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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 6 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 18 h 46 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-264, Loi instituant la Journée internationale pour la coopération et la justice fiscales.

Le sénateur Claude Carignan (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour, honorables sénateurs et sénatrices.

Avant de commencer, je voudrais demander à tous les sénateurs et aux autres participants qui sont ici en personne de consulter les cartes sur la table pour connaître les lignes directrices qui visent à prévenir les incidents liés au retour de son. Veuillez tenir votre oreillette éloignée de tous les microphones à tout moment. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cet effet. Merci à tous de votre coopération.

Bienvenue aux sénateurs et sénatrices ainsi qu’à tous les Canadiens qui nous regardent sur sencanada.ca. Je m’appelle Claude Carignan, je suis un sénateur du Québec et je suis président du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je demanderais à mes collègues de se présenter, en commençant par ma gauche.

Le sénateur Forest : Bonsoir et bienvenue. Éric Forest, de la division du Golfe, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Kim Pate. J’habite ici sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.

[Français]

Le sénateur Loffreda : Bonsoir. Tony Loffreda, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Kingston : Joan Kingston, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice MacAdam : Jane MacAdam, de l’Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Ross : Krista Ross, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve et Labrador.

Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.

[Français]

Le président : Merci. Honorables sénateurs et sénatrices, aujourd’hui nous entamons notre étude du projet de loi S-264, Loi instituant la Journée internationale pour la coopération et la justice fiscales, qui a été renvoyé à ce comité par le Sénat du Canada le 9 mai 2024.

Nous avons le plaisir d’accueillir l’honorable Pierre J. Dalphond, parrain du projet de loi, Brigitte Alepin, fiscaliste et spécialiste en politiques fiscales, professeure en fiscalité à l’Université du Québec en Outaouais, et Lyne Latulippe, professeure, Département de fiscalité, École de gestion de l’Université de Sherbrooke.

Bienvenue à tous et merci d’avoir accepté notre invitation à comparaître aujourd’hui. Nous allons maintenant entendre la déclaration préliminaire du sénateur Dalphond, qui sera suivie de celles de Mmes Alepin et Latulippe. Sénateur Dalphond, la parole est à vous.

L’honorable Pierre J. Dalphond : Chers collègues, je suis très heureux d’être parmi vous ce soir pour parler du projet de loi S-264, Loi instituant la Journée internationale pour la coopération et la justice fiscales.

Parmi plus de 200 journées internationales reconnues par les Nations unies, aucune n’a de lien, de près ou de loin, avec la question fiscale. Pourtant, la fiscalité occupe une place déterminante dans le contrat social qui unit les sociétés partout à travers le monde.

Cette journée permettrait non seulement de mettre à profit un moment destiné à rappeler l’importance de la fiscalité en général et d’une fiscalité juste en particulier, mais aussi d’en débattre.

[Traduction]

Les scandales comme ceux des Pandora Papers et des Panama Papers — et je suis certain qu’il en existe bien d’autres — montrent bien que de nombreux contribuables, souvent parmi les plus riches, transgressent délibérément les règles. Tous ces scandales fiscaux sont une calamité et minent la confiance des Canadiens dans leurs institutions et dans leur régime fiscal.

La justice fiscale et la coopération fiscale sont intimement liées; dans un monde interdépendant, l’un ne peut pas exister sans l’autre. Chaque État étant souverainement responsable de la perception des impôts, il faut obtenir leur consentement pour en arriver à une coopération fiscale réelle. Bien sûr, certains États se servent de l’imposition comme d’un levier pour attirer les capitaux et les investissements. Les États qui ne recourent pas à ces pratiques abusives voient alors leur assiette fiscale se rétrécir, leurs recettes diminuer, leurs services publics se détériorer et la facture fiscale augmenter pour la majorité de leurs citoyens. Les premières victimes de cette concurrence fiscale sont souvent les pays les plus vulnérables.

Je me demande même si, à long terme, la concurrence fiscale fait vraiment des gagnants.

La coopération fiscale progressant souvent plus lentement que la mondialisation de l’économie, nous devons nous réjouir de voir les décideurs politiques prendre de plus en plus conscience de ce phénomène, parfois sous la pression de l’opinion publique. Au cours des dernières années, de nombreuses initiatives ont été entreprises à ce sujet, soit bilatéralement, soit, le plus souvent, par l’entremise de grandes organisations internationales, la principale étant l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui regroupe 38 pays représentant plus des trois quarts du produit intérieur brut mondial.

[Français]

En 2019, c’est sous l’égide de l’OCDE qu’un impôt minimum mondial sur les bénéfices des entreprises a été proposé. Un total de 130 pays se sont engagés à le ratifier. Comme une quarantaine d’autres pays à ce jour, le Canada l’a fait avec l’adoption du projet de loi C-69 le 20 juin dernier.

Brigitte Alepin sera certainement plus en mesure de vous détailler l’ensemble des avancées notables des dernières années en matière de coopération fiscale.

C’est au sortir de la Première Guerre mondiale que la question de la coopération fiscale a été particulièrement brûlante. Le coût de la reconstruction a nécessité des hausses d’impôts, qui ont provoqué une fuite des capitaux et des fortunes. Il a ainsi fallu coopérer pour éviter la double imposition des entreprises qui font des affaires dans plusieurs États, de même que pour dissuader l’évitement fiscal.

C’est en 1922, lors de la Conférence de Gênes à laquelle 34 pays participaient, que le mouvement de coopération fiscale est lancé. Un comité fiscal international permanent est créé et placé sous l’égide de la Société des Nations. Ce comité fiscal a tenu sa première réunion le 4 juin 1923. C’est pourquoi nous proposons de retenir le 4 juin comme Journée internationale pour la coopération et la justice fiscales.

Ce projet de loi est une première étape. Il reviendra ensuite au gouvernement canadien d’instaurer la reconnaissance d’une telle journée aux Nations unies afin de faire avancer les débats et d’encourager les pays à parler de coopération fiscale et de justice fiscale internationales.

Je veux remercier de nouveau Brigitte Alepin, qui m’accompagne aujourd’hui et qui est véritablement la muse de ce projet de loi. Elle est une fiscaliste reconnue et infaillible et elle est motivée à parvenir à une plus grande justice fiscale, non seulement au Québec, mais aussi au Canada et dans le monde entier. J’étais bien heureux lorsqu’elle m’a demandé si j’accepterais de participer avec elle à ce projet en vue d’une journée internationale de la fiscalité. Comme elle, de nombreux acteurs et organisations travaillent concrètement tous les jours pour conseiller et former les dirigeants politiques du monde entier afin d’améliorer les législations fiscales et de les harmoniser dans le but de parvenir à une plus grande justice fiscale.

Comme législateurs, nous devons assurément jouer notre rôle pour disposer de règles justes et rigoureuses. Or, ce genre d’initiative d’ordre plus symbolique permet aussi de rappeler non seulement aux Canadiens, mais à l’ensemble des autres pays notre attachement à ces principes fondamentaux de justice et de coopération fiscales. Merci de votre attention. Meegwetch. Je laisse la parole à Brigitte Alepin.

Brigitte Alepin, fiscaliste et spécialiste en politiques fiscales, professeure en fiscalité, Université du Québec en Outaouais, à titre personnel : Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs. Je comparais devant vous ce soir pour soutenir la création de la Journée internationale pour la coopération et la justice fiscales.

Comme le disait le sénateur Dalphond, il existe plus de 200 journées mondiales et internationales et aucune d’entre elles ne traite de près ou de loin de la fiscalité. C’est surprenant, car tous les aspects de la fiscalité sont importants et touchent tous les membres de notre société. Le fait de réaliser qu’aucune journée internationale vouée à la fiscalité n’existe me paraît incroyable. Cela me surprend et je vous le répète.

Dans un monde où la mondialisation règne en maître, une coopération fiscale solide est vitale. Sans elle, nous risquons de voir nos régimes fiscaux se fragiliser sous la pression d’une concurrence déloyale. Alors que les entreprises peuvent aisément déplacer leurs bénéfices vers des régimes fiscaux plus cléments, nous faisons face à une course vers le bas qui compromet l’intégralité et l’intégrité de nos finances publiques. À cet effet, il est regrettable que, lors des négociations passées sur la mondialisation, nous ne nous soyons pas penchés sur la question de concurrence fiscale internationale et sur la nécessité de coopérer fiscalement. Autant les organisations internationales que nous, aujourd’hui, essayons de trouver des façons d’amener cette coopération fiscale à un niveau mondial et à la portée de tous les citoyens par la mise en œuvre de cette journée. Comme on l’a dit, la Journée internationale pour la coopération et la justice fiscales vise la coopération fiscale, j’en ai parlé, mais elle vise aussi la justice fiscale.

En ce qui concerne la justice fiscale, elle est impérative à une époque où les grandes fortunes, tant corporatives que personnelles, s’accumulent à un rythme préoccupant, tandis que leur contribution fiscale diminue. La justice fiscale n’est pas simplement un principe éthique, mais une nécessité pour renforcer l’équité sociale et la confiance des citoyens dans leurs institutions.

L’instauration de la Journée internationale pour la coopération et la justice fiscales représente un pas important vers la sensibilisation de notre société à ces enjeux cruciaux. Elle offre une occasion de tenir le public informé et engagé dans les discussions nécessaires d’une manière périodique pour améliorer nos règles fiscales communes, tout en favorisant l’échange d’idées et la recherche de solutions innovantes.

Le Canada joue un rôle actif et engagé dans des discussions constructives sur divers enjeux, y compris la fiscalité, au sein des Nations unies, de l’OCDE, du G7 et du G20. Nos contributions y sont historiquement bien accueillies et reconnues. Récemment, nous avons vu des avancées significatives en matière de coopération et de justice fiscales, notamment sous l’égide de l’OCDE et de l’ONU, et le Canada s’est imposé comme un fervent défenseur de ces initiatives et j’en suis fière. Bien que notre régime fiscal canadien ne soit pas exempt de critiques — je l’ai moi-même critiqué à maintes reprises depuis 25 ans —, il reflète des valeurs essentielles de coopération et de justice. Lorsqu’on le connaît bien, on le voit et l’on ressent ces valeurs à même le régime fiscal.

