LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 30 octobre 2023
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier l’application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi, et pour étudier les services de santé dans la langue de la minorité.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma droite.
Le sénateur Carignan : Claude Carignan, division sénatoriale de Mille Isles, au Québec.
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick, Saint-Louis-de-Kent.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, division sénatoriale d’Inkerman, au Québec.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.
Le président : Bienvenue, chers collègues.
[Traduction]
Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues, à vous ainsi qu’aux téléspectateurs de partout au pays qui nous regardent. Je tiens à souligner que les terres à partir desquelles je vous parle font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
[Français]
Ce soir, nous accueillons l’honorable Anita Anand, présidente du Conseil du Trésor, pour discuter du Rapport annuel sur les langues officielles 2021-2022 du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada.
[Traduction]
Nous avons aussi le plaisir d’accueillir l’honorable Randy Boissonnault, ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles, pour discuter du Rapport annuel sur les langues officielles 2021-2022 de Patrimoine canadien.
[Français]
Ils sont accompagnés d’un fonctionnaire du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada : Carsten Quell, directeur exécutif, Centre d’excellence en langues officielles, Bureau de la dirigeante principale des ressources humaines.
[Traduction]
Ils sont également accompagnés de fonctionnaires de Patrimoine canadien : Isabelle Mondou, sous-ministre; et Julie Boyer, sous-ministre adjointe, Langues officielles, patrimoine et régions.
[Français]
Bonsoir, madame la ministre et monsieur le ministre. Bienvenue parmi nous. Nous sommes prêts à entendre vos remarques préliminaires sur vos rapports annuels. Vous comprendrez sans doute que les membres du comité auront des questions à vous poser par rapport à l’avenir. Félicitations pour vos nouvelles fonctions. Nous sommes très heureux de vous écouter.
La parole est à vous, madame la ministre Anand.
L’honorable Anita Anand, c.p., députée, présidente du Conseil du Trésor : Merci beaucoup et bonjour, monsieur le président.
[Traduction]
Avant de commencer, j’aimerais souligner que les terres sur lesquelles nous sommes réunis font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
[Français]
Je vous remercie de votre invitation à comparaître devant le Comité sénatorial permanent des langues officielles. Aujourd’hui, je suis accompagnée de Carsten Quell, directeur exécutif du Centre d’excellence en langues officielles du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada. Merci, Carsten, d’être ici avec moi. C’est un grand plaisir de me présenter devant vous aujourd’hui avec mon cher collègue le ministre Boissonnault.
Pour moi, depuis un tout jeune âge, le bilinguisme a toujours été une priorité. Je suis née à Kentville, en Nouvelle-Écosse. Mes parents y ont immigré de l’Inde. J’ai fait l’effort, depuis un jeune âge, d’apprendre la langue française. Mon père me rappelait souvent l’importance d’apprendre la langue française. J’ai appris le français à l’école, à l’université et dans les cours d’immersion.
En tant que ministre fédérale, le fait de parler les deux langues officielles n’est pas seulement une bonne chose à faire; c’est une responsabilité que nous prenons tous, bien sûr, très au sérieux. C’est pourquoi je suis des cours régulièrement et je rappelle à mon équipe de communiquer avec moi en français pour que je puisse continuer de m’améliorer et de parler en français.
De plus, je dis souvent aux fonctionnaires qu’ils ont toujours le choix de m’envoyer des documents en français ou d’avoir des sessions de breffage en anglais ou en français.
J’ai été professeure d’université avant d’être députée. Quand j’étais professeure, je n’avais pas l’occasion de parler le français. Il s’agit pour moi d’une excellente occasion efficace de parler le français au sein du gouvernement, surtout à titre de présidente du Conseil du Trésor et dans le contexte de du projet de loi C-13.
Quand j’avais 17 ans, tout comme le ministre Boissonnault, j’ai participé au Forum pour jeunes Canadiens. Nous n’étions pas là en même temps. Cette expérience m’a beaucoup aidée à parler les deux langues officielles et à comprendre la nécessité de les parler lorsqu’on est au Sénat ou à la Chambre des communes.
Permettez-moi maintenant de livrer des remarques sur le mandat du Conseil du Trésor. Il s’agit de garantir un droit fondamental à tous les Canadiens et toutes les Canadiennes : celui de recevoir les services du gouvernement du Canada dans la langue officielle de leur choix. Je suis heureuse de constater qu’au fil des ans, nous avons vu la fonction publique fédérale devenir de plus en plus bilingue.
[Traduction]
La loi modernisée élargit le rôle du Conseil du Trésor pour y inclure la vitalité des communautés minoritaires francophones et anglophones, la promotion des deux langues officielles dans la société canadienne ainsi que la protection et la promotion de la langue française. En outre, cette nouvelle loi me confie, en ma qualité de présidente du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, un rôle de premier plan en matière de gouvernance et de mise en œuvre des langues officielles au sein du gouvernement.
Je tiens à dire que je prends ce rôle très au sérieux.
[Français]
J’aimerais souligner que la loi modernisée renforce le leadership bilingue dans la fonction publique. Mon ministère est en train d’élaborer des règlements qui fourniront un cadre pour nous assurer que nous respectons les articles de la loi. Je travaillerai sur ce dossier avec le ministre Boissonnault et j’impliquerai également toutes les parties prenantes.
[Traduction]
En conclusion, monsieur le président, les langues officielles du Canada sont une caractéristique déterminante de ce que nous sommes en tant que pays. Cela peut sembler banal, mais je tiens à dire à quel point je prends au sérieux mon rôle de présidente du Conseil du Trésor.
[Français]
J’ai rencontré le commissaire la semaine dernière. Nous avons discuté de ce sujet et nous avons rappelé que c’est une question de diversité et d’inclusion. Ce n’est pas seulement une question de langues officielles. Nous devons nous assurer que tout le monde peut communiquer et travailler dans la langue de son choix. Donc, je suis ici avec ces sentiments. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
[Traduction]
Mais je veux que vous sachiez à quel point je suis profondément attachée à nos deux langues officielles et au travail que je peux faire avec le projet de loi C-13.
Le président : Merci beaucoup pour votre déclaration, madame Anand. Nous aurons assurément des questions à vous poser.
[Français]
Avant cela, nous allons donner la parole à l’honorable Randy Boissonnault, ministre des Langues officielles. Monsieur le ministre, la parole est à vous.
L’honorable Randy Boissonnault, c.p., député, ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles : Merci beaucoup, monsieur le président. Honorables sénateurs, j’aimerais également souligner que nous sommes réunis sur le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe.
C’est une joie d’être ici parmi vous. Je suis très content d’avoir l’occasion de passer ces moments avec vous avec ma très chère collègue et amie la présidente du Conseil du Trésor. Comme vous l’avez mentionné, monsieur le président, je suis ici avec Isabelle Mondou, sous-ministre de Patrimoine canadien, et Julie Boyer, sous-ministre adjointe, Langues officielles, patrimoine et régions.
[Traduction]
Je suis honoré de comparaître devant ce comité en ma nouvelle qualité de ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles. J’abrège ce titre en « ministre de l’Emploi et des Langues officielles ». J’estime beaucoup le travail de ce comité pour contribuer à ce que les deux langues officielles du Canada soient respectées et valorisées.
[Français]
En tant que Franco-Albertain, je sais ce que c’est de vivre, grandir et étudier en français, et de tenter de creuser un terrain francophone, francophile, francocurieux et francoqueer dans l’Ouest canadien, en Acadie ou dans le Grand Nord. Ce n’est pas évident, mais nous sommes ici à cause des politiques et processus que des gouvernements successifs ont mis en place. J’aimerais, du fond du cœur, m’assurer que la francophonie albertaine et canadienne peut s’épanouir et s’enrichir du talent de plus de gens partout au pays. Je suis convaincu que c’est la même chose dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire d’un océan à l’autre.
En tant que ministre, j’ai de nouvelles responsabilités qui m’enthousiasment et je vais y consacrer toute mon énergie. Ma priorité sera de mettre en œuvre la modernisation du régime linguistique canadien. En septembre, j’ai eu la chance de souligner la contribution de votre comité à cette modernisation, et je profite de l’occasion de vous remercier encore une fois de votre remarquable travail.
[Traduction]
Le 20 juin 2023, la Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada est entrée en vigueur. La mise en œuvre de cette loi nous aidera à favoriser la langue française partout au Canada, y compris au Québec, et à accroître la prospérité et la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire.
[Français]
La loi reconnaît que l’immigration francophone est essentielle pour contribuer au rétablissement du poids démographique des francophones en milieu minoritaire et la loi modernisée permettra d’augmenter notre appui à l’éducation dans la langue minoritaire, du berceau à la berçante, pour assurer un véritable continuum de l’éducation.
Enfin, la loi comprend de nouvelles obligations pour que toutes les institutions fédérales prennent des mesures positives en faveur des langues officielles.
