Aller au contenu
RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 27 mars 2023

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 16 h 4 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général; et à huis clos, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.

La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je suis Salma Ataullahjan, sénatrice de Toronto et présidente du comité. La séance d’aujourd’hui est une séance publique du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.

Je vais maintenant présenter les membres du comité qui participent à la séance : la sénatrice Wanda Thomas Bernard, vice-présidente, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur David Arnot, de la Saskatchewan; la sénatrice Omidvar, de l’Ontario; la sénatrice Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick; la sénatrice Jaffer, de la Colombie-Britannique; et le sénateur Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le comité poursuit aujourd’hui son étude de l’islamophobie au Canada en vertu de son ordre de renvoi général. Nos travaux porteront notamment sur le rôle de l’islamophobie dans la violence — y compris en ligne — à l’endroit des musulmans, la discrimination fondée sur le sexe et la discrimination en milieu de travail, y compris au sein de la fonction publique fédérale. Nous nous pencherons également sur les causes de l’islamophobie, ses effets sur les personnes visées, entre autres sur les plans de la santé mentale et de la sécurité physique, et les éventuelles solutions et mesures gouvernementales.

Après avoir tenu deux réunions en juin 2022 à Ottawa, suivies de réunions publiques et de visites de mosquées en septembre à Vancouver, Edmonton, Québec et Toronto, nous avons poursuivi nos réunions publiques à Ottawa l’automne dernier et le mois dernier.

Voici quelques renseignements sur la réunion d’aujourd’hui. Nous accueillons cet après-midi trois groupes de témoins. Pour chaque groupe, nous entendrons d’abord les témoignages, puis les sénateurs pourront poser des questions.

Accueillons maintenant notre premier groupe. On a demandé à chaque témoin de faire une déclaration liminaire d’une durée de cinq minutes. Nous écouterons tous les témoins, puis il y aura une ronde de questions. Je souhaite la bienvenue à l’honorable Marie Deschamps, présidente de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement. Elle est accompagnée par Me Foluke Laosebikan, membre de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, et par John Davies, directeur général de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement. J’invite Mme Deschamps à faire sa présentation.

L’honorable Marie Deschamps, présidente, Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement : Bonjour, madame la présidente et honorables sénateurs membres du comité. J’aimerais tout d’abord souligner que je m’adresse à vous sur le territoire ancestral non cédé de la nation algonquine anishinabe.

[Français]

Je vous remercie de nous avoir invités à participer à vos travaux. Je suis accompagnée de Me Foluke Laosebikan, qui est membre de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignements depuis le printemps 2022. Elle apporte à l’office son expérience et son expertise auprès des communautés vulnérables, plus particulièrement les Autochtones et les minorités visibles.

À ma gauche, il y a M. John Davies, directeur général du Secrétariat de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement. Il occupe ces fonctions depuis sa création en 2019. À ce titre, il est responsable du secrétariat chargé de fournir à l’office tout le soutien nécessaire à la réalisation de son mandat.

Le nom de l’office a été mentionné à plusieurs reprises lors de vos audiences et dans les médias. Je sais que les travaux du comité sur l’islamophobie au Canada vont bien au-delà des pratiques de l’Agence du revenu du Canada (ARC), mais c’est sur cette dernière que mes remarques porteront aujourd’hui. Votre invitation nous donne l’occasion de vous expliquer ce que l’office a fait depuis que les pratiques de l’ARC ont soulevé des questions liées à la discrimination.

[Traduction]

Je ne m’étendrai pas trop sur le mandat de l’office; je rappelle seulement au comité qu’à sa création, l’office a été doté d’un mandat optimiste, en ce sens qu’il est très vaste. Ce mandat comprend des enquêtes, mais aussi des examens des activités de l’ensemble du gouvernement en ce qui concerne la sécurité nationale et le renseignement. Bien que nombre de nos examens sont réalisés à titre discrétionnaire, plusieurs d’entre eux sont prévus par la loi. Pour choisir les travaux que nous menons à titre discrétionnaire, nous avons établi un processus qui repose sur des éléments qui ont maintenant été rendus publics. Ils sont sur notre site Web. La raison d’être de l’office est d’agir au nom des Canadiens pour s’assurer que les activités qui sont menées au nom de la sécurité nationale sont raisonnables et nécessaires.

Tout d’abord, nous voyons si les agences respectent leurs obligations. Évidemment, cela comprend le respect de la Charte et, ce qui rejoint le sujet des travaux du comité, la protection contre la discrimination. Afin d’évaluer les activités des agences, l’office effectue des examens approfondis de manière indépendante et sans aucune crainte. Je ne sais pas si les agences apprécient la métaphore, mais je dis souvent que nous leur faisons cadeau de nos examens. Ce que je veux dire par là, c’est que nous les aidons à améliorer leur gestion et leurs opérations afin qu’elles puissent mieux se conformer à la loi.

Les activités de l’ARC ont été portées à notre attention en 2021 après la publication de deux rapports, dont vous avez entendu parler pendant vos travaux. Le premier de ces rapports a été publié par le Conseil national des musulmans canadiens en collaboration avec l’Institut des études islamiques de l’Université de Toronto. Le deuxième a été publié par la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles. Lorsque ces deux rapports ont été publiés, nous avons envisagé différentes options pour voir comment nous pouvions intégrer les activités de l’ARC dans notre plan de travail.

Peu après, nous avons appris que l’ombudsman des contribuables, M. Boileau, dont vous avez entendu le témoignage pendant vos travaux, était en train de réaliser son propre examen. Comme vous le savez, nous sommes tenus par la loi de ne pas entrer en conflit avec certains organismes d’examen, mais nous acceptons aussi de ne pas dédoubler le travail fait par les agences qui ne sont pas mentionnées explicitement dans la loi. Étant donné que M. Boileau et le Bureau de l’ombudsman des contribuables étaient en train de mener un examen, nous avons décidé d’attendre que ce dernier soit terminé avant de lancer nos propres audiences. Pendant celles-ci, M. Boileau nous a expliqué que son bureau s’était heurté à d’importants obstacles. Ce témoignage nous a incités à revoir notre analyse.

Notre cadre législatif est très différent de celui de l’ombudsman des contribuables et nous avons de l’expérience et de l’expertise dans ce domaine. Les questions liées à la discrimination et aux répercussions différentes sur les communautés marginalisées ne sont rien de nouveau pour notre office. En fait, vous savez peut-être que l’office a publié, en 2022, un rapport d’examen sur l’utilisation des données biométriques par le gouvernement du Canada. Ce rapport aborde la question des répercussions réelles et éventuelles sur les communautés marginalisées et des risques de discrimination dans les activités de sécurité nationale.

Pour ces raisons, et après consultation avec le bureau de M. Boileau, l’office a avisé l’ARC de sa décision de lancer un examen — j’ai l’avis avec moi, c’est un document public — de la Division de la revue et de l’analyse de l’ARC. Cet examen est axé sur les activités de la division et sur le processus de prise de décision concernant les organismes de bienfaisance enregistrés au Canada et vise à évaluer leur caractère raisonnable, leur nécessité et leur conformité à la loi. En ayant accès à toute l’information, à l’exception des documents confidentiels du Cabinet, l’office sera en mesure de réaliser un examen exhaustif, indépendant et factuel de la division.

Après avoir procédé à cet examen, nous formulerons des conclusions et des recommandations sur les activités de l’ARC. Nous présenterons le rapport à la ministre du Revenu national et à d’autres ministres si d’autres ministères sont inclus dans l’examen. Une version non classifiée du rapport final sera également rendue publique.

Je dirai en terminant que l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, l’OSSNR, joue un rôle clé dans la sécurité nationale, la transparence et la reddition de comptes au Canada. Même si les Canadiens ne sont pas en mesure de constater par eux-mêmes tous les aspects du travail effectué dans le domaine de la sécurité et du renseignement, ils peuvent avoir l’assurance que les agences d’examen comme l’office demandent des comptes au gouvernement en leur nom. Nous travaillons chaque jour pour bâtir et renforcer la confiance du public au moyen de nos examens rigoureux et indépendants.

Je vous remercie de nous avoir donné l’occasion de vous parler de ces enjeux importants. Je suis sûre que vous aurez de nombreuses questions pour nous trois.

La présidente : Merci pour votre exposé.

Avant de passer à la période de questions, je demanderais aux membres du comité et aux témoins qui sont présents ici dans la salle d’éviter de se pencher trop près du microphone, ou alors d’enlever votre oreillette. Cela évitera de produire une réaction acoustique qui pourrait être dangereuse pour le personnel du comité qui est sur place.

Nous passons maintenant à la période de questions. Comme nous avons l’habitude, chaque sénateur dispose de cinq minutes pour poser une question, ce qui inclut les réponses.

Nous allons commencer par la sénatrice Bernard, qui est vice-présidente du comité.

La sénatrice Bernard : Merci beaucoup pour votre présence et pour votre témoignage.

J’ai une brève question au sujet de votre examen de l’ARC concernant l’échéancier. Quel est votre échéancier pour cet examen et quand pouvons-nous espérer recevoir votre rapport?

Mme Deschamps : J’aimerais laisser la parole à mes collègues. Je vais demander à Me Laosebikan de répondre.

Me Foluke Laosebikan, membre, Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement : Merci.

En ce qui concerne l’échéancier, l’office a un processus d’examen bien établi. L’office a l’autorité nécessaire pour mener de vastes enquêtes et obtenir tous les renseignements requis. C’est ce qui détermine la portée des travaux.

La réponse simple est qu’il est difficile de savoir d’avance combien de temps prendra l’examen. Nous pourrons mieux évaluer la durée du projet une fois que la portée des travaux sera établie et que nous aurons une idée de l’information dont nous disposons. À ce stade-ci, il est difficile de prévoir un échéancier.

La sénatrice Bernard : Lors des audiences du 20 mars de notre comité, des témoins ont insisté sur l’importance pour les organisations canadiennes du domaine de la sécurité et du renseignement de faire appel à une main-d’œuvre diversifiée qui reflète la population du Canada, y compris des Canadiens musulmans. Pouvez-vous nous expliquer ce que votre organisation fait en ce moment pour assurer la diversité de son personnel?

Mme Deschamps : Je vais laisser M. John Davies répondre à cette question.

John Davies, directeur général, Secrétariat, Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement : Merci, madame la sénatrice. C’est une excellente question.

Lorsque notre organisation est devenue l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, nous avions beaucoup de pain sur la planche. Nous avions hérité d’une organisation comptant de 20 à 25 employés, et nous devions passer à une centaine d’employés. Doter en personnel un service des ressources humaines capable de soutenir des objectifs stratégiques globaux, comme tout ce qui touche à la diversité et à l’inclusion, était un objectif important. Il était aussi important pour nous de nommer un champion de l’équité, la diversité et l’inclusion en milieu de travail qui travaillerait avec le service des RH pour favoriser le genre de discussions qu’il est nécessaire d’avoir au sein d’une organisation au sujet des questions comme celles-là — et nous n’avons certainement pas manqué de sujets de discussion pendant la COVID — et créer un contexte dans lequel les gens se sentent à l’aise de tenir ces discussions. L’équipe de gestion a aussi consacré beaucoup de temps à établir un cadre stratégique sur la diversité.

Notre principal obstacle à l’heure actuelle est un manque de données démographiques et autres sur notre main-d’œuvre. Lorsque nous embauchons des employés au moyen d’appels de candidatures ou de lettres d’offre, nous pouvons leur demander de s’auto-identifier, ou nous pouvons tirer nos propres conclusions, mais nous n’avons pas de bonne vue d’ensemble. En tant qu’organisation de moins de 100 employés, nous ne sommes pas tenus de demander aux employés de s’auto‑identifier aux termes de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, mais nous acceptons de le faire.

Nous utilisons pour ce faire le pouvoir qui est conféré par la Loi canadienne sur les droits de la personne — à l’article 16, je crois —, compte tenu des incidences sur le plan de la protection des renseignements personnels et du soutien dont nous bénéficions. Nous collaborons avec nos employés afin de mettre en place un programme spécial pour nous aider à instaurer un processus d’auto-identification approprié qui comprend les quatre groupes visés par l’équité en matière d’emploi, c’est-à-dire les femmes, les Autochtones, les personnes racisées, les personnes handicapées et peut-être aussi la religion. Nous poursuivrons nos efforts en ce sens en 2023-2024.

Évidemment, les gens qui s’intéressent à notre organisation s’intéressent aussi aux questions de discrimination entourant notre façon de travailler, de choisir nos examens et de traiter les plaintes. Plusieurs de nos examens abordent aussi ces questions. Je vais m’arrêter ici.

La sénatrice Bernard : Comment évaluez-vous le succès de vos mesures d’embauche et de rétention des employés visés par l’équité en matière d’emploi?

M. Davies : Je reviens à ce que je disais à propos de l’auto-identification et de l’importance d’avoir les données nécessaires pour bâtir une main-d’œuvre diversifiée qui représente la population. Il faut savoir qui sont nos employés. L’auto-identification est un sujet délicat. Il est essentiel de trouver les bonnes façons d’aborder le sujet avec les employés et de les inciter à remplir les questionnaires si nous voulons avancer. Nous avons un plan d’action à ce sujet. Il n’est toutefois pas affiché en ligne. Je ne sais pas exactement pourquoi. Nous pourrions sans doute l’afficher en ligne. Par ailleurs, nous avons répondu à l’appel à l’action de la greffière du Conseil privé. Le document qui indique les mesures que nous avons prises au cours des dernières années à cet égard est affiché sur notre site Web. Il y a aussi un modèle de maturité qui contient davantage de paramètres spécifiques.

La sénatrice Bernard : Pouvez-vous transmettre votre réponse à l’appel à l’action à notre comité?

M. Davies : Oui. Nous devrons la faire traduire, mais je ne vois pas pourquoi ce serait un problème.

La sénatrice Hartling : Vous parliez de l’Agence du revenu du Canada. Pour beaucoup d’entre nous, avoir à traiter avec l’ARC est notre pire cauchemar. Les témoins ont dit à quel point c’était difficile. Il semble que vous ayez des moyens de le faire. Voyez-vous des obstacles possibles? L’agence doit-elle se conformer à votre demande? Comment cela fonctionne-t-il?

Mme Deschamps : Nous avons mis en place un processus avec les autres organismes. De toute évidence, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, l’un des prédécesseurs de l’office, avait établi une relation avec le SCRS et le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, un autre de nos prédécesseurs. Nous avons repris son travail. Le comité avait mis en place un processus avec le Centre de la sécurité des télécommunications du Canada, qui est le service responsable du renseignement d’origine électromagnétique. Nous avons également repris le travail de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes de la GRC. Nous avons mis en place certaines procédures d’accès à l’information et nous sommes en train d’établir des protocoles. Nous progressons.

Chaque organisme présente des difficultés différentes. Dans certains cas, il s’agissait plutôt d’une question de temps et de réceptivité. Pour d’autres, nous avons dû gérer des situations où les documents étaient encore sous forme de papier. En ce qui concerne l’Agence du revenu du Canada et le travail que nous avons effectué avec elle, nous avons jusqu’à présent été en mesure de collaborer. Il est évident que nous n’avons pas encore procédé à un examen direct de cette agence. L’Agence du revenu du Canada a été incluse dans notre travail à travers des examens horizontaux que vous connaissez peut-être. Par exemple, en matière de sécurité, il y a la LCISC.

M. Davies : Oui, la Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada.

Mme Deschamps : Cette loi couvre plusieurs organismes au Canada. L’Agence du revenu du Canada est incluse dans son annexe. Il y a aussi la Loi visant à éviter la complicité dans les cas de mauvais traitements infligés par des entités étrangères. L’Agence du revenu du Canada est aussi visée par cette loi.

Jusqu’à présent, nous avons reçu une réponse positive de la part de l’agence. Nous n’avons pas rencontré les mêmes obstacles qu’avec d’autres organismes dus au support papier ou à d’autres choses de ce genre. Nous espérons pouvoir obtenir une réponse positive de leur part. Notre statut est très clair. Nous avons accès à tous les renseignements, à l’exception de ceux qui sont assujettis au secret du Cabinet.

La sénatrice Hartling : Voilà qui est utile. Merci.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie de votre présence. J’ai beaucoup de questions à vous poser.

Madame la présidente, ils n’ont même pas commencé l’examen de l’agence du revenu; nous devrons les inviter à témoigner à nouveau. Je ne sais pas de quelle manière cela se fera, mais je m’en remets à vous et au comité directeur.

Ce qui me laisse perplexe, c’est que le problème de l’Agence du revenu du Canada n’est pas nouveau. En ce qui concerne la communauté musulmane, il existe depuis de nombreuses années. Pourquoi ne vous penchez-vous sur la question que maintenant? Les membres et les organismes de bienfaisance de la communauté souffrent réellement. Pourquoi ne vous en préoccupez-vous que maintenant? Je ne comprends pas votre démarche. Voilà pourquoi je vous pose la question.

