LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 9 novembre 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 47 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-231, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur la défense nationale et la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques.
Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je m’appelle Brent Cotter. Je suis sénateur de la Saskatchewan et président du comité. J’aimerais maintenant inviter mes collègues à se présenter, en commençant par le vice-président.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, de la division sénatoriale de La Salle, au Québec.
Le sénateur Dalphond : Sénateur Pierre Dalphond, division sénatoriale De Lorimier, au Québec.
La sénatrice Dupuis : Sénatrice Renée Dupuis, division sénatoriale des Laurentides, au Québec. Bienvenue.
[Traduction]
Le sénateur Klyne : Bonjour. Soyez les bienvenus. Je suis Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, un territoire visé par le Traité no 4.
Le sénateur Prosper : Bonjour. Je suis Paul Prosper, sénateur de la Nouvelle-Écosse, le territoire des Micmacs.
La sénatrice Simons : Je suis Paula Simons, sénatrice de l’Alberta, un territoire visé par le Traité no 6.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, division sénatoriale de Victoria, à Montréal, au Québec.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Soyez les bienvenus. Je suis Mobina Jaffer, sénatrice de la Colombie-Britannique.
Le président : Je vous remercie, chers collègues. Je tiens à souhaiter la bienvenue au sénateur Dagenais, qui se joint à notre comité aujourd’hui.
Mesdames et messieurs les sénateurs, nous nous réunissons aujourd’hui pour entamer notre étude du projet de loi S-231, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur la défense nationale et la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques.
En ce qui concerne notre premier groupe de témoins, le comité est heureux d’accueillir les trois intervenants suivants : Greg Yost, avocat retraité du ministère de la Justice Canada; David A. Bird, avocat retraité du ministère de la Justice Canada, et à titre d’information pour le sénateur Prosper, il s’agit encore une fois d’un diplômé de l’école de droit Schulich à l’Université Dalhousie; et Christopher N. Maguire, médecin légiste, ForGenetica Consultants Ltd. M. Maguire se joint à nous par téléconférence. Soyez les bienvenus, chers témoins.
Messieurs, comme on vous l’a dit, je pense que nous inviterons chacun d’entre vous à faire une déclaration préliminaire d’une durée d’environ cinq minutes. Vos déclarations seront suivies de séries de questions et d’échanges avec les sénateurs.
Greg Yost, avocat retraité, ministère de la Justice Canada, à titre personnel : Honorables sénateurs, en 2022, j’ai commencé à m’occuper du dossier sur l’ADN de la Section de la politique en matière de droit pénal, au ministère de la Justice, et je suis devenu l’avocat principal du dossier en 2006. En juin 2009, le comité de la Chambre des communes chargé d’étudier les lois sur l’ADN a présenté son rapport. Un an plus tard, votre comité a rédigé son rapport à ce sujet.
Les deux comités ont recommandé à l’unanimité que l’on prélève automatiquement l’ADN de toutes les personnes reconnues coupables d’infractions désignées. Le gouvernement de l’époque a accepté les deux rapports, et je m’attendais à passer la fin de ma carrière à élaborer une mesure législative pour mettre en œuvre ces recommandations, puis à prendre ma retraite. Je pensais que cela prendrait au plus deux ans. Comme j’étais naïf.
Je pensais que le dépôt d’un projet de loi au Sénat attirerait l’attention du gouvernement et que ce projet de loi serait remplacé à la Chambre des communes par un projet de loi d’initiative ministérielle. Là encore, j’ai été naïf. Je ne comprends vraiment pas pourquoi les gouvernements successifs ont ignoré la recommandation visant à rendre le prélèvement d’ADN automatique.
[Français]
Les avantages de la prise automatique sont évidents. C’est une question de chiffres : plus il y a de profils dans le fichier des condamnés, plus il y a de chances d’obtenir une correspondance. Il est tout simplement impossible, pour un procureur qui doit décider s’il va demander une ordonnance pour la prise d’un échantillon à des fins d’analyse, de savoir si la personne inculpée a commis d’autres infractions ou si elle commettra des infractions à l’avenir. Si le procureur fait la demande, le juge ne peut pas savoir si le condamné a commis d’autres infractions.
Avec le système actuel, c’est inévitable : des condamnés qui ont commis de graves crimes ne seront pas obligés de fournir un échantillon.
Peut-on imaginer, par exemple, que si le très respecté colonel Williams avait été accusé de conduite avec facultés affaiblies, le procureur aurait procédé par mise en accusation afin de faire la demande? Non. La solution est claire — la prise automatique d’un échantillon.
[Traduction]
De même, les avantages de recherche de liens de parenté ont été démontrés dans le monde entier. Cette technique a permis d’identifier à Los Angeles l’homme connu sous le nom de « Grim Sleeper », qui a assassiné au moins 12 femmes, et d’identifier au Royaume-Uni le violeur surnommé le « stiletto rapist », qui a plaidé coupable à 6 accusations de viol, mais qui en a probablement commis plus de 50. Les familles des victimes de meurtres, comme les femmes autochtones assassinées le long de la route des pleurs, et les victimes de viols, de vols à main armée et, en fait, de tous les crimes violents ont certainement le droit d’exiger que nous utilisions tous les outils possibles pour trouver les auteurs de ces crimes et les traduire en justice.
Les recherches de liens de parenté ont abouti à des milliers de condamnations. Celles auxquelles j’ai fait allusion datent d’une quinzaine d’années.
La troisième disposition majeure du projet de loi consiste à demander au ministre de la Sécurité publique de mener une étude sur le fait de prélever des échantillons d’ADN en même temps que l’on prend les empreintes digitales des délinquants. C’est la loi en vigueur dans d’autres pays libres et démocratiques, y compris le Royaume-Uni et la plupart des États des États-Unis d’Amérique.
[Français]
Cette procédure permettra de découvrir le plus tôt possible si le profil de la personne correspond à celui provenant d’une scène de crime. Cela pourrait conduire à des gains d’efficacité. Par exemple, une personne accusée d’introduction par effraction pourrait voir son ADN correspondre à de nombreux autres délits. Toutes ces affaires pourraient être regroupées plutôt que les correspondances se produisant après la condamnation, ce qui exigerait la tenue d’un deuxième procès.
[Traduction]
Quand l’ADN correspond à celui lié à d’autres crimes graves, on peut supposer que le tribunal ne remettrait pas la personne en liberté tant qu’il n’aurait pas déterminé si elle est responsable de ces autres crimes.
Plus important encore, l’ADN permettrait d’élucider des crimes odieux. Des milliers de crimes ont été résolus grâce à l’arrestation d’une personne accusée d’un délit relativement mineur. Au Royaume-Uni, une personne a été surprise en train de voler une bouteille d’alcool d’une valeur d’environ 20 livres sterling. Son ADN correspondait à celui d’un meurtrier. Je ne crois pas qu’ils aient pris la peine de poursuivre cette personne pour ce vol mineur.
[Français]
Étant donné que les gouvernements n’ont rien fait pour mettre en œuvre les améliorations recommandées à l’unanimité pendant 14 ans, malgré leurs immenses avantages pour la sécurité publique, il me semble raisonnable de placer le ministre dans l’obligation d’étudier la question.
Merci.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie, monsieur Yost. Monsieur Bird, la parole est à vous.
David A. Bird, avocat retraité, ministère de la Justice Canada, à titre personnel : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité à discuter de l’efficacité de notre loi sur l’ADN. Je suis heureux de comparaître devant votre comité aujourd’hui, car j’ai déjà eu ce privilège à trois reprises dans le passé.
En ma qualité d’avocat relevant des services juridiques de la GRC, je me suis occupé du dossier sur l’ADN de 1995 jusqu’à ma retraite, en 2011. J’ai rencontré Greg Yost en 2002, lorsqu’il est entré au service de la Section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice, qui était responsable du droit en matière d’ADN. Bien que je sois heureux d’être ici en compagnie de mon ami M. Yost, ce qui, je l’espère, aura un effet positif sur l’avancement du projet de loi, je suis déçu que ces amendements grandement nécessaires aient été mis de côté pendant tant d’années.
Dans notre mémoire commun, M. Yost et moi avons expliqué que le Canada est doté de l’un des systèmes les plus compliqués en matière de prélèvement d’ADN. Les tribunaux doivent tenir compte d’un ensemble de règles byzantines avant de pouvoir ordonner un prélèvement d’ADN pour la Banque nationale de données génétiques à la suite d’une condamnation.
En raison de ces restrictions, notre banque nationale de données génétiques, ou BNDG, contient un très faible pourcentage de profils d’identification génétique provenant de délinquants. En date du 15 juillet 2023, le fichier des condamnés comptait 445 000 profils et représentait environ 1,3 % de la population canadienne. C’est très peu par rapport aux normes internationales.
À la page 6 du mémoire de M. Maguire, nous voyons que la base de données du Royaume-Uni contient environ 5,8 millions de profils, c’est-à-dire les profils d’environ 9 % de la population. Résultat : la base de données britannique enregistre en moyenne 22 000 correspondances par an, alors que la Banque nationale de données génétiques du Canada en enregistre en moyenne 6 000.
D’après mes récentes recherches liées au National DNA Index System des États-Unis, en novembre 2022, la banque de données contenait plus de 15 millions de profils d’identification génétique provenant d’auteurs d’infractions, près de 5 millions de profils d’identification génétique provenant de personnes arrêtées et plus de 1 million de profils d’identification génétique provenant de recherches judiciaires ou de scènes de crime.
En novembre 2022, le système CODIS, ou Combined DNA Index System, et le système NDIS, ou National DNA Index System, du Federal Bureau of Investigation des États-Unis avaient trouvé des correspondances qui avaient permis de faire avancer plus de 600 000 enquêtes.
Je ne peux m’empêcher de penser aux retards et aux dénis de justice qui auraient pu être évités si les services de police et les tribunaux avaient été en mesure d’utiliser davantage le potentiel de la Banque canadienne de données génétiques pour résoudre des crimes, disculper des suspects et appréhender des récidivistes.
Le fichier des condamnés du Canada s’accroît à un rythme très lent d’environ 17 500 profils par an. Nos statistiques montrent qu’au cours de l’exercice 2017-2018, qui a précédé la COVID, plus de 240 000 condamnations ont été prononcées par les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes. Si nous faisons en sorte que presque toutes les condamnations en vertu du Code criminel donnent lieu à une ordonnance automatique de prélèvement d’ADN, il est évident que le nombre de profils d’identification génétique provenant de délinquants condamnés augmentera de façon spectaculaire.
Nous estimons qu’au cours de la première année suivant l’adoption du projet de loi S-231, au moins 100 000 nouveaux profils devraient être téléversés dans le fichier des condamnés, ce qui représente environ la moitié des condamnations annuelles attendues. Il faudra encore des années pour que notre base de données devienne aussi efficace que les bases de données du Royaume-Uni et des États-Unis, mais nous n’y parviendrons jamais si nous ne commençons pas dès maintenant à prélever l’ADN de la quasi-totalité des délinquants condamnés.
Lorsque j’ai comparu devant votre comité en 2016, j’ai déclaré ce qui suit:
Pour parler franchement, ce refus d’utiliser davantage la BNDG pourrait avoir causé le meurtre, le viol, le vol et d’autres formes de victimisation de milliers de Canadiens par des personnes qui auraient été arrêtées plus tôt au cours de leur carrière criminelle si un échantillon de leur ADN avait été prélevé automatiquement à la suite de leur condamnation.
Cette affirmation a été citée dans le rapport du comité, qui a réitéré sa recommandation de 2010 selon laquelle un échantillon d’ADN devait être prélevé automatiquement. Je pense que cette évaluation est toujours valide.
Mon dernier regret, c’est le fait que notre prélèvement d’ADN sera toujours ordonné après la condamnation, et non au moment de l’arrestation.
Je vous exhorte une fois de plus à mettre en œuvre votre recommandation et à adopter le projet de loi S-231. Je vous remercie de votre attention.
Le président : Je vous remercie, monsieur Bird.
Christopher N. Maguire, médecin légiste, ForGenetica Consultants Ltd., à titre personnel : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui. Je m’appelle Chris Maguire. J’occupe actuellement un poste de professeur adjoint en biologie médico-légale à l’Université de Bradford, étant donné que j’ai réintégré le marché du travail après ma retraite.