Les intervenants et les communautés ont bien accueilli nos efforts en vue de renforcer la partie VII de la loi. C’est un excellent point de départ et je vais collaborer avec la présidente du Conseil du Trésor au développement du règlement envisagé pour la mise en œuvre de la loi. Je vous invite à poser des questions là-dessus.
En tant que ministre des Langues officielles, je veillerai également à la mise en œuvre du Plan d’action pour les langues officielles de 2023-2028. Ce plan d’action porte notre investissement dans les langues officielles à un montant historique de 4,1 milliards de dollars sur cinq ans. Grâce à ce financement, notre gouvernement pourra faire avancer les objectifs de la loi et appuyer des projets concrets dans les communautés, comme l’immigration francophone, l’éducation tout au long de la vie et le soutien aux organismes communautaires. Le gouvernement fédéral doit être exemplaire. Nous savons tous ici que nos investissements en matière de langues officielles ont des impacts concrets dans les communautés.
On va continuer de faire notre travail, parce qu’on a financé plusieurs projets d’infrastructures scolaires et communautaires, des programmes pour l’enseignement dans la langue des minorités, la création d’emploi pour les jeunes et j’en passe. Ce sont de belles réalisations et je vais m’assurer de veiller à ce travail se poursuive avec la collaboration de tous.
Mesdames et messieurs les membres du comité, ma très chère collègue a fait allusion à une anecdote, alors j’aimerais conclure mes remarques en précisant que j’avais 15 ans. Il y a un professeur qui m’avait mis la puce à l’oreille et conseillé de venir à Ottawa pour participer au Forum pour jeunes Canadiens, ce que j’ai fait. Ma mère craignait cela parce qu’elle pensait que si elle me mettait dans un avion je ne voudrais plus jamais voulu revenir à la maison; elle avait à moitié raison. Cela dit, l’expérience a été marquante et amusante. Je n’étais pas capable de parler avec la moitié des délégués, parce que mon français n’était pas assez bon.
Je suis allé étudier au Campus Saint-Jean et je me suis forcé à apprendre la langue de Molière. Je n’étais même pas capable de mettre deux phrases ensemble lorsque j’ai commencé. Je n’aurais jamais cru devenir ministre des Langues officielles. Je suis donc un produit du système qui a été mis en place depuis 1968, et ce, avant même d’être né. Je suis donc très fier d’être ici comme chef d’orchestre de tout ce beau processus en vue de valoriser nos réalisations en matière de dualité linguistique ici. Merci.
Le président : Nous allons donc commencer la période des questions. Je rappelle à mes collègues qu’ils auront cinq minutes par question, y compris la réponse. Je vais poser la première question, si vous me le permettez.
La question principale que je me pose sur les nouveaux mandats qui sont les vôtres sont les suivantes : qui, quoi et quand?
En d’autres mots, à quel moment, par exemple, les décrets seront-ils pris afin d’assurer la mise en œuvre de la politique en matière d’immigration francophone, le régime de sanctions administratives pécuniaires, le décret sur la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale? Comment allez-vous collaborer sur ces décrets? Comment allez-vous collaborer et qui fera quoi pour assurer le développement d’un règlement de l’application de la partie VII de la loi?
Alors, comment allez-vous travailler ensemble? Cette question est fondamentale, me semble-t-il, pour lancer la conversation. Quand vous y aurez répondu, je donnerai la parole à la vice-présidente du comité, la sénatrice Poirier.
Mme Anand : J’aimerais dire que mes responsabilités se trouvent auprès des fonctionnaires et des institutions fédérales, surtout en ce qui a trait à la partie VII de la loi. J’ai deux objectifs la concernant. Premièrement, il y a l’élaboration des règlements pour la mise en œuvre de la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Cela veut dire qu’il faudra adopter un nouveau règlement. Un nouveau règlement pour faire quoi? Pour favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire, assurer l’égalité réelle du français et de l’anglais dans la société canadienne et inclure des clauses linguistiques dans les ententes fédérales, provinciales et territoriales.
C’est la première partie, le premier objectif de la partie VII, à mon avis. Il s’agit donc d’un grand projet; c’est un cadre, bien sûr.
[Traduction]
J’aimerais dire que nous sommes justement en train d’élaborer ce cadre et un échéancier et que l’échéancier pour la première partie du travail en vertu de la partie VII devrait être établi d’ici six à neuf mois.
[Français]
Le deuxième objectif par rapport à la partie VII, c’est l’élaboration d’un cadre de responsabilisation et de reddition de comptes sur les langues officielles qui définira clairement les rôles et les responsabilités des institutions fédérales. C’est une autre chose très importante. Adopter des règlements prend du temps. Pour le cadre de responsabilisation, on parle de six à neuf mois, alors que pour les règlements, on parle de deux à trois ans; voilà en quoi consiste l’échéancier.
[Traduction]
Nous sommes très investis dans la tâche. Je suis en poste depuis la fin du mois de juillet seulement, et depuis, j’ai non seulement rencontré les gens de mon ministère pour m’assurer qu’ils travaillent avec diligence à l’élaboration d’un cadre et de règlements, mais aussi pour veiller à ce que nous le fassions aussi rapidement que possible. Nous savons qu’il y a un travail précis et détaillé à faire, en particulier en ce qui concerne les règlements.
[Français]
Afin de bien faire ce travail, nous devons continuer de mener des consultations, par exemple. Cela pourrait prendre un an. Après cela, nous devons suivre le processus avec le Sénat et la Chambre des communes; c’est une autre année.
Nous avons un échéancier. Nous sommes responsables du plan, donc nous allons le faire. Je voudrais vous assurer que nous allons le faire.
[Traduction]
Carsten Quell est avec moi, s’il souhaite dire quelque chose, mais je ne voudrais pas non plus empêcher mon collègue de prendre la parole.
[Français]
Je vais céder la parole à mon collègue Randy et peut-être à vous ensuite, Carsten.
M. Boissonnault : C’est une très belle vue d’ensemble, madame la ministre.
En ce qui concerne mes responsabilités, il s’agit de mettre en place les règlements pour les entreprises privées de compétence fédérale afin de déterminer la zone à forte présence francophone, et aussi le règlement visant à préciser les nouveaux pouvoirs du commissaire aux langues officielles. Sur ce dernier point, j’ai rencontré le commissaire. Il s’agit de son travail et nous allons discuter des pouvoirs qu’il aura. Ensuite, il y a un processus à entamer et on peut demander à mes collègues Isabelle et Julie jusqu’à quel point je pousse fort pour obtenir un échéancier.
Chers collègues, j’ai appris certaines choses avec les règlements : il y a cinq étapes et je pense que c’est important pour le compte rendu de les énumérer brièvement. Premièrement, il y a une phase de préconsultation : c’est le travail avec les parties prenantes pour déterminer les options réglementaires et élaborer ces options. Deuxièmement, il y a des consultations brutes sur les règlements : cela inclut un dépôt à la Chambre des communes, puis au Sénat, et ensuite, il faut publier cela dans la Gazette du Canada. Troisièmement, il y a la phase d’approbation finale devant le Cabinet; c’est très important et cela entre en vigueur le lendemain. Cependant, à la quatrième phase — la prise de décret —, il faut tenir compte de l’évaluation du travail réglementaire. Enfin, pour la cinquième phase, il y a un processus à entreprendre avec le Québec, pour voir si cela va à l’encontre de leurs lois et règlements.
Ces cinq étapes peuvent exiger un travail qui durera entre six et neuf mois, mais il faudra deux à trois ans pour mettre tout cela en place.
Le président : Merci. On a bien compris quelles sont vos fonctions. Par contre, pour ce qui est des manières de collaborer, je crois qu’il y a encore de la place pour des réponses. Je vais céder la parole à la vice-présidente, la sénatrice Poirier.
La sénatrice Poirier : Merci aux deux ministres d’être avec nous ce soir. C’est grandement apprécié.
Ma première question s’adresse à M. Boissonnault. Nous avons une préoccupation au sujet du projet de loi C-13 : le coût associé avec la mise en œuvre complète de la nouvelle loi. Dans son rapport sur les coûts estimés du projet de loi C-13, le directeur parlementaire du budget dit que le financement déjà alloué ne sera pas suffisant pour couvrir tous les coûts récurrents découlant du projet de loi C-13, et le commissaire est tout aussi inquiet du montant des ressources dont il a lui-même besoin. Avez-vous fait l’évaluation complète du financement requis pour la mise en œuvre complète du projet de loi C-13? Est-ce que nous allons voir du financement dans le nouveau budget à venir?
M. Boissonnault : Sur ce dernier point, je ne peux pas me prononcer. J’ai déjà été ministre associé aux Finances et on ne parle jamais de ce qui figure dans le budget avant que le budget ne soit rédigé ou présenté à la Chambre des communes. Cependant, lorsque j’ai rencontré le commissaire, on a eu une conversation franche sur tout ce qu’il aimerait voir dans le budget. Ce processus a été entamé avec la sous-ministre Mondou et d’autres collègues pour inclure tout cela dans la demande pour le budget.
