur l’efficience, et si les parties et les participants commencent aussi à voir les choses de ce point de vue, alors nous nous engagerons sur une pente glissante. S’il est plus facile de procéder de cette façon, pourquoi ne pas le faire tout le temps?

C’est pourquoi il faut mettre en place des mesures de protection, une gestion de cas intensive, et cetera, pour éviter que cela ne se produise et que les gens ne s’attendent à ce que tout se fasse à distance.

[Français]

Me Claveau : Je vais laisser mon collègue Me Marchand, qui est praticien sur le terrain, répondre à votre question, monsieur le sénateur.

Me Marchand : Au sujet de la volonté de l’accusé, il y a de plus en plus d’accusés qui se défendent seuls. Il y a beaucoup d’infractions qui sont poursuivies par voie sommaire; souvent, dans ces cas-là, il n’y a pas d’aide juridique s’il n’y a pas de possibilité réelle de peine de prison.

Cela fait de plus en plus de personnes qui se défendent seules, sans avocat, et je ne suis pas certain ni convaincu que ces gens sont en mesure de prendre des décisions éclairées par rapport au fait d’être présent ou non à la cour. Le projet de loi vise les dispositions ayant trait à la vidéoconférence et cela concerne les accusés, et non les témoins. La volonté de l’accusé, c’est très bien, mais encore faut-il que cela soit une volonté éclairée. Il faut presque des conseils juridiques pour bien comprendre toutes les circonstances, surtout sur le plan de la crédibilité, comme le mentionnait Me Claveau.

Ensuite, il faut en connaître les effets. Vous avez parlé d’une étude que je ne connaissais pas et qui viendrait du Royaume-Uni. Cette étude parlait des problèmes qu’il pourrait y avoir sur le plan des communications avec l’avocat et de la crédibilité; c’est surtout ce que l’on voit comme problèmes.

J’ai déjà vécu des problèmes personnels de communications privées avec mon client. En pleine salle de cour, il y avait quelqu’un sur la ligne, mais on ne le savait pas. Ce sont des problèmes réels. Voici un autre problème : lorsqu’il y a de la preuve documentaire à présenter, c’est que souvent, dans les quelques cas où il y a eu des procès, il a fallu divulguer la preuve avant la Couronne; c’est une chose qu’on ne fait pas normalement. Quand on arrive en audience, surtout du côté de la défense, on n’est pas toujours obligé de divulguer nos éléments de preuve.

Après cela, on demande à l’accusé d’apposer un X sur un document. Comment faire s’il est chez lui? Qu’est-ce qui se passe pendant les ajournements?

La présidente : Merci, monsieur Marchand.

La sénatrice Dupuis : Je tiens à remercier nos témoins. C’est très important que vous nous aidiez à réfléchir à ces questions, et nous apprécions énormément votre présence.

J’ai l’impression que le projet de loi que nous examinons reflète la vision optimiste selon laquelle la technologie va tout faciliter. Ma question s’adresse autant au représentant du Barreau canadien qu’à la représentante du Barreau du Québec.

Lorsqu’on parle d’une étude d’impact sur l’introduction de la technologie, on sent bien que le ministre a répondu à une demande des provinces; il nous l’a confirmé et c’est ce qu’il affirme. Je pense donc que l’on retrouve clairement la perspective de l’efficacité dans le projet de loi.

Ce qui est moins évident — et je pense que vous l’avez souligné au Barreau du Québec —, c’est la perspective des garanties procédurales, mais aussi la perspective de ceux qui sont accusés ou des témoins non représentés, comme les victimes de violence, conjugale ou autre. Comment garantir que l’on tiendra compte de ces éléments dans la mise en place de la technologie?

Est-ce qu’on devrait modifier le projet de loi pour prévoir une révision parlementaire? À cause de la COVID, on se sert de ces technologies depuis déjà deux ans. Dans la foulée de ce qui s’en vient, je pense qu’il doit y avoir une révision de l’application de ces mesures. Est-ce que, dans deux ou trois ans, on devrait réviser ce projet de loi et s’assurer qu’on a fait une étude d’impact? En effet, pour le moment, on tient pour acquis que c’est très bien, que ça va aller mieux et que ce sera très bien pour tout le monde, mais on n’a rien mesuré.

Me Claveau : Je peux répondre d’abord. Je vous remercie, sénatrice Dupuis. Le Barreau du Québec ne s’est pas penché sur cette suggestion, mais lorsque vous posez la question, cela revient quand même un peu à ce que nous pensons.

Effectivement, le fait de rendre des mesures pérennes pour faire en sorte que le système de justice ne soit pas complètement bloqué en période de pandémie, c’est un gros enjeu. Il pourrait peut-être y avoir des dispositions à l’essai, avec une révision dans deux ou trois ans, ce qui pourrait vraiment valider les droits fondamentaux des accusés.

De plus, comme vous le dites, il y a certains témoins, dont les victimes, qui sont quand même importants à considérer. Cela pourrait être une option, effectivement. Le Code criminel est une loi fondamentale; c’est une loi volumineuse. Dans l’optique où ces dispositions seraient inscrites dans la loi, si ultimement la mesure d’accommodement prévue ne respectait pas les droits fondamentaux, il faudrait la réviser.

La présidente : Merci, madame Claveau.

Le sénateur Dalphond : Je remercie les témoins d’être présents au comité ce matin; c’est très utile de vous entendre. Ma question s’adresse aux représentants du Barreau du Québec. Je comprends que le projet de loi est le fruit de consultations et qu’il a été adopté à la suggestion des tribunaux et de divers intervenants de la justice, notamment du Québec.

Est-ce que je dois comprendre que vous n’avez pas été consultés ou que vous n’avez aucunement participé à ce processus? Dans un deuxième temps, puisque la plupart de ces méthodes ont été utilisées pendant la pandémie, avez-vous eu connaissance de droits fondamentaux qui n’ont pas été respectés en raison de l’utilisation de ces technologies?

Me Claveau : Je vais laisser Me Marchand répondre à votre deuxième question et je reviendrai pour la première.

Le sénateur Dalphond : Merci.

Me Marchand : Pour ce qui est de savoir si nous avons été consultés, la bâtonnière répondra à votre question. Pour ce qui est de votre deuxième question au sujet du non-respect des droits fondamentaux, je vous dirais que, quand on consulte les gens, on voit qu’il y a eu quelques problèmes de mise en œuvre.

Par exemple, on a rapporté deux cas où l’accusé avait, semble-t-il, enregistré le témoignage de plaignantes pour ensuite les diffuser sur les médias sociaux. Il y a aussi eu des problèmes d’écran. Une avocate me disait que, durant un procès, elle n’était pas en mesure de voir si le juge prenait ou non des notes pendant que son client témoignait. On sait bien que lorsqu’on est dans une salle d’audience, on peut voir la réaction du juge. Est-ce qu’il prend des notes? Est-ce qu’il n’en prend pas? Est-ce qu’il fait la moue?

Enfin, il faut essayer de voir tous les acteurs, pas seulement le juge, mais aussi l’accusé. Quand on voit l’accusé et qu’on est à côté de lui, un clin d’œil suffit et on se comprend, on sait ce que ça veut dire. Le fait que l’accusé témoigne à distance fait en sorte qu’on n’a pas de contrôle durant l’audience. Il faut demander une suspension chaque fois, parce qu’on vient de finir un contre-interrogatoire et qu’on veut savoir si l’accusé a quelque chose à ajouter. L’avocat qui veut consulter son client doit toujours demander une suspension.

Le sénateur Dalphond : Si je peux vous interrompre, maître Marchand, je comprends ces difficultés. Cependant, dans l’exemple que vous donnez, l’accusé est représenté par un avocat. C’est votre client, et il n’est pas possible que cela se fasse de façon audio ou vidéo sans son consentement, donc sans que vous lui ayez expliqué tout cela à l’avance. Est-ce que j’ai bien compris?

Me Marchand : Avec le droit tel qu’il se pratique actuellement, il y a eu beaucoup d’entorses à la procédure. Certains avocats ont eu des problèmes de délai en vertu de l’arrêt Jordan. Les clients sont détenus trop longtemps et il faut vraiment régler les dossiers. Il y a eu des entorses procédurales et les gens consentaient à procéder quand même, car on n’avait pas le choix à cause de la pandémie. Évidemment, s’il y avait eu appel plus tard, en vertu de l’article 686, on aurait sûrement dit que tout le monde était d’accord pour procéder de cette façon.

Dans un contexte où il a fallu éteindre des feux, le système judiciaire a été très fort et il a pu s’ajuster en se servant des dispositions prévues au Code criminel pour essayer de régler les problèmes.

Toutefois, ce qui est recommandé dans le projet de loi S-4 et qui sera adopté ne va pas régler toutes les causes à l’avenir. À mon avis, en raison des problèmes que nous avons éprouvés, parce qu’il y a eu plusieurs enjeux sur les plans de la crédibilité et de l’accusé qui se représente seul, on ne peut pas continuer de cette façon.

De plus, pour l’accusé qui se représente seul, qu’est-ce qui arrive durant les ajournements? Est-ce qu’il est seul à la maison? Est-ce qu’il va discuter de son témoignage avec quelqu’un d’autre?

Il y a aussi les problèmes d’identité. Un procureur de la Couronne me disait : « Écoute, on a des problèmes d’identité. Le gars est seul, il sort son permis de conduire pour s’identifier, il n’est pas représenté, on n’est pas certains que c’est bien lui. » En fait, il y a beaucoup d’enjeux de ce genre.

Ce n’est pas que le Barreau du Québec est contre l’utilisation de la technologie. Au contraire, dans tous les procès pro forma, dans toutes les requêtes en droit, je trouve que c’est extraordinaire. Par contre, lorsqu’on arrive à quelque chose de sensible, comme le témoignage d’un accusé, c’est important. Si l’on continue de la même façon avec la technologie, il faudra probablement...

Le sénateur Dalphond : On s’entend pour dire que si l’accusé est représenté, on le conseillera d’accepter de le faire ou pas, parce que ça ne peut pas être imposé à l’accusé.

Me Marchand : Cela ne peut pas être imposé, sauf avec les procès pro forma. Comme vous le dites, lorsqu’il y a de la preuve, et c’est ce que je comprends du projet de loi, cela ne peut pas être imposé. Ce que je veux dire, c’est que tout cela va presque devenir la règle; on y va toujours par étapes. Il y a eu le projet de loi C-75, et maintenant on a le projet de loi S-4. Quel sera le prochain projet de loi? Vous allez me dire qu’on ne parlera pas de l’avenir, qu’on va parler de maintenant, mais on voit quand même la ligne.

Le sénateur Dalphond : Vous avez peur que ça ne soit pas exceptionnel, mais que ça devienne la nouvelle norme et que le tribunal...

La présidente : Je suis désolée, sénateur Dalphond.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Cela répond à mes questions. Merci.

La présidente : Je tiens à vous remercier tous d’être ici. Vos propos soulèvent beaucoup d’intérêt, comme vous pouvez le constater. Nous passerions facilement une autre heure avec vous. J’ai la tâche difficile de vous interrompre. C’est une tâche horrible, mais j’ai accepté de l’assumer, alors je ne peux pas me plaindre.

Merci beaucoup d’être venus. Nous avons beaucoup appris de vous, et vous nous laissez beaucoup de matière à réflexion.

Honorables sénateurs, nous allons maintenant passer à notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons le surintendant principal Larry Montgomery, officier responsable adjoint des enquêtes criminelles, Services spécialisés d’enquête et de police opérationnelle, GRC Colombie-Britannique. Merci beaucoup. Je sais qu’il est très tôt en Colombie-Britannique, alors je vous remercie de vous être joint à nous. Nous accueillons également Mme Jennifer Gates-Flaherty, directrice générale, Services canadiens d’identification criminelle en temps réel.

Du Service correctionnel du Canada, nous accueillons Mme Mackenzie Lambe, dirigeante principale de l’information par intérim, Services de gestion de l’information et M. Jason Hope, sous-commissaire régional.

Du Service des poursuites pénales du Canada, nous accueillons Me Shelley Tkatch, coordonnatrice intérimaire pour le Nord/conseillère juridique générale, et du Commissariat à la magistrature fédérale Canada, l’honorable J. Michael MacDonald, Comité d’action sur l’administration des tribunaux en réponse à la COVID-19.

Ces témoins appartiennent tous à des organismes gouvernementaux, comme vous pouvez le voir, honorables sénateurs. Mesdames et messieurs, nous avons vraiment hâte d’entendre vos opinions sur ces questions.

Veuillez commencer votre exposé, surintendant principal Larry Montgomery.

Surintendant principal Larry Montgomery, officier responsable adjoint des enquêtes criminelles, Services spécialisés d’enquête et de police opérationnelle, GRC Colombie-Britannique : Merci et bonjour, madame la présidente et honorables sénateurs. Comme indiqué, je suis le surintendant principal Larry Montgomery. Je suis officier responsable adjoint des enquêtes criminelles, Services spécialisés d’enquête et de police opérationnelle, GRC Colombie-Britannique.

À ce titre, j’assume la responsabilité de la planification stratégique, du leadership et de l’orientation d’une gamme complète de services spécialisés à l’appui des services policiers opérationnels. Deux unités de mon secteur de responsabilité concernent cette discussion, le Bureau des normes et des pratiques d’enquête et l’Équipe de soutien des demandes d’autorisation juridique.

Le Bureau des normes et des pratiques d’enquête se compose de dirigeants chevronnés qui fournissent de l’aide et des conseils dans le cadre des enquêtes sur les dossiers majeurs en appliquant les neuf principes de la gestion des dossiers majeurs. L’Équipe de soutien des demandes d’autorisation juridique est aussi composée de chefs de police chevronnés qui possèdent de nombreuses années d’expérience dans l’utilisation des autorisations juridiques et qui ont collaboré à certaines des enquêtes policières les plus complexes de la GRC.

