LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 2 mai 2022
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne tient une vidéoconférence aujourd’hui, à 17 heures [HE], pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.
La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Chers collègues, je vous souhaite à tous la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Je m’appelle Salma Ataullahjan, sénatrice de Toronto et présidente du comité.
J’aimerais vous présenter les membres du comité qui participent à cette réunion. Ce sont le sénateur Arnot, de la Saskatchewan, la sénatrice Boyer, de l’Ontario, le sénateur Wells, de Terre-Neuve, et le sénateur Francis, de l’Île-du-Prince-Édouard. Bienvenue à vous tous et à ceux qui suivent nos délibérations sur senvu.ca.
Aujourd’hui, nous menons une étude qui a commencé en 2019 sur la stérilisation forcée de personnes au Canada. Le comité a déposé un rapport provisoire en juin 2021 et il s’agit de notre deuxième réunion à ce sujet au cours de cette session parlementaire. Le rapport ayant souligné l’importance d’entendre les survivants parler de leurs expériences, notre comité répond clairement à cette recommandation en entendant aujourd’hui six femmes qui ont accepté de nous faire part de leurs histoires et de leurs points de vue. J’en profite pour les remercier sincèrement d’avoir accepté de participer à cette très importante étude.
Je vais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. Nous accueillons notre témoin A, qui souhaite demeurer anonyme, Sylvia Tuckanow et Elizabeth Esquega. Elles sont accompagnées d’Alisa Lombard, avocate du cabinet Lombard Law. Bienvenue à toutes et merci d’être parmi nous.
J’aimerais également profiter de l’occasion pour saluer la sénatrice Kim Pate, qui vient de se joindre à nous.
Madame la témoin A, vous avez la parole.
Témoin A, à titre personnel : Merci, madame la présidente, et merci aux membres du comité de me donner l’occasion de témoigner aujourd’hui.
Tout d’abord, j’aimerais saluer le territoire ancestral de la Nation algonquine anishinaabe ainsi que les Premières Nations, les Métis et les Inuits de partout au Canada.
Honorables sénateurs, je suis très reconnaissante d’être ici aujourd’hui. Je vous salue avec humilité et respect. Je tiens également à remercier le Très-Haut de me laisser lui faire offrande de mon expérience pour mieux le servir, tout en exprimant ma gratitude pour le courage et la bravoure des avocates Brenda Pelletier et Tracy Bannab, qui ont été les premières à dévoiler les faits en 2015. Je remercie tout particulièrement tous les survivants de partout au pays qui font front commun dans cette cause en espérant que justice se fasse.
Je suis la principale plaignante fondatrice d’un projet de recours collectif portant sur la stérilisation forcée des femmes autochtones en Saskatchewan. À l’échelle nationale, je crois qu’il y a des milliers de femmes autochtones qui sont touchées. Je suis fière d’être membre de la Première Nation de Fishing Lake, sur le territoire visé par le Traité no 4, mère de deux enfants qui me sont infiniment chers et citoyenne de la nation Anishinabeg.
Aujourd’hui, je suis solidaire de plusieurs survivants et de femmes autochtones dont les droits ont été violés pendant l’accouchement ou quand elles étaient sur le point d’accoucher. Nos expériences se rejoignent, dans la mesure où nos droits fondamentaux à un consentement libre, préalable et éclairé ont été compromis à un moment où nous étions le plus vulnérables. En plus de rendre les femmes autochtones stériles, on a privé à tout jamais des générations futures, des enfants qui ne seront pas, de leurs droits inhérents issus de traités. Lorsque les personnes violées ont le statut d’Indien, comme moi, elles ne peuvent pas léguer ce statut aux générations futures, ce qui diminue le nombre des nôtres. Cette pratique ne peut être qualifiée que de génocide.
En septembre 2008, avant et jusqu’à mon accouchement, pendant et après la césarienne de mon fils maintenant âgé de 13 ans, divers professionnels de la santé m’ont systématiquement interrogée, humiliée, harcelée et soumise à un profilage racial. J’ai été marginalisée et violée de nouveau dans mes droits lorsque j’ai été stérilisée de force. On m’a dit que l’intervention était réversible et que j’avais tout intérêt à le faire pour ne plus me retrouver dans ce genre de situation.
À ma sortie de l’hôpital le lendemain, la naissance de mon bébé ayant été signalée aux Services à l’enfance et à la famille, on est venu me l’arracher le jour même où je suis rentrée à la maison avec lui, violant ainsi les droits de mon nouveau-né. Bien que j’aie eu les ressources nécessaires pour avoir accès à la justice afin que mon fils me soit retourné, de nombreuses survivantes qui ont subi le même sort n’ont pas pu le faire et ont perdu leurs enfants au profit des Services à l’enfance et à la famille. Plus tard, lorsque j’ai examiné le dossier que ces services détenaient sur mon fils et moi, j’ai constaté à ma grande horreur qu’il avait été désigné pour la tutelle permanente avant même sa naissance.
Comme survivante de la stérilisation sous contrainte, à part vouloir pousser le cri primal, il n’y a pas de mots pour décrire le sentiment de violation et d’impuissance qu’une femme ainsi stérilisée ressent face à la perte de son identité culturelle comme telle. Un acte aussi inhumain et brutal ne peut être comparé qu’au fait d’être complètement vidée de ses entrailles, éviscérée sur le vif.
Nous espérons que votre rapport sur cette étude aboutira à une réforme législative et stratégique, à des mesures concrètes et à la reconnaissance du fait que la stérilisation forcée endémique et profondément préjudiciable des femmes autochtones doit être traitée aux plus hauts niveaux afin d’assurer le respect du principe de la liberté et du consentement préalable et éclairé des femmes autochtones. En l’absence de ces réformes, les lois canadiennes qui ont fait tant de tort à tellement de femmes autochtones continueront de prospérer dans l’esprit du colonialisme.
En solidarité avec d’autres survivantes, j’implore le Comité sénatorial des droits de la personne de corriger ce tort historique et de mettre fin à la stérilisation sous contrainte des femmes autochtones. À mon avis, la criminalisation de cette violation flagrante des droits de la personne est une étape cruciale pour mettre fin à la perturbation de la survie de notre peuple comme nation distincte et pour faire triompher la justice et la guérison. Ce serait un geste pacifique vers une réconciliation durable pour les générations à venir. Dans cet esprit, nous avons hâte de recevoir vos commentaires et nous accueillerons volontiers toute décision sur la meilleure façon de donner suite à l’étude pour parvenir à la justice, à la paix et à la guérison.
Je vous remercie de votre précieux temps, madame la présidente, ainsi que les membres du comité sénatorial et les survivantes de partout au Canada. Meegwetch.
Désolée, je ne m’attendais pas à être aussi nerveuse.
La présidente : Ça s’est très bien passé. Si vous étiez nerveuse, nous ne l’avons pas remarqué.
La témoin A : Je tremble littéralement. Je peux le sentir.
La présidente : Merci de votre témoignage. Vous avez été formidable. Merci beaucoup.
Ce sera donc au tour de notre témoin suivant, Sylvia Tuckanow.
Sylvia Tuckanow, à titre personnel : Bonjour. Je m’appelle Sylvia Tuckanow et je suis une Crie de 49 ans de la Première Nation de Peepeekisis, en Saskatchewan.
J’ai 6 enfants et 14 petits-enfants, et je suis aussi une survivante des externats indiens. Mes parents sont des survivants des pensionnats, tout comme l’était mon défunt mari. Je rêvais d’avoir une grande famille. J’aime ma famille plus que tout. Mes enfants ont tragiquement perdu leur père il y a huit ans. Dans sa culture, on ne croyait pas au contrôle des naissances, et ma stérilisation forcée a eu un impact énorme sur notre mariage, qui s’est achevé par un divorce. Je ne me sentais plus et je ne me sens plus comme une femme à part entière.
J’ai été stérilisée contre mon gré quand j’avais 29 ans. Le 9 juillet 2001, je me suis rendue à l’Hôpital universitaire Royal de Saskatoon alors que j’étais sur le point d’accoucher. J’ai donné naissance à un petit garçon en bonne santé, avec mon mari à mes côtés. Peu après la naissance, j’ai entendu mon mari dans le couloir dire haut et fort aux infirmières : « Je ne signe pas cela. » Personne ne m’a posé de questions ou expliqué quoi que ce soit au sujet de ce qu’on lui avait demandé, et je suis absolument certaine que je n’ai rien signé.
Dès que mon mari a quitté l’hôpital, on m’a emmenée dans un ascenseur en fauteuil roulant. Je ne me souviens pas si je suis montée ou descendue, car j’étais encore désorientée par l’accouchement et les effets des analgésiques. J’ai été placée à l’extérieur d’une pièce, près de la porte. J’ai réussi à voir l’intérieur, mais ça ne me disait strictement rien, si ce n’est que j’ai automatiquement ressenti de la peur. J’ai donc commencé à essayer de me ramener à l’endroit où se trouvait l’ascenseur, mais un homme est venu derrière moi et m’a fait rouler vers cette pièce. Je lui ai dit que je ne voulais pas faire cela, mais il n’a pas écouté. Je ne savais pas exactement à quoi je m’opposais à ce moment-là, mais j’avais un sentiment terrible parce que personne ne m’avait parlé de ce qui se passait. J’ai ressenti de la terreur, une frayeur sans nom lorsque j’ai été introduite dans cette pièce.