Ce qu’il est important de noter, c’est qu’il y a des sommes prévues dans le plan d’action pour moderniser la loi, comme un fonds de 20 millions de dollars alloué au Conseil du Trésor lui‑même. Donc, il y aura un centre d’expertise sur la partie VII qui sera chapeauté par la présidente du Conseil du Trésor. Par exemple, en matière d’immigration, il y aura un centre d’expertise en immigration; environ 20 millions de dollars seront alloués pour sa formation. Donc, nous sommes bien conscients que cela prendra du temps, des ressources humaines et des engagements envers la population. Nous sommes conscients non seulement de l’importance de la partie VII et du rôle du Conseil du Trésor, mais aussi d’un dossier très important pour tout un chacun, qui est l’immigration.
En ce qui concerne la façon dont les communautés recevront l’argent — pour répondre à la question du sénateur Cormier —, c’est ma responsabilité de m’occuper de ces fonds qui iront précisément dans les communautés.
Je me suis engagé à bonifier les fonds pour les communautés existantes et les organismes. Cependant, comment va-t-on faire de la place pour de nouveaux organismes? C’est une tâche que je suis en train d’entreprendre avec la sous-ministre et les fonctionnaires. On veut s’assurer que ces bonifications et les nouveaux accès répondent aux besoins. On a du travail à faire pas seulement avec la FCFA, mais également avec la FCIC, afin que les institutions d’enseignement postsecondaire y aient accès.
Je suis aussi responsable de toutes les ententes avec les provinces et les territoires en ce qui concerne les organismes communautaires et l’éducation. Si je mets mon autre chapeau du ministre de l’Emploi, c’est du berceau à la chaise berçante, cela ne finit pas à l’échelle postsecondaire. Lorsque les gens veulent se faire former dans la langue de leur choix pour avoir accès à de la main-d’œuvre, nous sommes responsables de ce travail de développement social. Nous avons prévu plus de 260 millions de dollars sur cinq ans pour faire ce travail partout au pays.
L’argent sera là; en ce qui concerne le budget, je mets de la pression.
Mme Anand : J’aimerais ajouter quelque chose rapidement. Les premiers travaux de mise en œuvre — les changements apportés par le projet de loi C-13 — sont déjà en cours et utilisent les ressources existantes. Nous avons un bureau — c’est le bureau de M. Quell, il est le directeur — pour mettre en œuvre le projet de loi C-13.
Si nous avons besoin de plus d’argent et d’autres ressources pour mettre en œuvre le projet de loi C-13, je vais aller les chercher, mais en ce moment, nous avons les ressources nécessaires.
La sénatrice Poirier : Ma prochaine question s’adresse au ministre des Langues officielles et porte sur les cibles en immigration qui devraient être annoncées sous peu. Les intervenants sont tous du même avis et disent que la cible de 6 % du gouvernement ne va pas assez loin; la FCFA et le commissaire sont du même avis. Une telle cible ne va pas stopper le déclin du français. En tant que ministre des Langues officielles, que pensez-vous du fait que le commissaire aux langues officielles ne croit pas que le chiffre de 6 % soit suffisant?
M. Boissonnault : L’annonce sera faite le 1er novembre. J’ai travaillé presque quotidiennement avec le ministre Miller sur cette question et je ne veux pas dévoiler ce qu’il a en tête; c’est très important. Nous nous sommes engagés à rétablir le poids démographique des francophones au pays à celui de 1971, qui était de 6,1 %. J’ai siégé au Comité des langues officielles de la Chambre des communes comme secrétaire parlementaire de la ministre Joly. À l’époque, on avait à peine atteint la cible de 1,5 % et on voulait atteindre celle de 4,4 %. À ce moment-là, les fonctionnaires nous avaient dit que c’était impossible, qu’il fallait oublier cela et que jamais nous n’allions voir cela se réaliser; on a pourtant atteint cette cible l’an dernier.
On a mis de la pression, on a changé des règlements et on a changé la façon dont Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada fait ses travaux sur le terrain. Je veux deux choses — et je crois que le ministre Miller vous dirait la même chose s’il était ici : que la cible soit réalisable et qu’on rebâtisse le poids démographique des francophones, ce qui est très important. Je ne veux pas une cible farfelue et inatteignable, je veux faire les vraies choses qui vont prouver aux francophones du pays que nous sommes sérieux. J’ai vu un changement à Edmonton, à Calgary et dans l’Ouest : notre immigration francophone — qui est diverse et vient du monde entier — a changé pour le mieux comment nos communautés fonctionnent.
Je veux rétablir ce poids de 6,1 %.
La sénatrice Poirier : Puis-je mettre mon nom pour un deuxième tour?
Le président : Absolument.
Le sénateur Carignan : Merci. Ma première question s’adresse à la ministre Anand. Je lisais le rapport et quelque chose m’a frappé. Je cite :
[...] selon le dernier bilan présenté, 91 % des institutions ont affirmé communiquer avec le public par écrit [...] presque toujours dans la langue officielle choisie par celui-ci, et 87 % ont indiqué que c’était aussi le cas pour les communications orales.
« Presque toujours », « autoévaluation ». Vous avez dit que vous aviez enseigné à l’université, mais je ne suis pas certain que vous vous seriez fiée sur la note que les étudiants se donnaient eux-mêmes pour évaluer la qualité de leur enseignement. Trouvez-vous suffisant qu’ils s’autoévaluent? Deuxièmement, si 87 % ont indiqué « presque toujours », cela signifie donc que cela ne se produit « jamais » dans 13 % des cas. On est bilingue ou on ne l’est pas?
Mme Anand : Premièrement, on demande des preuves aux institutions. De plus, c’est une manière de continuer d’évaluer l’usage et la capacité. En ce qui concerne la capacité, nous savons que 96 % ont la capacité de parler en français. L’autre chose, c’est l’utilisation de la langue, et nous voulons continuer d’augmenter ce chiffre. Ce n’est pas une manière de s’évaluer eux-mêmes.
C’est toujours une responsabilité du sous-ministre, des leaders dans les institutions, de continuer d’appuyer la langue française et d’améliorer ces chiffres.
Je vais me tourner vers M. Quell pour qu’il fasse plus de commentaires.
Carsten Quell, directeur exécutif, Centre d’excellence en langues officielles, Bureau de la dirigeante principale des ressources humaines, Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada : Vous avez tout à fait raison. D’un côté, lorsque les institutions fédérales soumettent leur bilan, on leur demande quand même des pièces justificatives. Donc, elles doivent s’appuyer sur les données qu’elles nous fournissent. Le deuxième élément, c’est que nous avons, par rapport à certains aspects de la loi, des informations indépendantes. Par exemple, il y a le sondage mené auprès des fonctionnaires fédéraux. Nous posons également des questions dans les bilans concernant la langue de travail.
Quand on compare les deux éléments, ils ne correspondent pas toujours de manière exacte. Toutefois, nous pouvons quand même constater que les institutions font attention de ne pas surestimer leurs capacités.
Je veux soulever un dernier point. Quand il est indiqué « presque toujours », cela signifie que la prochaine catégorie est « très souvent ». On ne peut pas présumer que, lorsqu’une institution indique qu’elle fournit le service en français « presque toujours » à 90 % — et donc qu’il n’y a pas de service pour les 10 % restants —, ce serait juste une autre catégorie où le service est fourni plus souvent.
Le sénateur Carignan : Je retiens donc que le sondage mené auprès des employés ne correspond pas nécessairement aux mêmes résultats que le sondage mené auprès de l’institution ou à l’évaluation que l’institution fait elle-même.
M. Quell : C’est le contraire. Les institutions constatent qu’il y a un manque à gagner pour ce qui est de la langue de travail. Quand on étudie les résultats du sondage mené auprès des fonctionnaires fédéraux, on constate qu’effectivement, les employés constatent eux aussi que ce ne sont pas les institutions les plus fortes.
Le sénateur Carignan : C’est ce que je comprends aussi. C’est ce que je constate également avec les institutions ici.
Je vous amène à la Commission Rouleau. J’ai formulé une plainte auprès du Commissariat aux langues officielles, et cette plainte fait actuellement l’objet d’une enquête.
J’ai quand même déposé une plainte au Bureau du Conseil privé, parce que c’est ce bureau qui est responsable des archives. Encore une fois, nous avons eu un problème lié à la traduction.
Je siège au Comité mixte spécial sur la déclaration de situation de crise, où l’on a demandé la traduction, parce que la Commission Rouleau n’a pas respecté la Loi sur les langues officielles et que les audiences ne se sont pas déroulées de façon bilingue.
Au comité qui étudie les mesures d’urgence, on est complètement bloqué depuis le mois de juin, parce qu’on n’a pas reçu les documents bilingues traduits, même si c’est une obligation constitutionnelle de le faire.