Mme Deschamps : L’office a été créé en 2019. En 2019, nous avons commencé notre plan d’examen. Nous avons essayé d’inclure autant d’organismes que possible. Nous devions continuer à travailler pour le SCRS et pour Conseils et Vérification Canada, et traiter les plaintes relatives à la sécurité nationale qui étaient auparavant soumises à leurs organes d’examens. Ensuite, nous en avons ajouté beaucoup d’autres. J’ai les rapports des deux dernières années. Nous étendons notre mandat et examinons beaucoup plus d’organismes.

Comme je l’ai mentionné dans mon discours, la profondeur du problème concernant les organismes de bienfaisance est attestée par deux rapports qui ont été portés à notre attention, et nous ne voulions pas répéter le travail du Bureau de l’ombudsman des contribuables. À l’époque, nous avons décidé d’attendre la publication de son rapport. Cependant, parce qu’il s’est adressé à vous...

La sénatrice Jaffer : Je vais vous arrêter parce que vous avez déjà dit cela. Je ne veux pas être impolie.

Mme Deschamps : Non, je suis d’accord.

La sénatrice Jaffer : La présidence m’interrompra.

Vous avez dit que vous avez examiné le SCRS, et l’une des plus grandes plaintes de la communauté musulmane concerne le SCRS et le fait que ses agents entrent dans les maisons et emmènent des jeunes sans aucune explication. Avez-vous effectué des examens du SCRS dans le contexte de la communauté musulmane?

Mme Deschamps : Nous examinons des sujets. Nous n’examinons pas des communautés. Nous avons systématiquement examiné plusieurs activités du SCRS. Pour répondre à votre question, oui, nous avons examiné de nombreuses activités du SCRS.

La sénatrice Jaffer : Permettez-moi de vous demander si vous vous êtes penchés sur le racisme systémique dans le milieu. Avez-vous examiné la discrimination du SCRS à l’égard d’une certaine communauté?

Mme Deschamps : Nos examens ne sont pas catégorisés en fonction des religions. Nous examinons des activités. Par exemple...

La sénatrice Jaffer : D’accord. Dites-moi si, en examinant les activités, vous avez vu des activités de racisme systémique. Avez-vous vu des activités de discrimination à l’encontre de Canadiens?

Mme Deschamps : L’explication la plus proche que je puisse vous donner est un exemple de notre expérience avec des plaintes déposées auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, mais elles n’étaient pas classées en fonction d’une religion. Elles étaient classées comme plaintes pour discrimination fondée sur le pays d’origine; dans ce cas, il s’agissait de l’Irak.

La sénatrice Jaffer : Qu’avez-vous découvert?

Mme Deschamps : Vous pouvez déduire quelles ont été nos conclusions. Les rapports ne sont pas encore publics. Le gouvernement du Canada est en processus de révision judiciaire; vous pouvez donc déduire où le résultat a pu se situer.

La sénatrice Jaffer : Ai-je excédé mon temps de parole?

La présidente : Les questions que vous posez me plaisent, alors continuez.

La sénatrice Jaffer : Je suis confuse. Je le suis vraiment. Avez-vous travaillé sur le racisme systémique? Avez-vous travaillé sur la discrimination? En tant que Canadienne racialisée, je peux vous dire qu’il y a beaucoup de racisme. Je sais que vous devez être prudente, mais je veux une réponse. Avez-vous fait des recherches? Avez-vous trouvé quoi que ce soit? Je suis confuse.

Mme Deschamps : Comme je l’ai dit, ce qui s’en rapproche le plus — et premièrement, nous ne classons pas les activités sur la base de la religion. Cela dit, celles qui...

La sénatrice Jaffer : Sur la base des Canadiens. Oubliez la religion. Sur la base des Canadiens.

Mme Deschamps : Oui. Pour ce qui est des activités, nous n’avons pas réalisé d’examens sur la question des personnes racialisées.

La sénatrice Jaffer : Avez-vous fait des activités sur les questions de racisme systémique?

Mme Deschamps : Les activités que nous examinons comportent parfois des risques de discrimination. Dans mon discours, je vous ai donné l’exemple de l’examen sur les données biométriques, où nous avons soulevé le risque de discrimination. Dans bon nombre de nos examens, nous alertons les ministres et le public sur les risques de discrimination.

La sénatrice Jaffer : Merci.

Le sénateur Arnot : Je tiens à remercier Me Foluke Laosebikan, qui est ici aujourd’hui et qui est une avocate bien connue à Melfort, en Saskatchewan, où elle pratique le droit depuis de nombreuses années. Je sais qu’elle servira bien l’office par sa présence et son travail. Je tiens à la remercier d’être présente aujourd’hui, ainsi que tous les témoins.

L’ombudsman des contribuables a présenté un rapport et l’a rendu public aujourd’hui. Il a indiqué, comme vous l’avez mentionné, que des obstacles législatifs et administratifs avaient entravé son travail. Cela ne plaide pas en faveur de l’Agence du revenu du Canada en ce qui concerne la transparence et la recherche de la vérité, à titre d’organisme gouvernemental. Je constate que l’ombudsman semble avoir formulé des recommandations raisonnables, notamment en ce qui concerne l’éducation et les questions soulevées par la communauté musulmane du Canada, laquelle a témoigné devant nous au sujet du racisme et du racisme systémique. L’ombudsman préconise de créer une formation sur les préjugés inconscients pour les employés de l’agence, en particulier au sein de la direction responsable des organismes de bienfaisance, et de cibler les personnes participant au processus d’audit, y compris les décideurs, en rendant cette formation obligatoire pour eux. Cela me semble être une bonne idée et relever du bon sens.

Je ne suis pas certain que ces recommandations seront mises en œuvre, et je ne sais pas si les Canadiens devraient en être certains, étant donné que l’agence s’est opposée au travail de l’ombudsman des contribuables. Je demanderais à votre comité de se concentrer particulièrement sur ces questions, pour corroborer les observations de la sénatrice Jaffer. Votre organisme dispose de beaucoup plus d’outils pour garantir la transparence et la responsabilité au sein du gouvernement, si j’ai bien compris ce que vous avez dit. Les questions soulevées par la communauté musulmane du Canada sont très déconcertantes. La communauté est très inquiète et il convient de répondre à ses préoccupations de manière appropriée. J’espère que votre travail sera plus rigoureux que ce que l’ombudsman a été en mesure de faire pour découvrir la vérité ou aller plus loin afin de répondre aux préoccupations et d’apaiser les inquiétudes de la communauté. J’attends avec impatience votre rapport définitif, qui sera rendu public.

Les préoccupations que la sénatrice Jaffer et moi-même avons soulevées ont été exprimées sur la tribune publique cet après-midi. Je me demande ce que vous pouvez dire sur votre capacité à aborder ces enjeux particuliers et sur le travail que vous comptez accomplir.

Mme Deschamps : Nous examinerons les activités. Nous vérifierons s’il y a un cadre de gouvernance et si les activités sont conformes à la Charte. Il s’agira d’un examen très approfondi, basé sur les faits, où la composante juridique sera prépondérante.

Le sénateur Arnot : Merci beaucoup.

Je me demande si nous pouvons nous attendre à ce que les conclusions ou les recommandations que vous présentez soient mises en œuvre par l’Agence du revenu du Canada. Existe-t-il un mécanisme permettant de mesurer ces recommandations?

Mme Deschamps : La mise en œuvre des recommandations est quelque chose qui se produit dans chaque processus d’examen. En général, nous disons : « Voici les recommandations A, B et C » et, dans certains cas, nous disons : « Nous reviendrons dans deux ans ». Nous avons récemment rendu publique une étude sur le SCRS et sur le ministère de la Justice. Nous avons indiqué que nous y reviendrons dans deux ans afin de déterminer ou d’examiner ce qui a été fait. Non seulement nos examens sont rendus publics dans la mesure du possible, mais nous revenons également sur le sujet pour déterminer si des progrès ont été accomplis. Bien que nous n’ayons pas le pouvoir de sanctionner les organismes, nous pouvons les talonner.

Le sénateur Arnot : Merci.

La sénatrice Omidvar : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui.

Madame Deschamps, j’attends avec impatience votre examen courageux de l’Agence du revenu du Canada et, en particulier, de la Division de la revue et de l’analyse. Je tiens à confirmer que nous ne parlons pas de l’Agence du revenu dans son ensemble. Ce dont nous parlons vraiment, c’est de cette soi-disant division d’élite qu’est la Division de la revue et de l’analyse. Je tiens à le confirmer. Je vois que vous opinez du chef, mais, pour le compte rendu, vous devez dire « oui ».

Mme Deschamps : Oui, c’est exact. Nous examinons la Division de la revue et de l’analyse.

La sénatrice Omidvar : Ce comité a entendu de nombreux témoignages sur le traitement réservé par la Division de la revue et de l’analyse aux organismes de bienfaisance musulmans. Vous vous souviendrez qu’en janvier de l’année dernière, la sénatrice Ataullahjan et moi-même vous avons écrit en notre qualité de sénatrices pour vous demander de procéder à un tel examen. Vous nous avez répondu : « Attendons l’ombudsman des contribuables. » Nous le savons maintenant, il n’est pas en mesure de procéder à un examen complet parce qu’il travaille avec une main attachée dans le dos.

Dans le cadre de votre examen, quelle est la procédure que vous utiliserez pour aller au cœur du problème, et consulterez-vous également des intervenants externes lors de l’élaboration de vos recommandations?

Mme Deschamps : Je demanderai à ma collègue de répondre à cette question.

Mme Laosebikan : Merci, sénatrice Omidvar.

Pour ce qui est de la procédure, si je peux reformuler la question, je crois comprendre que vous cherchez à comprendre ou à obtenir l’assurance que les points de vue des plaignants, pour ainsi dire, seront entendus et pris en considération directement et que leurs voix seront entendues. Si telle est la question, je sais que l’OSSNR dispose d’une procédure d’examen qui permet d’obtenir des renseignements complets. Pour ce qui est de la forme que prendra cette consultation ou cette écoute, l’OSSNR ne peut pas prédire ce qu’il en sera à l’heure actuelle. L’OSSNR peut donner l’assurance que, lorsqu’il collectera les renseignements dont il a besoin pour parvenir à ses conclusions, il entendra les points de vue exprimés et il les prendra en considération.

La sénatrice Omidvar : Merci.

Les organismes de bienfaisance musulmans nous ont dit que le financement du terrorisme, qui est la principale préoccupation ici, est extrêmement difficile à prouver. Au lieu de prouver le financement du terrorisme — il s’agit d’allégations, et vous procéderez à l’examen —, la Division de la revue et de l’analyse choisit de tergiverser sur des questions administratives et, par conséquent, de soumettre les organismes à un examen d’audit très long et pénible et, en fin de compte, de révoquer leur statut d’organisme de bienfaisance.

Il est question de nuances, madame Deschamps. Je veux savoir si vous soutiendrez la communauté dans sa recherche de vraies réponses, même si elles sont dissimulées sous des questions qui — permettez-moi de le dire ainsi — tentent de brouiller les pistes.

Mme Deschamps : Nous ne pouvons pas nous avancer sur la Division de la revue et de l’analyse et sur ce que nous y trouverons, mais c’est une question de pratiques. Cela concerne le professionnalisme de nos analystes. Nos analystes sont là pour creuser, pour établir des liens entre les faits et pour examiner suffisamment de faits, un ensemble suffisant de circonstances, afin de déterminer si les activités sont réellement conformes au cadre de gouvernance ou s’il s’agit d’un écran de fumée. Normalement, nos analystes sont très habiles à discerner les faits des façades.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie. Cela me rassure. Vous avez des analystes experts qui peuvent percer l’écran de fumée des examens administratifs.

La communauté est tellement préoccupée par cette question, madame Deschamps, qu’elle a émis un avis selon lequel il serait injuste que le gouvernement entame un nouvel examen tout en laissant ces pratiques perdurer à la Division de la revue et de l’analyse. Certains membres de cette communauté proposent que l’on écarte la division de ces examens ou que les audits ciblés d’organismes de bienfaisance musulmans soient suspendus jusqu’à ce que votre examen soit terminé. Que pensez-vous de cette position?

Mme Deschamps : Comme l’examen n’a pas encore commencé, il est beaucoup trop tôt.

Je voudrais faire un retour sur l’une des observations qui ont été faites, à savoir que nous pourrions avoir besoin de revenir au cours de l’examen. Normalement, nous ne faisons pas de rapport intermédiaire parce que nos renseignements sont incomplets. Je fais parfois la comparaison avec le travail d’un juge. On ne demande pas à un juge, au milieu d’un procès, quelle sera sa décision. En tant qu’organisme indépendant, nous devons mener l’examen de A à Z, puis produire notre rapport. Nous suivons un processus très strict afin de nous assurer que toutes nos conclusions sont fondées sur la réalité. Par exemple, une fois que nous avons procédé à l’ensemble de l’examen, nous envoyons la version provisoire de notre rapport aux organismes concernés pour qu’ils en examinent les faits, afin de s’assurer que nous avons...

La sénatrice Omidvar : Merci, madame Deschamps. Cela me ramène à la question de la sénatrice Bernard sur les délais. D’après ce que vous décrivez, le processus sera long. Pouvez-vous nous donner une comparaison approximative avec une étude similaire qui a pris tel nombre de mois, d’années ou de décennies?

Mme Deschamps : Certains de nos examens se déroulent sur une longue période. Par exemple, celui sur les données biométriques a pris beaucoup de temps.

La sénatrice Omidvar : « Beaucoup de temps », c’est-à-dire?

Mme Deschamps : Il a duré 18 mois. Notre examen du SCRS et du ministère de la Justice a duré plus d’un an et demi. Normalement, nous nous efforçons d’achever nos examens dans un délai d’un an.

La sénatrice Omidvar : Vos recommandations au Parlement ont-elles force exécutoire?

Mme Deschamps : Nos recommandations sont ce que le mot indique, des recommandations. J’ai expliqué au sénateur Arnot que nos méthodes consistent davantage à faire pression. Il s’agit d’une pression publique, car nos recommandations sont rendues publiques. Dans ce contexte, comme dans d’autres, les parties intéressées agissent très souvent comme des agents de pression. Quoi qu’il en soit, l’OSSNR est habilité à revenir vérifier si des progrès ont été accomplis. Dans l’affirmative, nous en prenons note; dans le cas contraire, nous essayons de trouver la cause fondamentale de l’absence de progrès.

La présidente : Avant de passer à la deuxième ronde, monsieur Davies, j’aimerais revenir sur le champion de la diversité que vous avez mentionné tout à l’heure. Pourriez-vous nous en dire plus?

M. Davies : Dans la plupart des ministères, il est courant qu’un cadre supérieur se fasse le champion d’une cause. Il peut s’agir des langues officielles. Il peut s’agir de la sécurité en milieu de travail. Nous avons un champion de l’équité, de la diversité et de l’inclusion depuis le début, je crois l’avoir dit. En plus de ses fonctions normales, le champion travaille généralement avec le président du comité interne, avec l’équipe des ressources humaines et avec l’équipe de direction pour faire avancer tout plan d’action interne lié à la diversité et à l’inclusion. D’une certaine manière, cette personne n’a pas nécessairement à rendre des comptes, mais elle est une sorte de catalyseur, ou elle fait bouger les choses pour nous aider à animer les discussions internes et à représenter le ministère ou l’organisme, dans certains cas. C’est l’un des outils importants dont nous disposons dans notre trousse.

La présidente : Ai-je bien entendu? Vous avez dit que cette personne n’est pas tenue de rendre des comptes?

M. Davies : Ce que j’ai dit, c’est qu’un champion n’est pas tenu responsable de la diversité et de l’inclusion. Évidemment, c’est moi qui le suis; c’est le comité de direction qui l’est. Son rôle consiste davantage à travailler avec l’équipe des ressources humaines, qui nous aide à combler les lacunes et à résoudre les problèmes de rendement que nous essayons de résoudre afin d’améliorer le lieu de travail sur le plan de sa culture et de son inclusivité.

La présidente : Autrement dit, cette personne fait des suggestions.

M. Davies : Oui.

La présidente : Qui ne sont pas nécessairement suivies?

M. Davies : Encore une fois, nous sommes une petite organisation. Nous avons un excellent champion qui est certainement un leader au sein de l’organisme, dans tous les sens du terme. Il a beaucoup de poids et fait également partie de l’équipe de direction. Ultimement, c’est moi qui suis responsable. C’est au greffier qu’il revient d’assurer que l’organisation soit capable de tenir ses promesses à cet égard.

La présidente : Le champion est-il une personne racialisée?