Fort de cette expérience et de ces principes, le Canada est parfaitement positionné pour mener cette initiative auprès des Nations unies et plaider en faveur de l’adoption d’une résolution établissant la Journée internationale pour la coopération et la justice fiscales, soit la première journée internationale dédiée à la fiscalité.

Nous avons déjà des alliés dans cette démarche. Des organisations comme l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec et le Consortium international des journalistes d’enquête soutiennent fermement cette initiative. De plus, des personnes respectées dans le domaine de la fiscalité, comme Pascal Saint-Amans, ancien directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, ont également exprimé leur soutien.

Pour conclure, je me permets de paraphraser le sénateur Dalphond. À titre de parlementaires, il est de notre responsabilité de faire en sorte que tous les contribuables, qu’ils soient des citoyens ou des entreprises, s’acquittent de leur juste part d’impôt et que cela ne soit pas une source de conflits susceptibles de créer plus de déflagrations dans un monde déjà suffisamment tourmenté. Le Canada doit renforcer son action et être à la hauteur des enjeux pour un monde plus juste et plus apaisé.

Je vous invite donc tous à soutenir cette initiative qui, j’en suis convaincue, contribuera à construire un avenir fiscal à la hauteur de nos prochaines générations. Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame Alepin. Nous poursuivrons avec notre autre invitée, Mme Latulippe.

Lyne Latulippe, professeure, Département de fiscalité, École de gestion, Université de Sherbrooke, à titre personnel : Bonsoir et merci. C’est avec plaisir que je comparais devant vous ce soir pour attester de mon intérêt et de mon appui envers cette Journée internationale pour la coopération et la justice fiscales. Cela a été quelque peu évoqué dans les propos précédents, mais la coopération a évolué au fil du temps pour prendre différentes formes. Nous ne sommes pas encore au point où la coopération est idéale, mais cela a quand même évolué au fil du temps.

Depuis l’établissement de régimes fiscaux nationaux dans de nombreux pays au début du XXe siècle, la coopération a été discutée sous certaines formes. Son objectif était double, à l’époque, mais quand même assez limité. C’était, d’une part, de protéger les assiettes fiscales contre l’évasion et de prévenir la double imposition. Cela permettait quand même d’atteindre une certaine forme de justice fiscale. Cette coopération avait aussi une forme qui était limitée : la forme bilatérale. Pendant de nombreuses années, le cadre fiscal international reposait sur la signature par deux pays d’une convention fiscale bilatérale. Le réseau compte maintenant plus de 3 000 conventions fiscales toutes inspirées à peu près d’un modèle commun.

Par contre, à mesure que l’économie s’est mondialisée, la nécessité d’une coopération un peu plus grande est devenue un enjeu crucial. Pendant des années, ce manque de coordination a permis l’émergence de pratiques de planification fiscale qui étaient rendues possibles parce qu’il y avait une grande mobilité des capitaux, des actifs et même des employés. S’est ajoutée à cela la dématérialisation de l’économie qui a multiplié les possibilités de planifier pour transférer des bénéfices dans une sphère de compétence, ce qui a été favorable, sans transférer d’activités économiques. Cela créait vraiment un défi pour protéger les bases fiscales.

Tout cela, à cause d’un manque de coopération fiscale, a profité essentiellement, comme on l’a mentionné précédemment, aux grandes entreprises et aux individus les plus fortunés qui peuvent exploiter ces failles de manière injuste.

Depuis le début des années 2000, on a quand même des avancées un peu plus grandes en matière de coopération, notamment grâce à des actions réalisées et entreprises par l’OCDE, qui a d’abord proposé un cadre d’échange de renseignements entre pays pour permettre aux administrations fiscales d’accéder aux informations fiscales de ses résidents à l’étranger. Les pays ont largement participé. Ils ont adhéré à ces principes et mis en place l’échange automatique de renseignements, ce qui permettait de mettre fin à une certaine forme de secret bancaire, qui était essentiel pour l’évasion fiscale.

Forte de ce succès, l’OCDE a lancé son fameux projet sur l’érosion de l’assiette fiscale et le transfert de bénéfices en 2012-2013, ce qui a abouti en 2015 à 15 actions pour combler certaines lacunes des régimes fiscaux nationaux. On visait donc à colmater certaines brèches. Il y a des problèmes qui étaient tout de même persistants avec les régimes actuels. Malgré ces remèdes des 15 actions auxquels plusieurs pays ont adhéré, il demeurait des problèmes.

Cela a amené une coopération à un autre niveau. Cela a été évoqué : c’est une grande réforme à partir de 2019 qui a instauré, d’une part, un impôt minimum mondial — les pays y ont adhéré —, et on est vraiment en train d’en voir l’implantation dans de nombreux pays. Dans un premier temps, cette mise en œuvre aura lieu principalement dans des pays développés qui ont les ressources pour aller à l’avant avec ce type de réforme, mais suivront d’autres pays au fil du temps.

Le deuxième volet de la proposition, qui depuis 2019 comportait l’impôt minimum, comporte aussi une réattribution des droits d’imposition au pays de marché, même si une entreprise n’y a pas de présence physique. On veut s’assurer aussi qu’on adhère à une option multilatérale comme celle-là et qu’on met fin aux taxes pour les services numériques qui étaient, jusqu’à maintenant, la solution unilatérale qui était autrement priorisée en l’absence d’une entente multilatérale.

Cette proposition continue de présenter des défis. La coopération, ce n’est pas toujours évident. Les pays ont des intérêts divergents. On le voit un peu plus dans cette portion. Il est un peu plus difficile pour les pays d’arriver à un texte pour un accord multilatéral, mais cela continue d’évoluer.

Il faut noter que la mise en place d’une coopération inclusive réunissant un grand nombre de pays avec des intérêts divergents, ce n’est vraiment pas chose facile. L’OCDE a rassemblé plusieurs pays autour de la table avec son cadre inclusif, mais il convient aussi de souligner le travail de l’ONU pour contribuer à la mise en place d’un forum ouvert et inclusif.

Il y a 15 ans, l’idée d’un impôt minimum mondial semblait utopique puisque cela s’opposait totalement à la souveraineté fiscale des pays. Cependant, face à la difficulté croissante d’imposer les contribuables internationaux, les États se sont rendus à l’évidence qu’une coopération était la seule façon de s’assurer un minimum d’imposition, particulièrement pour les plus grandes entreprises. Les progrès réalisés pour imposer ces multinationales sont notables, mais il reste du travail à faire pour améliorer la justice fiscale en ciblant notamment les entreprises de taille intermédiaire, les entreprises du numérique et les individus très fortunés.

Il est essentiel de maintenir et de renforcer cette coopération internationale qui naît et qui prend de l’ampleur pour mettre en place les conditions favorisant la justice fiscale. L’instauration d’une Journée internationale de la coopération et de la justice fiscales souligne l’importance de remettre la justice fiscale au premier plan et reconnaît que la seule façon de progresser dans ce domaine est par une coopération internationale et non par une concurrence fiscale entre les États.

Cette journée permet aussi de rappeler le rôle que la fiscalité peut jouer et qu’on peut lui faire jouer en coopérant vers une meilleure justice, entre autres pour faire face aux défis environnementaux, en encourageant des comportements responsables et en générant des recettes pour faire face aux coûts liés aux changements climatiques. Ici encore, la justice fiscale est un enjeu et la coopération est essentielle pour mettre en place des règles de jeu équitables. En proposant la création de cette journée internationale, le Canada réaffirme son engagement en faveur de la coopération fiscale et au service de la justice fiscale. Cela démontre un leadership sur un enjeu fondamental pour les sociétés d’aujourd’hui. Merci.

Le président : Merci beaucoup pour votre passion. Nous en sommes à la période des questions. Nous allons demander à la sénatrice Marshall, qui connaît un peu la fiscalité, de commencer.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Ma question s’adresse à vous tous, mais le sénateur Dalphond pourrait répondre en premier.

En lisant votre projet de loi, je me suis rappelé un article que j’ai lu la semaine dernière dans The Hill Times. Je ne sais pas si vous l’avez lu. Il s’intitule « Tax fairness for whom? Canadian negotiators present roadblocks in reforming global tax rules », ce qui donnerait en français L’équité fiscale pour qui? Les négociateurs canadiens font obstacle à la réforme des règles fiscales mondiales. On y parle du cadre de référence élaboré par les Nations unies à New York en vue de parvenir à une équité fiscale, et on mentionne que 100 pays ont voté en faveur, 44 se sont abstenus et 8 ont voté contre. Un des pays ayant voté « contre » était le Canada.

J’ai été surprise de cela, car il semble que certaines initiatives que ce groupe appuie vont dans le même sens que ce dont parle la ministre Freeland. Il semble qu’ils soient sur la même longueur d’onde.

Y a-t-il eu des discussions avec le gouvernement pour savoir s’il appuierait ce projet de loi? Pourriez-vous nous dire si cet article entre en contradiction avec votre projet de loi? Qu’est-ce que vous en pensez?

Le sénateur Dalphond : Je vous remercie, sénatrice Marshall, de la question.

Non, je n’ai pas discuté du contenu du projet de loi avec un ministre ou avec le premier ministre. J’en ai discuté avec Mme Alepin, que j’ai rencontrée. Je n’ai pas rencontré Mme Latulippe, mais je vois que c’est un sujet qui la passionne tout autant que Mme Alepin.

Je crois qu’il faut accroître la coopération internationale. Les Panama Papers ont été une vraie révélation pour moi quand tous ces rapports ont été publiés sur des gens de partout au Canada qui déclarent résider dans un autre pays et qui cachent une part importante de leurs actifs pour ne pas qu’ils soient imposés par l’Agence du revenu du Canada, l’ARC.