J’ai de la difficulté à comprendre : on est en novembre et on n’a toujours pas obtenu la traduction de documents ou de témoignages qui ont été présentés il y a plusieurs mois par une institution qui, en plus, n’a pas respecté la loi. Le Bureau du Conseil privé ne respecte pas la loi, et on ne sait pas quand on aura la traduction.
Pouvez-vous nous dire ce qui se passe avec le système de traduction et de soutien? On n’a jamais été aussi avancé en matière de technologie sur le plan de la traduction. Je ne peux pas comprendre.
Pouvez-vous m’assurer que la Commission Hogue ne commettra pas les mêmes erreurs que la Commission Rouleau?
M. Boissonnault : Commençons à l’inverse. Je vais prendre cela en note pour ce qui est de la Commission Hogue. C’est bien noté.
En ce qui concerne la traduction, la demande est en flèche et cela continue. On n’utilise pas l’intelligence artificielle pour faire de la traduction. C’est un travail qu’on veut garder entre les mains d’êtres humains. On utilise la technologie pour rendre leur tâche plus facile. Toutefois, en ce qui concerne la Commission Rouleau, on parle de milliers de pages de documents, comme vous le savez, sénateur. Ce n’est pas une excuse; ce sont simplement des faits.
Ce que vous avez voulu et ce que nous avons voulu avec la modernisation de la Loi sur les langues officielles, c’est d’avoir une agence centrale comme le Conseil du Trésor, qui est là pour faire ce travail. De mon côté, mon travail est de continuer à responsabiliser tous les ministres responsables. On va donner au commissaire aux langues officielles d’autres pouvoirs pour aider avec la reddition de comptes. Le Sénat, la Chambre des communes et leurs comités ont le devoir de continuer à pousser le gouvernement pour qu’il soit à la hauteur d’un pays bilingue.
Est-ce que nous serons parfaits dans l’exécution de l’application de la loi? J’en doute, mais nous sommes ici pour faire ce travail.
En ce qui concerne la question de la traduction, madame Mondou, avez-vous des précisions à ajouter à ce sujet?
Isabelle Mondou, sous-ministre, Patrimoine canadien : En fait, c’est un dossier qui relève du Bureau du Conseil privé, mais nous serons heureux de faire le suivi avec celui-ci.
Le sénateur Carignan : Je veux juste être certain que j’ai bien compris. Vous n’utilisez pas d’outils technologiques pour la traduction.
Mme Anand : J’aimerais ajouter un commentaire, parce que j’ai témoigné devant la Commission Rouleau pendant des mois. J’ai parlé en français quand j’ai livré mon témoignage. Ce n’était pas le cas de tous ceux qui étaient présents, mais j’ai décidé que c’était très important de le faire.
Lorsque j’ai pratiqué mes lignes, personne ne m’a dit que je devais parler en français pendant mes remarques, mais j’ai décidé moi-même de le faire.
Le sénateur Carignan : Si vous me le permettez, je veux ajouter que 75 % de la population ne vous a pas comprise, parce que les notes que vous avez lues en français n’ont pas été traduites en anglais. C’est épouvantable.
Le président : J’aimerais vous inviter, tous et toutes, à tenir compte du fait que plus on synthétise notre mise en contexte des questions, plus il y aura du temps pour les réponses.
Je comprends le sens de votre question, sénateur, et il n’y a pas de souci.
La sénatrice Moncion : Ma première question s’adresse au ministre du Patrimoine canadien.
Les communautés francophones à l’extérieur du Québec sont confrontées à d’importants obstacles en matière d’accès aux services de garde et de programmes d’appui au développement de la petite enfance dans leur langue. Selon la Commission nationale des parents francophones, à l’extérieur du Québec, 20 % seulement des enfants qui ont droit à l’éducation en français sont servis dans leur langue. Dans 80 % des cas, les parents optent pour des services de garde anglophones. Dans le plan d’action de Patrimoine canadien, Emploi et Développement social Canada est également responsable de certaines initiatives dans le dossier de la petite enfance en situation minoritaire.
Pourriez-vous commenter le travail de collaboration qui se fait entre vos deux ministères, notamment sur le plan de la négociation d’ententes avec les provinces et territoires, la prestation de programmes et l’élaboration de la mise en œuvre de la législation et des politiques qui concernent la petite enfance?
Je voudrais juste mentionner que l’entente en Ontario a été signée. On sait que l’argent ne sera pas utilisé pour créer des places en garderie, mais bien pour niveler les salaires. On l’a su même avant que le travail se fasse.
J’aimerais entendre vos commentaires sur ces différents points, monsieur le ministre.
M. Boissonnault : Je vous avise que je n’ai pas trois fonctions. Je suis ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles. Mme St-Onge est ministre du Patrimoine canadien.
Je veux partager avec vous que je ne suis pas certain que l’Ontario ne fera rien dans ce dossier. J’ai rencontré la ministre ontarienne des Affaires francophones et présidente du Conseil du Trésor, Mme Mulroney. Nous avons eu une très bonne conversation au sujet des garderies. Nous avons parlé en long et en large de la question du « continuum de l’éducation du berceau à la berçante ». Mme Mulroney m’a dit très clairement que pour s’assurer que notre population francophone reste francisée, il faut qu’on leur apporte du soutien en matière de garderies.
Notre collègue Mme Sudds, qui est la ministre responsable des ententes avec les provinces en matière de garderies, est très axée sur cette question. Elle est francophile, elle parle très bien français et elle a misé sur cette question dans le cadre des ententes pour s’assurer qu’il y aura des places en garderie.
Il y a une pénurie de main-d’œuvre dans le domaine de la petite enfance. Je suis saisi de cette question et quand je serai en train de renégocier les ententes de développement de la main-d’œuvre avec les provinces et les territoires, je serai très clair avec mes collègues sur le fait que ce n’est pas seulement une question de construction de logement et d’hébergement, c’est aussi une question de développement de la formation des personnes qui travaillent dans le domaine de la petite enfance.
Nous avons investi 50 millions de dollars dans le développement de la capacité des garderies en français partout au pays. Ce travail est en cours. Je prends très sérieusement le travail de franciser nos jeunes; je travaille en étroite collaboration avec Mona Audet, du Manitoba, et avec le Réseau pour le développement de l’alphabétisme et des compétences, ou RESDAC. Ils sont aussi sensibilisés à la question de s’assurer que le « formel », le « non formel » et « l’informel » vont nous informer sur le développement des gens issus des communautés en situation minoritaire.
Je suis saisi de cette question, et mes collègues de partout au pays le sont aussi. D’ailleurs, j’ai déjà rencontré presque la moitié d’entre eux. Ils sont saisis de la question, soit qu’il faut avoir plus d’enseignants et plus de personnel dans les garderies, parce qu’ils veulent voir croître leur population francophone.
La sénatrice Moncion : Un des constats au sujet des garderies, c’est que ce sont les travailleurs dans les garderies qui financent le réseau. On a cette information et on parle de créer des garderies à 10 $.
Si l’argent n’est pas utilisé pour créer des places en garderie à 10 $, comment allez-vous faire un suivi de l’argent? Comment allez-vous évaluer le succès de ce programme si ces suivis ne sont pas faits ou si l’argent n’est pas utilisé pour les raisons pour lesquelles il a été investi?
Vous avez quand même investi des milliards de dollars dans ce dossier et on trouve cela extrêmement important pour la francophonie en Ontario.
M. Boissonnault : La réponse est un peu brutale. Sans reddition de comptes, s’ils ne dépensent pas l’argent où il doit aller, on ne verse pas tout l’argent. C’est aussi simple que cela. Il faut que les provinces mettent l’argent non seulement dans les garderies existantes, mais qu’elles créent de nouvelles places et qu’une proportion négociée avec chaque province et territoire soit des places en français pour les jeunes. Si ces places n’existent pas, ce sont les provinces qui doivent financer la construction des places en garderie et le financement du personnel qui travaillera dans ces garderies.
Nous pouvons aider avec le financement des salaires, c’est un des éléments, mais il faut s’assurer que... Ce ne sera pas immédiatement 10 $, car les provinces ont jusqu’à cinq ans pour y arriver et c’est différent partout au pays. La ministre Sudds et moi travaillons sur cette question, parce que c’est très important. J’ai été légèrement surpris par la volonté des provinces de faire ce travail sur le terrain. On va continuer de suivre les démarches sur le terrain, y compris en Ontario. C’est important, parce qu’on parle de la moitié de notre francophonie à l’extérieur du Québec.
La sénatrice Moncion : Merci.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai d’abord une question pour Mme Anand. Vous avez dit que la fonction publique était, selon vous, de plus en plus francophone. J’ai été assez surprise de cette conclusion, évidemment. Mon collègue l’a dit : c’est assez difficile de se fier à ce que les fonctionnaires disent eux-mêmes de leur utilisation de la langue si on n’a pas de source indépendante pour le confirmer.
