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NFFN - Comité permanent

Finances nationales


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 26 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 h 1 (HE), pour étudier toute question concernant les prévisions budgétaires du gouvernement en général et d’autres questions financières, et pour étudier le Budget supplémentaire des dépenses (B) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2025.

Le sénateur Claude Carignan (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Avant de commencer, j’aimerais demander à tous les sénateurs et aux autres participants qui sont présents en personne de consulter les cartes sur la table pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés au retour de son. Veuillez tenir votre oreillette éloignée de tous les microphones à tout moment. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cet effet.

Merci à tous de votre coopération.

Bienvenue à tous les sénateurs et sénatrices ainsi qu’aux Canadiens qui se joignent à nous et nous regardent sur sencanada.ca. Mon nom est Claude Carignan. Je suis un sénateur du Québec et je suis président du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

Je demanderais à mes collègues de se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Loffreda : Bienvenue. Je suis le sénateur Tony Loffreda, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Ross : Krista Ross, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice MacAdam : Jane MacAdam, de l’Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.

[Français]

Le président : Pour la première partie de notre réunion d’aujourd’hui, nous entendrons des représentants du Bureau de l’ombud de l’approvisionnement, qui nous donneront un aperçu des pratiques fédérales en matière de marchés publics et répondront à nos questions soulevées dans le Rapport no 5 de la vérificatrice générale concernant les contrats de services professionnels.

Nous souhaitons la bienvenue à M. Alexander Jeglic, ombud de l’approvisionnement, et à M. Derek Mersereau, directeur, Demandes de renseignements, d’assurance de la qualité et de gestion des risques.

Bienvenue à vous deux. La parole est à vous pour une courte introduction. Par la suite, nous aurons une période de questions.

[Traduction]

Alexander Jeglic, ombud de l’approvisionnement, Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement : Je souhaite commencer en soulignant que les terres sur lesquelles nous sommes réunis font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishnaabe.

[Français]

Je remercie le président et les membres du comité de m’avoir invité aujourd’hui pour jeter une lumière sur les constatations du rapport de mon bureau sur les pratiques d’approvisionnement relatives aux contrats attribués à McKinsey & Company.

[Traduction]

Je suis accompagné aujourd’hui de Derek Mersereau, directeur de l’assurance de la qualité et de la gestion des risques. M. Mersereau était l’examinateur principal du rapport McKinsey.

[Français]

Puisque c’est la première fois que je comparais devant votre comité, j’aimerais vous donner un aperçu de mon bureau et son mandat.

[Traduction]

Mon bureau exerce ses activités de façon indépendante des autres organisations fédérales, y compris Services publics et Approvisionnement Canada, ou SPAC. Je soumets un rapport annuel au ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, qu’il doit déposer au Parlement, mais le ministre n’a aucune influence sur les résultats de mes examens ou de mes rapports, et toutes mes activités sont menées indépendamment de SPAC et des autres organisations fédérales.

[Français]

Je suis à la tête d’une organisation neutre et indépendante; mon mandat législatif comprend l’examen des pratiques d’approvisionnement des ministères fédéraux pour évaluer l’équité, l’ouverture et la transparence ainsi que la conformité aux lois, politiques et lignes directrices. C’est ce qui nous a guidés lors de notre examen de McKinsey.

[Traduction]

Avant de se pencher sur les constatations de mon bureau en ce qui concerne McKinsey, je voudrais profiter de cette chance pour communiquer ma frustration envers l’état actuel de l’approvisionnement fédéral. En clair : le système de l’approvisionnement fédéral a besoin d’une réforme urgente de plusieurs éléments clés. Mon rapport annuel, qui a été déposé devant le Parlement en octobre 2024, s’intitule Agissons maintenantet souligne ce sentiment.

Je suis sincèrement reconnaissant du temps et de l’intérêt que votre comité a dédié à l’examen de McKinsey. Toutefois, je dois souligner que ce qui est arrivé avec McKinsey est le symptôme d’un système brisé, et mon bureau cerne les mêmes problèmes d’une année à l’autre et d’un rapport à l’autre. Néanmoins, je garde espoir que le temps est venu d’apporter des modifications significatives à partir de maintenant.

[Français]

Passons maintenant à McKinsey. Le 3 février 2023, la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement m’a demandé d’effectuer un examen des contrats attribués à McKinsey & Company. Une fois que mon bureau a pu établir des motifs raisonnables de le faire, conformément à nos exigences réglementaires, j’ai lancé l’examen le 16 mars 2023 et il a pris fin le 15 mars 2024, conformément à l’échéance réglementaire.

[Traduction]

Mon bureau a examiné les dossiers d’approvisionnement relatifs à 32 contrats et à une offre à commandes principale et nationale, ou OCPN, attribués dans le cadre de processus d’approvisionnement concurrentiels et non concurrentiels afin d’en évaluer l’équité, l’ouverture et la transparence ainsi que la conformité aux exigences législatives, réglementaires, stratégiques et procédurales.

SPAC était le ministère responsable de 23 contrats et de l’OCPN. Les neuf autres contrats ont été attribués par d’autres ministères en vertu de leurs propres pouvoirs de passation de marchés.

L’examen a écarté les contrats hors de notre mandat, comme ceux attribués par les sociétés d’État. Je veux mettre l’accent sur cette distinction puisque, contrairement au mien, le mandat de la vérificatrice générale comprend les sociétés d’État.

En ce qui concerne les pratiques d’approvisionnement concurrentiel ayant mené à l’attribution des contrats, mon bureau a relevé des cas où les stratégies d’approvisionnement ont été modifiées pour permettre la participation de McKinsey au processus d’approvisionnement, ce qui a créé une perception de favoritisme envers McKinsey.

Nous avons également observé des lacunes liées à l’évaluation des soumissions dans de nombreux dossiers, notamment des documents manquants ou incomplets, l’absence d’évaluation selon l’approche prévue et la réévaluation inappropriée des soumissions, ce qui a conduit à considérer la soumission de McKinsey comme la seule qui était conforme.

Mon bureau a également relevé des lacunes liées aux autorisations de sécurité du personnel, y compris le manque de documentation pour montrer que les autorisations de sécurité des ressources proposées ont été vérifiées avant qu’elles ne soient autorisées à travailler ou pour confirmer que les contrats ont été envoyés au Programme de sécurité des contrats de SPAC au besoin.

En ce qui concerne les contrats attribués dans le cadre de pratiques d’approvisionnement non concurrentiel, nous avons conclu que la justification du recours à un fournisseur unique utilisée par SPAC pour établir l’OCPN pour les services d’analyse comparative de McKinsey ne contenait pas les renseignements requis pour justifier le recours à cette offre à commandes à fournisseur unique. Dix-neuf contrats, connus sous le nom de commandes subséquentes, d’une valeur totale de près de 49 millions de dollars, ont été attribués à McKinsey sans concurrence en fonction de cette offre à commandes.

Nous avons également conclu que, de façon générale, les commandes subséquentes en fonction de l’OCPN pour les services d’analyse comparative de McKinsey ne comportaient aucune description des travaux propres que McKinsey devait effectuer et par extension, indiquaient un manque de surveillance adéquate de SPAC. Dans ces dossiers, rien n’indiquait qu’un énoncé des travaux avait été élaboré avant que la stratégie d’approvisionnement ne soit établie ou avant qu’on fasse appel à McKinsey pour le marché. Dans ces circonstances, il était impossible pour mon bureau de déterminer dans quelle mesure McKinsey a défini les besoins de ces ministères, ce qui menace gravement l’équité du processus d’approvisionnement.

Toutes les commandes subséquentes émises en fonction de l’OCPN pour les services d’analyse comparative de McKinsey n’étaient pas concurrentielles, mais la majorité de ces commandes subséquentes n’avaient pas non plus de justification du recours à un fournisseur unique. À titre de ministère responsable de ces approvisionnements, SPAC n’a pas cherché à obtenir ces justifications du recours à un fournisseur unique. Au total, 18 des 19 commandes subséquentes non concurrentielles ont été attribuées par SPAC sans justification au dossier.

Nous avons également relevé des renseignements contradictoires concernant l’utilisation de l’OCPN pour les services d’analyse comparative de McKinsey pour les commandes subséquentes ayant des exigences en matière de sécurité.

Mon bureau a également examiné les pratiques liées à la transmission des modifications de contrat et d’autorisations de tâches à McKinsey.

Dans l’ensemble, les modifications de contrat étaient appropriées et conformes à la politique et aux lignes directrices, mais plusieurs problèmes ont été relevés, y compris un cas où la modification du contrat ne figurait pas au dossier.

Nous avons également examiné les pratiques liées à la divulgation de l’attribution des contrats. Dans la plupart des cas, les divulgations nécessaires ont été faites sur le site Web de divulgation proactive, mais nous avons relevé des problèmes en ce qui concerne l’exactitude des renseignements divulgués. Dans plus de 70 % des cas, les renseignements fournis contenaient des inexactitudes.

[Français]

Au total, j’ai fait cinq recommandations qui ont toutes été acceptées par les ministères concernés. Il convient également de noter que Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) a accepté la plupart des constatations des rapports, mais a contesté certaines observations. SPAC a convenu que les dossiers devraient contenir des documents qui décrivent les décisions, mais a contesté ce qui lui semble être des observations fondées sur des hypothèses et des interprétations différentes de celles qu’il a lui-même formulées. Nous ne sommes pas d’accord avec les caractérisations de SPAC.

[Traduction]

Je vous remercie de vous intéresser à ce rapport. J’espère qu’en soulignant ces problèmes précis, nous pourrons apporter les réformes nécessaires pour réparer le système de l’approvisionnement fédéral. Il est maintenant temps d’agir.

Je serai heureux de répondre à vos questions. Merci.

[Français]

Le président : Merci. Nous allons commencer par la ronde des questions.

[Traduction]

Le sénateur Smith : Messieurs, merci d’être parmi nous ce matin, et merci de votre déclaration liminaire.

Compte tenu des problèmes systémiques que vous avez mentionnés dans vos audits précédents, comme la documentation incomplète, croyez-vous que les mesures décrites dans votre rapport vont restaurer la confiance et l’intégrité dans le système d’approvisionnement fédéral? Que fait-on lorsque vous formulez des recommandations?

M. Jeglic : Je vais répondre de deux façons. Tout d’abord, je pense que les recommandations sont un premier pas dans la bonne direction pour régler les problèmes. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire, il y a des problèmes systémiques plus vastes qui vont au-delà de la société McKinsey. Cela dit, lorsque nous faisons ces signalements d’ordre systémique, nous ne détournons jamais l’attention. Deux ans après la formulation des recommandations, nous nous rendons dans les mêmes ministères qui ont fait l’objet d’un examen pour vérifier si les recommandations ont été appliquées avec succès.

Le sénateur Smith : Cela étant dit, avez-vous eu la chance de vous faire une première idée quant à savoir si les recommandations ont été mises en œuvre ou non?

M. Jeglic : Ce n’est pas quelque chose que nous évaluons à l’extérieur du processus de production de rapports. Nous savons que SPAC a pris certaines mesures, et il arrive parfois que le ministère attire directement notre attention sur ces mesures, mais nous ne nous prononçons pas sur ces mesures avant de préparer le rapport de suivi.

Le sénateur Smith : Qu’est-ce qui a retenu votre attention à ce moment-là?

M. Jeglic : J’ai beaucoup mis l’accent sur les changements fondamentaux qui s’imposent. En même temps que l’examen, nous essayons de cerner cinq changements fondamentaux nécessaires, dont deux qui ont été soulignés dans notre rapport annuel.

Je sais que les gens de SPAC ont comparu devant le comité la semaine dernière, et ils ont parlé de quelque chose qui me tient à cœur, à savoir le cadre de gestion du rendement des fournisseurs. Si on réussit à le mettre en place, pas seulement au ministère — et c’est une distinction... Ils parlaient de la mise en œuvre au sein du ministère, ce qui est très important et un excellent premier pas dans la bonne direction. Cependant, ce qu’il nous faut, c’est un système pangouvernemental. C’est comme si en arrière-plan, le système n’était actuellement pas appliqué. On ne dit pas si la performance des fournisseurs est bonne, mauvaise ou autre, et par conséquent, les mauvais fournisseurs peuvent continuer de décrocher des marchés publics.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Merci de votre présence ce matin.

Vous avez demandé davantage de ressources dans votre rapport annuel de 2023-2024. Vous avez mentionné que votre budget est stationnaire depuis 15 ans. Pourriez-vous nous parler de la grosseur de votre équipe, soit le nombre d’employés que vous avez, et nous dire si vous avez des difficultés actuellement à remplir votre mandat avec le budget que vous avez?

[Traduction]

M. Jeglic : Merci beaucoup de la question. Je vais parler volontiers d’un problème de ressources. Lorsque nous avons préparé le rapport annuel, nous avions 31 employés et un budget d’environ 4,1 millions de dollars. Ces chiffres n’ont pas changé depuis que notre organisation existe. Il n’y a donc pas eu de changement depuis plus de 15 ans. Ce que nous avons dû faire lorsqu’on nous a demandé de faire des examens systémiques comme le rapport sur McKinsey, c’est demander un financement ponctuel, que nous avons obtenu.

Cela dit, la difficulté ici — le bémol —, c’est que nous ne pouvons pas engager d’employés à temps plein compte tenu du financement ponctuel. Il devient alors presque impossible de mettre sur pied une équipe composée de personnes qui ont les compétences nécessaires. Nous sommes reconnaissants d’obtenir le financement ponctuel, mais c’est un lourd fardeau à porter pour les personnes dans le système qui font actuellement partie de notre organisation.