Un certain nombre d’amendements du projet de loi S-4 concernant les autorisations judiciaires et les télémandats s’avéreraient utiles. Plus exactement, le fait de permettre la présentation de demandes par télécommunication pour tous les types d’autorisations pourrait améliorer l’accès aux services judiciaires, accroître l’efficacité des agents de la GRC — notamment ceux qui doivent se déplacer pour obtenir des services judiciaires — et normaliser les processus judiciaires, ce qui contribuerait à prévenir les erreurs techniques.

Les amendements au projet de loi S-4 pourraient également améliorer l’efficacité et l’uniformité des domaines modifiés, comme les procédures prévues à l’article 188 du Code criminel, la normalisation des exigences de traitement des données entre les articles 47 et 47.0192 sur les mandats de perquisition et les ordonnances de communication. Ils amélioreraient aussi l’application des procédures de télécommunication prévues à l’article 49.1 et à l’article 490 du Code criminel.

Soulignons aussi que rien de tout cela ne limiterait les avantages qu’apporterait le projet de loi S-4 s’il était adopté. Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente : Nous vous remercions d’être venu. Nous passons maintenant à Shelley Tkatch, coordonnatrice intérimaire pour le Nord et avocate générale du Service des poursuites pénales du Canada. Je crois que le Service correctionnel du Canada répondra à nos questions, mais il n’a pas de présentation. Est-ce exact? Oui? Merci. Nous passons maintenant au Service des poursuites pénales du Canada.

Me Shelley Tkatch, coordonnatrice intérimaire pour le Nord/conseillière juridique générale, Service des poursuites pénales du Canada : Bonjour, madame la présidente, et bonjour mesdames et messieurs les membres du comité.

Je m’appelle Shelley Tkatch et je suis conseillère juridique générale du Service des poursuites pénales du Canada au bureau de Calgary, sur le territoire visé par le Traité no 7. Pendant l’été, j’assure aussi la coordination du Nord à l’administration centrale du Service des poursuites pénales. À ce titre, je fournis un soutien stratégique et juridique aux trois bureaux du Service situés au Nunavut, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon. J’aide également l’administration centrale du Service des poursuites pénales à régler des problèmes touchant le Nord, notamment les Autochtones.

Je suis procureure fédérale depuis 30 ans et j’ai aussi travaillé à Yellowknife, où j’ai intenté des poursuites dans les Territoires du Nord-Ouest pendant sept ans. J’ai traité des causes liées au crime organisé, à de graves infractions commises avec violence comme des homicides et à des agressions sexuelles graves. Un grand nombre de ces procès se déroulaient devant un jury.

J’espère être en mesure de fournir des renseignements sur les répercussions pratiques du projet de loi proposé pour aider le comité dans ses travaux et ses délibérations, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. Merci beaucoup.

La présidente : Nous allons passer à l’honorable Michael MacDonald.

L’honorable J. Michael MacDonald, Comité d’action sur l’administration des tribunaux en réponse à la COVID–19, Commissariat à la magistrature fédérale Canada : Bonjour à tous, madame la présidente et distingués membres du comité, et merci de m’avoir invité à prendre la parole au nom du Comité d’action sur l’administration des tribunaux en réponse à la COVID-19. C’est un honneur de m’adresser à vous, je vous assure.

Je suis le président du groupe de travail du comité d’action et je viens d’Halifax, où se trouvent les Mi’kma’ki, la maison des Mi’kmaq. Si vous me le permettez, j’aimerais vous donner un très bref aperçu des travaux de notre comité.

Le comité d’action a été mis sur pied au début de la pandémie, au printemps 2020, afin d’aider les dirigeants du système judiciaire à rétablir et à maintenir les activités des tribunaux dans tout le pays. Notre travail englobe tous les échelons du système judiciaire et tous les types de causes. Il ne se limite pas aux causes criminelles.

Comme vous le savez, le comité d’action est coprésidé par le juge en chef du Canada et par le ministre de la Justice et procureur général du Canada. Il comprend des membres représentant les plus hauts niveaux de l’exécutif et de la magistrature au pays.

Notre mandat se concentre sur les mesures immédiates et à court terme et sur la planification en réponse à la pandémie. Il nous ouvre cependant la voie à la modernisation à moyen terme et à l’amélioration de l’accès à la justice. Nous nous trouvons donc en tête de file du pays dans ce domaine. Le comité d’action offre une tribune où les membres supérieurs de la magistrature et de l’exécutif de partout au Canada échangent de l’information et collaborent à la recherche de solutions et de pratiques exemplaires que les tribunaux et les administrations pourront adapter en fonction de leurs besoins.

Nous exécutons notre mandat dans le plus grand respect de l’indépendance judiciaire, bien sûr, ainsi que des pouvoirs des provinces et des territoires en matière d’administration de la justice.

Dans cette optique, nous publions différents types de directives non normatives qui mettent l’accent sur des défis communs, sur des leçons apprises, sur des conseils utiles et sur des pratiques exemplaires. Jusqu’à maintenant, nous avons publié des articles sur l’adaptation des mesures de santé et de sécurité au contexte des tribunaux, en mettant l’accent sur l’optimisation des processus relatifs aux jurés, et sur les répercussions qu’aura la pandémie sur l’accès à la justice pour divers groupes marginalisés. Madame la présidente, permettez-moi d’ajouter que nous avons un document assez complet sur les besoins d’interprétation dus à la COVID-19. Je vous recommande de le lire sur notre site Web à la lumière d’une question que vous avez posée plus tôt, je crois.

Nous examinons les contestations judiciaires tenues par audiences virtuelles en nous concentrant sur la sécurité et sur la protection de la vie privée. Nous nous concentrons sur l’engorgement et sur les délais judiciaires durant la pandémie et nous continuerons à nous en occuper après cela.

Toutes ces ressources sont disponibles dans notre site Web. Nos commentaires sur le projet de loi S-4 seront brefs et concis. Notre mandat ne nous permet pas de participer pleinement à l’élaboration ou à l’examen des lois, mais nous offrons un forum informel où les membres de la magistrature peuvent exprimer leurs problèmes opérationnels. À cette fin, les défis soulevés par le comité d’action ont touché les dispositions procédurales du code qui, à l’heure actuelle, exigent que les gens comparaissent en présentiel ou qu’ils déposent leurs documents.

Nous avons entendu dire dans de nombreuses administrations que la loi empêchait dans certains cas les tribunaux de procéder virtuellement pendant la pandémie. Ces lois risquent de nuire à l’accès à la justice en temps opportun pour tous les intervenants du système de justice pénale.

Alors que nous émergeons de la pandémie et que nous commençons à envisager de mener à long terme des audiences et des processus judiciaires en format virtuel, il semble bien que l’on continuera à utiliser la technologie virtuelle, mais pas pour remplacer les audiences en présentiel. Nous ne pouvons pas nous permettre de sacrifier le droit qu’ont les citoyens à un procès équitable sur l’autel de l’efficacité.

Nous reconnaissons que la détermination du meilleur mode d’audience dépendra de nombreux facteurs. Le pouvoir discrétionnaire des juges jouera un rôle clé à cet égard, et cela semble être ancré dans le projet de loi.

Comme vous le savez, le comité d’action a démontré l’accroissement de l’usage de la technologie dans les processus judiciaires. Cette technologie a la capacité d’améliorer l’accès à la justice, mais elle peut aussi créer de nouveaux obstacles pour d’autres gens. Il n’y a pas de solution universelle. Nous examinons actuellement les avantages et les inconvénients des audiences virtuelles en vue de publier d’autres directives à ce sujet. Comme toujours, nos directives non normatives ne viseraient qu’à compléter le cadre juridique et non à le contredire.

Bref, nous considérons les amendements à ce projet de loi comme des outils importants à ajouter à la trousse du pouvoir judiciaire discrétionnaire afin d’offrir le meilleur accès possible à la justice dans notre pays. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur MacDonald. Je suis contente que vous m’ayez parlé de l’interprétation. Je vais certainement lire ce qui se trouve dans votre site Web. Malheureusement, il n’y a jamais assez d’interprètes dans les salles d’audience, mais je vais lire l’article et si j’ai des questions, je vous les poserai.

J’ai une question pour le Service correctionnel du Canada. L’Association des juristes progressistes nous a fait part de ses préoccupations concernant le manque de systèmes de visites par vidéoconférence dans les centres de détention fédéraux. Bien que le Service correctionnel du Canada dispose des ressources nécessaires pour installer ces systèmes et qu’il bénéficierait de ce changement, les détenus ne sont toujours pas en mesure de communiquer avec leurs avocats en privé. Que pensez-vous de l’utilisation des vidéoconférences pour garantir le respect des droits des détenus de consulter un avocat en privé?

La sénatrice Pate et moi avons visité plusieurs prisons. Les détenus se plaignent avant tout du fait qu’ils ne peuvent pas parler à leurs avocats en toute confidentialité. Madame Lambe ou monsieur Hope, pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de cette question de protection de la vie privée?

Jason Hope, sous-commissaire régional, Service correctionnel du Canada : Je vous remercie pour cette question, madame la présidente. Je vais concentrer ma réponse sur l’équipement technologique du Service correctionnel du Canada.

Dans le passé, notre équipement et nos infrastructures de vidéoconférence à des fins judiciaires se prêtaient très mal à la communication et la protection des échanges confidentiels entre les avocats et leurs clients.

Mais depuis, il y a eu beaucoup de changements. Le Service correctionnel du Canada a installé toutes les unités judiciaires dans des salles privées où les détenus peuvent participer aux procédures loin des autres détenus, de façon plus isolée. Est-ce une approche uniformisée de nos infrastructures? La réponse est non. Nous avons cherché les meilleures solutions pour chaque région.

Deuxièmement, nous avons installé dans chaque unité un téléphone privé rattaché au système judiciaire pour faciliter la communication privée entre avocats et accusés. De plus, les téléphones privés interrompent le flux vidéo et audio dès que l’on raccroche le récepteur.

Soulignons que les tribunaux utilisent la même technologie que nous. Ils peuvent donc aussi brancher leurs systèmes et les audiences à Zoom. À cette fin, nous effectuons continuellement la mise à niveau de nos technologies.

La présidente : Puis-je vous demander d’attendre une seconde, s’il vous plaît? Désolée, mais nous avons besoin de l’interprétation.

Monsieur, votre microphone n’est pas branché, alors nous reviendrons à vous dès que nous aurons réglé le problème.

Nous passons maintenant au parrain du projet de loi, le sénateur Dalphond.

Le sénateur Dalphond : Je m’adresse à l’ancien juge en chef MacDonald. Je suis heureux de vous voir parmi nous aujourd’hui. Merci beaucoup de votre participation.

Ma question porte sur la raison qui amène ce comité de la magistrature à travailler avec le ministère de la Justice. Je pense que le comité présidé par le juge en chef Wagner a recommandé ces mesures afin d’éviter les débats sur l’étendue de l’emploi éventuel de ces moyens technologiques. Pendant la pandémie, certains tribunaux ont dû y recourir plus souvent; d’autres, incertains d’en avoir le pouvoir, étaient réticents.

Si je comprends bien — et je vous demande de le dire au comité —, vous avez dit que c’était pour disposer de plus d’outils, mais que ce n’est pas l’intention des intervenants, les juges et les avocats, de remplacer les procédures normales de comparution devant les tribunaux par des comparutions virtuelles. Il ne s’agit que d’un outil supplémentaire, pas d’une nouvelle façon de tenir les procès. Est-ce que je me trompe? Ai-je raison? Quelle est l’intention de la magistrature dans cela?

M. MacDonald : Vous avez raison. Tout d’abord, notre comité ne se propose pas de faire une analyse article par article du projet de loi, mais il a relevé, dans le cadre de ses travaux, certaines difficultés que pose la nécessité de tenir des audiences en personne. Le fait de donner à la magistrature le pouvoir discrétionnaire de tenir, selon les cas, des audiences virtuelles plutôt que des audiences en personne est un outil supplémentaire. Comme vous le supposez dans votre question, ce n’est pas une nouvelle façon d’entendre les procès.

Je reviens à la préoccupation du sénateur Cotter au sujet des droits de l’accusé. Comme je l’ai mentionné, l’intention ou la préoccupation de la magistrature est de garantir que les droits de l’accusé ou de quiconque dans un procès ne soient jamais sacrifiés sur l’autel de l’efficacité. Ce n’est pas ce que nous cherchions. La pandémie nous a appris qu’il peut y avoir des aspects du processus judiciaire où la tenue d’une audience virtuelle est avantageuse pour tout le monde. Cependant, elle ne remplace pas l’audience traditionnelle en personne.

Bien entendu, les protections sont là, car les audiences virtuelles n’ont lieu qu’avec le consentement de la Couronne et de l’accusé et l’accord discrétionnaire du tribunal. J’espère que cela répond à votre question, monsieur le sénateur.

Le sénateur Dalphond : Oui. Merci beaucoup.

La présidente : Nous passons maintenant au porte-parole, le sénateur Carignan.

[Français]

Le sénateur Carignan : Merci. Ma question s’adresse au juge MacDonald. Comme on essaie toujours de faire des progrès, qu’on est en processus d’amélioration et d’évaluation, qu’on examine les avantages et les inconvénients, n’est-il pas prématuré d’adopter une loi qui prévoit le recours à la visioconférence même quand il y a des témoins? J’ai été un peu ébranlé par le témoignage du Barreau du Québec. Me Marchand a donné de bons exemples; par exemple, quand la personne témoigne, on ne sait pas qui se trouve autour. S’il y a une suspension des procédures, parle-t-elle à quelqu’un d’autre pendant la suspension? On peut contaminer le témoignage...

On est ici maintenant et on ne voit pas l’entourage, mais est-ce que quelqu’un suggère des réponses ou enregistre les propos? Donc, ne devrait-on pas tout simplement attendre avant d’utiliser la visioconférence lorsqu’il y a des témoins, et se concentrer sur les procédures où il n’y a pas de témoins ou il n’y a que des plaidoiries ou des éléments plus simples techniques de remises? Devrait-on réellement administrer de la preuve testimoniale par visioconférence en attendant d’avoir mené une étude plus complète, comme le suggère le Barreau du Québec?

