LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 5 juin 2023
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 16 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis actuellement président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, Québec.
[Français]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues.
[Traduction]
Je veux aussi souhaiter la bienvenue aux téléspectateurs de tout le pays qui nous regardent. Je tiens à souligner que les terres à partir desquelles je vous parle font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Aujourd’hui, nous commençons notre étude du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.
[Français]
Chers collègues, avant de commencer, comme je suis parrain de ce projet de loi et que la vice-présidente du comité, la sénatrice Poirier, en est la porte-parole, nous avons convenu qu’il était préférable que nous ne présidions pas les séances relatives à l’étude du projet de loi. Nous avons donc tous deux convenu d’inviter la sénatrice Lucie Moncion à prendre ce siège et à présider les débats pour cette réunion du comité.
Merci et bonne réunion à vous.
La sénatrice Lucie Moncion (présidente suppléante) occupe le fauteuil.
La présidente suppléante : Au lieu d’être pris au piège, il était pris au siège. Merci, sénateur Cormier.
Pour notre premier groupe de témoins aujourd’hui, nous accueillons M. Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles. Il est accompagné de Mme Isabelle Gervais, commissaire adjointe, Direction générale de l’assurance de la conformité, Pierre Leduc, commissaire adjoint, Direction générale des politiques et communications, et Me Pascale Giguère, avocate générale.
Bienvenue et merci d’être parmi nous, monsieur le commissaire. Nous sommes prêts à entendre votre déclaration préliminaire; une période de questions des sénateurs et sénatrices suivra.
Monsieur Théberge, la parole est à vous.
Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles, Commissariat aux langues officielles : Madame la présidente et honorables membres du comité, bonjour.
Je tiens tout d’abord à souligner que les terres sur lesquelles nous sommes réunis font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe, un peuple autochtone de la vallée de l’Outaouais.
C’est avec grand plaisir que je me joins à vous aujourd’hui pour discuter d’un projet de loi qui me tient grandement à cœur, le projet de loi C-13.
La route a été longue depuis que le projet de modernisation de la loi a pris son envol. Je me sens privilégié d’avoir contribué à nourrir la réflexion derrière cette refonte de la Loi sur les langues officielles.
En effet, les intervenants du milieu des langues officielles ont soulevé des questions et ont proposé des solutions durant les consultations menées par mon équipe en 2018. Celles-ci m’ont d’ailleurs servi de tremplin pour formuler une série de recommandations adressées au gouvernement fédéral, afin qu’il s’en inspire pour moderniser la Loi sur les langues officielles.
[Traduction]
Lorsque j’ai comparu devant votre comité en juin 2022 pour discuter du projet de loi C-13, il m’apparaissait évident que ce projet de loi avait le potentiel de transformer en profondeur le régime linguistique canadien. Beaucoup de discussions ont eu lieu depuis, et je tiens à saluer le travail acharné de parlementaires ayant abouti au projet de loi actuel. Grâce aux efforts déployés jusqu’à présent, nous avons maintenant en main un projet de loi qui représente une avancée significative pour la protection des droits linguistiques de la population canadienne et de la vitalité de nos communautés de langue officielle minoritaires.
Certaines améliorations apportées au projet de loi me réjouissent tout particulièrement. La reconnaissance de l’importance de remédier au déclin du poids démocratique des communautés francophones minoritaires et du rôle crucial que joue l’immigration francophone dans l’atteinte de cet objectif en est un bon exemple.
Avec les récents amendements, de grandes avancées ont été réalisées sur la question de la gouvernance de la loi, conjuguées à l’ajout de nouveaux pouvoirs dans ma boîte à outils qui donneraient à la loi actuelle le mordant qui lui manque et contribueraient à aider les institutions fédérales à mieux s’acquitter de leurs obligations linguistiques à l’égard de la population.
[Français]
Le contexte linguistique effervescent des dernières années a remis à l’avant-plan les défis auxquels font face nos communautés de langue officielle. Chacune de ces communautés est confrontée à des difficultés qui lui sont propres, par exemple, la situation préoccupante du français au Québec, le déclin du poids démographique des communautés francophones en situation minoritaire ou encore les préoccupations des membres de la communauté d’expression anglaise du Québec quant au maintien de leurs droits linguistiques.
Ces questions ont servi de toile de fond au parcours du projet de loi C-13 au Parlement et elles ont contribué à définir les changements nécessaires pour l’améliorer et le renforcer.
Je considère ce projet de loi comme une proposition globale visant à résoudre plusieurs problèmes systémiques, tout en maintenant les acquis des diverses communautés. Nous ne pouvons ignorer le fait que l’approche choisie suscite des inquiétudes au sein de la communauté d’expression anglaise du Québec quant au maintien des droits linguistiques de ses membres.
C’est pourquoi nous devrons demeurer à l’écoute des communautés et suivre de près la mise en œuvre du projet de loi C-13, afin de comprendre comment la loi devrait évoluer pour mieux répondre à leurs besoins.
[Traduction]
La mise en œuvre de la loi devra être étroitement surveillée à l’aide d’indicateurs de rendement précis afin de bien cerner les problèmes qui pourraient émerger. Sachant qu’une obligation d’examiner la loi tous les 10 ans a été ajoutée, je demeure persuadé que des ajustements pourront être apportés pour que la loi demeure en phase avec la réalité linguistique et la société canadienne.
Alors qu’on approche de la ligne d’arrivée de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, je tiens à réitérer à l’ensemble de la population canadienne, et tout particulièrement à nos communautés de langue officielle en situation minoritaire, ou les CLOSM, mon engagement continu à leur égard. J’espère avoir bientôt à ma disposition plus d’outils pour renforcer mon rôle de défenseur des droits linguistiques des deux communautés de langue officielle. Je suis et serai toujours à leur écoute et je les appuierai dans leurs efforts pour protéger leurs droits et stimuler la croissance et la vitalité de leurs communautés.
Les langues officielles sont manifestement à un moment charnière de leur histoire, et l’important objectif qu’est la modernisation de la Loi sur les langues officielles est sur le point d’être atteint. Cette modernisation est essentielle pour assurer le renforcement du régime linguistique canadien. Elle est à portée de main, et je suis convaincu qu’en adoptant le projet de loi C-13, nous allons dans la bonne direction.
[Français]
Je vous remercie de votre attention et je serai heureux à vos questions dans la langue officielle de votre choix.
La présidente suppléante : Merci beaucoup pour votre déclaration d’ouverture.
J’aimerais demander aux membres présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près de leur microphone ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité qui se trouve dans la salle.
Chers collègues, comme je suis consciente du temps à notre disposition, je propose que cinq minutes soient accordées à chacun et à chacune pour un premier tour de table, y compris la question et la réponse.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup, monsieur Théberge.
[Traduction]
Vous avez effectivement mentionné tout le travail que vous avez accompli pour moderniser la Loi sur les langues officielles au cours des deux dernières années, lorsque vous avez terminé votre étude. Vous avez déclaré, et je cite votre communiqué de presse :
Je partage cependant les préoccupations de la communauté d’expression anglaise du Québec, qui craint que l’ajout de composantes asymétriques dans la loi ne mine le statut égal de l’anglais et du français. C’est pourquoi je recommande fortement au gouvernement de mettre l’accent sur l’égalité réelle plutôt que sur l’asymétrie législative afin de protéger les CLOSM partout au Canada et de favoriser le développement et l’épanouissement des deux langues officielles du Canada. Cela permettra au commissariat d’intervenir au besoin pour conserver le précieux équilibre entre nos deux langues officielles.
Compte tenu de ce que je viens de citer, j’aimerais que vous nous donniez une mise à jour et que vous nous disiez comment le projet de loi C-13, sous sa forme actuelle, a changé l’opinion que vous avez exprimée dans ce communiqué de presse il y a quelque temps sur la modernisation de la loi. Plus précisément, j’aimerais vous demander pourquoi selon vous le renvoi à la Charte de la langue française québécoise n’a pas été retiré, puisque c’est la seule loi provinciale mentionnée dans la Loi sur les langues officielles et qu’elle soulève d’importantes contestations quant à l’utilisation préventive de la disposition de dérogation.
M. Théberge : Merci de vos questions.
D’abord et avant tout, en ce qui concerne l’asymétrie, le projet de loi C-13 comporte toujours des éléments d’asymétrie, mais il y a certains éléments qui, à mon avis, aident à équilibrer cette asymétrie.
D’abord, nous reconnaissons dans la loi que les communautés de langue officielle en situation minoritaire ont des besoins différents. Nous disons qu’elles ont des besoins distincts et que nous devons trouver différentes façons de répondre aux besoins de ces deux communautés.
Aussi, toujours en ce qui concerne l’asymétrie, ce que nous avons fait, de mon point de vue, en scindant la loi en deux, c’est qu’il y a d’un côté la Loi sur l’usage du français, qui fait partie de cette asymétrie, et qui ne fait pas partie en tant que telle de la Loi sur les langues officielles. Nous avons fait quelques distinctions.
Je pense que la partie VII, dont l’objectif est de soutenir les deux communautés de langue officielle, a été renforcée. Cela va nous permettre de soutenir le développement des deux communautés. Il est important de se souvenir que nous devons trouver des façons de soutenir ces communautés.
Nous avons un plan d’action, que nous avons récemment mis en œuvre, qui prévoit différentes approches pour soutenir le développement des deux communautés de langue officielle. Elles n’ont pas les mêmes besoins.
D’une certaine façon, dans le passé, la loi a toujours été appliquée de façon asymétrique. Nous avions différentes façons de répondre aux besoins des communautés anglophones du Québec et des communautés francophones de l’extérieur du Québec. Cela n’a pas changé.
Il est important de garder à l’esprit le fait que la loi elle-même ne va pas nous empêcher de nous assurer que les deux communautés ont les outils dont elles ont besoin pour se développer et prospérer. Elles ne sont pas confrontées aux mêmes défis, et nous devons en tenir compte. Avec ce que nous avons maintenant, nous le pourrons.
Pour ce qui est de la Charte, ma compréhension — très limitée, je l’admets — est que le renvoi à la Charte n’obligera pas les institutions fédérales à se soumettre à la Charte.
On fait beaucoup de conjectures sur ce qui pourrait arriver dans l’avenir. Je ne peux pas vraiment formuler d’hypothèses. Les constitutionnalistes nous conseilleront à ce sujet. Je vais m’en remettre à eux. Je suis d’accord pour dire que c’est nouveau. Il y a d’autres territoires administratifs qui sont mentionnés, même si ce n’est pas nécessairement de cette façon. Il y a le Nouveau-Brunswick, qui a sa propre Loi sur les langues officielles. Dans ma province natale du Manitoba, il y a l’article 23 de la Loi sur le Manitoba.
La sénatrice Seidman : Merci.
[Français]
La sénatrice Clement : Bonjour. Merci à vous tous d’être ici. La route a été longue. J’ai apprécié vos commentaires sur le fait que le projet de loi vous tient à cœur; on le voit bien. Vous avez travaillé avec acharnement dans ce dossier et c’est fort apprécié. J’ai aussi noté votre commentaire sur le fait que le projet de loi C-13 est une proposition globale.
Cela veut donc dire qu’il touche plusieurs aspects de notre société en 2023, y compris les langues autochtones. C’est le but de ma question aujourd’hui. Ma communauté de Cornwall est voisine du territoire traditionnel mohawk d’Akwesasne, et ce territoire se trouve sur les frontières du Québec, de l’Ontario et des États-Unis. Les résidants d’Akwesasne traversent les frontières pour magasiner, pour travailler, pour voir leur famille et pour les rendez-vous médicaux. Il y a quelques années, ils ont voulu faire ajouter une troisième langue, le mohawk, sur les affiches de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), et ils ont dû faire face à plusieurs obstacles avant de réussir. Ma question est la suivante : que répondez-vous lorsqu’on vous dit que le projet de loi C-13 ne fait pas assez de place aux langues autochtones? Je vais commencer par cette question.
M. Théberge : Premièrement, dans le projet de loi C-13, on parle du fait que la Loi sur les langues officielles ne porte pas atteinte aux langues autochtones, et de fait, on dit que l’on doit valoriser, promouvoir et revitaliser les langues autochtones.
Deuxièmement, je pense qu’il existe un véhicule autre que la Loi sur les langues officielles pour faire progresser les langues autochtones au pays : il s’agit de la Loi sur les langues autochtones. Je pense que le commissaire Ignace est mieux placé pour développer des stratégies et des approches pour voir comment passer aux prochaines étapes. On a chacun un véhicule à notre disposition, soit les langues officielles et les langues autochtones, et on devrait travailler sur le véhicule approprié pour faire avancer le dossier.
C’est un dossier qui m’est très cher, celui des langues autochtones, étant donné que, à titre de commissaire aux langues officielles, tout ce qui traite des droits linguistiques, c’est un peu notre contribution à la réconciliation. Nous ne sommes pas des experts dans tout, mais je pense qu’on doit trouver une façon de faire pour que la Loi sur les langues officielles et la Loi sur les langues autochtones puissent se renforcer mutuellement pour avoir un environnement linguistique plus inclusif. Nous en sommes à nos débuts. Lorsqu’on parle des langues autochtones, le commissaire a produit récemment son premier rapport annuel; il y a beaucoup de travail à faire. Il est important d’utiliser le bon véhicule.
La sénatrice Clement : Pensez-vous qu’il y a de la place pour la réconciliation à l’intérieur du projet de loi C-13? C’est ce qui est revendiqué, soit le fait qu’il devrait au moins y avoir quelque chose de plus à quoi l’on ne va pas déroger, à quoi l’on ne va pas porter atteinte, qui est dans le négatif. Il faut quelque chose de plus affirmatif dans la loi pour donner de l’espace.
M. Théberge : On mentionne le fait qu’on doit valoriser, promouvoir et revitaliser les langues autochtones, ce qui est sensiblement le mandat de la Loi sur les langues autochtones. C’est une première. Je pense qu’on doit aussi penser à la mise en œuvre de la loi au cours des prochaines années et qu’on doit se doter d’un mécanisme de vigie. Comment peut-on mesurer l’impact de la loi sur les communautés? À mon avis, on aura l’occasion dans 10 ans — ce ne sera pas moi — de faire une révision des canaux de la loi. Je pense qu’à ce moment-là, on pourra voir ce qui s’est passé sur le terrain par rapport aux langues autochtones, d’une part, et aux langues officielles, d’autre part, et voir comment elles peuvent se renforcer mutuellement.
La sénatrice Clement : Est-ce que vous recevez des commentaires comme les miens au commissariat? Répondez‑vous à des questions? Y a-t-il une conversation accrue dirigée vers votre institution?
M. Théberge : Il y a eu quelques demandes. J’ai eu une conversation très intéressante avec le commissaire lui-même par rapport aux prochaines étapes et je lui ai offert l’appui de notre bureau s’il le souhaitait, dans le but de partager notre expérience, par exemple. Pour l’instant, c’est minime.
La sénatrice Mégie : J’ai lu un article du Devoir très récemment — je ne me souviens plus quel jour —, qui portait le titre suivant : « Le commissaire aux langues officielles ne partage pas la peur anglo-québécoise de C-13 ». On entend beaucoup cela et on va en entendre encore parler, surtout quand on va rencontrer les juristes. Il y a beaucoup de discussions à ce sujet. À votre avis, quels sont les éléments vous permettant de dire que vous ne partagez pas leur peur par rapport au projet de loi C-13?
M. Théberge : Premièrement, ce n’est pas vrai; je partage les préoccupations de la communauté anglophone du Québec. Je perçois cette inquiétude par rapport à l’avenir. On ne sait pas ce qui s’en vient. Que veut dire le projet de loi C-13? Que signifie la référence à la charte dans la Loi sur les langues officielles? Il y a beaucoup de spéculation. On essaie de voir ce qui pourrait arriver et c’est un peu la raison de l’inquiétude. Si on change la charte à un certain moment, est-ce qu’il faudra changer la Loi sur les langues officielles? Il y a donc beaucoup d’incertitude. Pour moi, c’est là que se situent ces préoccupations. Je partage ces préoccupations, peu importe ce qu’en dit Le Devoir.
La sénatrice Mégie : Merci.
Le sénateur Cormier : Bienvenue, monsieur le commissaire. J’aimerais vous féliciter pour votre dernier rapport annuel, qui nous donne un éclairage très pertinent sur la situation actuelle des langues officielles et sur les enjeux aussi qui s’y rapportent.
Dans votre rapport, vous applaudissez certains amendements qui ont été apportés au projet de loi C-13 par nos collègues de la Chambre des communes. Vous voyez notamment d’un bon œil l’amendement qui a été adopté quant à la capacité bilingue des sous-ministres. Vous faites le souhait que le recours à une approche semblable à celle de la Cour suprême officialise la capacité de la fonction publique à travailler dans les deux langues officielles. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet? Comment le projet de loi C-13, dans sa version actuelle, contribuerait-il à assurer un meilleur bilinguisme au sein de la fonction publique?
M. Théberge : Je pense que vous avez soulevé l’élément clé. Dans le projet de loi C-13, on a apporté un amendement qui exige maintenant que tout sous-ministre ou dirigeant de la fonction publique fédérale, s’il n’est pas bilingue à son entrée en fonction, fasse la formation nécessaire pour le devenir. C’est un différent processus pour ce qui est des juges. On doit vérifier le niveau de bilinguisme avant la nomination. Là, on le fait après. C’est quand même un élément extrêmement important.
Ce que l’on constate au sein de la fonction publique, c’est que, dans l’étude que nous avons faite sur l’insécurité linguistique, il a été démontré que ce n’est pas toujours facile de travailler dans la langue officielle de son choix, surtout en français. Cela commence au sein du leadership de l’organisation. Qui donne l’exemple? Si le haut dirigeant de l’organisation est incapable de fonctionner quotidiennement dans les deux langues officielles, cela envoie un certain message. On a aussi constaté que c’est difficile de rédiger les documents dans la langue officielle de son choix. Cet amendement envoie un message très clair : on s’attend à ce que le leadership de la fonction publique soit réellement bilingue. L’exemple commence en haut.
Le sénateur Cormier : Merci. Que pensez-vous des dispositions du projet de loi C-13 au nouvel article 12.1, concernant les droits du public voyageur? Est-ce que cela donne effet aux conclusions de la Cour fédérale, par exemple, Thibodeau c. Administration de l’aéroport international de St. John’s? On vous a accueilli et on a abondamment parlé de cet enjeu qui préoccupe beaucoup de Canadiens. Que pouvez-vous nous dire?
M. Théberge : L’amendement proposé fait en sorte que le public voyageur est censé être mieux servi dans la langue officielle de son choix dans tout le pays. Vous aurez remarqué que, dans le rapport annuel, c’est un enjeu très présent à l’échelle du pays. Cela dépend des définitions que l’on se donne par rapport au public voyageur. Le libellé reflète l’une des propositions contenues dans notre mémoire.
Le sénateur Cormier : Ce qui préoccupe beaucoup de gens pour ce qui est de la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles, cette nouvelle loi modifiée... On cherche à comprendre comment va se faire la mise en œuvre de la loi. On vous a accordé de plus grandes responsabilités et il y aura un règlement afin de s’assurer que vous soyez en mesure de remplir ces nouvelles responsabilités. Qu’attendez-vous de ce règlement? Que devrait-il contenir pour que cela réponde aux attentes et qu’il vous donne aussi les ressources nécessaires pour que vous puissiez faire votre travail, compte tenu de ces nouvelles responsabilités?
M. Théberge : Pour ce qui est des ressources, cela fait déjà au-delà d’un an qu’on travaille au sein de l’organisation pour mieux comprendre l’impact de ces nouveaux pouvoirs, la structure de l’organisation et les ressources requises. Par exemple, on parle de la médiation. On n’a jamais fait de médiation et on n’a pas de médiateur; on doit donc se doter d’une unité de médiation. On peut conclure des ententes de conformité; c’est nouveau aussi. On peut rendre des ordonnances; c’est nouveau. Éventuellement, le décret concernant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois nous donnera la possibilité d’émettre des sanctions pécuniaires; tout cela sous-entend qu’il faut des expertises qu’on n’a pas actuellement au sein de l’organisation. Cela exigera de nouvelles ressources.
D’autre part, on doit aussi faire la promotion de la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois auprès du secteur privé. C’est un domaine qui est tout à fait nouveau pour nous et qui va exiger d’autres ressources. On se penche sur comment l’on peut ou l’on doit renouveler le commissariat pour mieux répondre concrètement à notre mandat et à ces nouveaux pouvoirs. Cela s’échelonnera sur une certaine période. Premièrement, il faut faire des demandes auprès du Conseil du Trésor pour obtenir les ressources nécessaires. Il y aura un plan de déploiement qui sera annoncé une fois que le projet de loi sera adopté.
Le sénateur Mockler : Premièrement, monsieur Théberge, j’aimerais vous entendre sur deux questions. Avant tout, j’aimerais vous féliciter aussi de votre grand leadership et de votre dévouement envers vos responsabilités, comme on dit par chez nous, les Brayons, d’un océan à l’autre.
Cela dit, ma question porte sur l’entrée en vigueur de certaines dispositions touchant vos pouvoirs. Je viens d’écouter attentivement la question du sénateur Cormier, notamment sur le régime de sanctions administratives et pécuniaires et sur vos pouvoirs relatifs à la prise de mesures positives. Comme parlementaires, c’est important pour nous de bien comprendre les échéanciers pour ce qui est des différents moments de l’entrée en vigueur du projet de loi. Êtes-vous en mesure de nous indiquer de combien de temps le commissariat aura besoin pour qu’il puisse pleinement exercer les nouveaux pouvoirs que lui confère le projet de loi C-13?