Cela dit, je pense que les besoins de notre organisation n’ont jamais été aussi importants. Je crois que nous voyons des résultats concrets. Au bout du compte, ce que nous essayons d’accomplir, c’est régler concrètement les problèmes et mieux faire fonctionner le système. Lorsque quelqu’un communique avec notre bureau, ce que nous essayons de faire, c’est régler ses problèmes de la manière la plus efficace possible. Nous voyons beaucoup d’exemples de réussite.

Je pense que, de plus en plus, si vous regardez le rapport annuel, vous verrez à quel point le nombre de dossiers a augmenté au cours des cinq à six dernières années. Nous sommes passés de 200 dossiers en 2017-2018 à 580 dossiers en 2023-2024. Nous nous attendons peut-être à dépasser ce chiffre cette année. Le nombre de dossiers a donc doublé. C’est ce que nous voulons voir, car nous savons que nous n’avons pas l’occasion d’interagir avec toutes les personnes qui ont besoin de nos services parce que personne ne sait que nous sommes là.

Une partie du problème consiste à veiller à ce que les gens sachent que notre bureau existe pour que nous puissions leur offrir les services. Parmi ces services, il y a le règlement extrajudiciaire des différends. En cas de conflit dans un contrat fédéral, on peut recourir à nos services et aider à résoudre le différend presque sans frais pour les parties. Cela donne d’excellents résultats. De plus en plus de ministères commencent à se rendre compte qu’ils peuvent s’en servir à leur avantage et résoudre des problèmes à faible coût.

Nous n’avons pas les ressources à cette fin. Nous voulons encourager les gens à utiliser nos services de règlement extrajudiciaire des différends, mais en même temps, nous avons besoin de médiateurs internes pour les offrir. C’est ici que le financement pose problème. Je ne veux jamais me retrouver dans une position où je dois comparaître devant un comité et dire que je ne peux pas offrir de services de médiation lorsqu’on nous le demande à cause d’un manque de fonds.

Le sénateur Dalphond : Mais je pense que le rôle principal d’un ombud consiste à offrir des services comme la médiation, à aider les gens à vérifier les renseignements et régler les problèmes pour qu’ils puissent aller de l’avant. Ce que vous avez fait dans le cas de McKinsey s’apparente plus à un audit interne du système. Est-ce une chose pour laquelle vous avez tous les outils nécessaires? Car c’est différent du rôle joué par un ombud qui règle les problèmes. Dans ce cas-ci, vous n’avez pas reçu une plainte d’un fournisseur qui n’a pas été choisi.

M. Jeglic : C’est une juste appréciation de la situation. Notre mandat provient toutefois d’une loi, à savoir la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, et du règlement concernant l’ombudsman. Les deux prévoient des examens systémiques qui s’apparentent à des audits. Donc, absolument, l’examen concernant McKinsey fait partie de notre mandat, et le défi est là. Notre mandat comprend différents volets qui nécessitent tous une expertise différente. Nous faisons de notre mieux avec les ressources existantes pour que tout le monde reçoive une formation polyvalente afin de pouvoir respecter chaque aspect de notre mandat.

Je me permets de dire que notre bureau est excellent. Nos 31 employés sont exceptionnels, et ils travaillent sans relâche. C’est la troisième fois que nous demandons des ressources financières. J’espère qu’on prend la demande au sérieux et que nous allons les obtenir cette fois-ci. Merci d’avoir posé la question.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup. Je pense que le sujet que nous abordons aujourd’hui est extrêmement important. Quiconque suit ce que se produit aux États-Unis avec la société McKinsey sait que ce conflit d’intérêts est au cœur d’une influence très profonde, et ce n’est pas bon pour les gens.

Je m’intéresse aux aspects systémiques dont vous avez parlé. Je sais que vous avez demandé plus de fonds, et je pense que c’est simple. C’est bien étayé à cause de ce que vous venez tout juste de dire sur le nombre de dossiers. Je veux toutefois comprendre à quel point la situation dans le dossier de McKinsey est grave par rapport à la situation américaine. Nous savons que la société McKinsey consultait l’industrie pharmaceutique en même temps qu’elle consultait la Food and Drug Administration. Avons-nous la même situation ici?

M. Jeglic : C’est une question légitime, mais nous n’avons pas fait d’analyse pour comparer ce qui s’est produit aux États‑Unis et ce qui s’est produit au Canada. Je serais heureux de faire référence à ce qui se trouve dans notre rapport, mais je ne voudrais pas formuler d’hypothèses sur des aspects que nous n’avons pas examinés de manière approfondie.

La sénatrice Galvez : Vous parlez de situations systémiques. Je pense que nous traitons encore beaucoup de nos problèmes en vase clos. Vous êtes l’auditeur. Vous vous contentez de regarder l’argent. Y a-t-il quelqu’un qui se penche sur l’éthique?

M. Jeglic : Nous ne sommes pas techniquement l’auditeur. Nous faisons un examen général. Nous nous penchons sur les pratiques en matière d’approvisionnement dans le cadre des examens systémiques. Il est très important de faire une distinction entre notre rôle et celui de la vérificatrice générale. Nous cherchons les pratiques qui doivent être améliorées ou corrigées à la suite de ces examens systémiques. Nous en soulignons plusieurs. Nous avons fini par observer une perception de favoritisme envers un fournisseur précis, et une partie de ce que vous dites fait ressortir un conflit d’intérêts. C’est une chose que la vérificatrice générale du Canada a mise en évidence dans son rapport. C’est aussi quelque chose que nous avons vu. À quatre reprises, les évaluateurs n’ont pas parlé d’un conflit d’intérêts de manière générale. C’est un problème systémique qui va au-delà de McKinsey.

À notre avis, c’est un problème important, et c’est quelque chose que je prends très au sérieux et qui cadre avec votre question sur l’éthique. Lorsque j’en ai l’occasion, je parle du volet concernant l’éthique, et je parle de l’importance de l’intégrité du processus. Comme l’a dit un de vos collègues, si nous perdons l’intégrité dans le système, nous allons également perdre des participants. C’est la raison pour laquelle notre bureau a été conçu, c’est-à-dire faire en sorte que le système est équitable.

Le manque de concurrence est l’une de nos constatations troublantes du point de vue systémique. Lorsqu’il y a un concours, dans 32 à 36 % des cas, un seul soumissionnaire participe. On suit tout le processus technique pour faire un concours, et il n’y a qu’un seul soumissionnaire. On perd tous les avantages liés aux prix concurrentiels et aux différentes propositions puisqu’il n’y a qu’un seul soumissionnaire. Il y a de nombreuses raisons à cela, y compris la complexité du système, et c’est pourquoi je préconise vraiment d’apporter des changements.

C’est en partie de là que provient la frustration. On peut regarder les rapports déposés il y a 10, 15 ou 20 ans, les lire et y inscrire la date d’aujourd’hui, car ils sont encore pertinents. C’est à ce moment-là que la frustration est à son comble. C’est la raison pour laquelle je refuse de quitter mon poste avant que le système soit amélioré. C’est la raison pour laquelle j’en suis à ma sixième année et bientôt à ma septième dans mes fonctions, et je suis persuadé que c’est le moment de remplacer l’auto. Je me sers souvent de l’analogie de l’auto. Notre bureau est conçu pour faire des réparations, des mises au point, mais nous ne pouvons pas remplacer le véhicule.

Le volume d’affaires qui sont menées à l’échelle fédérale — à lui seul, SPAC effectue des transactions qui totalisent 25 milliards de dollars chaque année à l’échelle fédérale... Lorsqu’on utilise les mauvais outils pour s’acquitter d’une telle charge de travail, l’inefficacité est importante. Une fois de plus, je mentionne que mes collègues à SPAC travaillent certainement avec diligence pour combler les lacunes, mais je pense toutefois que les changements fondamentaux sont nécessaires, et je crois que c’est ce que vous cherchez à faire.

Le sénateur Loffreda : Bienvenue, monsieur Jeglic, et merci de vous être joint à nous. J’aimerais aborder un autre sujet. Le mois dernier, j’ai posé au représentant du gouvernement au Sénat des questions sur son projet pilote de politique sur la gestion du rendement des fournisseurs. Plus tôt cet été dans votre rapport annuel, vous avez demandé la mise en place d’un programme de gestion du rendement des fournisseurs pour faire un suivi de l’information sur le rendement de ces organisations. Comme vous, je pense qu’un tel programme pourrait offrir des avantages importants à tous les ministères fédéraux. Nous avons beaucoup parlé de la société McKinsey, mais c’est un fournisseur.

Je me demande si vous pourriez en dire plus sur cette recommandation. Je sais, par exemple, que vous pensez également qu’un nouveau poste de dirigeant principal des achats pourrait contribuer à la création et à la mise en œuvre d’un système de gestion du rendement des fournisseurs. J’aimerais vraiment que vous en disiez plus sur ces deux idées.

M. Jeglic : Je vous remercie de la question, et de me donner l’occasion d’en parler parce que je pense que c’est un aspect fondamental du système qui est actuellement inefficace. Il y a le processus d’attribution, qui fait l’objet d’une attention considérable. Cela fait partie de l’examen de McKinsey. Le processus est presque entièrement axé sur l’attribution jusqu’à la désignation du fournisseur, mais après la sélection du fournisseur, les choses changent. C’est une dynamique où il n’y a qu’un nombre limité de parties... Le fournisseur ultime qui a obtenu le contrat et l’acheteur gouvernemental, et ces discussions sont confidentielles.

Le cadre de gestion du rendement des fournisseurs permettra d’ajouter un outil d’évaluation pour déterminer si le gouvernement a réellement obtenu les biens et services ou la construction comme prévu. Un mauvais fournisseur ne devrait pas être autorisé à se réengager dans le système sans conséquence. Actuellement, ces fournisseurs ne subissent aucune répercussion. Ils peuvent passer d’un ministère à l’autre même s’ils affichent un piètre rendement. Je ne parle pas des fournisseurs qui sont exclus du processus, mais de ceux qui ne livrent pas les résultats promis dans le cadre des contrats fédéraux. Une telle situation a un effet pervers sur le processus d’attribution des contrats parce que les gens connaissent les mauvais fournisseurs, mais tout se fait par bouche-à-oreille. C’est aussi inapproprié. Ainsi, les gens établissent des restrictions techniques dans les exigences relatives aux contrats afin d’éviter un fournisseur en particulier. Par conséquent, la concurrence est limitée. On tente peut-être d’éviter de travailler avec un seul fournisseur, mais en conséquence, on invalide également la possibilité que d’autres fournisseurs participent au processus.

De même, il y a d’excellents fournisseurs dans la chaîne d’approvisionnement qui veulent être récompensés pour leurs bons services, et il faut les encourager. Par conséquent, le rendement des fournisseurs peut également favoriser les bons comportements, les récompenser et leur donner un avantage dans le cadre des occasions subséquentes. De cette façon, tout le monde est incité à bien se comporter.

De plus, la communication est nécessaire. Pour que la gestion du rendement des fournisseurs soit efficace, les parties doivent communiquer. Ainsi, on est au fait des problèmes au fur et à mesure qu’ils se produisent plutôt que lorsqu’il est trop tard et que l’on se retrouve en situation de manquement, par exemple, et qu’on ne peut pas renoncer à ce fournisseur parce qu’on a besoin de ses biens ou services; on entretient alors une relation défaillante. Le rendement des fournisseurs contribue à résoudre ce problème. Je crois que c’est l’élément le plus important; il est essentiel.

Vous avez également parlé du dirigeant principal de l’approvisionnement et des raisons pour lesquelles il est important, à mon avis. Je sais que le gouvernement a l’habitude de créer un nouveau bureau ou un nouveau poste lorsqu’il y a un problème. C’est différent ici, parce qu’il faut quelqu’un pour gérer le cadre de gestion du rendement des fournisseurs à l’échelle du gouvernement. À l’heure actuelle, SPAC met à l’essai un tel cadre au sein du ministère, que nous saluons et dont nous sommes heureux de voir les progrès. Cependant, c’est une pièce du casse-tête, parce qu’il y a plus de 90 ministères et organismes qui gèrent eux aussi les approvisionnements et qui ne feront pas partie de ce cadre de rendement. Comment pouvons‑nous intégrer cet univers? Qui sera responsable d’assurer la parité entre tous ces ministères et organismes? Parce que si l’un d’entre eux a des exigences très strictes alors que l’autre a très peu d’exigences, on se retrouvera avec des notes concurrentes.

Pour tout vous dire, on nous a également demandé d’assurer le règlement des différends dans le cadre de gestion du rendement des fournisseurs proposé par SPAC. Nous aimerions beaucoup assurer ce rôle, parce que nous voyons cela comme un outil fondamental pour améliorer le système administratif à un moment où l’efficacité fiscale est importante. Cela permettrait d’accroître l’efficacité financière du processus. Les fournisseurs sont en faveur d’une telle mesure; personne ne s’y oppose. C’est un outil essentiel qui fait défaut.

Le sénateur Loffreda : Merci.

La sénatrice MacAdam : Dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit que tous les problèmes, que ce soit ceux désignés dans votre rapport ou dans le rapport de la vérificatrice générale — et dans tous les rapports d’audit interne, je présume —, sont des symptômes d’un système brisé. J’aimerais parler du travail que vous faites et des recommandations que vous formulez.

Je crois comprendre que vous faites un suivi après deux ans. J’aimerais parler des outils dont vous disposez pour faire ces suivis, et dont vous avez parlé brièvement. De plus, malgré toutes ces recommandations, j’ai l’impression que les problèmes d’approvisionnement du gouvernement fédéral se perpétuent au fil des années. Je sais que dans le cas du vérificateur général, on peut boucler la boucle de la reddition de comptes, parce que le Comité permanent des comptes publics est saisi de toutes les recommandations. Le dialogue se poursuit et les ministères sont mis sur la sellette. Y a-t-il un comité permanent à la Chambre ou un mécanisme en place pour que les recommandations que vous faites — et que vous avez faites à maintes reprises — ne tombent pas dans l’oubli?