Ce qui m’a surpris, c’est la difficulté qu’a l’ARC d’agir. Si les autres pays ne coopèrent pas, l’agence ne peut pas vraiment obtenir l’information. Elle est limitée par ce qu’elle peut obtenir au Canada. Il n’y a que les fuites illégales ou non autorisées de documents ou provenant de sources bien informées qui peuvent lui permettre de découvrir ce qui se passe. Je sais que le gouvernement a mis sur pied une équipe spéciale à l’ARC pour examiner les Panama Papers et savoir quels Canadiens sont concernés. Je ne sais pas ce qui se passe ensuite, mais je présume que des modifications sont apportées à leur déclaration de revenus et que les intéressés acceptent de verser les sommes dues pour éviter des poursuites. C’est sans doute ce qu’il y a de mieux à faire.

Je sais que la coopération est un élément essentiel. Aucun pays ne devrait servir de refuge pour les personnes qui veulent que l’information à leur sujet soit blindée.

La sénatrice Marshall : J’ai été étonnée par cet article et surprise de voir que le Canada n’appuyait pas le cadre de référence. Pourriez-vous lire l’article, et si vous avez des observations à ce sujet, vous pourriez les acheminer à la greffière. Lorsque j’ai lu l’ébauche du projet de loi, la première chose qui m’est venue à l’esprit est cet article dans The Hill Times.

Vous avez parlé de l’Agence du revenu du Canada. Ses représentants sont venus témoigner au Comité des finances à diverses reprises. Vous avez parlé du projet de loi du sénateur Downe, le S-258, dans votre allocution. On a l’impression que l’ARC — et j’appuie le projet de loi du sénateur Downe —, et c’est en quelque sorte sous-entendu dans le projet de loi, n’est pas à même de s’assurer que les règles en place sont respectées. C’est l’un des problèmes que nous avons. Qu’en pensez-vous?

J’aimerais aussi avoir des précisions au sujet de ce que vous avez mentionné à la fin, soit qu’en plus des normes juridiques contraignantes qui sont indispensables pour assurer la justice fiscale — je pense savoir ce que vous voulez dire par là —, il faut des initiatives symboliques pour sensibiliser davantage l’opinion publique. Pourriez-vous simplement clarifier cet élément?

Le sénateur Dalphond : Il faut sensibiliser davantage l’opinion publique pour que les gens se rendent compte qu’il est important que tout le monde contribue sa juste part au système social.

La sénatrice Marshall : Est-ce que l’expression « juste part » est définie quelque part?

Le sénateur Dalphond : Il est important que la coopération internationale aille dans le sens d’un impôt minimal, par exemple, ou d’une façon d’imposer les multinationales qui n’ont aucun bien durable dans de nombreux pays. En 1922-1923, l’impôt était basé sur les biens immobiliers. Nous sommes loin de cela maintenant.

Il faut trouver une solution intelligente à ce problème, et je ne pense pas qu’un pays puisse y arriver seul. Tous les pays doivent travailler ensemble pour établir un cadre minimum. C’est ce à quoi travaille l’OCDE, et je pense que c’est ce que nous voulons rappeler aux Canadiens périodiquement. C’est ce sur quoi il faut se pencher et demander au gouvernement de s’investir pleinement.

La sénatrice Marshall : J’aimerais que vous lisiez l’article, parce qu’il semble à mon avis...

Le sénateur Dalphond : Je vais le faire ce soir.

La sénatrice Marshall : ... que la position du gouvernement sur le cadre de référence ne concorde pas avec votre projet de loi. C’est sans doute la meilleure façon de le dire. Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Forest : Merci de votre présentation. Merci, sénateur Dalphond, d’avoir présenté ce projet de loi. Je pense qu’on est à une époque où nos programmes sociaux sont de plus en plus importants, et quand on regarde les déficits qui sont exponentiels, il y a certainement des actions à poser, l’un des éléments importants étant sans doute l’évasion fiscale, puis, comme vous l’avez si bien mentionné, la seule façon d’en venir à bout est par une coopération entre toutes les autorités fiscales sur la scène internationale.

Ma question est la suivante : le système juridique canadien et l’importance que l’on accorde aux droits individuels sont-ils en partie responsables de l’inefficacité du Canada à lutter contre les paradis fiscaux?

Je vous donne l’exemple des États-Unis qui, depuis 2014, forcent les banques étrangères à dévoiler les comptes de tous leurs clients américains à l’étranger — un incitatif efficace qui n’existe pas au Canada.

Sommes-nous trop laxistes au Canada envers notre législation fiscale?

Le sénateur Dalphond : Il y a une dimension politique dans le laxisme, mais je vais laisser la parole à l’experte en fiscalité internationale, la professeure Alepin.

Mme Alepin : Oui, il existe une règle similaire au Canada. C’est vrai que ce qu’on appelle les règles de la FATCA, soit la loi américaine sur les observations fiscales des comptes à l’étranger, existent depuis un certain temps. Les États-Unis ont donc un ensemble de règles qui obligent les institutions financières à divulguer de l’information au gouvernement américain. À l’international, avec l’OCDE, plusieurs autres pays, y compris le Canada, ont mis en place des règles similaires inspirées de ces règles et y ont adhéré. Cela explique pourquoi on dit souvent que le fameux secret bancaire en Suisse n’existe pratiquement plus de nos jours.

De notre côté, les Canadiens qui font affaire avec des paradis fiscaux ont signé cette entente de divulgation d’informations, et il est pratiquement impossible, de nos jours, de s’adonner à l’évasion fiscale en y déposant de l’argent sans dévoiler les rendements qui en découlent aux autorités fiscales canadiennes. Cela s’explique en raison des règles canadiennes qui ont été adoptées et qui ressemblent beaucoup aux règles américaines que vous mentionnez.

Le sénateur Forest : Selon vous, même si l’on s’est doté d’outils, est-ce qu’on utilise tous ceux qui pourraient être à la disposition de la législation pour contrer encore plus efficacement l’évasion fiscale? Parce qu’il semblerait que, vu de l’extérieur, on obtient des résultats, mais qui ne sont pas à la hauteur de ce qu’on est en mesure d’espérer.

Mme Alepin : Je dois vous dire que vous parlez à une grande critique de longue date du régime fiscal canadien.

J’ai écrit des livres, comme Ces riches qui ne paient pas d’impôts, donc je suis une personne qui a la critique facile par rapport au régime fiscal canadien.

C’est sûr que le régime fiscal canadien n’est pas exempt de critiques et il n’est pas parfait, comme tous les régimes fiscaux, d’ailleurs. Je pense toutefois que notre régime fiscal soutient fermement la réforme fiscale internationale. On peut parler de règles pour mettre fin au secret bancaire et pour obtenir les informations de Canadiens qui font de l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux. On peut aussi parler de l’utilisation d’informations qui proviennent des différents scandales fiscaux qui ont été portés à l’attention de l’Agence du revenu du Canada.

Je ne serais pas ici aujourd’hui si je croyais que le Canada ne peut pas adopter ce projet de loi. J’essaierais d’amener cette journée d’une autre manière. Personnellement, je serais heureuse d’être la porte-parole du Canada pour l’instauration de cette journée.

Que ce soit au niveau des Canadiens ou au niveau des multinationales, le Canada a été un des premiers à appuyer la réforme fiscale BEPS de l’OCDE. On ne voit pas tout ce qui se fait de positif, mais beaucoup de choses se font. Évidemment, on pourrait en faire davantage.

Par exemple, je crois fermement que les mesures fiscales pour les organismes de bienfaisance ne sont pas appropriées. C’est sûr qu’il y a des choses qu’on pourrait faire, mais c’est important de mettre en place cette journée. Les générations futures doivent voir l’importance de la coopération et de la justice fiscales. Si je regarde tous les pays de la planète, le Canada est bien positionné pour le faire.

[Traduction]

Le sénateur Smith : J’ai une question pour le sénateur Dalphond et peut-être aussi pour vos collaboratrices.

Votre objectif avec ce projet de loi est de faire de cette journée une journée internationale reconnue par les Nations unies. Ce faisant, on braquerait les projecteurs sur la justice et la coopération fiscales et cela servirait en fin de compte de catalyseur pour mettre en place des initiatives multilatérales concrètes afin d’accroître l’harmonisation des lois fiscales et le partage de l’information fiscale.

Dans quelle mesure croyez-vous que la désignation de ce jour pourrait mener à des initiatives multilatérales concrètes? Pourquoi l’ONU ne l’a-t-elle pas déjà fait?

Le sénateur Dalphond : Eh bien, Mme Alepin vous en dira sans doute plus à ce sujet, mais il faut qu’un pays en fasse la proposition. Pour pouvoir le faire, il faut qu’il l’ait reconnu. Je vais céder la parole à Mme Alepin qui pourra vous en dire plus.

[Français]

Mme Alepin : J’ai eu l’occasion de parler de l’implantation de la journée internationale avec Michael Lennard, chef du Comité d’experts de la coopération internationale en matière fiscale des Nations unies.

C’est une bonne idée et c’est surprenant. Moi-même, je suis surprise que personne n’ait pensé à mettre en place cette journée jusqu’à présent. Je me dis que nous, les Canadiens, nous avons de bonnes idées; je pense que c’est une très bonne idée et que c’est nécessaire de le faire.

Depuis des années, je fais du bénévolat pour instituer cette journée, parce que j’y crois beaucoup et que je pense que nous avons une belle équipe pour la mettre en place. Nous ne sommes pas parfaits. Si l’on gratte, on va trouver nos imperfections fiscales, c’est certain, mais je pense que nous sommes très bien positionnés à l’échelle internationale pour plaider en faveur de la création de cette journée.

On a depuis longtemps montré notre soutien à des initiatives à l’OCDE en matière de fiscalité. Vous savez qu’en ce moment l’ONU se joint à la discussion internationale. En plus du Canada, certains pays en voie de développement soutiennent les initiatives de l’ONU, alors que d’autres ne savent pas trop comment se situer par rapport au fait d’appuyer à la fois l’OCDE et l’ONU.

Nous sommes en période d’adaptation et de développement, dans laquelle une deuxième grande organisation entre dans le champ de discussion de la coopération fiscale internationale, et le Canada a réellement sa place. Je profitais de l’occasion pour répondre à la question de madame la sénatrice plus tôt.