M. Théberge : Je pense qu’il y a une distinction à faire. Certaines parties de la Loi sur les langues officielles, une fois adoptées et une fois qu’elles reçoivent la sanction royale, entrent en vigueur tout de suite. La Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois, qui dépend d’un décret et d’un règlement, entrera en vigueur plus tard. Il y a certains éléments du projet de loi, par exemple la partie VII... Au moment où le projet de loi est adopté, la partie VII est en vigueur. On est déjà prêt pour cela.
Ce que l’on propose, c’est d’avoir un plan de déploiement sur à peu près 12 mois, ce qui va nous permettre de nous doter des ressources nécessaires pour passer à l’action et de faire les demandes nécessaires. Une chose est claire : cela fait un an qu’on travaille sur le dossier et on comprend très bien maintenant quel est l’impact de ces nouveaux pouvoirs sur le commissariat. D’une part, cela signifiera qu’on doit se doter d’un nouveau processus d’enquête qui est tout à fait différent de ce qu’on a en ce moment. On travaille déjà là-dessus. En fin de compte, on devra se doter de personnel ayant de l’expertise dans le domaine de la médiation, de la conformité, etc.
Pour ce qui est des sanctions administratives et pécuniaires, cela viendra plus tard, après le règlement et le décret. C’est difficile de planifier, parce qu’on ne sait pas ce qu’il y aura dans le règlement.
Le sénateur Mockler : Est-ce que le projet de loi est un pas dans la bonne direction? La réponse est oui. Je vous pose la question sur le dénombrement des ayants droit; le gouvernement a préféré les mots « estimer les ayants droit » plutôt que « dénombrer ». De mon point de vue, dénombrer serait plus bénéfique pour les ayants droit qu’estimer. Selon vous, quelles seraient les conséquences de l’utilisation de l’expression « dénombrer » plutôt qu’« estimer »?
M. Théberge : Concrètement, l’un est plus précis que l’autre. Je pense que, pour le système d’éducation francophone en milieu minoritaire, c’est ce qui les touche directement. Ce qui est important, c’est d’avoir la meilleure idée possible du nombre d’ayants droit sur le territoire. En effet, on constate, à la suite du dernier dénombrement, qu’il y a une proportion importante d’enfants admissibles à l’école francophone qui n’y sont pas inscrits. L’éducation préscolaire, primaire et secondaire est un peu au cœur du développement de nos communautés. C’est important d’être en mesure d’accueillir le plus grand nombre possible d’ayants droit. Pour ce faire, on doit être en mesure de les dénombrer.
J’ai fait l’exercice dans les années 1980. J’avais reçu 36 boîtes de papier de Statistique Canada. On faisait cela à la main à l’époque, identifier où étaient les ayants droit. C’est plus facile aujourd’hui. Je pense que c’est toujours crucial pour le développement de nos communautés.
La présidente suppléante : Avant de passer au deuxième tour, j’aurais une question. Dans le livre blanc de la ministre Joly, le gouvernement s’engage à :
Renforcer et élargir les pouvoirs conférés au Conseil du Trésor, notamment celui de surveiller le respect de la partie 7 de la Loi [...]
Le gouvernement s’engage aussi à :
Confier le rôle stratégique de la coordination horizontale à un seul ministre [...]
Le projet de loi C-13 confère au Conseil du Trésor la responsabilité de la mise en œuvre de la loi au paragraphe 41(5), sur les mesures positives, et à l’alinéa 41(7)a.1), sur les accords bilatéraux.
Nous constatons donc une incongruité entre l’engagement du gouvernement et ce que l’on retrouve dans le projet de loi C-13. Est-ce qu’il serait avantageux d’étendre la responsabilité conférée au Conseil du Trésor à toute la partie VII?
À votre avis, pourquoi le gouvernement a-t-il fait marche arrière sur cette question, considérant son engagement dans le livre blanc?
M. Théberge : Premièrement, je ne peux pas parler pour le gouvernement. Je ne sais pas pourquoi ils ont fait marche arrière par rapport à cela.
Cependant, lorsqu’on parle de la gouvernance de la Loi sur les langues officielles, je dirais que ce qui est proposé dans le projet de loi C-13 représente une amélioration nette de ce qu’on avait par le passé.
Cela aurait-il été préférable qu’il y ait un seul ministre responsable de l’ensemble de la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles? Disons que, dans l’amendement proposé, cela se fait en collaboration avec le président du Conseil du Trésor. Il y a un leadership exercé à ce niveau pour la mise en œuvre. Ce qui sera très important pour la mise en œuvre, c’est d’avoir un mécanisme en place pour mesurer l’impact de la loi, afin que, dans 10 ans, on ait des données probantes pour déterminer comment apporter les changements nécessaires pour s’assurer d’avoir un meilleur tir.
Le rôle important de la gouvernance, c’est de mettre en place un mécanisme de vigie de la mise en œuvre. Je pense que lorsqu’on parle du Plan d’action pour les langues officielles, on parle d’un plan pangouvernemental au sein du projet de loi C-13. Il y a une certaine logique, soit que Patrimoine canadien, avec son expertise sur le terrain, est en mesure de consulter les communautés. Cependant, si je comprends bien, cela relève, en fin de compte, du président ou de la présidente du Conseil du Trésor, ce qui est une nette amélioration.
La présidente suppléante : Merci beaucoup.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup, monsieur Théberge. Je vous suis très reconnaissante de votre sincérité, quant à ces enjeux. C’est vraiment important.
J’aimerais revenir sur la question que je vous ai posée, au début, surtout à la lumière de vos réponses à plusieurs autres questions des membres autour de la table.
Vous avez dit, en réponse à la question de la sénatrice Mégie, je crois, que vous reconnaissez et que vous comprenez les craintes de la communauté anglophone du Québec, et que vous reconnaissez que ces craintes sont réelles. J’aimerais revenir sur les deux aspects qui créent ces craintes, en grande partie. Premièrement, il y a l’asymétrie, dont vous avez parlé dans votre déclaration — l’asymétrie qui mine le statut égalitaire de l’anglais et du français — et deuxièmement, il y a le renvoi à la Charte de la langue française et le fait que cela soulève des questions touchant les conséquences juridiques.
Concrètement, est-ce que ce ne serait pas plus simple de retirer le renvoi à la Charte de la langue française, tout bonnement? À votre avis, est-ce que cela serait un problème?
M. Théberge : Vous me demandez si retirer le renvoi serait un problème, ou si laisser le renvoi serait un problème?
La sénatrice Seidman : Est-ce que la retirer serait un problème?
M. Théberge : Je pense que cette décision revient aux parlementaires qui ont décidé d’ajouter le renvoi à la Charte. Les membres du gouvernement discutent entre eux, et, en tant qu’agent du Parlement, je mets en œuvre toutes les lois que le Parlement adopte.
Ce n’est pas à moi de dire « retirez-la » ou « ajoutez-la ». C’est ce qu’il y a, maintenant, et ce que nous allons devoir faire, désormais, c’est nous assurer d’en évaluer les effets. Je pense que c’est très important.
C’est ce que j’aurais dit, Charte de la langue française ou pas. Je pense qu’il est important d’évaluer à l’avenir les effets de la Loi sur les langues officielles sur les communautés, et nous devons le faire dès le départ.
La sénatrice Seidman : Je ne veux pas trop insister là-dessus, mais le fait est que nous avons entendu que cela pose un problème, en plus de soulever certaines questions d’ordre juridique. Vous-même, vous avez mentionné cette possibilité.
Donc, de ce point de vue, ne serait-il pas plus simple de simplement retirer le renvoi, tout bonnement?
M. Théberge : Je ne pense vraiment pas que cette décision me revient.
La sénatrice Clement : J’ai deux questions à poser, puis ce sera tout pour moi.
L’Assemblée des Premières Nations a déposé un mémoire devant la Chambre des communes, dans lequel elle soutient que le projet de loi C-13 crée des obstacles pour les peuples autochtones. Elle affirme que les membres des peuples autochtones vont avoir de la difficulté à accéder à des postes de direction dans la fonction publique fédérale, parce qu’ils ne parlent pas à la fois l’anglais et le français, et elle affirme qu’exempter les Canadiens autochtones de cette exigence de bilinguisme serait en phase avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
Aussi, puisque vous êtes accompagné d’une avocate, j’aimerais savoir s’il serait approprié, selon vous, d’intégrer un renvoi précis à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA, dans le projet de loi-C-13, dans le préambule ou ailleurs, afin que toute la législation fédérale renvoie directement à la Déclaration.
M. Théberge : Je vais répondre à la première question, puis céder la parole pour la deuxième.
Pour répondre à votre première question, il y a présentement dans la fonction publique un certain malaise en ce qui concerne les fonctionnaires autochtones et la question de savoir s’ils ont accès à des perspectives professionnelles qui sont — ou ne sont pas — offertes aux autres. J’aimerais ajouter qu’il y a beaucoup de gens dans la fonction publique qui ne sont pas bilingues et qui ne peuvent pas eux non plus accéder à certains postes.
Je dirais que tous les gens embauchés dans la fonction publique devraient avoir un plan de perfectionnement professionnel, et que ce plan devrait comprendre une formation linguistique. La semaine dernière, ou la semaine d’avant, le greffier a fait une déclaration justement à ce sujet : nous devons garder à l’esprit les communautés racisées et les communautés autochtones dans nos projets d’avenir, et nous devons veiller à ce qu’elles aient accès à des formations appropriées. Nous devrions prendre certains facteurs en considération, mais au bout du compte, cela reste une question d’équité pour tous les autres, n’est-ce pas?
Malgré tout, je comprends qu’il y a des obstacles pour les fonctionnaires autochtones. Je pense que la Commission de la fonction publique et d’autres personnes sont en train d’étudier très sérieusement cette question. On l’a soulevée plusieurs fois.
En ce qui concerne la DNUDPA, voulez-vous répondre, maître Giguère?
Me Pascale Giguère, avocate générale, Commissariat aux langues officielles : Un renvoi est un outil que le commissaire peut utiliser, mais cela soulève tout de même des enjeux procéduraux spécifiques. Normalement, on peut enclencher une procédure, après une enquête, lorsque des questions juridiques doivent être clarifiées. Cependant, le procureur général du Canada peut faire un renvoi qui serait très différent de celui que pourrait faire le commissaire.
La sénatrice Clement : Et s’il y avait un renvoi à la DNUDPA proposée en tant qu’amendement?
Me Giguère : Je n’ai pas de commentaires à faire là-dessus.
[Français]
Le sénateur Cormier : Vous avez parlé de l’importance d’une vigie et j’aimerais vous entendre plus en détail à ce sujet. Comment va se traduire la mise en place d’une réelle vigie pour le projet de loi C-13? Est-ce qu’il s’agirait d’un processus semblable à celui qui a été mis en place pour la vigie de la mise en œuvre du Plan d’action pour les langues officielles de 2018-2023, qui a mené à l’application d’un rapport contenant des recommandations pour le prochain plan d’action?
Vous l’avez dit : il y a des préoccupations. Les gens sont toujours inquiets par rapport à l’avenir.
Dans votre rôle du commissaire, avec les nouvelles responsabilités que vous aurez, comment imaginez-vous cette vigie et comment est-ce que cela peut rassurer les gens qui ont des préoccupations par rapport à la mise en œuvre du projet de loi C-13?
M. Théberge : Je pense que la responsabilité de cette vigie incombe à ceux et celles qui sont responsables de la mise en œuvre du projet de loi. Il y a différents éléments que l’on pourrait considérer dans cette vigie. Il y a ce que j’appellerais le « volet conformité » de la part d’institutions fédérales. C’est une chose. On le fait, qu’on le veuille ou non, au moyen des plaintes, mais ce serait intéressant de voir quelles sortes de plaintes on va recevoir et quelles solutions on y apportera. Est-ce que ce seront des enquêtes ou des ententes de conformité? Est-ce que cela aura un impact sur la conformité des institutions fédérales? Est-ce qu’on réussira à changer leur comportement?
C’est un élément.
L’autre élément se situe au sein des communautés. Dans la partie VII de la loi, on énonce des éléments clairs : on parle de l’immigration et du dénombrement des ayants droit et on fait référence au continuum en éducation. Ce serait important de se doter d’indicateurs. Certains existent déjà et on peut certainement les utiliser. Il y a le taux de participation dans les écoles de la minorité, par exemple. Il sera aussi important de voir l’évolution des droits linguistiques qui fera suite à la mise en œuvre, particulièrement tout ce qui a trait au Québec et tout ce qui se passe dans les autres provinces. La loi pourrait avoir beaucoup d’impacts si elle est bien mise en œuvre.
La loi qui existe actuellement a ses lacunes. Je suis d’accord avec cela, mais pour ce qui est de la mise en œuvre, après 50 ans, j’aurais cru que l’on serait rendu ailleurs. On ne s’est peut-être pas donné les mécanismes nécessaires pour la mise en œuvre, mais en 2023, le fait que l’on doive faire face à des problèmes semblables à ceux de 1988 me dépasse. C’est ce qu’on veut éviter pour la prochaine mise en œuvre, d’où l’importance de la gouvernance.
Il y a plusieurs éléments relatifs à la gouvernance et à cette vigie. Il est important de songer à mettre sur pied un centre de politiques linguistiques au sein du Conseil du Trésor. On parle de mettre sur pied un centre d’expertise sur la partie VII à Patrimoine canadien. Peut-on utiliser ces ressources pour comprendre la mise en œuvre et en voir les impacts? Si on ne peut pas mesurer les impacts, on ne pourra pas demander dans 10 ans : « Qu’est-ce qui s’est passé? » On n’a pas fait de cueillette de données. On n’a pas de données probantes pour aller de l’avant. Il se peut que, dans 10 ans, on ait d’autres dossiers encore plus présents, comme celui des langues autochtones.
La présidente suppléante : Merci. Je suis désolée, mais on arrive à la fin de notre rencontre. Je demanderais au sénateur Mockler et à la sénatrice Gerba de poser leurs questions. On n’aura pas de temps pour les réponses, mais on vous demanderait de nous les fournir par la suite. Moi aussi, j’aurais une question rapide pour vous.
Je vous donne une minute, sénateur Mockler.
Le sénateur Mockler : Monsieur Théberge, avez-vous des craintes quant au nouveau libellé spécifié dans l’objet de la Loi sur les langues officielles, selon lequel la minorité francophone et la minorité anglophone ont des besoins différents? J’ai eu l’occasion récemment de participer à des tables rondes pour savoir ce que les gens en pensent. Que pensez-vous de cette question?
La sénatrice Gerba : Merci de votre présence et des informations que vous avez fournies. Je n’ai pas beaucoup de temps. Je voulais revenir sur la mention de la Charte de la langue française. Pensez-vous qu’il y aura des recours juridiques par rapport à cette mention de la charte, notamment par les minorités anglophones du Québec? Est-ce qu’il y a des conséquences juridiques qu’on pourrait envisager, et quelles seraient-elles?
La présidente suppléante : Merci. Ma dernière question est la suivante : que voudriez-vous que l’on retienne de votre comparution aujourd’hui? Est-ce que certaines de vos recommandations mériteraient d’être incluses comme observations à notre rapport, par exemple sur l’importance du mécanisme de surveillance de la mise en œuvre de la loi après l’adoption du projet de loi C-13?
Voilà les trois questions. Je suis désolée, mais nous manquons de temps. Je sais que votre personnel a pris les questions en note. Si vous voulez nous envoyer une petite note là-dessus...
Sur ce, je veux vous remercier de votre comparution aujourd’hui. Cela a été grandement apprécié et cela nous aidera à poursuivre notre travail sur le projet de loi C-13.
[Traduction]
Nous accueillons notre deuxième groupe de témoins : Mme Eva Ludvig, présidente, l’honorable Joan Fraser, membre du conseil d’administration et ancienne sénatrice; et Marion Sandilands, conseillère, du Quebec Community Groups Network. Bienvenue, et merci de votre présence. Nous sommes prêts à écouter vos déclarations préliminaires, puis nous passerons aux questions.
[Français]
Eva Ludvig, présidente, Quebec Community Groups Network : Merci, madame la présidente, et merci à tous de nous avoir invitées à votre comité. Je salue aussi le sénateur Cormier et tous les honorables sénateurs.
[Traduction]
Merci de nous accueillir. Je suis Eva Ludvig, présidente du Quebec Community Groups Network, qu’on appelle aussi le QCGN, un organisme qui représente la communauté anglophone canadienne en situation minoritaire, c’est-à-dire la communauté anglophone du Québec. Je suis accompagnée aujourd’hui de l’honorable Joan Fraser, membre du conseil d’administration, et de notre conseillère, Marion Sandilands.
Nous sommes ici aujourd’hui pour discuter avec vous du projet de loi C-13, Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada. Le QCGN a présenté un mémoire à votre comité dans le cadre de son étude préalable du projet de loi C-13 en juin de l’année dernière. Le mémoire que nous vous avons transmis la semaine dernière donne suite à ce travail, en accordant une attention particulière aux débats subséquents de la Chambre des communes et aux amendements qu’elle a proposés à la loi ainsi qu’aux débats en deuxième lecture, la semaine dernière, au Sénat.
Le QCGN croit qu’il y a des éléments positifs dans la version du projet de loi C-13 qui a été adoptée en troisième lecture à la Chambre des communes. Le projet de loi réussit, dans une certaine mesure, à améliorer la partie VII de la Loi sur les langues officielles et mentionne désormais le Programme de contestation judiciaire, un programme fédéral crucial pour la défense et la promotion de l’égalité et des droits linguistiques. Il accorde aussi des pouvoirs supplémentaires, comme nous venons tout juste de l’entendre, au commissaire aux langues officielles. Il vise aussi, comme je l’ai dit, à accroître les pouvoirs du commissaire.
Malgré tout, nous continuons d’être très préoccupés par les effets du projet de loi C-13 et les conséquences qu’il pourrait avoir sur la communauté anglophone du Québec, en plus d’alourdir l’asymétrie du Québec par rapport à la fédération canadienne.
[Français]
L’honorable Joan Fraser, C.M., ancienne sénatrice, membre du conseil d’administration, Quebec Community Groups Network : Le projet de loi C-13 va intensifier les effets de la Charte de la langue française du Québec sur notre communauté. C’est le cœur de la chose, en fait.
[Traduction]
Comme vous le savez, la Charte de la langue française a été modifiée l’année dernière par la loi 96. À présent, les dispositions « de dérogation » de la Charte des droits et libertés et de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec sont invoquées à titre préventif. Cela a seulement été fait une fois avant, au Québec, avec la loi 21. L’inclusion de références à la Charte de la langue française dans le projet de loi C-13 équivaut donc à accepter tacitement l’utilisation préventive de la clause « nonobstant », et à mon avis, tous les Canadiens devraient trouver cela préoccupant.
Le projet de loi C-13 autorise aussi les gouvernements et les cours à interpréter les droits linguistiques de manière asymétrique, c’est-à-dire de façon plus restrictive pour la communauté linguistique minoritaire du Québec. Cela établit potentiellement un précédent inquiétant pour les autres communautés linguistiques de situation minoritaire. Le projet de loi établit aussi potentiellement un cadre pour restreindre le soutien fédéral à la communauté anglophone du Québec.
Nous savons que, selon certains arguments qui ont été avancés, le fait d’inclure la Charte de la langue française dans la Loi sur les langues officielles ne diminuerait pas les droits des Québécois anglophones. Je dirais que ces arguments ont peut‑être été formulés avant que le projet de loi C-13 ne soit modifié pour inclure un renvoi à une loi québécoise, dans la disposition de déclaration d’objet de la Loi sur les langues officielles. Notre évaluation juridique a toujours été que ce serait effectivement dangereux pour les droits de notre communauté que la Charte de la langue française du Québec soit mentionnée dans la Loi sur les langues officielles. Cela est d’autant plus clair dans la version actuelle du projet de loi. Le doyen de l’une des facultés de droit les plus respectées du monde vous a dit que l’inclusion de cette référence pourrait avoir des effets graves et durables sur les droits linguistiques.
Un ancien juge de la Cour suprême a souligné à votre comité que les deux régimes linguistiques — celui du Canada et celui du Québec — ne sont pas compatibles, vu leurs différences fondamentales. Ils ont des buts différents et prévoient des moyens différents pour les atteindre. Pourtant, on veut maintenant qu’ils fonctionnent ensemble, en vertu d’une entente secrète entre le Canada et le Québec.
Mme Ludvig : J’aimerais prendre un moment pour parler du ton qu’a pris le débat à cause de certains acteurs politiques et médiatiques à mesure que le projet de loi C-13 faisait son chemin au Parlement. Certains députés, comme Anthony Housefather et l’honorable Marc Garneau, ont été qualifiés de « francophobes » parce qu’ils ont défendu les intérêts légitimes de leurs électeurs. Des députés du Québec qui se sont prononcés contre le projet de loi C-13 ont été qualifiés de « groupe de députés du West Island », même si, à ma connaissance, aucun député de ce secteur de Montréal n’a jamais pris position publiquement contre ce projet de loi.
Quand le Plan d’action pour les langues officielles 2023-2028 : Protection-promotion-collaboration a été annoncé, certains députés et certains médias ont demandé pourquoi la nouvelle stratégie offrirait un quelconque soutien financier à la communauté anglophone du Québec. Ils ont demandé comment le fait de fournir des fonds à la communauté anglophone soutiendrait la protection et la promotion du français. Selon eux, ces fonds fédéraux sont utilisés pour « angliciser le Québec ». Le simple fait que les Québécois anglophones constituent une minorité linguistique a été ouvertement remis en question.
Les tensions ont été exacerbées par le débat sur le projet de loi C-13. Les choses ont beaucoup changé depuis le printemps 2019, lorsque les communautés linguistiques anglophones et francophones en situation minoritaire se sont réunies pour célébrer le cinquantième anniversaire de la Loi sur les langues officielles.
