LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 7 février 2022
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 3 (HE), par vidéoconférence, pour étudier l’application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi; et à huis clos, pour procéder à l’étude d’un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Avant de commencer, je vous rappelle, ainsi qu’aux témoins, que vous êtes priés de mettre votre micro en sourdine en tout temps, à moins d’être reconnus par le président.
En cas de difficultés techniques, notamment en matière d’interprétation, veuillez le signaler au président ou à la greffière et nous nous efforcerons de résoudre le problème.
[Traduction]
Si vous rencontrez d’autres difficultés techniques, veuillez contacter le Centre de services de la DSI en composant le numéro fourni à cette fin.
L’utilisation de plateformes en ligne ne garantit pas la confidentialité des échanges ou l’absence d’écoute. Ainsi, lors des réunions du comité, tous les participants doivent être conscients de ces limitations et éviter de divulguer des renseignements délicats, privés et protégés du Sénat. Les participants devraient savoir qu’ils doivent le faire dans un endroit privé et être attentifs à leur environnement.
[Français]
Nous allons maintenant commencer la portion officielle de notre réunion, conformément à notre ordre de renvoi reçu du Sénat du Canada.
Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
J’aimerais vous présenter les membres du comité qui participent à cette réunion : la vice-présidente du comité, la sénatrice Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick; la sénatrice Raymonde Gagné, du Manitoba, membre du comité directeur; le sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec, membre du comité directeur; la sénatrice Lucie Moncion, de l’Ontario; la sénatrice Marie-Françoise Mégie, du Québec; le sénateur Pierre Dalphond, du Québec; le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick; la sénatrice Bernadette Clement, de l’Ontario.
Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues, ainsi qu’aux téléspectateurs de tout le pays qui nous regardent. Je tiens à souligner que les terres à partir desquelles je vous parle font partie du territoire traditionnel du peuple anishinabe algonquin.
Aujourd’hui, en vertu de l’ordre de renvoi général qui nous a été confié par le Sénat le 14 décembre dernier, nous recevons, en première partie, par vidéoconférence, le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge.
Il est accompagné de quatre de ses fonctionnaires : Pierre Leduc, commissaire adjoint; Isabelle Gervais, commissaire adjointe; Éric Trépanier, commissaire adjoint; Me Pascale Giguère, avocate générale.
Bonsoir, monsieur Théberge. Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Bienvenue parmi nous. Nous sommes prêts à entendre vos remarques préliminaires qui seront suivies d’une période de questions des sénateurs et sénatrices.
Je rappelle aux sénateurs et sénatrices de vous assurer de bien repérer la fonction « main levée » sur votre ordinateur; c’est la fonction que vous devrez utiliser pour bien vous identifier au moment de la période des questions.
Monsieur Théberge, bienvenue. La parole est à vous.
Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles, Commissariat aux langues officielles : Monsieur le président, honorables membres du comité, bonjour.
Je vous remercie de m’avoir invité à vous parler de la situation linguistique actuelle au pays.
Bien que la rencontre d’aujourd’hui se déroule sur une plateforme virtuelle, je tiens à souligner que je m’adresse à vous depuis le territoire du Traité no 1, soit le territoire traditionnel des peuples anishinabe, cri, oji-cri, dakota et déné, ainsi que la patrie de la nation métisse.
Dans mon rapport annuel 2020-2021, je souligne le manque flagrant et continu de capacité bilingue au sein de la fonction publique fédérale. Cela mène aux nombreux manquements en matière de langues officielles dont nous sommes témoins depuis trop longtemps.
Les nombreuses plaintes que je reçois année après année en sont d’ailleurs la preuve, et la tendance à la hausse se confirme. Nous avons encore reçu bien au-delà de 1 000 plaintes en 2020-2021, et le nombre de plaintes reçues pour l’année en cours dépasse déjà les 5 500.
Malheureusement, les problèmes liés aux communications avec le public perdurent et ils constituent la majorité des plaintes reçues en 2020-2021. Cela s’explique en partie par la difficulté qu’ont les institutions fédérales à bien établir les exigences linguistiques de leurs postes. De plus, les fonctionnaires fédéraux ne sont pas toujours à l’aise d’utiliser la langue officielle non prédominante au travail, que ce soit leur première ou leur seconde langue officielle.
Les institutions sont donc incapables de fournir des services de façon adéquate dans les deux langues officielles et de créer un environnement de travail propice à l’utilisation des deux langues officielles.
J’ai fait plusieurs recommandations au gouvernement fédéral dans mon dernier rapport annuel, non seulement en ce qui concerne ses obligations lors de situations d’urgence, mais aussi en ce qui a trait aux exigences linguistiques des postes dans la fonction publique.
J’ai également mis un outil à la disposition des gestionnaires de la fonction publique pour les aider à mieux établir l’identification linguistique des postes.
[Traduction]
Le non-respect par les institutions fédérales de leurs obligations en matière de langues officielles demeure un enjeu important et récurrent pour lequel des mesures ciblées doivent être mises en place. Une loi modernisée qui m’octroie des pouvoirs renforcés me permettra de mieux faire respecter la Loi sur les langues officielles par les institutions fédérales, et par le fait même, de mieux faire respecter les droits linguistiques de la population canadienne.
Je me réjouis que le dépôt d’un projet de loi pour moderniser la loi fasse partie des objectifs établis par le premier ministre pour la ministre Petitpas Taylor. Sa lettre de mandat définit clairement le besoin de mettre en œuvre les mesures énoncées dans le document de réforme des langues officielles et d’assurer que la population canadienne reçoit des services des institutions fédérales dans les deux langues officielles.
Je veux souligner également le rôle de soutien accordé à la ministre Fortier pour remplir ce mandat. Plusieurs autres ministres ont reçu des directives précises en matière de langues officielles dans leur lettre de mandat, ce qui semble indiquer qu’elles demeurent prioritaires pour le gouvernement.