M. Jeglic : Je vous remercie de la question. Nous comparaissons fréquemment devant le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires de la Chambre des communes et il y a certainement une reddition de comptes associée aux recommandations que nous formulons. Le problème, ce n’est pas que les recommandations sont évitées, mais elles doivent être formulées dans le contexte d’un examen systémique. Pour McKinsey, le mandat se limitait à McKinsey. Ce que nous disons, c’est que certains des enjeux que nous avons désignés dans le cadre de cet examen en particulier sont de nature systémique et ont été relevés dans le cadre d’autres examens. Nous ne voulons pas dire que c’est propre à McKinsey.

Aussi, même si les ministères mettent en œuvre des processus pour s’améliorer afin de pouvoir répondre aux recommandations, cela ne règle toujours pas le problème plus large. Ce sont des solutions de fortune, et c’est pourquoi le travail de notre bureau vise aussi la transition vers ce que nous décrivons comme des changements fondamentaux, parce que le système doit être remplacé. On lui demande de faire des choses qu’il ne peut plus faire, mais on continue de trouver des solutions à court terme et de lui dire d’en faire plus, et de le faire différemment.

J’aimerais aussi aborder la question des règles, pour terminer. Ce qui rend la situation très difficile, c’est que ces règles ne sont pas claires, et qu’il y a de nombreux ensembles de règles. On demande aux gens de comprendre ces ensembles assez complexes pour faire leur travail, et on parle ici des postes du niveau d’entrée jusqu’aux niveaux supérieurs.

Je travaille dans le domaine de l’approvisionnement depuis plus de 20 ans et parfois, il m’est impossible de comprendre ce qui est demandé dans un document d’appel d’offres. Vous pouvez vous imaginer un fournisseur qui tente d’accéder à un contrat du gouvernement fédéral pour la première fois, et qui constate qu’il s’agit du système par lequel il devra passer. Il aura une décision financière à prendre : est-ce que je veux participer à ce système ou non?

Je pense qu’une partie de mon rôle consiste à m’assurer que la réponse est toujours « oui ». Encore une fois, SPAC offre un programme très intéressant appelé Soutien en approvisionnement Canada, qui fait un travail fantastique. Il aide les fournisseurs à s’y retrouver dans le système, mais qui travaille à améliorer le système?

Il est important que le programme continue de jouer son rôle, mais il est aussi important de travailler simultanément à faire en sorte que le système fonctionne pour tout le monde.

C’est une très longue façon de répondre à votre question. Mais je dirais que nos recommandations sont très respectées. Elles sont souvent présentées au Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires. Nous demandons des comptes aux gens par l’entremise de notre rapport annuel qui est déposé au Parlement, et nous disposons de nombreuses plateformes pour demander des comptes aux ministères. Nous sommes très satisfaits du niveau d’engagement que nous constatons de la part des ministères.

La sénatrice Kingston : Nous vous souhaitons la bienvenue. Je pensais changer de sujet, mais je vais poursuivre dans la même veine que la sénatrice MacAdam.

Je tiens à vous féliciter pour le sommet que vous avez organisé et dont il est question dans votre rapport annuel de 2023-2024, dans le cadre duquel vous sensibilisez les gens aux programmes des secteurs public et privé qui peuvent aider les entreprises appartenant à des Autochtones et à des personnes issues de la diversité, y compris les Canadiens noirs et racisés, les femmes, les Canadiens 2ELGBTQI+, les personnes handicapées et d’autres groupes sous-représentés, à obtenir des contrats fédéraux.

Je regarde ensuite une autre partie de votre rapport annuel où l’une des recommandations relatives au changement de mandat vise à examiner les plaintes liées aux programmes de marchés réservés de la Stratégie d’approvisionnement auprès des entreprises autochtones afin de s’assurer que tous les fournisseurs ont accès au Bureau de l’ombud de l’approvisionnement et aux mécanismes de recours. À l’heure actuelle, ces plaintes ne relèvent pas de la compétence de votre bureau ni de celle du Tribunal canadien du commerce extérieur. Dans la note de bas de page, il est indiqué que lors des activités de sensibilisation du Bureau de l’ombud de l’approvisionnement, certains fournisseurs autochtones ont fait valoir qu’ils préféreraient un mécanisme de recours dirigé par les Autochtones plutôt qu’un mécanisme du gouvernement du Canada.

Il me semble que cela s’inscrit bien dans un effort de réconciliation pangouvernemental. J’aimerais que vous nous en parliez. J’espère que les fonds que vous recevrez vous aideront à financer une telle initiative. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce que vous avez entendu et sur ce que vous pensez de cela?

M. Jeglic : Merci, monsieur le président. La première partie de la question portait sur le sommet, que nous tenons depuis plus de six ans. L’objectif est de diversifier la chaîne d’approvisionnement fédérale, en particulier avec des fournisseurs autochtones et issus de la diversité. Il y a énormément de travail à faire dans ce domaine, et il doit se poursuivre.

Nous avons tout d’abord cherché des ensembles de données pour savoir si certaines personnes étaient sous-représentées dans la chaîne d’approvisionnement fédérale. Nous avons constaté qu’il n’y avait pas de données pertinentes pour établir des liens. Nous avons donc dû prendre une décision. Devions-nous intervenir dans ce domaine sans savoir si, dans les faits, il y avait un problème? À notre avis, il était évident qu’il y avait un manque de représentation dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.

La première itération du sommet était simplement une tentative de réunir les ministères et organismes qui avaient des programmes conçus précisément pour aider les fournisseurs issus de la diversité et les entrepreneurs afin qu’ils puissent avoir accès directement à l’information selon une seule forme. Le sommet a été un grand succès. Nous l’avons tenu en personne ici, à Ottawa.

Nous en avons tenu une deuxième version à Toronto. Le succès a été encore plus grand et les fournisseurs y étaient encore plus nombreux. Il y a eu un engouement et un activité accrue.

À partir de cette première année, nous avons mené un sondage et demandé aux ministères et organismes quels types de programmes ils avaient en place pour aider ces fournisseurs. Souvent, le seul programme en place était le Programme de marchés réservés aux entreprises autochtones, qui est obligatoire pour tous les ministères et organismes, ce qui était très révélateur. Cela signifiait qu’il y avait très peu de programmes offerts. Aujourd’hui, la plupart des ministères et des organismes ont des programmes à la disposition des fournisseurs autochtones et issus de la diversité.

Je sais qu’il y a beaucoup d’information sur les fournisseurs autochtones qui circule dans les nouvelles, et elle a tendance à être plutôt négative. On nous a demandé de procéder à un examen de l’approvisionnement auprès des entreprises autochtones. Nous travaillons sur la question en vue d’établir des motifs raisonnables, ce qui représente une première étape en vue de lancer un examen systémique. Si nous avons des motifs raisonnables, nous devons lancer le processus. Il pourrait donc y avoir un examen systémique de l’approvisionnement auprès des entreprises autochtones.

En ce qui concerne plus précisément la modification réglementaire que vous décriviez, le problème, c’est que le programme autochtone est un programme de marchés réservés. Il ne relève donc pas des obligations en matière de libre-échange. Par conséquent, le Tribunal canadien du commerce extérieur et mon bureau n’ont pas compétence pour examiner les contrats attribués dans le cadre du programme de marchés réservés. Un système de règlement des différends devait être mis en place pour ces contrats, mais il ne l’a jamais été. Par conséquent, le TCCE et nous-mêmes avons souligné ce problème. À tout le moins, les fournisseurs autochtones devraient être traités sur un pied d’égalité.

Maintenant, comme vous l’avez souligné à juste titre, dans notre note de bas de page, nous faisons aussi valoir que les fournisseurs autochtones veulent leur propre forum dirigé par des Autochtones. Nous ne sommes pas contre une telle idée, au contraire. Mais à tout le moins, le gouvernement fédéral devrait leur offrir la possibilité de déposer une plainte auprès de notre bureau. S’ils choisissent de ne pas le faire parce qu’il y a un autre forum dirigé par des Autochtones, ils devraient également avoir ce droit. Ce que nous demandons, ce sont des règles du jeu équitables.

Encore une fois, je ne veux pas parler au nom du TCCE, mais je sais qu’il appuie une telle mesure fermement également.

La sénatrice Ross : Merci beaucoup d’être avec nous aujourd’hui. Selon mes lectures, je comprends que vous avez relevé de nombreux cas où les exigences des appels d’offres correspondaient en grande partie aux offres de fournisseurs précis, ce qui donnait à penser qu’il y avait du favoritisme. À votre avis, est-ce que c’est parce que les personnes qui préparaient les demandes de propositions voulaient faire affaire avec un fournisseur en particulier ou est-ce qu’elles ont travaillé avec les fournisseurs à la création de ces demandes de propositions afin qu’elles correspondent à leurs produits et leurs offres de services?

M. Jeglic : Je vous remercie pour la question, monsieur le président. Elle porte sur l’intention des personnes qui participent au processus. Nous n’avons pas de données probantes précises pour démontrer une intention particulière. Toutefois, en tenant compte d’une série de données circonstancielles, comme nous l’avons fait dans le cadre de notre examen... Nous avons un large éventail d’exemples de processus en place qui ont favorisé McKinsey ou qui ont permis à la société de participer alors qu’elle n’aurait pas pu le faire si l’on avait entrepris le processus initial.

C’est arrivé non pas au sein d’un ministère, mais dans plusieurs ministères, ce qui nous a amenés à nous questionner.

Pour revenir à votre question, je ne peux pas vous dire avec certitude quelle était l’intention de ces personnes. Je crois, toutefois, que cette situation est symptomatique d’un système défaillant, parce que les gens n’ont pas l’impression qu’ils vont obtenir un bon résultat. Leur but, au départ, c’est de travailler avec un bon fournisseur, mais on ne peut pas faire les choses à l’envers et il faut que le système soit juste pour tout le monde. Je crois qu’il y a un peu de cela dans la situation.

M. Mersereau était responsable de ce dossier. Il pourrait peut‑être ajouter quelque chose à ce sujet.

Derek Mersereau, directeur, Demandes de renseignements, d’assurance de la qualité et de gestion des risques, Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement : Merci, monsieur Jeglic.

J’ai quelques remarques à faire à ce sujet. Nous avons relevé dans la correspondance des échanges entre les ministères et McKinsey : McKinsey s’est fait demander si l’entreprise serait en mesure de participer à un processus, ou le responsable technique a indiqué à l’agent de passation des marchés sa surprise de voir que McKinsey n’était pas parmi les fournisseurs admissibles qui participeraient au processus.

Une fois qu’il a été déterminé que McKinsey ne serait pas en mesure de participer au processus, les spécifications ont changé, et le processus a été adapté pour permettre à McKinsey d’y participer. Les critères n’ont pas changé à un point tel que McKinsey était assuré d’obtenir le contrat, mais le processus a été adapté pour que l’entreprise puisse participer au processus.

La sénatrice Ross : À la lumière de l’attention accordée à ces questions et défis particuliers et des rapports que vous avez présentés, pensez-vous que le contexte dissuade les entreprises et les prestataires de services canadiens de se porter candidats à des contrats fédéraux pour pouvoir essayer de participer au processus d’approvisionnement?

M. Jeglic : Je ne veux pas répondre à la question avec impertinence, mais je pense que la réponse est oui et non. À la lumière des statistiques de notre examen quinquennal qui démontrent un manque de concurrence et de processus concurrentiels, je pense qu’il est difficile de ne pas répondre à cette question par l’affirmative. Les entreprises se découragent.

Cependant, je pense que les entreprises accoutumées sont habituées au système et en comprennent le fonctionnement. C’est là le problème : le système ne fonctionne pas efficacement pour tout le monde. Les entreprises accoutumées comprennent le système et s’y sont habituées, mais je ne pense pas que ce soit la méthodologie que nous devions invoquer pour inciter les autres entreprises à tenter leur chance.

M. Mersereau : Si je peux juste ajouter un point, je dirai que, dans une section du rapport, nous parlons de contrats — surtout à faible valeur — qui sont attribués en marge des outils de passation de marchés obligatoires. Il existe ce que l’on appelle des offres à commandes et des accords d’approvisionnement qui permettent aux entreprises de se présélectionner. Par conséquent, pour certains produits, les ministères font appel à ces entreprises pour acquérir des biens et des services.

Des fournisseurs nous disent souvent qu’ils se sont donné du mal, qu’ils ont suivi le processus, qu’ils se sont présélectionnés, mais qu’ils n’en retirent aucune retombée commerciale. Comment cela se fait-il? Nous avons vu dans l’examen sur McKinsey que certains marchés correspondaient à l’un de ces véhicules, et que les ministères ont choisi de ne pas les utiliser. Ils ont lancé leurs propres processus. Si j’étais un fournisseur, je serais découragé d’apprendre — après avoir pris le temps et fait l’effort de me présélectionner pour l’un de ces instruments en espérant que des possibilités se présenteraient à moi — que certains ministères contournent ces processus. À cet égard, je suis d’accord avec l’affirmation dans votre question : les fournisseurs canadiens vivent de la déception.

La sénatrice Pate : Merci à nos témoins. Dans votre dernier rapport annuel, en 2023-2024, votre bureau a demandé une modification de son mandat, ce qui lui permettrait d’examiner les plaintes liées au programme de marchés réservés aux entreprises autochtones. Pouvez-vous expliquer pourquoi vous souhaiteriez voir votre mandat modifié, et plus précisément en quoi cet ajout à votre mandat améliorera le processus d’obtention de contrats fédéraux pour les entreprises autochtones?