Je suis biologiste médico-légal depuis plus de 40 ans. Je suis entré au service du Forensic Science Service, ou FSS, en 1981, et j’ai pris part à l’établissement de profils d’identification génétique et aux techniques qui s’y rattachent depuis que cette méthodologie est devenue une technique de travail sur les affaires en 1987. Je me suis spécialisé dans le travail ayant trait aux dossiers relatifs aux sciences judiciaires et, en particulier, à l’analyse des relations et à l’identification des personnes disparues et des victimes de catastrophes. J’ai également participé au développement et à la commercialisation de divers systèmes experts en matière d’ADN et de logiciels de bases de données génétiques. J’ai travaillé en étroite collaboration avec le bureau des renseignements du Forensic Science Service, qui a entrepris des recherches de liens de parenté dans les années 1980 et 1990.
Après la fermeture du FSS, j’ai travaillé au Centre for Forensic Science de l’Université de Northumbria à titre de chercheur principal. L’un de mes principaux projets était un examen de la prestation de services de science judiciaire au Canada pour le compte du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile. Le rapport du projet a été achevé en 2012 et s’intitule A Feasible and Sustainable Model for Forensic Service Delivery in Canada — Un modèle faisable et durable pour la prestation de services médico-légaux au Canada.
Au cours de cette période, j’ai visité la majeure partie du Canada et tous les services médico-légaux de la GRC, de certaines entreprises privées, à Montréal et Ottawa.
Ensuite, je suis allé aux États-Unis où j’ai occupé un poste de directeur adjoint du département des sciences médico-légales à Washington D.C., jusqu’en 2015.
Après ma retraite, j’ai poursuivi mon association avec le Canada et, en 2018, j’ai été chargé de préparer un document de travail pour les services de police spécialisés de la GRC. Ce document s’intitulait « Familial Searching in Canada Using the National DNA Data Bank » — Recherches de liens de parenté au Canada à l’aide de la Banque nationale de données génétiques. Le rapport visait à encourager les gens à discuter et débattre des considérations liées à la société — donc de la protection de la vie privée et de l’éthique —, à la législation et à la gouvernance afin que ces discussions contribuent à l’élaboration de recommandations concernant l’utilisation de la recherche de liens de parenté dans la banque de données pour épauler le système de justice pénale canadien. C’était il y a six ans. Je suis heureux que nous soyons au moins de nouveau en train d’en discuter.
Au Royaume-Uni, la « recherche de liens de parenté » dans la base de données nationale de données génétiques est définie comme suit :
...une recherche intentionnelle ou délibérée dans la base de données qui suit une recherche de routine, dans le but d’identifier potentiellement des parents biologiques proches de l’échantillon médico-légal inconnu associé au profil provenant de la scène de crime.
On m’a fait remarquer que la recherche de liens de parenté consiste en fait à vérifier si je peux trouver dans la base de données quelqu’un qui pourrait être apparenté, d’une manière ou d’une autre — en tant que parent, enfant, frère ou sœur —, à la personne qui a laissé une tache sur la scène de crime. On m’a également fait remarquer qu’en réalité, j’utilise l’ADN de personnes innocentes. Les données génétiques de toutes les personnes figurant dans cette base de données ne correspondent pas à la tache laissée sur la scène de crime. Toutes ces personnes sont donc innocentes par rapport à cet événement particulier, mais nous vérifions s’il n’y aurait pas quelqu’un dans leur famille, en tant que membre de leur parenté défini, qui pourrait être lié à l’événement. C’est une technique d’enquête.
Elle repose sur le fait que les données génétiques des personnes apparentées sont plus susceptibles d’avoir des caractéristiques en commun que les données génétiques des personnes qui ne sont pas apparentées. Les parents et les enfants partagent leurs allèles, leurs ensembles de données, de manière particulière.
Une foule de lois régissent l’utilisation et le fonctionnement des banques nationales de données génétiques, mais au Royaume-Uni, aucune loi ne régit l’utilisation et le fonctionnement de la recherche de liens de parenté en tant que technique. Cette technique a été mise au point pour des raisons techniques. La science nous permettait de le faire. C’est pour cette raison qu’il existe un vaste processus de gouvernance, un processus qui s’est développé à mesure que la technique évoluait.
La recherche des liens de parenté est très réglementée. La gouvernance et la surveillance sont assurées par ce que l’on appelle le Forensic Information Databases Strategy Board, qui est composé de membres du National Police Chiefs’ Council, du Home Office, de l’Association of Police and Crime Commissioners et du Biometrics and Forensics Ethics Group — un groupe indépendant qui conseille le Home Office. Le commissaire à l’information et l’organisme de réglementation des sciences judiciaires siègent également à ce conseil. Depuis octobre 2023, l’organisme de réglementation des sciences judiciaires dispose de pouvoirs qui lui sont conférés par la loi et qui lui permettent d’établir des normes de qualité dans le domaine des sciences judiciaires. Il y a un code de pratique législatif qui doit être respecté par ceux qui entreprennent des activités liées aux sciences judiciaires, c’est-à-dire les agents de police, des agents de scène de crime, des fournisseurs de services de sciences judiciaires, et cetera.
Quand avons-nous recours à la recherche de liens de parenté? Dans des cas très précis. Dans les affaires pénales, elle ne peut être autorisée que dans les cas graves, notamment dans les cas de meurtre ou d’homicide involontaire, dans les cas de viol ou d’autres infractions sexuelles graves, ainsi que dans les cas d’infractions commises à l’encontre d’enfants.
Elle est utilisée pour enquêter sur les affaires les plus difficiles à résoudre et pour relancer ou raviver des affaires non résolues ou en suspens. Elle apporte un service de renseignement à valeur ajoutée pour le système de justice pénale et permet d’identifier des personnes impliquées dans des infractions potentielles qui, autrement, ne seraient pas liées à ces infractions en se fondant sur la base de données nationale de données génétiques.
La recherche des liens de parenté est également autorisée pour l’identification des restes humains retrouvés dans certaines affaires, dans les cas de personnes disparues et dans les cas de décès massifs. Dans ces dernières circonstances, les personnes qui fournissent les échantillons de contrôle, c’est-à-dire les membres de la famille, doivent donner leur autorisation.
Je suis heureux de voir les propositions qui figurent dans l’actuel projet de loi S-231, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur la défense nationale et la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques. J’espère qu’en adoptant ce projet de loi, la taille et l’utilité de la Banque nationale de données génétiques du Canada augmenteront et que les processus de profilage génétique ou de gestion de la banque de données génétiques seront simplifiés.
Comme M. Bird, je suggérerais que l’on envisage de prélever un échantillon d’ADN, ainsi que les empreintes digitales d’ailleurs, lorsqu’un suspect est arrêté, plutôt que lorsqu’un juge l’ordonne, afin de rendre le système encore plus efficace. Les profils d’identification génétique et les autres données obtenues dans le cadre de ces prélèvements pourraient être effacés si la procédure judiciaire était abandonnée, si l’affaire n’était pas portée devant les tribunaux ou si le suspect était acquitté. De cette manière, vous seriez au moins en mesure de comparer les échantillons prélevés sur un suspect arrêté dans le cadre d’une affaire donnée avec ceux qui n’ont pas encore été identifiés dans votre fichier de criminalistique.
Je crains que le comité et certains participants à vos délibérations ne confondent ou n’associent les deux techniques : la technique d’enquête médico-légale de recherche de recoupements génétiques familiaux dans la Banque nationale de données génétiques et une autre technique appelée « généalogie génétique », qui utilise des systèmes d’ADN qui ne peuvent pas être comparés aux ensembles de données de la Banque nationale de données génétiques. Elle fait appel à des tests d’ADN privés offerts directement aux consommateurs, et à des banques de données génétiques privées. Je ne veux pas que l’on fasse l’amalgame. Ce sont deux techniques totalement différentes. Je suis heureux de vous aider dans vos délibérations aujourd’hui. Je vous remercie.
Le président : Je vous remercie beaucoup, monsieur Maguire. Nous passons maintenant aux questions des sénateurs.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins et merci beaucoup pour ces informations éclairantes.
Ma question s’adresse à vous, monsieur Yost. D’abord, je vous remercie de votre patience. Est-ce que vous avez pris connaissance du mémoire coécrit par les professeurs Crawford et Clausius?
Me Yost : Oui, j’ai lu tous les mémoires.
Le sénateur Boisvenu : Dans leur mémoire, ils font référence aux entreprises privées. J’ai toujours cru que la Banque nationale de données génétiques était une banque d’État gérée conformément à des normes très strictes d’accès à l’information et à la vie privée. J’aimerais que vous me disiez quelques mots sur le mémoire de ces professeurs.
Me Yost : Vous avez tout à fait raison de dire que la Banque nationale de données génétiques est une banque du gouvernement, régie par la Gendarmerie royale du Canada, qui a un conseil pour les aviser sur certaines questions. Si ce projet de loi était adopté, je crois que les policiers demanderaient en premier lieu une analyse par lien de parenté de la Banque nationale de données génétiques, où l’on retrouve les personnes condamnées.
C’est facile. Cela fait partie de CODIS, le système du FBI qui est utilisé partout dans le monde et en particulier au Canada. Cela leur donnera peut-être un indice pour une piste d’enquête. Si cela ne fonctionne pas, rien dans la législation actuelle — et on a essayé de le faire à quelques reprises au Canada et plusieurs fois aux États-Unis — ne permet d’utiliser des banques comme 23andMe. Dans le cas de ces banques de données, ce sont des individus qui ont envoyé un échantillon de leur ADN pour analyse. Il est compliqué et très coûteux de le faire, si je comprends bien. Il faut qu’un expert en généalogie construise l’arbre généalogique.
Cela prend du temps, mais il y a eu de très bons résultats. Le « tueur du Golden State », par exemple, est un cas bien connu. C’était un tout autre système qui n’a rien à voir avec notre législation. Cela ne touche en rien la protection à la vie privée qui fait partie du système actuel.
Le sénateur Boisvenu : Si on regarde le taux de résolution des crimes graves, notamment les homicides et les agressions avec violence, les Américains réussissent mieux que le Canada à cet égard.
Le fait que la banque de données génétiques aux États-Unis soit beaucoup plus vaste permet-il de faire une inscription automatique? Aux États-Unis, des empreintes sont prélevées au moment de l’arrestation pour savoir si l’individu pourrait être lié à un autre crime. Le fait que la banque de données génétiques soit beaucoup plus vaste rend-il le travail des policiers plus efficace pour ce qui est de la résolution de crimes?
Me Yost : Absolument. Comme je l’ai dit, c’est une question de chiffres. Par exemple, selon ce que j’ai lu il y a quelques années, la Nouvelle-Zélande avait un taux de résolution et un taux de correspondance de 70 % par rapport à des profils provenant d’une scène de crime dans sa banque de données génétiques. Je ne peux pas vous fournir les données statistiques actuelles pour la Banque nationale de données génétiques, mais je crois que c’est de 20 % ou 25 % environ.
Le sénateur Boisvenu : Exactement. C’est environ cela. On a un taux de résolution de crimes assez élevé lorsqu’il s’agit d’un crime commis dans la famille, notamment dans des cas de violence conjugale. Toutefois, dès que l’individu n’est pas connu de la victime, le taux de résolution de crimes au Canada est de 20 % environ, ce qui est très bas. Cela laisse beaucoup de victimes en plan, parce que l’individu ne sera pas arrêté.
Me Yost : Oui.
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.
Le sénateur Dalphond : Merci à tous nos invités d’être parmi nous.
Selon vos témoignages, je vois que ce ne sont pas toutes les infractions criminelles qui donnent lieu au droit de prélever des empreintes génétiques. Cela se fait uniquement pour certains types d’infractions, et seulement après la condamnation. Par contre, on dit en même temps qu’il faut constituer une banque de données génétiques, parce que cela permet d’identifier des criminels et de résoudre bon nombre de crimes. Vous avez parlé de la Nouvelle-Zélande, où le taux de résolution de crimes est de 70 %.
Pourquoi trace-t-on une ligne entre certains types d’infractions et d’autres? Ne serait-ce que pour avoir un instrument efficace, confidentiel et bien protégé?