Les mesures présentées par le gouvernement dans sa réforme des langues officielles sont prometteuses et semblent proposer des solutions concrètes à plusieurs des enjeux qui perdurent avec la mouture actuelle de la loi. Je vous avais d’ailleurs fait part de mes réflexions à cet effet en mai dernier.
J’attends donc fébrilement le dépôt du nouveau projet de loi, et j’espère y retrouver la même volonté de protéger réellement les droits linguistiques de la population canadienne. Je serai d’ailleurs heureux de vous faire part de mon point de vue, en temps opportun, sur cet éventuel projet de loi.
Il est plus que temps que cette modernisation se concrétise. L’attention sans précédent générée par la situation linguistique au pays dans la dernière année démontre clairement l’importance accordée par la population canadienne à la dualité linguistique et aux langues officielles.
[Français]
En déposant auprès du Commissariat aux langues officielles plus de 2 500 plaintes liées au discours unilingue du président-directeur général d’Air Canada, Michael Rousseau, et au-delà de 1 300 plaintes liées à l’annonce de la nomination de Mary Simon à titre de gouverneure générale du Canada, la population canadienne a envoyé un message clair au gouvernement.
La maîtrise des deux langues officielles est une compétence cruciale pour tout leader, particulièrement pour ceux des institutions assujetties à la Loi sur les langues officielles, qu’il s’agisse de ministères et d’agences ou d’entreprises privées de compétence fédérale assujetties à la loi, telles les autorités aéroportuaires ou Air Canada.
[Traduction]
Comme le plus grand pouvoir dont je dispose actuellement est celui d’émettre des recommandations, il me faut de nouveaux outils de conformité. Cela pourrait, entre autres, avoir une incidence sur les organisations pour lesquelles mon bureau reçoit un nombre important de plaintes chaque année, comme Air Canada.
J’ai d’ailleurs demandé dans mes recommandations au gouvernement, concernant la modernisation de la loi, que d’autres mécanismes de conformité me soient conférés, comme les ententes exécutoires et les sanctions administratives pécuniaires. Ces mécanismes sont essentiels pour amener les institutions fédérales à mieux se conformer à la loi. J’espère sincèrement que ces mécanismes feront partie des mesures qui seront proposées dans le nouveau projet de loi.
Je termine en soulignant que, plus que jamais, les langues officielles sont mises à l’avant-scène. Cela démontre que la population canadienne valorise nos deux langues officielles. Il reste toutefois beaucoup de travail à faire pour qu’elles puissent prospérer dans le Canada d’aujourd’hui et de demain. Je vous remercie de votre attention. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions dans la langue officielle de votre choix.
[Français]
Le président : Merci beaucoup, monsieur Théberge. Il y a certainement matière à discussion et à échange.
Nous passons maintenant à la période des questions. J’invite les sénatrices et sénateurs à indiquer leur intention de prendre la parole en utilisant la fonction « main levée » dans Zoom.
Conscient du temps à notre disposition, je vous propose, chers collègues, une période de cinq minutes accordée à chacun pour ce premier tour de table, incluant la question et la réponse. Nous ferons évidemment un deuxième tour de table si le temps le permet. Je cède d’abord la parole à la vice-présidente du comité.
La sénatrice Poirier : Monsieur le commissaire, merci d’être parmi nous ce soir, c’est un plaisir de vous revoir.
Ma question porte sur les ententes qu’a conclues le gouvernement fédéral avec les différentes provinces pour les garderies à 10 $ par jour. L’enveloppe budgétaire ne semble pas prévoir de clauses linguistiques qui obligent les provinces à tenir compte de la proportionnalité du financement pour les communautés francophones.
Dans un tel contexte, on pourrait forcément se retrouver dans une situation où une province décide d’utiliser les fonds pour des places unilingues anglophones au détriment des places francophones. Cela pourrait faire en sorte que le coût des garderies soit plus élevé pour les francophones. Si ce n’est pas le cas, corrigez-moi, mais si c’est effectivement le cas, pourriez‑vous commenter la situation et nous indiquer si le gouvernement n’a pas failli à la tâche en n’incluant pas de clauses linguistiques dans les ententes?
M. Théberge : Je pense que votre constat est tout à fait juste. Le gouvernement fédéral a conclu des ententes avec toutes les provinces à l’exception de l’Ontario, et à ma connaissance, on ne trouve pas dans ces ententes fédérales-provinciales-territoriales un nombre proportionnel de places en garderie pour les communautés francophones en milieu minoritaire.
Toutefois, on constate que ces ententes sont censées prévoir un plan d’action pour tenir compte des besoins des communautés de langue officielle. Cela dit, je pense qu’à l’avenir, on devrait retrouver des clauses linguistiques dans les ententes fédérales-provinciales-territoriales qui tiennent compte des communautés linguistiques en situation minoritaire.
Dans chaque province et territoire, on reconnaît leurs besoins et on les consulte à cet effet. À l’avenir, cela pourrait faire partie, par exemple, de la modernisation de la loi où, lorsqu’il est question de reddition de comptes et de responsabilisation, on trouve dans ces ententes des clauses linguistiques qui sont réellement mises en œuvre et surveillées.
À mon avis, cet exemple des garderies en est un, encore une fois, où on n’a pas tenu compte des besoins des communautés francophones en milieu minoritaire, comme le prévoit la partie VII de la loi.
La sénatrice Poirier : C’était justement le sujet de ma prochaine question. La partie VII ne prévoit-elle pas l’obligation de favoriser concrètement l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire et d’appuyer le développement de ces communautés de façon continue?