[Traduction]

M. MacDonald : Je vous remercie de cette excellente question et j’ai pris bonne note de vos préoccupations.

Ce que je dirais, c’est que les audiences virtuelles sont le résultat d’une crise à laquelle tout le monde était confronté, dans laquelle les gens devaient agir, prendre des décisions difficiles et être aussi novateurs que possible. On peut soutenir que le projet de loi pourrait en fait établir les règles de base et protéger les droits de tous du fait qu’il prévoit que le consentement de la Couronne et de la défense et, bien sûr, l’accord discrétionnaire du tribunal seraient nécessaires.

Franchement, je ne vois pas qu’un juge au Canada accepte un processus qui compromettrait les droits à un procès équitable de l’accusé ou les droits de quiconque. Il s’agit simplement d’une possibilité, si cela convient, de tenir des audiences virtuelles, qui portent souvent sur des questions administratives. Il s’agit d’un outil supplémentaire, assorti de mesures de protection puisqu’il faut, comme je l’ai indiqué, le consentement des parties et, bien sûr, l’accord discrétionnaire du tribunal pour être utilisé.

Nous devions tous réagir à une situation d’urgence et à des circonstances exceptionnelles et nous avons pris des mesures qui nous paraissaient nécessaires. À bien des égards, le fait d’avoir un texte législatif pourrait aider à préciser les choses dans de telles circonstances à l’avenir.

J’espère que cela répond utilement à votre question, monsieur le sénateur, mais je me ferai un plaisir de répondre à toute question complémentaire.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur MacDonald, au cours de la pandémie, avez-vous fait un rapport sur les activités?

[Traduction]

M. MacDonald : Je m’excuse. Parlez-vous du rapport du comité d’action?

Le sénateur Boisvenu : Oui. Exactement.

M. MacDonald : Oui, si vous consultez notre site Web, vous verrez que nous avons produit de nombreuses fiches-conseils et des conseils sur divers aspects du système de justice lui permettant de mieux composer avec la pandémie de COVID-19. Le comité d’action a produit un rapport pour le dernier exercice financier, et nous en avons un deuxième actuellement en rédaction, qui sera publié bientôt.

J’espère avoir bien compris votre question et y avoir répondu.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Oui, exactement. Peut-on constater des écarts importants dans l’administration de la justice entre un contexte non pandémique et un contexte pandémique? Avez-vous observé des écarts importants en ce qui a trait aux délais, aux reports d’audiences ou à des procès qui n’ont pas pu avoir lieu pour des raisons technologiques?

[Traduction]

M. MacDonald : Nous n’avons pas recueilli de chiffres détaillés ni suivi les cas sur une base statistique. Ce que nous avons observé, en particulier dans les régions éloignées, ce sont les difficultés que posaient la pandémie et la tenue d’audiences en personne.

Nous nous souvenons tous du printemps de 2020, quand les choses se sont pratiquement arrêtées. La situation imposait alors une certaine adaptation, ce qui était une excellente solution pour les cours d’appel, mais un grand défi pour les tribunaux de première instance. De toute évidence, la COVID-19 a causé d’énormes difficultés et retards. Nous avons étudié ces répercussions et les moyens par lesquels la technologie pouvait constituer, comme je l’ai dit plus tôt, un outil supplémentaire à notre disposition.

Nous avons également relevé des problèmes associés à ce virage technologique. Il y a tout d’abord la protection de la vie privée. À cet égard, il existe une grande différence entre tenir une audience en personne et tenir une audience virtuelle pour ce qui est du respect de la vie privée des témoins, dont le témoignage risque d’être diffusé sur le Web. Nous avons aussi des préoccupations quant aux principes de l’audience publique, puisqu’on n’entre pas dans une salle d’audience si on est membre des médias ou du public sans passer par les formalités d’accès et d’inscription.

La technologie comporte donc des avantages et des inconvénients, et notre proposition consiste à mettre à profit ses avantages et à diminuer ses inconvénients.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup. Ce projet de loi nous obligera à naviguer à vue plutôt qu’avec des instruments. On aura de nouvelles modalités sans trop savoir comment nous guider. Êtes-vous d’accord?

[Traduction]

M. MacDonald : De nouveau, je rappelle les mesures de protection prévues, soit le consentement de l’accusé, celui, dans tous les cas, de la Couronne et l’accord discrétionnaire du tribunal, mesures qui, du moins à mon avis, garantissent que les droits à un procès équitable ne seront pas compromis ni sacrifiés sur l’autel de l’efficacité. Merci.

La présidente : Monsieur le sous-commissaire Hope, je suis vraiment désolée d’avoir dû vous interrompre. Cependant, je crois comprendre que Mme Lambe, la dirigeante principale de l’information par intérim, peut terminer votre réponse.

Est-ce bien le cas, madame Lambe?

M. Hope : Elle pourra répondre à ma place si vous ne pouvez pas m’entendre.

La présidente : Pouvez-vous dire quelques mots, et nous verrons.

M. Hope : Oui, je veux bien. Est-ce que ça fonctionne maintenant?

La présidente : Non, je suis désolée. Nous vous entendons mal ici. Toutes mes excuses.

Voilà qui nous donne à tous une idée de notre dépendance croissante à l’égard de la technologie, qui n’est pas sans ses complications. C’est une bonne expérience pour nous.

Madame Lambe?

Mackenzie Lambe, dirigeante principale de l’information par intérim, Services de gestion de l’information, Service correctionnel Canada : Merci.

Comme mon collègue a voulu l’expliquer plus tôt, au Service correctionnel du Canada, nous avons nos systèmes vidéo pour les audiences, qui sont tous installés dans des salles privées où le contrevenant peut participer aux procédures à l’écart des autres contrevenants. Nos systèmes d’audience comprennent également un téléphone privé qui est relié à chaque unité résidentielle afin de faciliter, au besoin, les communications privées entre l’avocat et l’accusé. Dans de tels cas, l’agent de sécurité sort de la pièce, si bien que la confidentialité entre l’avocat et le contrevenant est préservée.

Un autre point qu’il importe de signaler, c’est que le téléphone privé interrompt le signal vidéo et audio dès qu’il est retiré du récepteur. Il y a d’autres éléments que nous avons mis en place pour les administrations qui utilisent certaines technologies, comme Zoom, où nous pouvons intégrer ces systèmes aux réunions Zoom. Des progrès considérables ont été réalisés ces deux dernières années pour améliorer ce processus.

Il va sans dire que le contrevenant, une fois l’audience terminée, est escorté jusqu’à l’unité résidentielle qu’il occupe.

La présidente : Merci beaucoup de cette réponse, madame Lambe.

Monsieur le sous-commissaire Hope, je peux vous dire que, au cours de nos visites en prison, nous avons entendu dire que l’agent de sécurité demeurait dans la pièce. Vous voudrez donc peut-être vous pencher là-dessus.

Le sénateur Cotter : Merci aux témoins d’être venus. J’ai deux questions que j’adresserai, je pense, à l’ancien juge en chef MacDonald.

C’est un plaisir de vous voir, monsieur. C’est incroyable tout ce que vous réussissez à faire à peu près en même temps, et je vous remercie de vous être joint à nous ce matin.

Ma première question porte sur les défis qui se posent quant aux audiences publiques. J’ai jeté un coup d’œil sur le site Web, et je sais qu’il a été signalé par le comité d’action. Je me demande si cette tendance à une plus grande utilisation des communications à distance ne nous mènera pas inévitablement à une situation où les audiences publiques en viendront à signifier, au fond, qu’on pourra tout aussi bien les suivre à la télévision, puisque n’importe qui pourrait, ou devrait pouvoir, y avoir accès. Les questions que cette évolution soulève résident dans l’utilisation problématique que les gens pourraient en faire en enregistrant, en tout ou en partie, les procédures, puis en les diffusant sur le Web, et dans les défis de ce genre associés aux audiences entièrement publiques, si je peux m’exprimer ainsi, qui suscitent nos inquiétudes.

Ma deuxième question concerne le risque que nous pourrions courir, en étendant ces possibilités, de délaisser peu à peu notre pratique historique de recourir aux tribunaux itinérants. Il est tout simplement plus pratique, sur le plan de l’administration de la justice, de ne pas envoyer tout le personnel du tribunal, par exemple, à Black Lake tel jour, surtout s’il ne s’agit que d’y prononcer une série de peines. Les gens devraient simplement rester à leurs bureaux, plutôt que de se rendre sur place pour le faire. Il pourrait y avoir cette tendance ou cette propension à profiter des avantages de la technologie et cela pourrait, de façon sournoise, diminuer l’accès à la justice tel que nous le connaissons.

M. MacDonald : Ce sont deux excellentes questions.

Pour y répondre simplement, je dirais, avec tout le respect que je vous dois, que nous pourrions trouver intérêt à embrasser les aspects positifs de la technologie et la façon dont elle peut améliorer l’accès à la justice tout en prenant bien soin d’éviter, comme vous le suggérez, l’envahissement de la technologie. Vous avez tout à fait raison de signaler que la technologie, si elle prend suffisamment d’ampleur, pourrait réellement entraver l’application des principes de l’audience publique. Nous l’avons souligné dans notre travail. Il faut en être conscient dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire quant au choix des aspects de la technologie qui sont à retenir.

Ce que vous dites au sujet des audiences à distance est tout à fait vrai. Je suis assez âgé pour rappeler la grande importance qu’avait le bureau de poste dans toute localité, grande ou petite. C’était également le cas du palais de justice. Il ne faut certainement pas donner à la technologie tant de place qu’elle mènerait à la perte de la présence de l’appareil judiciaire dans la ville ou le village, particulièrement dans les régions éloignées, et à sa centralisation dans une lointaine localité d’où on ne verrait pas la justice en action.

Nous avons rédigé un document à ce sujet. Il porte sur les répercussions de la pandémie de COVID-19 sur les personnes marginalisées.

Nous devons porter grande attention à ces deux points des plus valables que vous avez soulevés, mais je dois dire, puisque ces risques existent, que nous ne devrions peut-être pas rester les bras croisés, que nous devrions peut-être profiter des avantages de la technologie. Je conviens que nous devons apprendre à marcher avant de courir et qu’il faut garder présentes à l’esprit ces préoccupations, qui sont légitimes. Nous les avons relevées et nous avons tâché de donner des conseils pour promouvoir les aspects positifs de la technologie. J’espère que cela répond à votre question, monsieur le sénateur.

Le sénateur Wetston : J’adresse ma question à Mme Tkatch.

J’aimerais que vous nous parliez un peu de votre expérience en tant que procureure de la Couronne de longue date et nous dire la façon dont vous percevez ce projet de loi et, sur le plan concret, de l’incidence qu’il aura, non seulement sur votre travail de représentante de la Couronne, mais aussi sur les droits éminents de la personne — les droits garantis par la Charte et d’autres — de l’utilisation de la technologie audio ou vidéo.

Je ne suis pas idéaliste et je sais bien qu’on ne peut pas revenir en arrière, comme je l’ai dit à un groupe de témoins l’autre jour. La technologie est là pour de bon. Nous devons l’utiliser efficacement, mais nous ne pouvons pas accepter que les droits de la personne en souffrent.

Pouvez-vous nous faire part de certaines de vos expériences, en particulier en ce qui concerne les répercussions de la technologie?

Me Tkatch : Merci.

J’ai quelques brèves observations à faire au sujet des répercussions sur le travail futur. Pour cela, j’aimerais d’abord revenir en arrière.

Je dirigeais le bureau du SPPC de Calgary au moment de l’inondation de 2013. Le centre-ville de Calgary ayant été décrété zone d’évacuation, le palais de justice du centre-ville a dû fermer. Nous ne pouvions pas nous présenter devant le tribunal, puisqu’il avait fermé ses portes.

Les problèmes n’ont pas manqué. Tout a pris du retard. L’une des questions que la sénatrice Batters a posées, je crois, au ministre de la Justice ou à ses fonctionnaires visait à savoir si cela concernait uniquement l’urgence résultant de la pandémie de COVID-19. Il y a eu d’autres situations d’urgence où cette loi, les possibilités qu’elle offre ou cette technologie auraient été utiles.

Aujourd’hui, la ville de Hay River, dans les Territoires du Nord-Ouest, est évacuée et la réserve de la Première Nation de Peguis, près de Winnipeg, est sous l’eau, et pourtant les procédures judiciaires pourraient devoir se poursuivre.

Par conséquent, les technologies de ce genre et les améliorations qu’elles offrent pourront être utiles dans de futures situations d’urgence.

Cela dit, pour faire suite à ce que disait l’ancien juge en chef MacDonald, cette technologie est également utile dans les situations non urgentes. Pour ce qui est des répercussions pratiques, et cela concerne directement l’article 715.23 et les critères de comparution à distance — le lieu et la situation personnelle du contrevenant, les coûts que sa comparution en personne entraînerait et le caractère approprié du lieu où il peut comparaître —, les trois premiers critères dépendront de l’accusé lui-même. La Couronne n’aura pas ces renseignements.

Sur le plan pratique, je ne vois guère de situations, voire aucune, où la Couronne présenterait de telles demandes. Les demandes de comparution à distance seront le fait de l’accusé.

La Couronne aurait des observations à présenter dans les cas où elle établissait et reconnaissait que la comparution à distance pourrait influer sur l’équité du procès, tant pour le compte de l’accusé qu’en son propre nom, ainsi que si la gravité de l’infraction lui semblait justifier le rejet de la demande. Ce sont dans ces circonstances que la Couronne interviendrait et présenterait des observations.

Quant au consentement, il demeure soumis au pouvoir discrétionnaire du juge. Que la Couronne y consente ou non, si elle présente des observations et a des préoccupations au sujet de l’équité du procès ou de la gravité et de la nature de l’infraction, ces observations seront soumises à l’examen du juge, qui déterminera s’il est dans l’intérêt de la justice de permettre la comparution à distance.