Me Yost : C’est une question que je me suis posée pendant plusieurs années. Au tout début, nous avons construit un système extrêmement compliqué. Il y avait les infractions primaires et les infractions secondaires. Si je me souviens bien, on a apporté des modifications en 2006, et cela a créé deux types d’infractions primaires. Il y avait une liste d’infractions pour lesquelles le juge n’avait aucune possibilité de refuser de le faire et une autre liste d’infractions pour lesquelles la personne inculpée pouvait essayer de refuser de fournir un échantillon, en convainquant le tribunal que l’effet sur sa vie privée était totalement disproportionné par rapport à l’administration de la justice.
Ensuite, on a divisé les infractions secondaires pour qu’il y ait une liste où il était possible d’aller de l’avant, nonobstant le fait que ce soit fait par une mise en accusation ou par voie sommaire. On a créé ce qu’on appelle des « infractions secondaires génériques », c’est-à-dire des cas où les crimes sont punissables par voie de mise en accusation de cinq ans ou plus. Toutefois, s’il s’agit d’une infraction hybride, il faut procéder par mise en accusation.
Je me suis beaucoup occupé de dossiers concernant les facultés affaiblies. Il y a 60 000 condamnations par année pour ce qui est des facultés affaiblies, dont 99 % par voie sommaire. On ne peut pas faire la demande dans ces situations. Comme l’a dit Me Bird quand il a fourni des statistiques, c’est pour cette raison que le fait d’augmenter le nombre de profils à 17 500 par année est ridicule, à mon avis.
Je ne peux pas vous expliquer la raison pour laquelle on a commencé ce processus. Je suis un ancien fonctionnaire. Il y a des confidences entre l’avocat et le client et les confidences du cabinet. J’irais jusqu’à dire que je n’ai jamais moi-même compris la logique derrière tout cela.
Le sénateur Dalphond : On a fait un exercice d’équilibriste. Il y a certains types d’infractions qui justifient qu’on prélève des empreintes génétiques pour essayer de trouver le coupable d’un crime très grave — le cousin, le frère, le père ou la mère de la victime —, mais pour d’autres types d’infractions, on ne cherche pas à établir ce même lien et le crime reste impuni. J’essaie de comprendre la logique derrière la création de ces catégories.
Me Yost : Si je peux ajouter un commentaire, sénateur, je dirais qu’aujourd’hui, nous ne pouvons pas essayer de trouver le frère ou le fils, par exemple. On ne peut faire une demande que dans le cas où il y a une correspondance exacte. On ne peut pas faire de recherche par lien de parenté. C’est ce que nous tentons de régler au moyen de ce projet de loi.
Le sénateur Dalphond : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Prosper : J’ai quelques questions, une question de clarification pour M. Maguire, et ensuite, une question de suivi sur ce qu’a dit M. Yost.
Monsieur Maguire, j’ai oublié le nom du pays avec lequel vous travailliez, mais vous avez dit que les échantillons d’ADN étaient prélevés, ou que vous recommandiez qu’ils le soient, au moment de l’arrestation plutôt qu’à la suite d’une ordonnance du tribunal. Est-ce exact?
M. Maguire : Oui, au Royaume-Uni, on prélève les échantillons d’ADN, les empreintes digitales, etc. au moment de l’arrestation. Si une personne est arrêtée pour une infraction quelconque, elle doit fournir ses empreintes digitales et un échantillon d’ADN. Toutefois, si la poursuite abandonne les accusations à un moment donné ou si la personne passe devant le tribunal et est acquittée, les échantillons, le profil d’ADN et les empreintes digitales doivent être supprimés des différentes bases de données. C’est un fait, toutefois, qu’ils sont prélevés au moment de l’arrestation.
C’est tellement plus simple ainsi. On prélève un échantillon, il est envoyé à un laboratoire, il est traité et ensuite versé dans la base de données d’ADN. Au Royaume-Uni, au 30 juin de cette année, notre base de données comptait 5,9 millions de personnes, soit 8,9 % de la population. Nous avons près de 676 000 traces prélevées sur des scènes de crime dans la base de données, et le taux de concordance est de 68 % dans l’ensemble. Une personne peut être arrêtée pour un délit relativement mineur, puis on découvre que son profil d’ADN correspond à celui trouvé lors d’un autre délit plus grave. Ces éléments peuvent alors faire l’objet d’une enquête.
Le sénateur Prosper : Je vous remercie, monsieur Maguire.
Monsieur Yost, je crois que vous avez mentionné plus tôt dans votre témoignage, ou peut-être dans votre réponse à une question, un élément que j’ai trouvé très intéressant à propos de la complexité des infractions primaires et secondaires. Il y avait un schéma en fait de complexité. À un moment donné, vous avez dit que la personne pouvait même contester le prélèvement d’ADN en s’adressant au tribunal. Il semblait y avoir un équilibre entre la vie privée de la personne et, j’imagine, des raisons impérieuses liées à l’administration de la justice. Je me demande si vous pouvez donner plus de détails sur les cas où la vie privée pourrait avoir préséance sur l’administration de la justice. Je vous remercie.
Me Yost : À ma connaissance, il n’y a pas eu d’affaire dans laquelle un adulte a réussi à faire valoir cela. Je me souviens toutefois que lors d’une audience, des amendements ont été apportés quand nous avons proposé cela, car un psychiatre de l’hôpital d’Ottawa a dit que pour certains schizophrènes paranoïaques, l’idée que le gouvernement dispose de leur ADN serait extrêmement néfaste pour leur santé mentale.
Comme je l’ai dit, il n’y a pas eu de cas à ma connaissance. Le seuil est très élevé, hors de proportion avec l’intérêt public et l’administration de la justice.
Il faut aussi mettre dans la balance le fait que les protections de la vie privée sont de calibre mondial, et que d’autres pays ont imité notre système. La banque de données génétiques reçoit essentiellement deux documents : l’un contient l’ordonnance, l’autre la condamnation, le nom de la personne, etc. On appose simplement le même code à barres sur les documents. Un document est destiné à l’analyse, et l’autre au système des casiers judiciaires.
Lorsqu’on obtient une correspondance dans la banque de données d’ADN, on n’a aucune idée de l’identité de la personne concernée. Il faut que ce soit envoyé au service des casiers judiciaires, qui utilise le code à barres pour extraire le dossier et trouver de qui il s’agit.
Quelque part dans la banque de données d’ADN, je suis certain que nous avons l’ADN de Karla Homolka, mais on ne pourrait jamais le trouver de façon autonome. Nous disposons de protections de la vie privée de calibre mondial, et elles ne seront pas touchées ici.
C’est un autre élément très important. Dans l’arrêt R. c. Rodgers, la Cour suprême du Canada a fait l’éloge des mesures de protection de la vie privée mises en place par la Banque nationale de données génétiques. Je pense que les gens peuvent être rassurés sur le fait qu’il n’y aura pas de violation de leur vie privée.
En ce qui concerne la recherche de recoupements génétiques familiaux, la situation est un peu différente, car les gens vont commencer à chercher du côté du frère ou du fils de la personne qui a été identifiée. Là encore, il s’agit d’un exercice d’équilibre. Le projet de loi limite la recherche aux infractions les plus graves, passibles d’une peine d’emprisonnement de 14 ans ou plus, ou à vie naturellement. Bien sûr, la police ira alors frapper à certaines portes pour enquêter et savoir s’il s’agit de la bonne personne. Il existe des techniques permettant de réduire le nombre que l’on va obtenir. On peut notamment vérifier les STR-Y, les microsatellites du chromosome Y, qui sont transmis de manière identique entre le père et le fils, et c’est donc la première chose à faire. S’il s’agit du même STR-Y, on sait alors qu’il ne s’agit pas d’un cousin au troisième degré ou autre, mais bien du fils.
La police ira frapper à certaines portes, mais elle le fait régulièrement pour toutes sortes de raisons. Des témoins oculaires peuvent les avoir reconnus lors d’une séance d’identification, ou quelqu’un peut avoir vu une photo et dit : « Je pense que c’est lui. »
C’est un équilibre. Je pense que l’équilibre est le bon, mais c’est à vous d’en décider.
Le sénateur Prosper : Je vous remercie.
La sénatrice Simons : Je ne suis pas une schizophrène paranoïaque, mais je suis troublée à l’idée que l’État puisse avoir accès à mon ADN — ou à l’ADN de n’importe qui d’autre — sans raison valable. Bien sûr, il serait plus simple de prélever l’ADN d’une personne au moment de son arrestation, même pour un délit banal. Il serait également plus simple de prélever l’ADN des gens à la naissance et de le consigner dans un registre. Ce serait une bonne façon de procéder, n’est-ce pas? Nous disposerions de l’ADN de tout le monde pour élucider des crimes.
Lorsque je lis le projet de loi, je suis un peu troublée de voir qu’il englobe les jeunes délinquants — y compris les jeunes délinquants qui reçoivent une absolution et ceux qui sont déclarés non criminellement responsables — et qu’il inclut dans la définition d’infraction primaire les infractions passibles d’une peine maximale de cinq ans, pour laquelle quelqu’un peut avoir été condamné à une peine bien moindre que cinq ans. Il s’agit d’une peine maximale. Pour un acte criminel passible d’une peine de cinq ans, la peine peut être beaucoup moins que cela.
Vous semblez tous les trois plutôt favorables à l’idée de prélever l’ADN, même au moment de l’arrestation, mais cela ne vous dérange-t-il pas de voir qu’un jeune délinquant dont le casier n’est pas censé être effacé, mais doit être gardé confidentiel, puisse être inclus ici et que son ADN puisse, en fait, être utilisé pour l’incriminer lui ou même un membre de sa famille élargie?
Me Yost : Eh bien, je pense que nous touchons là au cœur du problème.
Je fixerais la limite à un endroit bien différent du vôtre. Je souhaite vivement qu’on arrête les meurtriers et les violeurs par tous les moyens légitimes dont nous pouvons disposer. J’ai parlé des femmes autochtones disparues et assassinées. Nous ne pouvons pas faire grand-chose pour celles qui sont portées disparues, mais pour celles qui ont été assassinées, le rapport de M. Maguire, je crois, contenait la liste de toute une série d’affaires non résolues de meurtres pour lesquelles la recherche de recoupements génétiques familiaux pouvait être utilisée.
En ce qui concerne la question des jeunes délinquants, le prélèvement obligatoire de l’ADN dans leur cas a été contesté lorsque la mesure a été introduite pour une liste d’infractions. Le juge de première instance a estimé que cette disposition était inconstitutionnelle. La Cour d’appel de l’Ontario, par trois voix contre zéro, l’a jugée constitutionnelle, en tenant compte de l’équilibre existant, de la gravité de l’infraction et du fait qu’elle n’a aucune incidence sur vous. Il s’agit simplement d’un code à barres qui reste là jusqu’à ce qu’il corresponde à une scène de crime.
Malheureusement, tous les jeunes délinquants ne sont pas réhabilités. Nombre d’entre eux commettent ensuite des crimes très graves, et le fait de disposer de leur ADN nous permettra d’élucider ces crimes.
Encore une fois, je dis que la question est de savoir où la ligne serait tracée. Dans le projet de loi, on parle des infractions les plus graves, passibles d’une peine de 14 ans ou plus. On ne l’utilisera pas pour essayer de découvrir qui a commis un vol à l’étalage au dépanneur du coin.
La sénatrice Simons : Toutefois, si le jeune a commis un vol à l’étalage au dépanneur du coin, son ADN peut être utilisé pour trouver un membre de sa famille.
M. Maguire : Oui, cela pourrait être le cas.
Me Yost : Je ne serais pas très en colère si on découvrait que mon frère est un tueur en série. Je serais surpris, mais je n’aime pas les tueurs en série.
M. Bird : Sénatrice, si je peux ajouter quelque chose, de mon point de vue, j’ai toujours conseillé à mes clients, du moins à l’époque, qu’ils avaient le devoir d’essayer de fournir les meilleures preuves au tribunal concernant toute condamnation ou affaire sur laquelle ils enquêtaient lorsqu’ils déposaient leurs accusations. La meilleure preuve va être l’ADN.
Quand il y a des témoins oculaires, des cheveux, des fibres, dans ce cas, la police a parfois des œillères, et il y a des cas de condamnations injustifiées comme celle de Steven Truscott, où la police l’a identifié, a obtenu de faux aveux d’un jeune délinquant et soumis l’affaire au tribunal. Toutefois, en ayant l’ADN, la police n’aurait pas eu ces œillères, aurait pu éliminer la question des aveux fallacieux, et on n’aurait pas eu de condamnation injustifiée. C’est donc le prix à payer pour ne pas mettre ce type d’outil entre les mains de la police, qui dispose fondamentalement d’un système très sûr et qui doit suivre les étapes pour présenter ses preuves au tribunal. Le tribunal devra accepter ces preuves lorsqu’elles seront présentées.