Quelques infirmières m’entouraient — je ne sais pas exactement combien — pour me préparer à une péridurale. J’avais déjà une péridurale dans le dos après avoir accouché, alors je me suis demandé pourquoi ils devaient recommencer. Je n’arrêtais pas de demander si la péridurale que j’avais déjà eue ne pouvait pas servir. Je voulais les retarder, je crois, parce que j’essayais de trouver des excuses. Pendant tout ce temps, je n’arrêtais pas de dire « Non, je ne veux pas faire ça » et de pleurer de façon incontrôlable, mais personne ne m’écoutait. Personne dans cette salle ne prêtait attention à ce que je disais.
J’étais tellement vulnérable parce que mes jambes ne fonctionnaient pas bien après l’accouchement et la première péridurale. On m’a placée dans un lit et ma peur était totale. Je pleurais et j’étais terrifiée. Je faisais de l’hyperventilation à cause de la position que j’occupais sur ce lit. Ma tête était plus basse que mon corps, et ils m’ont attachée au lit.
Il y avait une odeur de brûlé, qui me rappelle encore aujourd’hui celui des poulets passés à la flamme. À quelques reprises, j’ai demandé à l’homme qui faisait la chirurgie s’il avait terminé. Il n’a pas dit mot avant d’achever la besogne. Lorsqu’il a terminé, il a dit : « Là, c’est attaché, coupé et brûlé. Plus rien ne passera par là. »
J’étais soulagée de sortir de cette salle. On m’a ramenée à la maternité, et ce n’est qu’à ce moment-là qu’on m’a laissée tenir mon fils dans mes bras. Je ne me souviens pas d’avoir tenu mon bébé avant qu’on m’amène au bloc opératoire pour me stériliser, mais je ne pense pas l’avoir tenu.
Cette expérience terrifiante m’a laissé un vide. Je ne me sentais plus femme et je suis terrifiée par les hôpitaux et les médecins.
Je n’ai rien dit à qui que ce soit parce que je pensais que personne ne me croirait. Lorsque Melika Popp, Brenda Pelletier et Roxanne Ledoux se sont présentées, j’ai décidé de raconter mon histoire. J’ai été soulagée d’apprendre que je n’étais pas la seule à qui cela est arrivé. J’ai vécu avec le souvenir de cette expérience terrifiante seule pendant 14 ans. Maintenant, je raconte mon histoire à tous ceux qui veulent bien m’écouter. J’ai également participé à l’examen externe qui a eu lieu à Saskatoon. Tout ce que je fais est très important pour moi, car je défends la cause d’autres femmes, et je sais à quel point c’est effrayant et difficile.
Lorsque ma fille a récemment donné naissance à mon quatorzième petit-enfant, je ne pouvais pas être avec elle en raison des restrictions liées à la COVID-19. Cela m’a causé beaucoup d’anxiété et de peur parce que je ne voulais surtout pas qu’il lui arrive la même chose qu’à moi. Notre coplaignante DDS a plus ou moins le même âge que mes filles, alors je sais que cela peut arriver à mes filles, et à leurs filles à elles un jour, à moins que l’on prenne des mesures vraiment rigoureuses, et je suis terrifiée.
Mais nous ne sommes plus seules. Nous serons solidaires. Nous connaissons des femmes partout dans le monde à qui cela est arrivé : au Pérou, en Afrique du Sud et dans bien d’autres pays.
Je me prononce pour protéger nos générations futures et nos nations contre ce génocide. Nous ne pouvons pas avoir peur de ce mot. Imaginez tous les esprits de ces petits qui auraient pu venir au monde et être dans notre vie pour nous enseigner et apprendre de nous et pour former l’épine dorsale de nations autochtones fortes. Ce qu’ils nous ont fait, à moi et à ma famille, et à tant d’autres personnes, était répréhensible, et ils doivent être tenus responsables, y compris au criminel, de ces actes horribles, tortueux et génocidaires.
Merci.
La présidente : Merci pour ce témoignage vraiment impressionnant. Nous passons maintenant à Elizabeth Esquega.
Elizabeth Esquega, à titre personnel : Booshoo , je m’appelle Liz Esquega. Je suis ici pour raconter mon histoire avec un visage et une voix qui ne sont plus cachés. Je tiens à dire meegwetch aux honorables sénatrices Yvonne Boyer et Michèle Audette, ainsi qu’à l’avocate Alisa Lombard, pour leur engagement et leur soutien, ainsi qu’aux autres membres du comité et aux femmes, aux hommes et aux familles également touchés par la stérilisation sexuelle forcée.
J’atteste que j’ai été contrainte et forcée d’être stérilisée sexuellement et d’avorter mon enfant à naître en même temps sans être pleinement consciente des répercussions que cela allait avoir sur ma vie. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le recours à la contrainte ou à la force à des fins de conformité est à la fois contraire à l’éthique et moralement répréhensible.
Mon histoire remonte à la fin des années 1970. J’étais une mère adolescente et je ne comprenais pas le don d’être une mère, ni même la grossesse, ni tout ce que cela impliquait. Bien qu’il me soit difficile de préciser les dates exactes, je peux les situer plus ou moins en songeant aux événements dont je vais vous faire part.
Ma situation est différente, car j’ai été non seulement stérilisée sexuellement, mais aussi forcée de me faire avorter. La travailleuse de la Société de l’aide à l’enfance qui y a été affectée a exigé que l’on « prenne le bébé d’une façon ou d’une autre ». Ce sont des mots que je n’ai jamais oubliés. Je n’oublierai jamais non plus de me réveiller après la chirurgie avec un sentiment de vide, en plus de me sentir coupable d’être complice d’avoir mis fin à une vie, quelque chose que j’aurais été incapable de faire de bon gré, car si l’avortement était un crime, j’étais maintenant partie prenante, non seulement contre mon enfant à naître, mais contre moi-même et contre le Créateur. Je me sentais vide, sachant que mon instinct maternel et la capacité que Dieu m’avait donnés de supporter la vie avaient été coupés et déchirés.
Ces expériences bouleversantes ont précédé la mort subite de ma mère en 1978. Je n’avais jamais connu le décès d’un être cher auparavant. Je suis certaine que quiconque a perdu un être cher conviendra que le deuil est accablant, car il faut du temps pour guérir. La perte de ma mère m’a beaucoup marquée et m’a poussée vers une perte encore plus grande. Comme je l’ai dit plus tôt, les événements de la vie se placent dans le temps comme des échéanciers et mettent en perspective ce qui s’est passé. Ce qui s’est passé n’est pas bien, mais quand allons-nous donc redresser le tort? Je me le demande.
Je n’avais personne à qui parler de l’immense pression que la travailleuse sociale ou le médecin me faisait subir. Je ne savais pas quoi faire ni vers qui me tourner face à ce nouveau traumatisme qui s’était déclenché dans ma vie et qui venait intensifier celui que j’avais déjà vécu.
Dans mon enfance, j’ai été agressée sexuellement, et je vois très bien le lien qui existe entre la violence sexuelle et la stérilisation. Les deux sont tout aussi néfastes, dégradants, choquants et traumatisants. Qui plus est, les gestes et les paroles de la travailleuse sociale et du médecin sont carrément des actes criminels. La stérilisation sexuelle est comparable au viol. Les deux sont agressifs et sont motivés par le désir d’exercer le pouvoir et le contrôle. La façon dont la travailleuse de la Société d’aide à l’enfance et le médecin m’ont traitée rejoint les actes d’un agresseur, qui m’a touché de façon indésirable et envahi des parties sacrées de mon corps et de mon être. Ils sont comme des prédateurs sexuels dans leur utilisation du pouvoir et de la force sur une personne, où l’acte laisse la personne complètement impuissante.
Ces actes se sont déroulés sans plainte ni enquête. Instinctivement, je savais que quelque chose n’allait pas, mais je n’avais pas d’autre choix jusqu’à maintenant. Je l’ai simplement vécu et souffert en silence. Je sais que la peur, la honte et la culpabilité sont associées à la stérilisation sexuelle et aux abus sexuels. Les deux sont des actes violents, et j’ai intériorisé la peur, la honte et la culpabilité qui s’étaient profondément enracinées au détriment de mon être, la honte l’emportant sur mon estime de moi.
Je ne savais pas alors, mais je sais maintenant, que la stérilisation sexuelle fait partie de l’ère de l’eugénisme où l’on choisissait des étiquettes comme « défectueux », « inapte » et « indigne » pour qualifier les personnes à stériliser. Ceux qui n’ont jamais subi ce genre de préjudice ne comprendront jamais et ne verront jamais la corrélation avec la nature sexuelle de ce genre de violence. Je la vois parce que je l’ai vécue.
Pour avoir intériorisé tout cela au cours de ma vie, je sais que la violence sexuelle prend différentes formes, dont la contrainte. Je souffre encore aujourd’hui de séquelles psychologiques qui affectent ma santé physique globale. La stérilisation sexuelle, c’est une mutilation, et mon corps porte des cicatrices qui me rappellent constamment mes souffrances sur le plan physique, mental, affectif et spirituel.
Je n’ai pas parlé en détail de ce qui s’est passé avec ma famille pendant plus de 40 ans. Je peux enfin dire : « Voilà ce qui m’est arrivé. » Malheureusement, c’est arrivé et continue d’arriver à d’innombrables autres personnes. Il y a des moments où je pense aux gens qui ne connaîtront jamais la joie d’avoir un enfant ou des petits-enfants, et à ces autres femmes qui sont décédées sans que nous ayons pu connaître ou entendre leur histoire, rendues stériles par la stérilisation sexuelle, car ce sont les peuples autochtones qui étaient ciblés.