Je veux vous amener à parler des enquêtes qualitatives, parce que la dernière grande enquête qualitative qui a été faite à Affaires mondiales Canada a montré que, malgré toute la bonne volonté et les règles, ceux qui parlaient français avaient moins de promotions, car la langue française est peu utilisée dans les réunions. Bref, ce n’est pas à partir des données internes qu’on a trouvé cela, mais à partir d’entrevues menées de l’extérieur sur la réelle position du français dans un ministère aussi important qu’Affaires mondiales Canada. Je m’interroge sur la façon de mesurer réellement l’espace du français dans la fonction publique qui, après tout, est l’un des grands axes qui permettent d’assurer que les francophones en situation minoritaire puissent avoir des services dans leur langue.
Mme Anand : Je vais commencer par vous donner d’autres chiffres pour expliquer la véritable situation dans le service public. Premièrement, il y a plus de postes bilingues maintenant. Il y en avait 42 % en 2022, comparativement à 35 % en 2000. Il y a davantage d’employés bilingues qui satisfont aux exigences linguistiques de leur poste, soit 96 % en 2022 comparativement à 83 % en 2000. Il y a davantage de postes qui requièrent un niveau supérieur de bilinguisme, soit presque 38 % en 2022 comparativement à 25 % auparavant.
Nous avons donc vu une amélioration. C’était le point. Il y a de plus en plus de gens au sein de la fonction publique qui parlent le français. Avec la réglementation, nous croyons qu’il y aura environ 700 nouveaux bureaux en français — tous en français. Nous allons continuer de voir une amélioration et une augmentation du français avec les bureaux, avec les fonctionnaires et avec les gens qui parlent français chaque jour de leur vie.
La sénatrice Miville-Dechêne : Comme je n’ai pas beaucoup de temps, j’apprécie cette réponse. J’espère que votre optimisme est justifié.
Je voulais aussi poser une question à M. Boissonnault à propos de l’immigration. Vous avez dit qu’on atteindra bientôt les cibles. Je m’interroge sur la réalisation de ces cibles, parce que l’immigration n’est pas un dossier facile pour le gouvernement fédéral et qu’il y a beaucoup de lenteur dans le système. Maintenant, on veut aller chercher des francophones. Par exemple, on sait que, pour ce qui est des séjours de visiteurs, les Africains des pays francophones attendent beaucoup plus longtemps que les Africains issus de pays anglophones. Comment allez-vous traverser tout cela pour vous assurer que les francophones qui vivent à l’extérieur du Québec aient vraiment du soutien pour ce qui est du nombre? Vous l’avez dit, cela fait toute la différence. Lorsqu’on rencontre des francophones partout au Canada, on voit une diversité incroyable et c’est vraiment intéressant. Cependant, je vous avoue que je me demande comment vous allez atteindre ces cibles, étant donné toutes les difficultés que nous avons dans la fonction publique à traiter les demandes.
M. Boissonnault : Si on me le permet, monsieur le président, j’aimerais faire une précision auprès de la sénatrice. Est-ce qu’on parle des difficultés en immigration à l’extérieur du Québec ou à l’intérieur du Québec?
La sénatrice Miville-Dechêne : Je parlais du traitement des dossiers au Canada.
M. Boissonnault : À ma connaissance, et c’est ce que j’ai vu lorsque j’étais parlementaire, le fait que nous sommes passés de 1,5 % à 4,4 % en moins de 10 ans, c’est un travail extraordinaire qui prouve à quel point on peut changer le système. À ma connaissance, il n’était pas question de lenteur dans les processus qui ont été entrepris avant la COVID, dans des conditions normales. J’entends cela très souvent de la part de fonctionnaires — je ne parlerai pas trop du dossier de M. Miller —, mais le gouvernement devra être beaucoup plus concentré et créateur si on veut vraiment atteindre 6 % de plus, pour un seuil de 460 000 à 500 000 personnes. On parle de 30 000 personnes par année au moins.
La sénatrice Miville-Dechêne : Oui.
M. Boissonnault : Sachez, chers collègues, que ce chiffre est pour tout le Canada. Le Québec a ses propres responsabilités.
La sénatrice Miville-Dechêne : Bien sûr. Je parle du Canada.
M. Boissonnault : Il faut enlever le pourcentage du Québec, puis indiquer le pourcentage pour le reste du pays. Ce qu’on entend de la part des fonctionnaires, c’est que si on veut aller plus loin, il faudra être plus créatif. Je suis très content que le ministre veuille aller aussi loin, parce que pour moi, rétablir le poids démographique à 6,1 %, c’est très important. Avec notre collègue la ministre du Conseil du Trésor, qui va responsabiliser les fonctionnaires en ce qui concerne leurs obligations face à la loi et grâce à nos démarches en tant que pays, on peut être à la hauteur de nos ambitions.
Mme Anand : Pourrais-je ajouter quelque chose? Depuis ma nomination, je dois parler avec les fonctionnaires en français et en anglais. J’étais à Calgary il y a environ trois semaines et j’ai posé la question : « Que voulez-vous voir dans le service public? » Quelqu’un m’a dit : « Je voudrais parler français ici, à Calgary, en Alberta, et je m’inquiète, parce que nous devons continuer d’avoir des ressources ici pour apprendre le français et avoir des cours en français. » Vous avez raison de poser cette question. Merci.
M. Boissonnault : Ai-je encore quelques secondes?
Le président : Quelques secondes, monsieur le ministre.
M. Boissonnault : Si on pense que les chiffres indiquent que les fonctionnaires bougent, si l’argent signifie plus de fonctionnaires et plus de travail, j’ai des chiffres. On aura un centre d’expertise d’immigration francophone; on va y investir 25 millions de dollars. C’est très important et c’est nouveau. On va renforcer le parcours d’intégration des nouveaux arrivants francophones en investissant 50 millions de dollars partout au pays. Je le sais, parce que je connais l’organisme qui œuvre dans ce domaine à Edmonton et à Calgary. Nous allons créer un corridor pour attirer et recruter les enseignants francophones pour qu’ils travaillent à l’extérieur du Québec en investissant 16 millions de dollars.
La sénatrice Miville-Dechêne : Le Québec n’aimera pas cela.
M. Boissonnault : Soyons créatifs, chers collègues.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je fais des blagues.
M. Boissonnault : Si jamais le Québec et le Canada voulaient aller chercher des immigrants francophones ensemble, ce serait quelque chose de très intéressant pour le pays.
Le président : Merci, monsieur le ministre. Je cède la parole à la sénatrice Clement. Il y a beaucoup d’attentes pour ce qui est du fameux centre d’expertise d’immigration francophone dans ma région. Il y a beaucoup d’attentes et tout le monde veut savoir comment cela va fonctionner.
La sénatrice Clement : Bienvenue à tous. Je suis très contente de vous voir ce soir.
[Traduction]
Je tiens à vous dire que je vous remercie tous les deux de vous être portés candidats aux élections. Je sais que vous travaillez depuis longtemps au nom de tous les Canadiens, mais votre présence ici, dans ces rôles, dans ces fonctions, revêt une signification particulière pour de nombreux Canadiens. Votre présence est synonyme de représentativité, et je tenais à vous en remercier personnellement.
[Français]
Ma première question s’adresse à la ministre Anand. J’ai lu le rapport annuel avec intérêt. J’ai noté que vous misiez beaucoup sur les pratiques exemplaires. La gestion des obligations pour les langues officielles se fait par l’imposition de pratiques de gestion en matière de ressources humaines, de gouvernance et de surveillance exemplaire. Les organismes et les ministères qui ont des pratiques exemplaires, est-ce qu’ils ont adopté ces pratiques par eux-mêmes ou y a-t-il une main qui les guide?
Comment partagez-vous les succès entre les organismes et les ministères, mis à part ce rapport? Est-ce que c’est délibéré? Comment tout cela est-il organisé?
Mme Anand : Je vous remercie de la question. Tout d’abord, je tiens à vous remercier de vos commentaires initiaux. Comme je l’ai dit dans mes remarques, c’est une question de diversité. Il y a beaucoup de types de diversité. Il y a les langues officielles, bien sûr, mais aussi le fait d’être ici comme députée avec notamment le fait d’être racialisée, d’être une femme, d’appartenir au groupe LGBTQ+, des choses comme cela. Je vous suis donc bien reconnaissante de vos remarques à ce propos.
Quant à votre autre question, je voudrais dire que c’est un processus qui permet d’établir des règlements et un cadre. Le cadre, c’est le principe, la façon de continuer de livrer les services en français et d’appuyer les deux langues officielles. Dans le règlement, on peut définir comment le faire. Je pense que les sous-ministres et les ministres auront un rôle à jouer pour établir les règles relatives à chaque ministère. Je parle avec mes collègues du fait d’avoir la liberté d’établir ce qui fonctionnera dans leur propre ministère. Je ne sais pas si vous avez quelque chose à ajouter.