Jusqu’à cette étape, la protection des renseignements personnels et la sécurité de l’information qui se trouve dans la banque de données que nous avons conçue sont assurées.
M. Maguire : Si je peux me permettre, à l’instar du Canada, les échantillons dans la base de données d’ADN du Royaume-Uni sont simplement étiquetés avec un code à barres. L’équipe chargée de la base de données ne voit pas les noms. Une autre équipe fait le lien entre les noms et les codes à barres, et les deux éléments doivent être réunis lorsqu’il y a une correspondance.
J’ai donné quelques exemples de cas, et le tout premier cas était un triple meurtre. Un homme avait violé et tué trois jeunes femmes en Galles du Sud. Ces affaires remontent à 1973. Les meurtres ont eu lieu en 1973, et le premier échantillon a été analysé en 2002 — la première recherche de recoupements génétiques familiaux a été effectuée en 2002 —, et a mené à un jeune homme du nom de Paul Kappen. La police est allée voir la famille, et elle peut se rendre sur place pour enquêter. Au Royaume-Uni, la police n’est pas autorisée à surveiller en cachette les gens, à recueillir leurs ordures le jour de la collecte pour en prélever des échantillons, comme c’est le cas aux États-Unis, et je crois que cela s’est fait au Canada. La police doit interroger les gens directement et leur dire qu’elle enquête sur telle affaire, que leur nom a été porté à son attention et qu’elle veut un échantillon pour les éliminer comme suspect. C’est à partir de là que tout se passe.
Dans ce cas, ils ont enquêté sur M. Kappen père, parce qu’il s’agissait d’un lien père-enfant. M. Kappen était décédé en 1990. En raison de la gravité de l’infraction, ils ont obtenu une ordonnance pour exhumer le corps et ont établi la correspondance de cette façon.
Plus récemment, et je l’ai également mentionné dans le rapport, deux jeunes femmes, deux sœurs, sont allées retrouver des amis dans un parc local pour fêter un anniversaire pendant le confinement de la COVID. Les amis sont partis à la fin de la fête, les deux sœurs sont restées dans le parc et quelqu’un les a poignardées à mort.
La famille a retrouvé leurs corps dans le parc le lendemain matin. La police a enquêté. Un troisième profil d’ADN a été trouvé sur les lieux et sur le couteau. Ce profil ne correspondait à aucun profil de la base de données nationale d’ADN, mais la police a décidé de procéder à une recherche de recoupements génétiques familiaux. Normalement, cette recherche est effectuée pour des affaires non résolues, mais dans ce cas, elle l’a été pour une affaire en cours.
En l’espace de quatre semaines, la police a établi un lien avec un autre homme, plus âgé, qui avait été arrêté pour une infraction mineure. Il avait fourni son échantillon. Il était enregistré dans la base de données, et la police a alors commencé à s’intéresser à son fils. Le père a dit à la police qu’il s’inquiétait pour son fils et que ce dernier avait été agressé et blessé, qu’il s’était coupé la main dans le parc la nuit où les deux femmes ont été assassinées. Le jeune homme a été arrêté et a fourni un échantillon. Bien sûr, il correspondait au sang trouvé sur la scène du crime, et il s’était coupé en poignardant les deux femmes.
L’enquête a révélé que ce jeune homme, mentalement dérangé ou quoi que ce soit — je ne sais pas — avait apparemment conclu un pacte avec Satan selon lequel il allait continuer à tuer des femmes, et qu’il en tuerait au moins six en six mois, afin de pouvoir gagner à la loterie. Il était en pleine psychose.
Quoi qu’il en soit, l’utilisation de cette technique a permis d’élucider le meurtre de deux jeunes femmes et d’empêcher l’agression ou le meurtre d’au moins quatre autres personnes au cours des mois suivants.
[Français]
La sénatrice Dupuis : J’ai une question pour Me Bird et Me Yost. Quand je regarde l’article 3 du projet de loi S-231, on dit que le tribunal doit rendre une ordonnance sur une personne, incluant un adolescent, qui fait l’objet d’une déclaration de culpabilité, d’une absolution ou d’un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. On a donc affaire à trois catégories différentes, et je me demande quelle analyse vous faites de l’importance d’inclure ces trois situations. Dans le cas d’un verdict de non-responsabilité, on parle de quelqu’un qui n’est pas condamné. À votre avis, est-ce que cette catégorisation a du sens, et sur quoi fondez-vous votre raisonnement?
Me Yost : Premièrement, quand on a une déclaration de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, on doit établir, au-delà de tout doute raisonnable, que la personne a commis cette infraction, qu’elle a commis un meurtre. On aimerait bien savoir si elle a commis d’autres meurtres. Le fait qu’elle n’ait pas été trouvée responsable et n’ait pas été condamnée à la prison ne change pas le fait qu’elle a commis le crime. Ça, c’est la législation qui prévaut depuis 15 ans. C’est ce que nous avons ici.
De plus, il y a toutes sortes de programmes où la personne accepte la responsabilité. Si elle a accepté la responsabilité, elle dit : « Oui, je l’ai fait; je peux faire quelque chose d’autre, des travaux communautaires ou je ne sais quoi. » La personne a commis un crime. Encore une fois, son ADN pourrait nous aider à résoudre un crime beaucoup plus sévère.
À mon avis, si une personne a commis un crime, mais qu’elle n’a pas été condamnée, si nous savons qu’elle l’a bel et bien commis, on devrait prélever l’ADN. C’est mon avis, mais ce ne sera peut-être pas l’avis du ministère de la Justice, qui, pour une raison qui m’échappe, n’a pas participé à la rédaction du projet de loi.
[Traduction]
M. Bird : Il arrive souvent que les condamnations au titre de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents soient annulées, et ce qu’on dit au départ, c’est d’ordonner, oui, le prélèvement d’ADN; ces prélèvements vont dans la banque de données; c’est anonyme. Quoi qu’il advienne du casier judiciaire, il n’y a pas de lien avec l’ADN. Son identité peut demeurer dans un système sécurisé, et cela a également un effet dissuasif sur le jeune délinquant. Si son ADN se trouve dans une banque de données et qu’il continue à commettre des crimes, sachant que son ADN s’y trouve, il y a un lien avec la récidive, et cela a un effet dissuasif. Cela aiderait les jeunes délinquants à rester dans le droit chemin, pour autant que je puisse le dire. Il y a donc un avantage certain pour la société et peut-être pour le jeune délinquant à avoir son ADN dans une banque de données. Cela peut aussi servir à l’éliminer comme suspect dans une enquête ultérieure où il y a présence d’ADN parce qu’il n’y a pas de correspondance.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Vous dites qu’on protège un adolescent contre lui-même en lui disant : « On te fournit un corridor étroit; tu as intérêt à savoir qu’on peut te retrouver n’importe quand. » C’est ce que vous nous dites.
La suggestion de M. Maguire, c’est qu’on devrait prélever ces empreintes lors de l’arrestation. Dans le projet de loi, une fois que la personne est déclarée coupable ou pour les trois catégories que l’on vient de voir, que pensez-vous de cette idée de prélever l’ADN au moment de l’arrestation, plutôt qu’après la déclaration de culpabilité?
Me Yost : Je dois avouer que j’ai commencé ma carrière à Ottawa. Je viens du Manitoba et j’ai travaillé au bureau de Preston Manning. Le premier projet de loi que j’ai analysé pour le Parti réformiste, c’était le projet de loi établissant la Banque nationale de données génétiques. À l’époque, le Parti réformiste était d’avis qu’on devait prélever l’ADN au moment de l’arrestation, comme au Royaume-Uni. Je suis convaincu que c’est la meilleure façon de protéger les Canadiens. Il faut avoir le plus grand nombre possible de fichiers et de profils dans la Banque nationale de données génétiques.
L’autre chose, c’est que ce n’est pas comme dans le cas des empreintes digitales, qu’on prélève chaque fois qu’une personne est arrêtée et qu’on transfère ici et là. On prélève l’ADN une fois, mais on n’a pas besoin de le refaire à l’avenir parce que l’ADN ne change pas.
[Traduction]
La sénatrice Clement : Je remercie les témoins de leur travail et les félicite de leur carrière. J’oserais dire que la plupart des personnes ici et à l’extérieur sont contre les tueurs en série, et que nous souhaitons tous nous assurer qu’il existe des procédures permettant d’enquêter correctement et de condamner les personnes qui ont commis ces crimes.
Ma première question s’adresse à M. Maguire. La science et la technologie nous semblent être exemptes de préjugés, parce qu’il s’agit de la science, n’est-ce pas? Toutefois, nous savons maintenant que ce n’est pas le cas, que les préjugés existent et que se fier à la science et à la technologie peut avoir des conséquences inattendues pour les personnes qui sont prises dans les mailles du filet.
Vous avez parlé de votre système, le fait d’avoir des règlements, de travailler avec un code d’éthique. Avez-vous étudié les conséquences inattendues, la surreprésentation potentielle des personnes qui sont prises dans un cycle et qui sont maintenant dans ce système?
M. Maguire : Oui. En ce moment, les étudiants me parlent constamment de la surreprésentation potentielle des minorités ethniques dans notre banque nationale de données génétiques, et je pense que l’on pourrait dire que les Noirs ou les Afro-Caribéens au Royaume-Uni sont probablement surreprésentés dans notre banque de données par rapport à leur population. Dans notre banque de données, quelque 8 % des échantillons proviennent de personnes identifiées comme Noirs ou Afro-Caribéens. En fait, dans la population, ce chiffre est d’environ 5 %.
On pourrait donc dire qu’il y a une surreprésentation des Noirs dans la banque de données, et c’est effectivement le cas. Si on regarde du côté des États-Unis, il y a une surreprésentation significative des minorités ethniques dans la population carcérale de ce pays. Oui, il est possible que ce soit le cas.
L’argument que j’invoque auprès de mes étudiants est que si on regarde les données nationales sur la population qui proviennent du recensement effectué tous les 10 ans, la personne qui remplit le formulaire doit dire si elle est noire, asiatique, chinoise, blanche ou peu importe, mais quand on prélève un échantillon au poste de police, c’est le policier qui désigne l’ethnicité et enregistre l’échantillon. Il s’agit de deux ensembles de données différents. Ils sont légèrement différents.
Je dois dire, toutefois, qu’il y a probablement une surreprésentation de certains groupes ethniques dans la banque de données.
La sénatrice Clement : Merci, monsieur. Il est toujours bon d’être questionné par ses étudiants.
M. Maguire : N’est-ce pas?
La sénatrice Clement : Oui.
[Français]
Ma question s’adresse à Me Yost et Me Bird et a justement trait aux femmes autochtones. Si le processus de collecte de données a mené à la résolution de beaucoup de cas, est-ce qu’on a ces chiffres? Est-ce qu’on garde ce genre de données?
Me Yost : Je n’en suis pas certain. Je crois que la Gendarmerie royale du Canada a fait beaucoup d’efforts pour savoir ce qui s’est passé dans ses sphères de compétence — dans les huit provinces et dans les territoires où il n’y a pas de police provinciale. Je ne sais pas ce qui se passe au Québec et en Ontario pour assurer un suivi, mais on a mis beaucoup l’accent là-dessus.
Comme M. Maguire l’a dit, il y a fort probablement une surreprésentation de personnes autochtones dans les bases de données génétiques, parce qu’il y a une surreprésentation de ces personnes dans nos prisons et qu’elles ont été condamnées. Il y aura toujours, je suppose, une vingtaine d’ethnies, avec quelques-unes qui sont au-dessus de la moyenne et d’autres sous la moyenne. Au Canada, ce sont les Noirs et les Autochtones.
À mon avis, on commence par le mauvais bout si on décide de ne pas mettre des personnes dans la Banque nationale de données génétiques ou de ne pas suivre les indices possibles obtenus au moyen des liens de parenté parce qu’on a peur de trouver plus d’Autochtones. Je ne sais pas comment faire — il faut s’attaquer aux racines de la criminalité dans certaines parties de notre population. Cependant, si une personne a commis un crime et qu’un juge l’a prouvé hors de tout doute raisonnable, même en considérant les facteurs Gladue, cette personne devrait se trouver dans la banque de données.