Malgré tout, j’ai deux belles filles et cinq petits-enfants, car l’échéancier du Créateur est infiniment plus long que les leurs ou les miens. Je me sens bénie par le Créateur, et je sais qu’il n’y a pas de plus grand pouvoir que le sien.
Honorables sénateurs et auditeurs, bien que je vous aie raconté une partie de mon vécu, sachez que je suis résiliente. Je sais que le fait d’être une femme anishinaabe dans ce monde peut être un défi, mais aussi quelque chose de merveilleux. Je vois la beauté malgré la laideur de ce que l’on a réservé aux peuples autochtones, tant au Canada qu’ailleurs dans le monde. On m’a peut-être empêchée d’avoir plus d’enfants, on a coupé la vie de mes entrailles, mais mes liens avec le Créateur relèvent de la grâce. J’espère que le fait de raconter mon histoire permettra aux autres de se manifester.
En guise de conclusion, il y a 30 articles dans la Déclaration universelle des droits de l’homme telle que proclamée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948. L’article premier se lit comme suit :
Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.
Dans le même esprit, je vous remercie de m’avoir écoutée. Meegwetch.
La présidente : Merci à toutes de nous avoir fait part de vos histoires tellement puissantes.
Nous allons passer aux questions des sénateurs. J’aimerais rappeler à chaque sénateur qu’il dispose de cinq minutes pour poser sa question, ce qui comprend la réponse.
Madame le témoin A, vous avez indiqué que vous ne vouliez pas que des questions vous soient posées. Êtes-vous toujours du même avis, ou vous sentez-vous à l’aise pour répondre?
La témoin A : Oui, je veux bien répondre aux questions si quelqu’un en a à me poser. Merci.
La présidente : Merci beaucoup. Nous donnons la parole à la sénatrice Boyer pour la première question.
La sénatrice Boyer : Je vous remercie toutes de vos témoignages percutants. Ce que vous avez fait aujourd’hui, c’est libérer les femmes qui ne se sont pas manifestées, parce qu’elles vous entendent, elles entendent votre pouvoir, elles voient votre pouvoir et votre éclat. Merci.
J’aimerais que chacune d’entre vous me dise ce que le gouvernement fédéral devrait faire pour mettre fin à cette pratique odieuse.
La témoin A : J’aimerais qu’il y ait des modifications législatives et une réforme des politiques afin que ces violations des droits de la personne prennent fin; qu’il ne soit pas question que des femmes autochtones ou autres soient stérilisées sous contrainte; et que, par conséquent, que cette pratique soit criminalisée. Je me dis que cela se produira moins souvent s’il y a des conséquences, du moins je l’espère.
Mme Tuckanow : Je suis du même avis, autrement dit que les auteurs soient tenus responsables, que l’on criminalise ces actes et que l’on modifie les politiques.
La témoin A : Je pense aussi que le gouvernement fédéral et les provinces devraient aborder cette question avec le sérieux qu’elle exige. Jusqu’à maintenant, il y a eu des retards constants et beaucoup d’obstruction, semble-t-il. Peut-être qu’on ne se rend pas compte qu’il y a des vies qui sont en jeu et que, pour certaines personnes, se réveiller chaque jour est toute une lutte. J’apprécierais que notre premier ministre et nos premiers ministres provinciaux puissent aborder la question comme de vrais chefs de file.
Mme Esquega : La question était de savoir quelles mesures, à mon avis, le gouvernement fédéral devrait prendre pour prévenir d’autres cas de stérilisation forcée. Je pense qu’il ne devrait pas y avoir d’autres incidents à l’avenir et que cette pratique doit cesser d’ores et déjà. Cela dit, il s’agit de la première étape, à savoir la rencontre des sénateurs et des survivantes, des femmes et de leurs familles. Je pense que c’est un grand pas dans la bonne direction. Mais vraiment, il ne devrait plus y avoir un seul cas.
La présidente : Je vous annonce que les sénatrices Lankin et Gerba viennent de se joindre à nous.
Le sénateur Wells : Je tiens à remercier les témoins de comparaître devant nous et de nous aider, en tout cas de m’aider, moi. Lorsque nous nous sommes penchés sur cette question pour la première fois, j’en ai parlé avec la sénatrice Boyer il y a quelques années, et je n’arrivais pas à croire que cela se produisait dans notre pays, à notre époque. Ça m’a vraiment scandalisé. C’était comme regarder un film où le dénouement est censé être fictif. C’est ce que je pensais lorsque je l’ai entendu pour la première fois. Je tiens à vous remercier d’avoir eu le courage de vous prononcer devant nous aujourd’hui. Par le fait d’avoir comparu devant un comité sénatorial, vous êtes désormais des témoins experts. C’est la position que vous occupez pour m’éduquer, et je tiens à vous remercier de votre courage.
Il a été question de criminaliser cette pratique. Je suppose que cela reviendrait à criminaliser les personnes forcées, car la pratique peut encore se poursuivre, sans qu’il n’y ait contrainte, la personne pouvant consentir sur demande. Hormis cela, ne pourrait-on pas adopter des mesures pour ralentir le processus décisionnel? Si j’ai bien compris, la décision a été prise par le personnel médical et non par vous. Je vais vous poser la question à tour de rôle. Y a-t-il une démarche ou des étapes qui pourraient être prévues pour ralentir le processus de manière juste et équitable, pour vous laisser le temps de consulter votre famille, votre chef spirituel, le cas échéant, et certainement votre mari ou votre partenaire? Pouvez-vous m’aider à comprendre cette partie du processus qui pourrait devenir une loi?
Je demanderais peut-être à Mme Esquega de répondre en premier, puis aux autres témoins.
Mme Esquega : Je suis encore en train de réfléchir à votre question et d’essayer d’y trouver une réponse, parce qu’il m’est difficile d’y répondre à ce stade-ci. Puis-je avoir quelques minutes de plus? Je n’ai pas fini de réorganiser mes pensées.
Le sénateur Wells : Bien sûr.
Mme Esquega : Veuillez donc m’excuser pour le moment, merci.
Le sénateur Wells : À bien des égards, je continue à essayer de digérer que ce genre de chose puisse continuer à se produire.
Madame Tuckanow, pourriez-vous essayer de répondre?
Mme Tuckanow : C’est pareil pour moi aussi. Je pense à votre question. Je sais, pour ma part, qu’il faut apporter des changements aux politiques et, comme dans le cas de la consultation, qu’il ne faut pas prendre ces décisions après la naissance, ni même pendant la grossesse. On ne devrait même pas en parler. On ne devrait pas en parler avant d’avoir accouché. Mais je réfléchis encore à votre question, alors je ne fais que dire ce qui me vient à l’esprit en ce moment.
Le sénateur Wells : Bien sûr. Non, ce que vous dites est logique. En y réfléchissant, j’essaie de penser à une solution qui permettrait de faire une pause dans le processus et de donner le pouvoir de décision au patient, au client, à la mère ou à la mère potentielle, plutôt qu’à l’équipe médicale. C’est aussi une question de processus parce que, si vous n’avez pas eu le temps d’examiner cette question ou toute la gamme des renseignements et des ramifications — et, de toute évidence, on vous a inculqué des idées fausses en les présentant comme un fait accompli —, il faudrait que vous l’ayez, ce temps, et qu’il y ait un processus conçu pour vous mettre au courant de la vérité, de quoi agir en connaissance de cause — je ne sais pas trop comment poser la question parce que je veux qu’elle soit claire.
Notre premier témoin pourrait peut-être essayer?
La témoin A : En ce qui concerne le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, je pense que, premièrement, les responsables des soins de santé doivent être tenus au courant des conséquences, des sanctions ou des accusations criminelles si la contrainte se poursuit de quelque façon que ce soit.
D’après mon expérience, je sais qu’on n’a pas été informé. Ma mère — elle est décédée il y a environ deux ans — avait reçu des soins à domicile pendant plusieurs années. Pour cela, il a fallu faire toutes sortes de démarches et consulter un spécialiste après l’autre pour s’assurer que c’est bien ce qu’elle désirait. Mais dans mon cas, et dans celui de beaucoup d’autres femmes, ce temps ne nous a pas été accordé; il nous a été brièvement proposé au beau milieu d’une douleur intense, quand nous étions sur le point d’accoucher.
Je pense qu’à l’avenir, le personnel hospitalier doit comprendre qu’il y aura des conséquences, et que ces conséquences seront appliquées aux niveaux provincial et fédéral. C’est la raison pour laquelle je dis que ce processus doit être criminalisé ou assorti d’une sanction, d’une suspension ou d’une conséquence quelconque. Ce n’est qu’un aspect de la question, en marge des dommages, de la douleur et de la souffrance des personnes qui ont souffert et qui continuent de souffrir.
Le sénateur Wells : Merci.
Le sénateur Francis : En ma qualité de membre d’une Première Nation, je tiens à remercier tous les témoins. Vous avez toutes fait preuve d’une force et d’un courage extraordinaires en discutant d’un sujet aussi personnel et difficile.
Ma question s’adresse à toutes. Selon vous, quel rôle le racisme systémique et institutionnel a-t-il joué dans vos cas?