M. Théberge : Effectivement, l’esprit de la partie VII de la loi vise à assurer le développement et l’épanouissement des communautés. Il faut se poser la question à savoir si nous avons tenu compte des besoins des communautés au moment de négocier ces ententes. Je crois que c’est cela la question.
La sénatrice Poirier : Ma deuxième question est la suivante. Nous sommes aujourd’hui le 7 février 2022 et trois ans se sont écoulés depuis le dépôt de notre rapport. Il y a eu des retards du côté du gouvernement en ce qui concerne le dépôt du projet de loi C-32 lors de la dernière législature. Selon votre analyse, quelles sont les faiblesses de ce projet de loi, que le gouvernement doit améliorer avant de le déposer à nouveau?
M. Théberge : À mon avis, plusieurs éléments pourraient être améliorés et renforcés dans la prochaine mouture de la loi. Par exemple, on pourrait étoffer le concept de gouvernance et spécifier certaines cibles, comme en matière d’immigration. On pourrait prévoir un règlement autour de la partie VII pour sa mise en œuvre.
On pourrait revoir la partie IV pour mieux traiter du public voyageur qui est un domaine où nous recevons énormément de plaintes chaque année. On devrait revoir la cohérence entre la partie IV et la partie V, c’est-à-dire la langue de travail et la langue de service. Il faut également se pencher sur une nouvelle définition de la communication dans cette nouvelle ère technologique, non seulement pour aujourd’hui, mais pour demain. Ce sont quelques éléments qu’on pourrait certainement trouver dans un projet de loi qui se verrait à mon avis renforcé.
La sénatrice Poirier : Merci. Dans le contexte d’Air Canada, est-ce que les nouvelles modalités du projet de loi C-32 auraient permis de faire respecter la Loi sur les langues officielles? Sinon, quelles modifications le gouvernement doit-il apporter?
M. Théberge : Ce qui a été proposé dans le projet de loi C-32, soit la possibilité de conclure des ententes exécutoires et d’émettre des ordonnances, ce sont des outils qui ne sont pas actuellement disponibles pour assurer une meilleure conformité à la loi. Je crois que l’approche qui consiste à toujours faire enquête, plainte après plainte, ne mène pas nécessairement à des changements de la part des institutions fédérales.
À mon avis, la possibilité de conclure des ententes exécutoires, d’émettre des ordonnances et possiblement de prévoir des sanctions administratives pécuniaires pourrait ajouter à cette gradation de pouvoirs qui n’existe pas maintenant, puisque le seul vrai pouvoir dont je dispose, c’est le pouvoir de recommandation.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Théberge.
La sénatrice Gagné : Monsieur le commissaire, bienvenue au Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je suis heureuse que nous partagions le même ciel bleu, ici à Winnipeg.
Dans le cadre de votre rapport 2021, vous avez certainement démontré que ce sont les institutions en lien direct avec le public qui ont fait l’objet d’un plus grand nombre de plaintes. Vous avez identifié Emploi et Développement social Canada, Santé Canada ainsi que Services publics et Approvisionnement Canada.
Cela dit, vous notez dans votre rapport annuel des problèmes récurrents quant à l’interprétation et la mise en application restrictives des obligations linguistiques. Vous avez stipulé que la loi modernisée doit offrir un cadre beaucoup plus clair à cet égard. Depuis le dépôt de votre rapport, une décision de la Cour d’appel fédérale a été rendue à la fin janvier 2022. Il s’agissait du Canada (Commissariat aux langues officielles) c. Canada (Emploi et Développement social).
Compte tenu de votre rapport, mais aussi de la décision, en quoi cette récente décision affecte-t-elle vos activités sur la partie IV, notamment en ce qui concerne le traitement des plaintes, et des modifications au cadre législatif ou réglementaire?
Seraient-elles nécessaires afin de renforcer la partie IV, compte tenu de l’interprétation retenue par la jurisprudence et réitérée lors du dernier jugement de la Cour d’appel fédérale?
M. Théberge : Merci, c’est une excellente question.
Effectivement, la Cour d’appel fédérale s’est prononcée le 28 janvier 2022 sur l’interprétation de la partie IV et de la partie V vis-à-vis d’Emploi et Développement social Canada.
Pour ce qui est de la partie VII, le jugement infirme clairement la décision de première instance et on a donné une interprétation large et libérale de la partie VII. Ce qu’il serait intéressant de faire dans la modernisation de la loi, ce serait d’y inclure certains des grands principes qui ont été établis dans la décision de la Cour d’appel fédérale. De fait, cela a clairement démontré que les institutions fédérales ont l’obligation de tenir compte des besoins des communautés en milieu minoritaire et d’évaluer l’impact néfaste de leurs décisions, leurs politiques et leurs programmes. Cela sous-entend qu’on doit consulter les communautés pour savoir quels sont leurs besoins réels.
Quant au Commissariat aux langues officielles, pour les plaintes relevant de la partie VII, on peut maintenant non seulement recevoir des plaintes, mais même espérer avoir des plaintes fondées, en raison de l’obligation maintenant établie dans la décision. La décision Gascon faisait en sorte que la partie VII n’avait presque aucune force.
Pour ce qui est de la partie VII, la Cour d’appel fédérale n’a pas retenu les arguments par rapport à la partie IV. Je pense que lorsqu’on parle de la partie IV, il est extrêmement important de voir comment on peut définir des termes comme « l’offre active », et comment déterminer des obligations pour toutes les institutions fédérales qui touchent le public voyageur, comme je l’ai mentionné plus tôt.
Je pense qu’il est aussi important de spécifier le lien qui existe entre les tiers et les organismes fédéraux. Vous savez, le gouvernement a beaucoup modifié son fonctionnement depuis 20 ou 30 ans. On a énormément d’organismes qui ont été créés, et ceux-ci sont assujettis à la loi. Par contre, ils font aussi de la sous-traitance avec des tiers. Le meilleur exemple, c’est un Tim Hortons dans un aéroport. L’aéroport est privé, il y a une entente, il est assujetti à la Loi sur les langues officielles et par ricochet les entreprises le sont également.