Le président : Madame Latulippe, voulez-vous ajouter un commentaire?

Mme Latulippe : En fait, je suis d’accord pour dire que d’une part, il faut lancer la balle et que, d’autre part, c’est étrange qu’il n’existe pas encore de Journée internationale pour la coopération et la justice fiscales. Il faut donc en parler.

Si on attend que le pays parfait qui n’a rien à se reprocher le fasse, il n’y en aura pas, parce qu’aucun pays n’a un régime fiscal parfait, ne peut prétendre qu’il représente totalement la justice fiscale.

Je suis d’accord avec ce que Brigitte Alepin disait. Le régime fiscal n’est pas parfait, il y a des choses compliquées en matière d’impôt relatif aux entreprises qui permet encore dans notre système certaines planifications. Si la règle est là, on ne peut pas reprocher aux entreprises d’en tirer avantage. Il y a des choses qui ne sont pas parfaites, mais en même temps, chaque pays a le choix de faire de la concurrence ou de coopérer.

On se dit que si on n’élève pas la coopération à un certain niveau, tout le monde va préférer faire de la concurrence même si, au bout du compte, tout le monde est peut-être perdant. Il faut amener cette coopération.

La journée où l’on s’assoit ensemble et l’on accepte de coopérer, la solution ne vient pas facilement. L’OCDE a travaillé fort pendant des années, mais on lui reprochait de représenter les pays développés. Plus de 140 pays se sont rassemblés autour de la table, mais certains pays moins développés se sentaient moins impliqués dans les discussions. C’est la raison pour laquelle l’ONU a repris l’idée. Donc, on remarque qu’il y a une volonté de coopérer. Cependant, malgré cette volonté, la solution ne vient pas aisément.

Il faut donner le temps à la coopération de devenir efficace et je crois que c’est en alimentant la coopération qu’on trouvera éventuellement des solutions qui rejoindront les intérêts de tout le monde.

[Traduction]

La sénatrice MacAdam : J’ai quelques questions auxquelles tous les témoins peuvent répondre.

Voici la première : comment définissez-vous la justice fiscale? J’ai été étonnée de voir qu’il n’y avait pas de définition dans le projet de loi. Pensez-vous qu’il devrait en contenir une?

Le sénateur Dalphond : Je pense que la justice fiscale est un terme qui devra être défini par les organisations internationales, c’est-à-dire en quoi consiste une fiscalité équitable et un partage équitable entre les pays. Le but de ce projet de loi n’est pas de définir ce qui fera partie de la coopération internationale, mais simplement d’envoyer le message que nous avons besoin d’une coopération internationale dans ce domaine et que nous devons trouver des façons de le faire, car c’est la seule façon d’en arriver à une plus grande équité et justice fiscales.

Sénatrice Marshall, j’ai lu l’article dans The Hill Times, et je pense que cela m’a convaincu que nous avons besoin de cette journée pour forcer le gouvernement à expliquer son comportement. Si j’ai bien compris les auteurs de cette chronique, ils ont été très surpris par l’attitude des représentants du gouvernement, et je pense que cela montre qu’il faut encore discuter de ce sujet et dire clairement qu’ils doivent prendre part aux discussions et non rester à l’écart.

Oui, je déplore le fait que les représentants du gouvernement aient voté contre.

La sénatrice Marshall : Vous n’avez donc pas besoin de répondre par écrit.

La sénatrice MacAdam : Vous avez pris une partie de mon temps.

Le sénateur Dalphond : J’allais dire que pour être juste, le président vous donnerait une minute de plus.

La sénatrice MacAdam : C’est bon.

Les autres témoins aimeraient-elles ajouter quelque chose? Je comprends qu’il s’agit d’une coopération fiscale internationale. Je parle du terme « équité fiscale ». Quand je vais sur Google, je trouve une foule de définitions pour « équité fiscale », alors je voulais avoir une discussion à ce sujet. Certains pensent que cela signifie plus d’impôts pour les riches. Quand on parle d’équité fiscale, les points de vue diffèrent, alors j’aimerais savoir ce que vous en pensez.

[Français]

Mme Alepin : La question est vraiment pertinente et j’aime la façon dont le sénateur Dalphond y a répondu. Je vois en vous de grandes qualités d’avocat.

Le président : Il est plus politicien maintenant, je vous dirais.

Mme Alepin : Je me suis posé la question — et le sénateur aussi, à mon avis — lorsque le projet de loi a été rédigé. Je pense que ce ne serait pas la place, comme le dit le sénateur Dalphond, d’écrire une définition. Ça dépend des pays et des valeurs des citoyens. Je me disais qu’on pourrait peut-être simplement dire qu’on voudrait une contribution fiscale à la hauteur de sa capacité de payer. C’est un principe un peu reconnu. L’idée de cette journée n’est pas de proposer une définition en tant que telle, c’est de dire que sans la justice fiscale, quelle que soit la définition qu’on lui donne dans les différents pays, les contribuables ne la soutiennent pas. Si on regarde l’histoire, la Révolution française et le Boston Tea Party, aussitôt que les contribuables ont l’impression que le régime n’est pas juste, ils ne le soutiennent plus. On voit de fortes réactions, ça peut faire des guerres sanglantes et souvent, la fiscalité représente notre dépense la plus importante dans notre budget personnel. Je ne crois pas que le projet de loi soit l’endroit où mettre une définition. Je comprends la question et je pense que si on met en place une journée internationale pour souligner la fiscalité, il faut que la coopération fiscale soit là et il faut également que la justice fiscale soit là. Pour rallier les différents intervenants canadiens et internationaux à cette journée.

[Traduction]

La sénatrice MacAdam : Comptables professionnels agréés du Canada, ou CPA Canada, que vous connaissez bien, demande qu’on procède à une grande réforme fiscale ici au Canada. Selon CPA Canada, de nombreux pairs internationaux du Canada ont entrepris de procéder à une réforme complète ou à un examen exhaustif de leur régime fiscal.

Que se passera-t-il si le Canada n’en fait pas autant? Ne serions-nous pas dans une meilleure position pour collaborer sur la scène internationale si nous procédions aussi à un examen de notre régime fiscal?

Le sénateur Dalphond : Je pense que nous sommes toujours dans une meilleure position quand on est en tête de peloton que lorsqu’on reste derrière. Le régime fiscal est complexe, et il est de plus fondé sur des notions qui ont changé parce que les actifs ne sont plus des actifs au sens traditionnel. Il faut donc en tenir compte. Un examen exhaustif de notre régime fiscal serait assurément une bonne façon de le moderniser, parce que, tout comme pour le système de droit pénal, on procède à des modifications à la pièce.

Je ne sais pas toutefois si nous avons encore un cadre général dans lequel s’inscrivent tous ces changements. Vous le savez mieux que moi, en tant qu’experte dans ce domaine. Je vous remercie d’avoir mentionné que selon CPA Canada, cela doit être fait. Si on procède à une réforme majeure au sud de la frontière, nous pourrions être forcés de le faire aussi.

La sénatrice MacAdam : Les autres témoins aimeraient-elles intervenir?

Mme Alepin : Je veux simplement m’assurer de bien comprendre votre question. Selon vous, CPA Canada propose de procéder à un examen exhaustif, est-ce bien ce dont vous parlez?

La sénatrice MacAdam : CPA Canada propose-t-il de procéder à un examen du régime fiscal?

Mme Alepin : Il n’y a pas que CPA Canada qui le fait, mais aussi d’autres organismes.

Oui, je crois que je suis d’accord avec cela. Quand on parle de l’imposition des organismes de bienfaisance ou même des PME, il y a des sujets spécialisés en matière fiscale au Canada pour lesquels il faudrait éviter de procéder à la pièce; il faudrait procéder en profondeur, penser à tout et s’efforcer de trouver une solution adaptée au XXIe siècle.

Si vous vouliez savoir si je suis d’accord avec CPA Canada, la réponse est oui, bien entendu.

La sénatrice MacAdam : Selon vous, est-ce que cela nous aiderait dans le dossier de la coopération internationale si nous procédions à un examen exhaustif de notre régime fiscal en même temps que les autres? Cela favoriserait-il une plus grande coopération?

[Français]

Mme Alepin : Je pense que oui; j’y réfléchis beaucoup et je n’y avais pas pensé en ce sens, je vous suis reconnaissante d’apporter ce point. Je pense que ce serait une bonne idée d’accompagner cette démarche et de proposer cette journée en disant qu’on s’apprête à faire une révision en profondeur de notre régime fiscal. J’espère que ça répond à votre question.

[Traduction]

La sénatrice Kingston : Je vous remercie d’être avec nous.

Je m’interroge à propos de ce qu’a dit le sénateur Dalphond dans son exposé, à savoir que l’OCDE a proposé des règles en 2019 pour instaurer un impôt minimum mondial sur les bénéfices des entreprises. En juillet 2021, 130 pays se sont entendus sur une norme, qui devait entrer en vigueur au plus tard en 2024.

Je me demande pourquoi cela prend autant de temps. J’aimerais avoir votre opinion à tous les trois sur ce processus.

Vous parlez des effets de ce projet de loi sur la scène internationale, mais pourriez-vous nous parler de ce processus et nous expliquer pourquoi cela n’entre en vigueur que maintenant, alors que 130 pays en ont convenu en 2021? De plus, pour rebondir sur les questions de la sénatrice MacAdam au sujet de l’équité fiscale, que veut dire « en vigueur »?

Le sénateur Dalphond : Je vais demander à Mme Alepin de vous expliquer cela, mais la signature est une chose, et la ratification, l’adhésion officielle, en est une autre. Seulement une quarantaine de pays l’ont ratifié jusqu’à maintenant. Je ne pense pas qu’on ait atteint le nombre minimum pour en faire un traité officiel.

La sénatrice Kingston : Quel est le nombre minimum?

Le sénateur Dalphond : Je ne sais pas. Je pense que c’est 75; je ne sais pas exactement, mais je sais que c’est beaucoup plus que 40.

La sénatrice Kingston : Cela devait entrer en vigueur en 2024... Le nombre minimum est une chose, mais l’année 2024 est presque terminée. Que voulez-vous dire exactement par « en vigueur »?