M. Jeglic : Je vous remercie de votre question. Comme je l’ai mentionné, je pense que la difficulté pour les entreprises autochtones réside dans le fait qu’elles ne disposent pas des mêmes mécanismes de recours lorsque des contrats sont réservés dans ce processus. Les contrats sont octroyés en marge d’un accord de libre-échange et, par conséquent, les mécanismes normaux de règlement des différends, tels que le Tribunal canadien du commerce extérieur et notre bureau, ne sont pas des options qui s’offrent à elles.

Les fournisseurs autochtones souhaitent qu’une organisation dirigée par des Autochtones puisse servir de mécanisme de résolution des différends, mais il n’y en a pas encore. Ce que nous voulons, c’est mettre tous les fournisseurs sur un pied d’égalité et faire en sorte que les fournisseurs autochtones qui soulèvent des problèmes liés aux contrats attribués dans le cadre des marchés réservés disposent d’un mécanisme de recours.

La sénatrice Pate : Je vous remercie. Avez-vous des données sur le nombre de préoccupations soulevées par les entreprises autochtones? Pourriez-vous nous en faire part?

M. Jeglic : Nous recueillons des données. Sur une base annuelle, nous regroupons toutes les données dans une liste des 10 sujets les plus courants. Comme vous pouvez l’imaginer, cette préoccupation est assez unique. Nous n’en entendons pas beaucoup parler, mais des fournisseurs autochtones nous ont demandé pourquoi il n’y a pas de mécanisme de recours. Si vous voulez des données précises, nous pourrons certainement en fournir au comité.

La sénatrice Pate : Ce serait formidable. Merci beaucoup.

[Français]

Le président : J’ai été maire d’une municipalité et je vois à plus petite échelle; vous, c’est encore plus grand, mais ce sont les mêmes problèmes. Certaines personnes veulent choisir avec qui elles vont travailler, mais elles sont obligées d’aller en appel d’offres, et elles orienteront alors certains critères de façon à arriver au résultat souhaité. On peut avoir d’autres comparaisons différentes.

Vous avez utilisé la métaphore du véhicule. On répare, on fait une mise au point, mais à un moment donné, il faudrait changer de véhicule. Pour continuer avec cet exemple de véhicule, si on change de véhicule, lequel devrait-on prendre? De quel régime devrait-on s’inspirer? Un véhicule allemand, français ou américain?

Quels modèles d’acquisition qui existent dans le monde sont les plus performants? Est-ce que vous avez travaillé à comparer ces véhicules?

[Traduction]

M. Jeglic : Je vous remercie de cette question. C’est une très bonne question : quelles administrations — si on les compare — devrions-nous aspirer à imiter? Je reviendrai sur le travail que notre bureau effectue actuellement pour déterminer quels changements fondamentaux sont nécessaires pour améliorer le système d’approvisionnement du gouvernement fédéral. J’ai parlé à certains intervenants, et il faudrait un cadre de gestion du rendement des fournisseurs.

Je ne répondrai pas à votre question en nommant des administrations, car nous ne les avons pas toutes examinées. Nous avons examiné des administrations précises à des fins précises, par exemple, pour étudier le rôle de dirigeant principal des achats. Le Royaume-Uni a réussi à créer ce poste au niveau fédéral pendant une transition où l’administration cherchait à apporter des changements fondamentaux. Jusqu’à présent, ce poste est perçu comme un bon coup. Dans ces circonstances, nous nous sommes penchés sur des modèles à l’international.

Cela dit, je pense que le travail doit être entrepris maintenant. Je ne pense pas qu’il existe de système parfait, mais je sais que certaines administrations ont des systèmes qui fonctionnent plus efficacement que le nôtre. Je pense que certains praticiens des marchés publics au Canada affirment depuis de nombreuses années que le système canadien se situe dans le bas de l’échelle en ce qui concerne les marchés publics fédéraux.

[Français]

Le président : Hier, je faisais une entrevue à la radio à Montréal, qui portait sur le fait que le Canada ne consacre pas 2 % de son PIB aux dépenses militaires. La question du journaliste était :

À quoi bon, de toute façon; ne croyez-vous pas que même si on leur accordait des fonds, à cause du système d’approvisionnement, c’est tellement lent qu’ils ne seraient pas en mesure de le dépenser?

Je leur ai répondu qu’il y a quand même d’autres organismes qui s’occupent de l’acquisition au sein du gouvernement canadien. Il y a une petite société d’État qui est la Corporation commerciale canadienne (CCC), que vous connaissez sûrement, qui sert à faire de l’acquisition, de l’approvisionnement, pour ensuite le faire de gouvernement à gouvernement.

C’est le véhicule qui est utilisé notamment pour venir en aide à l’Ukraine. C’est un organisme qui existe depuis la Seconde Guerre mondiale. Les représentants de la CCC sont venus comparaître devant nous. Ils n’ont pas été interviewés souvent au Comité sénatorial permanent des finances nationales, parce que c’est une petite organisation, mais elle semble avoir une assez grande utilité et agilité.

Avez-vous vu cette organisation? Y a-t-il des éléments de cette organisation dont on pourrait s’inspirer pour avoir plus d’agilité et d’efficacité?

[Traduction]

M. Jeglic : Je vous remercie pour cette question. Je n’ai pas demandé à ce qu’elle soit posée. J’ai travaillé à la Corporation commerciale canadienne, ou CCC, et je la connais donc très bien.

Il s’agit d’une plateforme intergouvernementale. C’est un outil très intéressant, en particulier en cette période fascinante pour les marchés publics internationaux. Tout le monde fait les choses différemment, et je pense que la CCC offre un véhicule différent pour la passation des marchés, en particulier, comme vous l’avez mentionné, en défense. Il convient de se demander sérieusement s’il y a lieu de donner des outils supplémentaires aux sociétés d’État telles que la Corporation commerciale canadienne, qui disposent de processus, de plateformes et de relations avec les gouvernements étrangers. Ce type de transactions pourraient ainsi se conclure plus rapidement.

Il est certain que d’autres outils doivent être étudiés. Je comprends que nous devons rechercher la rentabilité, mais certains outils existent déjà, et nous ne les utilisons pas efficacement. Je dirais que la CCC est l’un de ces outils.

[Français]

Le président : Merci; le véhicule sera peut-être canadien, finalement.

[Traduction]

Le sénateur Smith : Les fonctionnaires de SPAC présents la semaine dernière ont reconnu les obstacles auxquels les petites et moyennes entreprises, ou PME, sont confrontées dans le processus d’approvisionnement. Certains obstacles sont la nature complexe du processus et le libellé imprécis des documents d’appel d’offres. Vous avez souligné que c’est un problème qui perdure dans le processus. Quelles mesures supplémentaires recommanderiez-vous à SPAC de mettre en œuvre pour que les PME participent pleinement au processus?

M. Jeglic : Je vous remercie de cette question. Mes collègues de SPAC qui ont comparu ont, à juste titre, indiqué que Soutien en approvisionnement Canada est composé d’employés chargés de soutenir les petites et moyennes entreprises pour les aider à se retrouver dans le réseau complexe des marchés publics fédéraux et, en fin de compte, à obtenir des contrats.

Comme je l’ai mentionné, c’est un élément essentiel du travail à effectuer, mais il ne règle pas le problème structurel que vous avez relevé dans votre question : les documents d’appel d’offres eux-mêmes, le libellé et le nombre de critères obligatoires à remplir pour soumissionner un contrat. Nous formulons des recommandations à cet égard. Nous encourageons activement les ministères à limiter le nombre de critères obligatoires au strict minimum, car c’est la porte d’entrée. Si une entreprise ne répond pas à un critère obligatoire, elle ne peut pas participer au processus. Plus les critères obligatoires sont nombreux, plus l’accessibilité et le nombre de participants sont restreints. C’est certainement un point de départ. Une amélioration facile consiste à réduire le nombre de critères obligatoires à l’essentiel. C’est facile à dire, mais difficile à faire, et je le comprends. Mais il est vraiment important de prendre du recul et de se demander : « Avons-nous vraiment besoin de tous ces critères obligatoires? »

Le deuxième élément concerne simplement la structure des appels d’offres. Ici encore, SPAC travaille avec diligence pour rendre ces documents plus conviviaux, mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. C’est pour cette raison que je suis reconnaissant que notre organisation doit passer des marchés publics. L’exercice nous permet de ressentir la frustration découlant de ce processus. En effet, si on n’est qu’un observateur abstrait, il est assez facile de formuler des recommandations. Lorsqu’on est un participant et qu’on vit directement ces difficultés... Comme l’a mentionné le président, il en a probablement fait l’expérience lorsqu’il était maire. Il n’est pas facile d’acquérir des biens rapidement et d’obtenir un résultat satisfaisant.

Je ne prétends pas avoir toutes les réponses, mais je pense qu’il est extrêmement important d’arrêter d’appliquer des solutions temporaires au système existant. Il faut commencer à envisager un nouveau cadre de référence différent de celui que nous utilisons aujourd’hui.

Le sénateur Smith : Merci.

Le sénateur Dalphond : Je crois que le dossier McKinsey a suscité des commentaires et des changements substantiels. L’un d’eux a été la création d’un nouveau Bureau de l’intégrité et de la conformité dans le programme. Le Conseil du Trésor a publié de nouvelles lignes directrices sur l’obtention de services professionnels. Vous examinez également la question et vous avez fait des suggestions. Sommes-nous donc sur le point de voir une communication entre toutes les organisations, ou avons-nous de nombreux centres qui se font concurrence pour changer les choses?

M. Jeglic : Je vous remercie. Je répondrai à la question aussi honnêtement que possible. Je pense qu’il y a encore des progrès à faire en matière de communication. Notre organisation est indépendante et neutre, et il est donc extrêmement important que nous maintenions cette indépendance dans tous nos dossiers. En règle générale, nous émettons des recommandations et nous assurons le suivi de façon assez formelle. Parfois, cette formalité crée le besoin d’émettre des communications supplémentaires pour s’assurer que tout est bien compris et que tout le monde est sur la même longueur d’onde.

Ce n’est pas toujours le cas. J’assume certainement une part de responsabilité dans le manque de communication informelle, mais notre indépendance est primordiale. Lorsque je dois prendre une décision, je donne beaucoup de poids à l’indépendance. Cela dit, vous avez souligné le bon travail qui se fait à l’échelle du gouvernement, et il est donc important de comprendre les répercussions cohésives. Cela nous ramène au rôle du directeur principal des achats. Qui, en fin de compte, est responsable de tout? Je pense que c’est ce qui manque dans le système fédéral.

Les intervenants ont leurs propres responsabilités. Par exemple, SPAC a des responsabilités importantes, ainsi que le Secrétariat du Conseil du Trésor, ou SCT. Or, qui assume la responsabilité en dernier ressort? C’est pour cette raison que le poste de directeur principal des achats au niveau fédéral permet de résoudre certains de ces problèmes de communication et d’assurer une cohésion. En effet, la pire chose que l’on puisse avoir, c’est un ensemble de règles qui sont incohérentes les unes avec les autres. Je ne dis pas que c’est ce qui se passe. Je dis simplement que c’est le risque d’un manque de communication.

Le sénateur Dalphond : Merci.

La sénatrice Galvez : J’écoute vos propos et j’en retire qu’il y a une grande différence entre l’approvisionnement en matériel, en armes, en main-d’œuvre autochtone et en services dont le rendement peut être mesuré. Pourtant, la question de McKinsey, si j’ai bien compris, se rapporte à l’étude, aux mêmes règles qui changeront le système que, selon vous, nous devons changer parce qu’il n’a pas fonctionné.

Pouvez-vous m’expliquer la nouvelle Politique d’achats écologiques? Quels seront les obstacles? Qui l’a conçue? Comment pouvons-nous l’améliorer maintenant avant qu’elle ne commence à favoriser l’écoblanchiment, par exemple?

M. Jeglic : Merci pour cette question. J’aimerais être un expert de la Politique d’achats écologiques. Je n’en suis pas un. Cependant, je dirai que, du côté de la Politique d’approvisionnement social, des initiatives sociales importantes sont intégrées dans le système d’approvisionnement fédéral. Il s’agit d’une reconnaissance du pouvoir des marchés publics : l’approvisionnement permet de changer la donne. L’approvisionnement écologique fait partie de ce processus.

Il comporte certainement des avantages considérables. Bon nombre d’entre eux se manifestent lorsqu’on conçoit les processus d’approvisionnement avec une optique sociale et en prévoyant des résultats pour la société. Nous devons nous assurer, lorsque nous concevons le processus, que les résultats seront mesurés dans l’exécution du contrat. Il y a deux composantes : l’attribution du contrat, lorsqu’on détermine le fournisseur retenu; mais aussi la reddition de comptes dans l’administration du contrat. Pendant la phase d’administration du contrat, le fournisseur doit être tenu pour responsable de toutes les promesses faites lors de la phase d’attribution. Je vous encourage à communiquer avec SPAC, qui connaît les renseignements sur l’approvisionnement écologique, et qui est le mieux placé pour répondre directement à votre question.

Le sénateur Loffreda : Rapidement, j’aimerais revenir sur quelques mots clés entendus dans votre réponse perspicace et complète que vous m’avez donnée précédemment sur le programme de politique de gestion du rendement des fournisseurs que nous aimerions mettre en place. Les mots clés étaient « aucune répercussion » et vous souhaitez corriger cette absence de répercussions dans les cas de mauvais rendement et de distorsion de la procédure d’attribution.