La témoin A : C’est à 100 %. Cela ne se serait pas produit si je n’avais pas été une femme de couleur. Cela ne se serait pas produit si j’y étais allée avec un mari et une famille. J’ai été marginalisée. J’ai fait l’objet d’un profilage racial. Je ne voulais pas que cela m’arrive.
Le sénateur Francis : Merci. Quelqu’un d’autre voudrait-il répondre?
Mme Esquega : Honorable sénateur, puis-je vous demander de répéter la question? J’y pensais justement.
Le sénateur Francis : Oui, absolument. Selon vous, quel rôle le racisme systémique et institutionnel a-t-il joué dans votre cas?
Mme Esquega : Je pense que le racisme a certainement été un facteur. Cela dit, je pense que les établissements comme les hôpitaux devraient avoir des programmes d’éducation, surtout en ce qui concerne le racisme institutionnel et ce genre de choses. Il faut aussi une plus grande sensibilisation, non seulement pour les professionnels de la santé, mais pour tous les professionnels concernés. Dans mon cas, je ne me souviens pas d’avoir eu l’occasion de parler à un conseiller ou à un travailleur social des effets à long terme de ce que j’allais faire. Ce service ne m’a pas été offert. Tout ce dont je me souviens, c’est d’avoir été dans une petite pièce avec un médecin en blouse blanche et la travailleuse sociale debout dans le coin, et tous les deux s’en prenaient à moi. Donc, oui, je pense que c’est certainement du racisme.
Le sénateur Francis : Merci.
La présidente : Merci. Madame Tuckanow, voulez-vous répondre à cette question?
Mme Tuckanow : Puis-je m’abstenir?
La présidente : Bien sûr, bien sûr.
La sénatrice Pate : Merci à tous les témoins. J’ai déjà fait partie de ce comité, mais je remplace actuellement la sénatrice Omidvar. Je tiens à vous remercier toutes de vos témoignages. Je suis d’accord avec tous mes collègues pour dire qu’il s’agit d’un témoignage très important.
Souvent, lorsque nous entendons parler de ce genre d’abus, individuels et systémiques, le premier et le seul recours qui nous est proposé, c’est le droit pénal, qui peut être un instrument grossier, peu nuancé. En l’occurrence, d’après ce que j’ai compris, ce que vous avez décrit constitue déjà une infraction pénale. Vous avez été agressées. Vous avez été agressées sexuellement. C’était aussi contraire aux codes de déontologie des médecins et des infirmières, de tous les professionnels de la santé. Vos droits ont été violés, mais personne n’en a assumé la responsabilité.
J’ai examiné le rapport de la juge Mary Ellen Turpel-Lafond intitulé In Plain Sight au sujet des abus du système médical en Colombie-Britannique. Elle formule un certain nombre de recommandations sur la reddition de comptes au sein de la profession médicale afin que l’on exerce le genre de surveillance qui empêchera que ce genre de chose se reproduise.
En toute franchise, ce qui m’inquiète comme quelqu’un qui a longtemps travaillé dans ce domaine, c’est que beaucoup de gens s’évertuent à éviter la responsabilité. Il me semble qu’il faut commencer par l’accepter, cette responsabilité. J’ignore si quelqu’un s’est excusé auprès de vous, alors au nom du modeste rôle que je joue dans cette partie du gouvernement, je tiens à vous présenter mes sincères excuses pour ce que vous avez vécu.
De plus, il y a eu de nombreuses recommandations, y compris de la part d’anciens témoins, concernant la nécessité de la formation sur les compétences culturelles recommandée par la Commission de vérité et réconciliation.
On ne peut rien changer maintenant à ce qui vous est arrivé, mais quelle forme la responsabilisation devrait-elle prendre pour vous? Si vous êtes à l’aise de nous en faire part, à quoi ressemblerait une solution satisfaisante pour chacune d’entre vous?
La témoin A : Je suppose qu’il faudrait explorer la possibilité d’établir un partenariat entre les survivants pour remédier aux lacunes actuelles au chapitre des lois et des politiques. Ce pourrait être un bon début. Mais aussi, pour ce qui est des défenderesses, l’approche pourrait tenir un peu plus compte du fait que nous sommes des êtres humains, n’est-ce pas? Nous ne méritions pas d’être traitées de cette façon. On laisse cela de côté parce que, pour beaucoup de gens — du moins d’après ce que j’ai vu en ligne, et je n’y vais plus parce que cela me fait revivre le traumatisme — il y a beaucoup d’ignorance à ce sujet, et cette ignorance est difficile à vivre.
La société pourrait bénéficier de l’éducation, de la sensibilisation culturelle et de la compréhension des torts réels que nous, les femmes, et nos enfants, avons subis. Il y a un traumatisme intergénérationnel dont il faut tenir compte. Ce fut une expérience très traumatisante et bouleversante. Il faudrait qu’il y ait un cours que toutes les infirmières, tous les médecins, pourraient suivre chaque année pour comprendre que leurs actes ont des conséquences réelles dans la vie des gens.
La présidente : Merci. Quelqu’un d’autre aimerait-il répondre à cette question?
Mme Esquega : Bien sûr. Je dirai ceci. Je l’avais noté dans d’autres parties des questions ici, mais je pensais à un examen des politiques, à l’amélioration des relations raciales pour inclure l’histoire autochtone, aux compétences culturelles, comme vous l’avez déjà mentionné, à l’inclusion d’une histoire du racisme, particulièrement en ce qui concerne les peuples autochtones dans l’histoire, une meilleure éducation des professionnels de la santé à cet égard, du counselling, une meilleure sensibilisation du public au fait que ce n’est pas seulement le fruit de l’imagination de certaines personnes, mais que ce sont des faits concrets et des histoires de femmes qui ont vécu ces actes horribles et, enfin, la nécessité de reconnaître davantage que cela s’est produit non seulement à l’échelle nationale, mais aussi à l’échelle internationale.
Il n’y a pas suffisamment d’information à ce sujet. La première information que j’ai trouvée à ce sujet est le document rédigé par Mme Yvonne Boyer et la Dre Judy Bartlett. C’était la première fois que je voyais quelque chose par écrit sur la stérilisation des femmes autochtones. J’ai lu ce rapport et j’en ai été absolument sidérée. Je n’arrivais pas à croire ce que je lisais, parce que le fait de voir cela imprimé et de me dire que cela m’était arrivé a été un déclencheur pour moi. Il faut qu’il y ait davantage de démarches en ce sens. Il faut que cela se sache davantage.
Nous entendons parler en ce moment de l’histoire des pensionnats indiens. Eh bien, dans ces pensionnats aussi, nos enfants ont été stérilisés. Il faut que cela se sache aussi.
La sénatrice Lankin : Je remercie sincèrement les témoins. Leur courage est incroyable. Je remplace aujourd’hui la sénatrice Michèle Audette, du Québec. Je sais que la sénatrice Audette dirait qu’il est très important pour nous de vous entendre directement et d’honorer votre vérité et vos voix. Je le dis en son nom et je joins ma voix à la sienne. De plus, je suis tout simplement étonnée de votre courage et de ce que vous devez remuer pour parler de ces choses. Je tiens à vous remercier et à vous dire de ne pas vous sentir obligées de répondre à nos questions. Votre contribution, quelle qu’elle soit, est utile.
En vous écoutant, madame Esquega, vous qui avez commencé à jeter de la lumière là-dessus, j’ai pensé à beaucoup de choses, et tout d’abord, au fait de rendre cela public. Nous devons améliorer la compréhension, et je crois qu’une partie du travail qui a été fait par la Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, pour donner une voix aux gens et les éduquer, en plus de ce que nous apprenons maintenant sur l’ampleur de la tragédie dans les pensionnats, tout cela fait ressortir le problème et rapproche les Canadiens des peuples autochtones dans la compréhension que nous devons faire quelque chose à ce sujet. Je considère que c’est l’une de vos recommandations, madame Esquega, et des autres personnes qui sont intervenues.
Je pense qu’il pourrait être important d’inclure cela dans le programme de cours pour les étudiants en médecine, les étudiants en sciences infirmières, tous les professionnels de la santé et les travailleurs de la protection de l’enfance. Je me souviens que, lorsque j’occupais le poste de ministre de la Santé de l’Ontario, j’avais présenté des dispositions législatives sur le consentement aux soins, toutes les choses dont vous parlez au niveau provincial ne devant jamais pouvoir se produire avec les dispositions législatives que nous avons. C’est comme lorsque la sénatrice Pate a parlé du Code criminel du Canada. Ces choses sont illégales et sont déjà contraires aux politiques. Je suis d’accord avec vous. Cela n’est arrivé et ne continuera d’arriver qu’aux femmes autochtones, en raison de leur identité, et cela doit être extirpé de notre système.
Je sais que l’une de nos collègues sénatrices propose d’ajouter la lutte contre le racisme, comme pilier de la prestation des services de santé, dans les politiques et l’éducation, et je crois que c’est une autre chose que je retiens de ce que vous avez dit.
Enfin, je suis d’avis, et vous voudrez peut-être faire des commentaires à ce sujet, qu’il y a eu un véritable début de transition pour veiller à ce que les services d’aide à l’enfance soient administrés par les peuples autochtones eux-mêmes, et nous devons comprendre la portée de cela et les aspects qui ont été laissés de côté. L’intégration des valeurs autochtones, des voix autochtones et du leadership et des pouvoirs autochtones dans l’administration de la protection de l’enfance peut également être un élément important de cette démarche.