Mme Fraser : La ministre des Langues officielles a clairement dit à votre comité, le 6 février, que les bienfaits du nouveau plan d’action ne dépendent pas de l’adoption du projet de loi C-13. Donc, il n’y a pas d’urgence à adopter immédiatement ce projet de loi. Ce que nous espérons, c’est que vous allez prendre le temps nécessaire pour analyser pleinement la version modifiée du projet de loi, parce que ces amendements ont une très vaste portée. Il s’agit d’un changement monumental par rapport à la Loi sur les langues officielles, une loi quasi constitutionnelle, et il aura des conséquences sur l’unité canadienne.
Nous sommes d’avis que le fait de retirer les références dans le projet de loi C-13 à la Charte de la langue française ne diminuerait ou n’abrogerait d’aucune façon les droits des communautés francophones en situation minoritaire ni le soutien qui leur est accordé. Cependant, les conserver présente un danger, un danger pour la communauté anglophone du Québec, et aussi le danger d’établir un régime de langue officielle créant un précédent en vertu duquel les autres provinces pourront imposer des restrictions à leurs propres minorités linguistiques, comme l’a fait le Québec. Si le comité veut des exemples de ces restrictions, nous pourrons vous en donner lors de la période de questions.
Mme Ludvig : Nous apprécions les efforts que tellement de Canadiens et de parlementaires ont consacrés à la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Les Québécois anglophones comprennent le défi que représentent la protection et la promotion du français et soutiennent les efforts qui visent réellement à atteindre cet objectif. Pendant plus d’un demi‑siècle, le Canada a choisi la voie du bilinguisme et a offert une vision nationale de la dualité linguistique en traitant ses deux langues officielles équitablement en droit. Le projet de loi C-13 trahit cette tradition et a fait remonter à la surface les vieux discours qui sèment la discorde entre les Canadiens anglophones et francophones. Les mythes à propos de notre communauté — et il y en a beaucoup —, contre lesquels votre comité a lutté en déployant des efforts historiques en 2011, sont maintenant répandus au Parlement et dans l’espace public.
La Loi sur les langues officielles est une question de survie pour la communauté anglophone du Québec. À présent, plus que jamais, si le projet de loi C-13 est adopté sous sa forme actuelle, notre survie sera sérieusement menacée. Nous demandons au Sénat de protéger les droits des minorités, pour le bien de tous les Canadiens. Merci.
La présidente suppléante : Merci. Nous allons commencer la période de questions, par la sénatrice Mégie.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci d’être parmi nous, madame Fraser. Cela fait longtemps que nous nous sommes vues.
Merci à vous trois. J’aimerais avoir votre opinion sur une question.
Je vous ai entendues dire que la loi aura des effets sur les droits linguistiques et qu’elle représente un danger pour la communauté anglophone. Concrètement, dans le quotidien, quel serait le danger et quels droits linguistiques seront bafoués?
Marion Sandilands, conseillère, Quebec Community Groups Network : Dans notre mémoire, on a donné quatre exemples de ce qui pourrait être l’effet interprétatif du projet de loi C-13 sur les différentes parties de la Loi sur les langues officielles. On a parlé des parties IV et V et donné deux exemples pour la partie VII. Je peux vous donner plus de détails. Il y a plusieurs changements au projet de loi qui obligeront l’interprétation asymétrique de toutes les parties de la Loi sur les langues officielles. Les articles seront peut-être interprétés de façon plus étroite pour la minorité anglophone au Québec. J’invite le comité à étudier les exemples concrets que nous avons donnés dans notre mémoire.
La sénatrice Mégie : Je deviens très terre à terre. Par exemple, quelqu’un peut vivre au Québec pendant des années, ne jamais apprendre le français et faire partie des hautes sphères de commande. Avec ce danger, cela sera-t-il empêché? Pensez-vous que, au sein de la minorité francophone hors Québec, il y a des gens qui vivent toute leur vie sans parler un mot d’anglais? S’ils vivent plusieurs années en parlant peu anglais, croyez-vous que ces gens pourraient avoir la possibilité d’occuper des postes importants?
[Traduction]
Mme Ludvig : J’ai parlé des mythes, d’accord?
[Français]
On parle encore une fois de mythes. On a appris le français. À un certain âge, cela prend du temps; on parle avec des accents et on fait des erreurs.
[Traduction]
Nous avons inventé l’immersion en français. Nous soutenons la langue française. Donc, voilà un mythe, je dis simplement cela.
Une autre chose qu’il est important de comprendre, c’est qu’il y a 1,3 million d’anglophones qui vivent dans cette province. Ils ont une histoire, ils ont une culture. Ils ont des familles. Ils sont ici chez eux. Ils ont le droit d’y vivre et d’être respectés.
Ce que fait le projet de loi C-13, c’est introduire et importer dans une loi fédérale une loi provinciale qui nuit aux droits des Québécois anglophones protégés par la Charte. Voilà ce qui nous préoccupe le plus.
Nous comprenons la réalité des francophones du reste du Canada, bien sûr. Personnellement, j’ai travaillé pendant 20 ans pour le Commissariat aux langues officielles. Je suis bien au fait de la situation. Je soutiens l’apprentissage du français et le bilinguisme. Je suis très fière de la dualité linguistique de notre pays. Je comprends ce que vivent les gens. Je suis allée à Saint-Boniface. Je sais ce que cela veut dire. Ce n’est pas simplement parce qu’une communauté a des besoins que cela veut dire que vous devez enlever quelque chose à une autre. Ce n’est pas un jeu à somme nulle. Pourquoi ne pouvons-nous pas, les deux communautés, jouir de la protection de nos droits et du soutien accordé à notre langue, à notre culture, à notre histoire et à notre présence dans nos propres provinces?
La sénatrice Clement : Bonsoir. Merci d’être avec nous, merci en particulier à l’honorable Joan Fraser. Nous avions discuté au début de mon mandat, ici. Cela m’a rassurée et aussi inspirée. J’avais besoin d’être rassurée quant à mon rôle ici, au Sénat, alors je vous en suis reconnaissante.
J’aimerais parler des langues autochtones. Mon collègue, l’honorable sénateur Downe, a avancé le mois dernier que notre politique de dualité linguistique est un legs du passé colonial du Canada. Pouvez-vous nous dire si, selon vous, la politique de dualité linguistique du Canada a des conséquences coloniales sur les communautés autochtones?
Croyez-vous qu’il y a de la place, dans le projet de loi C-13, pour la réconciliation?
Ma troisième question est plus délicate : Comment les communautés linguistiques francophones et anglophones en situation minoritaire sont-elles touchées par l’amélioration ou l’accroissement des protections visant les langues autochtones? Je dis que c’est délicat, parce que les communautés linguistiques en situation minoritaire... croyez-vous qu’elles se sentent — que nous nous sentons — menacées? C’est plus difficile pour nous, parfois, de créer de l’espace pour quelque chose de plus et quelque chose d’autre. C’est une question délicate. Je vous saurais gré de bien vouloir répondre à l’une ou l’autre question.
Mme Fraser : Pour répondre à votre dernière question en premier, je dirais que oui, je pense qu’il y a un sentiment réel, et fréquemment justifié, de menaces parmi toutes nos minorités linguistiques. Je pense que, quand on sent que son propre groupe est menacé, on est moins sensible aux problèmes des autres groupes.
Dans ma province du moins, je pense que la sympathie et la compréhension naissante à l’égard des besoins, des droits, des traditions et de la culture des peuples autochtones sont croissantes. Dans ce contexte, vous pourriez dire que la minorité québécoise — la minorité du Québec est une minorité; nous sommes une minorité — mais la majorité québécoise se perçoit elle aussi, et ce n’est pas injustifié, comme étant une minorité menacée en Amérique du Nord.
Vous ne le savez peut-être pas, par exemple, mais, même en vertu de la loi 96, certaines exceptions ont été et sont accordées aux communautés autochtones. Je pense que c’est un geste incroyable, et à ma connaissance, personne ne s’y oppose.
Je vais laisser Mme Ludvig poursuivre.
Mme Ludvig : Je suis d’accord avec ce que la sénatrice dit, que toutes les communautés en situation minoritaire ont besoin d’aide. Je comprends que les communautés autochtones tout particulièrement ont leurs propres besoins et leur propre histoire malheureuse avec le colonialisme.
Nous devons faire tout ce qui doit être fait. Je ne pense pas que cela mine d’une façon ou d’une autre les possibilités de la communauté anglophone du Québec. Notre soutien — mon soutien, certainement — à la communauté autochtone, je le comprends du mieux que je le peux. Je pense que la communauté autochtone doit être soutenue. Cela ne fait aucun doute. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire.
La sénatrice Clement : Je pose la question à votre conseillère : y a-t-il de la place pour la réconciliation dans le projet de loi C-13, pour une mention de la DNUDPA? Pouvez-vous nous dire si les langues autochtones pourraient avoir une place officielle dans le projet de loi C-13?
Mme Sandilands : Je vais me faire l’écho de ce que le commissaire a dit, c’est-à-dire que le projet de loi C-13 contient un nouveau libellé visant à reconnaître les langues autochtones. Il y a des dispositions législatives distinctes pour cela.
Le projet de loi C-13 ajoute cela à ce qui se trouve actuellement dans la Loi sur les langues officielles. Je ne pense pas avoir quoi que ce soit d’autre à dire à ce sujet.
Le sénateur Gold : Je suis heureux de faire partie de ce comité. Soyez les bienvenues, madame Fraser et madame Ludvig, ainsi que votre conseillère. Merci de me donner l’occasion de vous poser des questions.
Je vais vous poser deux questions et vous les poser de différents points de vue, mais aussi en tant que membre de la communauté anglophone du Québec. Je comprends très bien les préoccupations. Ma famille et mes amis m’ont fait part très clairement de l’anxiété qu’ils ressentaient. Donc, merci de défendre avec tant de ferveur notre communauté.
J’ai deux questions. La première concerne le principe de l’équité tel qu’il est compris par nos tribunaux et nos élus — le principe de l’égalité réelle. Seriez-vous d’accord pour dire que, pour atteindre une vraie égalité, il faut parfois prendre des mesures asymétriques? Elles l’étaient en 1867, lorsqu’on a adopté l’article 133, qui aide toujours nos communautés.
Ma deuxième question concerne la loi comprise dans la loi qui réglemente les entreprises de compétence fédérale au Québec. Si je comprends bien — et je n’ai pas les chiffres exacts; on ne semble pas s’entendre sur les chiffres, dans les différentes organisations du Québec —, la grande majorité des entreprises de compétence fédérale se sont déjà volontairement conformées aux dispositions du régime linguistique du Québec.
Cela étant, si on officialise l’option du projet de loi C-13 dans une loi fédérale, n’êtes-vous pas préoccupé par la possibilité que l’expérience des employés de telles entreprises, dont des Québécois anglophones, change radicalement?
Mme Ludvig : Je peux peut-être répondre à la deuxième question en premier — la question sur les entreprises de compétence fédérale.
Oui, de nombreuses entreprises se sont déjà volontairement conformées à la Charte de la langue française, mais vous devez aussi comprendre qu’il s’agit d’une décision d’affaires. La majorité est francophone. Les gens prennent une décision d’affaires, mais elle a une incidence sur les employés des entreprises de compétence fédérale, comme les banques et les entreprises d’assurance.
Avant cela, elles n’étaient pas assujetties à la Loi sur les langues officielles. Il n’y avait pas de droits linguistiques, mais chaque employeur appliquait sa propre politique — sa politique en matière de ressources humaines, et ainsi de suite.
Maintenant, un groupe qui parle une certaine langue au Québec se voit accorder des droits dans une entreprise de compétence fédérale, et pas un autre. Je parle des employés — de la formation, des services de ressources humaines. C’est ce dont il est question.
Qu’est-ce que cela veut dire? Cela veut dire que les Québécois anglophones n’auront plus autant qu’avant envie de travailler pour certaines de ces entreprises. Ils pourraient se sentir moins bienvenus qu’avant. Nous ne connaissons pas les conséquences à long terme.
C’est une occasion perdue pour la communauté anglophone.
Nous sommes aussi préoccupés par les conséquences que cela aura à long terme sur les institutions fédérales, celles qui doivent se conformer à la Loi sur les langues officielles. Qu’est-ce que cela veut dire pour les fonctionnaires? Les autres institutions fédérales seront-elles aussi touchées? Pensez à l’incidence sur les possibilités d’emploi, pas seulement celles qui existent aujourd’hui — oui, il est possible d’appliquer cela aux droits acquis —, mais aussi les possibilités et les occasions d’emploi pour les anglophones.
Mme Fraser : En ce qui concerne votre première question sur l’égalité et l’asymétrie, il est clair, depuis la première version de la Loi sur les langues officielles, en 1968, que les différentes minorités linguistiques au Canada ont des besoins différents, et en pratique, elles ont été traitées différemment dès le départ, notamment sur le plan du financement. Les Québécois anglophones reçoivent bien moins d’argent du fédéral par habitant que les francophones.
Mais ce n’est pas seulement que les différentes minorités des provinces sont différentes, il y a aussi des différences au sein d’une même province. Les anglophones de la Basse-Côte-Nord n’ont pas les mêmes besoins que les anglophones de l’Ouest de l’Île de Montréal.
En pratique, les politiques — pas juste au chapitre des finances, mais d’autres politiques — ont été conçues et appliquées différemment. Mais dans la loi, jusqu’à aujourd’hui, les deux langues officielles étaient égales. Je soutiens que cela a fait toute la différence. Les personnes qui parlaient la langue officielle majoritaire et celles qui parlaient la langue officielle minoritaire au Canada savaient qu’elles avaient les mêmes droits, des droits distincts, au regard des programmes gouvernementaux, ou peu importe. Personnellement, je suis très déçue de voir que nous nous écartons de ce principe.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup, ma chère amie et ancienne sénatrice, d’être restée l’honorable Joan Fraser. Je suis très heureuse de vous voir, madame Ludvig. Je me souviens très bien du rôle important que vous avez joué au Commissariat aux langues officielles, dans le temps. Je suis heureuse de vous voir, madame Ludvig. J’aimerais beaucoup vous remercier de défendre sans relâche la communauté minoritaire anglophone du Québec et de la représenter de façon authentique tous les jours. Merci.
J’aimerais poursuivre sur cette question d’asymétrie. J’ai essayé d’aborder le sujet avec le commissaire aux langues officielles, et j’ai renvoyé précisément à son communiqué de presse concernant la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Il a lui-même dit qu’il partageait les préoccupations de la communauté anglophone du Québec et qu’il craignait que l’ajout de ces éléments asymétriques à la loi ne mine le statut égalitaire de l’anglais et du français. Puis, quand je l’ai questionné davantage à ce sujet, il a tenté de dire que la feuille de route... qu’il y a toujours eu des besoins différents. Sénatrice Fraser, vous avez mentionné qu’il y a toujours eu des besoins différents. Puis, il a tenté de dire : « Eh bien la feuille de route nous servira à surveiller cela, parce qu’elle pourra tenir compte de ces besoins différents, même si le projet de loi C-13 est asymétrique. »
J’aimerais que vous nous aidiez à comprendre ce qu’il en est, d’abord.
Ensuite, j’aimerais reparler de la question de la Charte de la langue française, parce que c’est primordial. Pourriez-vous nous dire en quoi l’inclusion de cette disposition aura une incidence sur l’interprétation des droits de la communauté minoritaire anglophone au Québec?
Mme Ludvig : Je pourrais commencer par la disposition sur l’égalité asymétrique réelle.
Lorsque quelque chose est inscrit dans la loi, nous ne savons pas comment ce sera interprété, non seulement par les tribunaux, mais aussi par les fonctionnaires qui l’appliquent. Si vous commencez à penser qu’il ne faut pas traiter les choses également — c’est différent —, cela change absolument tout. Ça nous inquiète.
Nous vivons dans une province où la communauté anglophone, particulièrement récemment, est, disons-le, prise d’assaut par son propre gouvernement provincial. Nous avons toujours compté sur le gouvernement fédéral et le Parlement canadien pour appuyer la communauté anglophone. Nous sommes maintenant inquiets. Nous sentons que ce soutien est maintenant en péril. Lorsque quelque chose figure dans la loi... Des dispositions dans la Charte de la langue française, qui n’ajoutent vraiment rien pour les communautés minoritaires francophones, qui doivent être appuyées et méritent de l’être... La Charte de la langue française est une menace pour nous, si elle se trouve dans la Loi des langues officielles, et c’est ce qui nous préoccupe.
Mme Fraser : Mme Ludvig y a fait allusion : depuis plusieurs années, mais plus intensément récemment, le climat au Québec est — hostile est un mot très fort, donc je ne dirai pas « hostile » — plus restrictif pour la communauté anglophone.
Permettez-moi de vous donner des exemples. Au Québec, en vertu de la loi 96, l’accès aux services provinciaux en anglais est limité aux « anglos historiques ». Pour ceux qui ne savent pas qui ils sont, ce sont ceux qui peuvent avoir accès au système d’éducation en anglais, au Québec, ce qui représente, tout dépendant de la façon dont vous le comptez, environ la moitié de la population anglophone du Québec aujourd’hui.
Au chapitre de l’éducation, le gouvernement provincial a décidé d’abolir les commissions scolaires. Il y a de plus en plus de restrictions à l’accès aux écoles anglophones. Il y a une limite d’inscriptions dans les cégeps anglophones. La communauté anglophone n’a pas été consultée au sujet de la nouvelle centralisation du système d’éducation, et le gouvernement a décidé que c’est lui, non pas les commissions scolaires, qui devait nommer les directeurs généraux des conseils scolaires, et que ceux-ci lui rendraient des comptes.
Au chapitre de la santé, depuis longtemps maintenant nous attendons les plans d’accès aux services de santé en anglais requis par la loi. Il n’y a pas si longtemps, le gouvernement a simplement renvoyé tous les membres du comité provincial pertinent. Ils étaient sur le point de dévoiler le plan en place, et soudainement, ils ont perdu leur emploi.
Comme me l’a dit un expert en la matière, dans le cadre du nouveau système de santé centralisé, on prévoit abolir les conseils d’administration des hôpitaux et créer un organisme centralisé, à Québec, qui prendra toutes les décisions. C’est ce qui sera fait pour les francophones et pour les anglophones, mais les francophones ont suffisamment de poids politique pour contester la décision. Les anglophones en ont beaucoup moins. Ils ont besoin de la loi. Lorsque la loi et la réglementation visent toutes les deux à restreindre vos droits — pour en revenir à la question des services, je sais qu’il n’est pas rare pour les francophones de ne pas pouvoir se faire servir dans leur langue dans le reste du pays, mais c’est parce que le service n’est pas offert. Ce n’est pas parce que la loi leur dit qu’ils ne peuvent pas y avoir accès.
Tout ce que je viens de dire concerne l’échelle provinciale, non pas fédérale, mais j’essaie de vous décrire le climat dans lequel vit la communauté anglophone au Québec, et cela pourrait vous aider à comprendre un peu mieux pourquoi nous sommes préoccupés par ces aspects du projet de loi C-13.
[Français]
Le sénateur Mockler : Je veux me joindre à tous ceux qui ont salué la sénatrice Fraser. Je vous félicite d’être ici ce soir, parce que c’est important.
[Traduction]
La semaine dernière, j’ai téléphoné à de nombreuses personnes, au Nouveau-Brunswick, pour parler de notre statut de bilinguisme officiel, et j’ai organisé des tables rondes avec des personnes de différents horizons.
[Français]
Est-ce que le projet de loi est un pas dans la bonne direction? À mon avis, la réponse est oui. Maintenant, je voudrais vous poser la question suivante.
[Traduction]
Pourrions-nous avoir plus de précisions au sujet de l’extrait suivant de votre mémoire qui a été communiqué la semaine dernière? Je cite l’extrait concernant la partie VII de la loi :
Bien que des progrès aient été réalisés, nous ne croyons pas que le projet de loi C-13 aille assez loin pour répondre aux besoins de nos communautés ou au précédent établi dans l’affaire Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Emploi et Développement social)…
Pouvez-vous nous dire ce qui manque dans le précédent établi par la décision mentionnée?
Mme Ludvig : Il s’agissait d’une décision rendue par un tribunal de la Colombie-Britannique, si je me souviens bien, où il avait été établi qu’il n’était pas obligatoire d’appliquer la partie VII, mais que c’était plutôt une option pour les services fédéraux.
Je sais que des experts présents ici en savent plus que moi sur le sujet, mais c’est de cela qu’on parle. On n’a pas discuté de la question de savoir si cela clarifiait ou renforçait le plus possible la partie VII.
Nous disons aussi dans notre mémoire qu’il y a beaucoup de points positifs dans le projet de loi C-13. Nous avons travaillé en collaboration avec la communauté francophone pour rédiger la première version et nous avons atteint le consensus avant que le gouvernement du Québec se joigne à la discussion, et nous avions ce que je croyais être un bon projet de loi. Les projets de loi peuvent toujours être améliorés. Il pourrait être encore plus solide, mais c’était un bon projet de loi, ce qui n’est plus le cas, selon nous, en raison de l’ajout de la Charte de la langue française et de toute la notion d’asymétrie.
[Français]
Le sénateur Mockler : Quels sont les effets juridiques possibles d’une référence à la Charte de la langue française? Je parle des références dans le préambule de la Loi sur les langues officielles, dans l’objet de la Loi sur les langues officielles et dans la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Est-ce que vous pouvez donner plus de précisions à ce sujet?