Je suis désolée d’avoir pris un peu trop de temps, mais j’ai un troisième point à faire valoir. Tout ça n’est pas nouveau; il s’agit simplement d’élargir le champ d’application d’outils que nous avons déjà. Nous permettons déjà aux témoins de comparaître à distance à leur demande. Le Code contient des dispositions permettant aux victimes vulnérables, comme les enfants témoins et les témoins vulnérables, de comparaître par télévision en circuit fermé. Les juges ont donc acquis, depuis de nombreuses années, la capacité d’évaluer la crédibilité des témoignages présentés par vidéo. Je ferais donc mienne l’opinion du juge MacDonald quant à la capacité des juges de continuer de le faire.

Si le projet de loi est adopté, il ne fera qu’étendre, aux situations d’urgence comme aux situations non urgentes, l’application d’outils déjà à notre disposition.

La sénatrice Batters : Merci à tous les témoins d’être ici aujourd’hui.

Mes questions s’adressent à Me Tkatch. Je reviens sur le dernier témoin représentant l’Association du Barreau canadien dans le groupe précédent pour souligner simplement qu’à la fin de la page 1 de son mémoire, on peut lire :

[Nous encourageons] par ailleurs la généralisation de cette exigence à toutes les comparutions à distance où des témoignages sont entendus; il faudrait donc obtenir le consentement de la Couronne pour qu’un plaidoyer de culpabilité en détention soit fait à distance.

Cela ne concerne que le procureur de la Couronne. Ainsi, maître Tkatch, en regard de ce que vous venez de dire, je conviens que, oui, il y a eu de nombreuses occasions où la vidéo et la technologie sont devenues des éléments importants du système de justice pénale. Je ferais valoir que, dans ce cas particulier cependant, les dispositions du projet de loi pourraient être utiles dans des situations d’urgence futures, mais qu’elles ne se limiteraient pas forcément à ces situations et qu’elles pourraient s’appliquer plus largement du fait de la commodité qu’elles offrent.

Comme vous avez une vaste expérience comme procureure de la Couronne — et nous apprécions hautement votre comparution pour cette raison —, je me demande si vous pourriez nous parler de deux ou trois choses.

Premièrement, est-ce que cela vous préoccupe qu’un seul juge soit chargé, non seulement dans le cadre d’une procédure sommaire, mais aussi dans le cadre d’un procès criminel sans jury, de déterminer la crédibilité d’un accusé qui témoigne dans ces situations, en particulier du fait de la durée des témoignages qui pourraient devoir être présentés, puisqu’il ne s’agit pas simplement d’un court appel Zoom, mais plutôt de cas où des heures et des heures de témoignage pourraient être nécessaires?

Me Tkatch : Je vous remercie, sénatrice Batters. Encore une fois, lorsqu’il est question de témoins qui devront peut-être témoigner pendant des heures et des heures et de l’évaluation de leur crédibilité, c’est l’un des points à considérer relativement à la nature et à la gravité de l’infraction. S’il s’agit de circonstances où il est non seulement peu pratique de procéder ainsi, mais encore qui pourraient influer sur l’équité du procès et sur l’évaluation de la crédibilité, la Couronne devrait faire valoir que ce n’est pas, à ses yeux, un cas approprié. Ou encore, si l’accusé a besoin de le dire, c’est qu’il ne donnera pas son consentement. Ces mesures de protection sont en place.

Prenons ensuite votre position et retournons-la un peu. L’un des aspects dont nous devons tenir compte, en particulier dans les cas d’infractions graves avec violence, c’est non seulement la surreprésentation des contrevenants autochtones parmi les accusés, mais aussi la surreprésentation des femmes et filles autochtones parmi les victimes partout au Canada et dans le Nord.

Le mandat et les principes que nous appliquons visent également à réduire l’impact traumatisant sur ces victimes vulnérables d’avoir à témoigner en personne devant un tribunal. S’il y a moyen d’aider ces témoins vulnérables dans cette épreuve ou d’éviter de les traumatiser de nouveau dans une procédure judiciaire et que ces outils peuvent y contribuer, ce serait aussi une bonne chose. Je pense que, dans ce que vous suggérez, cela se fera toujours au cas par cas et qu’il n’y aura pas de règles, de pratiques ou de lignes directrices générales à l’intention des avocats de la défense, des procureurs de la Couronne ou des juges leur indiquant ce qui est approprié ou non. Il faudra plutôt évaluer les demandes individuellement et examiner attentivement les arguments présentés.

Encore une fois, je me fierais à l’expérience de l’ancien juge en chef MacDonald quant à la façon dont il évaluerait ces arguments — s’il avait à les entendre — et dont il rendrait sa décision dans ce genre de cas, mais je veux établir un équilibre entre cette préoccupation et d’autres genres de droits des victimes.

La sénatrice Batters : C’est certainement la raison pour laquelle il y a eu des situations où des témoins vulnérables ont pu témoigner par vidéo dans beaucoup de différents cas. La différence ici, c’est que c’est l’accusé qui va témoigner et que cela peut susciter des préoccupations.

Me Tkatch : Excusez-moi, j’ai peut-être mal interprété votre question. J’ai pensé que… mais pour ce qui est des témoignages de longue durée d’accusés, je vais revenir à l’article qui prévoit que seul l’accusé a à consentir dans une procédure sommaire. C’est, de nouveau, une réalité pratique.

Dans les tribunaux provinciaux et territoriaux, l’engorgement et le nombre de causes qu’ils ont à entendre sont généralement attribuables à des cas d’infraction contre l’administration de la justice, de manquements à des obligations, de délits mineurs. Beaucoup d’accusés ne témoignent pas. Les cas dont vous parlez tendent à être des infractions plus graves et ne tombent peut-être pas dans ces catégories, mais qui, encore une fois, donneraient lieu à une évaluation individuelle. Je voulais parler de la réalité de la vie dans les tribunaux provinciaux. Merci.

La sénatrice Batters : Oui, c’est exact. Tout à fait. D’accord.

La présidente : Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci à tous les témoins d’être ici aujourd’hui. J’ai une question pour le juge MacDonald. Monsieur le juge, vous avez dit dans votre intervention que tout le monde peut gagner avec l’utilisation de la technologie. J’aurais tendance à ajouter : « à condition que la technologie soit déjà disponible ». Vous savez que, dans plusieurs régions du Canada, la technologie n’est pas fiable ou n’est pas disponible, et cela pose un grave problème.

Je vous remercie de nous avoir transmis votre site Internet, parce qu’en le consultant, je vois bien que votre comité a cerné tous les problèmes que notre comité a soulevés : la gestion des audiences, les garanties des droits fondamentaux, le décorum en cour. Voici ma question : comment peut-on s’assurer que tous les bons principes que vous énoncez dans vos rapports — et je viens de lire deux rapports de votre comité qui figurent sur votre site — sont mis en pratique dans la réalité?

[Traduction]

M. MacDonald : Merci encore pour cette excellente question. Je dois dire que l’un des avantages inattendus de la pandémie a été qu’elle a fait voir la nécessité non seulement d’utiliser la technologie là où elle n’était pas utilisée auparavant par les tribunaux, mais aussi de collaborer. Notre comité d’action est tout entier le fruit d’une collaboration, qui a été positive parce qu’il a su faire respecter l’indépendance judiciaire, tout en travaillant avec les décideurs en matière d’accès à la justice et avec le soutien de fonctionnaires.

Pour répondre à votre question, madame la sénatrice, les juges de ce pays doivent continuer de jouir de l’indépendance reconnue à la magistrature, d’insister pour que les droits de chacun soient reconnus également devant les tribunaux et d’en faire la preuve dans une salle d’audience après l’autre et d’accepter une collaboration, respectueuse de l’indépendance judiciaire, qui résulte de la reconnaissance des défis existants.

Vous avez tout à fait raison au sujet des défis associés à la technologie — nous avons un document là-dessus sur notre site Web —, qui tiennent à la bande passante, à la pauvreté et à la marginalisation. Il faut s’attaquer à tous ces problèmes. Le bon travail du comité d’action, pour lequel je ne m’attribue aucun mérite, a abouti à la création d’une plateforme de collaboration pour ces projets, qui a pour vocation de signaler ces besoins et de susciter l’effort voulu pour y répondre.

C’est un défi quotidien, permanent — je n’irais pas jusqu’à parler de lutte — pour s’assurer que tous ces principes fondamentaux sont respectés. En fait, l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui et l’existence du comité d’action sont des exemples de la façon dont cela se manifeste. J’espère avoir répondu à votre question, madame la sénatrice.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Dans la foulée de ce que vous me dites, vous avez publié un rapport sur les communautés autochtones où vous avez recommandé qu’il y ait des agents de liaison pour faciliter le lien entre les tribunaux, le monde de la justice et les gens qui sont accusés dans ces communautés. Que cela soit par le biais de la technologie, des témoignages ou des comparutions en personne, on a le même problème. Vous avez fait cette suggestion en 2020. Au Québec, il y a des services parajudiciaires qui existent. Je ne sais pas si vous êtes en mesure de dire si, dans toutes les provinces du Canada, il y a actuellement ce genre de ressources qui permettent de mettre en place cette collaboration dont vous nous parlez, soit pour les procès en mode virtuel, soit pour les procès en personne.

[Traduction]

M. MacDonald : Je vous remercie encore une fois de votre question. Non, ce n’est pas le cas. Ces ressources varient d’une province à l’autre. C’est un autre avantage du travail que nous avons pu faire en collaboration avec les représentants des deux ordres de gouvernement et de tous les paliers de la magistrature. Ce que nous faisons, c’est cerner les pratiques exemplaires. Au début, lorsque nous nous sommes penchés sur les défis de la justice pour les collectivités marginalisées, éloignées et nordiques, nous avons pu en relever d’excellents exemples. Nous avons vu des dirigeants autochtones qui travaillaient comme agents de liaison auprès des tribunaux et nous avons pensé que c’était un bon plan pour le pays. Nous ne pouvons pas l’imposer, et nous ne voudrions jamais le faire, mais nous pouvons au moins faire connaître les bonnes pratiques de ce genre.

Nous avons vu de bonnes idées pour un emploi original de la technologie dans les tribunaux. Nous en avons aussi relevé pour faciliter l’accès à la justice des personnes marginalisées et l’exercice des droits linguistiques. Madame la présidente, vous avez bien raison de signaler le manque d’interprètes; nous avons pu confirmer que c’est bien le cas.

Pour répondre à votre question, il n’y a pas d’uniformité. Ce n’est pas une critique, mais le simple constat d’une réalité. Il n’y a pas d’uniformité à l’échelle du pays, mais, quand nous réussissons à mettre en lumière de très bonnes pratiques, nous pouvons peut-être espérer que d’autres les emprunteront et les amélioreront. Je considère qu’il s’agit là d’une des conséquences positives des travaux du comité d’action.

La sénatrice Clement : Merci à tous les témoins. J’ai pris note des observations de l’ancien juge en chef MacDonald et je suis d’accord avec lui pour dire que ces changements sont là pour de bon et que nous devons adopter une vision à long terme. Je pense également que nous devons entreprendre des efforts bien financés, et c’est ce qui me préoccupe. C’est sur les données, ou les lacunes dans les données, que nous devons concentrer nos efforts pour soutenir ce processus afin d’être en mesure de bien préparer notre action visant les trois enjeux que le juge en chef vient de mentionner : exercice des droits, marginalisation, pauvreté.

Quelles recommandations précises avez-vous à faire — je m’adresse à tous —afin de pouvoir alléger le fardeau que le recours accru à la technologie et la littératie technologique inégale ne manqueront pas d’imposer à vos services? De quoi vos services ont-ils besoin pour être en mesure de composer avec cette situation en particulier? Vos services et aussi vos clients. La question est pour quiconque veut y répondre. Je ne suis pas pointilleuse.

Me Tkatch : Je vais peut-être lancer la discussion. Au SPPC, nous avons dû, entre autres choses, augmenter notre capacité serveur et notre bande passante dès le début. Nous avons constaté que même cette capacité devait sans cesse être augmentée, ne serait-ce que pour nous permettre de nous connecter aux salles d’audience des tribunaux, ainsi que de communiquer à la grandeur du pays et de tenir plus de réunions au moyen de Zoom et de Microsoft Teams. Cette adaptation technologique s’imposait donc chez nous.

Comme nous sommes un service national des poursuites pénales, nous tâchons de maintenir la communication sur ce qui se passe dans chacune des provinces. Nous avons donc mis sur pied un groupe de travail sur la COVID-19 chargé d’examiner les répercussions éventuelles qu’aurait la fermeture des tribunaux, eu égard à l’arrêt Jordan. Ainsi, nous pouvions mettre en commun les pratiques exemplaires, déterminer quelles étaient, dans l’immédiat, les répercussions directes dans chaque province et territoire, décider individuellement et dans chaque région comment faire le triage des cas, tenter de venir à bout de l’arriéré inévitable qui s’est produit et, regardant vers l’avenir, communiquer à tous la jurisprudence émanant alors des tribunaux à ce chapitre.

Ce sont là quelques-unes des difficultés concrètes avec lesquelles nous étions aux prises et des stratégies que nous avons adoptées pour assurer les poursuites. Je cède maintenant la parole à quiconque veut parler de la situation dans les autres services.

M. MacDonald : Je vais dire un mot, madame la sénatrice, pour expliquer pourquoi je ne suis pas intervenu. Nous ne représentons pas un service ou un ministère en tant que tel, mais simplement un comité de liaison chargé de cerner les pratiques exemplaires et les difficultés et de les faire connaître. Ce n’est pas par désinvolture que je ne suis pas intervenu pour répondre à cette question particulière.

La sénatrice Clement : Merci, monsieur le juge en chef.

Mme Lambe : Si la question est toujours sur le tapis, j’aimerais intervenir pour dire ce qu’il en est au Service correctionnel du Canada. Je vous remercie de la question.