[Traduction]
M. Bird : Je voudrais simplement ajouter que je pense que lorsqu’elle a été créée, la banque de données génétiques n’utilisait que des profils génétiques anonymes, qui sont très variables. Elle n’identifie pas les caractéristiques physiques ou raciales. Elle recueille un certain nombre de chiffres anonymes qui correspondent à une partie génétique du code d’ADN, mais elle ne relève pas d’aspects particuliers connus. Une fois que vous êtes dans la banque de données, votre race est anonyme, de ce point de vue. Il y a la question de savoir ce qu’est la race, mais c’est un autre sujet.
M. Maguire : Je peux le confirmer.
Le président : Monsieur Maguire, désolé de vous interrompre, mais je vais donner la parole à une autre sénatrice. Il ne nous reste que peu de temps. J’ai encore deux sénateurs sur ma liste. Il n’y aura pas de deuxième tour.
La sénatrice Batters : Merci à tous d’être présents.
Lorsque j’ai entendu certaines des questions qui ont été posées tout à l’heure, j’ai immédiatement pensé qu’il serait possible d’exclure des personnes sur la base de leur ADN, ce que le président a mentionné dans le discours qu’il a prononcé l’année dernière à propos de ce projet de loi. Il a évoqué le cas de David Milgaard, en Saskatchewan, qui a été condamné à tort et a passé de nombreuses années en prison. Cette condamnation aurait pu être évitée si on avait pu utiliser l’ADN à l’époque. On s’en est servi plus tard pour l’exonérer. Il y a aussi les cas tragiques de femmes autochtones disparues et assassinées. L’ADN pourrait peut-être être utile dans ce domaine avec l’utilisation des recherches par liens de parenté, etc.
J’aimerais d’abord poser une question au sujet de l’affaire de la Cour suprême du Canada à laquelle vous, monsieur Yost, avez fait référence un peu plus tôt. Dans l’arrêt R c. Rodgers, la Cour a déclaré ceci :
Il est incontestable que l’analyse génétique est un moyen d’identification beaucoup plus performant que la comparaison des empreintes digitales, d’où le plus grand intérêt de la société à l’ajouter aux outils dont elle dispose en la matière.
Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a également déclaré que l’atteinte à la vie privée de la personne qui doit fournir un échantillon d’ADN à la Banque nationale de données génétiques est minime puisqu’elle est comparable à celle subie dans le cas de la prise d’empreintes digitales. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation et le projet de loi S-231 change-t-il quelque chose à cet égard?
Me Yost : C’est mon arrêt préféré de la Cour suprême du Canada, madame la sénatrice.
Honnêtement, je pensais que cet arrêt allait inciter le gouvernement à adopter un modèle basé sur les empreintes digitales. Cela n’a pas été le cas. C’est tout ce que je peux dire à ce sujet. Je suis entièrement d’accord avec cette affirmation, et la Cour suprême du Canada, comme je l’ai dit précédemment, s’est montrée très élogieuse, dans ce même jugement, sur la façon dont la Banque nationale de données génétiques gère la protection des renseignements personnels.
La sénatrice Batters : Monsieur Yost, je veux revenir à vous pour cette question. Vous avez siégé au Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques. Vous étiez donc conscient du fardeau administratif inutile qui pèse sur les agents des services de police et de la banque. Pourriez-vous nous dire comment le projet de loi contribuera à simplifier leur travail tout en conservant les mécanismes de protection des renseignements personnels de cette base de données? Ces fardeaux nuisent-ils de manière significative à leur travail? Et pourriez-vous nous donner quelques exemples?
Me Yost : Tout d’abord, le projet de loi élimine le processus d’approbation. Le projet de loi initial prévoyait que si une personne était acquittée, on retirait ses renseignements de la base de données. D’accord, mais il est arrivé que des personnes soient acquittées d’une infraction et qu’entretemps, elles soient condamnées pour une autre. Aucune demande d’ADN n’a été faite parce que ces personnes figuraient déjà dans la banque de données. Il s’agissait de résoudre ce problème, une fois de plus, de la manière la plus compliquée qui soit, mais je ne m’y attarderai pas. Au lieu de prélever un échantillon, la police envoie un formulaire à la Banque nationale de données génétiques disant : « Nous n’avons pas exécuté cette ordonnance parce que, selon le Centre d’information de la police canadienne, cette personne figure déjà dans la banque de données génétiques. » Il y a un avertissement.
À l’heure actuelle, près de la moitié des éléments qui entrent dans la Banque nationale de données génétiques sont des approbations. On éliminerait ce processus. La police n’aurait plus à le faire. S’il y a un avertissement dans le système du Centre d’information de la police canadienne, ils n’auront plus à appliquer cette procédure. Nous sommes censés envoyer des rapports au tribunal attestant de l’exécution de l’ordonnance. Je ne suis pas sûr que la police le fasse encore, car quel est l’intérêt de cette ordonnance? Le juge ne va pas vérifier dans le système du Centre d’information de la police canadienne pour voir si mon ordonnance a été exécutée. On éliminerait ces fardeaux.
Étant donné que la banque de données génétiques ne reçoit aujourd’hui qu’environ 19 000 échantillons à analyser par an et qu’au moins trois ou quatre personnes se consacrent entièrement au processus d’approbation, je pense qu’il ne sera pas nécessaire d’embaucher du personnel supplémentaire pour effectuer cette tâche. Ils disposent assurément de l’équipement nécessaire pour effectuer bien plus que 20 000 analyses par an. Je suis convaincu que cela ne constituera pas un fardeau important pour la Banque nationale de données génétiques.
La sénatrice Batters : J’aimerais que nous ayons plus de temps, car j’aimerais poser une question sur la recherche par liens de parenté. Je pense que le public serait surpris d’apprendre qu’à l’heure actuelle, ces recherches ne sont pas permises au Canada, car dans les séries policières américaines, il s’agit d’un outil d’enquête très répandu.
Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J’ai une courte question pour Me Bird.
Maître Bird, dans les pays où les policiers peuvent faire des recherches par croisements génétiques, existe-t-il une jurisprudence de contestation de la part des avocats et des accusés? En d’autres mots, est-ce qu’on doit se préparer à un nouveau type de débat judiciaire, du moins pendant les premières années de la mise en œuvre de la loi?
[Traduction]
M. Bird : Monsieur le sénateur, cette question a été contestée devant la Haute Cour britannique en ce qui concerne l’arrestation et l’utilisation de l’ADN; je pense que c’était dans l’arrêt Marper, qui a été porté devant la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour suprême des États-Unis s’est également prononcée sur cette question.
Oui, nous nous attendons à ce qu’il y ait des contestations, et à juste titre — c’est le travail des avocats de la défense — et nous obtiendrons une jurisprudence nationale. Mais si l’on respecte l’acceptation internationale de la recherche par liens de parenté et du moment de l’arrestation — si nous arrivons à ce stade — je m’attends à ce que l’on accepte, comme dans l’arrêt Rodgers, qu’il s’agit d’un outil légitime.
Me Yost : Puis-je ajouter quelque chose? Ces cas seront rares. Il s’agit d’un travail tellement intensif pour la police, et il n’y a qu’un nombre limité d’affaires non résolues pour lesquelles il vaudrait la peine de déployer tous les efforts nécessaires pour obtenir l’ADN.
Je serais surpris que cinq affaires soient résolues au cours de l’année qui suivra l’application de la loi. Cinq cas de contestation ne vont pas surcharger les tribunaux. Ce n’est pas comme si la majorité des cas allaient faire l’objet d’une contestation alors que l’on a obtenu une correspondance génétique claire.
Le président : Je vous remercie tous les deux. Nous avons un peu dépassé notre temps, et nous allons donc clore ce volet de notre discussion et remercier M. Yost, M. Bird et M. Maguire pour leurs réponses franches et intéressantes aux questions des sénateurs. Je remercie tous les sénateurs pour leur contribution.
Pour notre deuxième groupe de discussion, nous accueillons aujourd’hui, de la Criminal Lawyers’ Association, Stephanie DiGiuseppe, directrice, qui se joint à nous par vidéoconférence, et, à titre personnel, Michael Crawford, professeur au Département des sciences biomédicales de l’Université de Windsor, et Katharina Clausius, professeure agrégée au Département de littératures et de langues du monde de l’Université de Montréal.
Bienvenue et merci d’être présents. Nous allons commencer par entendre les observations liminaires de M. Crawford et de Mme Clausius, qui auront cinq minutes.
Katharina Clausius, professeure agrégée, Département de littératures et de langues du monde, Université de Montréal, à titre personnel : Merci. Notre intérêt pour le projet de loi S-231 découle de la recherche financée par les trois conseils sur l’histoire et l’incidence de la Loi sur la non-discrimination génétique du Canada. Nous tenons à souligner la contribution de notre collaboratrice, Erin Kenny.
Dans nos commentaires d’aujourd’hui, nous souhaitons apporter quelques éléments contextuels clés concernant la disposition du projet de loi autorisant la recherche par liens de parenté. Il s’agit d’une disposition que tous les mémoires soumis ont décrit comme controversée et que beaucoup ont recommandé d’étudier avant sa mise en œuvre
Il est largement reconnu que les recherches familiales dans le cadre d’enquêtes criminelles présentent des risques importants en termes de consentement, de respect de la vie privée et d’efficacité. C’est pourquoi, dans un rapport de 2010, ce comité a souligné que la recherche par liens de parenté était « l’un des sujets les plus controversés ». Il a en outre recommandé « ... qu’avant d’autoriser l’analyse des liens familiaux et la recherche par liens de parenté, le ministère de la Justice devrait étudier la question plus à fond... » et que de telles recherches devraient « ... être assujetties à une série de restrictions... ».
À notre connaissance, cette étude n’a pas été réalisée et aucune restriction de ce type n’a été mise en place.
Les risques particuliers associés à la recherche par liens de parenté ont été décrits en détail, notamment dans le rapport de 2010 de ce comité intitulé Examen, prévu par la loi, de la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques ainsi que dans le récent mémoire soumis à ce comité par M. Maguire. Ces risques comprennent la stigmatisation des familles comme génétiquement criminelles, la violation de la présomption d’innocence, l’exposition des membres innocents de la famille à des saisies abusives et à la discrimination génétique, et la révélation accidentelle de renseignements confidentiels à des membres de la famille élargie, y compris dans des cas de fausse paternité ou d’adoption.
La juriste Amy Conroy a en outre démontré que les recherches par liens de parenté effectuées dans la Banque nationale de données génétiques perpétue les stéréotypes raciaux et les préjugés systémiques à l’égard des communautés autochtones, qui sont représentées de manière disproportionnée dans le système de justice pénale. Enfin, les donneurs volontaires seront encore moins enclins à fournir des échantillons, compte tenu des risques qui en découleraient pour eux-mêmes et pour leur famille. Nous estimons que les risques liés aux recherches familiales ne sont pas justifiés, notamment parce que l’efficacité de la technologie utilisée pour effectuer ces recherches est limitée.
Mon collègue va développer ce point.
Michael Crawford, professeur, Département des sciences biomédicales, Université de Windsor, à titre personnel : Merci. La technologie utilisée par la Banque nationale de données génétiques est connue sous le nom de CODIS. Elle est utilisée par la GRC, l’Union européenne et le FBI. Le CODIS permet d’identifier des échantillons d’ADN individuels sans divulguer les renseignements biométriques. Il ne fournit aucun renseignement sur la race, les traits de caractère et les prédispositions liées à la santé. Ces données restent confidentielles. Le CODIS ne relève que 13 à 20 points de données.
Le respect de la vie privée est l’une des principales raisons pour lesquelles le système CODIS a été adopté. Il peut servir à effectuer des comparaisons juxtaposées entre membres d’une même famille, mais on sait également qu’il est très peu efficace pour la recherche de parents dans les banques de données et qu’il ne permet pas d’identifier des parents éloignés. Pour ces raisons, en 2022, le FBI a interdit l’utilisation de CODIS pour les recherches par liens de parenté.
Il existe des technologies plus avancées qui offrent une fiabilité accrue pour la recherche en relevant quelque 680 000 points de données ou en effectuant le séquençage de génomes entiers. L’Association des chefs de police a déclaré que les enquêteurs canadiens travaillent déjà avec des outils autres que la Banque nationale de données génétiques et utilisent cette technologie en collaboration avec des services commerciaux et des banques de données sur les consommateurs. Actuellement, la loi canadienne n’interdit pas ce type de recherches. Nous estimons que le fait d’autoriser une recherche par liens de parenté dans la Banque nationale de données génétiques revient à ouvrir la porte de l’enclos après que le cheval se soit enfui, alors que nous n’aurions pas dû le laisser s’enfuir.