M. Davies : Je crois qu’il s’identifie comme tel, mais je ne l’ai pas confirmé.

La présidente : D’accord, merci.

La sénatrice Jaffer : Madame Deschamps, je ne vous demandais pas de nous parler du rapport à mi-parcours. Je voulais dire quand vous aurez terminé le rapport. Je sais qu’on ne peut pas prendre une décision en cours de route. S’il y a eu un malentendu, je m’en excuse. On ne doit jamais prendre de décision à mi-parcours, car on peut changer d’avis une fois l’examen terminé.

Voici mon deuxième point. Vous avez dit que le Cabinet n’a toujours pas terminé sa lecture de l’étude sur l’Irak. Ai-je bien compris ce que vous avez dit? Autrement dit, où est...

Mme Deschamps : Non. Ce que je voulais dire, c’est que les plaintes ont été transmises à l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, ou OSSNR, par le ministre, mais qu’il y a eu des plaintes déposées devant la Commission canadienne des droits de la personne. Nous en avons été saisis. Lorsque nous avons déposé nos rapports, le ministère de la Justice, le procureur général, a demandé un contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale.

La sénatrice Jaffer : Et que s’est-il passé?

Mme Deschamps : Le dossier est en cours.

La sénatrice Jaffer : Quel est l’objet du contrôle judiciaire? Je suis désolée. Je l’ignore.

Mme Deschamps : Comme ils n’étaient pas d’accord avec la décision, ils ont demandé à un juge de l’examiner.

La sénatrice Jaffer : En bref — et je pose la question parce que je ne le sais pas — ils ont demandé une révision auprès d’un juge parce qu’ils n’aiment pas votre décision?

Mme Deschamps : Je n’irais pas jusqu’à parler de la substance de la décision, mais il y a des aspects de la décision qui les ont amenés à demander à un juge de la réviser.

La sénatrice Jaffer : D’accord. C’est donc au tribunal que les choses se sont arrêtées?

Mme Deschamps : Oui.

La sénatrice Jaffer : Je voudrais un éclaircissement, si vous le permettez. Je ne comprends pas. Je ne vous suis pas. Vous avez dit que vous n’examiniez pas les religions. Qu’est-ce que vous examinez, et pour qui le faites-vous?

Mme Deschamps : L’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement a pour mandat d’examiner les activités du Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS, du Centre de la sécurité des télécommunications, ou CST, et de toute activité de sécurité nationale ou de renseignement de n’importe quel service du gouvernement du Canada.

La sénatrice Jaffer : Au sujet des activités du SCRS, je viens de vous dire que l’une des activités du SCRS — et je n’utiliserai pas le mot « religion » — est très discriminatoire et implique un racisme systémique. Est-ce que vous vous penchez là-dessus?

Mme Deschamps : Par « activités », nous entendons les opérations. Au cours des opérations ou des activités, il est possible que nous constations l’existence de racisme systémique, mais nous devons examiner une activité.

La sénatrice Jaffer : Mon temps de parole est écoulé. Puis-je vous demander respectueusement d’envoyer à la présidence ce que vous entendez exactement par écrit, car je ne comprends pas ce que vous entendez par « activité »? En réponse à cette question, puis-je vous demander de me faire savoir si vous avez constaté un quelconque racisme systémique dans l’un de vos examens?

Mme Deschamps : D’accord. La réponse est facile et elle se trouve dans notre rapport annuel, où nous décrivons l’examen des activités menées par le SCRS. Les deux rapports que j’ai sous les yeux sont ceux de 2021 et de 2020. Dans ces deux rapports, pour le SCRS en particulier, autant que je me souvienne, il n’y a pas d’activité où un risque de discrimination a été constaté. Cependant, comme je l’ai également mentionné, l’examen biométrique incluait le SCRS, et je ne peux pas vous dire si les activités étaient celles qui ont conduit au commentaire sur le risque de discrimination.

La présidente : Je vous remercie. La sénatrice Jaffer souhaiterait tout de même une réponse écrite, alors peut-être pourrions-nous vous demander d’envoyer une réponse par écrit au comité. Nous manquons de temps, et je voudrais maintenant donner la parole à la sénatrice Omidvar pour qu’elle pose ses questions.

La sénatrice Omidvar : Merci. C’est vraiment...

La sénatrice Jaffer : J’obtiendrai une réponse écrite à ma question? Merci.

La sénatrice Omidvar : Lors d’une réunion précédente, Sharmila Khare, directrice générale à l’Agence du revenu du Canada, a témoigné devant le comité. Elle nous a informés que la Division de la revue et de l’examen s’appuie sur le cadre national d’évaluation des risques inhérents dans sa lutte contre le financement du terrorisme. Que ce soit intentionnel ou non — encore une fois, je vous laisse le soin d’en décider —, les organismes de bienfaisance des communautés musulmanes et racialisées sont dans sa ligne de mire. Pensez-vous que vous examinerez le cadre national d’évaluation des risques inhérents, qui semble être la source de nombreux problèmes ici?

Mme Deschamps : Lorsque j’ai mentionné que nous ferions rapport à tout autre ministre dont le ministère est inclus dans l’examen, c’est le genre de circonstances qui pourrait donner lieu à un rapport à un ministre autre que celui du Revenu national. Toutefois, il est trop tôt pour vous dire si un autre ministère sera touché.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie. D’après les commentaires de la communauté, le financement du terrorisme se porte fort bien, malheureusement, mais qu’en se concentrant simplement sur les personnes de couleur, on passe à côté de la véritable source du phénomène. Je vous remercie encore une fois pour votre examen courageux et je vous souhaite bonne chance.

La présidente : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui et de leur participation à cette importante étude. Nous vous sommes très reconnaissants de votre aide.

Honorables sénateurs, nous passons maintenant à notre deuxième panel. Notre témoin a été invitée à faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous allons l’entendre, puis nous passerons aux questions des sénateurs.

Amira Elghawaby, représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie, est présente en personne. Je suis ravie de vous accueillir. J’invite Mme Elghawaby à commencer sa présentation.

Amira Elghawaby, représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie, à titre personnel : Al Salam Alaykom. Bonjour, honorables sénateurs, fonctionnaires présents dans la salle et membres de la communauté qui nous rejoignent virtuellement, et Ramadan Kareem à ceux qui observent le Ramadan.

[Français]

Je suis heureuse de me joindre à vous aujourd’hui sur le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe. J’ai l’honneur d’être la première représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie. Je suis en poste depuis environ 25 jours ouvrables.

J’ai commencé à bâtir les capacités nécessaires pour remplir mon mandat qui comprend, ce qui suit, mais sans s’y limiter : fournir des orientations et des conseils aux ministres afin d’éclairer et d’améliorer les efforts visant à suivre et à surveiller les incidences de la haine et de la violence antimusulmanes à travers le Canada; soutenir les efforts visant à lutter contre le racisme systémique et l’islamophobie par l’éducation et la sensibilisation du public; s’engager de manière proactive avec diverses parties prenantes, y compris toutes les communautés musulmanes variées à travers le pays et d’autres parties prenantes, afin de faire progresser les solutions, les politiques et les actions éclairées par les communautés; offrir des conseils aux ministres responsables pour contribuer aux activités de formation en soutien aux agences de sécurité nationale.

Je n’en suis qu’au début de l’engagement et de l’analyse qui seront nécessaires pour déterminer les priorités de ce bureau à court, moyen et long termes. Je suis très consciente que pour remplir les objectifs de ce rôle, je m’appuierai sur les travaux antérieurs, notamment le rapport du Comité permanent du patrimoine canadien de 2018, ainsi que diverses autres enquêtes gouvernementales, des études et recherches universitaires, ainsi que de la société civile. Il y aura le travail en cours, y compris le rapport que ce comité publiera à la fin de ces audiences.

[Traduction]

Je considère que la principale force de ce bureau réside à la fois dans ma proximité avec le gouvernement fédéral et dans ma proximité avec les communautés qui font face à l’islamophobie. Cela signifie que je serai constamment en contact avec les communautés, à l’écoute de leurs préoccupations, afin de servir efficacement de champion, de conseiller, d’expert et de représentant auprès du gouvernement canadien, comme le prévoit le mandat.

Avant d’aller plus loin, j’aimerais partager la définition de l’islamophobie que le gouvernement fédéral a adoptée dans le cadre de la Stratégie canadienne de lutte contre le racisme pour 2019-2022. Cette définition est la suivante :

L’islamophobie englobe le racisme, les stéréotypes, les préjugés, la peur ou les actes d’hostilité envers les personnes musulmanes ou les adeptes de l’islam en général. En plus, de motiver des actes d’intolérance et de profilage racial, l’islamophobie mène à considérer, aux niveaux institutionnel, systémique et sociétal, que les musulmans constituent une menace accrue pour la sécurité.

Pour comprendre comment l’islamophobie se manifeste dans la société, il existe divers indicateurs quantitatifs et qualitatifs, qui permettent de mieux comprendre le problème qui se présente à nous. Parmi les indicateurs quantitatifs, les données les plus récentes de Statistique Canada pour 2021 montrent que les crimes de haine visant les musulmans ont augmenté de 71 % par rapport à l’année précédente. Quant aux données qualitatives, elles comprennent les récits que nous entendons sur le terrain, de la part des musulmans du Canada, que ce soit des Canadiens, des nouveaux arrivants, des résidents permanents ou des réfugiés.

Par exemple, dans le cadre de ma première visite officielle dans cette fonction, je me suis rendue à London, en Ontario, au début du mois pour m’entretenir avec les diverses communautés musulmanes de la ville, qui sont aux prises avec les douloureuses conséquences de l’attentat islamophobe meurtrier de 2021 qui a coûté la vie à quatre membres de la famille Afzaal. Les conséquences continuent de se faire sentir, ce qui témoigne du fait que les crimes de haine sont des crimes à message qui ébranlent le sentiment de bien-être de la communauté ciblée, érodant notre tissu social et nos valeurs démocratiques. Qu’il s’agisse de la voisine musulmane de la famille de feu Afzaal, qui ne sort plus que rarement dans son jardin de nos jours, parce qu’elle souffre encore de voir le jardin qu’ils avaient l’habitude d’entretenir avec tant d’amour, ou de la femme portant un hidjab que le jeune fils écarte de la route chaque fois qu’il voit une voiture roulant à vive allure, de peur qu’elle ne la percute. Pour ce qui est des formes sexistes de l’islamophobie, j’ai entendu plusieurs jeunes filles dont les foulards ont été arrachés de leur tête par des camarades de classe. J’ai également entendu des élèves qui doivent encore écouter des cours véhiculant des stéréotypes et des informations erronées sur l’islam et les musulmans.

Pour conclure, je veux évoquer la résilience et l’espoir dont j’ai tout de même été témoin, entre autres de la part de la ville de London, qui a mis en place un plan d’action sans précédent pour combattre et atténuer l’islamophobie, qui a été créé à la suite de consultations communautaires et d’un groupe d’adolescentes syro-canadiennes travaillant sur un projet artistique collectif pour résister à l’islamophobie. Si vous le permettez, je vais conclure mon intervention par un court extrait d’un poème qu’elles ont écrit ensemble :

Le monde que nous méritons

Nous méritons un monde dans lequel nous pouvons marcher librement dans les rues.

Avec fierté et dignité.

Nous méritons un monde dans lequel nous sommes aimées et en sécurité.

Un monde dans lequel nous avons tous notre place.

[Français]

Je vous remercie et je répondrai volontiers à vos questions.

[Traduction]

La présidente : Merci de votre présentation, madame Elghawaby.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Comme nous le faisons habituellement, je voudrais rappeler à chaque sénateur qu’il dispose de cinq minutes pour sa question, ce qui inclut le temps pour y répondre. Nous commencerons par la sénatrice Bernard, qui est la vice-présidente.

La sénatrice Bernard : Je vous remercie de votre présence.

Je tiens à vous remercier d’avoir souligné les multiples facettes de votre rôle et la complexité des questions que vous traitez. J’aimerais savoir ce qui vous donne l’espoir et l’inspiration nécessaires pour faire ce travail.

Mme Elghawaby : Merci, madame la présidente, et merci de votre question, sénatrice Bernard.

J’ai de l’espoir, parce que je suis ici pour collaborer avec ce comité, qui étudie l’islamophobie au Canada depuis près d’un an. J’ai de l’espoir, parce que les travaux de ce comité témoignent du type de pays auquel nous aspirons tous — c’est-à-dire une nation qui est inclusive, qui est fondée sur l’équité et l’inclusion, qui défend les droits de la personne pour tous et qui dispose de la Charte canadienne des droits et libertés, dont nous sommes tous très fiers —, ainsi que de la résilience des communautés que j’ai rencontrées, avec lesquelles j’ai travaillé et que j’ai défendues, qui croient en la promesse du Canada, à savoir que c’est un pays où les gens peuvent contribuer pleinement, être qui ils veulent être, être respectés et avoir une vie digne pour eux-mêmes et pour leur famille.

La sénatrice Bernard : Merci.

Pourriez-vous nous dire quelles sont vos priorités pour tenir la promesse du Canada en matière de lutte contre l’islamophobie?

Mme Elghawaby : Comme je l’ai dit dans ma déclaration d’ouverture, je suis en poste depuis environ 25 jours ouvrables. Il y a tellement d’enjeux qui touchent les communautés. Il est d’ailleurs inutile de le rappeler à ce comité. Les communautés s’attendent à ce que notre bureau aborde une myriade d’enjeux.

Je m’efforcerai, avant tout, d’examiner ce qui est mis à ma disposition. Quels sont les rapports? Quels sont les enjeux qui ont été soulevés? Par exemple, il y a eu un sommet national sur l’islamophobie. C’est de ce sommet qu’est née la demande de création de ce bureau. En outre, lors de ce sommet, une myriade de recommandations ont été formulées à l’intention de tous les ordres de gouvernement. Bien entendu, j’examinerai de près les recommandations adressées spécifiquement au gouvernement fédéral, à qui j’ai la possibilité de fournir des conseils de même que des recommandations aux divers ministres sur la manière de faire avancer les questions qui préoccupent les communautés. Je vais commencer par renforcer la capacité du bureau, ce que j’ai déjà entrepris. J’ai hâte d’entamer les travaux.

Comme je l’ai dit, j’attends également avec impatience le rapport qui sera rédigé par ce comité. Comme je l’ai mentionné, de nombreux témoins se sont présentés devant ce comité pour faire part de diverses expériences d’islamophobie que les communautés ont vécues et dont elles ont parlé.

La sénatrice Bernard : Merci.

La sénatrice Hartling : Je vous remercie de votre présence. Je vous en suis reconnaissante. Vous avez fait une très bonne présentation.

Pour que je comprenne bien, s’agit-il d’un travail de longue haleine? Le mandat est-il limité dans le temps?

Mme Elghawaby : Oui. Le bureau spécial a été créé pour lutter contre l’islamophobie. Il y a également un bureau spécial et un envoyé spécial pour la lutte contre l’antisémitisme. Je dispose d’un mandat renouvelable de quatre ans.

La sénatrice Hartling : En faisant partie de ce comité, j’ai appris tant de choses sur l’islamophobie et sur toute la violence haineuse qui a été faite aux musulmans. C’est accablant pour moi, car je n’en ai pas fait l’expérience. De quel type de soutien disposez-vous à votre bureau ou dans la communauté pour aller de l’avant? Vous allez devoir aborder tant d’enjeux. Je constate que vous êtes très positive et pleine d’espoir, mais comment obtiendrez-vous de l’aide pour aborder certains de ces enjeux au fil de votre mandat? Je suis persuadée qu’il y aura des moments difficiles.

Mme Elghawaby : Voilà une excellente question. Je remercie la sénatrice Hartling et madame la présidente pour cette question.

Pour les communautés minoritaires du Canada, notamment les communautés racialisées et les communautés musulmanes, la discrimination et le racisme systémique font malheureusement trop souvent partie du quotidien. Comme je l’ai mentionné, nous avons beaucoup d’espoir de pouvoir éradiquer le racisme, l’islamophobie, l’antisémitisme, le racisme anti-Noirs, le racisme envers les Asiatiques, les crimes haineux contre des Autochtones; malheureusement, la liste est longue. Chaque fois qu’une communauté est victime d’exclusion, il y a de fortes chances que de nombreuses autres communautés le soient aussi par le fait même. Lorsque nous luttons contre la haine envers une communauté, nous luttons essentiellement contre la haine envers toutes les communautés.

Pour lutter contre la haine à laquelle nous sommes exposés, nous revenons aux principes de la signification d’être Canadien. Ces principes sont fondés sur l’équité, l’inclusion, les principes démocratiques et la garantie d’un pays qui permet à chacun de participer pleinement et d’en tirer profit.