M. Quell : Je vous remercie de la question. Ce processus est presque comme un cycle. Les bonnes pratiques ne viennent pas de nulle part; elles viennent du fait qu’il y a des règlements et des lignes directrices dont nous sommes responsables au Conseil du Trésor, comme la ministre l’a indiqué. Ensuite, nous appuyons environ 200 institutions. On les rencontre plusieurs fois par année. Il y a un forum qui se tient une fois par année, un grand forum où l’on discute de la nouvelle loi, par exemple. Après l’appui, il y a un processus de surveillance et cela prend fin avec des rapports — comme celui que vous avez — sur les langues officielles, qui font état de la situation au sein de la fonction publique. Ce cycle nous permet d’encourager les institutions à faire preuve d’initiative et de dynamisme en matière de langues officielles, qui se voient justement dans les bonnes pratiques qui sont énumérées dans le rapport annuel.
Mme Anand : J’aimerais ajouter quelque chose. On ne peut pas omettre le rôle du commissaire aux langues officielles, qui a un rôle très important à jouer. S’il y a une institution qui ne respecte pas les règles, il le mentionnera. Aussi, sur la base de ces enquêtes, le commissaire peut conclure des accords de conformité ou ordonner, par exemple, à une institution fédérale de prendre des mesures pour remédier aux violations des règlements. Donc, je crois que nous verrons le commissaire jouer un rôle proactif avec les organisations fédérales.
La sénatrice Clement : J’ai une question pour le ministre Boissonnault.
L’un des éléments du projet de loi C-13 traitait de la nécessité de diffuser des messages bilingues dans des situations d’urgence. Par exemple, la lutte intensive contre les incendies cet été dans tout le pays a été une bonne occasion de mettre en pratique la nécessité de communications bilingues. Comment avez-vous trouvé ce processus? Avez-vous tiré des leçons, particulièrement à partir de ce qui s’est passé cette année?
M. Boissonnault : Absolument. Pour le préciser, je demanderais à Isabelle de prononcer quelques mots.
Mme Mondou : Cela a été très utile, en fait. Nous avons travaillé étroitement avec le commissaire pour améliorer ces pratiques. Il a lui-même établi un lien avec les gens de la sécurité publique, qui sont souvent responsables de ce travail. Ils travaillent ensemble très étroitement, ce qui n’arrivait pas par le passé quand il y a eu ces problèmes. Des liens se sont créés, des pratiques se sont créées et une obligation juridique s’est créée aussi. On a vraiment joué à tous les niveaux d’intervention, et je crois qu’on a vu la différence l’été dernier.
M. Boissonnault : Pour enchaîner sur ce que la ministre Anand a dit, comme ministre responsable, j’ai vu comment cela se passait quand Mme Joly était responsable des langues officielles : il y avait moins de responsabilisation de la part de tous les ministères. Notre rôle commun est de responsabiliser tous les ministres par rapport à leurs fonctions en vertu de la Loi sur les langues officielles, face à la fonction publique et face à leurs services à la communauté. Nous avons le droit et la responsabilité de convoquer, de temps à autre, les ministres responsables des dossiers chauds ou moins chauds pour avoir des mises à jour à l’interne sur leurs propres démarches pour garder le feu, pour qu’ils puissent vraiment livrer la marchandise en ce qui concerne la modernisation de la loi.
Le président : Nous allons maintenant passer au deuxième tour de questions, mais avant, je vais poser deux questions, une qui concerne le commissaire aux langues officielles et l’autre qui concerne la reddition de comptes.
[Traduction]
Dans son rapport annuel 2022-2023 — je précise que la première question s’adresse à la ministre Anand —, le commissaire aux langues officielles a formulé plusieurs recommandations touchant vos fonctions. Il vous recommande notamment de travailler avec votre collègue, le ministre des Transports, à l’élaboration d’outils et de lignes directrices concernant les obligations linguistiques des administrations aéroportuaires. Il vous recommande de définir, dans un plan d’action, des moyens concrets de mettre en évidence la place des langues officielles au sein de la fonction publique. Enfin, il vous recommande de mettre en œuvre votre plan d’action triennal visant à assurer la conformité des institutions fédérales à l’article 91 de la loi, qui porte sur la dotation.
Avez-vous porté une attention particulière aux recommandations du commissaire Théberge, en collaboration avec le ministre des Transports, l’honorable Pablo Rodriguez? Le cas échéant, de quelle façon?
[Français]
Mme Anand : Comme je l’ai dit, je suis professeure de droit.
[Traduction]
J’ai pris la loi, je l’ai lue attentivement en j’en ai surligné divers passages, en plus de me mettre des signets.
[Français]
Vous avez raison, monsieur le président. Bien sûr, on doit suivre les recommandations et parler avec nos collègues, et je vais continuer de le faire. Le ministère des Transports est un bon exemple d’organisation où l’on a besoin de plus en plus d’appui et de soutien pour les travailleurs et les travailleuses.
C’est une organisation où nous devons connaître la capacité dans les deux langues officielles partout dans le pays.
J’ai parlé avec mon cher collègue le ministre Rodriguez, mais il ne s’agit pas que de lui. Comme la sénatrice Clement l’a déjà mentionné, il est nécessaire de parler avec tous nos collègues.
Le président : D’accord, merci. Ma deuxième question concerne la reddition de comptes, et c’est l’un des grands enjeux de la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. Comment comptez-vous gérer la reddition de comptes des institutions fédérales à l’égard de la prise de mesures positives et de l’inclusion de dispositions linguistiques dans les accords avec les gouvernements provinciaux et territoriaux?
Qui va gérer les collectes de données concernant ces deux éléments de la partie VII? Est-ce que ce sera le Conseil du Trésor ou Patrimoine canadien qui fera rapport annuellement sur la mise en œuvre de ces deux éléments? Ces questions sont fondamentales pour assurer une bonne reddition de comptes. J’aimerais vous entendre à ce sujet.
M. Boissonnault : C’est un travail partagé; le Conseil du Trésor a une responsabilité prépondérante à cet égard. Il y a un partage des travaux selon l’entente avec les ministères. Lorsqu’on parle des ententes en éducation, que je suis responsable de conclure par l’entremise de Patrimoine canadien, c’est une reddition de comptes qui doit venir de Patrimoine canadien. Le Conseil du Trésor va indiquer que j’ai fait mes devoirs, sinon la ministre Anand viendra me voir pour me demander des comptes. C’est comme cela que la loi modernisée est faite. C’est très important, parce que la communauté a lutté pendant 50 ans pour avoir cette reddition de comptes à un agent central. Nous l’avons maintenant, et il faudra du temps pour savoir exactement comment cela va fonctionner.
Le commissaire peut également imposer des amendes, et il pourra nous taper sur les doigts si on n’est pas à la hauteur de nos obligations. C’est très important de s’assurer qu’on a quelqu’un qui fait la reddition de comptes et que chaque ministre est responsable.
Mme Mondou : J’aimerais ajouter que les communautés sont très lucides pour nous aider à faire la reddition de comptes. C’est important que nous, Patrimoine canadien et le Conseil du Trésor, travaillions ensemble, parce qu’on garde nos antennes avec la communauté. Lorsqu’ils ont des problèmes, ils vont nous en parler. Cela se passe vraiment de tous les côtés.
Mme Anand : Lorsque les institutions fédérales ne se conforment pas à la loi, nous pouvons décider d’intervenir et nous avons des outils à notre disposition. Il peut s’agir de suivis informels, de demandes d’informations particulières, d’audits externes, de directives formelles, de mandats pour obliger l’institution à prendre des mesures correctives et même du retrait de l’autorité d’une institution. Donc, il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire.
Le président : Passons maintenant au deuxième tour; il nous reste environ 25 minutes.
La sénatrice Poirier : Ma question s’adresse aux deux ministres. Plus de deux mois après les changements au Cabinet, aucune lettre de mandat ne nous a été communiquée. Vous avez récemment rencontré le commissaire aux langues officielles. Pouvez-vous partager avec nous vos trois priorités concrètes en matière de langues officielles?
M. Boissonnault : C’est une très bonne question et je peux vous dire que je ne rédige pas les lettres de mandat; c’est le premier ministre qui s’occupe de cela. Notre responsabilité est de suivre les lettres de mandat de nos prédécesseurs. Je dois d’abord répondre aux livres blancs et à la modernisation de la Loi sur les langues officielles qui a été adoptée. Ma priorité, c’est de faire la mise en œuvre de la loi, puis d’assurer la mise en œuvre du plan d’action. Ce sont mes trois priorités.
Mme Anand : Pour moi, les langues officielles sont l’un des piliers de l’identité canadienne et représentent un élément essentiel de notre communauté. Donc, si nous avons une crise d’un côté, on n’oubliera pas nos priorités en matière de langues officielles. On doit continuer d’appuyer les deux langues officielles dans notre pays. Je vais le faire avec mon ministère, bien sûr, mais l’adoption du projet de loi C-13 est un but, un objectif crucial pour notre gouvernement. Il est maintenant une loi. Donc, cela veut dire que c’est une priorité absolue pour moi.