Il faut trouver une façon de mieux ficeler tout cela dans la loi. Lorsqu’on parle — et on ne l’a pas mentionné — de la « langue de travail », c’est aussi problématique. On doit trouver des façons d’avoir un règlement autour de la partie IV, qui n’existe pas actuellement. De fait, dans le projet de loi C-32, on n’ajoute presque rien à la partie IV, c’est quasiment oublié. On doit certainement revoir la partie IV et la partie V, qui est la « langue de travail », parce que j’ai parlé tout à l’heure de cohérence entre ces parties, et la partie IV ne peut pas se concrétiser sans un personnel bilingue qui a les outils nécessaires pour faire le travail dans les deux langues officielles.
Le sénateur Dagenais : Merci d’être avec nous, monsieur le commissaire, surtout et évidemment après les déclarations incendiaires et irrespectueuses faites précédemment par le président d’Air Canada, M. Michael Rousseau.
Un de vos prédécesseurs, M. Graham Fraser, avait réclamé, je pense il y a environ six ans, des modifications à la loi pour lui permettre d’imposer des amendes à Air Canada pour le non‑respect du français dans ses opérations. Corrigez-moi si je me trompe, mais je ne vois rien de cela dans les intentions actuelles du gouvernement Trudeau.
Croyez-vous sincèrement — même avec des recommandations faites par un comité comme le nôtre — que le gouvernement actuel pourrait vous accorder ce droit, ou doit-on, comme francophones, tout simplement se résigner à accepter que la langue française soit bafouée impunément par cette société, comme elle le fait actuellement, et ce même depuis 40 ans?
M. Théberge : Depuis le dépôt du projet de loi C-32, il y a eu plusieurs interventions de la part d’intervenants sur cette question d’augmenter les pouvoirs du commissaire, et très souvent on a parlé de sanctions administratives pécuniaires.
Mon prédécesseur, M. Fraser, l’avait mentionné dans son rapport spécial en 2016. En vertu du nouveau mandat — qui se retrouvera peut-être dans le projet de loi — touchant les entreprises privées de compétence fédérale, cela élargira possiblement l’application de sanctions administratives pécuniaires. Je pense que c’est une idée qui fait son chemin, et j’espère que dans la prochaine mouture de la loi, on donnera au commissaire les pouvoirs nécessaires pour assurer une meilleure conformité.
Comme je le disais plus tôt, le commissaire peut faire des recommandations, mais on constate même dans les institutions fédérales, où l’on respecte les recommandations, que les comportements ne changent pas. Dans l’histoire du commissariat, on a reçu à peu près 60 000 plaintes. On croirait qu’en 2022, après 60 000 plaintes, on aurait changé le comportement des institutions fédérales. Par contre, on doit constater qu’on a encore énormément de chemin à faire, et que c’est peut-être le temps de revoir, justement, les mécanismes de conformité qui sont à la disposition du commissaire.
Le sénateur Dagenais : Je vous amène à un autre sujet.
En octobre dernier, vous avez fait trois recommandations concernant l’aéroport d’Ottawa, parce qu’il n’avait pas offert un service en français à un client qui s’adressait, je pense, à des agents de sécurité.
Savez-vous si les choses ont changé et pouvez-vous nous dire si les grands aéroports du pays, qui ont des obligations de bilinguisme, peuvent se soustraire à leurs obligations en confiant à des sous-traitants certains services à la clientèle?
M. Théberge : Pour répondre à votre première question, je vais devoir vérifier si on a fait le suivi auprès de l’aéroport d’Ottawa.
Justement, le point que vous soulevez, c’est que ce n’est pas en faisant de la sous-traitance qu’on peut se soustraire à la Loi sur les langues officielles. Lorsqu’on parle de sécurité, par exemple, ce sont souvent des contrats qu’on octroie à des entreprises privées — on connaît ces grandes compagnies du domaine : Garda, etc. Elles aussi sont assujetties à la Loi sur les langues officielles, et s’il y a des manquements à la loi, elles ne sont pas exclues; il n’y a pas d’exception. Ce qui m’amène à parler du public voyageur, de l’importance de trouver au sein de la partie IV des obligations pour des institutions qui touchent le public voyageur, plus clairement établies qu’elles le sont actuellement.
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le commissaire.
La sénatrice Moncion : Merci beaucoup et bonjour, monsieur le commissaire.
Récemment, la professeure Anne Levesque a fait remarquer qu’il semble y avoir confusion entre les concepts d’insécurité linguistique et d’anglonormativité dans votre étude intitulée L’insécurité linguistique dans la fonction publique du Canada. Selon la professeure, on parle d’insécurité linguistique, alors que ce sont en fait des exemples d’anglonormativité et même de francophobie, et je la cite :
Au lieu de blâmer les individus pour leur manque de confiance personnelle, il convient plutôt de reconnaître et dénoncer les structures de pouvoir qui causent leur marginalisation linguistique. [...]
Pour lutter contre l’assimilation des francophones au Canada, il faut nommer et s’attaquer à l’anglonormativité.
Dans le cas soulevé par la professeure, elle indique que le problème est que l’on propose des solutions individuelles à des problèmes de nature systémique. J’aimerais vous entendre sur la question des définitions de ces concepts en rapport avec les conclusions de votre étude.