Voici ma question : pourquoi ces problèmes n’ont-ils pas été soulevés auparavant? Notre pays a réussi beaucoup d’initiatives. Pourquoi y a-t-il un manque de rigueur en matière d’approvisionnement? Comment pourrions-nous garantir à l’avenir que nous réglerons ces problèmes? Comment garantir que nous mettrons en place un processus et que nous corrigerons les problèmes qu’il est si important de corriger à ce stade? Nous en avons mentionné de très nombreux.

M. Jeglic : Je vous remercie de la question. Je pense qu’une bonne façon de mettre en lumière cette question est de l’inclure dans la lettre de mandat du ministre. On l’a déjà fait auparavant. Malheureusement, c’était pendant la COVID. On n’a donc pas fait avancer la question.

C’est la raison pour laquelle j’en parle si souvent, car j’estime avoir une responsabilité en matière de reddition de comptes. Je sais qu’en mettant une telle mesure en œuvre, on résoudrait bon nombre des problèmes. Je ne prétends pas que c’est la seule solution, mais je pense qu’il s’agit certainement d’un élément manquant. Je pense que si on l’inscrit dans la lettre de mandat du ministre, la transparence quant à l’obligation de rendre des comptes s’en trouverait grandement améliorée.

Le sénateur Loffreda : Excellent. Merci.

[Français]

Le président : Merci beaucoup, messieurs. La discussion était très intéressante et nous vous en sommes reconnaissants. Nous vous souhaitons beaucoup de succès dans votre recherche du meilleur véhicule. Je pense que cela aidera vraiment tous les Canadiens. Votre travail est extrêmement important. Merci beaucoup.

Nous entamons aujourd’hui notre étude du Budget supplémentaire des dépenses (B) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2025, envoyé à ce comité le 20 novembre 2024. À cette fin, nous souhaitons la bienvenue à M. Yves Giroux, directeur parlementaire du budget, ainsi qu’à M. Mark Creighton, analyste principal.

Bienvenue. Je disais pendant la pause que vous étiez notre témoin préféré et le plus assidu. Nous vous accueillons toujours avec plaisir. Je vous laisse, comme d’habitude, quelques minutes pour prononcer votre allocution d’ouverture. Ensuite, nous passerons à une période des questions.

Yves Giroux, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Merci, monsieur le président. Le plaisir est mutuel.

[Traduction]

Honorables sénatrices, honorables sénateurs, je vous remercie de l’invitation à comparaître aujourd’hui. Nous sommes heureux d’être parmi vous pour discuter de notre rapport sur le Budget supplémentaire des dépenses (B) 2024-2025, publié le 20 novembre 2024.

Je suis accompagné aujourd’hui de l’un des deux analystes principaux ayant travaillé sur le rapport, Mark Creighton.

Le Budget supplémentaire des dépenses (B) du gouvernement pour 2024-2025 présente des autorisations budgétaires supplémentaires de 24,8 milliards de dollars. Les autorisations votées, que le Parlement doit approuver, se chiffrent à 21,6 milliards de dollars. Les autorisations législatives, pour lesquelles le gouvernement a déjà obtenu l’approbation du Parlement, devraient augmenter de 3,2 milliards de dollars au total. L’augmentation prévue des autorisations législatives est attribuable en grande partie à la Remise canadienne sur le carbone, dont 2,6 milliards de dollars pour les petites entreprises et 307 millions de dollars pour les particuliers.

Environ le quart des autorisations budgétaires proposées, ou 6,4 milliards de dollars, sont liées à 143 mesures du budget de 2024. Afin d’appuyer les parlementaires dans leur examen de la mise en œuvre du budget de 2024, nous avons mis à jour nos tableaux de suivi, qui énumèrent toutes les initiatives budgétaires et les dépenses prévues connexes au cours de l’exercice 2024-2025, les montants des dépenses prévues, ainsi que les autorisations de financement législatives correspondantes.

[Français]

Près du quart des dépenses proposées, soit 5,9 milliards de dollars, relève du portefeuille des Autochtones et sont essentiellement liées aux programmes et aux revendications autochtones. Une part substantielle des dépenses prévues dans le Budget supplémentaire des dépenses concerne l’approvisionnement et le soutien militaires, y compris le soutien à l’Ukraine. Les dépenses prévues pour le personnel représentent environ 2,9 milliards de dollars des autorisations proposées, dont plus de la moitié, soit 1,6 milliard de dollars, va au Secrétariat du Conseil du Trésor pour les rajustements salariaux négociés et les régimes et programmes d’assurance de la fonction publique.

Le Budget supplémentaire des dépenses suit habituellement le dépôt des comptes publics, mais les comptes publics de l’exercice précédent, celui de 2023-2024, n’ont pas encore été publiés. Lorsque la publication des comptes publics est retardée, les parlementaires disposent de moins de temps pour réaliser l’examen financier ex post et obtenir de meilleurs renseignements pour évaluer les prévisions et documents budgétaires du gouvernement, dont le présent Budget supplémentaire des dépenses. Les parlementaires ont environ trois semaines à compter du dépôt, ou deux semaines à partir d’aujourd’hui, pour approuver la demande financière du gouvernement. D’ici là, si le Parlement n’a pas approuvé le Budget supplémentaire des dépenses (B), les ministères devront financer leurs activités à même leurs propres fonds.

Mark et moi serons heureux de répondre à toutes vos questions sur notre analyse du Budget des dépenses ou sur d’autres documents produits par mon bureau.

Merci.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Giroux.

[Traduction]

Le sénateur Smith : Bienvenue, messieurs. C’est un plaisir de vous revoir. Dans votre rapport, vous soulignez que les dépenses liées aux Autochtones ont augmenté de 216 % depuis 2017-2018, avec 5,9 milliards de dollars dans ce cycle du Budget supplémentaire des dépenses. Vous avez également indiqué que parce que le dépôt des comptes publics a été retardé, votre bureau n’était pas en mesure de déterminer la part des dépenses proposées qui a été dépensée au cours du dernier exercice. Pourriez-vous nous parler un peu de cette question et nous dire s’il s’agit d’un problème de longue date ou d’un problème récent?

M. Giroux : Je suppose, sénateur, que vous parlez du retard dans le dépôt des comptes publics. C’est un problème que nous signalons depuis plusieurs années : on vous demande à vous, les parlementaires, d’approuver des dizaines de milliards de dollars de dépenses sans avoir la moindre idée de la manière dont le gouvernement est parvenu à ses résultats et du montant de ses dépenses et de ses fonds inutilisés pour l’année qui s’est terminée il y a maintenant plus de huit mois. C’est donc un problème. Je pense qu’il existe une solution. Il s’agirait de déposer les comptes publics plus tôt.

À l’heure actuelle, la loi précise que le gouvernement doit déposer les comptes publics au plus tard le 31 décembre. Je pense qu’une approche plus raisonnable consisterait à exiger que le dépôt ait lieu au plus tard à la fin du mois de septembre, ce qui est faisable parce que les comptes publics — les états financiers du gouvernement — sont généralement terminés en août et en septembre et sont approuvés par la vérificatrice générale en septembre, en général, au plus tard.

Je ne vois donc pas pourquoi on ne pourrait pas déposer les comptes publics au plus tard en septembre. En fait, certaines provinces le font beaucoup plus tôt, par exemple en juin. Par conséquent, rien n’empêche le gouvernement fédéral de consacrer les ressources et l’attention qu’il faut à cette question, de sorte que les parlementaires et les Canadiens sachent comment le gouvernement s’en est tiré et combien il a dépensé pour l’exercice qui a pris fin le 31 mars.

Le sénateur Smith : Croyez-vous que le travail relatif aux comptes publics pourra être effectué en temps opportun?

M. Giroux : Je pense que cela pourrait facilement se faire. Il s’agit pour le gouvernement de choisir le moment où il souhaite déposer les comptes publics. Il dispose donc d’une grande marge de manœuvre. Je pense que le dépôt des comptes publics pourrait avoir lieu à la fin du mois de septembre.

Le sénateur Smith : Merci.

[Français]

Le sénateur Dalphond : C’est un plaisir de vous avoir parmi nous, monsieur Giroux, ainsi que votre équipe. Je remarque qu’une partie importante des dépenses va au soutien militaire. Dans votre rapport, vous indiquez les chiffres suivants : pour le Programme de formation du personnel navigant, 659 millions de dollars; 561 millions de dollars pour le projet d’aéronef multimissions; 315 millions de dollars pour le Navire de soutien interarmées — il semble que ce soit un navire —; enfin, 299 millions de dollars pour le maintien des frégates de classe Halifax.

Selon vous, pourquoi ces dépenses n’ont-elles pas été prévues dans le Budget principal des dépenses? Tout d’un coup, on s’est rendu compte que les frégates prenaient l’eau et on demande un budget supplémentaire? Il me semble que l’armée planifie ses choses à long terme. Comment cela se fait-il que ces dépenses apparaissent dans les budgets supplémentaires?

M. Giroux : C’est une bonne question. Cela me surprend aussi parce que les dépenses militaires sont habituellement prévisibles. La raison devrait être fournie par le ministère de la Défense nationale, évidemment.

On peut supposer qu’il y a deux éventualités qui peuvent expliquer cela : peut-être qu’on en demande davantage au ministère de la Défense nationale et aux Forces armées canadiennes, ce qui n’était pas prévu plus tôt dans l’année, ou peut-être que la planification était déficiente lors de la préparation du Budget principal des dépenses ou du Budget supplémentaire des dépenses (A) qui est arrivé beaucoup plus tôt dans l’année. Je n’ai pas d’explications à part ces deux grandes hypothèses.

Le sénateur Dalphond : En ce qui concerne les dépenses liées au soutien pour les Autochtones, à la figure 2.2, vous avez montré que l’augmentation est importante au fil des années. Vous avez indiqué dans une note que l’augmentation considérable des dépenses prévues en 2023-2024 était attribuable à la hausse des revendications et des règlements, qui est de 23,3 milliards de dollars. C’est donc comme une dépense unique, on vient de faire les règlements, il faut faire des approvisionnements, on a mis 23 millions de dollars. L’année suivante, qui est l’année en cours, on sera à 45 milliards de dollars.

Si je compare avec il y a cinq ans, on était à 19 milliards de dollars, et maintenant on est à 45 milliards de dollars. Est‑ce qu’il y a des justificatifs qui ont été démontrés pour l’augmentation qui est quand même exponentielle?

M. Giroux : Il y a quelques facteurs, comme l’augmentation de la population autochtone couverte par les services et les programmes, qui est, en général, un peu plus rapide que la croissance de la population canadienne. Il y a aussi l’inflation, mais il y a aussi, en bonne partie, des choix du gouvernement d’augmenter les services aux populations autochtones, donc des choix discrétionnaires.

C’est ce qui explique en bonne partie la croissance. Il y a aussi, comme vous le mentionnez, les revendications autochtones. Il y a des décisions des tribunaux, mais il y a aussi une décision ou une certaine discrétion d’accélérer le rythme ou de reconnaître davantage de revendications et de les régler à la faveur des groupes autochtones. Essentiellement, ce sont des décisions gouvernementales d’augmenter les services et les aides aux populations autochtones.

Le sénateur Dalphond : En regardant votre tableau, j’ai l’impression qu’on glisse d’un ministère à un autre ministère. Si on regarde Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC) par opposition à Services aux Autochtones Canada (SAC), on voit que le budget était inexistant à Services aux Autochtones Canada pendant des années, et tout d’un coup, il devient maintenant plus important que le budget qu’on avait accordé à l’autre ministère.

Est-ce qu’il y a une explication à cela? Est-ce qu’il y a un transfert graduel des responsabilités, une réorganisation de l’approche?

M. Giroux : Oui, il y a eu un transfert des responsabilités. Service aux Autochtones, auparavant, il y avait essentiellement deux ministères qui offraient ces services : le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui fournissait la plupart des services aux populations autochtones, et Santé Canada, par l’entremise du service de santé des Services de santé non assurés.

Il y a eu une décision en 2016, je crois, de transférer toutes les responsabilités de services au ministère des Services aux Autochtones, et l’ancien ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien devenait Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada.

Il y a eu des changements en matière d’appareil gouvernemental. En même temps, cela a correspondu avec un choix de politique publique d’augmenter significativement les services aux populations autochtones. Il y a deux choses qui se sont passées à peu près en même temps.

Le sénateur Dalphond : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Ross : Bonjour. La semaine dernière, pendant la période des questions, j’ai exprimé certaines des mêmes préoccupations que vous sur le fait que les comptes publics n’avaient pas encore été reçus. J’ai demandé au sénateur Gold s’il savait si les documents avaient été signés et, sinon, à quel moment ils le seraient. Il a indiqué qu’il ne disposait pas de renseignements qui nous aideraient à le savoir, mais comme vous, il a mentionné la date de décembre.

Que nous conseillerez-vous quant au fait que nous examinons le Budget supplémentaire des dépenses (B) sans disposer des documents qu’il faut pour pouvoir faire des comparaisons? Comment devrions-nous gérer cette situation difficile, selon vous?

M. Giroux : C’est une situation délicate parce que vous devez faire de votre mieux sans disposer d’éléments d’information essentiels, à savoir sur le déficit de l’an dernier et sur la performance du gouvernement — les ministères vous demandent des milliards de dollars. Ils demandent des fonds supplémentaires importants sans qu’aucun d’entre nous ne sache s’ils ont eu plus que ce qu’il fallait l’année dernière, s’ils ont presque dépensé toutes leurs autorisations ou si des milliards de dollars sont restés inutilisés. Vous vous retrouvez à devoir approuver ou non des dépenses de milliards de dollars sans savoir si ces fonds sont nécessaires, parce que les ministères qui demandent des milliards n’ont peut-être pas utilisé une somme équivalente l’année dernière. En général, lorsque des fonds sont inutilisés une année, ce qui n’est pas anormal, cela se répète chaque année. À défaut d’une situation extraordinaire ou d’un changement significatif dans la gestion ou l’approche, la non‑utilisation de fonds une année se répète généralement d’une année à l’autre.