Comme je l’ai déjà dit, nous savons tous qu’une attaque ou un crime haineux commis contre l’un d’entre nous correspond à une attaque ou à un crime haineux commis contre nous tous, et qu’ensemble, en nous unissant, nous pouvons rester solidaires. Voilà l’espoir que nous pouvons tous partager alors que nous abordons des questions très difficiles. Comme nous l’avons entendu lors de la réunion précédente, certaines de ces questions ne seront pas réglées du jour au lendemain et, malheureusement, elles n’ont pas toujours été abordées assez rapidement pour les communautés touchées par le racisme systémique et l’islamophobie. Cela étant dit, ce qui compte, c’est de voir les efforts déployés pour progresser, pour témoigner de ces expériences et pour s’engager collectivement à y mettre fin.

La sénatrice Hartling : Vous êtes la représentante principale de votre bureau. Y a-t-il des employés ou une équipe avec qui vous pouvez discuter de vos travaux?

Mme Elghawaby : J’ai très hâte de former une équipe pour le bureau et d’embaucher du personnel dès que possible.

La sénatrice Hartling : Merci.

Le sénateur Arnot : Merci, madame Elghawaby, de venir témoigner devant le comité. Vous avez un rôle très important à jouer au Canada. Nous vous souhaitons bonne chance dans l’accomplissement de votre mandat.

J’espère que l’étude que nous réalisons ici vous aidera dans vos travaux, voire qu’elle les étoffera et qu’elle jettera les bases qui vous permettront de remplir votre mandat avec succès. J’aimerais savoir comment vous pensez que nous pouvons vous aider à jouer votre rôle.

Je sais que vous croyez au pouvoir de l’éducation, parce qu’il se trouve que j’ai regardé une conférence TEDx que vous avez faite et qui le confirme. Je sais que vous avez un mandat d’éducation du public. J’espère que vous l’interpréterez de manière très étendue.

Je vous le dis, parce que j’ai demandé à de nombreux témoins qui se sont présentés devant ce comité depuis que je m’y suis joint en septembre 2022 de réfléchir à la nécessité d’enseigner aux élèves canadiens à un très jeune âge, de la maternelle à la fin des études secondaires, les droits liés à la citoyenneté et, par-dessus tout, la responsabilité qui va de pair avec ces droits et la manière d’établir et de maintenir le respect pour chaque citoyen.

Je sais qu’un sondage d’Environics, qui date de 2019, il me semble, a révélé que, dans la cohorte des plus de 40 ans, seuls 38 % de ces adultes soutiennent le multiculturalisme dans le cadre de notre Constitution. Je pense que Patrimoine Canada doit jouer un rôle majeur dans le renforcement de notre État multiculturel, multithéiste et multiethnique, mais, en réalité, le Canada n’a pas investi dans ces domaines comme il le devrait.

Quand l’Aga Khan est venu au Canada, il a dit que le Canada était l’expérience de pluralisme la plus réussie que le monde ait jamais connue. Cette expérience est toutefois associée à une certaine fragilité, qui est directement liée à l’engagement de tous les Canadiens envers notre pays multiculturel.

Pensez-vous qu’il soit nécessaire d’éduquer les enfants de la maternelle à la fin des études secondaires? Pour ma part, je crois que si l’on veut changer la culture et la communauté, il faut changer la culture dans les écoles et se concentrer sur les cinq compétences essentielles de la citoyenneté canadienne. Tous les élèves devraient être éclairés, engagés, responsabilisés et empathiques. Voilà qui englobe les cinq compétences essentielles. J’aimerais que vous nous parliez de ce besoin, de votre soutien à ce type d’éducation et du rôle de Patrimoine canadien dans sa réalisation.

La présidente : Sénateurs, j’ai promis à notre témoin qu’elle aurait terminé à 18 heures. Je sais que vous jeûnez; j’aurais dû vous dire Ramadan Kareem. Nous devons limiter nos questions, afin de lui laisser suffisamment de temps pour répondre.

Mme Elghawaby : Madame la présidente, je suis reconnaissante de la question qui porte sur l’éducation dans le cadre de mon mandat et sur le soutien des efforts visant à lutter contre le racisme systémique et l’islamophobie par la voie de l’éducation et de la sensibilisation du public. C’est ce qui figure dans le mandat. Je me réjouis à l’idée de trouver des occasions de remplir cette mission. Bien entendu, mon rôle se situe à l’échelle fédérale. Je chercherai à formuler des recommandations sur les types d’éducation dont les jeunes peuvent bénéficier dans l’ensemble du Canada, en particulier pour le ministère du Patrimoine. Les témoins du prochain groupe pourront en parler plus précisément.

Le rôle de l’éducation est essentiel. Lors de ma visite à London, en Ontario, il y a 10 jours, j’ai rencontré un groupe de jeunes étudiants musulmans, dont beaucoup étaient des amis de Yumna Afzaal, la jeune fille qui a été tuée lors de l’attaque de la famille Afzaal. Ces jeunes font partie d’un groupe appelé Youth Coalition Combatting Islamophobia. Ils ont créé des ressources pour les écoles sur ce qui est arrivé à leur amie et sur les conséquences de l’islamophobie sur leur sentiment de sécurité et de bien-être au Canada. Ces ressources, entre autres, sont à la disposition des enseignants de tout le Canada.

L’une des questions qu’ils m’ont posées est la suivante : « Pouvez-vous contribuer à faire connaître ces types de ressources et à les diffuser sur la scène nationale? » J’espère qu’ils regardent. Je ne sais pas si les adolescents regardent les séances des comités, mais je leur enverrai certainement le lien pour leur faire savoir qu’un travail comme le leur est en cours, un travail qui contribue à renforcer, encore une fois, les expériences des jeunes au pays et à les aider à s’éduquer les uns les autres.

Le sénateur Manning : Je remercie notre témoin d’être avec nous ce soir. Je vous souhaite tout le succès du monde alors que vous bâtissez la société que nous méritons. Certaines de mes questions ont déjà été posées, mais, comme toujours, il y en a d’autres.

Vous avez évoqué l’établissement sous peu de votre bureau. Je comprends que vous n’avez travaillé que 25 jours, nous ne vous pousserons donc pas à prendre des décisions hâtives. Je m’interroge sur le budget annuel de votre bureau et la manière dont vous envisagez sa mise en place. Le personnel sera-t-il concentré ici, dans le centre du Canada, ou certaines personnes travailleront-elles dans d’autres provinces? Votre tâche est immense. Nous vivons dans un pays vaste et géographiquement difficile, avec des problèmes d’un bout à l’autre du pays. Quel est votre budget, comment envisagez-vous la mise en place du bureau et quel est, selon vous, le plus grand défi auquel vous êtes confrontée au moment d’assumer vos nouvelles fonctions?

Mme Elghawaby : Je remercie le sénateur de sa question. Elle est excellente.

Le budget est de 5,6 millions de dollars pour les quatre prochaines années.

En ce qui concerne l’établissement du bureau, comme le sénateur l’a reconnu, je suis actuellement en train de le doter en personnel. Je m’engage à me rendre dans différentes régions du pays et à rencontrer des membres des diverses communautés musulmanes du Canada afin de connaître les effets de l’islamophobie sur ces personnes. Nous savons que le Canada compte près de 1,8 million de musulmans, répartis dans tout le pays. Beaucoup d’entre eux résident bien sûr en Ontario, au Québec, en Alberta et en Colombie-Britannique, mais il y a des communautés partout.

Il sera important, comme je l’ai mentionné au début de mes observations, de placer les expériences communautaires au centre du travail de ce bureau pour s’assurer que ce qu’il recommande au gouvernement fédéral et aux différents ministres est enraciné dans les besoins et les expériences des communautés de partout au pays.

Le sénateur Manning : Merci.

Vous avez parlé de formuler des conseils aux ministres responsables. Quels seraient les principaux ministres avec lesquels vous traiteriez?

Mme Elghawaby : Je relève directement du ministre du Logement et de la Diversité et de l’Inclusion, le ministre Ahmed Hussen. Je suis en mesure de fournir des recommandations à tous les autres ministres et je me réjouis, une fois de plus, d’établir des relations au sein du gouvernement, avec des représentants et des fonctionnaires, pour aider à répondre à certaines des préoccupations politiques soulevées par les communautés.

Le sénateur Manning : Vous avez parlé tout à l’heure de l’éradication des différentes préoccupations à travers le pays, et le sénateur Arnot a abordé le thème de l’éducation. Nous savons tous que les jeunes acceptent mieux les changements que les générations plus âgées. Dans tout le pays, savez-vous si quelque chose est enseigné dans le système de la maternelle à la 12e année pour répondre aux craintes d’islamophobie? Si ce n’est pas le cas, par où devrions-nous commencer? En tant que comité, nous pourrions aboutir à une recommandation sur ce sujet. Je me demande ce qu’il en est aujourd’hui.

Mme Elghawaby : Eh bien, je peux simplement dire qu’il existe de nombreux organismes communautaires qui fournissent des ressources et des formations aux éducateurs à travers le Canada. Pour ce qui est des exemples précis, je n’ai pas encore été en mesure de les trouver, car je viens tout juste de commencer.

Encore une fois, le défi, bien sûr, est que mon travail relève du fédéral, et que l’éducation est de compétence provinciale, comme vous le savez. Je cherche des occasions de mettre en lumière des exemples de programmes d’enseignement qui contribuent à aborder les questions examinées par ce comité, qu’il s’agisse de l’islamophobie ou, plus généralement, de l’équité en matière d’inclusion. Il est important d’examiner les programmes des différents territoires de compétence et de déterminer ce qui fonctionne bien.

Le sénateur Manning : Merci.

Je sais que la population musulmane n’est pas très nombreuse à Terre-Neuve-et-Labrador, mais il y a dans cette province des gens très bien qui contribuent merveilleusement à notre société. Je vous invite à visiter « le Rocher » chaque fois que vous en aurez le temps. Je suis sûr que vous aimerez cet endroit.

Mme Elghawaby : Ce serait avec plaisir.

La sénatrice Omidvar : Merci, madame Elghawaby, d’être avec nous aujourd’hui. Vous avez un travail important et pourtant très difficile, et vous ne disposez, je ne peux que conclure, que d’un très petit budget.

J’aimerais poser une question sur les manifestations d’islamophobie qui sont difficiles à voir et à détecter, mais qui guettent les membres des communautés musulmanes dans tout le pays, en particulier en ce qui a trait aux lois antiterroristes du Canada. L’appareil gouvernemental — l’Agence des services frontaliers du Canada, la Gendarmerie royale du Canada, le Service canadien du renseignement de sécurité, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, l’Agence du revenu du Canada — est coordonné et fonctionne dans le cadre d’un régime de sécurité nationale, et le Conseil national des musulmans canadiens vous a recommandé d’examiner ce cadre. Même si vous êtes au début du processus, alors que vous n’avez pas encore de personnel, puis-je vous demander si cet élément particulier fait partie de votre programme?

Mme Elghawaby : Je vous remercie de cette très bonne question, sénatrice Omidvar.

Dans le cadre du mandat qu’on m’a confié, je me suis engagée à fournir des conseils aux ministres responsables afin qu’ils contribuent à la formation du personnel des agences de sécurité nationale. Je peux commencer cela dès maintenant. Il s’agira d’une priorité importante. Comme je l’ai dit, j’étudierai les autres moyens de collaborer avec les différents ministères et les différentes agences responsables de la sécurité nationale. Le Sommet national sur l’islamophobie de 2021 a débouché sur de nombreuses recommandations relatives à la formation et à la surveillance de ces organismes.

Je me réjouis de disposer d’un personnel solide pour m’aider à examiner ce qui se passe actuellement, les recommandations qui ont déjà été formulées et les efforts qui ont déjà été déployés et qui sont en cours. Je fais partie de ce que l’on appelle le Groupe consultatif sur la transparence de la sécurité nationale. Je m’étais jointe à ce groupe avant d’assumer ce rôle, en fait, en raison de mon intérêt pour les droits de la personne, plus particulièrement dans le cadre de la sécurité nationale, de sorte que j’avais déjà commencé à établir des relations avec divers partenaires au sein du gouvernement. Je considère qu’il s’agit là d’une priorité fondamentale pour le bureau.

La sénatrice Omidvar : Je vous souhaite bonne chance.

Je voudrais faire référence à un sondage d’Angus Reid qui vient d’être publié. D’une part, au moins la moitié des Canadiens pensent que l’islamophobie est un problème — que la discrimination envers les musulmans est un problème —, mais pourtant, ils ne semblent pas être d’accord sur la nécessité de votre rôle. Ils disent qu’ils sont d’accord pour dire qu’il y a un problème, mais qu’ils ne sont pas d’accord pour ce qui est de votre rôle. Que diriez-vous à ces Canadiens au sujet de vos fonctions?

Mme Elghawaby : Je dirais aux Canadiens qui se demandent à quoi sert ce bureau que, malheureusement et très tristement, nous avons été témoins d’attaques islamophobes qui ont coûté la vie à 11 Canadiens sur une courte période allant de 2017 à 2021. Je leur dirais que le Canada affiche le plus grand nombre de musulmans canadiens tués parmi tous les pays du G7. Déjà, l’islamophobie a eu des répercussions mortelles au pays.

En outre, dans le spectre de l’islamophobie, où le pire exemple est le type d’attaque mortelle que je viens de mentionner, on s’inquiète de l’islamophobie systémique qui a une incidence sur la façon dont les gens peuvent participer à la société, qu’il s’agisse du profilage racial auquel les agences de sécurité nationale soumettent nos communautés, des obstacles systémiques à l’emploi, des obstacles systémiques à l’accès au logement et à d’autres aspects de la vie quotidienne, ou des crimes haineux — là encore, la liste est longue.

Je leur dirais également que nous devons chercher des solutions pour résoudre ces problèmes, car ils n’ont pas seulement une incidence sur les musulmans canadiens et les communautés musulmanes de ce pays, mais sur nous tous. Lorsque notre tissu social et nos valeurs démocratiques sont mis à mal et que notre société est divisée, cette situation peut en fait influencer l’ensemble du pays et nuire à celui-ci. Défendre une communauté, c’est défendre toutes les communautés, et nous devons être les alliés les uns des autres pour défendre les droits de toutes les personnes.

La sénatrice Omidvar : Madame Elghawaby, nous mettons un terme à notre étude au début de votre mandat. Je ne saurais dire si c’est une bonne ou une mauvaise chose, car notre étude pourrait étayer votre travail, mais vos réflexions devraient étayer le nôtre. Quelles recommandations — peut-être deux — voudriez-vous que nous incluions dans notre rapport?

Mme Elghawaby : La formation est d’une importance capitale pour les organismes de sécurité nationale. Le sénateur Arnot a parlé du rapport de l’ombudsman des contribuables, aujourd’hui, qui souligne la nécessité d’offrir de la formation sur les préjugés à certains membres de l’Agence du revenu du Canada, et en particulier à ceux de la Division de la revue et de l’analyse. De plus, je sais très bien que des communautés ont demandé la suspension de cette division pendant que l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement effectue son examen. Cela dit, la formation est essentielle. La formation anti-préjugés et anti-islamophobie est primordiale, tout comme la recommandation de soutenir l’éducation et la sensibilisation aux répercussions de l’islamophobie sur la vie des gens.

Il importe également de tenir compte des contributions des Canadiens musulmans au Canada — pas seulement les musulmans canadiens, mais aussi les nouveaux arrivants et les immigrants. Il est très important que les gens comprennent que les musulmans canadiens étaient déjà dans ce pays avant la Confédération. Il y a une longue histoire, riche et diversifiée, que beaucoup de gens ne connaissent pas. Si nous pouvons célébrer cette histoire, cela permettra peut-être à un nombre croissant de personnes de la reconnaître, de la comprendre et de l’apprécier.

La sénatrice Omidvar : Merci.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie beaucoup d’être parmi nous. Ramadan Kareem.

Lors du sommet, on a recommandé qu’une personne soit nommée au poste que vous occupez; je suis heureuse que le gouvernement s’en soit occupé, mais ce qui m’inquiète, c’est que pour trois ans, vous disposiez d’un budget aussi modeste. De plus, où êtes-vous installée?

Mme Elghawaby : Au ministère du Patrimoine canadien.

La sénatrice Jaffer : Bénéficiez-vous d’un soutien, ou n’en avez-vous aucun en ce moment?

Mme Elghawaby : Je reçois un soutien incroyable de la part du ministère du Patrimoine canadien, qui m’aide à trouver mes marques dans la fonction publique fédérale. C’est merveilleux. De plus, je reçois tous les conseils dont j’ai besoin pour la mise en place du bureau. Évidemment, vous allez entendre sous peu le directeur du Secrétariat de lutte contre le racisme, du ministère du Patrimoine canadien. Je vais travailler en étroite collaboration avec lui et son équipe pour lutter contre l’islamophobie et, comme je l’ai mentionné, pour poursuivre le travail accompli avant mon arrivée. Il est essentiel que nous misions sur les efforts incroyables qui ont été déployés jusqu’ici pour lutter contre le racisme au Canada, notamment contre l’islamophobie.