Les autres choses que j’ai mentionnées découlent de ce que vous avez dit, mais j’aimerais que vous m’indiquiez, peut-être, si l’une d’entre vous a eu accès à des soutiens et à des services de la part de travailleurs autochtones de la protection de l’enfance.
La témoin A : Je n’ai reçu aucun soutien de la part de responsables des services à l’enfance ou de fonctionnaires de la santé autochtones. Après la naissance de mon fils, j’étais entourée de beaucoup de femmes qui ont reçu la visite des membres de leur famille, de leur mari, de leur famille, pour accueillir le bébé et tout le reste, mais je n’ai pas eu cela. Je me souviens d’avoir ressenti de la honte et une perte, vous savez, un deuil. J’ai demandé au personnel de me donner une chambre individuelle et de voir un prêtre, simplement parce que j’avais de la difficulté sur le plan spirituel et que j’avais honte. J’ai obtenu une chambre individuelle, mais je n’ai pas reçu de soutien autochtone, ce que j’aurais aimé.
La sénatrice Lankin : Merci.
Le sénateur Arnot : Merci. Je tiens à souligner le grand courage qu’il vous a fallu pour raconter vos histoires aujourd’hui, de même que le stress émotionnel et le traumatisme évident que cela vous a causé. Je veux que vous sachiez que votre message a été très convaincant et très utile.
Alors que le Sénat poursuit son étude de cette question, j’aimerais savoir ce qui, selon vous, devrait être fait pour que des survivantes comme vous puissent être rejointes, puissent être consultées et puissent se manifester, afin que la vérité soit rendue publique d’une manière respectueuse envers vous et en ayant le plus d’impact possible sur la société canadienne.
Mme Esquega : Je pense que nos dirigeants des Premières Nations et nos dirigeants communautaires doivent également être appelés à participer, parce que nous allons retourner dans nos collectivités. Nous avons partagé nos histoires. J’ai commencé avec ma famille, parce que je n’en avais parlé à personne auparavant. C’est donc la première fois que je donne un visage et une voix à mon histoire. C’est une histoire difficile à raconter, et je ne m’attendais pas à être aussi émotive, parce que je ne sais pas combien de fois j’ai lu mon texte et je me suis dit : « Ça va aller ». Cela m’a affectée plus que je m’y attendais. Je pense que nous avons également besoin du soutien de nos dirigeants communautaires, et je crois que quelqu’un d’autre a mentionné que nous avons besoin de notre peuple, de nos gardiens du savoir et de nos cercles d’aînés pour nous aider. C’est d’ailleurs la voie que je suis aujourd’hui.
La présidente : Merci.
Madame Tuckanow, voulez-vous répondre? Êtes-vous plus à l’aise de ne pas réagir? Vous ne voulez pas. D’accord, merci.
Madame la témoin A, voulez-vous répondre à cette question? Vous n’avez pas à le faire.
La témoin A : Nous sommes en train de créer une société à l’intention des survivantes à l’échelle nationale, et cela pourrait être une option de communiquer avec nous le moment venu.
La présidente : Merci beaucoup.
Je tiens à rappeler aux témoins que si vous avez l’impression d’avoir oublié quelque chose ou d’avoir quelque chose à ajouter à votre témoignage, vous pouvez toujours nous envoyer un mémoire écrit. Je profite de l’occasion pour vous remercier de vos témoignages et de nous avoir fait part de vos histoires personnelles. Vous avez fait preuve d’un immense courage, dont nous vous sommes reconnaissants. Vos témoignages contribueront à notre étude, et nous vous en remercions.
J’aimerais maintenant présenter notre deuxième groupe de témoins. Nous avons Morningstar Mercredi, Nicole Rabbit et le témoin B, qui est infirmière autorisée, mais qui veut rester anonyme. Elles sont accompagnées d’Alisa Lombard de Lombard Law. Bienvenue à toutes et merci d’être parmi nous. Madame Mercredi, vous avez la parole. Je vous en prie.
Morningstar Mercredi, à titre personnel : Je remercie les sénateurs, Alisa Lombard et toutes les personnes présentes de me donner cette occasion de témoigner.
Avant tout, je tiens à saluer les grands-mères, les tantes, les mères, les femmes, les enfants qui n’ont pas vu le jour, les enfants qu’ils auraient pu avoir et les grands-mères, les tantes et les mères qui ne sont plus avec nous, mais qui ont certainement été touchées par la stérilisation forcée et contrainte au sein de leur propre famille et de leur collectivité. Dans ma famille, je peux dire que cela a touché trois générations de femmes.
Il serait inapproprié et irrespectueux de ma part de ne pas reconnaître les femmes qui nous ont précédées et leur travail de défense des droits des femmes autochtones, métisses et inuites et des femmes de couleur, un travail qu’elles poursuivent depuis des décennies.
Ma regrettée grand-mère Annie a eu neuf de ses enfants à l’hôpital indien Charles Camsell, à Edmonton, en Alberta, mais seulement quatre ont survécu. Parmi les quatre qui ont survécu, deux ou trois ont été à l’hôpital indien Charles Camsell. Seulement deux de ces quatre survivants ont pu avoir des enfants, soit ma défunte mère et ma regrettée tante Céline. Ma défunte tante Eva et mon oncle n’ont jamais pu concevoir d’enfants.
À mon avis, on ne pourra jamais déterminer avec précision le nombre de femmes, d’hommes, de filles et de garçons qui ont été stérilisés dans les pensionnats et dans les hôpitaux indiens. Je souligne cela pour reconnaître le fait que cette situation remonte aussi loin que ces instituts de génocide qui étaient en place au Canada et qui le sont toujours en 2022. Nous ne serons jamais en mesure de déterminer avec précision le nombre de femmes qui sont torturées et soumises à une stérilisation forcée et contrainte, non seulement du point de vue d’une survivante qui dénonce cet atroce génocide dont elle est victime, mais aussi de celui des femmes qui ont subi une stérilisation forcée et contrainte au cours des 10 dernières années. Les dossiers médicaux sont inaccessibles.
Pour ce qui est de moi et de ce qui m’est arrivé lorsque j’avais 14 ans et que je suis tombée enceinte, je préfère de ne pas divulguer les détails ici, parce qu’ils se trouvent dans mon livre Sacred Bundles Unborn. Si vous voulez prendre connaissance des détails horribles de la torture inhumaine et brutale et des sévices que je ne m’avoue qu’à moi-même, vous pouvez les lire dans le livre Sacred Bundles Unborn, qui a été publié cette année. Je tiens à remercier tous les gardiens du feu et tous ceux qui ont contribué à ce livre. La tâche n’a pas été facile. La raison pour laquelle j’ai écrit ce livre, c’était d’abord et avant tout comme processus de guérison certainement, et j’ai senti sans nul doute la nécessité de documenter cette expérience, selon le point de vue, le vécu et la voix d’une survivante, avant qu’elle ne devienne banalisée et ne donne lieu à une enquête ou une étude de plus.
J’ai 58 ans, et ce n’est que dans la cinquantaine que j’ai pu exprimer le traumatisme ou même en parler. C’est à ce moment-là qu’il est devenu plus qu’évident pour moi que je devais m’entourer de femmes, ainsi que de personnes proches de moi, pour obtenir du soutien, de la compassion, de l’amour et de la compréhension. À ce moment-là, je n’avais aucune idée de la gravité de cet événement traumatisant que j’avais subi — de ce génocide dont j’ai été victime en tant que personne — et qui a eu et continue d’avoir des répercussions sur moi. Je souffre d’un trouble de stress post-traumatique et de dépression qui me donne des idées suicidaires.
Qu’on me comprenne bien : je ne suis pas une victime. J’ai fait tout ce qu’il était humainement possible de faire pour nourrir mon esprit et régler mes crises de santé mentale lorsque le souvenir de ce qui m’était arrivé me revenait. Aux survivantes, je dis que vous n’êtes pas seules. Je suis solidaire de vous, et je salue et remercie toutes les militantes et toutes les sœurs qui sont solidaires de nous toutes qui avons survécu à cet acte de génocide.
Ce matin, je regardais mon fil Google, comme je le fais souvent en buvant ma tasse de café. Je suis tombée sur un article intitulé : « Grâce à une nouvelle loi, les astronautes canadiens ne peuvent plus commettre de crimes dans l’espace. » Je me suis dit : « Mais la stérilisation forcée au Canada peut encore être pratiquée par un chirurgien qui pourrait avoir l’impression, en raison de sa perspective et de ses préjugés raciaux, qu’il a le droit de priver une femme de son droit de concevoir, mettant ainsi fin à son ADN, à sa descendance et à sa lignée généalogique. » Ces praticiens, hommes et femmes, peuvent le faire en toute impunité. Mais Dieu merci, les astronautes canadiens ne pourront pas commettre de crimes dans l’espace.
Je ne suis pas capable d’exprimer efficacement, que ce soit par la parole, par l’écriture ou autrement, l’impact des cicatrices que je porte dans mon âme, mon esprit et mon corps. Donc, oui, je suis absolument préoccupée par le fait que cette forme de génocide puisse se poursuivre au Canada, et en ce moment même, il y a des femmes qui en sont victimes.
Hiy hiy.
La présidente : Merci beaucoup.
Nicole Rabbit, à titre personnel : Bonjour et merci à tous de me permettre de témoigner.