Les banques de données sur les consommateurs contiennent des profils génétiques extrêmement détaillés qui révèlent des renseignements biométriques intimes liés à la santé, à la race et aux caractéristiques, et elles exposent des parents très éloignés. Un cas tristement célèbre a révélé un lien entre deux personnes ayant un ancêtre commun né en 1741. Les personnes qui donnent des échantillons à ces banques de données n’ont souvent pas consenti à cette utilisation de leur ADN, pas plus que leurs parents génétiques passés, présents et futurs. Les services commerciaux ne sont pas réglementés en matière de chaîne de conservation, ils sont susceptibles d’être altérés et de contenir des erreurs, et opèrent dans des pays étrangers. La technologie la plus récente révèle les spécificités épigénétiques liées à la santé, aux habitudes et à l’expérience de vie d’une personne. En bref, les risques liés à l’analyse de l’ADN sont de plus en plus importants et la technologie dépasse déjà la législation.
Nous recommandons au comité de supprimer la disposition du projet de loi autorisant les recherches par liens de parenté dans la Banque nationale de données génétiques, au motif que les risques encourus sont importants, n’ont pas fait l’objet d’études suffisantes et doivent être atténués par des restrictions. Nous demandons également aux législateurs de protéger la confidentialité des données génétiques des Canadiens et les droits et libertés garantis par la Charte en interdisant l’utilisation de banques de données génétiques commerciales et de sources ouvertes ainsi que les enquêtes généalogiques génétiques par les forces de l’ordre jusqu’à ce qu’un cadre législatif soit mis en place.
Merci beaucoup.
Le président : Merci à vous deux. Madame DiGiuseppe, je vous invite à formuler vos observations liminaires.
Stephanie DiGiuseppe, directrice, Criminal Lawyers’ Association : Bonjour à tous. Je commencerai aujourd’hui par faire quelques commentaires généraux, avant d’aborder quatre domaines de préoccupation particuliers.
À titre d’organisme de défense des protections constitutionnelles de tous les Canadiens, la Criminal Lawyers’ Association est préoccupée par l’expansion significative de la collecte et du catalogage de l’ADN des citoyens canadiens.
L’argument en faveur de la collecte que nous avons entendu aujourd’hui repose de manière évidente et explicite sur deux hypothèses principales. La première est que le gouvernement canadien peut protéger la confidentialité des données génétiques des Canadiens. La seconde est que le gouvernement canadien n’utilisera jamais les renseignements que contient la banque de données à mauvais escient. Lorsque nous réfléchissons à la deuxième hypothèse, nous devons être extrêmement prévoyants. Certains des jeunes visés par ce projet de loi seront encore en vie dans 70, 80 ou même 90 ans. Nous devons reconnaître la capacité de chaque nation à changer — même radicalement — de gouvernance et de politique.
Des facteurs comme la rapidité de l’expansion technologique, les récentes avancées des capacités de l’intelligence artificielle et l’incertitude géopolitique évidente devraient être des considérations essentielles pour le Sénat lorsqu’il envisage un élargissement de l’utilisation de ces outils.
La Criminal Lawyers Association est préoccupée, par exemple, par la récente violation de la vie privée survenue chez 23andMe, où des pirates informatiques ont ciblé des personnes d’origine chinoise et juive ashkénaze. Je ne veux pas suggérer que les méthodes de protection de la vie privée d’une entreprise privée comme 23andMe sont équivalentes à celles du gouvernement du Canada. Je suis consciente que le gouvernement met en œuvre des protections de classe mondiale; néanmoins, la récente attaque à motivation raciale contre les données génétiques de deux groupes identifiables inquiète la Criminal Lawyers Association lorsqu’elle réfléchit à un élargissement de la collecte de ces données.
La technologie de séquençage de l’ADN est relativement récente et la compréhension scientifique des renseignements stockés dans l’ADN non codant a considérablement progressé au cours de l’année qui s’est écoulée depuis la création de la banque de données.
En 2001, dans l’affaire R. c. P.R.F., la Cour d’appel de l’Ontario a noté que, malgré la politique de collecte d’ADN non codant de la banque de données génétiques, le risque que des renseignements personnels concernant des caractéristiques médicales, physiques ou mentales puissent être obtenus à partir des données stockées et utilisés à des fins autres que la comparaison médico-légale ne peut pas être entièrement écarté. En 2020, une étude réalisée par Wyner, Barash et McNevin intitulée « Forensic Autosomal Short Tandem Repeats and Their Potential Association with Phenotype » — je la transmettrai au comité après mon intervention — a révélé que de nombreuses caractéristiques phénotypiques sont associées à un type d’ADN non codant stocké dans notre banque de données nationale.
En gardant ce contexte à l’esprit, j’aimerais maintenant aborder quatre préoccupations particulières de la Criminal Lawyers Association.
Tout d’abord, la Criminal Lawyers Association est préoccupée par le fait que la surreprésentation systémique de certains groupes raciaux dans le système de justice pénale canadien — en particulier les Autochtones et les Noirs — signifie que les droits de ces groupes quant à la protection des renseignements au sujet de leur matériel génétique seront plus souvent mis à l’épreuve.
Deuxièmement, la méthode proposée pour distinguer les infractions primaires et secondaires en fonction de la peine signifie qu’un grand nombre d’infractions qui n’ont aucun lien rationnel avec les méthodes d’enquête utilisant l’ADN déclencheront néanmoins la collecte de ces renseignements. Je parle ici d’infractions où la génétique n’a manifestement aucun rôle à jouer, comme la fraude, la fraude fiscale, l’abus de confiance et d’autres infractions similaires. Or, cette absence de lien rationnel soulève des problèmes constitutionnels pour ce projet de loi. Je dois noter qu’il y aurait une augmentation marquée des infractions secondaires, ce qui alourdirait un système judiciaire déjà fortement surchargé.
Le troisième aspect, c’est que les amendements proposés pour éliminer la distinction entre les personnes condamnées pour une infraction criminelle et les personnes déclarées non criminellement responsables sont préoccupants. La jurisprudence dans ce domaine — par exemple, la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Briggs — a justifié le prélèvement d’ADN à la suite d’une condamnation criminelle, au motif qu’un délinquant, en choisissant de commettre un acte criminel, renonce à son droit à la protection de ses renseignements personnels, y compris en ce qui a trait à son profil génétique.
Or, une personne jugée non criminellement responsable n’a pas fait le choix moralement volontaire de commettre un acte criminel. On ne peut donc pas dire qu’elle renonce à son droit en matière de protection des renseignements personnels. Cette année encore, dans l’affaire Roche, la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré à propos des règles actuelles que le statut particulier d’un délinquant non criminellement responsable est pris en compte par le caractère discrétionnaire de la disposition législative.
En tant que groupe ciblé de longue date et ayant été traitées de façon injuste en institution, les personnes qui souffrent de maladies mentales peuvent avoir des préoccupations légitimes — au-delà des délires schizophréniques — au sujet de leurs droits à la protection de leurs renseignements personnels et de leur matériel génétique.
Enfin, l’élargissement de cela aux jeunes délinquants a de quoi déranger, car il est question d’un groupe dont les membres bénéficient d’une protection légale renforcée en matière de protection des renseignements personnels. L’intrusion dans l’intimité informationnelle de ces personnes se ferait sur une longue période — 70, 80 ou 90 ans. Nous ne saurions prétendre avoir une idée de ce à quoi le monde ressemblera à ce moment-là. Ces personnes ont des attentes accrues en ce qui concerne la confidentialité de leur matériel génétique, et ce comité doit en tenir compte.
Merci.
Le président : Merci à vous deux de vos présentations. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Autant que possible, nous allons tâcher de limiter nos séries de questions à quatre minutes pour ce premier tour.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que vous avez un inventaire des cas où de l’information tirée de la banque actuelle — la banque fédérale — a été utilisée de façon frauduleuse ou non conforme à la Loi sur la protection des renseignements personnels? Avez-vous des données depuis 2012?
[Traduction]
M. Crawford : À la Banque nationale de données génétiques, non.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Quand vous affirmez qu’il y a des risques d’utilisation fallacieuse ou frauduleuse, vous n’avez pas de données confirmant votre affirmation?
[Traduction]
M. Crawford : Le potentiel de fraude ou d’utilisation non conforme renvoie explicitement à l’utilisation de la généalogie génétique d’enquête, c’est-à-dire à des bases de données commerciales et de consommation, mais pas à la Banque nationale de données génétiques.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : D’accord. Mon autre question, on en a discuté plus tôt avec des témoins précédents : le taux de résolution des crimes au Canada, notamment pour les crimes graves comme les viols et les assassinats, est de 20 % environ. Si on compare avec les États-Unis, où il est d’environ 60 %, ou avec la Nouvelle-Zélande, où il est d’environ 70 %, selon ce qu’on a appris ce matin... Êtes-vous d’accord pour dire qu’on a deux choix? Soit on inscrit automatiquement dans cette banque de données le maximum de personnes qui ont commis des crimes, comme des viols, et on s’assure que ces personnes, si elles reprennent leur liberté, ne feront pas d’autres victimes, soit on ne modifie pas la loi actuelle ni le registre actuel et on a encore un taux de 20 % de résolution de crimes, ce qui veut donc dire que des violeurs continueront de faire d’autres victimes. Est-ce que ce sont les deux choix qui s’offrent à nous actuellement?
[Traduction]
M. Crawford : Je ne dis pas que la loi ne devrait pas être modifiée. Tout ce que je demande, c’est que cela se fasse d’une manière prudente et réfléchie, avec la participation du ministère de la Justice et en tenant compte, en particulier, de la protection des renseignements personnels des personnes et de leurs parents génétiques élargis.
Mme Clausius : J’aimerais souligner que nous essayons de faire une distinction entre les dispositions de la loi visant à faire croître la Banque nationale de données génétiques au moyen d’une collecte d’échantillons élargie et les dispositions relatives à la recherche de liens de parenté. Nous sommes d’avis que l’équilibre entre les risques et les avantages change considérablement dans le contexte de la recherche de liens de parenté.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Avez-vous des données sur des pays comme l’Angleterre et la Nouvelle-Zélande, qui inscrivent automatiquement tous les gens qui sont accusés ou reconnus coupables? Avez-vous des données sur l’utilisation frauduleuse des données gérées par l’État?
[Traduction]
Mme Clausius : Encore une fois, je pense qu’il y a eu un malentendu. Nous ne prétendons pas du tout qu’il y a eu une utilisation ou une consultation mal intentionnée de la Banque nationale de données génétiques, mais plutôt que le projet de loi actuel contient cette disposition qui permettrait la recherche par liens de parenté — c’est une première —, ce que nous trouvons problématique en raison des risques que cela comporte. Par ailleurs, il n’existe actuellement aucune loi au Canada qui empêche les autorités chargées de l’application de la loi de travailler en dehors du champ d’action de la Banque nationale de données génétiques. Même avec des restrictions, le fait d’autoriser la recherche par liens de parenté dans le contexte de la Banque nationale de données génétiques ne tient pas compte de la pratique actuelle, c’est-à-dire le fait d’effectuer des recherches en dehors de la Banque nationale de données génétiques, y compris dans des banques de données commerciales.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Ce projet de loi ne change pas la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui demeure aussi restrictive?
[Traduction]
Mme Clausius : Sauf qu’en autorisant la recherche par liens de parenté, vous modifiez la définition du caractère privé de...
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Vous n’avez pas de données sur les pays qui le font, pour déterminer s’il y a eu transgression de leur loi sur le renseignement privé?
[Traduction]
Mme Clausius : Je ne sais même pas comment, dans ce contexte, on pourrait quantifier la transgression de la protection des renseignements personnels d’une personne, sans parler des renseignements personnels de ses parents génétiques.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Bienvenue à nos témoins.
[Traduction]
Ma première question — et j’espère une réponse assez courte, si c’est possible — s’adresse à vous et à la Criminal Lawyers’ Association. Avez-vous des cas où la police utilise des renseignements génétiques conservés par des parties privées? Je parle de firmes qui offrent aux gens de retracer leurs origines lointaines.