La sénatrice Jaffer : Le ministère du Patrimoine canadien fait de l’excellent travail pour ce qui est de l’éducation sur le racisme. Je ne suis pas sûre quant à l’islamophobie, mais il fait du bon travail et il a des programmes concernant le racisme.

Or, il peut bien y avoir toutes sortes de formations — et je sais que vous venez tout juste d’être nommée à ce poste —, mais les gens doivent aussi les suivre, n’est-ce pas? Elles ne sont pas obligatoires. Je vous mentionne simplement ce fait, car il est encore trop tôt.

Au début de notre étude, nous avons eu de très nombreuses discussions concernant la définition de l’islamophobie. Je vois que vous en avez donné une définition ici, dans le document que vous avez présenté. Toutefois, bien des gens — et on pourra me dire si je me trompe — ont demandé pourquoi nous ne pouvions pas parler simplement de racisme contre la communauté musulmane au lieu de parler d’islamophobie. Qu’en pensez-vous? À mon sens, le mot « phobie » n’est pas aussi fort que le mot « racisme ».

Mme Elghawaby : Je vous remercie beaucoup de votre question, sénatrice Jaffer.

La définition de l’islamophobie qu’utilise actuellement le gouvernement fédéral dans le cadre de la stratégie de lutte contre le racisme englobe le racisme, les stéréotypes, les préjugés, la peur ou les actes d’hostilité envers les personnes musulmanes ou les adeptes de l’islam, et encore plus. Je crois que la définition englobe tout ce que nous tentons de corriger, tout en étant très précise. La lutte contre l’islamophobie ne vise pas à limiter les critiques contre l’islam. Il est très important de le souligner. Les gens peuvent critiquer l’islam — la religion en tant que telle. Quand nous parlons d’islamophobie, nous parlons du racisme, des stéréotypes et des préjugés qui mènent les gens à des actes d’hostilité envers les personnes musulmanes ou les adeptes de l’islam. C’est donc extrêmement important.

Cette définition est également très efficace, en ce sens qu’elle précise qu’en plus de motiver des actes individuels d’intolérance et de profilage racial, l’islamophobie mène à considérer, du point de vue institutionnel, systémique et sociétal, que les musulmans constituent une menace accrue pour la sécurité. Il s’agit là d’un point essentiel, car comme je l’ai mentionné tout à l’heure, lorsque nous nous sommes concentrés sur les communautés musulmanes, dans le passé, nous n’avons pas porté suffisamment attention à la montée de l’extrémisme de droite. À titre d’exemple, après le meurtre tragique de six fidèles à la mosquée de Québec, on a appris que le Service canadien du renseignement de sécurité avait, quelques mois seulement avant l’attaque, fermé le service qui se penchait sur l’extrémisme de droite au pays. Pourquoi ne comprenons-nous pas que l’extrémisme de droite est en hausse dans ce pays et qu’il a des conséquences mortelles? Il est très important de le souligner dans cette définition. Je crois qu’elle englobe cet élément. J’espère que cela pourra mettre un terme au débat concernant la définition et que nous pourrons aller de l’avant, car il y a énormément de travail à faire, madame la présidente, comme le comité le sait. Je crois donc que cette définition englobe ce dont nous parlons ici.

La sénatrice Jaffer : Chaque fois qu’il se produit une tragédie, les politiciens de tous les horizons déclarent que c’est terrible, puis s’en vont chez eux et, selon moi, oublient tout cela. C’est arrivé hier, ils ont fourni leur part d’efforts et ont promis toutes sortes de choses. Je trouve frustrant que les gens disent toutes ces choses. Je me rappelle clairement que, après les meurtres de Québec, il y a eu toutes sortes de promesses. Lorsque je suis allée rencontrer les familles, on leur avait offert beaucoup d’aide. Évidemment, cette aide disparaît. C’est normal. Ma question est la suivante : est-ce que cela fait partie de votre travail de donner de la formation aux politiciens?

Mme Elghawaby : Je peux dire que j’ai déjà commencé à rencontrer des politiciens de tous les partis et qu’il y a des engagements de leur part à lutter contre l’islamophobie.

Je veux aussi souligner que nous avons une journée désignée à l’échelle nationale, le 29 janvier, soit la Journée nationale de commémoration de l’attentat à la mosquée de Québec et d’action contre l’islamophobie, qui revient chaque année pour que nous puissions nous souvenir de ce qui s’est passé ce jour-là. On tente également d’instaurer une journée commémorative le 6 juin dans la ville de London, par exemple, afin que les communautés puissent se recueillir chaque année et s’engager ensemble à lutter contre l’islamophobie.

Je crois que l’on reconnaît que l’islamophobie est un phénomène qui nuit à notre démocratie et aux valeurs que sont les droits de la personne et l’équité, et je pense qu’ensemble nous pouvons trouver les personnes qui sont prêtes à faire le travail, à appuyer le travail, et à apporter des changements positifs.

La sénatrice Jaffer : Est-ce que vous offrirez de la formation aux sénateurs également?

Mme Elghawaby : Eh bien, envoyez-moi une invitation.

La sénatrice Jaffer : Je tiens à vous remercier et à vous souhaiter du succès dans vos fonctions. C’est toute une tâche, mais je crois que vous pouvez le faire. Je vous remercie d’être venue.

La présidente : Je voulais vous poser une question au sujet de vos priorités. Dans le cadre de cette étude, nous avons entendu parler des nombreuses formes que peut prendre l’islamophobie. À Edmonton, on nous a parlé des jeunes femmes noires qui portent le hidjab et des problèmes qu’elles connaissent. À Mississauga, les enfants nous ont dit à quel point leur vie est difficile. Alors, quelles seront vos priorités? Comme vous l’avez dit, il y a des musulmans partout. Je suis allée à Iqaluit et j’ai été surprise de voir le nombre de musulmans qui s’y trouvent et qui, tous les samedis et les dimanches, présentement, se rassemblent pour le début du jeûne. Nous sommes partout. Comme la sénatrice Jaffer, je trouve moi aussi que le budget qu’on vous a alloué, pour quatre ans, n’est pas suffisant.

Mme Elghawaby : Merci, madame la présidente.

Comme je l’ai mentionné, je dois mettre la dernière main à un plan de travail afin d’établir ces priorités pour les quatre prochaines années, fixer des objectifs à court, moyen et long terme pour déterminer ce qu’il est possible de faire et ce qui est le plus urgent pour nos communautés. Je vais travailler là-dessus.

Je vous remercie beaucoup, madame la présidente, d’avoir aussi soulevé la question des identités intersectionnelles des musulmans. Je sais que votre comité a entendu une série de témoins, et je tiens à féliciter les membres du comité d’avoir invité des musulmans de partout au Canada afin qu’ils parlent des nombreuses façons dont l’islamophobie se manifeste, notamment en Alberta, comme vous l’avez dit, où il y a eu une vague d’attaques contre des femmes noires musulmanes. Certaines de ces femmes, comme vous l’avez sans doute lu, ont vécu une situation horrible. Une femme et sa fille ont été menacées à la pointe d’un couteau, par exemple. Il est certain que les expériences varient d’une communauté à l’autre et qu’il existe de nombreuses identités intersectionnelles au sein de nos communautés. Je continuerai, comme je l’ai dit, à me concentrer sur ces communautés et, en élaborant le plan de travail et en établissant les priorités, je veillerai à consulter les communautés et à faire en sorte que ma vision du travail que doit accomplir mon bureau corresponde clairement à la façon dont les communautés musulmanes du Canada espèrent voir ce bureau mettre en œuvre ces priorités.

La présidente : Je sais que vous venez à peine de commencer. Vous êtes allée à London, en Ontario. Je constate que, lorsque je discute avec les membres de la communauté musulmane, ils sont plus ouverts avec moi qu’avec d’autres personnes parce qu’ils me considèrent comme étant de la même confession. Nous disons qu’il y a eu une augmentation de 71 % des incidents haineux visant les musulmans, mais je pense que c’est beaucoup plus que cela, car je connais des gens qui ont vécu de tels incidents et qui ne veulent pas les signaler. Comment pouvons-nous encourager les membres de la communauté à signaler les incidents dont ils sont victimes? La plupart des gens décident simplement de se taire et de ne pas faire de vagues.

Mme Elghawaby : C’est une excellente question, madame la présidente.

Encore une fois, je vais lire directement ce qui se trouve dans mon mandat : fournir aux ministres des conseils et des avis visant à orienter et à améliorer les efforts de suivi et de surveillance des incidences de la haine et de la violence envers les musulmans partout au Canada. Une grande partie de mon travail, au cours des dernières années, a porté sur les communautés qui sont la cible de crimes haineux, et pas seulement les communautés musulmanes, mais aussi la communauté noire, entre autres. L’un des besoins qui ont été définis est celui du signalement par un tiers; il s’agit d’une façon, pour les gens qui sont ciblés et victimes d’actes haineux, de ne pas nécessairement avoir à signaler à la police ce qu’ils ont vécu, mais plutôt de le signaler à un organisme communautaire qui pourrait le signaler lui-même à la police en tant que tiers, si la victime le veut. C’est l’une des solutions créatives que préconisent les communautés elles-mêmes pour que leur sécurité et leur bien-être soient prioritaires, car si nous ne nous appuyons que sur les crimes de haine déclarés par la police, cela ne nous donne pas une image complète de la situation, comme vous le dites avec raison. Selon Statistique Canada, jusqu’aux deux tiers des crimes haineux ne sont pas signalés à la police. Nous ne voyons que la pointe de l’iceberg, et c’est très inquiétant.

L’objectif n’est pas seulement de trouver des moyens pour les gens de signaler ce qu’ils subissent, mais aussi de veiller à ce qu’un soutien soit offert aux victimes de crimes haineux. Par exemple, à London, après le tragique meurtre de la famille Afzaal, un organisme de bienfaisance a offert à la communauté des services de counselling durant près d’un an, mais ensuite, c’était terminé. Une jeune fille qui, durant l’année, était occupée à préparer la commémoration de l’attentat a ensuite eu besoin de counselling, mais il n’y avait plus de financement, et elle n’avait personne vers qui se tourner. Il est très important de veiller à ce que les victimes reçoivent du soutien et du counselling également adapté à la culture. Il y a des organismes communautaires qui essaient de combler ce vide. Par exemple, j’ai rencontré les représentants d’un organisme appelé le Muslim Resource Centre, à London. C’est grâce à eux qu’on pouvait offrir le counselling à la communauté. Ils sont prêts à en faire davantage, mais comme je l’ai dit, c’est souvent le financement qui pose problème.

La présidente : Je vous remercie.

Collaborerez-vous avec les responsables du Conseil national des musulmans canadiens, le CNMC? J’approuve leurs initiatives. Ils tiennent un registre de tous les incidents islamophobes qui se produisent. Ils les signalent. Ils en parlent, notamment sur Twitter. Aurez-vous des interactions avec eux?

Mme Elghawaby : Absolument. Je vais travailler avec toutes les organisations de la société civile qui se consacrent à la lutte contre l’islamophobie et à la protection des libertés civiles des musulmans, ainsi qu’avec d’autres organisations qui œuvrent de façon plus générale dans les domaines des libertés civiles et des droits de la personne. Il est très important que nous travaillions de concert. Nous constatons souvent que les solutions potentielles visant à lutter contre les violations des droits de la personne dans une communauté peuvent s’appliquer aussi à d’autres communautés. Je crois vraiment que c’est important de travailler avec l’ensemble de la société civile pour régler ces problèmes dans toutes les communautés.

La présidente : Merci.

Le sénateur Arnot : Madame Elghawaby, je voudrais revenir sur quelques points. J’ai vu récemment que des professionnels de l’éducation comme Pasi Sahlberg de la Finlande et Simon Breakspear de l’Australie ont déterminé que, dans les systèmes scolaires, nous devons miser sur la littératie et la numératie, mais également sur une troisième voie, un concept selon lequel dans les écoles, les élèves doivent apprendre à être des citoyens. Il s’agit d’adopter une approche globale à l’égard de l’élève. Nous devons fondamentalement fournir aux élèves les outils dont ils ont besoin pour créer la société dans laquelle ils souhaitent vivre. Je vais vous poser quelques questions. Selon vous, est-il important, lorsque ces ressources sont mises en place, qu’elles cadrent avec le programme de chaque province et territoire et les résultats scolaires attendus pour chaque niveau, de la maternelle à la 12e année? Que pensez-vous de la nécessité de promouvoir le perfectionnement professionnel des enseignants concernant ce type même de nouvelles ressources pédagogiques, afin qu’elles soient mises en œuvre en classe?

Mme Elghawaby : Je vous remercie de la question, madame la présidente et sénateur Arnot.

Comme je le disais, puisqu’il s’agit pour moi d’un nouveau rôle, je n’ai pas encore exploré toutes les possibilités d’améliorer les ressources pédagogiques. Cependant, ce que je peux dire, c’est que j’ai toujours été impressionnée par les divers efforts pour éduquer les gens, par exemple lors du jour du Souvenir. Anciens Combattants Canada offre des ressources que les enseignants peuvent utiliser gratuitement chaque année et qui peuvent être commandées en ligne ou postées, comme des affiches, et c’est offert par le fédéral, mais à l’intention des enseignants de tout le Canada au sujet d’un jour national très important. Est-il possible de mettre à la disposition des enseignants de tout le pays des ressources qui portent sur l’islamophobie, la citoyenneté ou les efforts de lutte contre le racisme? Il serait certainement intéressant d’explorer cette question. Comme je l’ai mentionné, je sais que je vais me pencher sur les autres outils qui sont accessibles pour améliorer l’éducation et la sensibilisation sur l’islamophobie et les contributions des musulmans au Canada.

Le sénateur Arnot : J’ai une bonne nouvelle. Ces ressources existent déjà. Ce sont celles de la fondation d’éducation à la citoyenneté Concentus, et je vous recommande de les examiner. Merci.

La sénatrice Bernard : J’aimerais poser une question complémentaire à propos de l’intersectionnalité. Je me demande si vous pourriez nous donner une idée de la manière dont vous abordez ces questions d’intersectionnalité dans votre travail et comment vous envisagez l’avenir par rapport à ces questions.

La présidente : Puis-je ajouter une question au sujet de l’intersectionnalité? Dans quelle mesure l’analyse comparative entre les sexes plus a-t-elle réussi à intégrer l’analyse intersectionnelle dans l’élaboration des politiques, de la législation et des programmes fédéraux?

Mme Elghawaby : Merci, madame la présidente et sénatrice Bernard, pour les deux questions.

La notion d’intersectionnalité est essentielle pour comprendre que les gens peuvent avoir des identités multiples, qu’il s’agisse d’une minorité religieuse, d’un handicap, d’une ethnie ou d’une race différente. Il y a tellement d’identités différentes. Mon engagement dans ce travail consiste en partie à veiller à être consciente des identités intersectionnelles et, lorsque je vais rencontrer les communautés, de tenir compte de leur richesse et de leur diversité pour m’assurer que les commentaires que je reçois quant à la façon dont le Canada peut faire mieux sur la question de l’islamophobie reposent sur les différentes expériences des gens partout au Canada. Je dois veiller à être très consciente de ces identités.

Je vais donner un exemple de la façon dont le fait de ne pas être attentif ou de ne pas pouvoir être attentif à ces identités peut en fait limiter notre compréhension...

La présidente : Veuillez m’excuser.

Mme Elghawaby : Par exemple, les crimes de haine déclarés par la police, que nous avons mentionnés plus tôt, ne sont fondés que sur un seul marqueur identitaire. Nous avons notamment parlé des musulmanes noires de l’Alberta. Lorsqu’elles ont signalé avoir été victimes d’un acte criminel, la police n’a pu établir qu’un seul marqueur identitaire par rapport à la manière dont elles ont été ciblées. La police ne peut pas indiquer si elles ont été ciblées à la fois parce qu’elles sont noires et parce qu’elles sont musulmanes. Il y a une limite dans les données, et cela montre vraiment que nous devons faire plus d’efforts pour être en mesure de saisir les identités intersectionnelles parce que, bien sûr, cela alimentera les preuves sur lesquelles nous fondons nos interventions. Je vous remercie.

La sénatrice Bernard : L’analyse comparative entre les sexes plus?

Mme Elghawaby : Je pense que la question de l’ACS Plus s’adresse davantage aux fonctionnaires qui témoigneront après moi. Je ne m’y connais pas encore assez dans ce domaine, alors je vais laisser cette question entre leurs mains expertes.

La présidente : Merci.