Ce sera peut-être un peu difficile pour moi, car je n’en ai jamais parlé ouvertement de cette façon, mais je sais que le fait de faire entendre ma voix — c’est là que se trouve le pouvoir, pour ceux qui peuvent faire une différence. Nous devons raconter nos histoires, alors pardonnez-moi si j’ai de la difficulté à le faire. Après avoir parlé à Alisa, j’ai raconté à ma mère ce qui s’est passé il y a quelques années. Avant cela, j’avais raconté à mon partenaire exactement ce qui s’était passé, mais peu de temps après la naissance de notre bébé, nous nous sommes séparés.
Je vais me présenter. [Le témoin s’exprime en langue autochtone.] Mon nom chez les Pieds-Noirs est Eagle Woman. En anglais, je m’appelle Nicole Rabbit et je suis de la Tribu des Blood, dans le Sud de l’Alberta. J’ai quatre enfants — deux fils et deux filles — et trois petits-fils. J’ai rencontré le père de mes enfants en 1992. Nous avons été 10 ans ensemble et nous avons eu 4 enfants. Bébé Ali est le dernier enfant que nous avons eu ensemble. Notre relation a changé après la naissance de notre quatrième enfant, et nous nous sommes séparés peu après. Aujourd’hui, cela fait 20 ans que nous partageons nos responsabilités parentales et, encore aujourd’hui, nous appelons notre cadette Bébé Ali; toute la famille l’appelle ainsi.
Je vais vous parler brièvement de mes origines et de celles de ma famille. Mes grands-parents paternels ont eu six enfants, et mes grands-parents maternels, sept. Mes parents sont tous deux des survivants des pensionnats et ont eu quatre enfants, dont moi-même, qui suis la plus jeune. Je viens d’une famille d’enseignants. Ma mère a été la première enseignante de notre famille et a encouragé ses frères et sœurs, ses trois filles, y compris moi, son petit-fils, qui est mon fils, et même sa mère à obtenir leur baccalauréat en éducation. Certains sont allés jusqu’à la maîtrise et au doctorat. Aujourd’hui, je m’occupe à temps plein de ma mère âgée. Avant de devenir une aidante à temps plein, j’ai été directrice d’une école primaire pendant six ans et je travaille dans l’enseignement depuis 2004.
Je vais maintenant parler du jour où on m’a forcé à me faire stériliser. J’entamais ma deuxième année à l’Université de la Saskatchewan. Mes cours ont commencé le 6 septembre 2001 et je devais avoir mon bébé le 11 septembre. Un autre étudiant prenait des notes pour moi et m’envoyait mes devoirs parce que je ne voulais pas prendre de retard dans mes études.
Le 11 septembre 2001, je devais subir une césarienne au Royal University Hospital de Saskatoon, en Saskatchewan. J’étais très inquiète à l’idée d’accoucher. Il était tôt le matin lorsque nous sommes arrivés à l’hôpital. On m’a emmenée dans une chambre pour vérifier mes signes vitaux et on m’a donné une jaquette. On m’a ensuite dit d’aller dans la salle d’attente avec ma famille. J’étais assise dans la salle d’attente avec mon partenaire, ma mère et mon oncle. En attendant d’être appelé dans la salle d’opération, mon oncle a attiré mon attention sur ce qui se passait à la télévision. Je lui ai demandé quel film jouait, et il m’a répondu qu’un avion venait de frapper le World Trade Center. Quelques minutes plus tard, on m’a appelée pour me rendre à la salle d’opération. Dans la salle d’opération, on m’a administré une épidurale. Puis, on m’a attaché les mains de chaque côté de moi. On m’a fait inhaler du gaz hilarant, afin de réduire mon anxiété, et on a placé un drap devant moi, de sorte que je n’ai pas pu voir le médecin pratiquer la césarienne.
À ce moment-là, mon partenaire et moi attendions notre enfant avec impatience et enthousiasme. Nous n’avons jamais posé de questions sur le sexe de nos enfants pendant la grossesse, car la découverte du sexe de notre bébé faisait partie de la belle expérience d’accueillir un nouveau membre dans notre famille. L’accouchement s’est déroulé normalement et nous avons accueilli notre fille Ali. Mon partenaire et moi étions très heureux. Ils ont pris mon bébé, puis ils l’ont nettoyé et lui ont prodigué les soins nécessaires, comme la pesée et tout le reste.
C’est alors que j’ai vu les médecins et les infirmières quitter la pièce. Je ne pouvais toujours pas voir de l’autre côté du drap. Je sais seulement que mon partenaire et moi étions seuls dans la pièce et que j’étais toujours complètement exposée, avec l’abdomen ouvert. Des infirmières et des médecins sont revenus. Je pouvais les entendre parler. Mon partenaire, qui était assis à ma gauche près de ma tête, m’a dit que l’équipe médicale était regroupée à mes pieds.
Une infirmière s’est alors approchée de moi à ma droite et m’a dit très fort que je ne pourrais pas avoir d’autre enfant, et qu’il valait mieux que je subisse une ligature des trompes. J’étais confuse et je regardais mon partenaire. L’infirmière s’est alors tournée vers lui et lui a dit : « Elle ne peut pas avoir d’autre enfant. Il est dans son intérêt qu’elle subisse cette intervention. » Mon partenaire m’a répété ce que l’infirmière avait dit, et j’ai demandé alors si c’était réversible. Elle a répondu que oui.
Je n’ai pas eu le temps de réfléchir et je n’avais pas les idées claires. L’infirmière m’a dit que je devais prendre une décision. J’ai été contrainte de décider, toujours exposée, avec mon abdomen encore ouvert après la césarienne, et mes bras toujours attachés et engourdis. Je me suis crue obligée de dire oui. Quelques instants plus tard, j’ai senti une odeur de brûlé et je me suis dit : « Est-ce qu’ils ont brûlé mes trompes? » Ensuite, le médecin a refermé la plaie. Je faisais confiance à l’équipe médicale, mais j’ai su que quelque chose n’allait pas lorsque j’ai senti l’odeur de chair brûlée. Ce sont des étrangers, avec qui je n’avais jamais eu de contact, qui ont insisté pour que je subisse une ligature des trompes. L’équipe médicale a profité de moi dans un état de vulnérabilité.
Quelques heures après avoir accouché de bébé Ali, j’ai eu de graves douleurs abdominales. J’avais l’impression qu’un chalumeau me brûlait le côté du ventre. Cette douleur est apparue rapidement, a duré cinq minutes, puis s’est déplacée de l’autre côté. Je n’avais jamais ressenti ce genre de douleur auparavant et on m’a donné du Tylenol de force 3 pour me soulager.
C’est pour la naissance de mon bébé Ali, mon dernier enfant, que j’ai séjourné le plus longtemps à l’hôpital. Comme mon séjour à l’hôpital était plus long que prévu et que j’avais déjà commencé mes cours, je nourrissais bébé Ali à l’hôpital, et un ami venait me chercher pour que je puisse suivre mes cours. L’université n’était qu’à deux minutes à l’est de l’hôpital. Trois ans plus tard, j’ai obtenu mon baccalauréat en éducation et c’est moi qui ai prononcé le discours lors de la remise des diplômes de ma promotion en 2004.
Personne ne m’a demandé ce que je voulais. Personne ne m’a expliqué pourquoi j’avais apparemment besoin qu’on fasse cela, et je n’ai signé aucun formulaire. Je n’ai toujours pas une idée précise des options qui s’offraient à moi et des raisons pour lesquelles on m’a dit qu’il valait mieux me stériliser. Je sais maintenant que la stérilisation est irréversible.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, la relation entre mon partenaire et moi a pris fin peu après la naissance d’Ali. J’avais 28 ans lorsque ma vie de femme a été brisée par les médecins du Royal University Hospital de Saskatoon, en Saskatchewan. Mes droits fondamentaux ont été violés. On m’a enlevé mon identité de femme. Je n’ai jamais décidé que je ne voulais plus avoir d’enfants, et pourtant, dans un état de vulnérabilité, on a exercé des pressions pour que je subisse une ligature des trompes. Je ne sais même pas comment ils s’y sont pris parce qu’ils ne se sont jamais donné la peine de me donner de l’information sur l’intervention.
Que dire de ce consentement obtenu les mains attachées, sous l’influence d’une épidurale, le ventre grand ouvert sur la table d’opération? Comment l’hôpital a-t-il pu laisser cela se produire? Comment le gouvernement a-t-il pu laisser cela arriver? Et pourquoi aucune des personnes à l’origine de ce qui m’est arrivé et de ce qui est arrivé aux femmes que vous avez entendues et que vous entendrez n’a-t-elle été tenue responsable?
Par la suite, ce n’est que lorsque j’ai confié à ma mère ce qui m’était arrivé que j’ai découvert qu’elle avait subi la même chose après qu’elle m’ait donné naissance, en 1973, à l’hôpital de Fort Macleod, en Alberta. Elle a toujours répété qu’elle aurait voulu avoir plus d’enfants, et aujourd’hui, à 76 ans, elle dit encore qu’elle a toujours voulu une grande famille, ce qu’elle n’aura jamais. Elle m’a mentionné comment cela est arrivé à d’autres femmes dans la réserve de la Tribu des Blood. Certaines femmes n’avaient qu’un enfant et ont été forcées de subir une ligature des trompes. Ces femmes se sont tournées vers l’alcool et les médicaments pour régler leurs problèmes de santé mentale et de dépression. Ma mère aussi s’est tournée vers les médicaments, mais heureusement, elle a cessé d’en prendre. Elle m’a dit à quel point elle s’est sentie mal et à quel point il a été difficile d’être une mère et une épouse après qu’on lui ait volé sa capacité d’avoir des enfants. Mes parents se sont séparés eux aussi.