Vous n’avez pas ces renseignements et les ministères vous demandent encore plus d’argent, mais vous ne savez pas si c’est vraiment nécessaire. Modifier la Loi sur la gestion des finances publiques pour exiger que les comptes publics soient déposés plus tôt serait un moyen de résoudre le problème. Dans l’état actuel des choses, le gouvernement dispose encore d’une grande marge de manœuvre pour déposer les comptes publics au moment qui lui convient.

La sénatrice Ross : C’est peut-être un bon conseil pour l’avenir et nous pourrions le demander. Que pensez-vous que nous devrions faire cette fois-ci?

M. Giroux : Posez des questions aux représentants des ministères lorsqu’ils témoigneront dans le cadre de votre étude du Budget supplémentaire des dépenses. Si de hauts fonctionnaires ou des ministres comparaissent devant le comité, demandez-leur à combien s’élevaient les fonds non utilisés l’année dernière, s’ils ont vraiment besoin de tous ces fonds et dans quelle mesure ils sont absolument nécessaires, ou si une partie peut être avancée. S’ils vous demandent d’approuver 22 milliards de dollars et que 40 seront inutilisés, alors ils n’ont pas besoin de tous ces fonds. Une partie pourrait être nécessaire dans certains cas, mais dans de nombreux cas... Par exemple, le ministère de la Défense nationale dispose d’un budget de plusieurs dizaines de milliards de dollars. Peut-être qu’il peut avancer des fonds au moins pour une partie de la demande qu’il fait dans ce budget supplémentaire.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup. Bienvenue à MM. Giroux et Creighton. Le Budget supplémentaire des dépenses contient des fonds pour le principe de Jordan. La semaine dernière, le Tribunal canadien des droits de la personne a ordonné au gouvernement de régler le problème des retards dans le traitement des demandes en vertu du principe de Jordan, qui « vise à garantir que les enfants des Premières Nations n’attendent pas de recevoir de l’aide en raison de conflits de compétence ». Selon la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, le traitement de certaines demandes urgentes qui sont censées être traitées dans les 24 heures peut prendre des mois.

Avez-vous des recommandations sur les questions que ce comité devrait poser au sujet de cette situation, ainsi que sur les futures demandes de fonds liées au principe de Jordan compte tenu de ces préoccupations? Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure, selon vous, les retards importants qui ont été signalés ont une incidence sur ce qu’il en coûte globalement pour répondre aux demandes au titre du principe de Jordan, notamment parce que les besoins en matière de santé et d’autres besoins des enfants des Premières Nations se font plus pressants en raison du temps qui passe ou parce que des familles des Premières Nations doivent s’adresser aux tribunaux pour obtenir des services essentiels?

M. Giroux : C’est une question délicate parce que cela concerne non seulement l’argent, mais aussi les ressources sur le terrain.

Je pense qu’il serait bon d’interroger les fonctionnaires et la ministre non seulement sur les fonds dont ils ont besoin, mais aussi sur ce qu’ils font concrètement pour améliorer les services.

Bien souvent, les hauts fonctionnaires parlent des fonds comme d’une fin en soi plutôt que de résultats concrets. Par exemple, s’ils disent « nous avons dépensé tant de centaines de millions de dollars », ce n’est pas un résultat. En revanche, c’est différent s’ils disent qu’ils ont embauché tel nombre de travailleurs sociaux et de prestataires de services de garde, en fonction du cas, en fonction de la situation, et qu’ils ont veillé à ce que les normes de service soient respectées, que, par exemple, en cas d’appel à l’aide, ils répondent dans les 24 heures dans 95 % des cas. C’est nettement mieux que de dire « nous avons dépensé tant de centaines de millions de dollars », parce que les dépenses peuvent être effectuées à l’administration centrale plutôt que là où se trouvent les collectivités et où les services sont nécessaires.

Je pense qu’il s’agit de questions relatives aux détails par opposition aux lignes de communication et aux montants dépensés. Les montants dépensés sont une indication, mais ce n’est clairement pas la meilleure.

La sénatrice Pate : Merci.

La sénatrice Galvez : Bonjour, monsieur Giroux, bonjour, monsieur Creighton. J’étais récemment à Bakou pour la COP 29, où j’ai appris que nous en sommes à une augmentation de la température de 1,49 degré à la fin de 2023. J’ai également appris que les pays du Nord devaient 192 billions de dollars aux pays du Sud. En fait, des représentants du Sud se sont retirés des discussions à un moment donné.

Au cours de la fin de semaine, j’ai assisté à la session de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, où nous avons appris qu’une toute nouvelle menace grandissante pesait sur l’Arctique en raison des changements climatiques. On nous presse de dépenser les 2 % que d’autres pays consacrent à l’OTAN.

Je remarque que dans le budget, 276 millions de dollars seront investis dans la Banque mondiale afin d’accroître la capacité de la banque à aider les pays en développement et à favoriser l’atteinte des objectifs de développement durable des Nations unies. Comme vous le savez certainement, cela ne représente même pas une goutte d’eau dans l’océan.

J’ai une question précise et une question générale. Je vous pose ma question précise. Nous attendons-nous à ce que les 276 millions nous rapportent de l’argent? S’agit-il d’un investissement et nous attendons-nous à faire de l’argent?

Je vous pose ma question générale. Le Canada a-t-il la capacité financière de fournir les fonds supplémentaires qui seront nécessaires à mesure que les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplieront ici et ailleurs dans le monde?

M. Giroux : Je ne suis pas un spécialiste du financement des institutions multilatérales. De manière générale, nous ne nous attendons pas à faire de l’argent. Tout dépend du type d’instrument. S’il s’agit d’un prêt, les conditions sont généralement très favorables. Nous pouvons rentrer dans nos fonds, mais au fil du temps, nous constatons que bon nombre de ces prêts finissent par être radiés. Certains peuvent être remboursés, mais cela varie en fonction du type de prêt et du type de bénéficiaire. Certains sont en meilleure position que d’autres.

La sénatrice Galvez : Qui serait en meilleure position?

M. Giroux : Habituellement, c’est le ministère des Finances. C’est lui qui suit les prêts et les contributions du Canada aux institutions multilatérales. Le ministre et les hauts fonctionnaires seraient bien placés pour déterminer si nous nous attendons à faire de l’argent ou non avec ce type d’aide.

Pour ce qui est de votre deuxième question, à savoir si nous avons la capacité de payer davantage, je pense que oui. Par exemple, si l’on regarde la dette du Canada par rapport au PIB, notre situation financière est relativement bonne. Elle n’est pas aussi bonne que certains le souhaiteraient, mais elle est certainement meilleure que celle de la plupart des pays du G7.

Pourrions-nous augmenter nos contributions? Oui. C’est un choix politique. Cela signifie-t-il que nous devrions le faire? Ce n’est évidemment pas à moi de le dire, mais si telle était la décision, nous pourrions le faire. De combien? Tout dépend d’autres priorités concurrentes. À ce stade, cela devient une grande question de compromis.

La sénatrice Galvez : Des représentants du ministère de la Défense nous ont informés des activités supplémentaires qu’ils mènent dans le contexte des phénomènes météorologiques extrêmes qui se produisent. Avez-vous plus de détails? Comme l’a dit le sénateur Dalphond, le ministère accroît ses activités. Avons-nous des détails sur ce qu’il demande?

M. Giroux : Non. Je ne pense pas que nous ayons des postes spécifiques. Nous avons quelques détails, mais rien de plus que ce qui figure dans le rapport. Ce n’est pas de l’information que nous avons. Nous n’avons pas tous les détails.

La sénatrice Galvez : D’accord. Merci.

[Français]

Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur Giroux, d’être parmi nous; c’est toujours très intéressant.

[Traduction]

Dans votre rapport, vous indiquez que le budget supplémentaire comprend 0,7 milliard de dollars d’autorisations non budgétaires, dont 400 millions de dollars en prêts consentis à l’Ukraine et 276 millions de dollars d’investissements à la Banque mondiale. J’aimerais vous interroger sur ce dernier point.

Vous venez de dire que vous n’êtes pas un spécialiste des institutions multilatérales et des prêts qui y sont associés, mais vos réflexions sont toujours utiles et judicieuses. Je n’ai jamais soulevé la question auprès de vous.

Comme vous le savez peut-être, je préside la section canadienne du Réseau parlementaire sur la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Le mois dernier, j’étais à Washington pour participer à notre forum parlementaire mondial semestriel. Le Canada est un partenaire important de ces institutions financières multinationales et il joue un rôle clé pour améliorer l’efficacité, l’efficience et la pertinence du FMI et de la Banque mondiale.

D’après mes échanges avec de hauts fonctionnaires et des parlementaires d’autres pays, on demande au Canada d’être plus actif et de fournir un soutien financier supplémentaire. Comme je l’ai mentionné, nous avons déjà 276 millions de dollars d’investissements dans la Banque mondiale.

À titre de directeur parlementaire du budget, avez-vous déjà examiné les investissements que nous avons faits dans ces banques multilatérales de développement? Y a-t-il des tendances inquiétantes ou des problèmes préoccupants?

J’ai toujours des préoccupations quant au suivi de ces transferts et à la nécessité de s’assurer que l’on atteint les objectifs prévus. C’est beaucoup d’argent. Il s’agit d’un investissement important. Essentiellement, en avons-nous pour notre argent?

Je sais que vous n’êtes pas un spécialiste. Moi non plus, en tant que président du groupe parlementaire canadien, mais il est toujours bon d’échanger des réflexions judicieuses avec vous.

M. Giroux : Je le prends comme un compliment. Merci, sénateur.

Nous n’avons pas examiné cette question. Nous avons des contributions, comme vous l’avez souligné et comme vous le savez probablement bien mieux que moi. Nous avons un directeur général et des représentants aux conseils d’administration des deux institutions, la Banque mondiale et le FMI.

Même si nous n’avons pas examiné nos prêts et nos contributions aux deux institutions multilatérales, les personnes nommées au conseil d’administration et les représentants du Canada sont généralement de hauts fonctionnaires très estimés et des experts reconnus en gestion financière. C’est donc en grande partie la raison pour laquelle nous n’avons pas tendance à examiner la Banque mondiale et le FMI et à nous demander si d’autres pays contributeurs ou nous en avons pour notre argent. Nous avons tendance à nous fier au conseil d’administration, au conseil des gouverneurs — peu importe le nom des organismes de gouvernance — et à l’audit que nous effectuons à la banque.

C’est une longue réponse pour dire que non, nous n’avons pas examiné cette question.

Est-ce que je sais si nous en avons pour notre argent? Je ne le sais pas. Je suppose, comme beaucoup de gens dans ce pays, que c’est le cas, mais je n’en suis pas certain.

Le sénateur Loffreda : C’est peut-être un peu spontané — je ne vous fais jamais cela et je ne veux pas vous mettre sur la sellette —, mais avec le changement de gouvernement aux États‑Unis, pensez-vous que la viabilité et la durabilité de certaines de ces institutions seront compromises ou pensez-vous que beaucoup de nos institutions, que nous avons construites pendant des décennies, resteront et seront toujours utiles?

M. Giroux : Je pense qu’elles resteront, mais les États-Unis sont, sinon le plus grand contributeur, du moins l’un des trois plus grands. Je pense qu’ils sont le plus gros contributeur du FMI et de la Banque mondiale.

Si l’administration américaine décidait de retirer son soutien au FMI et à la Banque mondiale, cela signifierait que le champ d’action de ces institutions devrait être considérablement réduit, ou que les autres pays qui les soutiennent devraient compenser le manque de financement qu’entraînerait le retrait des États-Unis.

Ces institutions existeraient-elles encore? Je pense que oui, même si leur siège social est à Washington. Cela pourrait perturber leurs activités. Ces institutions continueraient d’exister. La diminution de la contribution des États-Unis aurait une incidence considérable sur leurs activités.

Le sénateur Loffreda : Elles disposeraient de beaucoup moins de ressources.

M. Giroux : Oui.

Le sénateur Loffreda : Vous voyez l’utilité. Vous êtes conscient de l’utilité de ces institutions.

M. Giroux : Oui.

Le sénateur Loffreda : Vous avez mentionné que le Canada, bien que nous puissions faire mieux — nous sommes les plus bas parmi les pays du G7 en ce qui concerne le PIB —, pourrait probablement augmenter ses investissements. Nous avons la capacité de le faire.

M. Giroux : Oui.

Le sénateur Loffreda : On ne peut toutefois pas dire aux gens ce qu’ils doivent ressentir, n’est-ce pas? On a le ratio dette‑PIB le plus bas, mais la boîte d’œufs coûte toujours plus cher lorsque les gens vont à l’épicerie, malheureusement.

Merci.

La sénatrice MacAdam : Je vous remercie d’être ici.

J’avais des questions semblables à celles de mes collègues concernant le dépôt des comptes publics. Je suis également préoccupée par le fait que les comptes publics n’ont pas encore été déposés.

Je poserai une question concernant le déficit. Le gouvernement a déclaré tout à l’heure qu’il prévoyait un déficit de 40 milliards de dollars. Vous avez déclaré publiquement que vous prévoyiez un déficit de 46,8 milliards de dollars. Pouvez-vous préciser quels sont les principaux facteurs ou éléments financiers qui expliquent la différence entre les prévisions du gouvernement et les vôtres?

M. Giroux : Certainement. Nous parlons de l’exercice financier qui a pris fin le 31 mars.

La sénatrice MacAdam : Oui.