Mme Sandilands : Premièrement, quand on voit les références dans le préambule et dans la partie VII, la chose la plus frappante est que la Charte de la langue française est la seule loi provinciale citée dans cette liste. Les autres articles dans la liste sont des articles constitutionnels. Voilà pourquoi nous nous demandons pourquoi il y a une liste comme celle-là qui traite de la Charte de la langue française, que l’on met sur le même pied que des articles constitutionnels. Nous nous demandons pourquoi. Il y a des conséquences très larges, des conséquences constitutionnelles à cela.
De plus, pour ce qui est de la référence à la Charte de la langue française qui a été ajoutée dans la disposition sur l’objet, si vous lisez cette disposition maintenant, dans tous les objets de la Loi sur les langues officielles — il y en a cinq —, le deuxième stipule que l’objectif est d’« appuyer le développement des minorités francophones et anglophones » tout en tenant compte du fait qu’ils ont des besoins différents. À l’alinéa 2b) et à l’alinéa 2b.1), l’un des objets de la Loi sur les langues officielles est de favoriser la progression vers l’égalité des deux langues officielles et on ajoute que la Charte de la langue française du Québec vise à protéger, à renforcer et à promouvoir cette langue. On ajoute cela dans la disposition relative à l’objet et aussi à l’alinéa 2b.2), visant à garantir l’existence d’un foyer francophone majoritaire au Québec. Or, si l’on regarde tous ces objets ensemble, il y a seulement une loi qui est mentionnée, et c’est la Charte de la langue française qui fait maintenant de la disposition sur l’objet.
Une telle disposition a des répercussions sur l’interprétation de tous les articles de la Loi sur les langues officielles. Je peux aussi ajouter que, dans la disposition d’interprétation, qui est l’article 3.1, la Chambre des communes a ajouté ce qui suit à l’alinéa 3.1d) :
les droits doivent être interprétés en tenant compte du fait que le français est en situation minoritaire au Canada [...] et que [les deux minorités] ont des besoins différents.
Voilà encore une obligation d’interpréter tous les droits linguistiques de la Loi sur les langues officielles de façon asymétrique. Si vous lisez tous ces articles ensemble, on voit un impact très clair et très frappant de cette asymétrie, et cela aura des répercussions très néfastes sur la minorité d’expression anglaise du Québec.
Le sénateur Mockler : Merci.
La présidente suppléante : Je voulais poser la même question; c’est pour cela que j’ai laissé le temps continuer d’avancer. Pourriez-vous nous parler des répercussions sur la partie VII, s’il vous plaît?
Mme Sandilands : Avec la partie VII, il y a encore un autre niveau, parce qu’on voit aussi l’article 45.1, qui parle de la coopération fédérale-provinciale. Il y a là une autre mention de la Charte de la langue française. Il y a une politique très claire du gouvernement du Québec, qui veut établir des relations directes et bilatérales avec le gouvernement fédéral. Aussi, dans la partie VII, on trouve une autre terminologie asymétrique qui obligera le gouvernement fédéral à interpréter les droits linguistiques ou le soutien en vertu de la partie VII, et ce, de façon asymétrique. On note une combinaison avec un plus grand soutien offert de façon bilatérale au lieu que cela se fasse de façon directe auprès des communautés. C’est le gouvernement du Québec qui veut cela; de l’autre côté, on prend note de l’obligation fédérale d’interpréter les droits linguistiques de façon asymétrique au Québec.
La présidente suppléante : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Cormier : Tout d’abord, merci de votre mémoire. Il expose clairement vos préoccupations et vos craintes concernant la version actuelle du projet de loi C-13. Je tiens également à vous remercier de votre travail continu et exceptionnel pour les communautés anglophones du Québec.
Puisque je m’exprime du fond du cœur, je parlerai en français. C’est plus facile pour moi.
[Français]
D’entrée de jeu, je veux vous remercier pour tout le travail que vous faites. Je dirai ce qui suit à Mme Ludvig par rapport à ce que vous nous avez communiqué sur ce que certains parlementaires ont dit, ainsi que ce que l’on dit dans la société civile et dans les médias sur l’opposition à ceux et celles qui, comme vous, réclament leurs droits et leurs points de vue. Cette situation, cet état de fait ne doit pas être pris en compte ici, autour de cette table, alors que nous faisons un travail législatif. Je ne parlerai pas au nom de tous mes collègues francophones des milieux minoritaires, mais sachez que cette situation est vécue intensément et quotidiennement par les francophones à l’extérieur du Québec et que nous sommes de tout cœur avec vous sur cette question.
Ma première question s’adresse à Mme Fraser; c’est très difficile de ne pas désigner l’honorable Joan Fraser par le titre « sénatrice Fraser ». Vous parlez de l’impact possible, pour les communautés francophones à l’extérieur du Québec, de la situation au Québec en raison de l’inclusion de la Charte de la langue française. J’aimerais vous entendre au sujet de cette préoccupation, de cette lumière rouge que vous avez allumée. La différence, si je peux me permettre de le dire, c’est que, dans les autres provinces, les communautés anglophones sont majoritaires; elles n’ont donc pas ce souci de protéger de la même manière la langue anglaise que le Québec a le souci de protéger la langue française, puisque cette langue est en milieu minoritaire.
Je voudrais mieux comprendre votre point de vue et vos préoccupations à ce sujet, et aussi comment vous les articulez.
Mme Fraser : Évidemment, on pourrait toujours avancer que le but de tout cela est de protéger la langue française; il n’y a pas de précédents pour les autres provinces.
Par contre, si l’on établit le principe d’acceptation de politiques discriminatoires à l’échelle fédérale — si j’ose le dire — dans une province, d’autres provinces peuvent se sentir un peu plus libres. Loin de moi l’idée de dire qu’il n’y aura jamais de sentiment anti-francophone dans les autres provinces. Nous ne sommes plus comme au début du siècle dernier avec le Règlement 17 en Ontario, mais le temps est long. On ne peut jamais garantir que ce qui est accepté comme étant une bonne politique aujourd’hui le sera à l’avenir.
S’il y a, par exemple, des problèmes économiques ou s’il n’y a pas assez d’emplois, pas assez de fonds gouvernementaux, il peut y avoir des mouvements dans les autres provinces, pour demander pourquoi ils devraient donner X ou Y pour leurs concitoyens francophones. Je n’exagère pas; je sais qu’il y a des communautés qui ne reçoivent pas grand-chose. Vous voyez le principe? Selon moi, tout cela n’est pas seulement théorique; j’ai trop vu de changements politiques dans mon assez longue vie pour croire que, sans une protection ferme et symétrique, je ne peux pas être sûre que tout sera toujours beau dans le meilleur des mondes.
Le sénateur Cormier : Merci pour cette réponse, madame Fraser.
[Traduction]
Ma question concerne vos préoccupations touchant l’inclusion de la Charte, la Charte de la langue française, dans le projet de loi C-13, plus précisément le fait que la loi 96 mentionne à titre préventif la disposition de « dérogation ».
Ma question pourrait être pour Mme Sandilands. Je vais dire ce que j’ai à dire et j’aimerais que vous commentiez : certains affirmeront que l’inclusion de la Charte de la langue française dans le projet de loi C-13 n’enlève rien aux droits des anglophones; il s’agit seulement d’un exposé des faits. La Charte de la langue française n’est en aucun cas intégrée dans le projet de loi C-13. Pour reprendre une expression utilisée en droit, il ne s’agit pas d’une incorporation par renvoi. L’inclusion de la Charte de la langue française ne subordonne pas les institutions fédérales, encore moins la Loi sur les langues officielles, à la charte québécoise.
Le projet de loi C-13 ne touche pas les droits constitutionnels des anglophones. Par exemple, l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 n’est pas touché, c’est l’article qui prévoit des garanties constitutionnelles quant à l’utilisation du français et de l’anglais dans les débats du Parlement et de l’Assemblée nationale du Québec.
La disposition de « dérogation », soit l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés, autorise le Parlement ou les assemblées législatives provinciales à déroger à certaines dispositions de la Charte, au titre de certains articles. Cela ne s’applique pas aux droits linguistiques visés par les articles 16 à 23 de la Charte des droits et libertés. C’est ce que nous entendons dire. Quand nous posons cette question, c’est ce qu’ils nous disent. J’aimerais savoir ce que vous en pensez, s’il vous plaît.
Mme Sandilands : J’ai en effet entendu cette réplique précise.
J’ai deux ou trois commentaires à faire : d’abord, de nombreuses personnes ont affirmé... et la loi 96 est maintenant contestée au motif qu’elle enfreint l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. Je crois que Robert Leckey, un doyen de l’Université McGill, a déclaré devant ce comité que le projet de loi 96 pourrait bien enfreindre l’article 133.
Le fait que cette loi soit mentionnée dans la Loi sur les langues officielles fédérale, dont l’objectif avant le projet de loi C-13 était de protéger et de faire respecter les droits des minorités linguistiques, est contradictoire. Comment une loi provinciale qui porte atteinte aux droits linguistiques constitutionnels peut‑elle être mentionnée et maintenue dans la Loi sur les langues officielles fédérale? C’est la première chose.
La deuxième chose, en ce qui concerne la disposition de « dérogation », c’est qu’il est tout à fait correct de dire qu’elle n’outrepasserait pas les droits linguistiques. Un point essentiel n’a pas encore été abordé : le fait de citer une loi provinciale qui utilise de manière préventive et radicale la disposition de dérogation pour la deuxième fois dans l’histoire, de la façon dont cela a été fait — cela a été fait pour la loi 21, puis pour la loi 96 —, le fait qu’une loi fédérale cite cela et impose essentiellement une sanction, rendra très difficile pour un tribunal d’accepter les observations du procureur général du Canada, si celui-ci décide un jour de s’opposer à l’utilisation de la disposition de « dérogation » de cette façon. C’est contradictoire de la rejeter d’une part et de l’approuver dans ce projet de loi, d’autre part.
Le sénateur Cormier : Merci. Je n’approfondirai pas davantage le sujet. Je voulais que cela figure dans le compte rendu pour que l’on puisse avoir une discussion sur cette question spécifique. Merci.
La sénatrice Clement : Un groupe de témoins si réfléchi. Merci.
Je représente ici beaucoup d’intersectionnalité. Mon père est âgé de 101 ans; il est anglophone, Montréalais et ne parle pas français. Maman est Franco-Manitobaine. Je suis Franco-Ontarienne. Mon frère est marié à une anglophone historique.
La référence à ma situation personnelle n’est pas anodine. Je reviens sur les langues autochtones. On entend parler d’une loi sur les langues autochtones, mais je ne pense pas que toutes les solutions se trouvent au même endroit. Elles peuvent également se trouver dans la Loi sur les langues officielles.
Les groupes autochtones — les mémoires qu’ils ont présentés — nous disent que les « langues officielles » doivent renvoyer à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA, et au fait que les Autochtones ne peuvent pas s’élever dans la hiérarchie du gouvernement fédéral s’ils ne parlent pas à la fois le français et l’anglais. Le fait qu’ils ne parlent pas et le français et l’anglais est souvent une conséquence de notre situation historiquement coloniale.
Cela sera évidemment consigné au compte rendu, mais j’aimerais savoir ce que vous pensez de cette question. On a l’impression qu’il y a un cloisonnement. Nous sommes un peuple, une nation, qui peut composer avec la complexité; c’est ce que nous faisons ici. Pourquoi ne pouvons-nous pas utiliser cette force ici?
Mme Ludvig : C’est une bonne question. J’aimerais pouvoir y répondre.
Mais vous avez raison; bien sûr, vous avez raison. Nous devons trouver des moyens de répondre aux préoccupations des communautés autochtones. Je ne sais pas. La réponse se trouve‑t‑elle dans la Loi sur les langues officielles? Peut-être; je ne sais pas, je ne suis pas l’experte; je ne peux pas répondre. Mais vous soulevez des points très importants, et je suis contente de savoir qu’ils figureront dans le compte rendu.
Mme Fraser : Il est important de faire la distinction entre les langues officielles du Canada et les langues canadiennes. Il existe de nombreuses langues autochtones. Ce sont toutes des langues canadiennes, et elles méritent le respect et le soutien qui vient avec le fait d’être Canadien.
En ce qui concerne les postes haut placés dans la fonction publique fédérale, il faudra probablement y réfléchir sérieusement. Le seul domaine dans lequel je considère qu’il serait vraiment essentiel d’avoir une bonne maîtrise des deux langues officielles, ce serait le domaine juridique — la justice —, car les lois du Canada sont rédigées dans les deux langues. On doit passer de l’une à l’autre pour comprendre pleinement ce que dit le projet de loi, parfois.
Mais ce projet de loi — cette tentative boiteuse d’améliorer la Loi sur les langues officielles — est-il le bon endroit pour le faire, surtout si le Parlement veut adopter rapidement le projet de loi? Car vous soulevez une question très complexe. Je suis contente que vous l’ayez soulevée. Il faut y réfléchir sérieusement.
Mme Sandilands : Merci de soulever la question. J’ajouterais simplement que l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador a récemment interpellé les tribunaux pour contester la loi 96. Je crois que les motifs comprennent le fait qu’elle porte atteinte aux droits des peuples autochtones en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982 et aux droits à l’égalité également. C’est peut-être un autre point d’interrogation concernant l’inclusion de la Charte de la langue française dans la Loi sur les langues officielles.
La présidente suppléante : Nous arrivons à la fin de notre discussion avec ce groupe de témoins. Je remercie les témoins d’être venus aujourd’hui. C’était très informatif. Merci d’avoir apporté des précisions aux questions qui ont été posées. Sénatrice Fraser, c’est toujours un plaisir.
[Français]
Merci beaucoup, mesdames Ludvig et Sandilands.
Je vous remercie d’être avec nous. Pour notre troisième groupe de témoins, nous sommes très heureux d’accueillir l’honorable Ginette Petitpas Taylor, c.p., députée, ministre des Langues officielles, ainsi que l’honorable Mona Fortier, c.p., députée, présidente du Conseil du Trésor. La ministre Petitpas Taylor est accompagnée par des fonctionnaires de Patrimoine canadien : Isabelle Mondou, qui est sous-ministre, Julie Boyer qui est sous‑ministre adjointe, Langues officielles, patrimoine et régions et Sarah Boily, qui est directrice générale des Langues officielles. La ministre Fortier est accompagnée par des fonctionnaires du Secrétariat du Conseil du Trésor : Carsten Quell, directeur exécutif, Centre d’excellence en langues officielles, Bureau de la dirigeante principale des ressources humaines et Karim Adam, directeur, Surveillance et conformité, Centre d’excellence en langues officielles, Bureau de la dirigeante principale des ressources humaines.
Bienvenue parmi nous. Merci d’avoir accepté notre invitation. Nous sommes prêts à entendre vos déclarations préliminaires, en commençant par la ministre Petitpas Taylor. Une période des questions suivra avec les sénateurs et les sénatrices.
L’honorable Ginette Petitpas Taylor, c.p., députée, ministre des Langues officielles : Madame la présidente, mesdames et mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour.
[Traduction]
J’aimerais d’abord souligner que nous sommes réunis sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Je suis ravie de participer à votre étude du projet de loi C-13 dont le titre abrégé est Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada. Depuis que j’ai comparu devant vous, en février, nous avons bien progressé au chapitre des langues officielles. En fait, nous avons récemment annoncé le nouveau plan d’action 2023-2028 pour les langues officielles. Le plan d’action comprend des investissements historiques s’élevant à plus de 4,1 milliards de dollars pour les cinq prochaines années, le montant le plus élevé jamais accordé par un gouvernement au soutien des langues officielles.
[Français]
Nous avons consulté des milliers d’intervenants l’année dernière afin que le plan d’action puisse répondre aux besoins de nos communautés.
[Traduction]
Ce plan est l’un des deux principaux piliers de la réforme de notre régime linguistique. L’autre est bien sûr le projet de loi C-13. Les députés l’ont maintenant étudié attentivement et ont déposé au Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes plus de 200 amendements.
[Français]
Le projet de loi est maintenant entre vos mains. Je vous suis reconnaissante d’en avoir fait l’étude préalable et je suis à votre disposition pour l’étude du projet de loi. Sans la solide expertise de votre comité, le projet de loi C-13 ne serait pas aussi bien calibré. Bien avant son dépôt, vos rapports et recommandations ont indiqué la voie à suivre pour moderniser la Loi sur les langues officielles.
En ce moment même, le déclin du français au Canada se poursuit sous le seuil critique. Les intervenants en langues officielles sont unanimes et préoccupés. Ils demandent l’adoption rapide du projet de loi C-13, un levier indispensable pour renverser cette tendance. Personnellement, je suis convaincue que, avec l’adoption du projet de loi C-13, une étape déterminante sera franchie pour renforcer le bilinguisme au pays et protéger les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Cependant, je sais que les attentes des communautés francophones et anglophones au pays sont grandes. La barre est haute et se doit de l’être.
Dans les milieux minoritaires, les gens me disent souvent à quel point la réforme des langues officielles leur tient à cœur, et qu’ils misent sur ses bienfaits pour poursuivre leur développement. Nous sommes également conscients de l’importance des droits des communautés autochtones.
Comme nous l’indiquons très clairement dans ce projet de loi, rien dans la Loi sur les langues officielles ne contrevient aux droits énoncés dans la Loi sur les langues autochtones. Le projet de loi C-13 mentionne à deux reprises l’importance de ces droits et s’assure que ce projet de loi n’abroge d’aucune manière les droits déjà conférés ainsi que ceux qui pourraient l’être.
Le gouvernement s’est engagé à soutenir les langues autochtones de plusieurs manières, notamment avec la Loi sur les langues autochtones et la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. La réconciliation est essentielle et nous continuerons de travailler avec nos partenaires autochtones sur cette voie.
[Traduction]
Madame la présidente, j’aimerais souligner quelques mesures qui aideront les communautés de langue officielle en situation minoritaire à relever les défis auxquels elles font face. Premièrement, on nous a demandé de confier plus de pouvoirs au commissaire aux langues officielles, et c’est ce que nous proposons avec le projet de loi C-13. Par exemple, nous donnons au commissaire le pouvoir d’imposer des sanctions administratives pécuniaires à certains organismes privés et certaines sociétés d’État du secteur du transport qui servent le public voyageur.
[Français]
Deuxièmement, le projet de loi C-13 prévoit une nouvelle obligation pour ce qui est d’adopter une politique d’immigration francophone, dont l’objectif est de rétablir et d’accroître le poids démographique des communautés francophones en situation minoritaire.
[Traduction]
Troisièmement, nous accordons de l’attention aux mesures positives exposées à la partie VII de la Loi sur les langues officielles.
[Français]
Nous proposons de mieux encadrer les mesures positives. Par exemple, nous précisons qu’elles devraient être concrètes et nous suggérons des exemples éclairants de mesures positives directement dans le texte de la loi.
[Traduction]
Quatrièmement, nous proposons de renforcer les pouvoirs du Conseil du Trésor. En tant qu’organisme central, il est bien équipé pour faire respecter et contrôler les obligations des institutions fédérales en matière de langues officielles. Les institutions fédérales devront réfléchir aux mesures positives à prendre pour exécuter leurs mandats. Pour le faire, elles devront s’appuyer sur des analyses du genre de l’analyse comparative entre les sexes plus.
[Français]
Enfin, en matière de justice, le projet de loi C-13 formalise le rôle du gouvernement fédéral dans la prise en compte de la capacité d’un tribunal à fonctionner dans les deux langues officielles lors des nominations aux cours supérieures. Honorables sénateurs et sénatrices, j’aimerais souligner le travail important que vous avez effectué au Sénat lors de l’examen de ce projet de loi. Je vous remercie et vous en suis reconnaissante. Je tiens aujourd’hui à réitérer mon engagement à collaborer pleinement avec vous. Merci encore de m’avoir invitée au comité. Je cède la parole à ma collègue.
L’honorable Mona Fortier, c.p., députée, présidente du Conseil du Trésor : Je vous remercie, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité, de me donner l’occasion de vous parler du rôle accru du Conseil du Trésor en matière de gouvernance des langues officielles, tel que proposé dans le projet de loi C-13.
Cette législation constitue un progrès historique pour faire avancer les droits linguistiques des Canadiennes et des Canadiens dans tout le pays, un progrès qui a été soutenu par tous les partis à l’autre endroit.
Je suis heureuse d’être accompagnée aujourd’hui de Carsten Quell et de Karim Adam.
Je vais faire une brève allocution, puis nous serons heureux de répondre à vos questions.
[Traduction]
Madame la présidente, comme on l’a déjà mentionné plusieurs fois, le gouvernement a travaillé d’arrache-pied pendant plusieurs années pour mettre à jour la Loi sur les langues officielles du Canada, et nous avons pris note du rapport de novembre du comité, sur le contenu du projet de loi C-13, et du point important qu’il soulève.
[Français]
Comme le comité l’a indiqué dans son rapport, le rôle du Conseil du Trésor dans la gouvernance des langues officielles a fait l’objet de beaucoup de débats.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-13 propose que la personne assumant la présidence du Conseil du Trésor soit le ou la ministre responsable de diriger et de coordonner la mise en œuvre pangouvernementale de la Loi sur les langues officielles et d’en assurer la bonne gouvernance.
De plus, le projet de loi renforce les pouvoirs du Conseil du Trésor pour assurer un meilleur suivi de la conformité et une évaluation plus rigoureuse des mesures prises par les institutions fédérales pour remplir leurs obligations en matière de langues officielles.
[Traduction]
Les pouvoirs de coordination et de surveillance du Conseil du Trésor ont également été étendus pour inclure les mesures que les institutions fédérales prennent pour favoriser la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire, l’égalité de statut, l’utilisation du français et de l’anglais et la promotion du français dans la société canadienne.