J’irai plus loin en disant que cela est également arrivé à ma belle-mère, la mère de mon partenaire. Elle avait deux enfants et on lui a dit qu’elle mourrait si elle en avait un autre. C’est triste, car mes enfants n’ont qu’un oncle du côté de leur père et, en tant que membres des Premières Nations, nous valorisons la communauté. Les membres des familles prennent soin les uns des autres. Ce qui s’est passé a fait en sorte de réduire le nombre de membres de la famille qui peuvent prendre soin des autres, surtout de nos aînés. Il n’y a pas de mots pour décrire ce que ma famille et moi avons perdu à cause de la stérilisation forcée.
Je tiens à vous remercier de m’avoir écoutée, et je suis désolée d’avoir été si émotive. C’est simplement que je n’avais jamais vraiment raconté mon histoire, sauf à Alisa et à mes enfants, à ma mère, et à mon père, il y a quelques semaines, alors c’est très difficile. Je vous remercie de m’avoir permis de présenter mon témoignage et je remercie les autres témoins d’avoir fait de même. C’est très traumatisant. Je sais que certaines sont plus avancées que moi dans leur guérison, mais je travaille maintenant dans ce sens. Merci.
La présidente : Merci, madame Rabbit, de nous avoir raconté votre histoire. Il n’y a rien de mal à être émotive. Je pense que la plupart d’entre nous sont très émus par les histoires que nous entendons. Je vous remercie de votre courage.
Le témoin B, infirmière autorisée, à titre personnel : Bonsoir. Je vous remercie de me permettre de vous faire part de mes réflexions aujourd’hui.
En tant que professionnelle de la santé autorisée, je sais à quoi ressemble le consentement éclairé. Il s’agit d’une diligence raisonnable par laquelle le médecin s’assure que chaque patient est pleinement informé des risques, des avantages et du but de l’intervention prévue. Dans le cas de la stérilisation des femmes au Canada, les manuels de soins infirmiers indiquent qu’un counseling approprié et la signature subséquente du document juridique doivent avoir lieu 30 jours avant l’intervention. Le Collège royal des médecins et chirurgiens exhorte également ses membres à documenter les discussions au sujet de ce processus. Qui plus est, toute la documentation sur le consentement éclairé indique clairement que la capacité est un élément requis. Malheureusement, au moment de ma stérilisation, aucun de ces aspects fondamentaux n’était présent. Il y a un an et demi, j’ai eu l’occasion de consulter les dossiers de l’hôpital concernant ce jour-là, et j’ai été horrifiée.
En août 2004, j’ai eu un accouchement vaginal spontané, et je me souviens qu’on m’a demandé si je voulais subir une ligature des trompes par la même occasion, étant donné que le chirurgien avait une annulation à son horaire. Il est important de noter qu’à l’époque, je n’étais pas une professionnelle de la santé et je ne connaissais rien au processus de consentement éclairé. Il est encore plus important de mentionner que les dossiers indiquent que j’ai été en travail pendant deux jours avant de me présenter à l’hôpital, car il est bien connu que la privation de sommeil crée une incapacité, et que des décisions susceptibles de changer la vie ne devraient pas être prises dans cet état.
Si l’on tient compte du sang que j’avais perdu, de la douleur, de l’épuisement et de l’absence de ma famille, je trouve contraire à l’éthique qu’on m’ait même demandé de faire un choix au sujet d’une intervention dont je ne savais pas qu’elle était permanente. Pourtant, dans les deux heures qui ont suivi l’accouchement, je me suis fait stériliser au bloc opératoire.
La trajectoire de ma vie a changé ce jour-là, et j’ai subi des séquelles, notamment, un mois de douleur pelvienne chronique, que je peux maintenant raisonnablement attribuer à l’intervention particulière que j’ai subie, appelée salpingectomie partielle bilatérale, puis, l’échec de mon mariage à cause des tensions entourant mon incapacité à enfanter, et enfin, le regret de ne pas pouvoir avoir un autre enfant, plusieurs années plus tard.
En fin de compte, je crois au modèle de l’erreur humaine, ou Swiss cheese model, de James Reason. Le préjudice que j’ai subi exige que des mesures préventives importantes soient mises en place pour s’assurer qu’aucune autre femme ne revive cette injustice. L’imputabilité est impérative. Il ne devrait pas y avoir de variabilité possible quant à la façon dont chaque médecin interprète le processus de consentement éclairé.
En tant que professionnelle de la santé autorisée, je crois fermement que chaque patient mérite l’autonomie, ce qui comprend la capacité de participer activement aux choix qui concernent son corps. Le consentement éclairé est plus qu’un document juridique; c’est un processus fondé sur l’éthique.
Merci de votre temps.
La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs, en commençant par la sénatrice Boyer.
La sénatrice Boyer : Je tiens à remercier Mme Mercredi, le témoin B et Mme Rabbit pour leur témoignage d’aujourd’hui. Ce faisant, vous contribuez à libérer la parole d’autres femmes qui vous écoutent. Cela leur permettra aussi de se manifester, pour qu’un jour, cette situation cesse.
J’aimerais revenir sur quelque chose que Mme Rabbit a mentionné au sujet des générations qui ont été touchées — pas seulement touchées, mais stérilisées — votre mère, vos tantes et vos belles-mères. Dans quelle mesure cela est-il répandu dans chacune de vos collectivités? Madame Rabbit, y a-t-il d’autres personnes dans votre collectivité qui ont été stérilisées? À quand cela remonte-t-il, et cela se produit-il encore?
Mme Rabbit : Selon ma mère, cela touche beaucoup de familles dans la réserve de la Tribu des Blood, et elle cite des noms. Je ne nommerai personne. Elle raconte comment ces personnes ont été forcées de subir une ligature des trompes. Essentiellement, après un ou deux enfants, des familles craquent. Je connais toute une famille qui s’est tournée vers les médicaments.
Ces femmes ont dû composer avec des traumatismes intergénérationnels liés à leur santé mentale et à leur dépression. Personne ne leur a demandé si elles allaient bien. Ces mères ont commencé à prendre des médicaments, et cela a affecté leurs enfants et leurs petits-enfants. Certaines se sont tournées vers l’alcool et d’autres ont développé une dépression.
C’est également arrivé à ma mère lorsqu’elle m’a eue en 1973. Je sais que cela lui fait mal maintenant lorsqu’elle en parle. Je ne savais pas ce qui s’était passé avant qu’elle m’accompagne pour rencontrer Alisa. C’est à ce moment-là qu’elle m’a dit ce qui lui était arrivé. Si je ne l’avais pas amenée avec moi pour me soutenir, je n’aurais jamais su qu’elle avait subi cela.
En ce qui concerne les pensionnats, je ne connaissais rien à leur sujet avant d’aller à l’université. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à poser des questions et à entendre des histoires. C’est une chose dont personne ne parle. Les gens doivent en être conscients, tout comme de la situation des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, des survivants des pensionnats et des enfants qui ne sont jamais revenus. Cela fait partie des choses dont il faut discuter. Les gens doivent savoir ce qui s’est passé et ce qui continue de nous arriver.
J’espère avoir répondu à votre question.
La sénatrice Boyer : Merci, madame Rabbit.
Je me tourne vers le témoin B et Mme Mercredi. Dans quelle mesure est-ce répandu dans vos collectivités?
Mme Mercredi : Je peux dire en toute honnêteté que lorsque j’ai porté cette question à l’attention du chef Allan Adam de la Première Nation chipewyanne d’Athabasca — je viens du territoire visé par le Traité no 8 —, il ne m’a pas répondu avant d’avoir eu le temps d’y réfléchir. Plus tard, il a communiqué avec moi, très bouleversé — franchement, un peu sous le choc — parce qu’il avait réfléchi aux nombreux membres de notre collectivité qui étaient incapables d’avoir des enfants. Il semble que pour cette génération, en 2022, c’est le système de soins de santé qui fait défaut, point à la ligne. Auparavant, c’était aussi l’hôpital Charles Camsell en Alberta. Avant cela, il y a eu les expériences sur les enfants dans les pensionnats. Je me contenterai de dire qu’il connaît de nombreux membres de la collectivité qui n’ont pas pu avoir d’enfants. Bien sûr, il n’a fourni aucun nom, et il n’avait pas à le faire.
Pour résumer, dans ma collectivité, à ma connaissance, des femmes et des hommes ont été touchés — parce qu’il n’y avait pas que des femmes — mais ce sont plus particulièrement des femmes, des Autochtones et des Métis, qui ont subi cela. Je dois mentionner les femmes inuites et les femmes de couleur également. Dans ma communauté, cependant, il y a certainement eu des femmes métisses autochtones qui n’ont pas pu avoir d’enfants. Je répète que ma tante, qui a été à l’hôpital Charles Camsell, n’a pas pu avoir d’enfants, et que mon oncle n’a pas pu en avoir non plus. Les deux ont été à l’hôpital Charles Camsell.
Le témoin B : Je ne connais pas beaucoup de femmes qui ont été stérilisées de force. Ce que je peux dire, c’est que lorsque cette situation a été portée à mon attention pendant que je travaillais dans le Nord, j’ai constaté qu’il y a beaucoup de femmes qui ont subi une ligature des trompes sans savoir que cela était permanent. J’ai fait un effort conscient pour sensibiliser les femmes à leurs droits de reproduction. C’est terrible que ces femmes n’en aient aucune idée. Cela se passe encore aujourd’hui, et nous devons trouver des solutions concrètes.