Le sénateur Dalphond : Dans le cas des traités des Nations unies, il y a une date butoir, mais quand elle approche, on peut arrêter le compteur pendant un moment afin de s’assurer que le nombre de pays requis le ratifie. Quelqu’un pourrait sans doute vérifier le nombre exact qui est requis. M. Aiyer pourrait peut-être vérifier cela pour moi — ou quelqu’un d’autre —, soit le nombre pays qui doivent l’avoir ratifié pour que le traité entre en vigueur.

La sénatrice Kingston : Est-ce que 130 est un nombre satisfaisant pour tout le monde? Est-ce un bon nombre de pays jusqu’à maintenant? S’attend-on à ce que d’autres viennent s’ajouter?

[Français]

Mme Alepin : C’est entré en vigueur au Canada en 2024. Mme Latulippe, l’honorable Louise Otis et moi avons mis en place une conférence qui s’appelle TaxCOOP en 2015, où l’on proposait un impôt minimum parce qu’on se disait que ça ne faisait pas de sens, compte tenu du fait que les multinationales paient de moins en moins d’impôt et de la concurrence fiscale. En 2015, jamais on n’aurait pensé que cet impôt minimum mondial serait accepté par plus de 130 pays. Jamais. Lorsqu’on en parlait, on avait l’air de rêveuses parce que dans le domaine de la fiscalité c’était impensable.

Vous vous demandez comment cela se fait que ce ne soit pas rapide. Moi, j’ai l’impression que ça a été non seulement rapide, mais incroyable. Je suis certaine que les collègues au sein du comité qui sont comptables aussi sont un peu surpris par le fait que les pays se sont entendus pour mettre sur pied un impôt minimum mondial et le fait que le Canada le mette en place en 2024, il fait partie de la première vague de pays qui veut vraiment le mettre en place. C’est déjà en place, non seulement l’impôt minimum mondial, mais aussi la taxe sur les services numériques. Je sais que ma collègue Mme Latulippe a beaucoup travaillé sur cette question.

Mme Latulippe : Je suis un peu du même point de vue. Je trouve que cela a quand même été assez rapide, pour l’avoir vu de premier plan. En 2019, on lance l’idée, ce sont deux phrases dans un communiqué de presse. En 2021, on a peut-être trois ou quatre paragraphes et on s’entend sur les principes; c’était la réforme à deux piliers, l’impôt minimum, mais aussi l’autre volet pour les grandes entreprises numériques. On avait ces deux volets, et il y avait quelques paragraphes en 2021 selon lesquels les pays s’entendaient sur le principe, mais il a fallu les rédiger par la suite. La seule façon pour l’OCDE de coordonner le tout de la façon la plus cohérente possible — parce que l’impôt minimum mondial doit être en mis en place dans la législation nationale de chacun des pays —, c’était d’avoir des règles modèles. Ils sont partis de zéro et ils ont élaboré un tout nouveau système d’imposition, qui est complètement différent de ce qu’on avait précédemment.

On doit quand même prévoir des règles assez particulières. Ils ont développé le tout dans le cadre de négociations. Une fois que les règles ont été publiées en 2022, elles ont été raffinées et en 2023, les pays se sont entendus sur cette formulation et chaque pays devait passer par un processus législatif. Tout cela explique les délais et là où nous en sommes au Canada et dans près d’une quarantaine de pays où la législation est en vigueur. L’impôt minimum sera perçu pour la première année pour l’année d’imposition de 2024, quand les sociétés vont produire leur déclaration de revenus dans quelques mois.

Le président : Merci beaucoup.

[Traduction]

La sénatrice Kingston : Nous ne voyons pas... Le travail se poursuit.

Le sénateur Dalphond : Je veux revenir sur un point. J’ai parlé d’un traité, mais ce n’est pas un traité. Il s’agit d’un cadre de base pour proposer comment mettre cela en œuvre. Il n’y a pas de ratification. En fait, j’aurais dû dire dans ma déclaration qu’une quarantaine de pays ont mis en œuvre ce cadre et préparer des lois. Il n’y a pas de signature. Les pays le mettent en œuvre.

La sénatrice Ross : Imposer les sociétés est certes une bonne chose quand on veut éviter l’évasion fiscale criminelle, etc. J’ai entendu le terme « échappatoire » un peu plus tôt. Je sais que les petites entreprises s’inquiètent toujours du fait que les stratégies fiscales soient considérées comme des échappatoires. Naturellement, personne ne veut que des gens placent de l’argent ailleurs pour éviter de payer leur juste part d’impôt.

Je pense que tout le monde sait que l’impôt existe au Canada et qu’il est nécessaire. Je m’interroge sur le fait d’avoir une journée pour célébrer cela. Comment pensez-vous que la population réagira? Comment allez-vous en faire la promotion?

Le sénateur Dalphond : C’est une très bonne question. Nous n’allons pas en faire la promotion en disant que je paie 50 % d’impôt et qu’à cela vient s’ajouter les taxes sur ce que j’achète, les impôts municipaux, les taxes foncières et les taxes scolaires. Ce ne serait pas très populaire. Ce n’est pas ce que nous voulons faire.

Nous voulons faire valoir que l’impôt est nécessaire pour assurer le bon fonctionnement de notre société. Il n’y a rien de magique. On a beau emprunter, cela ne fonctionne pas. Il faut percevoir des impôts pour faire fonctionner l’appareil gouvernemental. C’est le premier point.

Le deuxième point est que tous doivent payer leur juste part d’impôt, y compris ceux qui ont des façons d’y échapper. Personnellement, je n’ai pas d’échappatoire. Tout est imposé à la source. Le système est équitable quand ceux qui ne sont pas imposés à la source comme moi paient aussi leur juste part. C’est notamment le message que nous allons livrer ou ce que nous allons faire valoir.

L’autre message est que nous ne pouvons pas parvenir à l’équité fiscale ou à une répartition équitable du fardeau fiscal sans coopération internationale pour éviter que ceux qui ne veulent pas payer leur juste part d’impôt puissent aller ailleurs se cacher. Ce sont deux éléments indissociables. Ils font partie d’un tout.

Si on laisse ceux qui se sauvent s’en tirer, et c’est ce qu’on a compris en 1922 lorsqu’on a commencé à y réfléchir... On s’est dit que c’était toute l’Europe qui était en jeu, la reconstruction de l’Europe. Les gens sortaient leur argent à l’extérieur pour éviter taxes et impôt, parce que l’impôt sur la fortune était très élevé à un moment donné après la Première Guerre mondiale. Dans certains pays, l’impôt sur la fortune atteignait 70 ou 80 %. Les gens essayaient de trouver des moyens d’y échapper. C’était le coût de la reconstruction de l’Europe.

Tous ces éléments sont liés. Les gens doivent comprendre qu’il est frustrant de payer de l’impôt, mais que ce n’est pas aussi frustrant si l’on obtient des services et de l’argent en échange. C’est frustrant aussi quand on paie 53 %, 49 %, 40 %, 25 % d’impôt, quelle que soit sa fourchette d’imposition, et qu’on voit que d’autres personnes ne paient pas le minimum qu’ils devraient payer pour leurs revenus. Ils ne paient même pas le minimum, parce qu’ils peuvent éviter l’impôt. Je pense que c’est là qu’intervient l’équité.

La sénatrice Ross : Ce sera assurément tout un défi de vendre l’idée.

[Français]

Mme Alepin : C’est une question très intéressante. J’ai fait un film sur la fiscalité et j’ai gagné un prix Gémeaux pour ce film, qui a été présenté dans vingt pays. C’est probablement l’un des grands films sur la fiscalité. La productrice du film et le réalisateur du film — qui a fait des films avec Martin Scorsese — se sont demandé comment faire un film sur la fiscalité qui n’aurait pas le mot « fiscalité » dans le titre. Je comprends votre question, mais je crois qu’aujourd’hui, la génération qui nous pousse dans le dos n’a pas cette aversion face à la fiscalité. Elle demande une fiscalité juste et raisonnable. De plus en plus, dans les journaux et dans les médias, les titres qui sont les plus lus sont les articles qui portent sur la justice fiscale ou les injustices fiscales. Les gens sont intéressés de savoir où nous en sommes avec notre fiscalité. Le fait de célébrer internationalement une journée pour la justice et la coopération fiscales démontre qu’on innove. On n’a pas peur de parler des vraies choses et on est là pour répondre aux soucis des générations, soit ceux de notre génération et des générations suivantes.

[Traduction]

La sénatrice Ross : Quel est l’accueil que vous a réservé le milieu des affaires, qui est sans doute le plus touché par ce genre de réglementation coopérative?

[Français]

Mme Alepin : Je pourrais dire beaucoup de choses; vous devez bien ressentir ma passion, celle de ma collègue et celle du sénateur Dalphond. J’ai commencé à réaliser le film Le prix à payer en 2011. En 2011, quand je parlais de justice fiscale ou de tax corporation, effectivement, le monde des affaires a eu une certaine réaction. Le monde des affaires, c’est aussi des vice-présidents en finances, des contrôleurs, des fiscalistes qui travaillent dans ces multinationales, et ils ont besoin d’avoir un régime fiscal stable et sécuritaire et des règles fiscales précises. Ils ont donc besoin de quelque chose qui est juste et d’un système fiscal international qui coopère pour que les multinationales puissent bien comprendre les règles fiscales des 50 filiales qu’ils ont à travers les pays.

On le voit de plus en plus dans les conférences internationales sur la fiscalité, les grands penseurs de la fiscalité, que ce soit dans le monde corporatif ou syndical ou dans d’autres sphères, disent qu’on doit s’entendre sur la fiscalité et qu’on doit dessiner un régime fiscal qui tiendra la route. Ce sont les impôts qui font vivre les finances publiques des pays. Inévitablement, il faut passer par la coopération et la justice fiscales pour y arriver.