En tant qu’employeur de la fonction publique qui a la responsabilité de l’orientation stratégique en matière de langues officielles, le Secrétariat du Conseil du Trésor serait chargé de publier de nouvelles directives et de nouveaux règlements pour soutenir les institutions fédérales et les tenir responsables du respect de leurs obligations en matière de langues officielles.
[Français]
Le Conseil du Trésor joue un rôle important dans la nouvelle gouvernance des langues officielles.
L’élargissement des rôles et responsabilités énoncés dans le projet de loi C-13 favorisera une conformité, une responsabilisation et une transparence accrues de la part des institutions fédérales. Cela se traduira par un meilleur soutien pour les Canadiens et Canadiennes francophones et anglophones.
Personnellement, en tant que fière Franco-Ontarienne faisant partie des millions de personnes qui vivent dans des communautés de langue officielle en situation minoritaire au Canada, je suis tout à fait d’accord.
J’ai hâte de mettre en œuvre les fonctions accrues de leadership et de surveillance du Conseil du Trésor, afin que les institutions fédérales réalisent le plein potentiel de notre nouvelle Loi sur les langues officielles.
J’espère que nous pourrons compter sur votre appui au projet de loi.
[Traduction]
Enfin, permettez-moi d’exprimer la sincère reconnaissance du gouvernement pour le temps et les efforts que le comité a consacrés à l’étude de la loi et aux discussions sur celles-ci. Je suis d’accord avec ma collègue, je sais que vous y avez passé de nombreuses heures, et je tiens sincèrement à vous remercier de ce bon travail.
Le projet de loi est la preuve que le gouvernement répond au désir des Canadiens de renforcer les langues officielles.
[Français]
Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.
La présidente suppléante : Merci beaucoup, mesdames Fortier et Petitpas Taylor.
Nous allons maintenant commencer la période des questions.
La sénatrice Clement : Bonjour à vous tous. Je suis contente de vous voir.
C’est vrai que le Comité sénatorial permanent des langues officielles a travaillé fort. Je vous remercie de le mentionner. Vous aussi, vous avez aussi travaillé fort, et nous sommes rendus là.
Madame Petitpas Taylor, vous avez parlé des langues autochtones dans votre allocution. J’aimerais vous poser une question à ce sujet.
L’Assemblée des Premières Nations a soumis un mémoire au Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes et elle soutient que le projet de loi C-13 crée des obstacles pour les peuples autochtones. Elle soutient que ces derniers auront de la difficulté à avoir accès à des postes supérieurs dans la fonction publique fédérale. Elle suggère que le fait d’exempter les Canadiens autochtones des exigences linguistiques bilingues serait conforme aux engagements du Canada en vertu de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Statistique Canada rapporte que seulement 10 % des membres des Premières Nations parlent à la fois l’anglais et le français. Seulement 5 % d’entre eux parlent le français comme langue coloniale et 85 % ne parlent que l’anglais. Par conséquent, 90 % des membres des Premières Nations ne pourront pas occuper des postes supérieurs au sein du gouvernement fédéral, parce qu’ils ne sont pas bilingues. Il y a une recommandation visant à créer une exemption.
J’aimerais savoir si vous êtes favorable au fait d’exempter les Canadiens autochtones de ces exigences linguistiques bilingues. J’aimerais aussi savoir s’il y a de la place pour la réconciliation à l’intérieur du projet de loi C-13.
Vous avez dit que la loi ne dérogeait pas, ne portait pas atteinte... C’est un langage négatif, évidemment.
Y a-t-il de la place pour quelque chose de plus affirmatif en ce qui concerne les langues autochtones et la réconciliation à l’intérieur du projet de loi C-13?
Mme Petitpas Taylor : Je vais commencer, puis je céderai la parole à ma collègue la présidente du Conseil du Trésor.
Premièrement, je vous remercie beaucoup de cette question. Je pense qu’on doit reconnaître en réalité qu’ici, au Canada, nous avons plus de 70 langues autochtones d’un océan à l’autre. Nous reconnaissons que plusieurs de ces langues sont menacées et qu’on doit s’assurer qu’une attention spéciale est accordée aux langues autochtones.
Lors de l’élaboration du projet de loi C-13, nous avons été très clairs à deux reprises en affirmant que nous voulons nous assurer que le projet de loi C-13 ne cause aucun obstacle aux langues autochtones.
Nous voulons nous assurer qu’on ne va pas créer d’obstacles à la réappropriation, à la revitalisation et au renforcement des langues autochtones au Canada. À notre avis, c’est très important.
Lors de l’élaboration du projet de loi C-13, la ministre Joly avait déjà commencé à faire ce travail. Nous avons tenu des consultations avec les leaders autochtones au pays. Nous voulions savoir s’ils étaient à l’aise avec l’approche du projet de loi C-13 et nous voulions avoir leurs commentaires.
Lors des consultations et des rencontres que la ministre Joly a tenues, les leaders autochtones étaient généralement d’accord sur cette approche et sur le message clé. Toutefois, ils voulaient que nous en fassions davantage pour protéger et promouvoir les langues autochtones au pays.
Le projet de loi sur les langues autochtones qui a été déposé vise à assurer qu’il y aura un véhicule législatif pour protéger et promouvoir les langues qui ont besoin de notre appui, ainsi qu’à fournir un financement pour mettre sur pied les ressources nécessaires pour encourager le travail qui doit être fait pour nous assurer de ne pas perdre ces langues.
J’aimerais ajouter que le commissaire aux langues autochtones et le bureau qui a été établi s’assureront que le travail continue de se faire.
J’occupe le poste de ministre des Langues officielles depuis un an et demi. Évidemment, la ministre Joly avait fait du travail, mais avant de déposer le nouveau projet de loi C-13, j’ai eu des conversations avec le commissaire aux langues autochtones, M. Ignace. Aussi, comme ministre des Langues officielles, j’ai eu la chance de rencontrer les ministres responsables des langues autochtones au Nunavik et au Yukon pour avoir encore une fois cet échange avec eux. Le message est clair : ils veulent que nous en fassions davantage pour protéger les langues autochtones.
Encore une fois, la Loi sur les langues autochtones est un véhicule indispensable pour nous assurer que nous pouvons faire le travail nécessaire.
Pour ce qui est de la question concernant la fonction publique, je vais demander à Mme Fortier de prendre la parole à ce sujet.
Mme Fortier : Merci. Je pense que l’on comprend très bien, comme gouvernement, que certains fonctionnaires autochtones peuvent considérer les exigences en matière de langues officielles comme un obstacle à la progression de leur carrière dans la fonction publique fédérale.
Nous sommes en train d’élaborer un nouveau cadre de formation en langue seconde pour la fonction publique qui répond aux besoins de tous les apprenants, y compris les besoins spécifiques des personnes autochtones. Nous collaborons également avec les employés autochtones pour éliminer les obstacles qu’ils peuvent rencontrer dans l’apprentissage du français ou de l’anglais.
En complément d’information, les trois cinquièmes des emplois fédéraux sont ouverts aux candidats unilingues et les règlements permettent des exemptions de deux ans pour permettre aux nouveaux employés d’atteindre les exigences en matière de bilinguisme. C’est une chose qui existe.
Pour vous donner de bonnes nouvelles, cet automne, six fonctionnaires autochtones ont été diplômés de la première cohorte du programme Mosaïque, qui est offert et qui les a formés en vue de leur nomination à des postes de direction. Comme gouvernement, on reconnaît que parler une langue autochtone est un atout. Une analyse de l’utilisation des langues autochtones par les fonctionnaires dans la prestation de services aux Canadiens est en cours. Nous allons continuer de donner des façons d’améliorer l’accès aux services avec de la formation et d’autres programmes que nous avons en place.
J’espère que cela répond à vos questions.
Mme Petitpas Taylor : Pour ajouter un élément, vous avez parlé de la question de réconciliation. La réconciliation est essentielle. On doit continuer de travailler avec nos partenaires autochtones pour s’assurer de poursuivre ce trajet ensemble. On veut absolument s’assurer qu’on va continuer de travailler avec nos collègues autochtones.
Le sénateur Gold : Bonjour et bienvenue au comité. Ma question concerne une préoccupation de la communauté anglophone. Je vais donc la poser en anglais.
[Traduction]
Pourriez-vous nous préciser l’objectif de l’inclusion de la mention de la charte québécoise dans le projet de loi C-13? Dans quel sens, le cas échéant, était-ce une approbation du contenu de la charte? De l’existence de la charte? De quelle façon, le cas échéant, ce projet de loi approuve-t-il l’utilisation de la disposition de « dérogation »? C’est ma question pour vous, madame la ministre.
Ministre Fortier, il est question de la diversité dans la fonction publique; s’assurer que les gens peuvent travailler dans la langue de leur choix dans la fonction publique est un objectif important, la promotion de la diversité est un objectif important et parvenir à la réconciliation est un objectif important, surtout aux échelons supérieurs de la fonction publique.
Croyez-vous que cela sera possible grâce au projet de loi C-13, et pourriez-vous nous expliquer pourquoi, et peut-être nous en dire un peu plus sur ce qui est fait pour rendre la fonction publique plus diversifiée et accueillante? Merci.
Mme Petitpas Taylor : Merci beaucoup, sénateur Gold. Nous siégeons ensemble à un comité. Nous venons de finir en fait. Tout d’abord, merci de cette question très importante. Si des anglophones du Québec écoutent les témoignages aujourd’hui, tout d’abord, ce que je tiens certainement à dire d’abord et avant tout, c’est que le projet de loi C-13 n’enlève rien aux droits des anglophones du Québec. Cependant, je peux comprendre que les anglophones du Québec ressentent beaucoup d’anxiété à l’heure actuelle. Je reconnais que la loi 96 a créé beaucoup d’incertitude pour eux. Mais la loi 96 et le projet de loi C-13 sont deux textes législatifs différents, et l’un n’a pas la même signification que l’autre.
Je pense donc qu’il est très important que les gens sachent que le projet de loi C-13 n’enlève aucun droit à la population anglophone.
Pour répondre à votre question sur la raison pour laquelle nous mentionnons dans notre projet de loi la Charte de langue française.
[Français]
Le fait de faire référence à la Charte de la langue française dans le projet de loi comme tel est tout simplement une description de la loi du Québec. En aucun temps nous ne disons que nous sommes d’accord ou non avec la Charte de la langue française. Qu’on le veuille ou non, c’est la loi qui existe actuellement au Québec. Dans la Loi sur les langues officielles, on parle aussi de la spécificité du Nouveau-Brunswick, qui est une province bilingue, on parle de la province du Manitoba, etc. On fait la description du régime qui existe dans la province en question.
Encore une fois, je veux vraiment être claire à ce point, puisque je sais qu’il y a eu beaucoup de confusion lors des débats sur ce projet de loi. Je veux simplement assurer mes collègues, mes amis du Québec d’expression anglaise, que nous ne voulons aucunement éliminer les droits des Québécois d’expression anglaise.
Je pense qu’il est important de souligner que le projet de loi C-13 représente quand même des gains très importants pour la communauté anglophone du Québec. Si on regarde toute la question de la partie VII du projet de loi, on dit que le gouvernement fédéral doit prendre en considération plus précisément la question des mesures positives. Le fait de s’assurer que le gouvernement fédéral fera l’analyse des mesures positives aura aussi des impacts très importants pour les communautés anglophones du Québec.
Encore une fois, le message que je veux envoyer, c’est que nous ne sommes pas ici pour enlever des droits; c’est tout à fait le contraire. On veut s’assurer encore une fois que nos collègues du Québec comprennent bien que ce n’est absolument pas notre intention.
[Traduction]
Mme Fortier : Merci de votre question, elle est également très importante. La diversité est un principe directeur que nous avons adopté, non seulement dans la modernisation du projet de loi C-13, mais dans tout ce que nous faisons dans la fonction publique. Nous savons que nous devons représenter la mosaïque canadienne pour servir les Canadiens, et je crois que ce que nous devons faire, avec le projet de loi C-13, c’est nous assurer que les fonctionnaires ont les outils et la formation nécessaires pour offrir des services dans leur langue seconde ou, parfois, trouver les moyens de s’assurer qu’ils peuvent entrer dans le système et continuer d’aider à naviguer dans les programmes et les services que nous fournissons.
[Français]
Par conséquent, je vous dirais que c’est vraiment important que nous continuions d’offrir des programmes de formation pour aider les fonctionnaires à offrir des services dans les deux langues officielles. Nous allons aussi nous assurer que nous pouvons attirer de nouveaux fonctionnaires. L’un des mandats que j’ai reçus, et c’est important de le savoir, c’est que je dois recruter 5 000 personnes qui vivent avec un handicap. Pour ces 5 000 personnes, il y a toute une ouverture et un talent qui existent à travers le pays. Plusieurs de ces personnes sont probablement capables d’offrir les services dans les deux langues officielles. C’est une autre façon d’aller recruter à l’extérieur pour s’assurer qu’on a une bonne représentation pour offrir nos programmes et nos services.
Je vais m’arrêter là. Cependant, on peut continuer d’explorer des manières de renforcer la fonction publique.
Mme Petitpas Taylor : J’aimerais ajouter que toute la question de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 reste intacte. Pour ce qui est de la question des droits des communautés anglophones du Québec, je veux m’assurer que les gens sachent qu’on s’assure que leurs droits constitutionnels sont intacts.
Ce que j’aimerais aussi ajouter, c’est que, avec le dépôt de notre plan d’action le mois dernier, nous avons fait des investissements historiques 24,5 millions de dollars pour le Programme de contestation judiciaire, pour nous assurer que ce programme sera en vigueur pour aider les communautés de langue officielle en situation minoritaire qui doivent s’adresser aux tribunaux pour répondre à leurs questions.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Merci, madame la ministre Petitpas Taylor, et madame la ministre Fortier, d’être ici aujourd’hui et de nous aider à comprendre un peu mieux ces questions. Je suis Québécoise. Je suis une Montréalaise anglophone, et je manquerais à mon devoir si je ne vous posais pas la question que tout le monde se pose actuellement dans la communauté minoritaire anglophone du Québec, ce qui nous ramène à celle du sénateur Gold.
Le fait est que le projet de loi C-13 renvoie maintenant à la Charte de la langue française, et cela est davantage compliqué par le fait que la loi 96 prévoit l’utilisation préventive de la disposition de « dérogation », qui, selon certains, puisque l’on renvoie maintenant à la Charte de la langue française, met en cause ces droits dans le projet de loi C-13 lui-même.
J’aimerais donc savoir, tout d’abord; c’est la seule loi provinciale qui est nommée dans le projet de loi C-13. Oui, d’autres lois provinciales sont mentionnées, mais c’est la seule qui est nommée aujourd’hui et qui utilise également la disposition de « dérogation ».
Je suis sûre que vous avez consulté des avocats, j’aimerais donc connaître les ramifications juridiques possibles de l’utilisation de la Charte de la langue française qui est mentionnée, maintenant à trois endroits dans le projet de loi C-13, dans le préambule, dans l’objet et dans la partie VII.
Pourquoi l’avez-vous utilisée? Pourquoi compliquer délibérément ce projet de loi?
Mme Petitpas Taylor : Merci beaucoup, madame la sénatrice, de poser ces questions très importantes. J’entends ces questions et ces préoccupations lors de mes rencontres avec mes collègues et des Québécois dans toute la province.
J’ai eu l’occasion et le privilège l’année dernière d’organiser deux tables rondes pour préparer notre plan d’action. Pendant la discussion sur le plan d’action, bien sûr, on a également discuté du projet de loi C-13. Nous avons eu l’occasion d’entendre de nombreux commentaires et également des préoccupations touchant les anglophones du Québec. Je n’aimerais pas que vous pensiez que je ne suis pas sensible à cela également.
Comme je l’ai dit au sénateur Gold, je crois qu’il faut reconnaître que la loi 96 et le projet de loi C-13 sont deux textes législatifs différents.
[Français]
Oui, nous avons fait référence à la Charte de la langue française dans notre projet de loi, mais c’est seulement à titre descriptif, encore une fois, pour dire que c’est le régime qui s’applique au Québec. On ne dit pas qu’on est d’accord ou non. C’est la loi qui existe au Québec maintenant. Je ne suis pas constitutionnaliste.
[Traduction]
Je ne suis pas avocate. Cependant, pour répondre à votre question, j’ai consulté des avocats au ministère de la Justice, évidemment. Je crois qu’ils ont comparu devant votre comité; je sais qu’ils ont certainement comparu devant le comité de l’autre Chambre. Ils nous ont dit qu’ils estiment qu’il n’y a pas de risque ou qu’il y a un risque minimum. J’imagine que les avocats ne diront jamais « aucun risque », mais plutôt « risque minimum ».
En ce qui concerne la raison pour laquelle nous sommes allés de l’avant, il s’agit de décrire ce qu’est la loi, si l’on veut, dans la province, à ce stade.
Mais je tiens à souligner encore une fois que, dans le projet de loi C-13 — dans notre projet de loi — les anglophones ne perdront en aucun cas des droits. En fait, comme je l’ai dit, dans la partie VII du projet de loi, nous croyons vraiment... et je sais que cela créera en fait plus de possibilités, puisque désormais, le gouvernement fédéral devra analyser chaque décision qu’il prend pour tenir compte de la façon dont elle affectera nos communautés de langue officielle en situation minoritaire. Cela a également des répercussions sur notre communauté anglophone du Québec.
Donc, encore une fois, le projet de loi C-13 comporte de nombreux avantages. Je suis consciente que cela cause certainement de l’anxiété au Québec, mais je pense que l’anxiété n’a pas trait au projet de loi C-13, mais plutôt, peut-être, à la loi provinciale.
La sénatrice Seidman : Le fait est que le projet de loi C-13 intègre toutes les craintes et tous les problèmes liés à la loi 96, parce qu’il utilise la Charte de la langue française, qui prévoit automatiquement le recours à la disposition de dérogation. Cela fusionne les deux lois, et c’est là le problème.
Mme Petitpas Taylor : Je ne suis pas d’accord, personnellement. Le projet de loi C-13 ne se confond pas du tout avec la loi 96, surtout en ce qui concerne l’utilisation de la disposition de dérogation.
Respectueusement, je ne suis pas d’accord avec cette interprétation de la loi.
La sénatrice Seidman : Merci.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci à vous deux, mesdames les ministres et tout votre personnel qui vous accompagne. Je suis certaine que vous allez nous apporter beaucoup d’information.
Lors de l’étude préalable du projet de loi C-13, il y a eu beaucoup de discussions sur qui doit être responsable de l’application du projet de loi C-13 : est-ce le Conseil du Trésor, est-ce Patrimoine canadien? Maintenant, j’ai l’impression que c’est vous deux.
Comment se fera l’arrimage, pour qu’il n’y ait pas trop de chevauchement et pour qu’on sache qui a fait quoi lorsqu’on étudiera les retombées du projet de loi? Pouvez-vous nous éclairer là-dessus?
Mme Petitpas Taylor : Je dois vous dire, sénatrice, que je ne suis pas surprise de cette question. Oui, nous sommes maintenant deux ministres qui travailleront spécifiquement dans le secteur des langues officielles.
Premièrement, je pense qu’il est important d’avoir un portrait des deux ministères. Durant tout le processus du développement du projet de loi C-13, nous avons toujours parlé de bonifier le rôle du Conseil du Trésor. Effectivement, maintenant, avec les amendements proposés par le comité de l’autre endroit, nous pouvons voir que nous sommes allés encore plus loin pour bonifier ce rôle.
Nous avons centralisé le rôle de la coordination de la loi. La ministre Fortier et son ministère auront le rôle de la coordination horizontale. Ce rôle a été transféré au Conseil du Trésor. L’autre chose, c’est que, selon l’article 46 de la loi, on disait auparavant que le Conseil du Trésor aurait le pouvoir de surveiller et d’évaluer tout le processus de la loi. À ce point-ci, ce n’est pas un pouvoir, mais une obligation de surveillance et d’évaluation. De plus, le Conseil du Trésor devra donner des instructions à plus de 206 institutions fédérales. Il y a beaucoup de pain sur la planche pour ce qui est du rôle du Conseil du Trésor.
Que fera Patrimoine canadien, en tant que ministère responsable des langues officielles? Nous allons conserver notre rôle pour le travail sur le terrain, soit collaborer avec tous les intervenants d’un bout à l’autre du pays, gérer les programmes de financement et répondre aux questions sur les programmes existants. Nous sommes des experts dans ce domaine. Nous connaissons bien nos intervenants. Le ministère du Patrimoine canadien va continuer de faire cela.
Nous allons également continuer d’être responsables de tout ce qui touche la stratégie pancanadienne, comme le plan d’action des cinq prochaines années. Il y a beaucoup de travail à faire à ce niveau, comme des consultations pancanadiennes semblables à celles qui ont été effectuées l’an dernier. Nous avons rencontré des milliers de Canadiennes et de Canadiens. Nous allons continuer de faire ce travail.
Nous allons également collaborer avec le ministre du Patrimoine canadien sur la question de l’examen du projet de loi au cours des 10 prochaines années. Nous allons faire ce travail ensemble pour nous assurer d’effectuer une bonne évaluation afin que, lors de la prochaine mise à jour de la Loi sur les langues officielles, nous sachions ce qui a fonctionné ou non et nous pourrons faire des améliorations à la loi.
Mme Fortier : La ministre a déjà pas mal tout dit, mais je vais donner un complément d’information. Pour le gouvernement, en proposant cette approche, c’est aussi l’affaire de tous. Le Conseil du Trésor a de nouveaux pouvoirs et le ministère des Langues officielles va continuer de faire le travail de coordination, mais il faut se rappeler que c’est dans une perspective selon laquelle on souhaite que ce soit vraiment l’affaire de tous. C’est une excellente approche pour montrer que maintenant, il y aura des pouvoirs centralisés ou qui vont renforcer les pouvoirs du Conseil du Trésor. Je sais que les parties prenantes le réclament depuis plusieurs années.