Je voulais vous demander, quand vous mettrez sur pied votre bureau, combien de personnes espérez-vous embaucher? Qu’est-il prévu dans le budget à cet effet?

Mme Elghawaby : Eh bien, j’espère avoir au moins quatre ou cinq employés pour travailler avec moi sur les politiques et les programmes. Nous sommes encore en train de planifier tout cela, mais comme presque tous les honorables sénateurs l’ont mentionné, il y a beaucoup de travail à faire, et il serait bien d’avoir une équipe encore plus grande. Nous devons tous travailler avec les contraintes qui sont les nôtres, et j’ai hâte de travailler très fort et de tirer le meilleur parti des fonds que nous investissons dans ces efforts.

La présidente : Enfin, je veux vous remercier pour le travail que vous accomplissez et que vous continuerez d’accomplir. Dans mes conversations avec les jeunes femmes, je constate que vous êtes un modèle très puissant pour elles. Je tenais à vous transmettre ce message, car parfois, lorsqu’on est sur le terrain et qu’on fait le travail que vous faites, on se demande si cela améliore les choses. Vous êtes un modèle très positif, et je vous en remercie. Nous avons tenu notre promesse. Nous vous laissons partir cinq minutes avant 18 heures. Si vous pensez avoir oublié quelque chose ou si vous souhaitez que nous tenions compte de certains éléments, n’hésitez pas à nous envoyer un mémoire. La sénatrice Omidvar a posé une question au sujet des recommandations, et si, selon vous, à la fin de notre étude, il y a d’autres recommandations que nous devrions formuler à l’intention du gouvernement, veuillez nous les faire parvenir. Votre aide nous sera très utile pour la rédaction de ce rapport. Merci beaucoup.

Mme Elghawaby : Je vous remercie, madame la présidente et honorables sénateurs, du temps que vous m’avez accordé.

La présidente : Honorables sénateurs, je vais maintenant présenter notre troisième et dernier groupe de témoins d’aujourd’hui. Nous avons demandé aux témoins de préparer une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous allons entendre les témoins, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs.

Je souhaite la bienvenue aux représentants de Patrimoine canadien qui sont avec nous en personne : Mala Khanna, sous-ministre déléguée, et Gaveen Cadotte, sous-ministre adjointe, Secteur de la stratégie antiracisme et du plan d’action de lutte contre la haine. Je tiens à profiter de l’occasion pour souhaiter un bon retour à Peter Flegel, directeur général, Secrétariat fédéral de lutte contre le racisme. J’invite maintenant Mme Khanna à faire sa déclaration.

Mala Khanna, sous-ministre déléguée, Patrimoine canadien : Merci, madame la présidente et honorables sénateurs. C’est un honneur pour nous d’être avec vous aujourd’hui sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe. Permettez-moi également d’exprimer un chaleureux Ramadan Kareem à ceux d’entre vous qui observent ce mois sacré.

[Français]

Tout comme vous au cours de votre étude, nous avons été très consternés par les témoignages de communautés musulmanes ciblées par la violence, la haine, et le racisme systémique islamophobes, qui créent des barrières empêchant bien trop de membres des communautés musulmanes de s’épanouir et de prospérer dans notre pays.

Notre ministère travaille sans relâche pour soutenir les efforts du gouvernement fédéral visant à construire un Canada ouvert, accueillant et inclusif, dans lequel aucune personne n’est discriminée simplement parce qu’elle est musulmane, noire, autochtone ou membre d’une autre communauté qui fait l’objet de discrimination.

Comme nous l’avons vu dans l’ensemble des nombreux témoignages que vous avez entendus dans le cadre de votre étude sur l’islamophobie au Canada, les mots ne suffisent pas. Nous sommes déterminés à nous appuyer sur les progrès déjà accomplis et à poursuivre notre action concrète.

[Traduction]

Il y a quatre ans, le gouvernement lançait une stratégie de lutte contre le racisme, une première au Canada. Près de 100 millions de dollars ont été investis dans le cadre de cette stratégie depuis 2019. La stratégie a été conçue pour jeter les bases de la lutte contre le racisme systémique, y compris l’islamophobie, par des actions immédiates.

Dans le cadre de la stratégie de lutte contre le racisme, le programme d’action contre le racisme a été créé. Grâce à ce programme de financement, nous soutenons maintenant plus de 85 projets, d’une valeur d’environ 15 millions de dollars. Treize de ces projets soutiennent les communautés musulmanes ou combattent spécifiquement l’islamophobie. Cela comprend des initiatives comme un marathon de programmation pour mettre fin à l’islamophobie en ligne et une campagne numérique pour permettre aux femmes musulmanes de participer pleinement à la société canadienne.

Il y a deux ans, le gouvernement a fait du 29 janvier la Journée nationale de commémoration de l’attentat à la mosquée de Québec et d’action contre l’islamophobie. Nous avons également convoqué un sommet national sans précédent sur l’islamophobie, organisé par le Secrétariat fédéral de lutte contre le racisme, de Patrimoine canadien.

[Français]

Je m’en voudrais de ne pas mentionner, comme vous le savez, la nomination cette année d’Amira Elghawaby à titre de première représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie, que vous venez d’entendre. Nous sommes impatients de continuer à la soutenir dans ses nouvelles fonctions importantes.

S’appuyant sur les fondements de la Stratégie de lutte contre le racisme, le gouvernement du Canada s’est engagé à verser 85 millions de dollars sur quatre ans dans le budget de 2022 pour appuyer la nouvelle stratégie canadienne de lutte contre le racisme et pour créer un nouveau Plan d’action national de lutte contre la haine, qui mettra l’accent sur les réalités des communautés et les expériences vécues pour faire face à l’augmentation troublante des crimes haineux, ainsi que les groupes haineux et leurs sympathisants. Ces deux initiatives sont de grandes priorités pour le ministre Hussen.

Cependant, une partie essentielle de notre travail en ce qui concerne l’élaboration de la nouvelle stratégie et du plan d’action consiste à être éclairés par les conseils que nous avons recueillis auprès de milliers d’intervenants, y compris des communautés musulmanes, partout au Canada.

[Traduction]

Le gouvernement travaille également à l’élaboration d’un projet de loi relatif à la sécurité en ligne qui s’appuie sur de vastes consultations auprès de Canadiens de partout au pays, notamment de victimes de préjudices en ligne, d’intervenants de l’industrie et de groupes de la société civile.

À mesure que nous avancerons dans notre travail, nous attendrons avec impatience votre rapport et vos recommandations. Nous savons qu’il reste encore beaucoup de travail à faire. Nous le savons parce que, trop souvent, partout au Canada, les musulmans continuent d’être confrontés à des obstacles, à l’intolérance et à la haine. Ce n’est pas le Canada que nous voulons. Ce n’est pas le Canada auquel nous savons pouvoir aspirer.

Je vous remercie encore une fois de nous avoir invités. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Je vous remercie de votre exposé.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. J’aimerais rappeler aux sénateurs que, comme d’habitude, vous disposerez de cinq minutes pour la question et la réponse. Je vais commencer par la vice-présidente, la sénatrice Bernard.

La sénatrice Bernard : Merci à tous d’être avec nous aujourd’hui. Nous sommes heureux de vous entendre.

Lors de votre dernier témoignage devant le comité, en juin 2022, vous avez déclaré que le Secrétariat fédéral de lutte contre le racisme travaillerait avec plusieurs ministères et parties prenantes au renouvellement de la Stratégie canadienne de lutte contre le racisme et à la publication du tout premier Plan d’action national de lutte contre la haine. Vous l’avez encore souligné aujourd’hui. Pourriez-vous informer le comité des progrès réalisés à ce jour dans le cadre de ces efforts? Êtes-vous en mesure de nous donner plus de détails sur l’état d’avancement de la nouvelle stratégie et du nouveau plan d’action, et de nous dire ce qu’il pourrait y avoir de différent par rapport à la stratégie précédente? Aussi — j’ajoute encore une question et je sais que je ne devrais pas le faire, mais puisque j’ai déjà commencé, je vais continuer —, quand pouvons-nous espérer voir cette nouvelle stratégie et ce nouveau plan d’action? Merci.

Mme Khanna : Je vous remercie de ces questions, sénatrice Bernard.

Oui, nous avons travaillé au renouvellement de la stratégie de lutte contre le racisme, et nous continuons de le faire. Nous faisons des progrès. Il s’agit vraiment d’un degré élevé d’engagement communautaire, et je dirais à l’externe avec la communauté, mais aussi à l’interne, au sein de la fonction publique.

Sur le plan de l’échéance, je ne peux pas vous donner de date précise, mais je peux vous dire qu’il s’agit assurément d’une priorité pour le gouvernement et pour le ministre Hussen. Nous espérons vraiment pouvoir lancer la stratégie sous peu.

Quant à la teneur de la stratégie, elle sera très largement fondée sur la première stratégie, qui visait à jeter les bases de la lutte contre le racisme et la discrimination systémique.

En ce qui concerne le plan d’action de lutte contre la haine, encore là, un degré élevé d’engagement avec la communauté, en particulier dans un domaine comme celui-ci, est fondamental pour le succès du plan d’action et de la stratégie de lutte contre le racisme. Il y a eu un certain nombre de tables rondes et de questionnaires, mais nous nous appuyons également sur les recherches qui ont été effectuées, des recherches importantes que la Fondation canadienne des relations raciales, par exemple, a menées sur la nécessité de fournir un soutien aux victimes, dont le représentant spécial pour la lutte contre l’islamophobie a aussi parlé, ainsi que sur le groupe de travail que la Fondation canadienne des relations raciales a mis sur pied avec la GRC.

En collaboration avec les ministères de la Sécurité publique et de la Justice et d’autres ministères, nous évaluons ce que nous avons entendu et nous travaillons à élaborer un plan d’action. Comme je le disais, je ne peux vous donner de date précise aujourd’hui, car nous n’en avons pas encore fixé une, mais nous travaillons à l’élaboration du plan, nous le lancerons bientôt et nous serons heureux de le faire.

Je peux dire que le travail de votre comité, dans le cadre de l’étude sur l’islamophobie que vous avez effectuée et que vous complétez ce soir, contribuera grandement au travail que nous faisons également.

La sénatrice Hartling : Je tiens à remercier les témoins de leur présence.

Je vais lire ma question. Dans votre témoignage au comité en juin 2022, vous avez dit qu’il est possible d’améliorer la cohérence et l’incidence des lois fédérales pour intenter des poursuites contre des auteurs de crimes haineux et des groupes haineux. Pourriez-vous préciser votre pensée? Comment les lois fédérales peuvent-elles être modifiées ou utilisées pour mieux engager des poursuites contre des auteurs de crimes haineux et des groupes haineux? Quels sont les efforts déjà en cours pour y parvenir?

Mme Khanna : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice.

La communauté nous a parlé de la nécessité d’une réforme législative. On nous a parlé de la nécessité de disposer de meilleures données. On nous a parlé de la nécessité de renforcer l’infrastructure de sécurité et le soutien aux victimes ou aux personnes qui ont été touchées par la haine.

En ce qui concerne les propositions législatives concrètes, nous avons certainement entendu qu’elles font partie intégrante de ce que nous envisageons. Pour ce qui est de la sécurité en ligne, le ministre Rodriguez s’est fermement engagé à présenter des propositions législatives visant à protéger les communautés marginalisées victimes de la haine en ligne. Je pense que nous pouvons nous attendre à une mesure concrète. Il se peut que d’autres propositions législatives soient présentées au cours du plan d’action et qu’elles soient adoptées, mais pour l’instant, c’est là où nous en sommes.

Gaveen Cadotte, sous-ministre adjointe, Secteur de la stratégie antiracisme et du plan d’action de lutte contre la haine, Patrimoine canadien : C’est tout à fait exact. Dans le cadre de l’élaboration du plan d’action, nous nous intéressons notamment à tous les outils dont nous pouvons tirer parti et à ce qui serait judicieux. Comme l’a dit Mme Khanna, c’est ce que les communautés nous ont dit. C’est une chose à laquelle nous réfléchissons en fonction de ce que nous ont dit les communautés et de ce que nous avons vu ailleurs. Nous gardons un œil sur les différents outils qui pourraient être utilisés dans le cadre d’un plan d’action. Il sera certainement fondé sur les consultations que nous avons menées jusqu’à présent.

La sénatrice Hartling : Merci.

Le sénateur Manning : Je remercie les témoins d’être avec nous.

Nous avons la possibilité de voyager dans le monde entier. Le Canada fait l’envie du monde entier lorsque nous voyageons à l’étranger. Or, nous sommes confrontés à un grave problème : l’islamophobie. Selon vous, quel est le plus grand défi auquel votre ministère doit faire face pour régler ce problème? L’argent ne peut pas le régler. Nous ne pouvons pas légiférer pour que les gens acceptent des choses qu’ils ne veulent pas accepter. Comment pouvons-nous changer l’attitude des gens? Comment pouvons-nous faire en sorte que les gens ouvrent leurs yeux et qu’ils ouvrent leur cœur à des personnes qui ne leur ressemblent peut-être pas, par exemple? J’essaie simplement de trouver un moyen...

Mme Khanna : Merci, sénateur, et merci, madame la présidente.

Je pense que le plus grand défi qui se pose à nous, dans ce genre de travail — et j’inclus le travail sur l’islamophobie ainsi que le travail que nous effectuons pour lutter contre l’antisémitisme et le racisme —, c’est le fait que ce sont des problèmes qui ne peuvent être résolus du jour au lendemain. Ce sont des problèmes très complexes et profondément enracinés, qui touchent tous les segments de notre société, des problèmes dont nous commençons à peine à comprendre les causes profondes et la gravité des obstacles systémiques qui y sont associés.

Je crois vraiment que nous avons fait des progrès considérables. Je pense qu’il est utile de mettre l’accent sur la sensibilisation et la compréhension, ainsi que sur le travail que nous avons effectué et que nous continuons de faire en collaboration avec Statistique Canada afin d’obtenir de meilleures données ventilées. Je crois vraiment que nous avons fait des progrès, mais je pense que le défi réside simplement dans la complexité des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Encore une fois, je dirais que l’intersectionnalité est une perspective conceptuelle essentielle que nous avons comprise et appliquée beaucoup mieux que nous ne l’avons fait ces dernières années. Toutefois, même avec tous ces progrès — comme l’a montré très clairement l’étude que vous avez réalisée —, ces problèmes sont persistants.

C’est une très bonne question. J’aimerais beaucoup que Peter nous dise ce qu’il en pense également, si possible, car il a travaillé en étroite collaboration avec les communautés, et je pense qu’il a une très bonne idée de la situation.

Peter Flegel, directeur général, Secrétariat fédéral de lutte contre le racisme, Patrimoine canadien : Merci, madame la présidente.

L’une des choses dont nous a parlé la représentante spéciale, Mme Elghawaby, ainsi que les parties concernées partout au pays, c’est la dimension systémique de l’islamophobie. Certes, il y a l’aspect lié aux attitudes, c’est-à-dire les personnes islamophobes dans leurs attitudes, mais il y a aussi la manière dont le système gouvernemental peut accentuer l’impact, les conséquences de l’islamophobie. Je pense que l’un des plus grands défis pour le gouvernement fédéral, c’est de disposer des bons outils, sur le plan institutionnel, systémique et structurel, pour éradiquer l’islamophobie systémique. C’est notamment là-dessus que nous travaillons dans le cadre de l’élaboration de la nouvelle stratégie de lutte contre le racisme et du plan d’action national de lutte contre la haine. Nous avons beaucoup de chance, bien sûr, d’avoir Mme Elghawaby, la représentante spéciale, pour nous aider à définir les structures et les outils institutionnels qui nous permettront de faire du Canada le pays exempt d’islamophobie auquel nous aspirons tous.

Le sénateur Manning : Ai-je le temps de poser une autre question?

La présidente : Une très brève question, et une brève réponse, s’il vous plaît.

Le sénateur Manning : C’est difficile d’être bref.

Dans votre déclaration préliminaire, vous avez mentionné le programme de financement qui soutient 85 projets. Vous avez évoqué quelques-uns de vos projets. La solution à ce problème ne viendra pas d’en haut; à mon avis, elle viendra de la base. Je pense que c’est l’objectif de ces projets, soit d’aller dans les communautés et de tenter de bâtir les fondations dont nous avons besoin. J’aimerais que vous nous expliquiez un peu plus en détail le processus relatif aux projets pour les personnes qui ne sont peut-être pas au courant de la disponibilité du financement qui les aiderait dans leurs efforts.

Mme Khanna : C’est une excellente question, sénateur. Madame la présidente, je vais laisser la parole à ma collègue, Mme Cadotte.

Mme Cadotte : Madame la présidente, merci pour cette question.