Le président : Merci beaucoup.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Sénateur Dalphond, lorsque vous avez prononcé votre discours à titre de parrain du projet de loi, vous avez parlé des effets de la concurrence fiscale entre les pays, et je pense vous citer correctement si je dis ceci :

... en percevant moins de ressources financières pour investir dans nos services publics et sociaux ou dans l’accompagnement de notre société pour ce qui est des changements climatiques...

Comme vous le savez, je m’intéresse aux mesures politiques touchant les services sociaux, surtout pour les personnes les plus marginalisées, comme l’assurance-médicaments et le revenu minimum vital garanti. Je suis curieuse de connaître votre point de vue sur une chose, non seulement le vôtre, mais particulièrement celui des expertes ici présentes. Lorsqu’on analyse ce genre de propositions, la question qu’on entend toujours de la part de mes collègues, des parlementaires et du public, j’en suis sûre, est la suivante : « Combien cela va-t-il coûter? » Cela me frappe toujours qu’on pose beaucoup moins ce genre de questions lorsqu’on envisage des réductions d’impôts ou des traitements fiscaux préférentiels pour les entreprises, comme les subventions aux entreprises et ce genre de choses.

Je suis curieuse de savoir s’il existe des pratiques exemplaires que vous recommanderiez pour mettre ce genre d’information en lumière. Je crois que vous avez effleuré le sujet, madame Alepin, il y a une minute. Cela me rappelle une conversation que j’ai eue récemment avec une famille (des parents de mon âge, avec un jeune de l’âge de mon enfant, qui travaillait en Scandinavie). Les parents se plaignaient de l’impôt élevé qu’il payait, mais il s’est rapidement mis à parler de tous les avantages qu’il en retirait sous forme de prestations sociales, de santé et potentiellement d’éducation pour ses enfants.

Je serais curieuse de savoir s’il y a des pratiques exemplaires que vous préconiseriez pour favoriser la transparence dont vous parlez. Comment peut-on évaluer les effets de la justice fiscale, non seulement pour les parlementaires, mais aussi pour les Canadiens. Quand vous avez mentionné votre film, cela m’a fait penser à cela. Je serais curieuse de savoir quelles sont, selon vous, les meilleures façons de faire et quelles seraient vos recommandations. Comme nous venons de le voir dans les élections au sud de notre frontière, la façon dont on diffuse l’information auprès des citoyens est vraiment importante.

[Français]

Mme Alepin : Si je comprends bien les questions, on parle de meilleures pratiques, de comment répandre la valeur de la justice fiscale auprès des citoyens.

Les meilleures pratiques en matière de fiscalité, c’est d’avoir un système fiscal équitable le plus possible, parce que ça donne confiance aux contribuables dans le régime. Je ne le dis pas juste ici parce que j’essaie de vous convaincre en cette Journée internationale pour la coopération et la justice fiscales, je le dis également à mes étudiants, car je pense que c’est vraiment la valeur la plus importante. C’est sûr que pour faire la promotion de la justice et de la coopération fiscales internationales, on a fait un film documentaire qui s’intitule Fast and Dangerous Race to the Bottom en anglais et Rapide et dangereuse : une course fiscale vers l’abîme en français, pour sensibiliser les gens à l’importance d’une coopération fiscale dans un monde mondialisé.

Imaginez, on s’est mondialisé et on a amené tous les pays en concurrence fiscale entre eux pour attirer les multinationales, mais durant toutes les rondes de négociations, on n’a jamais parlé de concurrence et de coopération fiscales internationales. Aujourd’hui, vous et moi, on discute de quelque chose qui aurait probablement dû être abordé il y a 30 ans, et ce n’est pas juste moi qui le pense; les penseurs qui parlent dans le film cité plus tôt le disent aussi.

Je pense que pour faire la promotion de la justice fiscale, ça prend de l’information variée, le travail des institutions internationales, le travail des Canadiens et le travail qu’on fait ici aujourd’hui pour discuter de notre désir de mettre de l’avant cette journée. Cela peut aller loin. J’ai même écrit un roman qui a été publié cette année, qui était le premier roman sur la justice fiscale de l’histoire de la littérature française.

J’espère que je réponds à votre question. Je n’y étais pas préparée, je voulais vraiment juste parler de la journée internationale. Peut-être que Mme Latulippe a des choses à ajouter.

Mme Latulippe : Oui. Quelques éléments me venaient en tête quand vous posiez votre question. Beaucoup de choses m’interpellent.

D’une part, la concurrence fiscale entre les États, c’est malheureux, parce que la compétitivité n’est pas un principe de base en politique fiscale. La neutralité et l’équité le sont. La compétitivité est plutôt devenue un principe de base qui est même venu mettre de côté les autres principes, surtout pour ce qui est de la fiscalité corporative et des activités des entreprises qui pourraient avoir des activités à l’international. Donc, on a élevé la compétitivité fiscale. Je le comprends et le conçois très bien, il faut être un pays compétitif, avoir une économie compétitive et des industries compétitives, c’est ce que l’on veut. Cependant, si l’on parle d’un régime fiscal compétitif, ça amène juste à une chose : à moins d’impôts pour les entreprises, et particulièrement les grandes entreprises mobiles. La compétitivité, oui, il faut en tenir compte quand on dessine une politique fiscale, mais il ne faudrait pas le faire au détriment de tous les autres principes de base qui permettent d’éclairer une bonne décision en fiscalité.

Je pense que la justice fiscale est un concept un peu plus obscur. La compétitivité, c’est assez facile, elle consiste à baisser les taux; la justice fiscale, c’est un peu plus nuancé et difficile à aborder. Quand on élabore une politique fiscale, c’est peut-être un peu plus nuancé et ça nous dirige moins vers une réponse précise, car c’est plus difficile à utiliser, et cela fait en sorte qu’on s’est beaucoup repliés sur la compétitivité.

Enfin, je pense que si l’on veut inclure tout le monde dans la discussion sur la justice fiscale, il faut une certaine forme de transparence. Les affaires fiscales sont très opaques et c’est très difficile d’avoir de l’information fiscale, et les statistiques sont parfois difficiles à aller chercher. Il faut toutefois avoir une forme de transparence pour que les gens se sentent impliqués et comprennent les situations problématiques.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Loffreda : Merci à tous nos panélistes d’être ici ce soir.

Premièrement, sénateur Dalphond, merci d’avoir présenté ce projet de loi; je crois fermement en la justice fiscale, c’est très important. J’aurai une question pour vous plus tard, si le temps nous le permet. J’aimerais d’abord commencer par une question pour Mme Alepin et peut-être Mme Latulippe, si elles peuvent y répondre.

Vous avez dit, madame Alepin, que vous êtes très critique ou plutôt que vous avez la critique facile au sujet du régime fiscal canadien. Vous avez mentionné que lorsque le peuple pense que le régime n’est pas juste, il ne le soutient plus.

Vous avez aussi mentionné la course vers l’abîme, mais je peux vous dire qu’au Canada, nous ne sommes pas dans une course vers l’abîme pour ce qui est de la fiscalité. Je crois qu’on est à 53 ou 54 % au maximum. On a des problèmes de productivité et de compétition. Après un certain montant, nos entreprises ont une fourchette d’imposition parmi les plus élevées au monde. On oublie souvent que la richesse est toujours créée par l’entrepreneur. Je me rappelle les discussions que j’avais souvent avec nos analystes du service de crédit à la banque. Je leur disais qu’un entrepreneur peut tout perdre, à n’importe quel moment. Quand on parle de justice fiscale, je peux vous dire que 99,9 % des entrepreneurs sont des gens honnêtes qui travaillent fort et s’il y a des stratégies fiscales à prendre, ils les prennent et c’est tout à fait normal, car ils vont réinvestir dans leur entreprise et créer des emplois et de la richesse pour tous. C’est une chose très importante à ne pas oublier.

Je n’ai pas vu votre film, mais j’aimerais bien le voir. Je n’ai pas lu vos livres; on s’en parlera plus tard, mais j’aimerais les lire. Cependant, j’ai lu le livre de Tony Blair. Il est imposé à 55 %. Après un certain temps, il voyait que ses revenus d’impôt baissaient. Il s’est dit qu’il allait baisser le taux d’imposition à 50 %. Nous sommes une démocratie sociale et si je dis qu’on vit bien au Canada, c’est tout à fait vrai.

On a beaucoup parlé d’évasion fiscale pour la Journée internationale pour la coopération et la justice fiscales, qui est très importante. Cependant, si on diminue les taux au Canada, pensez-vous qu’il y aura moins d’évasion fiscale? Ce ne sont pas la majorité des entrepreneurs qui font de l’évasion fiscale. Je vous le dis, la majorité des entrepreneurs paient beaucoup d’impôts pour maintenir le Canada tel qu’il est. J’y crois fermement et j’irais à la guerre pour eux, car je l’ai vu au cours de mes 35 années dans le domaine bancaire. Pourrait-on attirer plus d’investissements en baissant les impôts plutôt que de toujours parler de « course au sommet »? Je crois qu’on est en « course au sommet » et non en « course vers l’abîme » au Canada. Voilà ma question.

Mme Alepin : C’est une très bonne question. J’ai une formation de comptable.

Le sénateur Loffreda : Moi aussi.

Mme Alepin : Il y en a d’autres qui siègent à ce comité. Alors, je suis très heureuse. J’ai aussi vu des entrepreneurs et je suis fille d’entrepreneur, d’une PME familiale. J’ai entendu parler de cela toute ma vie et j’ai énormément d’admiration pour les entrepreneurs. Je pense que la réalité que vivent les entrepreneurs ne peut être comprise que par des entrepreneurs. Ils n’ont pas juste leur hypothèque à payer, mais celles de tous leurs employés.

Je suis 100 % d’accord avec vous pour dire qu’il faut faire une fiscalité qui répondra à la fois aux besoins sociaux, aux besoins de justice, aux besoins des entrepreneurs, et cetera.