Je partage avec vous une petite anecdote : lorsque j’étais vice‑présidente de la FCFA, on le réclamait déjà à ce moment-là. Je vous rappelle que c’était en 1996, donc imaginez-vous qu’on demande depuis très longtemps qu’il y ait une agence centrale qui joue un rôle de supervision, d’évaluation et d’audit. Après toutes ces années, je pense qu’on vient de trouver la meilleure approche pour le faire. Les rôles sont bien alignés.
Une des choses que l’on va faire pour s’assurer de la bonne gouvernance au Conseil du Trésor — et quand on pourra en parler davantage, on va le faire; Carsten y travaille déjà —, c’est de créer un centre intégré de politiques pour les parties III à VII. C’est un outil qui nous permettra de jouer notre rôle.
On y a beaucoup pensé; maintenant, il faut y arriver. Ce serait le complément d’information que je donnerais à ce moment-ci.
La sénatrice Mégie : Merci beaucoup.
Le sénateur Mockler : J’aimerais féliciter les ministres d’avoir regardé ce projet de loi à maintes reprises et d’avoir tenu des consultations partout au pays.
Je me pose des questions. J’ai déjà une réponse, mais j’ai une question pour vous deux. Est-ce que le projet de loi est un pas dans la bonne direction? Ma réponse est oui. Est-ce que le projet de loi aurait pu aller plus loin? Peut-être. Oui, encore là.
Est-ce que la situation des francophones et du peuple acadien est meilleure avec ou sans cette loi? Selon mon expérience dans un autre champ à Fredericton dans les années 1980, ma réponse est encore oui.
Ma question, étant donné que vous avez la double responsabilité, porte sur l’entrée en vigueur de la politique en matière d’immigration francophone inscrite dans le projet de loi C-13. De combien de temps votre gouvernement aura-t-il besoin pour que cette politique soit en vigueur? Pouvez-vous nous donner un échéancier?
Mme Petitpas Taylor : Premièrement, c’est une question très importante, sénateur Mockler. Je suis tout à fait d’accord avec les questions que vous avez posées et les réponses que vous avez données. Absolument, je pense que ce projet de loi fera une différence réelle pour nos communautés de langue officielle en situation minoritaire partout au pays.
Lorsqu’on parle de la question de l’immigration francophone, je pense qu’on peut aussi reconnaître que c’est un pilier extrêmement important pour notre gouvernement. En août dernier, nous avons vu les données du recensement et nous avons constaté des tendances préoccupantes et des chiffres préoccupants liés à la perte du poids démographique des francophones dans ce pays. En 1971, à l’extérieur du Québec, il y avait une population francophone d’environ 6,1 millions de personnes. Si on fait une évaluation, d’ici à 2036, on en sera à 3,5 millions de personnes. On voit donc une perte réelle du poids démographique. L’immigration francophone sera un outil essentiel pour remédier à ce problème. Dès que le projet de loi C-13 recevra la sanction royale, il faudra commencer à travailler sur une politique d’immigration, avec des cibles et des indicateurs très clairs. Nous avons rencontré des intervenants dans le domaine, comme la FCFA et différents groupes, et nous reconnaissons avec eux l’importance de s’assurer qu’on établira cette politique, mais aussi que cette politique établira des cibles et des indicateurs — du concret.
J’aimerais aussi ajouter, sénateur Mockler, que c’est bien d’avoir une politique avec des cibles, mais il faut aussi s’assurer qu’on aura les outils nécessaires pour appuyer les immigrants qui arriveront chez nous. Dans le plan d’action que l’on a déposé il y a quelques semaines — ou un mois maintenant —, l’un des piliers est l’immigration francophone, avec un investissement de 137 millions de dollars pour les cinq prochaines années, pour aider le gouvernement fédéral, les ministères touchés, mais aussi les provinces, les territoires, les associations et les groupes qui travaillent sur le terrain à bien intégrer nos immigrants chez nous. On veut aussi s’assurer que l’on puisse intégrer nos immigrants chez nous, dans le quotidien, si l’on veut les retenir chez nous. Pour répondre à votre question, dès que le projet de loi C-13 recevra la sanction royale, on ne prendra pas de pause et on commencera à faire le travail nécessaire pour développer cette politique.
Mme Fortier : J’aimerais ajouter un complément d’information. On a quand même eu un succès assez incroyable dans la dernière année, en atteignant pour la première fois la cible de 4,4 %. Cela montre que le gouvernement a fait beaucoup d’efforts pour continuer d’atteindre la cible. Je regarde simplement dans ma propre circonscription. J’étais à une fête de la famille en fin de semaine. C’était au Collège La Cité et il y avait plus de 200 immigrants. On peut voir que cela se passe; ce sont tous des francophones qui vivent dans la région de la capitale nationale. On a aussi de bons fondements sur lesquels on pourra justement bâtir avec ce que la ministre a partagé sur l’avenir de l’immigration, tant au moyen de ce qui se trouve dans la loi que dans la stratégie en matière d’immigration que l’on met de l’avant.
Le sénateur Cormier : Bienvenue, mesdames les ministres Petitpas Taylor et Fortier. Merci aussi à votre gouvernement d’avoir pris en compte les nombreuses recommandations que nous avons faites dans les rapports; vous ne les avez pas toutes prises en compte, mais vous en avez prises un certain nombre et, comme le dirait mon collègue le sénateur Mockler, c’est déjà un pas en avant.
Ma première question s’adresse à Mme Petitpas Taylor. L’un des instruments privilégiés pour la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles, c’est évidemment le Plan d’action pour les langues officielles. Dans son rapport de 2022-2023, le commissaire aux langues officielles propose que les institutions fédérales affectent les fonds prévus avec diligence et qu’elles fassent preuve de flexibilité et de souplesse dans leurs relations avec leurs partenaires communautaires. Il recommande aussi que des processus administratifs allégés soient mis en place, étant donné que la mise en œuvre du plan d’action est grandement tributaire de l’implication des intervenants communautaires et scolaires. Comment l’adoption du projet de loi C-13 permettra‑t‑elle que la mise en œuvre du Plan d’action pour les langues officielles de 2023-2028 tienne compte des enjeux que je viens d’énumérer et se fasse de manière efficace et efficiente?
Mme Petitpas Taylor : C’est une très bonne question, monsieur le sénateur. Je vous remercie encore une fois de votre travail continu dans ce domaine comme président de ce comité. Bien sûr, pour toute la question de la mise en œuvre du plan d’action, nous avons entendu parler d’intervenants d’un bout à l’autre du pays qui veulent s’assurer encore une fois que les choses se font un peu moins lourdement. Lors des consultations — on a fait 22 consultations d’un bout à l’autre du pays —, nous avons entendu le message haut et fort. L’autre message que nous avons entendu des intervenants du pays qui font un travail extraordinaire et qui n’est pas toujours facile sur le terrain, et qui cherchent aussi à obtenir une bonification de ces enveloppes... On parle souvent du coût de la vie, comme politiciens et politiciennes, mais nos intervenants sur le terrain vivent des moments difficiles eux aussi. En ce qui concerne le plan d’action que nous avons livré il y a un mois, on peut voir qu’on a quand même pu faire des gains historiques pour toute la question des montants qui ont été accordés. Pour la question sur la loi et le plan d’action, Isabelle pourrait ajouter quelques commentaires.
Isabelle Mondou, sous-ministre, Patrimoine canadien : La ministre a déjà évoqué les mesures administratives que l’on pourra prendre pour alléger les processus. Pour les mesures législatives, je donnerai deux exemples. La première porte sur la partie VII : le renforcement de cette partie aura un impact direct sur le service aux communautés et, par conséquent, sur la réussite du plan d’action, puisqu’on parle de l’influence des politiques, des règlements et des mesures prises par le gouvernement sur les communautés. Le gouvernement devra faire un examen attentif pour s’assurer que les mesures aident les communautés, mais si ce n’est pas le cas, il devra s’assurer de prendre des mesures de mitigation. Cela contribuera évidemment à satisfaire aux objectifs du plan d’action.
Il y a un autre élément important dans la loi : elle reconnaît maintenant l’importance des différentes institutions dans les communautés. Donc, on ne parle pas seulement des institutions d’enseignement — évidemment, elles sont essentielles —, mais aussi des autres institutions, comme les services de santé, les services culturels, etc. Tous ces éléments se trouvent à être renforcés par le plan d’action, qui dit que l’on doit investir dans ces institutions. Une communauté minoritaire, c’est l’ensemble de ces institutions. C’était là deux exemples.
Le sénateur Cormier : Merci pour ces réponses. Ma question s’adresse maintenant à la présidente du Conseil du Trésor. Je fais toujours référence au rapport annuel du Commissariat aux langues officielles de 2022-2023, qui est excellent, d’ailleurs. Il vous interpelle beaucoup, madame la présidente du Conseil du Trésor. Il recommande que vous élaboriez, avec votre collègue le ministre des Transports, des outils et des lignes directrices concernant les obligations linguistiques des administrations aéroportuaires. Il recommande de définir, dans un plan d’action, des moyens concrets de mettre en évidence la place des langues officielles au sein de la fonction publique. Enfin, il recommande que vous mettiez en œuvre votre plan d’action triennal, visant à assurer la conformité des institutions fédérales à l’article 91 de la loi, qui traite de la dotation en personnel.
Il y a donc plus de 206 institutions fédérales dont vous devrez vous occuper, d’après ce que je peux comprendre. Considérant toutes ces nouvelles responsabilités qui vous sont attribuées par le projet de loi C-13, comment l’adoption de celui-ci vous permettra-t-elle de répondre aux recommandations tout à fait pertinentes du commissaire aux langues officielles? En d’autres mots, comment pensez-vous fonctionner à l’intérieur de vos nouvelles responsabilités et des enjeux énoncés ici?
Mme Fortier : Merci beaucoup. Je suis d’accord sur le fait que le commissaire Théberge a fait beaucoup de travail et nous pousse à regarder comment on peut améliorer les choses. On a eu plusieurs conversations avec lui pour bien comprendre l’étude qu’il a faite. Pour la question de la désignation linguistique des postes par rapport à l’article 91, comme on l’a mentionné, je vous confirme que l’on continuera de travailler avec le commissaire pour améliorer cette désignation linguistique. Comme vous le savez, il y a un plan d’action triennal pour 2022-2025 qui est en cours de mise en œuvre. Nous en sommes à élaborer des lignes directrices pour appuyer l’établissement des exigences linguistiques. En ce qui concerne la sensibilisation et l’importance de l’objectivité dans l’établissement des exigences linguistiques, il y a également l’examen et la consolidation de la formation sur ces exigences linguistiques. Il faut aussi revoir le profil des postes de supervision bilingues dans les régions bilingues.
Comme vous le savez, tout cela sera probablement affecté par le projet de loi C-13, étant donné certains amendements. On va regarder cela de près. On va aussi renforcer la responsabilisation avec ce plan triennal.
Il y a beaucoup de travail qui se fait actuellement pour réaliser ce plan d’action. Si vous voulez plus d’exemples pour savoir où nous en sommes, mes collègues pourront compléter ma réponse.
Le ministre Alghabra et moi sommes appelés à travailler ensemble pour nous assurer que ces questions et les recommandations mises de l’avant soient examinées. Le projet de loi C-13 contribuera à clarifier les obligations des aéroports et à renforcer les pouvoirs de surveillance qu’aura le Conseil du Trésor.
L’autre élément dont je voulais vous faire part, c’est que les litiges en cours apporteront des précisions supplémentaires. Je pense qu’avec tout cela, on pourra continuer de suivre les éléments que l’on veut promouvoir.
Mme Petitpas Taylor : N’oublions pas les pouvoirs élargis du commissaire. Avec les nouveaux pouvoirs qu’on lui donne, M. Théberge et son bureau pourront faire le travail nécessaire pour jouer le rôle de chien de garde pour protéger nos langues et s’assurer que les compagnies respectent leurs obligations en matière de langues officielles.
La présidente suppléante : J’ai une question avant que vous ne preniez une pause pour voter.
Ma question porte sur le dénombrement des ayants droit en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Comme il est assujetti aux critères numériques là où le nombre le justifie, l’accès à des données complètes sur la fréquentation des écoles primaires et secondaires est indispensable pour les CLOSM. Le projet de loi prévoit actuellement une obligation pour le gouvernement d’estimer ce nombre. Un fonctionnaire qui a comparu au Comité des langues officielles de l’autre endroit a expliqué que, pour dénombrer les ayants droit, il faut confirmer avec des listes des provinces qui ont accès aux conseils scolaires, qui obtiennent les chiffres de façon ponctuelle.
La Fédération des conseils scolaires francophones demande que le gouvernement ait l’obligation de dénombrer les ayants droit. Il me semble évident que le réseau des conseils scolaires francophones serait prêt à partager les listes des élèves inscrits dans les écoles francophones.
Si le projet de loi n’est pas amendé au Sénat, est-ce que le gouvernement pourrait s’engager à dénombrer les ayants droit en faisant la demande ponctuelle de ces listes? Pouvons-nous avoir une promesse à cet effet?
Je sais que ce ne sont pas des choses que vous faites souvent, mais vous savez à quel point il est important que l’apprentissage d’une langue se fasse dès la petite enfance.
Mme Petitpas Taylor : Merci de votre question. Je pense qu’on reconnaît tous que nous sommes le premier gouvernement — je vais prendre un pas de recul — à utiliser le formulaire court dans le recensement pour la question de la collecte de données. Nous reconnaissons que, comme gouvernement, si nous voulons adopter de bonnes politiques sociales, nous devons avoir des chiffres. Voilà un outil qui nous a été utile. Si le gouvernement fédéral veut faire un plein dénombrement, il doit s’assurer d’utiliser tous les outils disponibles et les applications aux conseils scolaires. Au gouvernement fédéral, on ne reçoit pas ces demandes d’applications. C’est important de s’assurer de travailler avec les provinces et les territoires pour avoir un portrait réel de ce que sont les chiffres. Voilà pourquoi dans le plan d’action que nous avons mis de côté, nous avons réservé 2 millions de dollars pour nous assurer de continuer de travailler dans la même voie avec Statistique Canada.
Je suis très engagée et je veux m’assurer de travailler avec les provinces et les territoires, car il est très important de pouvoir dresser un portrait complet de ce qu’est le plein dénombrement, non seulement aux quatre ou cinq ans, mais continuellement.
Pour moi, c’est une priorité.
La présidente suppléante : Nous allons suspendre la séance quelques instants pour vous permettre de voter.
(La séance est suspendue.)
(La séance reprend.)
La présidente suppléante : Il reste 10 minutes à la réunion. Sénatrice Clement et sénatrice Seidman, vous avez cinq minutes chacune.
La sénatrice Clement : Je suis très contente d’entendre que l’immigration francophone sera une priorité. Cela me réjouit.
Je reviens à la question des langues autochtones.
J’ai posé la même question plus tôt à l’honorable Joan Fraser. J’ai bien compris que vous avez parlé de la Loi sur les langues autochtones. C’est un début. Il y a beaucoup de gens qui disent que ce n’est pas encore satisfaisant et qu’on devrait aussi créer un espace, dans le projet de loi C-13, pour inclure une mention spécifique sur la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Est-ce que le gouvernement peut lui faire une place dans le projet de loi C-13? Je reconnais qu’on a une Loi sur les langues autochtones, mais on peut faire plusieurs choses en même temps. Est-ce que le gouvernement serait en mesure d’accueillir une telle référence? Pensez-vous que s’il ne le fait pas, le gouvernement s’acquitte de ses obligations, conformément à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones?
Mme Petitpas Taylor : Je vais commencer à répondre à la question et je demanderai ensuite à la sous-ministre de compléter ma réponse, parce que je veux vous donner une réponse claire.
Premièrement, comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas du tout un oubli, car la question des langues officielles nous tient à cœur; quand on parle de réconciliation, cela veut dire que nous voulons nous assurer de travailler main dans la main avec nos partenaires et amis autochtones.
Comme je l’ai déjà dit, le gouvernement s’est engagé à soutenir les langues autochtones de plusieurs manières : à l’aide de la Loi sur les langues autochtones, bien sûr, mais aussi avec la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Lors de la rédaction du projet de loi C-13, nous voulions absolument nous assurer de ne pas faire obstacle à la loi, ainsi qu’aux droits actuels et futurs.
Nous avons précisément inclus ces commentaires dans le projet de loi à deux reprises, non seulement ces commentaires, mais des articles complets, puisqu’on ne veut vraiment pas que cela soit interprété d’une autre façon. On veut que ce soit écrit noir sur blanc. Je vais maintenant laisser Mme Mondou faire davantage de précisions sur le sujet.
Mme Mondou : Cela me fait plaisir, puisque je suis responsable de ce dossier sur les langues autochtones. Je dirai deux choses : la première, c’est que nous avons consulté le ministère de la Justice pour nous assurer que le projet de loi C-13 est tout à fait dans l’esprit de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. On nous a confirmé que c’était le cas.
Deuxièmement, vous avez parlé de la technique utilisée; il existe deux techniques de législation et je crois que les deux sont efficaces. La première, c’est de dire que les droits sont conformes à tel projet de loi et la seconde, de dire que rien n’interfère avec le projet de loi. Nous avons choisi cette technique, mais les objectifs sont les mêmes, soit de nous assurer que le projet de loi C-13 ne nuit en aucune façon aux droits et aux aspirations qui sont tout à fait légitimes en ce qui concerne les langues autochtones.
La sénatrice Clement : Est-ce qu’une mention spécifique de la loi dans le projet de loi C-13 serait une technique qui irait à l’encontre de l’autre technique?
Mme Mondou : Je ne dirais pas cela va à l’encontre de l’autre technique. Je dirais que ce serait peut-être redondant, mais pas que cela irait à l’encontre de l’autre.
La sénatrice Clement : D’accord. Je vous remercie.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Madame la ministre Petitpas Taylor, quand il est venu témoigner devant notre comité, le juge Michel Bastarache, de la Cour suprême, a exprimé son opposition à l’inclusion de la Charte de la langue française dans la Loi sur les langues officielles fédérale. Voici ce qu’il a dit :
Je suis personnellement opposé à la référence à une loi provinciale dans la loi fédérale. Je crois que le régime linguistique fédéral est très différent de celui du provincial. Le rôle du commissaire aux langues officielles ne ressemble en rien au rôle de l’Office de la langue française.
Le juge Bastarache a poursuivi en disant :
Il ne faut pas confondre les gens. La Loi sur la langue officielle du Québec, pour ce qui est des langues autres que le français, est plutôt une loi sur la non-discrimination. Ce n’est pas une loi sur la promotion de l’anglais, alors que la loi fédérale est une loi sur la promotion des langues minoritaires.
Il a conclu en disant :
Quand l’objet même des lois n’est pas le même ou n’est pas vraiment conciliable, je ne vois pas l’utilité de faire cela. Si le gouvernement est d’accord avec certaines dispositions de la loi québécoise, il n’a qu’à les adopter lui-même.
Quand Robert Leckey, doyen de la faculté de droit de l’Université McGill, a comparu devant notre comité et a parlé des mentions de la Charte de la langue française dans une loi fédérale, voici ce qu’il a dit :
Le projet de loi C-13 ajouterait à la Loi sur les langues officielles des mentions de la Charte de la langue française. Ces mentions viendraient approuver celle-ci, car elles présupposent que les objectifs et les moyens favorisés par la loi provinciale sont compatibles avec ceux de la loi fédérale et les responsabilités constitutionnelles du gouvernement du Canada. Toutefois, cette prémisse n’est pas solide.
Deux avis juridiques très respectés. J’aimerais savoir ce que vous diriez à ce sujet.
Mme Petitpas Taylor : Je vais commencer, puis je demanderai à la sous-ministre, puisqu’elle est avocate, de répondre pour parler davantage des aspects techniques.
[Français]
Je suis très heureuse que vous posiez de nouveau cette question; vous comprenez bien le français.
Cela me donne aussi l’occasion de partager les commentaires de Me Warren J. Newman, avocat au ministère de la Justice. Il avait dit ce qui suit lors de son témoignage :
Je ne vois pas en quoi les services fédéraux offerts par les institutions fédérales seraient compromis par la simple mention du fait que le gouvernement reconnaît la Charte de la langue française et les autres régimes linguistiques comme faisant partie du contexte global.
Me Newman est avocat au ministère de la Justice et il a comparu devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes; il s’agissait d’un avis juridique.
Bien sûr, j’ai suivi de près le témoignage de l’honorable Michel Bastarache, un ancien juge; c’est un Acadien qui habite au Nouveau-Brunswick. Si nous examinons à fond la suite du témoignage de M. Bastarache, il a dit ce qui suit :
Je ne sais pas vraiment ce qui les préoccupe dans le projet de loi. Pour moi, la promotion du français ne va rien enlever aux anglophones. C’est comme quelqu’un qui apprend une deuxième langue : est-ce que cela veut dire qu’il perd sa première langue? Je ne crois pas. Je crois que c’est cumulatif. On peut aider une communauté qui est en difficulté sans nuire à une autre qui ne l’est pas.
Pour moi, l’enjeu des anglophones au Québec n’a rien à voir avec le gouvernement fédéral, mais bien avec le gouvernement du Québec. Il faut qu’il y ait une espèce de modus vivendi.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Madame la ministre, je pense que personne dans la communauté minoritaire anglophone du Québec ne dit que ce n’est pas un bon projet de loi et que personne ne s’oppose aux principes qui y sont exposés. C’est peut-être de cela qu’il s’agit dans cette citation. C’est le renvoi à la Charte de la langue française qui est en cause ici, et non pas l’essence du projet de loi.