M. Théberge : Premièrement, l’insécurité linguistique est un phénomène qu’on constate un peu partout dans la société. Elle est non seulement au sein de la fonction publique fédérale, mais aussi dans nos vies quotidiennes où, très souvent, les gens vivent un certain malaise par rapport à l’utilisation de leur langue maternelle ou de leur langue seconde. En milieu de travail, on peut présenter des exemples à la fonction publique, ce qu’on n’a pas nécessairement — et cela rejoint le concept, à mon avis, d’anglonormalité : les attentes créées au sein de la fonction publique fédérale sont qu’on travaille d’abord et avant tout en anglais et que le français est secondarisé. Je pense que le fait qu’on n’ait pas les structures nécessaires en place pour créer un milieu de travail inclusif contribue à la secondarisation du français — surtout le français, soyons honnêtes — qu’il s’agisse de la langue maternelle ou de la langue seconde.
Notre étude voulait surtout démontrer que, chez un très grand nombre de fonctionnaires, il y a une volonté de travailler dans la langue de leur choix, que ce soit leur langue première ou seconde. En ce sens, nous rejoignons les conclusions de Mme Levesque : les structures en place ne favorisent pas l’inclusion linguistique, ne créent pas un milieu linguistique inclusif. Ce qui est important — je ne suis pas convaincu qu’on blâmait l’individu —, mais ce qu’on constate, c’est que les conditions en place ne sont pas propices à l’utilisation de la langue maternelle ou seconde. C’est ce que nous avons constaté.
Bien sûr, c’est une question de pouvoir. Quelle est la langue qui est plus normale que l’autre en milieu de travail? En ce sens, les deux concepts se rejoignent. Cela démontre clairement qu’on a créé des conditions où les personnes ne sont pas en mesure d’utiliser la langue officielle de leur choix, ce qui fait en sorte qu’on marginalise une langue par rapport à l’autre.
La sénatrice Moncion : Je vous remercie de votre réponse. J’aimerais ajouter, peut-être, un commentaire. J’ai travaillé dans un milieu où il y avait de la franconormativité tout simplement parce que le français était la langue utilisée au travail et que je le demandais à mes employés. Les gens devaient se parler en français, même nos collègues anglophones. J’ai souvent l’impression que le leadership passe par les gens choisis à la tête. Lorsqu’on trouve des gens avec les capacités de bien s’exprimer et de bien écrire en français, l’anglonormativité peut perdre son pouvoir pour créer un environnement francophone qui est plus normal. Je pense que cela est une question importante par rapport aux gestionnaires choisis par le gouvernement fédéral. Je voudrais vous entendre à ce sujet.
M. Théberge : La question du leadership est cruciale au sein de l’appareil fédéral. On n’a qu’à mentionner le fait que ce n’est pas nécessaire que des sous-ministres ou de très hauts dirigeants soient bilingues. Par contre, on s’attend à ce que, à d’autres niveaux, des personnes soient bilingues. On a énormément de difficulté, au sein de l’appareil fédéral, à bien déterminer les exigences linguistiques des postes. Si, à la base, on ne réussit pas à bien définir les exigences d’un poste, comment peut-on créer cette capacité au sein de l’appareil? Au sujet du leadership, on donne souvent l’exemple : cela part d’en haut. Lorsqu’il s’agit des langues officielles, il est clair que si un sous-ministre ou une sous-ministre est un champion en la matière, on va certainement voir une culture beaucoup plus ouverte par rapport aux langues officielles au sein des institutions fédérales qu’avec un leader unilingue, par exemple. Le leadership est la clé. Lorsqu’on regarde certaines de nos institutions, il est difficile de prendre cela au sérieux si l’on dit qu’on croit au bilinguisme, qu’on croit aux langues officielles, mais que cela vient de quelqu’un d’unilingue.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Théberge.
La sénatrice Mégie : Merci, monsieur Théberge, d’être avec nous. Je viens de vous entendre dire qu’il n’est pas forcément exigible qu’un sous-ministre soit bilingue. Pensez-vous que, dans toutes les lettres de mandat des ministres fédéraux, il faudrait qu’il y ait quelque chose qui spécifie vraiment qu’on doive tenir compte du respect des langues officielles? Si oui, comment pourriez-vous assurer le suivi? Est-ce que ce serait un mandat trop lourd pour un commissaire aux langues officielles? Comment verriez-vous votre rôle, s’il y avait un suivi de cette clause-là?
M. Théberge : Je pense que c’est une excellente idée de s’assurer que, dans la lettre de mandat de chacun des ministres, on tient compte des langues officielles. Vous savez comme moi que, très souvent, lorsqu’on donne une lettre de mandat, il y a quelques paragraphes génériques qui traitent des intentions du gouvernement. Je pense qu’il est important que, à l’intérieur de ces lettres de mandat, on trouve ce genre de phrases qui parlent de l’importance des langues officielles. On dit souvent que nos langues officielles font partie de ce que nous sommes; cela fait partie de notre identité canadienne.
En matière de suivi, si on voulait poursuivre, il serait évidemment question d’être capable d’avoir une discussion avec le Bureau du Conseil privé pour savoir jusqu’à quel point on pourrait se rendre. Je pense que certains ministres ont déjà ce genre de lettre. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas inclure un énoncé au sein des lettres de mandat pour, justement, confirmer l’importance des langues officielles. C’est une chose, encore une fois, de le dire, mais c’est une autre chose d’agir.
Je reviens aux 60 000 plaintes que le commissariat a reçues durant une période d’au-delà de 50 ans. À un certain moment, si les comportements ne changent pas, on doit se poser de sérieuses questions à savoir ce qu’on fait ou ce qu’on ne fait pas.
La sénatrice Mégie : D’accord, merci.
Le président : J’aimerais, monsieur le commissaire Théberge, vous ramener à la question des sous-ministres. Vous avez déposé un rapport concernant l’article 91 de la Loi sur les langues officielles.