Pendant la période de réponse à la pandémie, la période critique, le Service correctionnel a travaillé en étroite collaboration avec son principal partenaire, Services partagés Canada, en vue d’élargir son réseau étendu et sa bande passante. Cette collaboration se poursuit dans le but de déterminer la façon de répondre à l’augmentation continue de la demande en général pour les interactions virtuelles et la façon d’envisager, à cet égard, de multiples services dans différentes régions, non plus un seul centralisé.

C’est pour nous une stratégie permanente sur laquelle nous travaillons en étroite collaboration avec ce partenaire afin de nous assurer d’avoir l’infrastructure de réseau nécessaire pour répondre aux besoins et assurer la qualité. Nous avons également un certain nombre d’outils que nous examinons et dans lesquels nous continuons d’investir pour nous aider à prioriser ce trafic passant par l’infrastructure.

L’autre élément, évidemment, lorsqu’on commence à réorienter les ressources ordinairement utilisées pour l’escorte des contrevenants, par exemple, vers les services en personne, c’est qu’il faut puiser dans un bassin de ressources différentes, peut-être davantage administratives, pour établir les horaires, assurer la coordination et réaliser d’autres investissements technologiques.

Ce sont des choses que nous avons adaptées de notre mieux pendant la pandémie. Il est certain qu’il faudra continuer d’examiner le processus opérationnel et les besoins en conséquence. Je vous remercie de la question.

La sénatrice Pate : Je remercie les témoins. Monsieur le juge en chef MacDonald, j’ai été très heureuse de vous entendre dire quatre fois, peut-être plus, qu’il ne fallait pas sacrifier l’équité des procédures sur l’autel des gains d’efficacité. Je serais curieuse de savoir quels renseignements vous avez, tout comme je suis intéressée de faire le suivi des questions posées plus tôt pour obtenir les renseignements que possèdent le Service correctionnel du Canada et les autres services au sujet du nombre de vos membres qui connaissent de première main les conditions dans lesquelles ces dispositions sont appliquées.

Par exemple, le Service correctionnel a décrit les systèmes installés dans les unités résidentielles. Vous avez entendu la sénatrice Jaffer parler de ce que nous avons observé de première main. Je me demande combien d’entre vous ont pu voir de leurs yeux ces systèmes.

Je sais, par exemple, que lorsque nous avons sondé les sénateurs, les députés et les membres de la magistrature ayant droit d’accès aux pénitenciers fédéraux, environ un tiers des sénateurs, mais très peu de députés et encore moins de juges se sont présentés pour faire la visite qui leur permettrait de confirmer que les normes sont en place qui assureraient l’équité des procédures.

J’aimerais aussi savoir ce qu’en disent le Service correctionnel du Canada, ainsi que l’ancien juge en chef MacDonald et les autres témoins quand je suppose que le projet de loi S-4 modifiera certaines des politiques et des procédures actuellement en place pour garantir que les personnes incarcérées assistent à leurs audiences, en personne ou à distance. J’aimerais que vous nous expliquiez comment et pourquoi de telles politiques devraient être modifiées et quelles mesures de protection seraient adoptées pour assurer précisément le genre de procédure équitable que vous avez décrite. J’inviterais peut-être l’ancien juge en chef MacDonald à répondre en premier.

M. MacDonald : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Merci de me donner l’occasion d’intervenir. Je me suis moi-même rendu à Truro, à la prison pour femmes et dans les prisons fédérale et provinciale. Dans l’affaire R. c. Proulx, la Cour suprême du Canada a statué qu’une peine avec sursis n’a pas à être de la même durée qu’une peine purgée en détention, qu’une peine purgée dans la collectivité. Dans toute comparaison entre les peines, il faut avoir une idée de la réalité carcérale.

Je vais essayer de ne pas être trop long, mais l’Institut national de la magistrature, qui supervise l’éducation, la formation des juges, avait, du moins avant que je ne prenne ma retraite, un programme solide qui permettait aux juges de visiter les prisons et les encourageait à le faire. Je peux dire que, pour ma part, je m’y suis rendu. Je sais qu’il existe un bon programme pour faciliter la chose.

Quant à votre deuxième question, il est essentiel que le projet de loi porte sur la latitude laissée à l’accusé et au tribunal au sujet de la comparution à distance. Je considère ces mesures de protection comme importantes.

J’espère avoir répondu à votre question. Sinon, je me ferai un plaisir de compléter ma réponse.

La sénatrice Pate : Voici ma seule autre question : avez-vous des mécanismes en place pour assurer des mesures de protection à l’avenir, ou croyez-vous qu’elles seront nécessaires, une fois le projet de loi S-4 adopté?

M. MacDonald : J’estime sans doute que les exigences en matière de consentement et le pouvoir discrétionnaire des juges constituent les mesures de protection nécessaires.

M. Hope : Madame la sénatrice Pate, si vous me le permettez. Pouvez-vous m’entendre maintenant ou les interprètes le peuvent-ils? Je vais essayer une dernière fois. J’espère qu’ils pourront m’entendre.

La présidente : Je le regrette, mais nous ne vous entendons pas. Je suis vraiment désolée. Si les interprètes ne peuvent pas entendre, ils ne peuvent pas faire leur travail. Je suis très mal à l’aise. Désolée, monsieur Hope.

Madame Lambe, voulez-vous continuer, ou non?

Mme Lambe : La sénatrice Pate pourrait-elle préciser ce qu’elle veut savoir? Il y avait là une foule de choses. Je veux m’assurer d’aborder la question qui l’intéresse.

La sénatrice Pate : Bien sûr. Vous avez décrit un certain nombre de systèmes, dont des téléphones dans des unités. Les avez-vous vus? Les avez-vous vus en cours d’utilisation?

Mme Lambe : Il y a un certain nombre d’années que je n’ai plus travaillé dans un établissement. Je ne pourrais rien dire de précis sur mon expérience.

M. Hope, avec son expérience des opérations, aurait été en mesure de vous répondre, mais en ce qui concerne la TI, mon personnel est physiquement sur place dans les établissements pour faciliter les activités et l’utilisation du matériel.

La présidente : Monsieur le sous-commissaire Hope, il est important que le comité sache à quoi s’en tenir. Auriez-vous l’obligeance de faire une réponse écrite et de la faire parvenir au greffier pour qu’il puisse la communiquer à tout le monde, s’il vous plaît? Merci.

La sénatrice Pate : Madame la présidente, la réponse pourrait peut-être comprendre une description des garanties procédurales qui sont mises en place parce que, comme nous sommes nombreux à l’avoir vue de nos propres yeux, ces garanties se résument souvent à un avis affiché à côté d’un téléphone et ce ne sont pas des garanties assurées par des personnes qui surveillent les conditions d’utilisation. Merci.

Le sénateur Wetston : J’ai une brève observation à faire. Le Service correctionnel du Canada pourrait-il également fournir plus d’information sur l’étendue des moyens technologiques dans les divers établissements? Je pense au nombre de salles, au genre d’équipement et ainsi de suite. Vous comprenez sans doute ce que je veux dire, compte tenu de la nature de la question.

Je vous serais reconnaissant de bien vouloir fournir cette information au greffier.

J’ai quelque chose en commun avec l’ancien juge en chef MacDonald : nous avons tous deux grandi à Whitney Pier. Il n’en a pas parlé. Je m’étonne un peu, car c’est un fait tellement important pour un sujet comme celui dont nous discutons aujourd’hui.

M. MacDonald : Honoré de l’entendre. Merci.

La présidente : Voilà qui a été extrêmement intéressant pour nous. Je remercie l’ancien juge en chef MacDonald, M. Hope, Mme Lambe, le surintendant principal Larry Montgomery, Shelley Tkatch et Jennifer Gates-Flaherty. Nous vous remercions de votre franchise, car ensemble, nous pouvons apporter des changements. Merci beaucoup.

Passons maintenant au dernier groupe de témoins de la matinée. Nous souhaitons la bienvenue à Nicole Marie Myers, professeure au Département de sociologie de l’Université Queen’s, qui témoigne à titre personnel, et à Michael Spratt, associé chez AGP LLP. Comme vous le savez, Me Spratt ne nous est pas inconnu. Il a témoigné à bon nombre de nos séances. Bienvenue à vous deux.

Avant de commencer, je tiens à signaler à ceux qui se posent des questions au sujet du troisième témoin qu’il n’a malheureusement pas pu venir.

Nous allons commencer par vous, madame Myers.

Nicole Marie Myers, professeure, Département de sociologie, Université Queen’s, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir invitée à discuter avec vous. J’ai soigneusement observé les audiences de mise en liberté sous caution avant et pendant la pandémie. Même si je me suis intéressée surtout à la mise en liberté sous caution, plusieurs conclusions valent aussi bien pour les audiences à distance de façon plus générale.

Aujourd’hui, je voudrais aborder trois points.

La présidente : Je suis désolée, madame Myers, mais pourriez-vous ralentir un peu le débit pour que les interprètes puissent faire leur travail?

Mme Myers : Je vais aborder trois sujets différents, soit l’accès du public, l’accès aux services d’un avocat, la protection des renseignements personnels et l’accès à la technologie.

Nous avons depuis longtemps des institutions ouvertes et accessibles au public. Les tribunaux assurent une certaine transparence et une certaine responsabilité dans l’administration de la justice. L’un des principes fondamentaux du système de justice, c’est que la justice doit non seulement être rendue dans les faits, mais aussi être perçue comme l’ayant été. Le passage aux audiences à distance a remis en question ce principe, car ni le public ni les médias ne peuvent se rendre facilement au tribunal pour observer les délibérations et y participer.

La comparution à distance bouscule le principe de l’accès à un avocat. Il n’est pas inhabituel que, pour faciliter les échanges privés, on demande à tous ceux qui sont sur la ligne téléphonique de poser leur téléphone et de ne le reprendre qu’à un certain moment prédéterminé. Il est extrêmement problématique de tenir ces conversations privées sur une ligne téléphonique publique. N’importe qui peut rester en ligne et écouter ce qui est censé être une conversation confidentielle.

N’étant pas physiquement présent au tribunal, l’accusé a peu d’occasions de discuter en privé avec son avocat. Certains tribunaux peuvent faciliter les conversations privées dans des salles d’entrevue insonorisées, mais ce n’est pas le cas de la plupart d’entre eux. Les conversations privées dans la salle du tribunal peuvent être la seule occasion pour l’accusé de parler à son avocat, et ces obstacles soulèvent des préoccupations sous l’angle de l’application régulière de la loi.

Les conversations confidentielles avant, pendant et après le procès sont essentielles si on veut protéger les droits de l’accusé et l’aider à mieux comprendre ce qui se passe, ce qu’on attend de lui et ce qui lui arrive.

Il existe de nombreuses possibilités, si on veut améliorer le fonctionnement de la cour en mode virtuel, mais le fait que tous n’aient pas le même accès aux technologies peut avoir une incidence sur l’accès à la justice. Le défi consiste non seulement à développer une capacité technologique suffisante, mais aussi à assurer la protection de la vie privée et la sécurité du processus.

Le recours aux tribunaux virtuels a sans aucun doute une incidence variable selon les groupes. Il faut déployer des efforts d’uniformisation de l’accès à la technologie nécessaire pour participer pleinement au processus judiciaire, qu’il s’agisse de l’accusé ou de membres du public intéressés.

Le fossé numérique et les problèmes de maîtrise de la technologie et de couverture à large bande auront pour conséquence que certains auront un bon accès à la justice en mode virtuel, tandis que d’autres seront désavantagés.

Nous devons réfléchir aux exigences à satisfaire pour faciliter l’accès à la technologie nécessaire. Autrement dit, comment allons-nous répondre aux préoccupations concernant la diffusion en direct ou l’enregistrement? Comment les services d’interprétation seront-ils assurés?

Il est donc important de prendre acte des coûts et des problèmes liés à l’accès, des préoccupations relatives à la protection de la vie privée et du fait que ces obstacles seront éprouvés différemment par chacun et pourraient entraîner une réduction plutôt qu’une amélioration de l’accès à la justice.

Tous les acteurs du système judiciaire que j’ai observés ont eu des problèmes importants et ils avaient du mal à entendre les délibérations. Le problème de la mauvaise qualité du son était aussi aggravé par les bruits de fond. Il est déjà difficile de suivre ce qui se passe à la cour dans les circonstances idéales lorsqu’on est présent en personne. La comparution en mode virtuel accentue la confusion et les problèmes de compréhension tout en présentant des défis logistiques et des obstacles importants.

Les transcripteurs judiciaires se sont inquiétés de la qualité du son dans les enregistrements des tribunaux, car ils ont du mal à déchiffrer ce qui se dit. Comme il s’agit du compte rendu officiel des procédures judiciaires et de la seule façon de revenir en arrière et de savoir exactement ce qui a été dit, la qualité audio est essentielle.

Autre difficulté qui découle de ce qui précède : comment réagir au défaut de comparaître? En règle générale, un mandat d’arrestation serait émis à l’encontre de l’accusé s’il ne se présentait pas en personne devant le tribunal. Bien que certains puissent choisir délibérément ne pas se présenter, il peut arriver maintenant que d’autres ne puissent pas le faire à cause de problèmes technologiques. Compte tenu des préoccupations concernant les connexions Internet défectueuses, la mauvaise réception, les limites du forfait téléphonique et l’absence de soutien technologique, certains risquent d’être arrêtés pour des problèmes qui peuvent être indépendants de leur volonté.

Au cours des audiences virtuelles où la plupart des échanges se font par téléphone plutôt que par vidéo, l’accusé n’est plus vu non plus. Et l’accusé peut être mis en sourdine dans l’intention de l’empêcher de tenir des propos incriminants. Cela le rend encore plus invisible, ce qui suscite des préoccupations quant au fait qu’il n’est pas vu ni entendu au cours du processus, une conséquence encore aggravée par le fait que son avocat ne se trouve pas avec lui.