Au moyen de la Stratégie canadienne de lutte contre le racisme, le gouvernement a investi plus de 100 millions de dollars depuis 2019, y compris 70 millions de dollars en financement de programmes, pour mettre en œuvre des mesures concrètes. La Stratégie canadienne de lutte contre le racisme a notamment mené à la mise sur pied du Programme d’action et de lutte contre le racisme, qui accorde du financement à l’échelle communautaire, en plus d’appuyer un autre programme existant, en l’occurrence le Programme de soutien aux communautés, au multiculturalisme et à la lutte contre le racisme. Ces deux programmes visent à mobiliser les collectivités et à développer leurs capacités en matière de lutte au racisme, y compris l’islamophobie. Comme Mme Khanna l’a souligné dans ses observations, nous avons réussi à financer un certain nombre de projets qui procurent des appuis aux communautés musulmanes tout en combattant l’islamophobie.

M. Flegel : J’aimerais ajouter quelque chose, à des fins de clarté, quatre secteurs ont été désignés en priorité pour recevoir du financement par l’entremise de la Stratégie canadienne de lutte contre le racisme : premièrement, améliorer l’accès à la justice; deuxièmement, améliorer l’accès à l’emploi; troisièmement, promouvoir la participation sociale, y compris l’accès aux sports et aux arts; quatrièmement, lutter contre la haine en ligne. Donc — et cela fait le lien avec l’éducation —, les projets qui aident les jeunes à mieux reconnaître la désinformation sur l’islamophobie et le racisme véhiculée en ligne sont des exemples de projets ayant obtenu du financement. C’est un élément considéré en priorité dans le cadre des programmes de financement.

Le sénateur Arnot : Je remercie les témoins de leur présence parmi nous ce soir. Comme vous étiez aussi dans le groupe d’experts précédent, vous avez déjà répondu à certaines de mes questions. À titre de témoin, vous avez la possibilité de répondre à toutes les questions, alors allons-y.

J’aimerais commencer par un commentaire. En tant que ministère, la raison d’être de Patrimoine canadien est de reconnaître la diversité du Canada en ce qui a trait au multiculturalisme, aux croyances et aux origines ethniques de notre population et de soutenir cette diversité du mieux possible. L’Aga Khan a déclaré que le Canada est l’expérience la plus réussie en matière de pluralisme que le monde ait connue. Il a raison, mais cette réussite a une certaine fragilité qui est directement liée aux connaissances, à la compréhension et à l’engagement de tous les Canadiens par rapport au caractère multiculturel, à la Constitution et aux valeurs démocratiques de notre pays.

Ce que je veux vous dire, c’est que le meilleur investissement que vous pouvez faire avec vos ressources et votre savoir-faire, votre meilleure chance de succès, c’est de miser sur l’éducation. Vous avec entendu ce que Mme Elghawaby a affirmé à propos du système d’éducation de la maternelle à la 12e année et ce que nous pouvons faire. Les enseignants sont des joueurs clés pour concrétiser le changement. Il ne fait aucun doute que des choses doivent changer dans notre pays. L’islamophobie est liée de près à de nombreuses autres problématiques, comme le racisme et l’antisémitisme. Les liens entre tous ces éléments sont indéniables.

Que l’on me comprenne bien : vous avez la responsabilité de développer la nouvelle stratégie et le nouveau plan d’action. J’espère que votre stratégie et votre plan seront suffisamment souples pour soutenir le perfectionnement professionnel des enseignants et la création des outils. Mme Elghawaby a mentionné qu’à l’époque où elle était enseignante, elle utilisait des ressources d’un ministère — j’ai oublié lequel — au sujet du jour du Souvenir. Ces ressources étaient gratuites. Il n’est pas nécessaire de rendre obligatoire quoi que ce soit. Toutefois, si des ressources de perfectionnement professionnel étaient optionnelles, ce serait un pas dans la bonne direction.

Il y a un autre point que j’aimerais soulever. Nous avons visité l’école secondaire Clarkson, à Mississauga, en Ontario et ce fut une expérience extraordinaire. Les étudiants étaient honnêtes et sincères. Ils ont parlé de l’inclusion, du sentiment d’appartenance et de ce que les enseignants et l’école pouvaient faire pour que les élèves se sentent bienvenus et qu’ils aient la possibilité de réussir au meilleur de leurs capacités.

C’est pourquoi je pense que vous devriez miser sur l’éducation. C’est un bon secteur où investir les fonds à votre disposition. Je comprends qu’un certain nombre de programmes sont déjà en place, par exemple le Programme de soutien aux communautés, au multiculturalisme et à la lutte contre le racisme et le programme Les jeunes s’engagent, et qu’ils pourraient intégrer certaines des idées proposées. J’espère que les programmes qui seront élaborés dans le cadre de la nouvelle stratégie et du nouveau plan d’action seront suffisamment souples pour répondre au besoin — ou au souhait — des enseignants qui aident les élèves à bâtir un meilleur Canada.

Mme Khanna : Je vous remercie pour vos observations, sénateur Arnot.

À titre de réponse, monsieur le sénateur, j’aimerais vous parler de mes origines. Mes parents sont des immigrants originaires de l’Afrique de l’Est. Ils sont arrivés ici en 1970 et il est évident qu’ils ont bénéficié du multiculturalisme du Canada. Je suis d’accord avec vous que cette valeur canadienne est fragile et que nous devons la protéger. Je suis très fière et honorée du rôle qui m’a été confié.

En outre, je suis d’accord avec vous par rapport au pouvoir de l’éducation. Je suis convaincue que votre comité a entendu des témoignages percutants sur l’importance de l’éducation pour défaire les stéréotypes et lutter contre les perceptions négatives que l’on constate dans nos institutions et nos médias, surtout à l’égard des musulmans.

Je pense que la représentante spéciale, Mme Elghawaby, a aussi souligné l’importance de connaître notre histoire et d’apprendre ce que les musulmans ont apporté au Canada. Oui, l’éducation des jeunes, absolument. Je n’ai qu’à penser à mes propres enfants qui, dans le système scolaire d’aujourd’hui, en apprennent plus que moi à leur âge sur la réconciliation au Canada. Je pense qu’il est tout aussi important d’éduquer les étudiants à l’université et les adultes.

Comme il a été mentionné, l’éducation est évidemment un champ de compétence provinciale. Toutefois, Patrimoine canadien peut et doit collaborer avec les collectivités pour mettre en œuvre des projets en lien avec les programmes scolaires. Je pense que l’on dispose d’une certaine marge de manœuvre pour agir.

Merci.

Le sénateur Arnot : Quelqu’un d’autre aimerait prendre la parole? Monsieur Flegel, vous préparez une stratégie de lutte contre la haine, n’est-ce pas?

M. Flegel : Merci.

Absolument. Sans exception, dans chacune des séances de mobilisation que nous avons tenues d’un bout à l’autre du pays, et même en ligne, les participants ont souligné le pouvoir de l’éducation pour forger le sentiment de citoyenneté et pour changer le cœur et l’esprit. Évidemment, comme vous le savez, il faut tenir compte des champs de compétence et des complexités qui y sont liées. Néanmoins, comme vous l’avez souligné, — c’est ce que les participants nous ont dit, mais c’est aussi ce que nous essayons de faire en tant que gouvernement — il faut financer la création d’outils que les enseignants, les moniteurs et les leaders au sein des communautés peuvent utiliser et transmettre aux enfants. Que ce soit le Programme de soutien aux communautés, au multiculturalisme et à la lutte contre le racisme ou le Programme d’action et de lutte contre le racisme qui obtiennent du financement, nous nous attendons à ce que les efforts perdurent. Nous allons absolument prendre en considération votre point de vue pour concevoir la stratégie.

Le sénateur Arnot : Merci.

Je suis curieux de savoir ce que Mme Cadotte aimerait ajouter à ce sujet.

Mme Cadotte : Je suis entièrement d’accord. Comme l’a mentionné M. Flegel, lors de nos rencontres dans les collectivités, nous avons entendu à quel point cet élément est important au chapitre de l’éducation et de la sensibilisation pour lutter contre le racisme et l’islamophobie. Comme il a été souligné, monsieur le sénateur, nous avons deux programmes de financement, le Programme de soutien aux communautés, au multiculturalisme et à la lutte contre le racisme, ou PSCMLR, et le Programme d’action et de lutte contre le racisme, ou PALR, acceptent les demandes de financement des conseils scolaires, des écoles, des collectivités et des organismes. Nous recevons déjà des demandes de ces diverses entités et un grand nombre d’entre elles ont obtenu une réponse.

Comme l’a également mentionné M. Flegel, certains groupes communautaires rendent leurs ressources accessibles. Je peux donner l’exemple de la Freedom School pour les familles noires, à Toronto, qui crée des ressources pour participer à des activités d’activisme et de promotion de l’éducation sur la lutte contre le racisme dans les écoles. Au moyen de nos programmes de financement, les efforts que nous déployons pour mettre l’accent sur l’éducation à l’échelon communautaire touchent à de nombreux aspects.

La sénatrice Jaffer : Je vous souhaite tous la bienvenue et vous remercie de votre présence aujourd’hui.

J’ai beaucoup de questions. Quand je vous entends dire que vous travaillez, travaillez, travaillez sur la stratégie de lutte contre le racisme, cela m’inquiète, pour être honnête avec vous. En effet, plus il vous faut du temps pour travailler sur cette stratégie, plus nos enfants sont aux prises avec les défis sans les outils éducatifs adéquats. Combien de temps de plus vous faut-il? Je sais que vous n’aviez pas pris d’engagement, mais pendant encore combien de temps devons-nous attendre?

Mme Khanna : Je vous remercie pour la question, sénatrice Jaffer.

Je ne peux pas vous donner une date précise, comme je l’ai mentionné à la sénatrice Bernard. Toutefois, je peux vous assurer que les personnes concernées sont très engagées et que les travaux progressent. Je ne pense pas que cela prendra des années.

La sénatrice Jaffer : Merci.

Je suis certaine que vous êtes confrontés au problème des suprémacistes blancs. Vous savez ce qui est arrivé au Québec et à London. Avez-vous une stratégie? Travaillez-vous à régler ce problème et quels outils éducatifs offrez-vous?

Mme Khanna : Merci pour la question.

Effectivement, nous travaillons en collaboration avec d’autres ministères pour essayer, ensemble, de vraiment comprendre la problématique et d’élaborer des réponses pour aller à la source du problème. Je dirais que, comme vous l’avez dit, le rôle que peut jouer Patrimoine canadien touche vraiment la sensibilisation, le soutien et la formation. Toutefois, il est évident que les organismes de sécurité et les corps policiers doivent aussi jouer un rôle pour vraiment obtenir — parce que ce sont des crimes, alors il faut mener des enquêtes et des poursuites sur ces crimes...

La sénatrice Jaffer : Faites-vous habituellement de la formation au sein des collectivités sur ce problème ou planifiez-vous de le faire?

Mme Khanna : Sur le problème de l’islamophobie?

La sénatrice Jaffer : Non, sur le problème des suprémacistes blancs.

Mme Khanna : Je vais demander à M. Flegel s’il peut vous fournir une réponse.

M. Flegel : Je vous remercie de cette question très importante, madame la présidente.

Premièrement, j’aimerais dire que le ministre Hussen a reconnu publiquement l’existence et la réalité de la suprématie blanche et des groupes de suprémacistes blancs, comme l’ont fait d’autres ministres du gouvernement. Lors de nos rencontres avec les dirigeants des collectivités d’un bout à l’autre du pays, le danger de la suprématie blanche — que l’on constate dans nos rues — a été soulevé. Pendant que nous travaillons sur la Stratégie canadienne de lutte contre le racisme et le Plan d’action de lutte contre la haine, soyez assurés que des mesures concrètes sont prises.

Un des moyens qui nous permet de lutter contre le problème des suprémacistes blancs à l’œuvre dans nos rues est de financer des projets dirigés par les organismes communautaires sur le terrain. En effet, ces organismes ont la capacité, les connaissances et le savoir-faire pour identifier les individus et pour collaborer avec les autorités et les instances gouvernementales locales pour mettre en œuvre des stratégies conçues par et pour les collectivités pour combattre les groupes de suprémacistes blancs.

Comme l’a indiqué Mala Khanna, ces efforts contribuent à préparer la nouvelle stratégie, que nous espérons lancer bientôt. Selon moi, l’un des messages importants que nous aimerions vous faire comprendre est que même si la stratégie n’a pas encore été lancée, les efforts se poursuivent. Nous demeurons engagés envers les collectivités et nous collaborons étroitement avec ces dernières pour faire progresser le changement.

La sénatrice Jaffer : Merci. C’est de l’information très utile.

En écoutant la représentante spéciale parler, je n’ai pu m’empêcher de penser à quelque chose. Bien entendu, le sommet a demandé la création du poste de la représentante spéciale, puis j’imagine que le gouvernement a accepté cette recommandation. Je comprends tout cela. Pourtant, si je compare le budget qui lui a été accordé au vôtre — je sais que vous me direz que c’est hors de votre contrôle — et si l’on tient compte du mandat qui lui a été confié, ne craignez-vous pas qu’elle soit vouée à l’échec?

Mme Khanna : Merci, sénatrice et madame la présidente.

Encore une fois, je dirais que — la représentante spéciale l’a dit elle-même — si l’on tient compte du travail colossal à faire, c’est une tâche collective. Nous avons tous un rôle à jouer pour combattre l’islamophobie, en unissant nos efforts. Si la responsabilité de régler le problème de l’islamophobie lui incombait à elle seule, je serais très inquiète.

La sénatrice Jaffer : Non, non, ce n’est pas ce à quoi je m’attends.

Mme Khanna : Nous voulons l’appuyer. Nous voulons collaborer avec elle. Nous voulons travailler avec les collectivités, ce comité, les institutions de recherche, les provinces et la société civile afin de combattre collectivement l’islamophobie.

La sénatrice Jaffer : Un budget de 5 millions de dollars sur trois ans est très peu pour qu’elle accomplisse son travail, mais je pense que je devrais poser cette question dans un autre lieu. Je m’inquiète de savoir à quel point le gouvernement accorde du sérieux à la réussite de la représentante spéciale.

Si j’ai bien compris, elle est affiliée à votre bureau et elle n’a pas encore d’équipe. Quels types d’appuis lui procurez-vous?

Mme Khanna : Merci, madame la présidente et sénatrice Jaffer.

Nous l’aidons à s’installer dans son lieu de travail et à bâtir son équipe, notamment en identifiant des candidats potentiels. Nous l’aidons à connaître toutes les exigences de la fonction publique en matière de dotation, en plus de l’informer sur les rouages du gouvernement et de la fonction publique. C’est elle qui décidera le comment, le qui et le quoi de son bureau. Toutefois, nous sommes entièrement disposés à lui offrir du soutien pour faciliter le processus. D’ailleurs, c’est ce que nous faisons depuis le début.

La sénatrice Jaffer : Sauf pour le dossier de l’islamophobie, aucun autre représentant spécial n’a été nommé, est-ce exact?

Mme Khanna : Le professeur Irwin Cotler a été nommé envoyé spécial pour la préservation de la mémoire de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémitisme, mais il n’existe aucun autre représentant spécial.

La sénatrice Jaffer : Le professeur Cotler n’est pas affilié à votre bureau?

Mme Khanna : Ce sont en quelque sorte des bureaux parallèles, mais il bénéficie aussi du soutien de Patrimoine canadien.

La sénatrice Jaffer : Quel est le budget?

Mme Khanna : Je pense que c’est identique. Je dois vérifier pour être certain.

Mme Cadotte : C’est identique.

La sénatrice Jaffer : Merci.

La présidente : J’aimerais poser quelques questions avant de passer à la deuxième ronde.

Vous avez parlé des conseils que vous avez obtenus en consultant des milliers d’intervenants, y compris les communautés musulmanes d’un bout à l’autre du Canada. Pourriez-vous me donner de plus amples détails à ce sujet? Dans quelle région? À combien de musulmans, de groupes, de citoyens et de leaders communautaires avez-vous parlé? Si vous n’avez pas cette information, vous pouvez nous faire parvenir votre réponse par écrit.

Mme Khanna : Je peux commencer par une réponse et vous envoyer plus de détails par la suite. Je sais que M. Flegel voudra aussi ajouter sa réponse.

Dialoguer avec les groupes communautaires est au cœur de notre travail à Patrimoine canadien. C’est la méthode que nous employons pour veiller à bien identifier et comprendre les besoins des communautés en quête d’équité. Le dialogue se déroule à tous les échelons et de différentes manières. À titre d’exemple, je pourrais vous parler des consultations et des activités de mobilisation que j’ai menées à ce jour. Toute notre équipe participe à ce processus.

La présidente : Permettez-moi de vous interrompre un instant. Quand vous dites « à titre d’exemple », ce n’est pas clair. Pouvez-vous me donner un exemple concret?