Mme Petitpas Taylor : En ce qui concerne l’avis dont nous a fait part Warren Newman, encore une fois, qui est avocat, au sujet du ministre, du ministère de la Justice, son évaluation, si l’on veut, je l’ai donnée aux fins du compte rendu. Je demanderai peut-être à Mme la sous-ministre Mondou d’en dire un peu plus, si elle le veut bien.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup. C’est vraiment apprécié. Avec tout le respect que je vous dois, je...
Mme Petitpas Taylor : Et je répondrai également à la question...
La sénatrice Seidman : Merci.
Mme Mondou : Merci. J’ajouterai peut-être que, puisque le ministre a bien répondu à la question, si je ne me trompe pas, le commentaire qu’il faisait en ce qui concerne — pas le premier renvoi, dans l’introduction ou dans le préambule —, mais celui qui figure dans la nouvelle loi qui réglemente les entreprises fédérales, parce qu’il faisait référence à l’Office de la langue française, et c’est là qu’il se trouve. Évidemment, dans cette nouvelle loi, le renvoi est nécessaire, car l’une des options prévues par le projet de loi est de permettre à une entreprise de choisir d’adopter le régime de la nouvelle loi ou le régime de la Charte de la langue française. Si on veut donner le choix à l’entreprise, on doit nommer l’autre loi, parce que les entreprises ont le choix entre un régime et un autre, conformément au projet de loi qui était proposé. C’est pour cela que la mention y était. Si je ne me trompe pas, c’est à cela qu’il faisait référence quand il a mentionné l’Office de la langue française.
[Français]
Le sénateur Cormier : J’aimerais obtenir une précision, madame la ministre. Vous parliez plus tôt de risque minimal en évoquant la Charte de la langue française; à quoi pensez-vous lorsque vous parlez de risque minimal par rapport à la Charte de la langue française?
[Traduction]
Mme Petitpas Taylor : Ma seule réponse à cette question — ensuite, à partir de là, je demanderai à la sous-ministre d’intervenir —, est que généralement, les avocats ne diront pas qu’il n’y a aucun risque. Ils disent toujours qu’il y a un risque minimal. C’était mon seul commentaire sur cette question, mais je demanderai à Mme Mondou si elle souhaite en dire un peu plus.
Mme Mondou : Je pense qu’il s’agissait plutôt d’une référence générale au conseil, et non à l’avis juridique précis concernant ce dossier. L’avis juridique précis, dans ce dossier, est celui que le ministre a exprimé.
[Français]
Le témoin du ministère de la Justice a dit ce qui suit :
Je ne vois pas en quoi les services offerts fédéraux par les institutions fédérales seraient compromis par la simple mention du fait que le gouvernement reconnaît la Charte de la langue française et les autres régimes linguistiques comme faisant partie du contexte global.
La présidente suppléante : Je vous remercie, madame la ministre Petitpas Taylor, ainsi que madame la ministre Fortier, d’avoir accepté notre invitation; vous avez fourni d’excellentes réponses à toutes nos questions.
Pour notre quatrième et dernier groupe de témoins aujourd’hui, nous accueillons avec plaisir, de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, Liane Roy, présidente, et Alain Dupuis, directeur général. Merci d’être parmi nous. Nous sommes prêts à entendre votre déclaration préliminaire. Une période de questions des sénateurs et sénatrices suivra. Madame Roy, la parole est à vous.
Liane Roy, présidente, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada : Honorables sénateurs, bonsoir. Je vous remercie de l’occasion qui nous est donnée de comparaître aujourd’hui dans le cadre de votre étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Nous avons parcouru beaucoup de chemin pour nous rendre jusqu’ici, et ce comité a joué un rôle très important dans ce parcours, avec une première et vaste étude qui a commencé en 2017 et a débouché sur la production de cinq rapports en 2019, puis une étude préalable du projet de loi C-13 en 2022. Le volume du travail que vous avez effectué, avec la profonde expertise que cumulent vos membres, rend tout à fait logique et approprié le choix de votre comité pour conseiller le Sénat sur cette question.
Quant aux communautés francophones et acadiennes, elles ont consenti un effort sans mesure au cours des six dernières années pour nourrir et informer de cette modernisation de la loi. La FCFA et ses membres ont produit des mémoires, généré une proposition de projet de loi en 2019, participé à des études et des consultations et travaillé avec des parlementaires de tous les partis. Nous estimons à plus de 400 le nombre de rencontres que nous avons eues sur la Colline sur cette question.
Lors des débats à l’étape de la deuxième lecture à la Chambre haute, plusieurs sénateurs et sénatrices ont parlé d’un moment historique, et ils ont raison. Il s’est établi, dans la dernière année, un consensus politique sur l’importance de protéger et de promouvoir le français. Ce consensus transcende tous les partis. Il a même généré une collaboration sans précédent entre le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral pour l’adoption du projet de loi C-13. Le mois dernier, 300 députés de tous les partis ont voté en faveur de ce projet de loi à l’autre endroit.
Pour reprendre une expression familière, les étoiles sont alignées d’une manière qui ne se produira peut-être plus, d’où le sentiment d’urgence qui nous habite, nourri par la fragilité du français et de nos communautés, mais aussi par la conscience qu’il faut profiter de cet alignement pendant qu’il existe.
Après des années de consultation et de réflexion qui ont généré un volume imposant d’observations sur le sujet, nous avons l’impression que tout a été dit et qu’il ne reste qu’à profiter de cette occasion pour donner au Canada une Loi sur les langues officielles forte, moderne et respectée.
Le projet de loi C-13 inclut une grande quantité de gains pour les communautés francophones et acadiennes. Permettez-moi d’en énoncer trois. Tout d’abord, le projet de loi renforce la coordination de la mise en œuvre de la loi. On l’a entendu tout à l’heure avec la présidente du Conseil du Trésor. On a établi que la présidence du Conseil du Trésor est appelée à assumer un rôle de premier plan à cet égard au sein du gouvernement fédéral. Le ministre du Patrimoine canadien devient responsable d’élaborer une stratégie quinquennale en matière de langues officielles, en consultation avec la présidence du Conseil du Trésor.
Deuxièmement, le projet de loi clarifie considérablement l’obligation des institutions fédérales d’adopter des mesures positives pour appuyer le développement de nos communautés et promouvoir nos deux langues officielles. Dans le projet de loi C-13, on précise que ces mesures doivent être concrètes et prises avec l’intention d’avoir un effet favorable sur nos communautés. Elles doivent être établies à la suite de consultations avec nos communautés et informées par des données probantes et des analyses confirmant leur pertinence.
Enfin, la première version du projet de loi C-13 prescrivait déjà l’adoption d’une politique fédérale en matière d’immigration francophone et les amendements apportés par la Chambre des communes ont renforcé et précisé les objectifs de cette politique. Considérant que l’immigration représente maintenant 100 % du renouvellement de la population active du pays, il était important pour nous que cette politique ait pour objectif explicite le rétablissement du poids démographique de nos communautés.
Les députés de la Chambre des communes ont fixé à 6,1 % le seuil visé, soit la proportion que formaient nos communautés en 1971.
Cela met la table pour une cible fédérale d’immigration francophone beaucoup plus élevée et pour des mesures en immigration créées spécifiquement en fonction des réalités de nos communautés.
Avec ce projet de loi, la liste des gains pour les communautés linguistiques en situation minoritaire est longue.
Je vous ai parlé d’urgence. Je pense au déclin du français, qui s’est poursuivi au cours des six années qui se sont écoulées depuis que nous avons entamé ce processus. Je pense aux trois années nécessaires pour adopter les décrets et règlements nécessaires à la mise en œuvre de la nouvelle loi.
Nos communautés ont été patientes. Je suis consciente que les effets de cette loi ne se feront sentir que dans quelques années. Je suis consciente du coût social pour la francophonie, chaque jour qui passera avant que cette loi soit pleinement en vigueur.
Pendant que je vous parle, je songe à ces parents qui ne parviennent pas à trouver une place en garderie en français pour leurs enfants, à ces gens qui peinent à se faire servir en français lorsqu’ils voyagent, à nos communautés qui travaillent d’arrache-pied pour mettre en place le nécessaire pour accueillir des immigrants et immigrantes, alors que le gouvernement a mis 20 ans pour atteindre une cible déjà insuffisante en matière d’immigration.
C’est au nom de ces gens que je vous demande de faire vite et de mener à la ligne d’arrivée ce projet de loi qui a l’appui de tous les partis de l’autre endroit et de lever l’incertitude que créerait un congé estival de trois mois, puisque vous savez, comme moi, que tout peut arriver dans un Parlement où le gouvernement est minoritaire.
Comprenez bien, honorables sénateurs et sénatrices, que je fais ce plaidoyer avec un profond respect du privilège parlementaire et du rôle qui est le vôtre. Seulement, je manquerais à mon devoir envers les communautés au nom desquelles je suis ici aujourd’hui si je ne soulignais pas à quel point les enjeux sont importants à ce stade-ci.
Je vous remercie de votre attention. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
La présidente suppléante : Merci beaucoup.
Pour l’instant, à part le sénateur Cormier, je n’ai personne sur ma liste qui souhaite poser des questions. Je me donne donc le privilège de commencer.
J’ai deux questions pour vous, mais je vais seulement vous poser la première et je poserai mes autres questions à la fin, au besoin. Cela vous apprendra, chers collègues, à ne pas lever votre main au bon moment.
Je veux vous parler des obligations juridiques en matière de langues officielles du gouvernement fédéral, qui ne s’arrêtent pas au moment des transferts aux provinces et aux territoires. Trop souvent, les minorités de langue officielle en situation minoritaire n’ont pas accès aux fonds auxquels elles ont droit pour s’épanouir et se développer.
Bien que le Comité des langues officielles de l’autre endroit ait adopté un amendement visant à favoriser l’inclusion de clauses linguistiques dans les accords avec les provinces et territoires, les dispositions ne sont pas contraignantes.
Croyez-vous que le langage utilisé permettra de voir des résultats?
Mme Roy : Merci pour cette question. Je crois que oui.
Comme vous le savez, au départ, quand on a commencé à discuter des amendements proposés lors du dépôt du projet de loi C-13, nous avions réclamé des clauses linguistiques très spécifiques. Au fur et à mesure que le projet de loi progressait, nous étions quand même très à l’aise avec les dispositions qui ont été prises pour préciser les mesures positives et les mesures liées aux consultations qui doivent être faites auprès des communautés dans tout ce qui touchera les transferts ou les ententes entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces et des territoires.
Nous pensons qu’il y a justement une obligation de vérifier et de consulter. Avec ces dispositions, nous savons qu’il y aura des discussions assez corsées entre les différents fonctionnaires qui sont responsables de mettre en place ces ententes et nous sommes à l’aise avec cela.
La présidente suppléante : Merci. Nous allons poursuivre avec les questions.
La sénatrice Clement : Bonjour à vous deux. Je suis heureuse de vous voir.
Madame Roy, vous parlez avec clarté et énergie. En tant que Franco-Ontarienne, je sais que cette communauté attend avec impatience l’adoption de ce projet de loi; la communauté a été patiente.
Je vous remercie tous les deux pour le témoignage et pour le travail acharné que vous faites depuis très longtemps.
Je veux vous poser une question sur les langues autochtones.
Dans son mémoire sur le projet de loi C-13, l’Assemblée des Premières Nations a fait savoir que les élèves des Premières Nations n’ont pas les mêmes chances d’apprendre une langue seconde. En effet, notre gouverneure générale, Mary Simon, n’a pas eu accès à l’enseignement en français.
Comment la communauté des langues officielles et les communautés minoritaires de langue officielle peuvent-elles soutenir les communautés autochtones pour améliorer l’accès à l’éducation dans la langue de la minorité?
Mme Roy : Merci pour cette question. Évidemment, nous avons beaucoup d’expérience de ce côté. Je pense qu’il y a des leçons que nous avons apprises que nous pourrions partager avec les communautés autochtones et les peuples autochtones.
Comme vous l’avez entendu aujourd’hui, il y a un autre dispositif en matière de langues autochtones qui pourrait être mieux en mesure de répondre à ces besoins auprès des communautés autochtones.
Nous sommes très ouverts au fait que l’ensemble des minorités ait accès à toutes sortes de services. Nous sommes tout à fait disposés à collaborer. Nous avons fait des efforts et nous avons rencontré différents groupes pour leur dire que si jamais les francophones pouvaient leur faire part des leçons qu’ils ont apprises, nous sommes très ouverts à cet égard.
La sénatrice Clement : Il y avait une mention dans le projet de loi C-13... Nous reconnaissons qu’il y a une Loi sur les langues autochtones, mais on nous dit aussi que ce n’est qu’un début, que ce ne sont pas toutes les communautés qui sont satisfaites et que les enjeux n’ont pas tous été traités au moyen de cette loi.
Seriez-vous contre l’ajout de la mention de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans le projet de loi C-13? Est-ce que cela enlèverait quelque chose aux communautés minoritaires de langue officielle?
Mme Roy : Je ne pense pas que cela enlève quoi que ce soit. Toutefois, dans le préambule du projet de loi, tel qu’il est rédigé, ce qui est indiqué au sujet des langues autochtones semble satisfaisant pour ne pas causer de problèmes ou d’entraves à l’évolution de ce qui pourrait se produire du côté des langues autochtones. À notre avis, ce qui est mentionné dans le préambule est assez positif.
La sénatrice Clement : Selon les groupes autochtones, ce n’est pas satisfaisant. Ils disent qu’il faut faire plusieurs choses pour créer de l’espace dans plusieurs lois — pas seulement dans le projet de loi C-13, mais aussi dans d’autres lois.
Ce que vous dites, c’est que cela n’enlèverait rien à vos communautés d’avoir une mention comme celle-là.
Mme Roy : Cela n’enlèverait rien à nos communautés, mais justement, comme vous l’avez mentionné plus tôt, nous avons été très patients jusqu’à maintenant. Cela fait quand même presque sept ans que nous travaillons sur ce projet de loi. Selon nous, l’important, c’est d’avoir une loi le plus rapidement possible afin de nous permettre de passer à autre chose. À ce moment-là, nous pourrions certainement travailler avec eux, nous pourrions collaborer en nous inspirant des leçons apprises et ainsi de suite. Pour l’instant, nous sommes assez satisfaits de ce qui se trouve dans le préambule.
La sénatrice Clement : Merci.
La sénatrice Mégie : On a répondu à ma question qui portait sur les clauses linguistiques. Ce n’est pas grave. J’ai une très courte question.
Dans la version du projet de loi C-13 que nous étudions maintenant, croyez-vous qu’il serait nécessaire d’ajouter une définition un peu plus détaillée de « minorité francophone »?
Mme Roy : Madame la sénatrice, nous avons réfléchi à cela, mais finalement, nous nous sommes entendus, en lisant le projet de loi C-13, pour dire que nous étions très à l’aise avec ce qu’il y a dans le projet de loi. Nous n’avons donc pas proposé plus d’amendements pour définir ce que sont les minorités linguistiques.
La sénatrice Mégie : Merci.
Alain Dupuis, directeur général, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada : J’aimerais ajouter un commentaire.
Je pense qu’il est important que le gouvernement du Canada reconnaisse quand même la spécificité du français en milieu minoritaire et la spécificité du français sur l’ensemble du territoire. Il y a des actions à entreprendre pour le français sur l’ensemble du territoire, mais il y a aussi des particularités pour ce qui est de vivre en milieu minoritaire.
Je crois que, de notre point de vue, nous avons quand même obtenu l’assurance que le gouvernement du Canada va continuer de soutenir les minorités de langue officielle, comme cela a toujours été le cas, mais qu’il y a aussi un potentiel de faire la promotion du français au Québec et sur l’ensemble du territoire. C’est quelque chose que l’on voit d’un bon œil.
La sénatrice Mégie : Merci.
Le sénateur Cormier : Bienvenue à vous et merci encore une fois pour tout le travail que vous avez accompli dans le domaine de cette réflexion et de ces actions en vue de moderniser la Loi sur les langues officielles. J’ai bien compris que la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada est prête à ce que le projet de loi soit adopté tel quel. On sait que l’adoption d’un projet de loi, c’est aussi parfois l’art de la négociation et du compromis.
Vous êtes manifestement heureux de la version actuelle et vous êtes prêts à assurer son adoption. Mes questions concernent plutôt les suites de l’adoption du projet de loi. Dans votre réflexion, quels sont les messages clés qui doivent être envoyés au gouvernement du Canada après l’adoption de ce projet de loi? Quelles sont vos principales préoccupations qui pourraient être transmises au gouvernement, dans le but de s’assurer qu’il ne s’assoit pas sur ses lauriers et qu’il continue le travail? Avez‑vous quelque préoccupation ou quelque suggestion à faire par rapport à cela?
M. Dupuis : Le travail de réglementation qui suivra l’adoption du projet de loi est très important, notamment la réglementation sur la partie VII de la loi. Dans la nouvelle partie VII, on insiste sur le fait que les mesures positives qui seront prises doivent être concrètes. On ne se lève pas un matin en décidant d’une petite mesure dans un bureau à Ottawa. Il faut un processus de consultation. Il faut une analyse d’impact. Il faut rassembler des données probantes. Nous le souhaitons. Cela va vraiment changer la façon de faire.
Il faut envoyer le message, dans l’ensemble des ministères, que la nouvelle partie VII n’est pas l’ancienne partie VII. Elle doit être appliquée et basée sur des données probantes et sur des consultations réelles, et pas seulement sur un coup de fil une fois par année avant qu’on soumette notre rapport sur la partie VII au Conseil du Trésor. Il faut un processus d’engagement. Pour nous, il sera très important de définir le cadre de ce processus d’engagement, avec plus de 200 institutions fédérales, auprès des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Ce sera majeur. Les communautés ont toujours eu une vision différente des ministères par rapport aux mesures positives. Pour nous, cela signifie que, chaque fois qu’il y a une nouvelle politique ou un nouveau programme fédéral, il doit y avoir quelque chose de précis et de spécifique qui répond aux besoins des communautés linguistiques. Ce n’est pas uniquement quelque chose à côté ou une case que l’on coche comme mesure positive. Cela définit comment nos grandes politiques nationales vont répondre aux besoins particuliers. Il faut un processus d’engagement beaucoup plus important que ce qu’on a vu par le passé. J’espère que le Conseil du Trésor et Patrimoine canadien seront engagés avec nous pour définir ce nouveau cadre dans la réglementation.
Mme Roy : Il y a aussi toute la question de la reddition de comptes. Cela fait partie du suivi, mais je voulais m’en assurer. C’est très important si on veut mesurer les résultats. On sait que la loi sera revue dans 10 ans. On veut s’assurer qu’on pourra avoir accès aux données probantes et à tout ce qui déterminera des changements futurs dans 10 ans. Les indicateurs de suivi, les indicateurs pour les évaluations, tout cela devra être assez clair. Je crois que c’est au moment d’établir la réglementation que l’on pourra discuter de ces éléments.
M. Dupuis : J’aimerais donner un exemple concret. Au cours la dernière année, on a créé un nouveau programme national de garderies sans aucun volet francophone, aucune clause linguistique, aucune enveloppe ou aucun nombre de places réservées à la francophonie canadienne. Ce n’est plus acceptable d’avoir de nouveaux programmes sociaux créés sans aucune mention des langues officielles. On a vu la même chose se produire récemment avec les transferts en santé avec les provinces et les territoires. Il n’y a eu aucune mention des besoins spécifiques des communautés francophones en matière de santé. Il faut que cela change. Il faut que la culture change et c’est ce que l’on souhaite avec les nouveaux outils que nous donne le projet de loi C-13.
Le sénateur Cormier : On parle beaucoup de la révision de la loi dans 10 ans. C’est quand même assez loin. On sait que le gouvernement n’est pas obligé d’attendre tout ce temps pour faire des modifications à la loi, s’il le souhaite. À votre avis, y a‑t‑il un travail qui doit se poursuivre pour faire en sorte que la loi soit affinée de plus en plus pour répondre aux besoins des communautés de langue officielle en situation minoritaire?
Mme Roy : On ne connaît pas l’étendue de tout cela. Le commissaire aux langues officielles parlait de vigie. Je crois qu’il sera très important de développer un service ou un centre de vigie pour être en mesure de tenir compte et de documenter les résultats lorsqu’on en sera à l’étape de réévaluer le projet de loi ou la loi dans 10 ans.
Le sénateur Cormier : Trouvez-vous que la notion de caractère réparateur des droits linguistiques est suffisamment mise de l’avant? Si c’est suffisant ou si ce ne l’est pas, comment est-ce que cela devrait se refléter dans la réglementation?
M. Dupuis : À notre avis, c’est un principe d’interprétation qui est clairement indiqué dans le projet de loi. Ce que nous avons apprécié, par rapport à l’immigration francophone, c’est qu’on a spécifié que la nouvelle politique devait rétablir le poids démographique à ce qu’il était au premier recensement après l’adoption de la première Loi sur les langues officielles.
Il faut toutefois s’assurer que, dans la mise en œuvre, ce caractère réparateur ne soit pas juste un principe parmi d’autres. Cela veut dire qu’il faut faire mieux et différemment. Plus particulièrement, par rapport à l’immigration francophone, on parle de réparer 50 ans de dommages, mais cela veut dire qu’il faut structurer la démarche et qu’il ne faut pas attendre encore 50 ans pour corriger le tir.
Le sénateur Cormier : Merci.
Le sénateur Mockler : Premièrement, je m’en voudrais de ne pas féliciter Mme Roy et son équipe pour le rôle qu’ils ont joué et qu’ils vont sans doute continuer de jouer. La FCFA fait un travail exceptionnel et extraordinaire à travers le pays. Il faut une seule visite chez les francophones dans les provinces autres que le Québec, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick pour s’en rendre compte.