Vous avez dit croire qu’on n’est pas dans une « course vers l’abîme » au Canada. Je crois qu’on est en quelque sorte, pour certains types de contribuables, dans une « course vers l’abîme ». Peut-être pas une course vers l’abîme, mais les taux d’imposition chutent. Je vous donne un exemple. Il est vrai que le plus haut taux d’imposition pour les contribuables du Québec est de 53,31 %. Les taux d’imposition effectifs sont de 30 %, 28 %, 29 % et ils chutent tranquillement de 1 % chaque année. Je vous parle des taux d’imposition effectifs. Pour certains types de contribuables, par exemple, ceux qui peuvent jouer avec la concurrence fiscale internationale, on n’est pas dans une surimposition. On est vraiment dans un jeu de concurrence fiscale internationale et des contribuables réussissent à naviguer dans le système international pour abaisser leur taux d’imposition.

Vous, moi et tous ceux qui ne peuvent pas faire ça ressentons une fiscalité très rigide et très gourmande, parce qu’on doit renflouer les coffres. Ce n’est pas seulement nous, tous les pays de la planète essaient de s’ajuster à la mondialisation et d’ajuster leurs régimes d’imposition à la mondialisation. On essaie de garder un équilibre entre la concurrence et la coopération fiscales, le bon équilibre. On essaie d’amener une justice fiscale tout en s’assurant que nos entrepreneurs locaux ne souffrent pas face à cette situation. Tous les citoyens de la Terre qui discutent de cela en ce moment font face à la nécessité d’adapter leurs régimes d’imposition à une mondialisation et de la moderniser.

Je pense que la mise en place de cette journée n’est qu’une étape. Comme cela a été dit, on se demande comment il est possible qu’elle n’existe pas déjà. Voilà, c’est ce sur quoi nous travaillons aujourd’hui.

Le sénateur Forest : On parle de la Journée internationale pour la justice fiscale. Notre régime d’impôt remonte à 1917. C’était un régime d’impôt temporaire. On y a ajouté beaucoup d’éléments, à un point tel que c’est un peu devenu un capharnaüm. Pour donner les grandes lignes, il y a eu la Commission Carter à la fin des années 1960. Selon moi, un régime fiscal devrait être efficient, juste et compétitif pour ne pas perdre nos entreprises et nos cerveaux. En plus de la fiscalité canadienne, on a la fiscalité provinciale et municipale. On parle des entrepreneurs, mais on parle aussi du citoyen, comme vous l’avez dit, qui n’a pas la capacité de se retrouver parmi les différents règlements et qui doit verser des impôts fonciers et payer la taxe de vente.

Ne pensez-vous pas que cela devrait être la Journée de la modernisation fiscale? Ne devrait-on pas réévaluer l’ensemble de notre régime fiscal? En se penchant bien sur la question, on voit le fruit de nombreuses mesures qui ont été consignées au fil des ans par l’Agence du revenu du Canada.

Le sénateur Dalphond : Je peux m’aventurer à répondre. La question est importante, mais notre but n’est pas de dire : « Voici, il faut faire une réforme de la fiscalité canadienne. » Notre vision, c’est plutôt de dire que peu importe la réforme que le système canadien va entreprendre, il faut comprendre qu’elle doit se faire dans un cadre plus large et international, en participant à un exercice de coopération internationale qui va permettre au régime qui sera mis en place et qui sera conforme à ces grands principes internationaux d’être efficace.

Cependant, on ne peut pas mettre en place un système qui serait contre les grands principes généraux recommandés par l’OCDE ou que les 30 ou 40 pays qui sont nos principaux partenaires commerciaux décident de mettre en place, mais pas nous. Il ne faut pas oublier la dimension internationale dans tout cela. Dans un sens, la mondialisation des marchés et de l’économie et la dématérialisation de l’économie signifient qu’il faut mettre en place un régime fiscal qui reflète certains principes généraux. Cela fait en sorte que lorsqu’on voudra imposer une mesure, celle-ci sera aussi imposée ailleurs et elle sera connue par les entreprises. De cette façon, on recevra notre partie de la taxation et on ne sera pas en train de faire quelque chose qui fait qu’on ne reçoit rien, pendant qu’un autre pays à côté reçoit toute la fiscalité, mais ne facture presque rien et que ce pays gagne beaucoup d’argent parce qu’il reçoit l’ensemble de la fiscalité.

Voilà, c’est ce que les règles de l’OCDE essaient de changer. Les Nations unies essaient de faire une convention, et non des lignes directrices ou des suggestions aux pays. Elle va être importante. J’ai compris, en lisant sur le site des Nations unies, qu’il y a un conflit entre les pays développés, les pays émergents et ceux du Sud. Le Canada veut respecter les principes de l’OCDE, mais il est moins prêt à embarquer dans les principes de l’Assemblée générale des Nations unies, qui sont différents. Il faut trouver un moyen d’harmoniser cela. L’OCDE est peut-être un club de pays plus sélects, mais les Nations unies, c’est l’ensemble de la planète dans un contexte différent. Je pense que le Canada doit être actif aux deux endroits.

[Traduction]

Le sénateur Smith : Vous avez évoqué le besoin d’initiatives symboliques en plus de normes juridiques contraignantes pour accroître la prise de conscience de l’urgence en ce qui concerne la justice fiscale. Comment cette journée symbolique peut-elle se conjuguer aux efforts multilatéraux de groupes comme le Groupe des 20, ou G20, et de l’OCDE pour favoriser à la fois des réformes fiscales juridiquement contraignantes et des mesures volontaires?

Le sénateur Dalphond : C’est une très bonne question. Les discussions qui se tiennent à l’OCDE, et même à l’Assemblée générale des Nations unies, se limitent à un groupe restreint de personnes, et la plupart des Canadiens ne sont pas au courant de ce qui se passe. Le but d’une journée internationale de la fiscalité pour parler de justice fiscale internationale et de la nécessité de la coopération internationale est de dire que cela ne concerne pas seulement ceux et celles qui vont passer deux semaines à Paris, à l’OCDE, pour négocier et discuter de choses et d’autres. Cela concerne chacun d’entre nous. Cela nous touche. Cela a une incidence sur ce que chaque pays percevra et les services que les citoyens recevront.

De plus, la coopération est essentielle, car une meilleure coopération permet de percevoir plus d’argent au niveau international et d’alléger d’autant la charge fiscale des Canadiens. Sinon, si l’on ne va pas chercher l’argent là où il y en a le plus, il faut aller le chercher là où il y en a le moins. Je crois que tous les Canadiens devraient comprendre que plus il y a d’équité et de perception d’impôt au-delà des frontières, moins il est nécessaire d’en percevoir davantage ici.

Je pense que tout cela ne se passe pas au loin, sur une planète étrangère. C’est quelque chose qui nous touche dans notre vie quotidienne et qui influence le pouvoir de nos gouvernements de fournir des services. Je pense qu’il est important que les gens comprennent que toutes ces choses sont importantes et qu’ils poussent en ce sens, qu’ils comprennent que c’est nécessaire. J’espère avoir répondu à votre question.

[Français]

Le sénateur Loffreda : J’ai juste une question pour continuer la discussion. Je vous remercie de votre présence également. Je suis en désaccord avec ce que vous avez mentionné; je vais vous citer les sources et je vais le faire en anglais —

[Traduction]

C’est que cela vient de l’Institut Fraser. Je m’excuse. D’habitude, quand je me passionne d’un sujet, je parle l’italien. Je le fais maintenant en anglais, qui est ma troisième langue.

Les taux d’imposition du Canada sont parmi les plus élevés au monde, surtout l’impôt sur le revenu des particuliers. En 2022, le Canada se situait au cinquième rang des 38 pays de l’OCDE pour le taux marginal d’imposition sur le revenu combiné le plus élevé, qui était de 53,5 %. J’estime que nous sommes dans une course vers le sommet. Vous avez parlé d’une course vers l’abîme. J’aimerais connaître vos sources et savoir d’où vous tenez cette idée d’une course vers l’abîme.

L’autre chose, pour défendre les entrepreneurs une fois de plus, c’est que chaque matin, ils se réveillent et peuvent perdre tout ce qu’ils possèdent. Il faut bien que le risque rapporte quelque part. Plus on taxe les gens, moins il y a d’incitatifs.

Seriez-vous d’accord pour dire qu’au Canada, la répartition des paiements fiscaux est remarquablement progressive? Nous sommes une démocratie sociale. Les 20 % des personnes les mieux nanties contribuent à plus de la moitié de tout l’impôt perçu. Plus précisément, ce groupe gagne environ 49,1 % des revenus du pays, mais paie 55,9 % du total de l’impôt.

Et voilà où je veux en venir : à l’inverse, les 20 % des personnes les moins bien nanties touchent 4,1 % des revenus totaux et contribuent à hauteur de 1,8 % à l’impôt global.

Je pense que vous avez raison de parler de course vers l’abîme, mais pour la bonne population. J’ai toujours dit que le rendement du travail était là, que le rendement du capital était là, mais qu’il faut réduire l’écart de richesse. Convenez-vous que nous avons un régime fiscal adéquat, un régime fiscal progressif pour une démocratie sociale?

[Français]

Mme Alepin : Oui, le régime fiscal canadien est un régime fiscal progressif. Moi, je l’enseigne ainsi à mes étudiants, c’est clair. C’est la même chose pour l’impôt corporatif : on a une certaine progressivité, parce que les PME sont imposées à un plus petit taux quand elles ont un revenu de moins de 500 000 $, et elles se font imposer un plus gros taux quand leur revenu...

Le sénateur Loffreda : Il faut le mettre à 1 million de dollars?

Mme Alepin : Oui, cela pourrait être une autre réflexion. Quand vous parlez de 53 %, c’est le taux d’imposition statutaire dans la loi, pas celui qui est réellement payé. Quand on regarde vos sources, ce sont les statistiques fiscales du gouvernement canadien. Je pourrais vous les envoyer avec plaisir.

Le sénateur Loffreda : Oui, j’aimerais les voir.

Mme Alepin : Ils sont sur mes réseaux sociaux aussi, parce que j’aime en parler fréquemment. Je ne dirais pas que c’est une course vers l’abîme, parce que cela va vite, c’est une chute. Donc, ce n’est pas une course vers l’abîme, mais ce sont des taux d’imposition effectifs et non statutaires. Ce qui est statutaire dans la loi, soit 53,3 %, c’est dans les taux les plus élevés. Votre citation est tout à fait vraie, mais pour les taux d’imposition effectifs. La réalité, c’est que les très riches ont un taux d’imposition effectif qui baisse au fil des années. Présentement, c’est comme ça. C’est la réalité. Je vous enverrai les statistiques. Effectivement, on a un système d’imposition progressif au Canada.