M. Crawford : Oui. L’Association canadienne des chefs de police en a cité quelques-uns, dont l’affaire Jessop et la résolution récente des meurtres de Tice et Gilmour. Il y en a eu un dans le journal ce matin. Il s’agit d’une affaire vieille de 47 ans qui a été résolue en recoupant les renseignements de bases de données commerciales externes avec ceux de banques de données sur les consommateurs.
Le sénateur Dalphond : Pour la Criminal Lawyers’ Association, est-ce un problème, dans le sens où nous devrions avoir des infractions criminelles pour les entités privées afin de les empêcher de communiquer ces renseignements sans le consentement du client ou du fournisseur de ces renseignements? Parce que souvent, c’est gratuit.
Me DiGiuseppe : Je ne peux pas parler des politiques de consentement individuel de tous ces services commerciaux. Je pense que je serais d’accord si ce que vous dites c’est qu’il s’agit d’une question importante en matière de protection de renseignements personnels et que cela devrait être protégé par l’article 8 de la Charte lorsqu’une personne ne consent pas volontairement à ce type de saisie par les forces de l’ordre, ce serait quelque chose qui déclencherait des préoccupations constitutionnelles. C’est ce qui arrive dans d’autres cas où, dans la jurisprudence constitutionnelle, nous examinons les consentements que les personnes ont signés pour voir si elles ont consenti aux dispositions des forces de l’ordre afin d’établir si la police peut obtenir ces renseignements. Bien entendu, tout cela est aussi conditionnel au fait d’établir si la police obtient ces renseignements au moyen d’un mandat ou d’une demande.
Le sénateur Dalphond : Pour poursuivre dans cette voie, dans les cas que vous avez mentionnés, la police a-t-elle demandé et obtenu des autorisations judiciaires pour demander au détenteur de l’information de fournir cette information?
M. Crawford : Un mandat? Je n’ai pas connaissance que la police ait fait cela, non. Il n’est pas nécessaire d’obtenir un mandat.
Mme Clausius : Une autre question qui doit être abordée dans la discussion sur le consentement est le fait que ces banques de données sur les consommateurs sont pleines de profils donnés par des personnes qui ignorent dans une vaste mesure que leurs échantillons d’ADN pourraient être utilisés dans le cadre d’enquêtes criminelles et qui n’ont pas donné leur consentement à cet égard. En outre, leurs parents génétiques et leur progéniture — cela comprend la progéniture à venir — pourraient ne pas être considérés comme ayant donné leur consentement non plus.
Le sénateur Dalphond : Êtes-vous en train de dire que nous devrions ajouter une infraction criminelle à ce projet de loi? Parce qu’il s’agit d’un projet de loi sur le droit criminel, et il s’agit de l’ADN dans le système de droit criminel. Cela ne concerne pas des enjeux de protection des renseignements personnels.
M. Crawford : Vous pourriez interdire à la police d’utiliser l’analyse généalogique à des fins d’enquête, tout comme vous réglementez l’utilisation qu’elle fait de la Banque nationale de données génétiques.
Le sénateur Dalphond : Merci à vous deux.
Le sénateur Prosper : Merci à nos témoins.
On a utilisé un terme sur lequel j’aimerais obtenir des précisions. Je crois qu’il s’agissait de « discrimination génétique ». Je pense que c’est vous, monsieur Crawford, qui l’avez utilisé. Il y a également eu des observations relatives à la surreprésentation et à l’intrusion — en particulier selon des critères raciaux —, ainsi qu’aux données associées au bagage génétique, y compris les données médicales, physiques et mentales.
Pourriez-vous nous en dire plus au sujet de la discrimination génétique?
M. Crawford : Si la Banque nationale de données génétiques est ouverte aux recherches par liens familiaux, alors vous utilisez par définition toute cette population de profils comme critère de recherche, ce qui va faire en sorte que des personnes innocentes vont être régulièrement interrogées en tant que suspects potentiels. C’est une forme de discrimination si 40 % de la population carcérale est autochtone.
Le sénateur Prosper : Cette question va dans le sens de ce que j’ai mentionné précédemment. En ce qui concerne les inconvénients ou les effets indésirables de l’utilisation — ou de l’utilisation potentielle — de données physiques et mentales, y a-t-il des situations qui, selon vous, seraient inappropriées à cet égard également?
M. Crawford : Tout d’abord, je dois préciser que je ne pense pas que les données de la Banque nationale de données génétiques puissent révéler ces paramètres, mais que les sources externes le peuvent. Le laboratoire de Stephen Scherer, à Toronto, dispose d’éléments très probants qui établissent un lien entre des réseaux particuliers de génotypes et des prédispositions particulières à un certain nombre de maladies mentales. Si l’analyse généalogique ne se limite pas à l’identification et aux pedigrees, mais qu’elle permet de dire, par exemple, que cette personne a de bonnes chances d’être schizophrène — et ils sont presque rendus là —, on entre alors dans le domaine non seulement du génotype, mais aussi du phénotype, c’est-à-dire des attributs physiques et physiologiques.
Le sénateur Klyne : J’ai des questions à poser à M. Crawford et à M. Clausius. Dans le rapport soumis à ce comité, vous dites que certaines administrations provinciales, étatiques et locales utilisent déjà l’analyse des liens familiaux et de parenté en exploitant les kits et les sites commerciaux de recherche généalogique par ADN. Pouvez-vous nous dire si cette pratique est répandue au Canada?
M. Crawford : Le journal de ce matin en offre un bon exemple. Le meurtre de Mme Brazeau, qui a eu lieu il y a 47 ans, a été résolu grâce à l’analyse d’ADN qu’a effectuée un laboratoire américain appelé Othram, qui utilise une combinaison de ces microrayons à haute densité — ces puissants outils génétiques — pour les comparer à la généalogie soumise par des amateurs afin d’identifier le coupable. Le procès de Christine Jessop en est un autre exemple. L’année dernière, le service de police de Toronto a résolu les meurtres de Tice et Gilmour, une affaire qui traînait depuis 23 ans. Donc, oui, depuis le « Golden State Killer », la pratique gagne en popularité. De plus en plus de gens y ont recours. Il s’agit toujours d’un processus coûteux, et les affaires les plus compliquées et les plus problématiques sont celles qui bénéficient d’une priorité évidente.
Le sénateur Klyne : Étant donné que les entreprises de vente directe aux consommateurs qui utilisent une technologie fondée sur le polymorphisme mononucléotidique, ou SNP, relèvent souvent de la législation américaine, connaissez-vous les mesures de protection qui régissent l’intégrité et la confidentialité des profils génétiques, que ces mesures soient prises par l’entreprise ou les lois américaines?
M. Crawford : Non. Pour autant que je sache — je peux me tromper, et qu’on me corrige si j’ai tort —, la législation américaine porte sur l’utilisation des SNP dans le but d’offrir des conseils prédictifs en matière de santé. Par exemple, l’entreprise 23andMe s’est d’abord fait connaître non pas comme un outil de recherche généalogique, mais plutôt comme un moyen de savoir si une personne est prédisposée à développer le diabète ou la maladie d’Alzheimer. Les preuves n’étaient tout simplement pas assez convaincantes. Voilà pourquoi ce volet est réglementé.
Mme Clausius : Le problème de compétence est exacerbé par le fait que même si une entreprise est établie aux États-Unis, cela ne signifie pas que la banque de données se trouve là-bas. Elle est souvent conservée dans une troisième administration, par une tierce partie ou dans un autre pays.
La sénatrice Simons : J’ai une petite question à l’intention de Me DiGiuseppe. Dans le cas d’une personne qui a été déclarée non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux, voyez-vous un éventuel problème à lui exiger, alors qu’elle n’est peut-être pas encore en mesure de donner son consentement, de fournir un prélèvement génétique qui sera conservé à jamais? Il arrive qu’une personne commette un acte violent alors qu’elle est en pleine psychose, mais qu’elle se porte bien au moment du procès puisqu’elle prend ses médicaments. Or, il se peut que certains individus soient toujours incapables de donner leur consentement.
Me DiGiuseppe : En effet, il est fort probable que cette méthode soit perçue comme une violence étatique par la personne qui fait l’objet d’un prélèvement, surtout chez des gens qui, en plus de souffrir de paranoïa, auront une attitude particulière à l’égard des traitements forcés. Ils ont peut-être déjà subi un traitement forcé pour d’autres raisons et ont peut-être perdu le droit de prendre leurs propres décisions médicales, mais l’État les oblige maintenant à donner un échantillon de sang. Je pense en effet que l’expérience peut être très traumatisante pour une personne qui ne comprend pas ce qui se passe.
Lorsque nous obligeons à faire une telle chose des gens qui ont historiquement fait l’objet de discrimination et qui sont sensibles à l’idée d’un traitement forcé par l’État, nous devons voir les choses différemment qu’avec une personne qui comprend le processus. Je vous remercie de la question.
La sénatrice Simons : J’ai une question destinée à Mme Clausius. Vous avez dit une chose qui m’a frappée sur le plan philosophique. Il y a des années, alors que j’étais journaliste, j’ai couvert l’affaire d’un jeune contrevenant autochtone qui recevait une peine d’adulte, notamment en raison de l’analyse réalisée par un psychiatre qui l’avait examiné à l’hôpital, et qui affirmait qu’il était génétiquement prédisposé à la criminalité compte tenu de ses antécédents familiaux. À l’époque, j’ai rédigé un article dans lequel j’étais scandalisée par cette affaire terrible.
Je vous écoute, et j’entrevois un monde dans lequel les gens commenceront à considérer la criminalité comme une prédisposition génétique. Il y aura des familles qui seront perçues comme des foyers de criminalité. J’aimerais que vous abordiez, d’un point de vue philosophique, les dangers que représente, selon vous, l’adoption par notre culture d’une mentalité selon laquelle certaines familles portent une marque ou une tache d’emblée. Le mot « profilage » ne suffit même pas.
Mme Clausius : Je pense que cela revient à la préoccupation du sénateur Prosper concernant la discrimination génétique. C’est d’ailleurs ainsi qu’on définit la discrimination génétique. Ce qui est particulièrement urgent au sujet de la recherche familiale et de la désignation de familles et, par le fait même, de grandes communautés, de familles élargies et de localités comme étant plus susceptibles de commettre des crimes, c’est que cela va à l’encontre de l’esprit et probablement aussi des dispositions de la Loi canadienne sur la non-discrimination génétique.
Il y a un avantage de savoir que certains types de comportements criminels peuvent être attribuables aux gènes et aux profils épigénétiques. On peut ainsi avoir une approche plus humaine lors de la poursuite de crimes, par exemple, dans le cas de personnes qui souffrent d’une maladie.
Notre principale préoccupation est que la recherche familiale part du principe que les personnes qui appartiennent à des familles criminelles sont plus susceptibles de commettre elles-mêmes des crimes, et que leurs enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants sont par le fait même plus à risque de se retrouver dans la même situation...
La sénatrice Simons : C’est comme jeter une malédiction, au lieu d’affirmer que la personne vient peut-être d’un groupe qui a été historiquement désavantagé sur les plans économique et social, ce qui peut expliquer les antécédents criminels.
La sénatrice Batters : Je pense que ces familles se trouvent probablement déjà dans la base de données d’empreintes digitales.
Ma première question s’adresse à M. Crawford. L’utilisation par la police de l’ADN en dehors de la Banque nationale de données génétiques, ou BNDG, n’est pas régie par le projet de loi S-231, que nous étudions. Ce projet de loi ne modifie pas les protections de la vie privée entourant la banque. Dans votre mot d’ouverture, vous avez dit vouloir que des changements prudents et réfléchis soient apportés, mais le projet de loi ne parle pas des banques de données généalogiques comme 23andMe. Il régit uniquement l’utilisation de la BNDG avec toutes les protections importantes qui l’accompagnent. Ne pensez-vous pas qu’il s’agit là d’un écart important?
M. Crawford : Non. Quelle est l’utilité de légiférer l’utilisation de la BNDG à des fins familiales sans faire de même pour la solution de rechange évidente et plus puissante? On pourrait dire qu’en permettant les recherches familiales sur la BNDG, on pourrait réduire dans une faible mesure l’utilisation par les enquêteurs des groupes destinés aux consommateurs et d’autres groupes. Mais vous estimez qu’ils représentent toujours dans les deux cas une atteinte fondamentale à la vie privée des parents génétiques.