Nous devons envisager d’insister davantage sur l’importance des comparutions par vidéo de préférence aux comparutions par téléphone. Certes, cela présente des difficultés sur le plan des ressources et de la technologie, mais il y a une différence de qualité entre la comparution par vidéo et la comparution par téléphone. Quand on essaie de coordonner tous les protagonistes et d’utiliser du matériel désuet, y compris des lignes d’appel limitées et de mauvaises connexions Internet, on entrave le fonctionnement harmonieux et efficace du tribunal. Les ajournements sont encore plus fréquents. Mme Cheryl Webster et M. Braydon Johnson ont expliqué en détail que les retards peuvent en fait être aggravés et non atténués par des comparutions virtuelles. Les comparutions à distance pendant la pandémie n’ont pas nécessairement abrégé les délais judiciaires.

Bien qu’il y ait des défis à relever, il est possible qu’on puisse, en continuant de recourir au mode virtuel, aider à régler plusieurs problèmes d’accès et d’efficacité. Mais les problèmes technologiques sont importants. Non seulement ils entravent les délibérations, mais ils apportent aussi des inefficacités et des iniquités supplémentaires, multipliant les obstacles pour les justiciables les plus marginalisés. Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Pouvons-nous vous entendre maintenant, maître Spratt?

Me Michael Spratt, associé chez AGP LLP, Association des criminalistes : Merci. Bonjour. C’est un plaisir de comparaître de nouveau devant le comité après une certaine absence. Comme vous le savez, je m’appelle Michael Spratt. Je suis avocat, spécialiste agréé en droit pénal du Barreau de l’Ontario et associé chez AGP LLP ici même, à Ottawa. J’ai siégé au conseil d’administration de l’Association des criminalistes. J’ai agi à titre de vice-président de la Defence Counsel Association of Ottawa.

Je comparais aujourd’hui au nom de l’Association des criminalistes, organisme sans but lucratif fondé en 1971. L’association regroupe des milliers d’avocats de la défense spécialisés en droit pénal, dont beaucoup exercent leur profession en Ontario, mais dont certains l’exercent un peu partout au Canada.

Nos membres étaient en première ligne dans le système de justice en 2020, lorsque la COVID a entraîné la fermeture des tribunaux. Nous étions en première ligne encore lorsque les tribunaux ont repris leurs activités au cours des deux années suivantes. La pandémie a fait ce que des dizaines de groupes de travail, de comités et de projets pilotes n’ont pas pu faire : entraîner le système de justice dans la modernité.

Par le passé, si on voulait fixer une date de procès, par exemple, ce n’était pas un problème. Il n’y avait que quelques étapes faciles à suivre : assister en personne à une rencontre préalable au procès au bureau du procureur de la Couronne; assister en personne à une conférence préparatoire au procès pour obtenir une feuille d’autorisation; apporter cette feuille au bureau du coordonnateur de procès et échanger une feuille contre une autre, puis se présenter en cour et comparaître à l’audience de renvoi pour établir la date du procès. Chaque palais de justice avait ses propres règles de procédure byzantines extrêmement bureaucratiques. Certains palais de justice avaient des feuilles de couleur : des feuilles de couleur saumon pour les autorisations de procès et des feuilles vertes pour les périodes de procès.

Si l’avocat de la défense se faisait suppliant, on pouvait parfois autoriser la tenue par téléphone de la conférence préparatoire, par exemple. Mais dans tous les palais de justice, les avocats, les membres du public, les témoins et nos clients devaient se présenter en personne au tribunal même pour les affaires les plus simples et les plus banales.

L’impact sur l’accès à la justice devrait être évident. Prenons l’exemple des audiences sur la libération sous caution — qui, pour l’accès à la justice, se compare au canari dans la mine. Avant la pandémie de COVID-19, les cautions devaient se rendre physiquement au palais de justice pour l’audience, une libération sur consentement ou simplement la signature des documents. Si l’infraction avait lieu dans une ville différente de celle où habitaient la caution et l’avocat, nous devions nous y rendre en voiture et parfois passer des heures pour une comparution très banale. Et nous nous demandons pourquoi les accusés marginalisés et pauvres sont plus susceptibles de se voir refuser la libération sous caution. Il est difficile de libérer de prison un membre de la famille si on ne peut pas prendre une journée de congé, si on n’a pas les moyens de payer des services de garde ou de se rendre dans une ville complètement différente.

Lorsque la COVID a forcé les tribunaux à se moderniser, ces processus de mise en liberté sous caution sont rapidement passés en mode virtuel. Les documents pouvaient être déposés par voie électronique, et les audiences sur le cautionnement et les libérations conditionnelles se déroulaient par téléphone ou par vidéo.

Dans bien des cas, la COVID a amélioré l’accès à la justice. Les comparutions pour renvoi, les audiences sur la libération sous caution, les plaidoyers de culpabilité et même certains procès sont possibles par vidéo. Je n’ai plus besoin de faire des heures de route pour aider un client dans une région éloignée, et je peux planifier plus efficacement les activités et faire plus de travail pour un plus grand nombre de clients dans le même laps de temps. Au cours des deux dernières années, j’ai mené un procès pour agression sexuelle à Kingston par Zoom et un procès à London par Zoom, tout cela à partir de mon bureau. J’ai mené un procès pour meurtre de trois mois ici, à Ottawa, où des avocats et l’accusé étaient présents au tribunal, mais où de nombreux témoins et même certains membres du personnel du tribunal ont participé en mode virtuel. J’ai pris part à d’innombrables audiences sur la libération sous caution et plaidoyers en mode virtuel.

Lorsque ces délibérations en mode hybride fonctionnent, elles fonctionnent bien.

Comprenez-moi bien, il y a eu des problèmes. Les choses n’ont pas été parfaites, et je suis tout à fait d’accord sur presque tout ce que Mme Myers a dit. Les accusés dans des territoires de compétence relativement petits, cependant, ont maintenant un meilleur accès aux avocats de la défense, qui peuvent les aider de façon rentable grâce à la modernisation du système de justice. Il y a des gains d’efficience à réaliser.

Pendant trop longtemps, les avocats de la défense ont été le lubrifiant des rouages du système de justice. Sans la subvention occulte de leur temps, le système judiciaire serait paralysé. Malheureusement, on n’accorde pas beaucoup de valeur à notre temps, surtout quand il s’agit de l’aide juridique. Nous devons faire attention de ne pas revenir aux anciennes habitudes, comme on le fait dans bien des territoires de compétence. Mais nous devons veiller à ce que l’équité du procès ne soit pas sacrifiée sur l’autel de la modernité.

Nous devons nous assurer que ne sont pas laissées pour compte les personnes en détention, y compris celles qui sont pauvres et qui n’ont pas les moyens de se payer la technologie, les personnes qui vivent dans la promiscuité et qui n’ont pas accès à un endroit tranquille et privé, les accusés marginalisés, dont certains souffrent de problèmes de santé mentale, et ceux qui ne comprennent rien à la technologie.

Les accusés devraient toujours avoir le droit de comparaître en personne, mais ils devraient aussi avoir le choix. Ce devrait être leur choix et ils ne devraient pas être à la merci des caprices d’un tribunal ou du ministère public. Cela signifie qu’il faudra investir pour rendre les comparutions virtuelles faciles et pratiques, et qu’il faudra peut-être apporter de légers amendements au projet de loi pour faire en sorte que l’accusé ait le choix des modalités de comparution, sauf si cela va à l’encontre des intérêts de la justice. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions, et j’ai hâte de le faire.

La présidente : Merci beaucoup, maître Spratt. Honorables sénateurs, le greffier demandera à l’Association des avocats noirs du Canada si elle peut nous remettre un mémoire.

Nous allons maintenant passer aux questions. Le sénateur Cotter d’abord.

Le sénateur Cotter : Je n’ai qu’une seule question. Dans quelle mesure certains de ces éléments peuvent-il avoir la conséquence imprévue de compromettre l’accès à la justice et de rendre vulnérables des participants — peut-être dans certains cas des témoins, mais plus particulièrement l’accusé?

Maître Spratt, vous avez donné une description extrêmement concrète des possibilités qui s’offrent. Les procédures à distance pourraient-elles devenir si commodes que des pressions involontaires, mais naturelles, pourraient s’exercer sur l’accusé pour qu’il accepte de participer de cette façon?

Nous essayons de profiter de la technologie disponible et de l’adopter, mais on risque de privilégier la commodité de préférence à l’accès à la justice. Pourriez-vous en dire un mot? Y a-t-il là un sujet d’inquiétude pour les mois et les années à venir?

Me Spratt : Oui, c’est une observation très judicieuse, et je crois qu’elle est tout à fait exacte.

Les procès que j’ai menés à distance concernaient tous des accusés privilégiés qui avaient des connexions Internet stables, qui pouvaient témoigner de chez eux et garder contact avec moi pendant la pause et tout au long de la procédure par des moyens numériques.

Cela a très bien fonctionné, mais certains des avantages des délibérations en personne sont évidemment perdus.

J’ai aussi demandé à un accusé en détention de participer à un procès à Cornwall par téléphone à partir de la prison. Ce n’était pas l’idéal. Il y a consenti, car à l’époque, c’était la seule solution. Il risquait d’attendre des mois et des mois, peut-être un an ou plus, en prison avant qu’on ne fixe de nouvelles dates pour le procès. Son accord était donc loin de ce que nous qualifierions traditionnellement de « volontaire » en justice pénale.

Nous avons tous pris grand soin de veiller à ce que les choses soient aussi équitables que possible et, au bout du compte, tout s’est bien passé. Mais vous avez raison. Il peut arriver qu’on force la main des accusés, surtout en détention, pour qu’ils acceptent plutôt ce qui convient à d’autres, afin de faire avancer leur dossier. Au cours de la pandémie, divers problèmes ont surgi : accès insuffisant aux clients, lacunes dans l’accès à nos clients par téléphone, difficulté pour les accusés en détention de prendre connaissance de la preuve communiquée, anonymat auquel l’absence de comparution au tribunal peut réduire l’accusé. Il est difficile d’avoir des échanges en tête à tête. Le juge peut difficilement voir que l’accusé a un œil au beurre noir à cause d’une agression en milieu carcéral ou de brutalités policières.

Il y a certainement des problèmes. Le consentement de l’accusé est absolument nécessaire, mais je crains que, dans sa forme actuelle, le projet de loi n’exige le consentement de toutes les parties et qu’il ne restreigne indûment les procédures. Votre préoccupation au sujet du caractère vraiment volontaire des ententes conclues avec l’accusé est importante, et il y a un lien avec la disponibilité des ressources et la nécessité d’avoir les ressources et le cadre approprié, notamment en détention, pour que l’accusé puisse vraiment faire un choix.

Le sénateur Cotter : Merci beaucoup.

Le sénateur Dalphond : Merci aux témoins.

Maître Spratt, ma question s’adresse à vous. Le projet de loi est une réaction à la réalité de la pandémie. Vous avez parlé d’améliorations de l’accès à la justice dans certains cas, mais nous avons aussi entendu de nombreux témoins qui avaient des préoccupations à ce sujet.

Devrions-nous amender le projet de loi pour répondre à certaines de ces préoccupations? Avez-vous des idées à proposer?

Me Spratt : Je comprends que le projet de loi a une portée limitée et qu’il n’impose pas de décisions à l’accusé. Si l’accusé préfère participer en personne, on ne peut pas l’obliger à faire autre chose, et c’est un avantage. C’est pourquoi je ne crains pas tellement que le projet de loi ne soit une boîte de Pandore.

D’après mon expérience, et d’après ce que j’ai vu ces derniers mois, tandis que nous sortons de la pandémie ou que les tribunaux disent que nous en sortons, il y a eu un retour aux anciennes habitudes.

À Cornwall, on présume maintenant que tout se fait en personne, et le tribunal n’accepte les procédures à distance que dans des circonstances exceptionnelles. Nous avons constaté la même chose dans l’ensemble de la province, parfois dans les territoires de compétence modestes qui manquent peut-être de ressources et n’ont pas forcément la capacité technologique au palais de justice pour faire ces choses-là sans problème, mais nous constatons un recul.

Le plus gros problème, c’est que le projet de loi est bon en ce sens qu’il permet ces options, mais si l’une des parties choisit de se retirer, même si c’est dans l’intérêt de la justice de recourir à ces options, cela risque de nous faire retomber dans les ornières. Je souhaiterais que l’accusé ait davantage le droit d’insister pour obtenir ces procédures. Je songe à la mise en liberté sous caution, lorsqu’il serait injuste d’obliger quelqu’un à se déplacer, ou à un procès qui a lieu à l’étranger, lorsque l’accusé a les moyens technologiques voulus, tout comme le tribunal, et si ce n’est pas contraire aux intérêts de la justice.

Si une personne dit non, on revient aux anciennes méthodes. Comme nous l’avons vu, ces méthodes peuvent parfois être les meilleures, mais pas toujours. C’est la principale critique que je formulerais à l’égard du projet de loi dans sa forme actuelle.

Le sénateur Dalphond : Vous avez dit que le ministère public doit également donner son accord. Est-ce une soupape de sécurité nécessaire, ou est-ce un obstacle aux droits de certains accusés?

Me Spratt : Dans certains cas, ce peut être un obstacle. En fait, le plus gros problème réside dans le fait que les tribunaux doivent donner leur accord. On devrait présumer que l’accusé peut faire un choix, à moins que ce ne soit contraire aux intérêts de la justice.

À l’heure actuelle, les procureurs du ministère public ne s’opposent pas aux procédures à distance; ce sont les tribunaux qui le font. Parfois, il est dans l’intérêt de la justice de procéder en personne, mais dans d’autres cas, cela peut aller à l’encontre de l’intérêt de la justice.

En ce qui concerne les procureurs du ministère public, ils ont adopté dans une large mesure certaines de ces procédures à distance. Cela peut permettre à certains de témoigner à distance.