M. Giroux : Nous avons fondé nos prévisions ou projections sur le passé, ce qui peut sembler un peu bizarre, mais nous avons basé notre évaluation sur quelques facteurs. Premièrement, les recettes fiscales ont été importantes en raison d’une économie qui se porte relativement bien. Nous continuons d’être surpris de la hausse des recettes provenant de l’impôt sur le revenu des sociétés. Nous pensons que cette tendance se poursuivra en 2023-2024.

Toutefois, cette hausse a été plus que compensée par l’augmentation des dépenses sur de nombreux fronts pour réaliser les priorités du gouvernement, y compris les coûts supplémentaires du service de la dette en raison de l’augmentation des taux d’intérêt. Dans l’ensemble, nous estimons que l’augmentation des dépenses a plus que compensé l’augmentation des recettes.

Toutefois, nous ne connaissons pas la situation en fin d’année, le treizième mois comme nous l’appelons, les transactions de fin d’exercice. Par exemple, il y a un excédent dans le régime de pension de retraite de la fonction publique. Cet excédent aurait pu être comptabilisé dans l’exercice financier précédent ou il pourrait être comptabilisé dans l’exercice en cours ou le suivant. C’est le genre de choses que nous ignorons parce que nous n’avons pas encore les comptes publics.

La sénatrice MacAdam : Vous parlez en fait de rajustements de fin d’exercice.

M. Giroux : Oui.

La sénatrice MacAdam : Votre rapport fait état des dépenses prévues pour Anciens Combattants Canada. Le Budget supplémentaire des dépenses (B) comprend une augmentation de 943 millions de dollars en dépenses prévues pour les services axés sur la demande qui offrent du soutien aux anciens combattants admissibles et à leur famille.

Votre rapport mentionne qu’une partie des dépenses prévues par Anciens Combattants pourrait être visée par la définition de 2 % de l’OTAN s’appliquant aux dépenses militaires.

M. Giroux : Oui.

La sénatrice MacAdam : Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? Quelles dépenses sont visées par la définition de dépenses militaires?

M. Giroux : De façon générale, l’OTAN a une définition des dépenses militaires plus large que ce que nous considérons habituellement comme des dépenses militaires. Elle inclut, bien sûr, les dépenses militaires, mais aussi les dépenses de la Garde côtière car, dans de nombreux pays, il s’agit de forces paramilitaires, qui font partie de l’armée dans certains pays et qui disposent d’une force offensive et défensive dans de nombreux pays. La Garde côtière est considérée comme faisant partie des dépenses militaires.

Certaines dépenses des forces de police pour aider d’autres pays peuvent faire partie de ces dépenses, mais elles sont généralement peu élevées.

La part la plus importante des dépenses, outre l’armée et la Garde côtière, est habituellement les pensions des anciens combattants. Elles sont considérées comme des dépenses militaires. Les pensions et les services destinés aux anciens combattants sont généralement des dépenses militaires qui sont visées par la définition de l’OTAN et prises en compte dans les 2 %.

Dans de nombreux pays, les pensions et services destinés aux anciens combattants relèvent du ministère de la Défense nationale, ou de toute autre entité équivalente. Pour veiller à ce que tous reçoivent le même traitement, nous pouvons comptabiliser nos contributions aux anciens combattants dans la définition de 2 % de l’OTAN s’appliquant aux dépenses militaires.

La sénatrice MacAdam : Votre rapport indique que ces dépenses peuvent être visées par la définition.

M. Giroux : Oui, c’est ainsi que je le décris. On dit « peut » parce qu’il pourrait y avoir de petits segments qui ne sont pas pris en compte, si bien qu’on ne veut pas inclure toutes les dépenses au cas où il y aurait quelques millions ici et là qui ne seraient pas visés par la définition.

La sénatrice MacAdam : De façon générale, le ministère des Anciens Combattants est-il visé par la définition des dépenses militaires?

M. Giroux : Oui.

La sénatrice Kingston : Je vous remercie d’être ici; c’est toujours un plaisir de vous avoir parmi nous.

Je suis curieuse à propos d’une chose. Je commencerai par une citation tirée de votre aperçu du Budget supplémentaire des dépenses, à savoir qu’il :

[...] porte sur les besoins supplémentaires en matière des dépenses qui n’étaient pas suffisamment étoffées au moment du dépôt du budget principal des dépenses ou encore qui ont été peaufinées par la suite pour prendre en compte les changements apportés à des programmes ou à des services particuliers.

Je reviens ensuite à la première page d’un document d’information que nous avons reçu et qui traite des dépenses budgétaires législatives qui, selon ce qu’on m’a dit, sont payées quoi qu’il arrive. Elles ont déjà reçu l’autorisation nécessaire.

On mentionne ensuite que l’augmentation demandée cette fois-ci est liée à la Remise canadienne sur le carbone de 2,6 milliards de dollars pour les petites entreprises et de 307 millions de dollars pour les particuliers. J’ai deux réflexions ou questions à ce sujet. Premièrement, pourquoi ces augmentations n’auraient‑elles pas été anticipées, puisqu’elles ont lieu tous les deux mois depuis un certain temps? Avez-vous une idée à ce sujet? J’ai une autre question.

M. Giroux : Entendu. La remise sur le carbone est remboursée ou reversée aux particuliers. Elle est remboursée au rythme auquel elle est perçue, avec un léger décalage. C’est probablement un facteur ou le résultat de la redevance sur les combustibles, aussi connue sous le nom de taxe sur le carbone, qui est plus élevée qu’on le prévoyait au début de l’année. Une part plus importante doit être reversée aux ménages.

En ce qui concerne la remise aux petites entreprises, le gouvernement a pris la décision de la leur accorder. Cette décision a été retardée pendant plusieurs mois, voire plusieurs années.

Le gouvernement envisageait initialement des mesures destinées à aider les entreprises à procéder à une transition ou à décarboner l’économie. Il a plutôt décidé de verser des remboursements aux petites entreprises. Il y a eu un changement d’approche, ce qui explique probablement l’augmentation ou le transfert aux petites entreprises.

En ce qui concerne les ménages, le facteur est une hausse de la redevance sur les combustibles.

La sénatrice Kingston : Dans ce cas-ci, il y a un montant de recettes qui, à mon avis, compense cela. Je sais que j’ai tort. Je veux que vous me redisiez comment cela fonctionne, parce qu’il semble que vous ne regardiez pas les deux côtés de l’équation.

M. Giroux : Le Budget supplémentaire des dépenses demande l’autorisation de dépenser. Pour les programmes légiférés, comme la remise sur le carbone, c’est à titre indicatif, car le gouvernement a déjà l’autorisation par l’entremise d’une mesure législative distincte, de verser ces remboursements aux ménages et aux petites entreprises.

D’une part, le pouvoir de percevoir de l’argent provient de mesures législatives, de la Loi de l’impôt sur le revenu, de la loi sur la redevance sur les combustibles. Le nom ne me vient pas à l’esprit. Il existe une mesure législative qui permet au gouvernement de percevoir de l’argent. D’autre part, il doit demander l’autorisation de le dépenser. C’est ce qu’il fait avec le Budget supplémentaire des dépenses, même si pour les programmes qui ont leur propre mesure législative, il n’a pas besoin de demander l’autorisation aux parlementaires. C’est inclus à titre indicatif pour vous donner un aperçu plus complet. Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question.

La sénatrice Kingston : Oui, dans une certaine mesure. J’ai encore une petite question à vous poser. Quels sont les facteurs clés qui ont contribué à la multiplication par près de sept des dépenses liées aux Autochtones entre 2015-2016 et 2023-2024?

M. Giroux : C’est surtout attribuable aux décisions du gouvernement d’augmenter les services et les ressources destinés aux peuples autochtones. Il s’agit essentiellement de décisions politiques gouvernementales visant à allouer davantage de ressources.

Il y a aussi les augmentations naturelles de la population, ainsi que les facteurs démographiques, l’inflation et les décisions d’accélérer le rythme du règlement des revendications des Premières Nations. Il y a donc une décision délibérée d’accélérer le règlement de ces revendications, mais de façon générale, il s’agit de décisions politiques visant à augmenter les services à l’enfance et à la famille, par exemple, et tous les services disponibles aux populations autochtones.

La sénatrice Kingston : Par ailleurs, dans le document principal, il est question du logement dans le cadre des résultats escomptés pour les enfants. À l’heure actuelle, les enfants vivent dans des familles, ce qui profitera également à tout le monde. Mais l’argent a-t-il réellement été dépensé? A-t-on réellement fait avancer le dossier du logement autochtone?

M. Giroux : C’est quelque chose que nous pourrons déterminer lorsque Services aux Autochtones Canada publiera son rapport sur les résultats ministériels ou lorsque la SCHL publiera ses réalisations en matière de logement. Tout dépend de la personne qui est responsable des programmes de logement autochtone. Les rapports sur les résultats ministériels sont l’équivalent des rapports annuels pour les ministères.

Nous ne le savons donc pas encore et nous devons nous appuyer sur d’anciens rapports qui ont été déposés il y a un an, un an et demi ou deux ans.

La sénatrice Kingston : Je vous remercie.

[Français]

Le président : J’ai quelques questions. La première concerne les anciens combattants; il semblerait que l’augmentation des fonds requise vient du fait qu’il y a plus de demandes de prestations que ce à quoi l’on s’attendait et aussi du fait qu’un nombre plus élevé que prévu d’anciens combattants opte pour un paiement forfaitaire au lieu de paiements mensuels.

Y a-t-il un ordre de grandeur par rapport à ces demandes? J’ai déjà vu des situations où les gens demandaient un paiement forfaitaire, mais ils étaient mal placés, donc ils se retrouvaient en situation de précarité par la suite. Cela m’inquiète un peu.

M. Giroux : Je n’ai malheureusement pas les données sur ce programme précis et sur cette question précise. Je sais, d’après des expériences passées dans d’autres postes, que le ministère des Anciens Combattants a des équipes qui sont censées conseiller les anciens combattants lorsqu’ils ont à prendre une décision sur le genre de paiement, forfaitaire ou mensuel. Il n’y a pas de raison de croire que ces conseils ne sont plus fournis. Il s’agit probablement de la décision des anciens combattants eux‑mêmes. Effectivement, cela signifie que les fonds risquent de s’épuiser rapidement alors qu’un paiement mensuel, qui est bien moindre, peut être payé sur une plus longue période.

Le président : J’espère qu’il n’y aura pas de mauvaises décisions de la part de ces gens. Mon autre question vise le déficit : vers quoi nous dirigeons-nous pour l’année qui vient de se terminer et pour celle qui s’en vient? Je ne crois pas qu’il y aura de mise à jour économique. On annonce des dépenses. Des sommes devaient être perçues qui ne le sont pas. L’Agence du revenu du Canada devait percevoir la somme d’inclusion du gain en capital à 66 %, mais ne semble pas le faire, selon mes informations et ce qu’on a entendu de l’Agence du revenu. Ils avaient anticipé un grand nombre de revenus qui provenaient de cette inclusion pour le 25 juin.

Avez-vous une idée d’où l’on s’en va? Peut-être qu’une mise à jour serait de mise.

M. Giroux : En effet, pour l’année qui s’est terminée le 31 mars, on s’attend toujours à un déficit de près de 47 milliards de dollars. Par contre, nous n’avons pas d’information privilégiée à savoir si le gouvernement a eu des surprises agréables concernant ces obligations, des montants qui auraient pu être inscrits aux livres ou allégés, par exemple, si le gouvernement a résolu certaines réclamations contre la Couronne, ou les aurait évaluées à la baisse; dans le cas du surplus du régime de retraite de la fonction publique, il se peut qu’une partie ait pu être attribuée à l’année financière précédente. Nous ne sommes pas au courant de tout ce qui concerne l’année précédente. Notre estimation de déficit de 47 milliards de dollars est plus élevée que ce que le gouvernement avait prévu et ce sera plus élevé que 40 milliards de dollars.

En ce qui concerne cette année avec les annonces de la semaine dernière concernant le congé de TPS et de TVH, cela risque de coûter plusieurs milliards de dollars. Le gouvernement a mentionné 1,6 milliard de dollars. On est en train d’évaluer les coûts probables de ce congé, surtout si cela inclut la portion provinciale de la TVH, cela risque d’être un peu plus élevé, et les chèques de 250 $ qui seront versés, on dit au printemps, on suppose que ce sera dans l’année financière suivante, donc en 2025-2026. Ces facteurs suggèrent que le déficit sera probablement plus élevé que ce que le gouvernement a annoncé. On a mentionné en octobre que le déficit de l’année courante devrait se situer autour de 46 milliards de dollars. Cependant, avec l’annonce de la semaine dernière, on croit qu’il s’élèvera à 46 milliards de dollars au minimum, à moins que le surplus des régimes de retraite de la fonction publique vienne pallier en bonne partie ces dépenses additionnelles. Toutefois, si le taux d’inclusion plus élevé sur les gains en capitaux n’est pas approuvé, cela voudrait dire plusieurs milliards de dollars en moins en revenu pour le fisc. Cela pousserait donc le déficit à la hausse de façon assez importante.

Le président : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Smith : Je voulais examiner les dépenses liées au personnel. Elles continuent de représenter une part importante des prévisions budgétaires, comme les années précédentes. C’est la réalité d’une fonction publique croissante, avec des coûts de rémunération en hausse et des conventions collectives plus rentables.

D’après votre analyse, le gouvernement semble-t-il avoir mis en place des mécanismes efficaces pour contrôler cette croissance ou les dépenses liées au personnel risquent-elles de devenir insoutenables en l’absence de changements structurels?