Le sénateur Carignan : Le commissaire aux langues officielles a fait un rapport concernant la GRC et a indiqué que la GRC avait violé la Loi sur les langues officielles, avec des statistiques à l’appui. Le commissaire a déterminé que les requêtes d’accès à l’information formulées en français prenaient plus de temps à recevoir une réponse que les demandes formulées en anglais. Cela concernait la GRC. Cependant, avez-vous constaté cela dans d’autres agences ou d’autres ministères? Selon moi, il y a deux droits extrêmement importants qui sont en jeu, soit le droit à l’information et le droit de parler dans sa langue, et les deux ont été violés.
J’ai fait une demande au ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie pour avoir ses notes de breffage sur le projet de loi. J’ai fait ma demande en français, et on m’a dit que cela prendrait 630 jours avant de recevoir ces notes. Je me suis demandé ceci : si j’avais fait ma demande pour les notes de breffage en anglais, les aurais-je reçues en 30 jours? Quelle est la confiance que les Canadiens doivent avoir lorsqu’ils communiquent et font des demandes d’accès à l’information avec le gouvernement? Est-ce que ce qu’on voit à la GRC est étendu dans d’autres ministères ou agences du gouvernement?
M. Boissonnault : Je vous remercie d’avoir soulevé une question qui me préoccupe, c’est-à-dire les agences et les ministères qui ne répondent pas à leurs obligations en vertu de la loi. Je vais répéter ce que j’ai dit à la Chambre des communes à un député, M. Beaulieu : les postes bilingues doivent être pourvus par des personnes bilingues.
En ce qui concerne la GRC, la ministre Anand et moi aurons du travail à faire avec cet organisme pour qu’il soit à la hauteur de ce qui est écrit dans la loi et de ce qui est visé dans la loi. Lorsqu’on parle des ministres avec lesquels on devra discuter, le ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales en est un et il le sait; il fait aussi pression pour avoir des changements.
Je vais en parler sans que vous me l’ayez demandé : la gaffe de Radio-Canada concernant un balado est inacceptable. J’aime tous les accents au Canada et je veux que toutes les émissions de Radio-Canada soient diffusées avec la contribution de francophones du Canada. Je sais que le Comité des langues officielles des Communes a demandé que la PDG de Radio-Canada s’excuse à ce sujet.
En ce qui concerne les notes de breffage, je vais demander à Mme Mondou de vous répondre. C’est inacceptable que cela prenne 630 jours; je vais demander à Mme Mondou de voir comment on peut travailler avec le ministère de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie pour avoir un délai qui n’est pas de deux ans avant de remettre ces notes de breffage au sénateur.
Mme Mondou : Je ferai le suivi avec mes collègues pour voir quel est le problème.
Pour mon ministère, il n’y a aucune différence si vous faites la demande en français ou en anglais; les délais sont les mêmes.
Le sénateur Carignan : [Difficultés techniques] j’aurais été fâché.
Mme Mondou : Je le sais; on met la barre haute, sénateur.
Le sénateur Carignan : Cela aurait été une dure fin d’après-midi.
La sénatrice Moncion : J’aime beaucoup la discussion que nous avons avec vous, parce que vous nous donnez des réponses intéressantes.
Ma question s’adresse à Mme Anand. Pouvez-vous partager votre point de vue sur la perception du Quebec Community Groups Network selon laquelle la Loi sur les langues officielles et la Charte de la langue française créent désormais un cadre où une minorité linguistique est traitée différemment d’une autre? De quelle manière comptez-vous surveiller les effets du projet de loi C-13 sur les communautés anglophones du Québec?
Mme Anand : Nous mettons encore l’accent sur la collaboration de tous. La modernisation de la loi est fondée sur l’égalité de nos deux langues officielles.
Je m’engage à soutenir la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire, y compris les communautés anglophones du Québec. De plus, depuis 2005, la partie VII de la Loi sur les langues officielles engage les institutions fédérales à prendre des mesures positives pour favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Donc, nous avons plus de travail à faire là-dessus, mais comme je l’ai dit, le projet de loi C-13 nous donne maintenant un cadre pour nous assurer de continuer ce travail. En consultation avec Patrimoine canadien, nous allons collaborer étroitement avec les communautés anglophones et francophones à l’élaboration de nouveaux règlements.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question qui vient un peu du champ gauche. J’ai déjà participé à un comité consultatif chez le commissaire aux langues officielles, et j’ai appris avec un peu d’effroi que le commissaire n’avait pas le droit de parler à qui il voulait dans les ministères où il faisait enquête.
Il y a une décision prise dans les ministères X ou Y pour ce qui est de dire : « Voici à qui vous parlez pour cette enquête. » Or, par définition, l’ombudsman — et j’ai déjà pratiqué ce métier — se doit d’avoir des pouvoirs assez élargis pour aller connaître la vérité.
Vous êtes concernée, puisque vous êtes là pour les langues officielles. Je ne sais pas si ce genre d’encadrement ou de restrictions à la liberté peut aider à la recherche de la vérité.
M. Boissonnault : J’ai hâte de voir les pouvoirs que le commissaire va mettre sur sa liste et la somme d’argent qu’il souhaite que nous y accordions. Je veux que le commissaire ait accès aux ministres. S’il y a des protocoles en place et qu’il faut passer par un ombudsman plutôt que par le bureau d’un ministre, c’est manifestement une question qu’il faut examiner plus tôt que tard. C’est un enjeu que je partagerais avec la ministre Anand, parce qu’il y a la lettre de la loi et l’esprit de la loi.
Soyons clairs : je veux qu’on tienne compte non seulement de la loi, mais l’esprit de la loi. S’il y a un ministère qui n’est pas à la hauteur de ses fonctions, je veux que le commissaire puisse le signaler sans avoir à passer par l’entremise de l’ombudsman.
Madame Anand, aimeriez-vous ajouter quelque chose?
Mme Anand : J’ai déjà mentionné que je pense que le commissaire s’est vu accorder des pouvoirs accrus pour enquêter et intervenir. J’ai expliqué ces deux choses. Il est possible, si c’est nécessaire, que le commissaire ait le pouvoir de faire les choses comme cela.
La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce qu’il peut parler à qui il veut sans demander la permission?
Mme Anand : Il peut examiner ce qui s’est passé au sein d’un ministère, par exemple, enquêter et ensuite intervenir.
M. Boissonnault : Je pense que la sous-ministre Mondou a des précisions à faire.
Mme Mondou : Ce que l’on m’a dit, c’est qu’il y a souvent une personne-ressource qui est nommée pour faciliter l’entrée dans le ministère. Cela ne veut pas dire que cette personne-ressource est la seule personne à qui le commissaire ou son bureau doit ou peut parler. Le commissaire a le droit de poser toutes les questions qu’il veut. Il faut que les personnes qui peuvent répondre aux questions soient disponibles. C’est davantage une porte d’entrée, car le commissaire ne sait pas toujours à quelle porte il doit frapper. Cette personne est là pour faciliter le processus.
Je reçois et je suis au courant de toutes les plaintes du commissaire. S’il y a quoi que ce soit, il n’hésitera pas à intervenir auprès du sous-ministre s’il considère que le ministère ne collabore pas. C’est peut-être plus dans cet esprit-là, mais nous pourrons valider cela avec lui s’il y a autre chose, bien sûr.
M. Boissonnault : Si jamais le commissaire se sent menacé, offusqué ou malheureux par rapport à cet enjeu, il devrait en parler avec moi directement.
[Traduction]
La sénatrice Clement : J’aimerais prendre un autre angle. Je m’adresserai d’abord à la ministre Anand. J’ai remarqué dans votre déclaration préliminaire vos observations sur le bilinguisme. Je crois que le fait que ce pays ait deux langues officielles qui coexistent nous confère un certain pouvoir, une certaine aisance pour composer avec la complexité.
Je voudrais vous interroger sur le rapport concernant l’utilisation des langues autochtones dans la fonction publique du Canada. Il s’agit de la première enquête du genre sur l’ampleur et la portée de l’utilisation des langues autochtones dans la fonction publique. C’est toute une étude qui a été entreprise : 59 équipes ont été sondées, et on a constaté que 460 employés sur 2 557 utilisaient des langues autochtones en milieu de travail. J’aimerais savoir ce que vous pensez de ce rapport. Qu’entendez-vous au sujet de la présence des Canadiens autochtones dans la fonction publique et comment aimeriez-vous que les langues autochtones soient utilisées dans la fonction publique? Je pose cette question délibérément, dans ce contexte en particulier.
Mme Anand : Permettez-moi de dire d’abord et avant tout que l’utilisation des langues autochtones est un atout important pour le gouvernement du Canada. Elle s’inscrit dans l’esprit de la réconciliation sur lequel notre gouvernement souhaite continuer de miser.