Je vais me faire l’écho de certaines des préoccupations soulevées par Mme Myers et auxquelles j’ai fait allusion. Nous avons certainement constaté que des accusés en détention et des personnes marginalisées pouvaient être laissés pour compte. Nous pensons que tout le monde a une connexion Internet stable, que la personne en détention peut prendre connaissance de la preuve communiquée et parler à son avocat. Ce n’est pas toujours le cas. Le projet de loi n’aggrave pas la situation, mais je ne sais pas s’il l’améliore.

Le sénateur Dalphond : Merci.

[Français]

Le sénateur Carignan : Mes questions s’adressent aux deux témoins. Plus j’entends les témoins, plus je réfléchis à cette situation. Le consentement peut-il être réellement éclairé? Même s’ils disent qu’une personne consent, elle consent souvent parce qu’elle pense avoir un procès plus rapide ou qu’elle est prête à faire des compromis sur la qualité; ou alors, elle peut consentir parce qu’elle est la seule à ne pas consentir et que tous les autres consentent.

Je me souviens que, lorsque je faisais des séminaires de plaidoiries aux étudiants, je leur disais toujours que plaider, c’est plaire, et qu’il ne fallait pas déplaire au juge ni aux témoins. Il y a donc tout cet aspect psychologique lié à la comparution des témoins et de l’accusé. Il y a la question de la crédibilité du témoin. Lorsque le témoin est sur place, il ne peut pas y avoir de notes. Lorsque je suis assis à mon bureau et que l’on se parle, comme en ce moment, vous ne pouvez pas voir si j’ai des notes. Donc, il y a tout cet aspect de la crédibilité qui est difficile. Il y a toute la question du décorum et du confort. J’ai vu récemment des dossiers où les témoins préféraient se trouver dans le bureau de leur avocat plutôt que de se rendre au tribunal, parce qu’ils s’y sentent beaucoup plus à l’aise et qu’ils n’ont pas à subir la pression psychologique d’être dans une salle d’audience.

Est-ce qu’on ne devrait pas suivre la recommandation du barreau, qui est de poursuivre les études d’impact, de ne pas faire comparaître les témoins et de ne pas faire l’administration de la preuve par témoin pour les situations importantes, et ce, même si les gens y consentent?

[Traduction]

Me Spratt : Je cède avec plaisir la parole à Mme Myers. Elle s’exprimera d’abord, quitte à ce que j’ajoute ensuite quelques observations.

Mme Myers : Merci beaucoup de cette question.

Vous avez soulevé un point extrêmement important, la question du consentement forcé ou non. C’est certainement ce que nous constatons, surtout dans le cas des personnes qui sont détenues dans des conditions infernales avant leur procès. Des faits donnent à penser que cette expérience peut en inciter certains à opter pour un plaidoyer de culpabilité, par exemple, alors qu’ils pourraient avoir une défense à présenter au tribunal.

Si nous considérons la détention comme un espace de coercition, il faut reconnaître également que le temps passé dans la collectivité en étant soumis à des conditions et peut-être même à une surveillance, est une expérience qui n’est pas exempte de coercition. Il y a peut-être alors des pressions qui poussent l’accusé à accepter un processus virtuel, espérant ainsi gagner les faveurs de quelqu’un, c’est-à-dire aller dans le sens de ce que souhaite quelqu’un d’autre, ou se disant que le consentement permettra d’accélérer le règlement de l’affaire.

En vous écoutant parler — et peut-être Me Spratt pourra-t-il en dire un mot également —, je songeais à l’enquête relative au plaidoyer qui précède l’acceptation d’un plaidoyer par le juge, un stade où il y a une sorte de pause. Nous vérifions que, effectivement, le consentement est donné librement. J’ignore si cela assure une certaine protection contre les problèmes de coercition qu’on peut percevoir.

Quant à l’autre partie de votre question qui portait davantage sur les études approfondies, il faut accorder plus d’attention à ces études et être en mesure de bien comprendre non seulement les résultats recherchés, mais aussi une variété de conséquences imprévues qui se concrétiseront au fur et à mesure.

Me Spratt : Quelques mots sur ces deux points. Mme Myers devait lire dans mes pensées en parlant des enquêtes relatives aux plaidoyers.

C’est une bonne question, monsieur le sénateur. Quand le consentement en est-il vraiment un? Il y a dans certaines de nos procédures pénales un pouvoir subtil de coercition.

Vous avez dû lire une partie des témoignages que j’ai livrés lorsque j’ai comparu devant ce comité-ci, et je l’ai fait 15 ou 20 fois, pour parler des peines minimales et des pressions qui s’exercent sur le prévenu pour qu’il plaide coupable, parfois, afin d’éviter une peine minimale. Ces pressions existent déjà dans le Code criminel et dans nos procédures. Nous les gérons au mieux.

Voilà une question dont il y a lieu de se préoccuper, et avec raison. Il faudrait probablement faire une vérification pour nous assurer que le consentement est parfaitement éclairé et volontaire, que l’accusé sait qu’il a le droit d’exiger des procédures en personne et que rien ne sera retenu contre lui s’il insiste.

Pour ce qui est de la crédibilité des témoins, la question est intéressante. Premièrement, plusieurs autorités judiciaires nous ont appris qu’il est dangereux d’accorder trop de poids à la façon dont un témoin se présente et témoigne.

Il peut y avoir beaucoup de problèmes systémiques, car il intervient une dimension interculturelle et on risque de déduire trop de choses du comportement d’une personne. En fait, des juges m’ont dit qu’à leur avis, un procès qui se déroule sur Zoom est préférable pour regarder un témoin et observer son témoignage. Ils peuvent scruter son visage alors que, au tribunal, il porte un masque. Et même avant la pandémie, ils avaient une vue latérale peu nette.

Quant à la crédibilité, le mode virtuel peut être un avantage. Je conviens qu’une partie de la solennité des travaux du tribunal se perd dans cet espace confortable. Il y a là un compromis. On se trouve dans un cadre plus naturel et confortable.

Je n’ai pas constaté, pas plus que ne l’ont fait les avocats de l’Association des criminalistes avec qui j’ai discuté, que nous avons perdu la capacité de contre-interroger efficacement une personne parce qu’elle est à distance.

Il y a des compromis, des avantages et des inconvénients. Avant que je ne contre-interroge chaque témoin entendu à distance, le tribunal s’est donné la peine de s’assurer auprès du témoin qu’il n’avait pas de notes sous les yeux. Dans bien des cas, on lui a demandé de faire pivoter sa caméra de façon à montrer que personne ne se trouvait dans la salle avec lui. Ces précautions ont été prises.

Il est certain que, si les auditions de témoins à distance se font plus nombreuses, nous devrions nous assurer d’avoir en place les procédures nécessaires pour normaliser les méthodes afin d’éviter les erreurs ou les problèmes que vous avez soulevés à juste titre : quelqu’un qui se trouverait dans la salle pour aider ou intimider le témoin, le témoin qui lirait des notes ou quelque autre problème du même ordre.

Enfin, il est vrai qu’il est toujours utile d’approfondir les études, mais à un moment donné, il faut aller de l’avant. Autrefois, nous utilisions des télécopieurs, et nous le faisons encore, plus ou moins. À un moment donné, il faut être de son époque, pour ainsi dire.

Vos préoccupations sont valables, monsieur le sénateur.

La sénatrice Batters : C’est très généreux à vous deux de comparaître. Très heureuse de revoir Me. Spratt. Il y avait un petit moment.

Tout d’abord, je tiens à dire à Mme Myers que j’ai vraiment aimé ses observations, notamment au sujet de la perte possible de confidentialité et des conversations cruciales entre l’accusé et son avocat pendant le procès ou toute autre procédure judiciaire. Ayant exercé le droit dans ce domaine pendant plusieurs années, je sais à quel point ces échanges peuvent être importants. Avant aujourd’hui, personne n’en a parlé. Merci de l’avoir fait.

Maître Spratt, ma grande préoccupation, à propos du projet de loi, c’est qu’on peut permettre à l’accusé de témoigner à de nombreux types de procès par vidéo. La seule exception est le procès devant jury. Tout le reste pourrait être autorisé. J’ai des préoccupations à ce sujet, notamment à propos de l’évaluation de la crédibilité.

Des témoins précédents nous ont parlé de la grande importance du contexte, des risques de stigmatisation si un accusé témoigne depuis sa prison; cela peut ancrer dans l’esprit du juge des faits, qui n’est nul autre que le juge qui préside, l’idée qu’un accusé qui est vu en prison pendant un procès devrait peut-être y rester. Le juge risque d’incliner davantage vers un verdict de culpabilité. Qu’en pensez-vous?

Me Spratt : Oui, c’est certainement préoccupant, mais ce l’est beaucoup moins dans un procès devant un juge. Le juge voit souvent un accusé dans sa combinaison orange au banc des accusés. Il ne serait pas étonné que l’accusé soit en détention. Selon moi, la préoccupation demeure fondée.

Votre premier point me préoccupe davantage, madame la sénatrice. J’ai eu des clients accusés qui ont dû participer à partir d’un lieu de détention à diverses étapes, notamment des audiences sur la mise en liberté sous caution et des comparutions de règlement, des plaidoyers et des témoignages. Il est parfois incroyablement difficile d’entendre une personne qui s’exprime dans une pièce dont l’acoustique est lamentable. Il est très difficile d’avoir des conversations préalables avec l’accusé.

Les détenus ayant des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie représentent une part disproportionnée de la population carcérale. Des contacts en personne sont parfois nécessaires. Je me souviens de la première fois où j’ai dû présenter un plaidoyer par vidéo et où l’accusé avait des problèmes de santé mentale. Le fait que j’étais en vidéo et que je n’étais pas sur place a alimenté ses théories complotistes. Tout cela est très difficile, tout comme l’accès à un avocat et l’examen de la preuve communiquée.

Si nous permettons à l’accusé et à l’avocat de la défense d’insister pour que tout se déroule en présentiel, il serait possible d’apporter des correctifs. Mais c’est surtout un problème qui tient aux établissements.

Je ne sais vraiment pas pourquoi, en 2022, il n’y a qu’une ou deux lignes téléphoniques, ou seulement une ou deux salles vidéo, dans les lieux de détention.

Il m’est arrivé que, au milieu d’une enquête sur la libération sous caution qui se déroulait au téléphone, car c’est tout ce que nous avions — je ne sais plus si c’était au Centre de détention de Quinte ou à Lindsay —, un agent est intervenu, disant : « Je suis désolé, nous avons besoin de cette ligne pour appeler un autre tribunal. » Mon client était sur le point d’obtenir sa libération. Le juge a répondu : « Nous sommes au beau milieu d’une enquête sur la libération sous caution. » Cet agent a raccroché. Il a fallu une ordonnance de production. Nous avons dû revenir deux jours après. L’accusé a été libéré, mais non sans avoir passé deux jours de plus en détention. Il y a donc d’énormes problèmes de ressources.

À propos de décorum, je n’ai pas vu de comportements déplacés chez les témoins ou les accusés. Il y a bien eu des cas isolés où quelqu’un a comparu sans chemise pour une affaire de renvoi ou encore depuis sa voiture dans un service au volant. Ce sont des incidents isolés, et il y en a. Mais il y en a aussi dans la salle de tribunal quand tout le monde est là en personne.

Le pire incident qu’il m’ait été donné de voir a mis en cause des gardiens de prison qui estimaient devoir diriger les délibérations judiciaires et qui ont été incroyablement grossiers, qui n’ont pas amené les personnes convoquées ou ont raccroché la ligne au tribunal. C’est un problème de décorum.

Je suis d’accord avec vous, madame la sénatrice. Vos préoccupations sont tout à fait justifiées.

La sénatrice Batters : Un mot également au sujet du consentement forcé, de la difficulté de savoir s’il y a coercition. Il m’est venu à l’idée qu’un accusé pouvait avoir l’impression d’être sous contrainte à cause de ses soucis d’ordre financier. Il peut croire ou on peut lui faire valoir que la comparution par vidéo est moins coûteuse que la comparution en personne. Souvent, c’est le cas. Ce peut être la raison pour laquelle il consent et non parce qu’il croit que cela va dans le sens de ses intérêts supérieurs.

Me Spratt : Oui, ces questions entrent en ligne de compte, selon moi. Ce sont des conversations que les bons avocats de la défense ont avec leurs clients et ils essaient de gérer la situation. C’est aussi plus coûteux, et ce sont souvent les avocats de la défense de l’aide juridique qui paient pour se rendre dans les divers territoires de compétence.

Je vais mettre cartes sur table. Pour les avocats de la défense, il peut parfois être moins coûteux de tenir une audience par vidéo d’une heure sur la libération sous caution plutôt que de faire une journée de route pour se rendre quelque part, mais il y a un bon équilibre sur ce plan. Ce qui me préoccupe toujours, surtout dans la profession juridique, c’est que nous nous accrochons parfois trop longtemps aux anciennes méthodes sans tenir compte des avantages que les méthodes nouvelles peuvent apporter.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse à Mme Myers. Je vous remercie tous les deux d’être présents et de nous aider à réfléchir à ces questions. Madame Myers, on entend de plus en plus souvent, quand on étudie des projets de loi, des fonctionnaires ou des ministres nous dire que, de toute façon, les citoyens ont laissé tomber leurs exigences en matière de protection de la vie privée et de données personnelles, et tout ce qui les concerne, parce qu’ils s’exposent dans les médias sociaux. Ils racontent leur vie au complet et bien plus encore.

Dans vos recherches, est-ce que vous avez examiné cette question du point de vue de l’accusé et de ses attentes par rapport au processus judiciaire? Je ne parle pas des préoccupations que nous avons par rapport à la protection des droits fondamentaux, mais quel est le point de vue de l’accusé, et quelles sont ses attentes et ses préoccupations dans l’administration de la justice, s’il est accusé ou s’il doit comparaître comme témoin victime d’un acte criminel, par exemple?