J’ai sous les yeux un tableau qui montre l’augmentation des plaintes sur les exigences linguistiques de la haute fonction publique. On est passé de 192 plaintes reçues en 2016 à 968 plaintes en 2021. Manifestement, il y a un réel problème à l’intérieur de la fonction publique, du fait que les sous-ministres n’ont pas l’obligation d’être bilingues. Qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur cet article 91? Est-ce qu’il devrait être modernisé dans le contexte de la loi? Vous l’avez dit vous‑même, en fait : si les plus hautes fonctions ne peuvent pas donner l’exemple, comment peut-on s’assurer que, à l’intérieur de l’appareil gouvernemental, on respecte effectivement la Loi sur les langues officielles?
M. Théberge : L’article 91 est un peu à la base du bilinguisme des postes au sein de la fonction publique. Elle ne touche pas nécessairement les postes de sous-ministre, il faut s’entendre. Je pense qu’il est important de se rappeler que, dans notre étude, nous avons constaté une incompréhension de la part de la grande majorité des gestionnaires par rapport à leur obligation en vertu de l’article 91 de faire l’évaluation objective des exigences linguistiques d’un poste. Très souvent, on utilise toutes sortes d’autres raisons pour faire en sorte que le poste est classifié à un niveau très bas, très faible : un BBB, par exemple, comparativement à un CBC. Ce qu’on constate aussi, c’est qu’il y a un manque de sensibilisation et de formation de la part des gestionnaires relativement à l’article 91. L’École de la fonction publique, si je ne me trompe pas, offre tout simplement un cours sur l’article 91.
L’article 91, pour un ministère qui veut se doter de la capacité bilingue, c’est là que cela va se jouer. Il faut bien identifier les postes au sein de son ministère. Le nombre de plaintes qu’on reçoit est très élevé et par le passé, on a eu des vagues, dépendamment des événements. Cependant, je peux vous assurer qu’on pourrait certainement, si on fait des analyses, trouver un nombre beaucoup plus important de situations qui ne sont pas conformes à l’article 91, d’où l’importance de mettre en place un système de responsabilisation et un système de gouvernance par rapport à l’intendance des langues officielles au sein de l’appareil fédéral.
Le président : Merci, monsieur Théberge. Comme commissaire, pouvez-vous vous assurer que les évaluations, par exemple, les compétences linguistiques — c’est du domaine confidentiel, j’imagine —, alors comment faire pour avoir une reddition de comptes sur les évaluations des compétences linguistiques des hauts fonctionnaires?
M. Théberge : Je vais essayer de comprendre la question parce que l’article 91 ne porte pas sur l’évaluation des compétences linguistiques des hauts fonctionnaires, mais sur les exigences linguistiques des postes. Donc, nous, ce qu’on fait, c’est qu’on envoie régulièrement au président, au ministre du Secrétariat du Conseil du Trésor, tous les résultats d’enquête de l’article 91. Cela relève du Secrétariat du Conseil du Trésor de démontrer qu’il y a un problème systémique et ce n’est pas par la multiplication des enquêtes qu’on va résoudre un problème systémique. Cela prend une directive très claire du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada relativement à l’article 91.
Le président : Merci, monsieur Théberge, j’avais bien compris que ce n’était pas couvert par l’article 91.
Le sénateur Dagenais : Je vais avoir deux courtes questions, monsieur le commissaire. Évidemment, je veux revenir à Michael Rousseau, qui est le président d’Air Canada. À part les plaintes contre M. Rousseau, j’imagine qu’il y a d’autres plaintes contre Air Canada. Combien de temps devez-vous consacrer au traitement de ces nombreuses plaintes? Vous aviez parlé tantôt de 2 500, y en a-t-il davantage?
M. Théberge : Bien, chaque année, on reçoit un nombre de plaintes, séparément des plaintes qu’on a reçues par rapport au discours de M. Rousseau. Je vais être très honnête avec vous et je vais faire attention à ce que je dis en ce qui concerne Air Canada, étant donné qu’on est en période d’enquête, car je veux qu’il soit absolument vu et perçu que nous sommes impartiaux dans tout cela.
Disons qu’historiquement, si on montre un tableau, vous allez voir qu’Air Canada est souvent présente dans le palmarès des plaintes. J’aimerais peut-être bonifier ma réponse, mais je suis très sensible au fait qu’on est en processus d’enquête, et je ne voudrais pas créer de situation où on pourrait par la suite venir nous dire qu’on a déjà décidé de l’issue de l’enquête.
Le sénateur Dagenais : J’ai une dernière petite question. Je vais vous amener sur le dossier d’Outlook. Comment traitez‑vous ces plaintes?
M. Théberge : Je ne suis pas au courant de ces plaintes contre Outlook. Peut-être que je pourrais demander aux gens dans le domaine des enquêtes de voir si on a reçu des plaintes au sujet d’Outlook. On reçoit des plaintes au sujet des URL, etc., et à l’avenir, on doit trouver un moyen pour que la Loi sur les langues officielles tienne compte des nouvelles technologies et de la façon de les traiter.
Le sénateur Dagenais : Si jamais vous avez des informations, vous pourrez nous les faire parvenir par écrit; ce serait apprécié.
M. Théberge : Certainement.
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le commissaire.
La sénatrice Gagné : Je me demandais, selon vous, pourquoi les gouvernements successifs n’arrivent pas à atteindre leur cible sur l’immigration francophone hors Québec et comment on peut rectifier le tir concernant la partie VII de la loi quant à sa mise en application.