L’enquête que vous mentionnez montre que dans de nombreux ministères, les langues autochtones sont utilisées pour permettre la réalisation du mandat de l’organisation.
Lorsque j’étais ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, par exemple, le ministère responsable des services de traduction, j’ai pu constater de visu l’importance des langues autochtones, des interprètes et des services qu’ils sont en mesure d’offrir dans un esprit de réconciliation, mais aussi pour faciliter la communication au sein de notre gouvernement et dans l’ensemble du pays.
Cette enquête elle-même nous renseigne sur les compétences dont nous disposons et sur celles dont nous continuons d’avoir besoin pour trouver des façons de favoriser les compétences linguistiques autochtones dans la fonction publique fédérale.
Nous continuerons de chercher des moyens de favoriser l’utilisation des langues autochtones, une question qui, comme je l’ai dit, relève de SPAC, mais c’est quelque chose que nous prenons très au sérieux au gouvernement.
M. Boissonnault : Je tiens à préciser que j’ai travaillé à ce dossier lorsque j’étais secrétaire parlementaire de la ministre Joly. Nous avions toute une pente à remonter pour préserver et valoriser les langues autochtones. Nous l’avons fait dans la perspective fondamentale de préserver la dualité linguistique et de comprendre qu’il s’agissait d’une responsabilité fondamentale pour nous, en tant que gouvernement qui examinait attentivement la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, que nous venons d’adopter. C’est de cette façon que nous cherchons à avancer dans un esprit de la réconciliation.
Si je peux m’exprimer en cri un instant, je dirais « Tansi tawow », c’est-à-dire bienvenue et bonjour. Puis je dirais mon nom cri, qui est « Homme-Aigle Fort ». Ce n’est pas à cause de la forme de mon nez. C’est parce que les merveilleuses personnes qui m’ont remis une plume d’aigle m’ont dit : « Tu fais l’aller-retour entre Edmonton et Ottawa chaque semaine. Comme l’aigle, tu vois ce qui va arriver à la communauté avant que cela ne nous arrive. » Tu as la responsabilité de prendre soin de la communauté.
Aujourd’hui, parce que j’ai participé à la table de concertation des Inuits et du gouvernement du Canada, il y a à Montréal 100 personnes du Nunavut qui travaillent à la préservation et à l’amélioration de l’inuktitut. Pourquoi sont-elles à Montréal plutôt qu’à Iqaluit? Parce qu’il n’y a pas 100 chambres disponibles là-bas, parce que le territoire est très occupé en ce moment. Cette réunion découle directement du travail que nous avons effectué, et je pense qu’elle est fondamentale.
Julie Boyer, sous-ministre adjointe, Langues officielles, patrimoine et régions, Patrimoine canadien : Dès le début, lorsque nous avons comparu devant ce comité, en juin, avant la sanction royale, on avait soulevé le fait important que la reconnaissance des langues officielles ne doit pas compromettre la vitalité et la revitalisation des langues autochtones.
[Français]
Nous continuons sur cette lancée. Nous travaillons étroitement avec nos collègues qui s’occupent des langues autochtones à Patrimoine canadien, dans le même ministère. Nous allons continuer de trouver des façons d’appuyer l’épanouissement de ces langues en même temps que les langues officielles.
La sénatrice Clement : Merci.
Le président : Je vais poser une question complémentaire et faire un commentaire sur cette question. J’ai eu le privilège d’aller au Nunavut et de me rendre compte que, dans ce territoire, il y a trois langues officielles. Il y a d’énormes défis pour ce qui est de la responsabilité du gouvernement fédéral de livrer les services en inuktitut dans cette région. Je veux porter cela à votre attention. C’est extrêmement important. La commissaire aux langues officielles là-bas a été assez claire sur cette question : le gouvernement fédéral devrait avoir cette responsabilité. Il ne le fait pas comme il devrait le faire. Voilà pour mon commentaire.
Honorables sénateurs et sénatrices, si vous n’avez pas d’autres questions, je vais conclure avec deux questions. Si une question vous brûle les lèvres, je vous laisse le temps de la poser.
Le sénateur Carignan : C’est seulement un commentaire. Vous avez parlé d’immigration et de recrutement d’enseignants. La semaine dernière, j’étais à Winnipeg, à la conférence de la Fédération des enseignants francophones du Canada. J’ai été approché par une enseignante du Département de l’éducation de l’Université d’Ottawa, qui m’a dit : « Si vous voyez la ministre du Patrimoine canadien... Je sais que vous voyez Pascale, que je connais bien, quand même, mais vous la voyez plus souvent que moi. Transmettez ce message : il y a un gros problème avec le recrutement dans les directions d’école. Si vous ne vous en occupez pas, le système va s’écraser. » Je me fais donc le messager. C’était une experte, alors j’ai cru comprendre que c’était urgent.
Le président : J’ai deux questions pour conclure. La partie VII est extrêmement importante pour l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Il y a un projet visant à mettre en place un centre de renforcement de la partie VII. Je voudrais en savoir davantage sur ce centre. Comment va-t-il fonctionner? Qui va en assurer la gestion? Quel sera son rôle? Est-ce que le Conseil du Trésor va le gérer? C’est un instrument qui risque d’être déterminant pour la mise en œuvre de la loi. Il est important que vous puissiez nous dire où vous en êtes dans cette réflexion.
Mme Mondou : Merci, monsieur le président. Évidemment, cela reflète quelque peu les rôles et responsabilités que nous avons. On tient chacun un rôle important prévu par la loi en vertu de la partie VII. Le Conseil du Trésor jouera un rôle crucial. La ministre a parlé du règlement, mais il y a aussi des suivis à faire par rapport au règlement et à la mise en œuvre. Le centre d’expertise nous aidera à cet égard.
Le ministère du Patrimoine canadien aura un rôle à jouer. Comme la sénatrice l’a dit, le ministère doit approcher les communautés pour connaître leurs besoins et continuer de promouvoir la partie VII, en raison de notre rôle de promoteur et de chef d’orchestre. D’ailleurs, les ministres vont peut-être considérer écrire à tous les ministres pour leur rappeler ce qui a changé grâce à ce projet de loi, qui vient vraiment de relever considérablement la barre. Il faut vraiment que tous les ministères le comprennent. Le centre d’expertise travaillera main dans la main avec le Conseil du Trésor, car ils ont chacun leurs responsabilités respectives.
Le président : Quel autre mécanisme de gouvernance sera mis en place pour assurer la mise en œuvre de la loi? Je sais que c’est une question complexe. On essaie de comprendre, et c’est ce que les communautés nous demandent aussi. On essaie de comprendre le système, l’organisation du travail et les instruments que le gouvernement se donnera pour assurer la mise en œuvre de la loi. Y a-t-il d’autres mécanismes que nous devrions connaître?
Mme Mondou : Évidemment, comme la ministre l’a mentionné, le premier mécanisme est que maintenant, avec un règlement... Pendant des années, les gens se plaignaient de la vague des obligations. Avec la loi et le règlement, déjà, on vient de remédier à ce problème, car lorsque c’est vague, les gens ont plus souvent tendance à oublier leurs obligations. Maintenant, avec le règlement, ce sera beaucoup plus précis. C’est quelque chose que le commissaire pourra surveiller. Le commissaire pourra vérifier si les ministères ont suivi les étapes requises par la loi : ont-ils consulté? Ont-ils cherché à mettre en œuvre des mesures de mitigation? Ont-ils examiné l’impact sur les communautés? Le commissaire aura un rôle à jouer à cet égard.
Pour ce qui est des autres mécanismes, il y a déjà des tables interministérielles qui étaient efficaces, mais qui seront renforcées, car le Conseil du Trésor a une responsabilité plutôt qu’un pouvoir discrétionnaire. Ces tables deviendront des tables où l’on tiendra de bonnes conversations sur ce qui fonctionne ou non.
Le président : Est-ce que les sous-ministres seront à ces tables?
Mme Mondou : Je suis à cette table avec mes collègues du Conseil du Trésor. On invite les sous-ministres selon le sujet du jour, un peu comme le ministre le fait avec les ministres. Finalement, le ministre a mentionné que les deux ministres ne vont pas hésiter à proposer des réunions avec leurs collègues s’ils voient que les choses ne fonctionnent pas comme elles le devraient pour la partie VII. C’est un ensemble de mesures qui ont un effet cumulatif par rapport au changement et au sérieux avec lequel la partie VII sera traitée.
Le président : D’accord. J’avais une dernière question, mais je vous la laisse comme élément de réflexion. Ne devrait-il pas y avoir une stratégie pangouvernementale pour relancer le bilinguisme au sein de la fonction publique? Vous avez de grandes responsabilités, messieurs et mesdames les ministres. Nous vous remercions beaucoup de votre présentation ce soir et de cette conversation. Soyez assurés que nous allons continuer de suivre vos travaux. Vous pouvez compter sur nous en tout temps. Je vous remercie.
Sur ce, nous allons conclure la réunion, chers collègues.
(La séance est levée.)