M. Giroux : Y a-t-il des mécanismes pour contrôler la croissance? Oui, des annonces ont été faites concernant des réductions des dépenses, de nombreux exercices au cours des deux dernières années. La plupart d’entre eux n’ont pas été finalisés ou ont été suspendus, voire annulés dans un cas. Il y a aussi le Conseil du Trésor du Canada, le groupe de ministres, qui est chargé d’examiner les dépenses et d’approuver les chèques qui sont versés aux ministères, même s’ils ont été approuvés dans les budgets ou les budgets supplémentaires des dépenses. Il y a un groupe de ministres qui est chargé d’examiner les dépenses du gouvernement, y compris les dépenses liées au personnel.

Est-ce que je pense que les choses vont changer? Ce n’est pas ce que l’histoire suggère. Au cours des dernières années, nous avons constaté à plusieurs reprises que le gouvernement avait l’intention de réduire la taille de la fonction publique l’année suivante, peu importe l’année où vous posez cette question. C’est toujours l’année prochaine. Est-ce que ce sera différent cette fois-ci? Par rapport à la même période l’an dernier, les dépenses liées au personnel ont augmenté de 8 %. Cette année sera-t-elle différente? Je ne le pense pas, même si nous entendons dire que certains contrats d’emploi occasionnel ou à durée déterminée n’ont pas été renouvelés, mais nous n’avons pas assisté à une stabilisation ou à une réduction générale de la taille de la fonction publique, certainement pas en ce qui concerne les employés permanents ou, dans le langage d’Ottawa, les employés nommés pour une période indéterminée.

Je ne crois donc pas que les choses changent, mais je peux me tromper. Il y a peut-être quelque chose qui se passe et qui fait son chemin dans le système. Mais ce n’est pas ce que les chiffres révèlent en ce moment.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Est-ce que j’ai bien compris, quand vous êtes venu devant nous précédemment — je ne suis pas sûr que c’était vous, donc corrigez-moi si je vous mets des mots dans la bouche —, que la prévision pour l’augmentation de la taxation sur les gains en capital pourrait rapporter jusqu’à 9 ou 19 milliards de dollars cette année? Je me souviens plus des montants.

M. Giroux : Dix-neuf milliards de dollars sur cinq ans. Je crois qu’on parlait de six ou sept la première année, donc cette année, mais ma mémoire me fait défaut aussi.

Le sénateur Dalphond : On parlait d’un déficit de 52 milliards de dollars si on ne l’avait pas adopté. Le déficit de 46 milliards de dollars que vous anticipiez ne tient-il pas compte des mesures annoncées récemment?

M. Giroux : On ne savait pas; on n’était pas au courant de ces mesures, donc non.

Le sénateur Dalphond : Les prévisions antérieures étaient bien faites par le ministère des Finances. On vient d’ajouter le congé de TPS, qui va se transmettre à 1,6 milliard de dollars?

M. Giroux : Ce qui n’est pas clair, c’est si le montant de 1,6 milliard de dollars est uniquement pour la TPS ou s’il comprend la portion provinciale de la TVH. Il semble, selon le ministre Duclos et certains commentaires qui ont été faits dans les médias, que les provinces ne seront pas compensées, donc elles devront absorber cette perte de revenus.

Le sénateur Dalphond : Ce sera dans le déficit provincial ou dans la réduction des surplus. Cela voudrait dire qu’on a 46 milliards de dollars, en plus de 1,6 milliard de dollars au moins, et possiblement plus, si le projet de loi sur les gains en capital ne voit pas le jour. Merci.

[Traduction]

La sénatrice Kingston : Non.

La sénatrice Ross : Récemment, l’auteur néo-brunswickois Donald Savoie, qui est un auteur canadien prolifique et le titulaire de la chaire de recherche du Canada en administration et gouvernance, qui est également un expert puisqu’il siège au Comité consultatif indépendant sur les nominations au Sénat, a écrit un livre intitulé Speaking Truth to Canadians about Their Public Service. L’un des thèmes du livre était l’incapacité de contrôler la croissance de la fonction publique fédérale. Il parle des fonctionnaires fédéraux qui travaillent dur et qui sont dévoués, mais il parle aussi de la croissance incontrôlée.

Je regarde les 2,9 milliards de dollars de nouvelles dépenses liées au personnel et, pour répondre à la question du sénateur Smith, la moitié de ce montant va au Secrétariat du Conseil du Trésor. Selon vous, que va-t-il se passer? Il était prévu de réduire la fonction publique de 5 000 personnes sur quatre ans. Que va‑t‑il se passer?

M. Giroux : Si le gouvernement va de l’avant avec l’attrition, 5 000 personnes sur quatre ou cinq ans, ce n’est rien. On pourrait probablement très facilement le faire en six mois ou un an, sans que personne ne s’en aperçoive. Avec un effectif de 400 000 personnes, il ne faut pas de nombreux départs à la retraite. Que va-t-il donc se passer? C’est une bonne question.

Je pense que la taille de la fonction publique n’est pas un problème en soi. Elle peut devenir problématique si nous augmentons la taille de la fonction publique et ne constatons pas d’amélioration correspondante des services.

Comme la sénatrice Pate l’a mentionné, nous avons augmenté le financement destiné aux Premières Nations. La question est de savoir si elles constatent une amélioration des résultats et des services qu’elles reçoivent. Je n’ai pas la réponse à cette question. Mais j’ai examiné dans le passé les indicateurs de rendement des ministères et des agences, et les objectifs qu’ils relèvent et se fixent, et ils n’atteignent pas une grande partie d’entre eux.

Comme je l’ai dit à maintes reprises, c’est comme demander aux étudiants quel serait le sujet de l’examen et quelle sera la note de passage, et près de la moitié d’entre eux échouent. Ce n’est donc pas très ambitieux, et c’est probablement là où le bât blesse. Cela nuit franchement à la réputation de la fonction publique.

La sénatrice Ross : Quel serait un objectif ambitieux?

M. Giroux : Un objectif ambitieux serait de disposer d’objectifs et d’indicateurs de rendement significatifs pour les Canadiens. La grande majorité des ministères et des agences s’en sortent bien. Ce sont les objectifs, au pluriel, qui ont tendance à ne pas être très ambitieux, et je pense qu’il serait possible d’améliorer considérablement la fonction publique. Compte tenu de la taille et de la capacité des employés à la fonction publique, le rendement pourrait être nettement meilleur.

La sénatrice MacAdam : Votre rapport sur le Budget supplémentaire des dépenses (B) mentionne que le directeur parlementaire du budget a relevé 241 initiatives budgétaires, ce qui exclut les mesures hors cycle. Pouvez-vous nous en dire plus sur les mesures hors cycle?

M. Giroux : Un exemple typique de mesure hors cycle serait l’exonération de la TPS sur certains biens et services — principalement des biens — qui a été annoncée la semaine dernière. Les mesures hors cycle ne sont pas incluses dans un budget ou dans la mise à jour économique de l’automne. C’est ce à quoi nous faisons allusion. Ce peut aussi être les chèques de 200 $ ou les fonds qui seront versés aux particuliers au printemps. Ces mesures ne font pas partie du budget ou de la mise à jour économique de l’automne ; elles sont hors cycle.

Le sénateur Loffreda : J’avais quelques questions sur la fonction publique, et vous y avez répondu. Vous avez parlé de l’amélioration des services. J’avais une question à ce sujet, et je partage les préoccupations que vous avez soulevées.

Je passe à ma question suivante. J’ai été heureux de lire, hier, que les entreprises ont commencé à recevoir des chèques. J’avais déjà soulevé cette question. Je parle de la Remise canadienne sur le carbone. Dans le cadre de vos travaux sur la redevance fédérale sur les combustibles, avez-vous examiné quelle était son incidence sur les petites et moyennes entreprises canadiennes? Si ce n’est pas le cas, votre examen de l’incidence de la redevance sur les combustibles a-t-il débouché sur des constatations directes ou indirectes relatives aux entreprises et aux particuliers? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Giroux : Nous n’avons pas analysé l’incidence de la redevance sur les combustibles sur les petites entreprises. Nous avons analysé l’incidence de cette mesure sur l’économie dans son ensemble, mais pas précisément sur les petites entreprises.

Les petites entreprises ne sont généralement pas couvertes par le système de tarification fondé sur le rendement des grands émetteurs, mais celles qui se trouvent dans les provinces où le filet de sécurité fédéral s’applique doivent payer la redevance sur les combustibles, comme tout particulier ou ménage qui achète des combustibles fossiles ou doit acheter des services qui ont une composante énergétique élevée.

Les ménages reçoivent 93 % de la remise sur le carbone. Les entreprises se trouvent donc à payer une part importante de la remise; elles reçoivent une part moins grande que ce qu’elles paient. Selon une estimation effectuée par le gouvernement, je crois, les ménages paient environ 68 % de la redevance sur les combustibles, mais reçoivent 93 % des recettes. Les ménages reçoivent donc plus que ce qu’ils paient. C’est le contraire pour les entreprises.

Le sénateur Loffreda : J’ai ici une note qui indique que, le mois dernier, votre bureau a publié un rapport sur l’incidence financière de la redevance fédérale sur les combustibles sur le ménage moyen dans chacune des provinces où le filet de sécurité fédéral s’applique. Le ménage moyen connaîtra un gain net d’ici 2030-2031. Nous avons donc une note à propos de ce rapport. Je vous en remercie.

M. Giroux : Je vous en prie.

La sénatrice Pate : Vous venez de faire allusion à des programmes que l’on vient d’annoncer. Dans combien de temps pensez-vous être en mesure d’examiner l’incidence de la Remise pour les travailleurs canadiens et du congé de la TPS? Allez‑vous bientôt procéder à une évaluation de ces coûts?

M. Giroux : Dès que la mesure a été annoncée, nous avons commencé à faire des calculs très approximatifs, ce qui n’est pas vraiment utile, car n’importe qui peut le faire. Nous sommes en train de rassembler les données et les détails sur les produits qui seront exemptés de la TPS.

Un autre élément important était de savoir si le gouvernement, lorsqu’il a déclaré que la portion provinciale de la TVH serait également suspendue, allait indemniser les provinces ou non. Il semble que la décision ait été prise et approuvée. Nous devons donc obtenir suffisamment de détails et de données. Je ne peux pas vous donner d’échéancier pour l’instant, car nous sommes en train d’évaluer le temps que cela prendra. Nous n’en sommes qu’aux premières étapes. Mais c’est quelque chose que nous avons l’intention de faire dès que possible.

La sénatrice Pate : Certains se sont plaints que des groupes étaient exclus. Va-t-on évaluer combien d’argent sera récupéré, par exemple, auprès des personnes qui gagnent un revenu supérieur?

M. Giroux : Pas précisément, car il n’y a pas de récupération. On reçoit le chèque ou non. On le reçoit si, en 2023, on a gagné moins de 150 000 $. Il n’y a pas de récupération à proprement parler.

La sénatrice Pate : Je vous remercie.

[Français]

Le président : On voyait que l’Agence du revenu avait environ 10 milliards de dollars en prestations de payés en trop durant la pandémie, et qu’il tentait de recouvrer cette somme. Avec l’expérience qu’on a dans le rapport de 2022 que vous avez fait sur le taux de succès de recouvrement de la part de l’Agence du revenu, taux de succès qui était plutôt faible comparativement à d’autres pays, quel est votre degré d’optimisme pour en arriver à récupérer cette somme de 10 milliards de dollars?

De plus, comment cette somme est-elle ventilée dans les comptes? Est-ce qu’elle est considérée comme un revenu ou y a‑t-il déjà un aspect de mauvaise créance inscrit qui fait que si le montant n’est pas récupéré, cela n’affecte pas le déficit? On parle quand même de 10 milliards de dollars.

M. Giroux : Pour parler de mon optimisme ou de mon absence d’optimisme quant à la possibilité de recouvrer ces sommes, l’argent perdu, c’est un peu comme les personnes perdues. Plus vite on se met à leur recherche, plus vite on a des chances de les retrouver. C’est la même chose avec les mauvaises créances. Quand ça fait déjà plusieurs années que les créances sont mauvaises, la possibilité de récupérer les sommes décroît assez rapidement avec le temps écoulé depuis qu’elles sont enregistrées. Je ne suis donc pas très optimiste.

Concernant la façon dont la question est traitée, il y a une partie qui est peut-être inscrite aux livres dans les bilans comme étant des comptes client. Il y a une partie qui est radiée si, selon l’opinion de l’Agence du revenu, il est peu probable que ces sommes soient récupérées. Il y a des processus assez rigoureux qui sont effectués par les comptables, qui sont régis par un ordre professionnel. En général, leur évaluation d’une somme récupérable et d’une somme qui doit être radiée est assez bonne, surtout si on la prend en agrégé, et l’agence, en général, n’élimine pas son désir de récupérer les sommes, même lorsqu’elles ont été radiées. Si quelqu’un réapparaît avec un remboursement d’impôt dans ses livres, ils sont assez efficaces en général.

En général, pour une entreprise, c’est un cas de faillite, donc il y a peu de possibilités de les récupérer. Dans les cas de faillite, c’est assez difficile. Mais si ce sont des gens qui ont simplement oublié, ou qui se sont faits discrets en espérant que ce soit oublié, aussitôt qu’ils réapparaissent, l’agence est généralement capable de les récupérer. Mais dans les cas de faillite, ce n’est pas le cas.

Le président : Merci beaucoup aux témoins. C’est toujours un plaisir. Merci de votre disponibilité, surtout dans un délai assez serré.

Notre prochaine réunion se tiendra le mercredi 27 novembre, à 18 h 45, pour poursuivre notre étude du Budget supplémentaire des dépenses (B). Merci beaucoup, tout le monde. Bonne journée.

(La séance est levée.)

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