M. Théberge : Je dirais que c’est une série d’éléments qui contribuent à la non-atteinte de la cible. Je pense qu’il n’y a jamais eu de stratégie durable, c’est-à-dire qu’à mon avis, il y a eu certains moyens utilisés, certaines approches, certaines interventions, mais on ne peut pas dire qu’il y avait une vraie stratégie en matière d’immigration en milieu francophone minoritaire.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’immigration inclut plusieurs joueurs, plusieurs acteurs et intervenants; non seulement le gouvernement fédéral, mais aussi les provinces, les communautés. On doit augmenter la cible en ce qui a trait aux francophones en milieu minoritaire en matière d’immigrants, pour la simple raison que le poids démographique est en train de se déséquilibrer par rapport à cet aspect. Ce qu’on a recommandé au gouvernement et à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) est de se pencher sur tous les facteurs qui entourent les programmes d’immigration, de la sélection des candidats jusqu’à leur installation, et de voir s’il est possible de faire non seulement une meilleure analyse des candidats et des candidates, mais aussi d’assurer une meilleure intégration une fois qu’ils sont ici.
J’aimerais souligner aussi que j’ai parlé à un bon nombre d’immigrants, et ils me disent qu’ils ne viennent pas nécessairement au Canada pour défendre la francophonie, mais plutôt pour réaliser un projet de vie personnel. Il faut trouver un moyen pour qu’ils se sentent bienvenus et qu’ils s’intègrent bien à nos communautés. Je pense que dans la partie VII de la loi, on avait déjà identifié certaines institutions, dont IRCC. Au sein de la partie VII, pour ces institutions, surtout par règlement, on devrait parler des obligations de ce ministère quant au développement des communautés francophones en milieu minoritaire. Dans le projet de loi qui est proposé, on le mentionne, mais il n’y a pas d’obligation. C’est encore très flou.
Vous savez que la cible de 4,4 % n’a pas été atteinte et ne sera pas atteinte en 2023, et que même si on avait atteint la cible, on n’aurait pas maintenu l’équilibre du poids démographique entre les deux communautés. C’est urgent. Lorsqu’on parle de démographie, c’est toujours très lent comme impact, mais 20 ans plus tard, on constate qu’on a maintenant un écart de 75 000 immigrants potentiels qui ne sont pas ici. C’est comme la ville de Sudbury ou c’est plus gros que Brandon, peu importe. Cela dit, il faut absolument que dans la partie VII, on identifie IRCC et qu’on définisse des obligations.
La sénatrice Gagné : Merci.
Le sénateur Mockler : Premièrement, je m’en voudrais de ne pas ajouter quelques commentaires sur le leadership de M. Théberge et son équipe. Félicitations, monsieur le commissaire, pour le travail que vous faites et aussi de faire reconnaître l’égalité des deux langues officielles canadiennes.
J’ai quelques petites questions. Lorsqu’on regarde les changements que le gouvernement fédéral veut faire, ce qui est un véhicule très important, quelle interprétation de la partie VII avez-vous défendue devant la Cour d’appel fédérale dans le recours opposant la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique et Emploi et Développement social Canada? Que pensez-vous du jugement rendu le 28 janvier dernier?
M. Théberge : Pour ce qui est du jugement, on était très heureux de le voir parce que cela donnait une interprétation large et libérale de la partie VII. La décision Gascon donnait une interprétation très restrictive de la partie VII, ce qui faisait en sorte qu’il n’était pas nécessaire de lier une mesure positive à un programme en particulier, la décision Gascon à une politique en particulier. Par exemple, si le ministère X, Y ou Z avait établi quelques programmes à l’échelle du ministère, qui favorisaient les minorités francophones, c’était suffisant; mais il n’était pas nécessaire que ce soit lié à un programme ou à une politique en particulier. La définition, maintenant, selon la Cour fédérale, est qu’on doit tenir compte des besoins des communautés. On doit consulter les communautés; on a une obligation de tenir compte de leurs besoins lorsqu’on formule des politiques et des programmes.
Nous devons également prévenir les effets néfastes sur ces communautés.
Avant le jugement de la Cour d’appel fédérale, nous ne tenions pas compte des effets néfastes sur la communauté parce que, parfois, nous ne voyions ces effets néfastes que 10 ou 15 ans plus tard. À ce moment-là, il est beaucoup trop tard. La décision de la Cour d’appel fédérale nous ramène à une époque où on peut maintenant se donner une interprétation large et libérale de la partie VII. C’est la partie de la loi qui est là pour soutenir les communautés.
Le sénateur Mockler : Croyez-vous que cette affaire se rendra devant la Cour suprême du Canada, et si oui, pour quels motifs?
M. Théberge : C’est une bonne question. Le gouvernement fédéral a 60 jours à compter du 28 janvier. Il y a un élément dans la décision qui pourrait être contesté : la Cour d’appel fédérale a émis une ordonnance à l’égard du ministère, selon laquelle d’ici deux ans, on doit refaire un nouveau programme, et jusqu’à ce que ce programme soit mis en œuvre, cette ordonnance est toujours en vigueur. Donc, c’est une possibilité. Une bonne façon d’éviter tout cela, bien sûr, est de s’assurer que, lorsqu’on a un nouveau projet de loi, les balises sont en place pour éviter ce genre de recours à la Cour suprême.
Le sénateur Mockler : J’ai deux autres petites questions. La première porte sur la responsabilité de la coordination de la Loi sur les langues officielles en vue d’avoir une agence centrale. Pourquoi le gouvernement fédéral hésite-t-il encore à remettre la pleine responsabilité de la coordination de la loi entre les mains du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada?
M. Théberge : Je ne peux pas parler des motivations du gouvernement, mais il est clair que la gouvernance est au cœur de la mise en œuvre et de l’application de la loi. Le défi, à l’heure actuelle, vient du fait que nous avons une responsabilité partagée entre le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et Patrimoine canadien. Dans le projet de loi C-32, on ne définit pas très bien les obligations de l’un ou de l’autre. C’est une question sur laquelle plusieurs s’interrogent à l’heure actuelle, à savoir comment assurer une meilleure coordination au sein de l’appareil fédéral. Certains principes sont importants pour nous : un mécanisme de consultation auprès des communautés, un plan pangouvernemental des langues officielles, et un cadre de responsabilisation et de reddition de comptes sont essentiels et cela, à mon avis, devrait relever d’une agence centrale.