[Traduction]

Mme Myers : Merci de cette question. Dans mes recherches, je n’ai pas discuté avec les accusés de leur perception ni de leur compréhension de la protection des renseignements personnels. D’après mes observations sur la procédure judiciaire, comme je l’ai dit dans mon exposé, l’une des difficultés, c’est que l’accusé pourrait vouloir parler, communiquer quelque chose au tribunal, transmettre un message à son avocat ou faire une déclaration publique sur ses conditions de détention ou le traitement qu’il a subi. Naturellement, on craint qu’il ne dise quelque chose d’incriminant et ne compromette la défense qu’il pourrait avoir. Alors, nous mettons l’accusé en sourdine.

Le problème, c’est que l’accusé qui est mis en sourdine ne le sait pas nécessairement. Non seulement il n’a plus la possibilité de s’adresser au tribunal, mais il ne sait peut-être même pas que le message qu’il essaie de transmettre n’est pas entendu.

Il y a certes des problèmes de protection de la vie privée de façon plus générale, comme l’affichage sur les médias sociaux, mais il s’agit de deux espaces très différents. Dans les médias sociaux, on peut prendre des précautions au sujet de la présentation qu’on donne de soi, mais dans le contexte judiciaire, il arrive que soient communiqués des renseignements incroyablement privés, embarrassants, honteux ou stigmatisants au sujet de soi, de ses conditions de vie ou de ses relations, en plus des accusations portées au pénal.

J’imagine qu’il y a toutes sortes de sujets qu’on aborde de façon confidentielle avec son avocat et dont on ne parle tout simplement pas au vu et au su de tous ou dont il n’est jamais question avec un grand nombre d’autres personnes à la cour ou avec des membres du grand public. Si nous ne faisons pas attention à ce que doit être la protection des renseignements personnels dans l’espace virtuel du tribunal, chez soi ou dans le milieu carcéral, où il y a encore moins d’intimité, il y a beaucoup de risques que des renseignements préjudiciables ou des renseignements qui ne devraient pas être communiqués à grande échelle soient révélés, mais je crois qu’il y a une différence avec ce qui se passe dans les médias sociaux.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Dans certains cas, on peut dire que certains accusés cherchent à bénéficier de l’usage plus large des médias sociaux. Il y a des gens qui sont accusés d’avoir contrevenu à une loi en matière de sécurité publique et qui subiront un procès criminel, mais qui n’ont pas nécessairement posé un acte de violence criminelle contre une personne. On a eu des exemples de cela, quand il y a eu des manifestations non pacifiques et que des gens ont été accusés. Tous les accusés ne sont pas nécessairement gênés d’être dans cette situation. Le monde de la justice peut être une façon d’exposer ses idéologies, par exemple.

[Traduction]

Mme Myers : Merci de cette précision. Je comprends ce que vous dites, et j’ai tendance à être d’accord. Cela me fait penser à la résistance à avoir des caméras vidéo dans la salle d’audience. S’il s’agit d’une institution publique, un membre du public peut entrer et observer, mais la présence de caméras apporte quelque chose de différent. Dans cet exemple, le problème réside peut-être dans la technologie de vidéoconférence à laquelle on peut avoir accès. Certains peuvent utiliser cet espace pour répandre une idéologie particulière ou pour se faire connaître ou obtenir la célébrité. Cela soulève certaines difficultés lorsque nous naviguons dans ces espaces.

Aux yeux de certains, il faudrait peut-être songer aux incroyables mesures nécessaires à la protection de leur vie privée. Nous devons aussi réfléchir aux moyens d’empêcher que tout cela ne devienne une sorte de tribune ou de plateforme publique à partir de laquelle on peut faire valoir ses opinions, ce qui est bien distinct des allégations criminelles qui sont portées.

La sénatrice Clement : Merci, madame Myers et maître Spratt. Je suis avocate en exercice. Je pratique encore un peu, à temps partiel évidemment, à ce stade-ci, mais non pas dans le système de justice pénale. Je représente des travailleurs blessés. Depuis deux ans, je les représente à des audiences qui se déroulent en mode virtuel. Je peux vous dire que même si ce modèle fonctionne, les personnes en cause n’ont pas toujours l’impression d’être entendues de la même façon que lorsque les audiences se déroulent en présentiel.

La clinique d’aide juridique où je pratique a également dû investir dans l’installation d’un studio, car ses clients ne pouvaient pas se permettre de tenir une audience virtuelle à partir de chez eux. Ils n’avaient pas la bande passante voulue ni le forfait nécessaire. Ils devaient venir à notre bureau, et nous avons dû prévoir une salle. Nous avons réuni des fonds en nous adressant à Aide juridique Ontario et à la province. Que pourrions-nous faire au juste pour régler ce problème?

Il semble y avoir des inégalités, en fonction de l’endroit où on se trouve. Maître Spratt, je vais me porter à la défense de Cornwall, car j’avoue, pour tout dire, que j’en ai été la mairesse.

Me Spratt : Je sais. J’adore Cornwall.

La sénatrice Clement : Je le sais bien. Cornwall est une ville formidable et les tribunaux y sont très efficaces. Toutefois, ce que vous avez dit au sujet du retour aux anciennes méthodes est intéressant. Est-ce parce que les ressources manquent ou parce que nous ne croyons pas avoir les bons outils pour fonctionner en mode virtuel?

Je voudrais connaître votre opinion à tous les deux sur tout ce que je viens de dire. Nous nous inquiétons des investissements à consentir pour que le système fonctionne correctement. Oui, nous en voyons les avantages. Il faut penser au long terme, mais comment faire les choses correctement? Combien cela coûtera-t-il? Les programmes en place sont-ils suffisants? Tient-on assez bien compte des disparités qui désavantagent certains groupes? Il y a là bien des choses, mais...

Me Spratt : Je vais essayer de répondre aux questions dans l’ordre où vous les avez posées, sénatrice.

L’impression d’être entendu? La présence devant le tribunal apporte quelque chose de particulier. Soyons réalistes, certains de nos palais de justice ne sont pas les plus majestueux. De toute évidence, Cornwall a un palais de justice tout neuf, l’un des plus beaux de l’Est de l’Ontario. Je vais vous raconter une anecdote. Il s’agit du moment où mon client et moi avons eu l’impression d’être le moins bien entendus. En fait, il y avait un léger problème.

Tout le monde était présent au procès — la défense, la Couronne, les témoins, mon client — tout le monde sauf le juge qui présidait à distance et que nous voyions à l’écran. Mon client était consterné. On avait l’impression d’être en présence d’un avatar qui paraissait à l’écran, jugeait, prenait des décisions incroyablement lourdes de conséquences. C’est un juge que je n’avais jamais vu et que je n’ai jamais revu depuis. Je ne sais pas à quel endroit Son Honneur siégeait. Tout s’est déroulé correctement et je ne pense pas que l’équité ait été sacrifiée, mais ce fut certainement une expérience déconcertante pour moi. Mon style convient mieux au présentiel, lorsque je suis en présence de quelqu’un et que je peux interpréter les expressions sur les visages. Ce fut également déconcertant pour mon client. Il y a donc là un problème réel.

Les locaux? Il nous en faut. Au début de la pandémie, les autorités judiciaires ont dit entre autres choses : « Il est beaucoup trop dangereux de faire comparaître les accusés dans la salle des tribunaux. Nous préférons qu’ils se rendent dans vos bureaux. » Façon bizarre de voir les choses. Nous devons nous assurer de pouvoir mettre des locaux à disposition, surtout pour les plus marginalisées.

Cela a été difficile en cour de renvoi des affaires ici, à Ottawa, où tout se fait à distance. J’espère du reste qu’on va continuer en mode virtuel. Mais les plus marginalisés qui se présentaient au tribunal et n’avaient pas d’adresse fixe ou de moyens technologiques se faisaient refouler à la porte du palais de justice. Nous avons dû faire appel aux systèmes spécialement mis en place de la Société John Howard et de la Société Elizabeth Fry et aux avocats de la défense pour qu’ils offrent cet accès.

Enfin, pourquoi revenons-nous en arrière? En partie à cause du manque de ressources. Mais aussi, il me semble, par nostalgie des façons de faire « du bon vieux temps ».

Dans le cas de Cornwall — qui est peut-être la région qui est injustement visée, car elle n’est pas la seule à agir comme elle le fait —, le palais de justice est peut-être l’un des moins bien organisés pour adopter des modèles hybrides, par exemple. Nous n’avons pas besoin d’un plus grand nombre de policiers, et peut-être pas non plus d’un plus grand nombre de juges. Nous avons besoin d’un dispositif d’administration judiciaire plus important. Nous avons un seul coordonnateur des procès qui est débordé. Les courriels entrent sans arrêt, et on ne peut rien y faire.

Je sais pourquoi ces gens-là veulent revenir au présentiel, arrêter le flot de courriels, mais c’est ce qui se passe quand on a une seule personne pour faire le travail de trois.

Aussi brièvement que possible, ce qui n’est pas toujours très bref, je pense avoir répondu à certaines de vos questions, sénatrice.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Pate : Merci. Bon nombre de mes questions ont déjà été posées. Je veux vous donner la possibilité de recommander des amendements ou de faire des observations pour améliorer le projet de loi. Vous êtes tous les deux au courant des recherches, et vous avez parlé de vos expériences. Je suis certaine que vous êtes bien au courant des questions que bon nombre d’entre nous ont posées à d’autres témoins sur la façon dont ils protègent la vie privée dans tous ces domaines.

Si vous avez des idées précises sur la façon d’assurer, en particulier dans les prisons, la protection des renseignements personnels et la confidentialité pendant les procédures judiciaires, d’autant plus qu’il n’existe pour l’instant aucun régime de responsabilité dans ces systèmes, nous vous serions très reconnaissants de bien vouloir nous les proposer. Merci.

Me Spratt : Oui. L’amendement le plus simple que je proposerais, c’est de faire en sorte que le choix revienne à l’accusé, à moins que ce ne soit contraire aux intérêts de la justice.

Je suis d’accord avec Mme Myers pour dire que les tribunaux devraient songer à la possibilité d’une enquête relative au plaidoyer de culpabilité en mode virtuel. Le plus gros problème se pose dans le cas des personnes que nous voyons le moins et qui sont les plus vulnérables, celles qui sont en détention.

En raison du chevauchement des compétences, et dans le meilleur des cas, même lorsque les établissements de détention reçoivent directement des indications, il est difficile d’apporter des changements. Mais il faudrait au moins un énoncé de principe, sinon des directives, pour garantir aux détenus l’accès à un avocat, l’accès à la preuve communiquée, le droit absolu de se présenter en personne et une garantie de protection de la vie privée; et s’ils comparaissent à distance, que ce soit dans un cadre où ils sont à l’aise. Il ne faut pas leur demander de rester debout dans une pièce froide. Ils doivent pouvoir s’asseoir et prendre des notes, par exemple, ils doivent être en mesure d’entendre et de participer, d’avoir des rencontres privées avec leur avocat. Tout cela est important.

Je ne sais pas si le projet de loi peut, par voie législative, garantir tout cela, mais une expression du Parlement sur les avantages de ces choses serait certainement intéressant, puisqu’il est question d’amendements.

Mme Myers : Merci. Je suis tout à fait d’accord sur les idées avancées par Me Spratt. Je répéterais simplement qu’il est important que l’accusé donne son consentement et qu’on s’assure que ce consentement est donné librement.

Je me demande également si, dans le projet de loi, il est possible de faciliter l’accès à un avocat, tant avant que pendant l’audience, de permettre que l’audience soit interrompue si l’accusé a une question à poser ou ne comprend pas ce qui se passe.

Mon dernier point concerne la façon dont nous allons faciliter l’accès pour les membres du public et veiller à ce que le tribunal demeure une institution publique et ouverte afin que les parties intéressées n’aient pas à demander la permission d’assister ou de suivre l’audience. Il s’agit simplement de prévoir des liens pour suivre ce qui est publiquement accessible, des liens faciles à trouver, afin que le public puisse participer.

La sénatrice Pate : Enfin, dans la législation pénale, en tout cas de ressort fédéral, on pourrait peut-être confier à l’enquêteur correctionnel le rôle de contrôler les conditions de comparution. Cela pourrait aussi faire partie du mandat du protecteur du citoyen dans les diverses administrations. Avez-vous, l’un ou l’autre, des réflexions à faire à ce sujet?

Me Spratt : Ce serait avantageux, mais, bien sûr, cela peut être difficile dans le cas des compétences provinciales. La plupart de nos clients cités à procès se trouvent dans des établissements provinciaux.

Cela dépasse la portée du projet de loi, mais il serait merveilleux que les juges et les fonctionnaires judiciaires aient plus de contrôle et exercent une plus grande surveillance, qu’ils soient plus adroits pour régler certains de ces problèmes et qu’ils aient une fonction permanente de sorte qu’après l’imposition d’une peine, si ces problèmes surviennent, nous ne nous en remettions pas à un ombudsman pour corriger la situation, mais puissions recourir à un juge qui a participé de près à l’affaire, qui n’est pas considéré comme dessaisi, et qui serait en mesure de surveiller ces choses de façon suivie.

La sénatrice Pate : Je ne peux pas résister. On dirait que vous proposez quelque chose comme le projet de loi S-230.

Me Spratt : Ce serait une excellente solution.

La présidente : Merci, sénatrice Pate. Merci beaucoup, madame Myers. Nous avons beaucoup appris de vous aujourd’hui. Vous avez déclenché une réflexion. Maître Spratt, merci beaucoup d’avoir comparu. Vous nous avez tous les deux donné matière à réflexion. J’espère que vous comparaîtrez tous les deux pour l’étude de notre prochain projet de loi. Merci beaucoup.

Honorables sénateurs, puis-je vous demander de rester? Sénateur Dalphond, je vous rappelle que le comité de direction siège après la séance. Pourriez-vous rester plus tard, s’il vous plaît? Merci.

Me Spratt : Merci.

Mme Myers : Merci beaucoup.

La présidente : Honorables sénateurs, je vous rappelle simplement que vous pouvez consulter le Bureau du légiste si vous avez des amendements à formuler. Je vous prie également d’en informer le greffier.

Le juriste affecté au projet de loi est M. David Groves.

(La séance est levée.)

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