Mme Khanna : Je peux vous donner des précisions par rapport à mon expérience. Nous pourrions vous faire parvenir une réponse plus exhaustive par la suite.

À titre d’exemple, j’ai visité le bureau régional de Vancouver. Les bureaux régionaux ont tissé des liens profonds avec les collectivités. Quand j’y étais, j’ai rencontré Yusuf Siraj et Tariq Tyab de la Foundation for a Path Forward. Je sais que Tariq a aussi participé à votre étude.

J’ai aussi participé à divers événements. À l’automne dernier, j’ai eu le privilège de participer à une activité organisée par le Massey College en l’honneur des femmes musulmanes dans un rôle de leader. J’y ai rencontré des femmes exceptionnelles de la communauté musulmane de Toronto.

Le ministère a aussi organisé des tables rondes officielles sur des sujets précis, notamment sur l’islamophobie, dans le contexte du Plan d’action de lutte contre la haine. De plus, le député Virani a organisé une table ronde sur l’islamophobie en lien avec les propositions de mesures de sécurité en ligne.

Comme je l’ai dit, ce ne sont que des exemples tirés de mon expérience de mobilisation de la collectivité ou des informations que j’ai obtenues. C’est exactement le travail de M. Flegel, alors il serait en mesure de vous en parler plus abondamment. Nous pourrions aussi vous faire parvenir une réponse par écrit par la suite.

La présidente : Monsieur Flegel, avant que vous ne répondiez à la question, dites-moi ceci : quand vous rencontrez les intervenants ou les membres d’une collectivité, comment déterminez-vous les personnes invitées? Qui prend cette décision?

M. Flegel : Je vous remercie de votre question, madame la présidente.

Comme Mala Khanna l’a mentionné, le ministère a des bureaux régionaux d’un bout à l’autre du pays. Ces derniers entretiennent une relation étroite avec les organisations locales, y compris celles qui représentent les communautés musulmanes. Les bureaux régionaux nous ont fourni une liste en tenant compte de ces liens avec les collectivités. Notre ministère se fie à cette liste pour joindre d’autres organisations que nous ne connaissons pas ou dont les activités, même si elles ne sont pas dans la portée de notre mandat, ont un lien avec notre rôle. Ainsi, nous pouvons intégrer ces organisations dans le processus.

Ce qui est très important pour nous — et la représentante spéciale Elghawaby l’a mentionné —, c’est la réalité de l’intersectionnalité. On ne peut se contenter d’inviter un groupe musulman ou un seul type de groupe de musulmans. Nous devons veiller à la représentation de tout le spectre des communautés musulmanes.

Au Sommet national sur l’islamophobie, nous avons pu compter sur la participation d’approximativement 400 représentants d’organismes des communautés musulmanes de partout au pays — notamment d’Iqaluit, dans le Nord, de Vancouver, d’Halifax et de l’Île-du-Prince-Édouard. Toutes les sphères de ces populations étaient représentées. Chaque jour, je m’assurais de joindre de plus en plus de personnes parce que nous reconnaissons qu’il faut en faire plus afin que notre engagement soit le plus inclusif possible.

La présidente : Avez-vous entendu le témoignage de jeunes musulmanes noires qui portent le hidjab pour comprendre ce qu’elles vivent?

M. Flegel : Non seulement ce point a été soulevé, mais nous accordions une grande importance à veiller à ce que les musulmanes qui portent le hidjab, peu importe que ce soit en Alberta, au Québec ou ailleurs...

La présidente : Des jeunes femmes noires?

M. Flegel : Des jeunes femmes noires, oui.

La présidente : Selon notre étude, nous savons que ce sont elles qui vivent les plus grandes difficultés. Les obstacles sont beaucoup plus grands pour les femmes noires qui portent le hidjab.

Mme Khanna : Puis-je ajouter quelque chose? C’est un élément que je voulais aussi soulever, surtout en ce qui concerne ce que les jeunes femmes noires portant le hidjab que vous avez rencontrées en Alberta vous ont raconté. J’ai lu votre témoignage et j’ai pensé que c’est une autre façon d’identifier les personnes à qui nous voulons tendre la main. J’ai été très touchée et bouleversée par leurs récits. Je veux qu’elles soient aussi incluses dans le processus. Il existe diverses manières de cibler les personnes et c’est l’une des manières avec laquelle votre étude a été d’une grande aide.

La présidente : Je vous remercie de le souligner.

Selon mes observations, on considère que certains groupes dans la collectivité peuvent représenter l’ensemble de la population de la collectivité, ce qui est faux. Parfois, on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a trop de dirigeants. Nous devons garder à l’esprit qu’il faut parler à des gens sur le terrain qui subissent les conséquences de cette problématique.

Le Sommet national sur l’islamophobie s’est déroulé en juillet 2021. Parmi toutes les recommandations formulées, combien ont été mises en œuvre?

Mme Khanna : Madame la présidente, c’est une excellente question.

Je dirais que les recommandations clés ont été mises en œuvre. Évidemment, je fais référence à la nomination de la représentante spéciale chargée de la lutte contre l’islamophobie.

La présidente : Cela en fait une, effectivement.

Mme Khanna : À titre d’exemple, j’aimerais attirer votre attention sur le budget de 2022, qui prévoyait 4 millions de dollars pour soutenir l’initiative Muslims in Canada Archive, dirigée par l’Institut des études islamiques de l’Université de Toronto. Il s’agit d’archives constituées en collaboration avec la communauté musulmane dans le but d’alimenter les archives nationales sur les récits à propos des musulmans au Canada. Dans la foulée du sommet, on a aussi recommandé de changer le discours et de lutter contre les idées fausses sur les musulmans.

La question de la sécurité en ligne et de l’importance de protéger les groupes vulnérables quand ils utilisent Internet a aussi été soulevée dans le cadre du sommet. Comme je l’ai dit, le travail est déjà commencé en ce qui concerne la sécurité en ligne.

Une autre recommandation porte sur la sûreté et la sécurité des lieux de culte et les installations communautaires par l’entremise du Programme de financement des projets d’infrastructure de sécurité pour les collectivités à risque. Je sais que le ministère de la Sécurité publique attend très impatiemment le prochain appel d’offres pour ce programme.

À la suite du sommet, on a par ailleurs recommandé la tenue d’enquêtes systémiques sur les organismes de bienfaisance dirigés par des musulmans. Comme nous le savons tous et comme cela a fait l’objet de nos discussions aujourd’hui, le rapport a été publié.

La présidente : J’ai oublié combien de recommandations ont été formulées. Je veux seulement un chiffre. Combien y en a-t-il et combien d’entre elles ont déjà été mises en œuvre?

Mme Khanna : Je crois que M. Flegel est mieux placé que moi pour vous fournir cette réponse. Nous pourrions aussi vous fournir de plus amples détails par la suite.

M. Flegel : Nous vous fournirons une réponse exhaustive détaillée de tout ce qui a été demandé.

La présidente : À brûle-pourpoint, vous souvenez-vous du nombre de recommandations?

M. Flegel : Au moins 40.

La présidente : Pouvez-vous me donner une estimation du nombre de recommandations qui ont déjà été mises en œuvre?

M. Flegel : J’aimerais mieux vous faire parvenir un rapport complet au lieu de vous donner une information erronée.

La présidente : J’en conclus que ce n’est pas beaucoup. Merci.

La sénatrice Bernard : J’ai quelques questions complémentaires. Pour faire suite à l’une des questions de la sénatrice Jaffer à propos du plan d’action, pour lequel elle a exprimé ses préoccupations, pourriez-vous nous dire quels sont les obstacles précis que vous devez franchir afin de lancer la stratégie? Est-ce ce qui explique ce qui nous apparaît comme un délai?

Mme Khanna : Merci, sénatrice Bernard et madame la présidente.

Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il y a des obstacles sur notre route. Je dirais plutôt que nous voulons nous assurer de livrer le bon produit et de faire le nécessaire. Comme je l’ai mentionné au sénateur Manning, nous nous attaquons à des problèmes complexes et très profonds. Cela prend du temps. La nature de ces problèmes nécessite une collaboration étroite dans le contexte où nous travaillons dans la fonction publique et que nos travaux se font de façon horizontale. Il n’y a pas d’autre manière de procéder, mais cela peut prendre du temps.

La sénatrice Bernard : Dans votre réponse à l’une des autres questions, vous avez précisé qu’il y a deux volets de financement pour les initiatives émanant des communautés. J’aimerais savoir comment les communautés sont informées de ces possibilités de financement et à quelle fréquence les invitations sont acheminées aux participants potentiels. En tant que sénatrice originaire de la Nouvelle-Écosse, je m’intéresse particulièrement à ce qui se passe dans ma province.

Mme Khanna : Eh bien, je vais tenter de répondre et passer ensuite la balle à Mme Cadotte.

Il y a les régions d’un bout à l’autre du Canada. Il y a un bureau régional à Halifax qui travaille directement avec les communautés, ce qui lui permet de bien connaître celles-ci. À mon avis, c’est la principale manière d’informer les groupes. Comprenez-moi bien, l’information est sur le site Web, mais en ce qui concerne la participation réelle et la mobilisation de la communauté, c’est la meilleure façon pour les bureaux régionaux de connaître la population.

Toutefois, le programme qui est constamment sollicité et pour lequel vous pourriez certainement présenter une proposition de financement est le Programme de soutien aux communautés, au multiculturalisme et à la lutte contre le racisme. C’est notre programme multiculturel. Il cible les événements que les groupes communautaires veulent organiser.

Mme Cadotte : Merci, madame la présidente. Je vous remercie aussi pour la question.

En effet, comme Mme Khanna l’a déclaré, c’est l’un des programmes, et autant le PALR que le PSCMLR suscitent une forte participation des collectivités. Nous reconnaissons qu’il est essentiel de joindre les gens à l’échelon communautaire, à la source. C’est pourquoi nous utilisons une variété de moyens pour nous assurer de saisir toutes les possibilités de sensibilisation. Nous ne nous contentons pas de publier de l’information sur notre site Web dans l’espoir que les gens participent. Nous agissons de manière proactive pour tisser des liens par l’entremise de nos groupes communautaires, des réseaux développés par le Secrétariat de lutte contre le racisme ainsi que nos collègues des autres ministères. Nous essayons de propager l’information. C’est une autre possibilité que nous offrent les événements organisés dans le cadre du Programme de soutien aux communautés, au multiculturalisme et à la lutte contre le racisme.

Nous nous assurerons de vous faire parvenir l’information sur les programmes financés en Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Arnot : Je connais le Programme de soutien aux communautés, au multiculturalisme et à la lutte contre le racisme, mais qu’est-ce que le programme PALR?

Mme Cadotte : Le Programme d’action et de lutte contre le racisme.

M. Flegel : Un des messages que nous propageons au sein des collectivités est que ces deux programmes ne sont pas les seules avenues pour obtenir du financement de la part du gouvernement. Historiquement, si vous étiez membre d’un groupe racialisé ou religieux, tout le monde vous dirigeait vers le portefeuille du multiculturalisme. Cependant, nous savons que des milliards et des milliards de dollars sont accessibles par diverses voies de financement à l’échelle du gouvernement. C’est pourquoi l’une de nos tâches au secrétariat fédéral est d’envoyer chaque mois aux collectivités les possibilités de financement dans l’ensemble du gouvernement. Par le passé, l’accès à cette information était très limité. L’information que nous acheminons est directement envoyée à plus de 12 000 personnes qui, à leur tour, la transmettent à des centaines voire des milliers de personnes. Nous rejoignons le plus de destinataires possible. C’est une manière parmi tant d’autres de propager l’information pour que ce soit plus accessible.

La présidente : Je tiens pour acquis que l’information est disponible en ligne pour quiconque veut y avoir accès. Merci.

Le sénateur Manning : Merci pour la discussion enrichissante.

Dans vos observations, vous avez mentionné qu’un sommet sans précédent a eu lieu sur le thème de l’islamophobie. J’ai participé à un grand nombre de sommets au fil des années, et de nombreuses personnes attendent les mesures de suivi pour mesurer les progrès accomplis et voir dans quelle direction on se dirige. Un plan a-t-il été mis en place pour poursuivre les efforts avec un autre sommet sur l’islamophobie et savoir exactement le chemin parcouru depuis le début, depuis le premier sommet?

Mme Khanna : Merci madame la présidente et sénateur Manning.

Il n’existe aucun plan à l’heure actuelle, mais nous pouvons certainement vous voler cette idée et organiser un sommet de suivi. Comme nous l’avons souligné, il est évident que les travaux et les recommandations ont été pris très au sérieux. Nous avons accompli des progrès à l’égard d’un bon nombre des recommandations clés, en collaboration avec d’autres ministères. En effet, beaucoup de recommandations rejoignent aussi d’autres ministères, alors nous collaborons avec eux dans la mesure du possible pour réaliser des progrès. Nous vous ferons parvenir le chiffre exact.

Le sénateur Manning : Très bien. Cela vous donne la possibilité de montrer le travail accompli et c’est aussi favorable aux relations publiques.

Je sais que dans ma première série de questions, j’ai mentionné à quel point le Canada fait l’envie des autres pays. Dans le cadre de nos travaux, nous examinons ce que font d’autres instances gouvernementales pour voir ce qui pourrait être appliqué ici, au Canada, par exemple des leçons retenues. J’aimerais savoir si, dans ce cas en particulier, organisez-vous des activités de liaison? Si oui, avec qui? Avez-vous identifié des problèmes communs et des progrès réalisés par d’autres instances, des solutions qui pourraient nous aider?

Mme Khanna : Absolument, oui. Merci de votre question madame la présidente et sénateur Manning. Je vais laisser M. Flegel répondre parce que cela touche à son rôle.

M. Flegel : Merci, madame la présidente.

Ce que nous avons entendu et qui a été confirmé par la recherche et les données probantes, c’est que l’islamophobie et le racisme sont, en général, une problématique mondiale. Ce n’est pas un problème unique au Canada. C’est répandu à travers la planète. Il est très important de tisser des liens avec nos alliés qui partagent notre point de vue afin de comprendre ce qui fonctionne pour eux, les nouvelles pratiques qu’ils ont développées et les leçons que nous pouvons apprendre de nos expériences respectives.

L’un des dossiers pour lequel le Secrétariat fédéral de lutte contre le racisme a négocié pendant deux ans avec les gouvernements des États-Unis et du Mexique est le Partenariat nord-américain pour l’équité et la justice raciale. En janvier dernier, notre ministre des Affaires étrangères, l’honorable Mélanie Joly, le secrétaire aux Affaires étrangères du Mexique et le secrétaire d’État américain, M. Blinken, ont signé le partenariat. C’est une possibilité historique d’accroître la collaboration pour partager l’information et les meilleures pratiques qui contribuent, entre autres, à éradiquer l’islamophobie. À titre d’exemple, les États-Unis ont nommé un représentant spécial pour combattre l’islamophobie et en assurer le suivi. Uniquement avec cette initiative, nous pouvons en apprendre beaucoup, non seulement dans la sphère gouvernementale, mais aussi au sein de la société civile. En effet, les organisations communautaires au Canada pourraient elles aussi tisser des liens avec leurs homologues des États-Unis et du Mexique pour partager des leçons retenues et de l’information.

C’est exactement pour cette raison que nous dialoguons abondamment avec nos alliés à travers le monde. Ainsi, nous nous assurons que ce que le gouvernement du Canada offre repose sur les meilleures pratiques actuelles.

Le sénateur Manning : Merci.

La présidente : Merci.

J’aimerais vous poser une dernière question. Terrance Carter, un avocat dans le secteur des organismes de bienfaisance, a témoigné devant le Comité sénatorial des droits de la personne quelques jours après son séjour aux États-Unis. Là-bas, il a mentionné son invitation à témoigner au sujet des organismes de bienfaisance des communautés musulmanes. Il nous a dit que son interlocuteur avait bien ri, en ajoutant : « Vous inquiétez-vous encore du terrorisme des musulmans et des organismes de bienfaisance musulmans? Nous sommes passés à autre chose avec la montée des suprémacistes blancs. » Est-ce que, ici, au Canada, nous reconnaissons l’existence d’un autre problème grave auquel nous devons nous attaquer?

Mme Khanna : Madame la présidente, je vous remercie de votre question.

Oui, je pense que cela est reconnu comme un problème grave. Je ne suis pas en mesure d’en dire plus, mais je sais que nos autorités gouvernementales et nos responsables de la sécurité traitent cette question comme un problème grave.

La présidente : Merci.

Je tiens à remercier tous les témoins qui ont accepté de prendre part à cette étude. Nous sommes très reconnaissants pour votre collaboration à nos travaux.

Chers collègues et chers invités, cela met fin à la portion publique de notre rencontre.

(La séance se poursuit à huis clos.)

Haut de page