Le sénateur Mockler : Avec l’expérience …
Le président : Je suis désolé, sénateur Mockler. Merci, monsieur Théberge.
La sénatrice Clement : Bonjour à tous mes collègues. Je suis très contente de faire partie de ce comité.
La pandémie a imposé de la souffrance un peu partout dans tous les aspects de nos vies. C’est à nous tous, maintenant, de faire honneur à cette souffrance en nous assurant que nos processus vont être améliorés et que la réponse va être appropriée. Pouvez-vous donner plus de détails concernant le fait que les gens sont en télétravail et qu’ils vont chercher leurs services en ligne? Nous avons entendu les termes « une loi technologiquement neutre ». Est-ce que vous pouvez donner plus de détails concernant votre vision à ce sujet? Comment va-t-on faire si on veut bien répondre à tous ces changements qu’on a eu à vivre?
M. Théberge : C’est une excellente question, étant donné, comme vous l’avez mentionné, qu’on passe à travers une situation extraordinaire qui a apporté des changements structuraux importants à notre façon de travailler. L’appareil fédéral est en grande partie maintenant en télétravail, c’est-à-dire le travail à distance. À l’avenir, on se retrouvera avec un modèle hybride, où certaines personnes seront au bureau et d’autres seront ailleurs. En raison de ce nouveau mode hybride, il sera important de penser aux régions bilingues sur le plan du travail : où sont ces régions et quelle est l’interaction entre les régions dites bilingues et les régions non bilingues en ce qui concerne la langue de travail?
Deuxièmement, les outils technologiques seront-ils fournis aux employés dans les deux langues officielles? Troisièmement, comment assurer une meilleure cohérence entre la partie IV, qui porte sur la langue des services, et, comme je l’ai mentionné au début, l’importance de se pencher sur le concept de communication dans cette nouvelle ère? Qu’est-ce que cela veut dire? Les nouvelles technologies ont aidé à faire avancer le bilinguisme dans un certain sens.
Aujourd’hui, on a des services en ligne, qu’il s’agisse du Web ou d’un numéro 1-800; on n’a pas de problème. Souvent, nous rencontrons des difficultés en présentiel. Il faut s’assurer d’avoir les outils technologiques pour faire le travail. Il nous faut des politiques qui font en sorte que lorsqu’on parle de supervision d’un employé, qu’on respecte cette question de langue de travail. Il sera important de renforcer la partie V, qui porte sur la langue de travail, et de voir comment on pourra y apporter des modifications pour tenir compte non seulement de ce qui se passe aujourd’hui, mais de ce qui va se passer à l’avenir.
C’est difficile à prédire. En 1969, le télécopieur n’existait pas. Certains d’entre nous ont vu la naissance du télécopieur et nous assisterons peut-être à sa disparition avec l’arrivée de nouvelles technologies. Quand on parle d’une loi technologiquement neutre, cela signifie que la technologie n’est pas une excuse pour ne pas respecter la Loi sur les langues officielles.
La sénatrice Clement : Merci beaucoup, monsieur Théberge, pour votre présentation.
Le président : Je vais en profiter pour poser une dernière question avant de conclure notre rencontre. J’aimerais vous ramener à la question de la modernisation de la loi. Évidemment, on aura l’occasion, sans doute, de discuter avec vous de la nouvelle loi. Je serais curieux de vous entendre parler, dans le contexte de la modernisation de la loi, de la réconciliation entre les visions des communautés francophones en situation minoritaire et celles des communautés anglophones du Québec par rapport à la dualité linguistique, tout en respectant les principes de diversité et d’inclusion. Comment pouvons-nous réconcilier le principe d’égalité du statut d’usage du français et de l’anglais et le principe d’égalité réelle?
M. Théberge : C’est une grosse question, monsieur le président. Je ne sais pas si je peux répondre à tout cela en deux minutes. Il y a deux concepts en jeu. Je vais certainement être en mesure de me prononcer beaucoup plus longuement lorsqu’on va voir la prochaine mouture du projet de loi, mais il y a deux principes en question ici. Nous avons celui de l’égalité réelle, qui sous-entend qu’on a deux communautés de langue officielle, deux langues de statut égal. Par contre, dans la mise en œuvre de la loi, on peut avoir une façon différenciée vis-à-vis une communauté ou l’autre pour s’assurer qu’éventuellement, on trouve un pied d’égalité. L’asymétrie législative, c’est lorsque dans la loi on confère des droits à une communauté et non à l’autre.
La réponse simple, c’est que je laisse au gouvernement le soin de développer une approche où on va tenir compte des besoins des deux communautés de langue officielle au Canada, tout en assurant la promotion du français, parce que le français doit être renforcé dans le contexte canadien.
Le président : Je vous remercie. Je ne voulais pas vous mettre dans l’embarras avec cette dernière question, mais comme je sais qu’il y a beaucoup de Canadiens et Canadiennes qui nous écoutent en ce moment, je pense que ce sont des questions importantes qui peuvent inspirer les législateurs. Merci beaucoup.
Voilà qui complète, chers collègues et monsieur le commissaire, cet échange. Au nom du comité, je vous remercie, ainsi que les membres de votre équipe, d’avoir pris le temps de nous rencontrer aujourd’hui. Je suis certain que nous aurons l’occasion de nous revoir au cours des prochains mois afin de poursuivre nos échanges sur d’autres sujets.
(La séance se poursuit à huis clos.)