La sénatrice Batters : Or, la plupart des préoccupations que vous soulevez concernent des choses comme ces bases de données généalogiques qui n’offrent pas la même protection de la vie privée que la Banque nationale de données génétiques, qui est contrôlée par le gouvernement. N’y voyez-vous pas une différence significative?
M. Crawford : Je dirais qu’en ouvrant la BNDG aux recherches familiales, vous interrogerez expressément, de manière biaisée, des sous-populations précises de la population canadienne.
La sénatrice Batters : En ce qui concerne les recherches familiales, ce projet de loi les limite aux cas où l’ADN aurait dû être fourni à la Banque nationale de données génétiques à la suite d’une condamnation, et non à l’étape antérieure. Encore une fois, pensez-vous que cette disposition renforce la protection? Vous devriez être d’accord pour dire que la protection est accrue ici.
M. Crawford : Je serais horrifié si c’était au moment de l’entrée dans le système policier plutôt qu’au moment de la condamnation. Je sais qu’au début de la banque de données du Royaume-Uni — j’ai assisté à une conférence il y a 20 ans, alors qu’elle prenait de l’expansion bon gré mal gré —, il y avait un nombre étonnant d’erreurs d’identification et d’entrées en double dans le système, au point que les gens s’inquiétaient de son intégrité. Ce problème a été corrigé depuis.
La sénatrice Batters : Maître DiGiuseppe, de la Criminal Lawyers’ Association, j’aimerais savoir ce que vous pensez de ce dont j’ai discuté avec certains témoins précédents. J’aimerais connaître le genre d’affaires où ce type de BNDG, assorti de protections convenables, peut réellement aider en présence d’erreurs judiciaires. Nous voulons nous assurer qu’il n’y a pas de condamnations injustifiées ou, dans le cas contraire, que la situation soit rectifiée, comme dans l’affaire David Milgaard.
Me DiGiuseppe : Je pense effectivement qu’exclure des personnes innocentes est un avantage de la banque de données génétiques, mais auquel nous ne devons pas accorder trop d’importance. La banque de données génétiques pourrait cibler des personnes innocentes dont l’ADN se trouve sur la scène d’un crime qu’elles n’ont pas commis. Prenons l’exemple d’une personne qui a eu un rapport sexuel avec une victime avant un meurtre, dans les cas les plus horribles, ou d’une personne qui a eu le malheur de saigner du nez à l’endroit où un crime a été commis quelques heures plus tard. La technologie peut exclure des gens, mais risque aussi d’inclure des personnes innocentes si nous ouvrons la banque de données à un nombre croissant d’échantillons. Nous devons en être conscients. Ce n’est ni une panacée ni une solution simpliste.
La sénatrice Batters : Cela pourrait conduire à la production de preuves supplémentaires et à ce type d’explications qui innocentent les personnes. Si la personne était avec la victime, mais plus tôt, peut-être qu’elle fournira des informations supplémentaires pour aider à résoudre des crimes graves.
Me DiGiuseppe : Je pense qu’on ne tient pas compte de la nature souvent écrasante des preuves d’ADN dans le système judiciaire par rapport aux informations disculpatoires d’une personne, qui peuvent être considérées comme intéressées par la police, les membres du jury ou les juges.
C’est la conséquence que peut avoir la surreprésentation de certains groupes. Un plus grand nombre de personnes innocentes appartenant à certains groupes ethniques peuvent se retrouver mêlées à l’enquête sur les lieux d’un crime. C’est une chose dont nous devons également être conscients.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Bienvenue à nos trois témoins. Ma question s’adresse à vous trois, mais j’aimerais commencer avec Me DiGiuseppe.
Avez-vous eu la chance d’examiner les questions couvertes par le projet de loi S-231? Premièrement, il y a une interaction entre le fait qu’on inclut les adolescents dans le projet de loi S-231 et la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui interdit la discrimination sur le motif de l’âge.
Deuxièmement, on inclut dans le projet de loi les personnes qui auraient reçu un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux; il y a donc une interaction avec l’article 3 de la Loi sur les droits de la personne, qui parle de déficience. Est-ce qu’il y a dans le projet de loi un aspect de discrimination fondée sur la Charte des droits de la personne?
Si l’on se réfère à ce qu’ont dit les témoins Crawford et Clausius, il y a une possibilité de recourir à des banques qui permettent d’intervenir sur les caractéristiques génétiques, qui représentent aussi un motif interdit de discrimination. Le paragraphe 3(3) de la Loi sur les droits de la personne dit ce qui suit :
Une distinction fondée sur le refus d’une personne [...] de subir un test génétique [...] est réputée être de la discrimination fondée [...] »
Ma question s’adresse aux trois témoins. Merci.
[Traduction]
Me DiGiuseppe : Je remercie la sénatrice de sa question.
À première vue, on pourrait penser qu’il n’y a aucun problème de droits de la personne ici à l’égard des jeunes ou des personnes souffrant de troubles mentaux étant donné que nous les traitons de la même manière que les autres. Cette interprétation ne tiendrait pas compte du fait que la discrimination peut parfois résulter d’un traitement égalitaire des gens alors que leurs intérêts sont différents ainsi que les répercussions qu’ils subissent. Il s’agit d’une discrimination par suite d’un effet indésirable. Je pense que c’est ce à quoi votre question fait référence, et c’est l’un des principaux problèmes ici. Nous ne traitons pas vraiment les jeunes de la même manière, parce que leurs attentes raisonnables en matière de confidentialité de leur matériel génétique sont beaucoup plus élevées, simplement en raison de leur durée de vie, mais aussi du fait qu’ils n’ont pas, de la même manière, renoncé à leurs droits à la confidentialité et à leur matériel génétique en commettant un crime. Dans notre Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, et dans la jurisprudence, nous reconnaissons explicitement que les jeunes n’ont pas la même capacité de choix moral volontaire que les adultes en raison de leur âge de développement et de leurs capacités cognitives.
Je pense en effet qu’il existe aussi un problème de discrimination et de droits de la personne à l’égard des jeunes et des personnes handicapées. J’ai parlé en réponse à une question précédente de la façon dont le prélèvement d’ADN peut être vécu différemment, et je pense que cela va au-delà de l’acte physique de prélèvement pour une personne souffrant de troubles mentaux. Cela peut contribuer à une chose que la Cour suprême du Canada a reconnue, à savoir la douleur concrète que les personnes handicapées ont subie par des interventions médicales institutionnalisées ou systémiques au cours de leur vie et par la collecte de données.
Je vous remercie pour cette question aussi.
M. Crawford : Pour renforcer un point que Me DiGiuseppe a soulevé, un des problèmes de taille est l’espérance de vie des jeunes délinquants. À ma connaissance, il n’y a rien dans la loi qui exige que la BNDG utilise une technologie donnée. La BNDG est réglementée par un groupe consultatif, mais qui dit explicitement dans ses rapports annuels être ouvert à l’introduction de nouvelles technologies. Qui peut savoir de quoi il s’agira? À l’heure actuelle, je me risquerais à dire que le séquençage du génome en entier est aussi bon marché que le système de gestion de comparaison de profils d’ADN, ou CODIS, qui coûte peut-être 100 $. Le prix va diminuer, et il sera peut-être financièrement plus avantageux de procéder au séquençage du génome entier, qui englobe un grand nombre d’informations. Peu importe le degré de protection de la vie privée; dès que l’on se lance dans des recherches familiales, on ouvre une énorme boîte de Pandore. L’insidieuse technologie est une préoccupation.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Clement : Je vous remercie tous les trois de votre témoignage, de votre travail et de vos recherches.
J’aimerais poursuivre sur la même voie que le sénateur Prosper au sujet de la surreprésentation des Noirs et des Autochtones, un problème que nous reconnaissons tous, mais pour lequel nous n’arrivons pas à élaborer un plan cohérent, conséquent ou musclé pour en aborder les nombreuses facettes.
Monsieur Crawford et madame Clausius, vous avez rédigé conjointement en 2022 un billet sur le blogue Impact Ethics, dans lequel vous dites que la croissance des bases de données d’ADN risque de légaliser les pratiques discriminatoires. La Banque nationale de données génétiques du Canada contient déjà un nombre disproportionné de groupes vulnérables plus susceptibles d’être incarcérés. Vous avez dit la même chose aujourd’hui. J’aimerais savoir si la Loi sur la non-discrimination génétique, dans sa forme actuelle, protégera réellement les gens. Si nous adoptons les modifications proposées ici au projet de loi, devrons-nous alors modifier la Loi sur la non-discrimination génétique? Comment pouvons-nous renforcer les protections si nous adoptons une telle mesure?
J’aimerais que vous parliez également du fait que le projet de loi prévoit la rétention des dossiers, qui complique la réintégration des personnes. C’est également une source de préoccupation. Je vous prie d’aborder ces enjeux.
Mme Clausius : Je dirai simplement que la Loi sur la non-discrimination génétique n’a pas été conçue en fonction du système de justice pénale, mais plutôt pour protéger les Canadiens, en particulier dans les contextes de l’emploi, de l’assurance et de la santé. Je ne sais pas si une disposition précise de cette loi s’appliquerait à ce cas particulier.
Voulez-vous parler de la rétention des dossiers, monsieur Crawford?
M. Crawford : Je trouve que l’idée de fixer un délai de rétention est excellente et juste puisque la composition de la société évolue au fil du temps; les comportements des gens changent avec le temps.
Je pense que si ces changements étaient apportés, vous vous retrouveriez un jour avec une contestation devant la Cour Suprême en vertu de la Loi sur la non-discrimination génétique, et probablement aussi de l’article 8 de la Charte, du moins dans le cas de la recherche familiale. En effet, si vous deviez accepter la recherche familiale, vous pourriez sans doute violer le droit de ne pas être soumis à une recherche arbitraire.
La sénatrice Clement : Vous avez dit que les risques n’ont pas été suffisamment étudiés. Que suggérez-vous d’étudier? De quels risques parlons-nous? Que faut-il faire?
Mme Clausius : Nous pourrons parler des risques précis dans un instant, mais ce qui est crucial, c’est que la technologie progresse si rapidement que notre connaissance des types de renseignements génétiques et épigénétiques qui sont conservés et rendus accessibles est en retard par rapport à notre utilisation pratique des profils d’ADN. Il n’est donc pas possible de connaître tous les risques, et encore moins de commencer à les étudier. Et ces risques ne feront que s’aggraver au fur et à mesure que la technologie progressera.
M. Crawford : Votre comité a même demandé au ministère de la Justice de mener une étude en 2010, ce qui n’a pas été fait.
Parmi les personnes que nous avons interrogées — nous avons reçu de nombreuses suggestions —, Clayton Ruby, peu avant sa mort, a proposé qu’une chose comme la recherche familiale ne soit possible qu’avec l’approbation d’un juge d’une cour supérieure, ce qui la soustrait du pouvoir discrétionnaire des superviseurs de la BNDG et garantit une rigueur vraiment stricte.
Je ne mets pas du tout en cause l’intégrité du fonctionnement d’hier et d’aujourd’hui, mais les gouvernements et les mentalités changent, et je pense qu’il serait prudent de mettre en place des protections.
Mme Clausius : Très brièvement, pour autant que je sache, l’analyse des risques s’est largement concentrée sur les risques individuels et les préoccupations en matière de vie privée. Ce qui est essentiel dans le domaine de la recherche familiale et dans les études généalogiques du secteur commercial, c’est d’évaluer la mesure dans laquelle les protections individuelles et la vie privée sont réellement logiques dans ces contextes.
M. Crawford : Collectivement.
Le président : Il est pratiquement 13 h 45, ce qui est notre heure limite. Avec votre indulgence et votre accord, chers collègues, je vais mettre fin à la séance.
Je tiens à remercier M. Crawford, Mme Clausius et Me DiGiuseppe de s’être joints à nous et d’avoir eu une conversation très animée et captivante avec nos collègues du Sénat.
Nous poursuivrons l’étude de ce projet de loi jeudi, après la pause. Nous avons une journée de travail consacrée à la législation sur l’abrogation des lois, que nous ferons mercredi après la pause, après quoi nous reviendrons à ce projet de loi.
Vous vous souviendrez peut-être que le sénateur Carignan sera parmi nous, et qu’il sera notre premier témoin ce jour-là pour la suite de l’étude du projet de loi.
Chers collègues, je vous remercie de vos échanges dynamiques avec nos témoins.
(La séance est levée.)