Est-ce que le projet de loi aurait pu aller plus loin?
Mme Roy : Bien sûr. On peut toujours demander d’aller plus loin dans les projets de loi. Cependant, je crois que, avec les conditions dans lesquelles nous vivons actuellement et avec le contexte actuel, on est quand même très satisfait du projet de loi tel qu’il est maintenant.
Le sénateur Mockler : Est-ce que la situation des francophones à travers le pays et du peuple de l’Acadie est meilleure avec ce projet de loi que sans?
Mme Roy : Absolument.
Le sénateur Mockler : Pouvez-vous préciser?
Mme Roy : J’ai aussi toute une liste des gains que nous obtenons avec ce projet de loi que je n’ai pas mentionnés dans mon texte, parce que cela aurait pris trop de temps. Il y a beaucoup de gains. Si vous me le permettez, je vais quand même vous en donner quelques autres. Pour ce qui est du préambule de la loi, il y a la reconnaissance de l’importance des deux langues officielles et de l’apprentissage de celles-ci pour le renforcement des communautés.
Dans la mise en œuvre de la loi, il y a la coordination de la mise en œuvre de la loi par la présidence du Conseil du Trésor en collaboration avec le ministre du Patrimoine canadien, y compris des mesures claires de suivi et de reddition de comptes qui devront être mises en œuvre par le Secrétariat du Conseil du Trésor. Cela renforcera notamment l’application de la partie VII de la loi par les institutions fédérales au bénéfice des communautés; cela se trouve à l’article 4.
Pour ce qui est de l’accès à la justice, je peux peut-être vous donner les grands titres sans vous donner les détails. L’accès à la justice, les services bilingues, tout ce qui va se faire dans la fonction publique, c’est-à-dire les sous-ministres, les sous-ministres adjoints, les délégués et les superviseurs devront avoir les capacités communicationnelles requises dans les deux langues officielles. On a parlé des mesures positives. Aussi, les pouvoirs...
La présidente suppléante : Madame Roy, nous avons le temps. Vous pouvez prendre tout le temps qu’il faut.
Mme Roy : Alors je vais le faire. Donc, les mesures positives pour les communautés : premièrement, on précise ce que signifient les mesures positives et on dit que celles-ci doivent être concrètes. Avant, un gazouillis pouvait être considéré comme une mesure positive. Cela ne fonctionnera plus. Il y a une obligation d’appuyer des secteurs essentiels à l’épanouissement des minorités anglophones et francophones, notamment la culture et l’éducation, de la petite enfance jusqu’au postsecondaire, la santé, la justice, l’emploi et l’immigration et de protéger et promouvoir la présence d’institutions fortes qui desservent ces minorités; cela figure à l’article 21.
Il y a aussi d’autres gains : le renforcement des mesures de consultation et de collecte de données auprès des communautés pour déterminer les mesures positives des institutions fédérales; l’obligation d’évaluer l’impact potentiel de l’inclusion de clauses linguistiques dans les ententes de transfert entre le fédéral et les provinces et territoires; l’obligation d’informer les communautés en priorité au moment de l’aliénation d’un immeuble fédéral; l’obligation du ministre de l’Immigration, de la Citoyenneté et des Réfugiés d’adopter une politique d’immigration francophone qui assurera le rétablissement et la croissance du poids démographique de la francophonie canadienne à ce qu’il était en 1971. Cette mesure est une mesure spécifique qui touche seulement la minorité francophone et qui va encore plus loin que ce que l’on réclamait.
Il y a aussi l’élargissement des pouvoirs du commissaire, car on lui octroie notamment la capacité d’émettre des ordonnances et d’imposer des sanctions pécuniaires aux institutions réfractaires dans le domaine du transport; on a confié également au commissaire, dans le projet de loi C-13, un nouveau pouvoir d’ordonnance pour qu’il s’applique à la partie VII de la loi; c’est très important pour nous. Ainsi, le commissaire pourra forcer les institutions fédérales à refaire le travail si elles n’ont pas consulté les communautés ou si elles n’ont pas évalué l’impact de leurs décisions sur les communautés en situation minoritaire. Il y a aussi la révision de la loi tous les 10 ans; c’est également très important, car cela permettra aux communautés de contribuer au renforcement et à l’avenir de la loi. Je pourrais vous fournir encore plus de détails, mais je vais m’arrêter ici.
Le sénateur Mockler : Si vous avez d’autres détails, n’hésitez pas.
Mme Roy : C’est bon; je crois que vous avez le portrait.
La présidente suppléante : Je peux vous donner du temps, parce que je crois que la réponse est importante. Sénateur Mockler, si vous avez une question complémentaire, allez-y.
Le sénateur Mockler : Ma question porte sur les dispositions concernant les négociations entre les provinces et les territoires afin de solidifier davantage la présence du gouvernement dans les communautés anglophones et francophones en situation minoritaire partout au pays.
Selon votre expérience, comment peut-on aider le gouvernement fédéral au sein des deux ministères dont il a été question plus tôt?
Mme Roy : Avec toutes les précisions entourant les mesures positives et les obligations de consulter les communautés, de recueillir des données et même de prévoir l’impact sur les communautés, je pense qu’on devrait avoir des mesures qui pourraient offrir aux provinces et aux territoires des occasions d’amener dans les communautés ce qui doit se rendre dans les communautés.
Comme on l’a dit au sujet du programme de garderies, il était difficile d’évaluer l’impact de ce beau programme dans les communautés. Cependant, je pense que si la loi avait été en vigueur, cela aurait été très différent.
Le sénateur Mockler : J’aurais une dernière question. Comment peut-on rassurer nos communautés au sujet du programme de garderies francophones? Quelle sera la prochaine mesure qui sera prise pour sensibiliser le gouvernement?
Mme Roy : Dans les négociations, c’est déjà fait. Par contre, si c’était à refaire et si on avait le projet de loi C-13 tel qu’il est rédigé actuellement, lors des négociations entre les fonctionnaires des différentes provinces, des territoires et le gouvernement fédéral, il y aurait eu des discussions pour déterminer si ces provinces et territoires avaient consulté les communautés, pour déterminer ce qui devrait figurer dans ces ententes par rapport aux garderies. Est-ce qu’on connaît le nombre de garderies? Est-ce qu’on a les bons chiffres pour déterminer les sommes d’argent qui devraient être allouées aux communautés? Cela s’applique aux deux groupes, soit aux anglophones au Québec ou aux francophones hors Québec.
Le sénateur Mockler : Il y a assurément une leçon à en tirer. Si je reviens aux années 1970, 1980 ou 1990, le Nouveau-Brunswick a mené des consultations avec les trois grands centres que nous avons actuellement, c’est-à-dire le Centre scolaire Samuel-de-Champlain, à Saint-Jean, le Centre communautaire Sainte-Anne, à Fredericton, et le Carrefour Beausoleil, à Miramichi. Selon vous, si les pratiques utilisées à l’époque étaient adaptées à la situation actuelle, est-ce que les provinces et les territoires en bénéficieraient davantage?
Mme Roy : Je pense que oui, parce qu’à ce moment-là il n’y avait pas les dispositions qui existent maintenant. Ces trois centres ont fait leurs preuves et ont prouvé que c’était un très bon système. Cela correspond exactement à ce dont on parle lorsqu’on parle de clauses linguistiques ou d’ententes, parce que cela touche directement le domaine de l’éducation et les services en français.
Le sénateur Mockler : Merci, madame Roy.
La sénatrice Clement : Encore une fois, merci de votre travail; je reconnais votre impatience. Je la comprends. Par ailleurs, j’ai eu une conversation avec une enseignante il y a quelques mois, quand j’ai visité une école qui enseigne la langue mohawk aux enfants. J’ai parlé du fait que je suis francophone, que je défends ma langue et que je m’inquiète de la survie de ma langue en contexte minoritaire.
L’enseignante m’a répondu ceci : « Vous avez eu accès à votre langue maternelle, vous y avez toujours eu accès. Cela a été difficile, plus ou moins clair, il y a eu des défis, mais vous y avez eu accès. » Je suis restée silencieuse face à ce commentaire.
Donc, je siège ici, à ce comité, et je dois continuer à soulever cette question de la réconciliation et à dire que ce n’est pas seulement le travail du gouvernement, que c’est aussi le travail de tout le monde ici, de tout le monde à l’extérieur.
J’ai posé la même question à Mme Joan Fraser. En contexte minoritaire, parce qu’on est dans la position de défendre et de veiller à la survie de notre langue, est-ce plus compliqué et plus difficile pour nous de créer de l’espace pour les langues autochtones? Étant donné qu’on est déjà sur la défensive, est-ce que c’est un défi dans un contexte minoritaire?
Mme Roy : Je ne pense pas que soit un défi pour nous. Toutefois, j’aimerais entendre de la part des communautés ce qu’elles aimeraient voir comme espace, parce que c’est à elles de nous dire ce qu’elles souhaitent. De notre côté, nous sommes très ouverts aux besoins des autres minorités. Nous les avons toujours appuyées. Comme je le disais plus tôt, pour ce qui est de la Loi sur les langues autochtones, nous étions là puisque nous avons un engagement envers la réconciliation. Pour nous, cependant, ce serait important que les communautés nous disent où elles veulent se situer.
Nous avons offert un webinaire sur les langues autochtones pour essayer d’amorcer le dialogue, afin de savoir comment on peut collaborer. Comme je vous l’ai dit, je pense que c’est important que les gens aient accès à des programmes linguistiques. Par contre, si je me fie à ce qu’on a entendu ce soir, je ne pense pas que ce soit le bon véhicule pour cela.
La sénatrice Clement : J’apprécie votre franchise et je sais que certains groupes autochtones ont soumis des avis au comité de l’autre endroit en indiquant exactement ce qu’ils recherchent. Ils ont soumis quelque chose.
Mme Roy : Je n’étais pas au courant.
La sénatrice Clement : Je ne sais pas si M. Dupuis veut ajouter quelque chose.
M. Dupuis : Je pense simplement que, en tant que communauté minoritaire, on peut comprendre le déchirement qui vient avec le fait de ne pas connaître sa langue ou même de la perdre au cours de sa vie.
Dans certains milieux minoritaires francophones au pays, jusqu’à 70 % des francophones perdront leur langue au cours de leur vie. De mon point de vue, je pense qu’il faut être solidaire et reconnaître la fragilité de l’ensemble des langues minoritaires, surtout les premières langues de ce pays.
Le sénateur Cormier : Je vais continuer dans la même veine que ma collègue sur la question de l’éducation.
Je crois que les francophones en situation minoritaire n’ont pas toujours eu accès à l’éducation francophone, et Dieu sait qu’il y a encore de nombreux défis pour ce qui est d’avoir un accès adéquat à l’éducation en langue française au Canada. Donc, la compréhension des enjeux liés au non-accès est grande.
On parle de façon plus précise du continuum en éducation, de la petite enfance au postsecondaire; on parle de l’apprentissage tout au long de la vie, d’apprentissage formel et informel. Madame Roy, je sais que vous venez du secteur de l’éducation. Comment voyez-vous les conséquences positives de cela sur le terrain, après l’adoption du projet de loi, si vous avez quelque chose à nous dire à ce sujet?
Mme Roy : Je pense que je vais me baser sur ce dont on a déjà discuté ce soir, par rapport aux transferts entre les provinces et territoires, parce que ce sont des compétences provinciales et territoriales.
Tout ce qui touche la consultation et les mesures positives sont des éléments qui contribueront à donner un accès, parce que quand on parle de la petite enfance, on parle des garderies. On parlait du programme national de garderies et de l’enseignement postsecondaire; c’est aussi une sphère de compétence provinciale et territoriale. Je pense qu’avec ce projet de loi, on pourrait avoir des services améliorés.
On parlait aussi d’immigration francophone. Avec la politique en matière d’immigration francophone, on parle d’établir des cibles et des indicateurs. Dans le contexte de l’enseignement postsecondaire, où l’on a des étudiants et étudiantes qui viennent d’ailleurs, nos plus petites communautés peuvent souvent offrir des programmes, parce qu’elles reçoivent des étudiants étrangers.
Ce sont des exemples, mais le fait est que, avec cette politique d’immigration francophone, on pourra amener plus de francophones dans les régions rurales de nos communautés. Cela donne également des exemples pour ce qui est des populations à desservir.
Le sénateur Cormier : En ce qui concerne le nouveau plan d’action, qui est l’un des instruments de mise en œuvre du projet de loi C-13, est-ce que vous êtes satisfaite de ce qu’il contient?
En matière d’éducation, et plus précisément dans l’enseignement postsecondaire, on connaît les enjeux qui existent partout sur le territoire pour les établissements. Est-ce que le plan d’action répond à certaines de ces préoccupations, à votre avis?
Mme Roy : Le plan d’action, comme vous le savez, a obtenu des montants historiques. Quand on analyse tous les différents secteurs, peut-être qu’à première vue, il y avait un peu moins d’argent pour le postsecondaire qui avait été promis. Par contre, quand on analyse cela de plus près et qu’on voit que la formation en santé n’est pas comptabilisée avec l’enseignement postsecondaire, on voit qu’il y a d’autres éléments qui font en sorte que c’est un très bon plan d’action, à mon avis. Les gens vont pouvoir s’organiser et offrir de très bons services, parce que ce sont des montants historiques.
Le sénateur Cormier : Merci beaucoup.
La présidente suppléante : Je reviens avec deux questions.
La première concerne quelque chose que vous aviez déjà demandé, soit que le gouvernement tienne compte des besoins du Réseau des ayants droit (RAD) dans le cadre du processus d’aliénation des biens immobiliers fédéraux.
Il y a un amendement qui a été adopté par la Chambre des communes et qui prévoit que les ministères et institutions fédérales devront consulter les communautés minoritaires et tenir compte de leurs besoins et priorités dans le cadre d’une stratégie d’aliénation. Est-ce que cette modification est satisfaisante, en premier lieu?
De manière générale, pourriez-vous nous indiquer les observations qui vous semblent les plus importantes et qu’il conviendrait d’intégrer à notre rapport? En effet, nous aurons un rapport à présenter — et nous avons bien compris le message selon lequel les modifications ou les amendements au projet de loi ne seraient pas vraiment les bienvenus —, mais nous pouvons quand même présenter des observations.
C’est dans ce cadre que je voudrais vous entendre.
Mme Roy : Je pense qu’on a déjà donné des éléments de réponse, mais je vais les répéter.
Quand M. Dupuis parlait tout à l’heure de ce qu’il aimerait voir dans la mise en œuvre ou la réglementation, je pense que cela se situe dans les grands principes qui pourraient être intéressants et que vous pourriez présenter dans vos observations, c’est-à-dire de s’assurer qu’on mesure la reddition de comptes et qu’on voit l’ensemble des actions, pas seulement des actions très ciblées, mais l’ensemble des actions qui seront exigées par cette loi. C’est ce qui est important. C’est souvent la question de mesurer qui est absente, et c’est ce dont on s’est rendu compte.
Si on retourne en arrière, on a eu parfois de la difficulté à savoir ce qui a bien fonctionné; on a des anecdotes, mais on n’a pas de données probantes. Il est important de s’assurer que la partie de la reddition de comptes est bien présente. Je ne sais pas comment on peut préciser ce qu’on entend par les différents principes, mais le caractère réparateur est très important.
Cela couvre tout, l’immigration francophone et l’ensemble des interventions qui pourraient être faites à la suite de l’adoption de cette loi.
M. Dupuis : Je pense particulièrement aux écoles : c’est important que ce ne soit pas juste un exercice de consultation. Il faut que le gouvernement fédéral donne priorité à l’accès aux communautés de langue officielle en situation minoritaire dans la vente de biens immobiliers. C’est une chose de consulter, mais on peut toujours ignorer la consultation ou, ultimement, décider de vendre à un plus gros acheteur.
Cette idée que le gouvernement fédéral puisse aliéner des biens et contribuer à cet esprit réparateur en favorisant d’abord les achats de la part des communautés minoritaires pourrait être un exercice dans la mise en œuvre de la loi qui pourrait être très bénéfique pour la communauté.
La présidente suppléante : Vous avez mentionné tout à l’heure le nouveau programme national de garderies et les transferts en matière de santé, où il n’y a absolument eu aucune mention des langues officielles. Cela pourrait également faire partie des observations présentées.
Ce qui est toujours dérangeant avec une loi comme le projet de loi C-13, c’est qu’elle n’est pas contraignante ni nécessaire pour les ministères. Pour ce qui est de l’aliénation, on peut juste dire : « Ah, j’ai oublié », et quand c’est vendu, il n’y a plus rien à faire. C’est peut-être parce qu’il n’y a pas cette contrainte à l’intérieur de la loi.
Ma deuxième question est la suivante : vous avez parlé du déclin du français au Canada, à travers les années, et plus spécifiquement depuis 1971. Pourriez-vous nous parler des répercussions concrètes sur les communautés en situation minoritaire, advenant une adoption tardive du projet de loi C-13?
M. Dupuis : Par exemple, les seuils d’immigration pour le Canada doivent être déterminés en novembre prochain pour les trois prochaines années. On sait que le ministère fait tout un exercice de consultation sur l’immigration qui commence maintenant et qui se terminera probablement à la fin de l’été ou au début de l’automne pour l’immigration, pour déterminer les cibles pour les trois prochaines années pour le pays en entier, y compris l’immigration francophone. Donc, si on n’a plus le projet de loi C-13, qui donne une directive très claire selon laquelle il nous faut des cibles réparatrices, cela pourrait avoir un impact pour les trois prochaines années.
La présidente suppléante : Merci beaucoup.
Le sénateur Mockler : J’aimerais avoir plus de précisions sur l’immigration.
Si vous aviez trois recommandations à faire au gouvernement, quelles seraient les trois recommandations prioritaires grâce auxquelles on pourrait améliorer l’immigration francophone?
Mme Roy : Trois priorités par rapport à l’immigration?
Le sénateur Mockler : Oui.
Mme Roy : Premièrement, ce sont les cibles réparatrices. Il faut avoir des cibles très ambitieuses pour être en mesure de réparer les torts du passé; c’est très important.
Avec la nouvelle politique, il faudrait qu’il y ait un aspect systémique, c’est-à-dire comment le ministère s’attend à traiter l’immigration francophone. Je pense qu’il faut qu’il y ait des changements au sein de l’appareil pour en arriver à établir une très bonne politique en immigration francophone.
Je sous-entends que, avec l’augmentation des cibles, pour en arriver à cela, il faut avoir des programmes qui sont destinés spécifiquement aux francophones. Comme vous le savez, on parle souvent du « par et pour », mais il faudrait qu’il y ait des programmes taillés sur mesure pour les communautés francophones, parce qu’on dit qu’on ne fait pas de l’immigration dans nos communautés rurales francophones comme partout dans les grandes villes. Cela a tout à voir avec les cibles réparatrices. Il y a la politique, bien entendu, et tout ce qui touche les services dans les communautés pour accueillir ces gens. C’est bien d’aller en chercher plus, mais il faut pouvoir bien les accueillir, pour les retenir et pour s’assurer qu’il y a une bonne cohabitation dans les communautés.
M. Dupuis : J’ajouterais que, pour avoir du succès en milieu minoritaire francophone, il faut apprendre les deux langues officielles. Souvent, la personne immigrante doit choisir l’une ou l’autre des langues officielles lorsqu’elle arrive au pays, alors que pour réussir, il faut connaître et travailler dans les deux langues officielles. Voilà un exemple d’une manière d’adapter les programmes pour tenir compte de notre réalité.
Toute l’infrastructure communautaire doit être bonifiée et renforcée. Il faut que les services soient offerts par des organismes francophones plutôt que par des organismes anglophones qui offriraient des services en français. On est dans le « par et pour ». On a développé un réseau de services d’établissement. Au cours des cinq dernières années, on est passé de 50 à 80 fournisseurs de services d’établissement francophones à travers le pays. Il faut continuer d’augmenter ces capacités et de développer ces services sur le terrain.
Le sénateur Mockler : Pour les deux groupes en situation minoritaire?
M. Dupuis : Pour les francophones en situation minoritaire.
Le sénateur Mockler : Pour les francophones en situation minoritaire. Merci.
La présidente suppléante : Merci. Chers collègues, nous en sommes à la fin de nos questions pour la FCFA. J’aimerais vous remercier de l’excellent travail que vous avez fait. Vous avez été porteurs de ce dossier pendant plusieurs années. On arrive à la fin du processus; on souhaite que tout se passe bien et que le bébé arrive à terme et en bon état.
Sur ce, je vous remercie très sincèrement. Chers collègues, cela met fin aux témoignages pour aujourd’hui. J’aurais une ou deux mentions à faire avant d’ajourner la séance.
La date limite pour les observations unilingues, c’est demain, et 17 heures jeudi pour les observations bilingues. Si vous les envoyez dans une seule langue, le personnel s’occupera de les faire traduire. Le greffier partagera les observations qu’il recevra. L’analyste les rassemblera et apportera de légères modifications pour qu’il y ait de la concordance.
Lundi, après l’étude article par article, le comité se prononcera sur chaque observation et procédera à l’adoption des observations, paragraphe par paragraphe.
Enfin, j’aimerais prendre le temps de remercier toutes les personnes qui ont participé à la réunion de ce soir. On fonctionne bien ici parce qu’on a des gens qui font de l’interprétation et qui s’occupent de la technique, des gens qui nous accompagnent dans notre travail. À chacun et chacune de vous, vous êtes essentiels à notre bon fonctionnement. À tous ceux qui ont participé à la réunion, mesdames et messieurs les sénateurs, merci beaucoup.
(La séance est levée.)