Le sénateur Loffreda : On a un problème de productivité et de concurrence. Le problème que nous avons au Canada, c’est qu’il y a une majorité d’entreprises qui gagnent aux alentours de 500 000 $, et quand leurs revenus dépassent ce montant, le taux d’imposition est plus élevé. Quand on regarde la distribution de ces entreprises, elle n’est pas égale. Il y en a plusieurs en haut, juste sous les 500 000 $, et si nous augmentons ce niveau à 1 million de dollars, je pense que les investissements au Canada seront beaucoup plus nombreux et que la productivité sera améliorée.

[Traduction]

L’argent va là où il peut être réinvesti. Il suit l’impôt.

[Français]

On l’a vu au sud des États-Unis : ils ont gagné strictement avec leur programme économique, rien de plus.

Mme Alepin : Vous savez, lorsque mon père faisait des affaires en 1985, le montant de 500 000 $, le montant était fixé à 200 000 $. Là, le montant a augmenté.

Le sénateur Loffreda : Oui. Quand j’étais dans les firmes comptables, c’était 200 000 $.

Mme Alepin : Maintenant, il faut que cela remonte, parce que cela fait longtemps que c’est à 500 000 $. Je suis d’accord avec vous.

Le sénateur Loffreda : Oui, on est d’accord sur quelque chose; voilà.

Mme Alepin : On est d’accord sur plein de choses, sénateur. Il faut que cela remonte.

Le sénateur Dalphond : Vous comprenez que les professeures Alepin et Latulippe sont des passionnées de fiscalité. Si vous écoutiez l’émission de Franco Nuovo, la fin de semaine, sur les ondes de Radio-Canada, vous entendriez parfois Mme Alepin qui vient commenter la fiscalité le dimanche matin. C’est ainsi que je l’ai découverte, en écoutant cette émission un dimanche matin dans mon lit, alors qu’on y parlait de fiscalité. On peut rendre la fiscalité intéressante.

Le président : Vous n’écoutez pas Tout le monde en parle, il faut croire.

Le sénateur Dalphond : Non, pas tout le temps.

[Traduction]

La sénatrice Pate : J’ai juste une question. Sénateur Dalphond, qui est-ce qui n’appuie pas cela?

Le sénateur Dalphond : Qui est contre l’OCDE?

La sénatrice Pate : Qui est-ce qui n’appuie pas les idées propres à la justice fiscale?

Le sénateur Dalphond : Je pense que le monde est de plus en plus sensibilisé à cette question. Cent ans se sont écoulés depuis la première conférence, et bien des progrès se sont déjà réalisés. Je pense qu’il n’y a pas de grand débat qui fait rage aux Nations unies à ce sujet, je pense donc que tous les pays de l’ONU s’y intéressent. C’est très important. Qui s’y oppose?

Je ne vois aucun pays qui s’oppose à l’idée de recevoir sa juste part d’impôt — ce n’est pas parce qu’une entreprise mène ses activités à partir d’un pays étranger grâce à divers services que je ne devrais pas recevoir une partie de l’impôt pour les services qui sont fournis dans mon pays.

C’est pourquoi je pense que tous les pays du monde essaient de parvenir à une base minimum uniforme qui sera partagée entre tous les pays. Cela permettrait-il à chaque pays d’avoir plus que le minimum? C’est une autre question, mais au moins on mettrait un frein à cette course vers l’abîme.

Si je prends les services électroniques, le minimum convenu est de 15 %. Au moins, tout le monde obtiendrait 15 %. Cela n’empêcherait pas un pays de percevoir 25 %, mais il serait certainement moins concurrentiel à 25 % qu’à 15 %. Il y aurait donc un équilibre à trouver avec le minimum, et il faudrait voir jusqu’où on peut aller.

Je continue de penser que nous devrions percevoir autant d’argent que possible parce que nous fournissons des services. De nombreuses entreprises font des affaires ici, et elles devraient payer de l’impôt, sans pour autant être surimposées, je suis d’accord avec le sénateur Loffreda là-dessus. Nous devons créer de la richesse si nous voulons la partager, mais nous devons aussi nous assurer que la richesse créée ici ne soit pas imposée ailleurs.

Le président : Pour conclure, je vais céder ma question à la sénatrice Marshall.

La sénatrice Marshall : Ce n’est pas vraiment une question. C’est plutôt une réponse à la question que la sénatrice Pate soulevait. J’ai mentionné en début de séance que le Canada faisait obstacle aux efforts déployés à l’international. On essaie d’établir un cadre pour ce régime fiscal mondial. Huit pays s’y opposent : l’Australie, le Canada, Israël, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la République de Corée, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et les États-Unis d’Amérique.

[Français]

Mme Alepin : Il faut comprendre, comme l’a expliqué le sénateur Dalphond, que jusqu’à il y a quelques années, c’est l’OCDE qui était le leader de la réforme fiscale mondiale.

J’ai souvent été à l’ONU pour dire que ce devrait être l’ONU qui fait ce travail. Maintenant, l’ONU s’engage dans cette initiative pour représenter davantage les pays en développement.

J’ai des discussions avec le Canada à cet effet parce que le Canada et d’autres pays, comme les États-Unis, ont de la difficulté à se situer sur ce qu’il faut faire, parce que les règles s’opposent sur certains points. Je ne vois pas pourquoi le Canada ne soutiendrait pas l’ONU, mais il essaie de voir comment se situer face aux réformes fiscales mondiales proposées par les deux organisations.

Ce que je comprends de tout cela, comme le sénateur Dalphond l’a très bien dit — et j’ai trouvé cela fort astucieux —, c’est que tout cela montre qu’on a besoin de plus de coopération fiscale internationale. Tout cela montre l’importance de la coopération fiscale internationale.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Le seul point que j’aimerais soulever, c’est qu’il y a un article qui a été publié, qui dit que le Canada est l’un des huit pays — les huit que je viens d’énumérer — à avoir voté contre la version finale du cadre proposé à l’ONU sur la justice fiscale.

Je ne sais pas comment cela se répercute sur votre projet de loi. Je le signale simplement. J’ai dit au début que vous devriez probablement lire tout cela pour voir si cela a une incidence sur votre projet de loi.

Je trouve juste cela curieux, parce que le Canada a un régime fiscal progressif, et il semble que c’est le genre de régime que cette convention favoriserait, mais je n’en ai pas vu le texte.

Si les Américains ne l’appuient pas, je pense que c’est problématique.

Le sénateur Dalphond : J’ai lu l’information sur les Nations unies et j’essaie de suivre tout cela un peu. C’est le cadre sous-jacent qui fait l’objet de discussions à l’heure actuelle. Le vote ne portait pas sur le contenu de la convention. Les pays s’entendent sur le fait qu’il nous faut une convention. C’est sur le mandat de la commission chargée de rédiger la convention qu’il n’y a pas consensus.

Depuis le tout début des négociations, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande parlent d’une même voix. Bien souvent, le Canada parle également au nom de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Ils travaillent ensemble, mais si vous consultez le site Web des Nations unies, vous verrez qu’il semble y avoir des différences entre l’approche de l’OCDE et celle que les pays veulent définir dans le mandat de la commission, et c’est là qu’il y a des querelles intestines.

La sénatrice Marshall : C’est un signal d’alarme; nous devrions en être conscients et garder un œil là-dessus.

Le sénateur Dalphond : Cela ne signifie pas que le projet de loi n’est pas nécessaire et que le Canada s’y oppose.

[Français]

Le sénateur Loffreda : Premièrement, merci encore une fois pour cette Journée internationale pour la coopération et la justice fiscales. Comme je le disais plus tôt, je crois fermement à la justice fiscale.

Vous avez très bien abordé le sujet dans votre discours de deuxième lecture, et je vous cite :

La coopération fiscale internationale peut aussi aider les pays à mieux administrer leur régime d’imposition en échangeant et en partageant des méthodes, des systèmes et des connaissances en matière de fiscalité, notamment sous l’égide de l’OCDE, dont plusieurs rapports traitent de ce sujet.

Selon vos recherches, le Canada est-il perçu par ses homologues internationaux comme étant un bon collaborateur et partenaire en matière de coopération fiscale internationale? Parce qu’on parlait avec la sénatrice Marshall de tout ce problème, et je pense que c’est une question que j’aimerais vous poser.

Y a-t-il des failles dans notre approche ou des endroits où nous pourrions nous améliorer? Enfin, notre feuille de route est-elle suffisamment impressionnante pour que nous soyons le premier pays à adopter une telle journée commémorative?

Le sénateur Dalphond : Alors, je termine sur cette question après deux heures de questions et de réponses...

Le président : En fait, si j’avais eu à poser une question, ma première question aurait été celle-ci.

Le sénateur Loffreda : C’est la dernière, monsieur le président.

Le sénateur Dalphond : Je pense que je serai en mesure de vous répondre.

J’étais à Paris il y a deux ans et je suis allé à l’OCDE avec l’ambassadrice du Canada. Je n’étais pas seul, nous étions un bon nombre de parlementaires, car c’était une délégation de députés et de sénateurs. D’après ce qu’on a vu, l’OCDE est quand même un immeuble assez impressionnant, un château transformé. Il y a beaucoup de recherche qui se fait là et la recherche est très imposante aussi. On nous a dit que le Canada était un participant actif et que l’ambassadrice était très contente du Canada et de sa participation active aux débats de l’OCDE.

Le sénateur Loffreda : Merci.

Le président : Cela met fin à notre séance. Merci beaucoup à nos témoins, Mme Latulippe, Mme Alepin et le sénateur Dalphond.

Notre prochaine réunion aura lieu le 19 novembre à 9 heures. J’aimerais remercier tout le monde avant de clore cette rencontre. Cela a été une soirée plutôt passionnante. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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