Mme Rabbit : J’aimerais ajouter que, pour ma mère, nous ne savons pas si elle a subi une ligature des trompes, mais je suis à peu près certaine qu’elle a subi une hystérectomie à ce moment-là. Cela a vraiment eu une incidence sur elle et sur sa santé mentale.
En ce qui concerne les Premières Nations, lorsque cette question a été soulevée, je pensais que seules les femmes des Premières Nations ou les femmes autochtones de la Saskatchewan étaient ciblées, mais ce n’est qu’après en avoir discuté avec ma mère que j’ai appris que cela a aussi touché notre Première Nation, dans la réserve de la Tribu des Blood, à cause des hôpitaux locaux et de celui de Fort Macleod.
Le sénateur Francis : En tant qu’homme et dirigeant d’une Première Nation, je tiens à vous remercier de votre force et de votre courage. Il n’y a tout simplement aucune excuse pour ce qui vous est arrivé et ce qui continue d’arriver à d’autres personnes.
J’ai déjà posé cette question aux témoins qui ont comparu, et je vous invite à faire des commentaires à votre tour. Quel rôle le racisme a-t-il joué à l’égard de votre situation?
Mme Rabbit : Pour revenir à ce que j’ai dit tout à l’heure, je pensais que cela arrivait seulement aux femmes des Premières Nations de la Saskatchewan, parce qu’il y a beaucoup de réserves des Premières Nations dans la région de Saskatoon en Saskatchewan, sans savoir que cela se produisait aussi chez nous, en Alberta. Donc, oui, nous étions essentiellement ciblées.
Mme Mercredi : Absolument, le racisme sans l’ombre d’un doute. Le racisme systémique est bien vivant en 2022.
Je sais que dans certaines provinces du Canada, on dit que les alertes de naissance ne sont plus permises, mais, en fait, elles se poursuivent. Lorsqu’une femme autochtone se rend à l’hôpital pour recevoir des soins de santé pendant qu’elle est enceinte, le profilage racial qui se produit alors peut très bien entraîner sa mort. Le profilage racial systématique et individuel découlant des préjugés et du racisme pourrait aussi mener — et mènera certainement — à une stérilisation forcée et contrainte. Tout le monde sait, dans les collectivités autochtones et partout au Canada, que le profilage racial des femmes autochtones, certainement dans les systèmes de soins de santé, mènera dans bien des cas à notre mort, et cette situation perdure.
Je sais que je m’éloigne du sujet, mais je tiens à dire que, oui, le racisme fait systématiquement partie intégrante des politiques au Canada. Cela ne se produit donc pas seulement sur le plan personnel, mais est aussi littéralement documenté par écrit. Donc, oui, le racisme est sans aucun doute un facteur clé de la stérilisation forcée, de la disparition et du traitement inhumain des femmes autochtones, métisses, inuites et de couleur, mais plus particulièrement des femmes autochtones, absolument. Comme je suis visiblement une femme autochtone, dès que je sors de chez moi, je suis à risque. Je ne veux pas dramatiser, mais je dirais que, oui, le racisme joue certainement un rôle à cet égard.
Le témoin B : Ma situation est légèrement différente parce que je n’ai pas les traits autochtones, mais plutôt caucasiens. Mais il y a une chose toute simple, à savoir qu’en Saskatchewan, nous avons une lettre R sur nos cartes d’assurance-maladie, qui permet alors tout de suite d’identifier la personne comme un Indien inscrit visé par un traité. Je crois donc que le racisme a joué un grand rôle dans le fait que je n’ai pas été bien informée et que j’ai fini par être stérilisée.
Merci.
La sénatrice Gerba : Je remercie les témoins de leur présence parmi nous.
[Français]
Je suis dépassée d’entendre que cela se passe au Canada. Je tiens à remercier nos témoins d’avoir eu le courage de venir nous raconter leur vie. C’est admirable.
D’un point de vue culturel, je sais que c’est difficile. Même si je vis au Canada depuis 36 ans, étant Africaine, je reste dans cette logique culturelle selon laquelle il est difficile de parler des sujets touchant tout ce qui est de nature sexuelle. C’est pour cela que je trouve admirable et courageux pour ces femmes de venir nous donner leur témoignage.
J’aimreais poser la même question à toutes les femmes qui sont venues nous parler et témoigner aujourd’hui. Est-ce que le fait de garder tabou, secret, tout ce qu’elles ont vécu ne contribue pas à perpétuer le problème? Ne serait-il pas le temps que les jeunes générations d’aujourd’hui, qui sont connectées à Internet, s’expriment davantage pour dénoncer publiquement ce qu’elles vivent, ce que leurs parents vivent? Certaines nous ont parlé de leurs tantes, de leurs grand-mères. Pensez-vous que la communication et la sensibilisation par ceux qui vivent ces situations, plutôt que de garder cela encore tabou, pourraient être des options en 2022? Merci.
[Traduction]
La présidente : Qui aimerait répondre à cette question?
Le témoin B : Je vais dire quelque chose. Lorsque j’ai pris connaissance de ce problème pour la première fois et que j’ai constaté que j’étais en fait l’une des femmes à qui cela était arrivé, j’en ai parlé dans les médias sociaux. La façon dont on m’a attaquée m’a donné l’impression que je ne pouvais pas dire ce que je pensais. On m’a traitée de menteuse. J’avais mentionné que j’étais infirmière à ce moment-là. Lorsque j’ai appris cela, j’étais déjà infirmière et je connaissais le processus de consentement éclairé. J’ai essayé d’expliquer que je n’avais pas eu droit à un tel consentement. Les gens ne m’ont pas crue et ont simplement préjugé que j’étais toxicomane ou une personne qui s’était fait enlever ses enfants, pour qu’ils soient placés en foyer d’accueil.
Pour les femmes, en particulier les femmes autochtones et les minorités, il s’agit d’une bataille difficile. Nous devons nous intéresser davantage à la pensée en amont pour trouver des solutions. J’ai toujours cru que l’éducation est nécessaire. On ne peut pas changer facilement les attitudes racistes des adultes ou des personnes âgées. Nous devons nous préoccuper des jeunes générations, leur enseigner et les éduquer. Nous devons rejoindre les gens plus tôt.
Je vais répondre à une question du premier tour sur la façon de ralentir le processus qui a permis à des gens de simplement stériliser des femmes. Nous devons affecter des fonds à l’éducation des mères en devenir sur leurs droits à la reproduction, ainsi qu’à des présentations destinées aux étudiants en médecine, en soins infirmiers et en travail social. Nous devons rejoindre les gens tôt pour pouvoir les sensibiliser.
Merci.
La présidente : Je m’adresse au témoin B. Nous savons que le racisme existe. Nous savons qu’il y a des attitudes racistes. Pourtant, lorsque vous avez parlé de ce qui vous est arrivé, vous avez eu l’impression que personne ne voulait rien entendre. Personne ne voulait vous croire. Est-ce l’expérience que vous avez vécue?
Le témoin B : Oui. C’est ce que j’ai vécu. Surtout dans la province où je vis, le racisme est endémique. Les gens ne veulent pas déménager en Saskatchewan, parce que le racisme y est tellement extrême. Nous le savons et nous le voyons constamment. Nous le voyons dans le système judiciaire. Nous le voyons dans le cas de Colten Boushie. Je ne parle que de la Saskatchewan.
J’ai écrit ce que je croyais être une réponse éloquente pour essayer de sensibiliser davantage les gens, en disant non, ce ne sont pas seulement les femmes qui souffrent des effets du traumatisme intergénérationnel. Puis j’ai vu la réaction des gens ordinaires. J’ai vu le racisme. Il est là. Il est présent. Je l’ai vu tous les jours lorsque j’étais infirmière dans les centres urbains. Maintenant, j’ai choisi de travailler uniquement dans les collectivités des Premières Nations, parce que je veux défendre leurs intérêts. Je veux m’assurer que ce genre de choses n’arrive plus à d’autres Autochtones.
La présidente : Merci.
La sénatrice Gerba : J’ai une question, peut-être pour Mme Lombard.
[Français]
Puisque cela semble être un problème de raconter ou de dénoncer, y a-t-il eu des cas où les gens ont porté plainte? Comment cela a-t-il été géré?
[Traduction]
La présidente : Est-ce que l’un des témoins peut répondre à cette question? Si des plaintes ont été déposées, comment ont-elles été traitées?
Mme Mercredi : C’est un dialogue très important, cela ne fait aucun doute. Cependant, tant que la stérilisation forcée et contrainte ne sera pas criminalisée au Canada, je ne vois pas quel avantage il y a à dialoguer.
C’est certainement ce que j’ai constaté, et j’ajouterais que je me suis complètement retirée des médias sociaux. Chaque fois qu’il y a eu un article pour lequel j’ai donné une entrevue et que l’article a été imprimé, les réponses et les commentaires racistes violents étaient révélateurs de ce qui semble être un droit commun et consensuel pour les Canadiens, si vous voulez, d’avoir une telle violence, des attitudes racistes à notre égard, à un point tel que nous continuons de disparaître. Les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, la stérilisation forcée et contrainte — il est difficile de séparer les deux.
En ce qui concerne la stérilisation forcée et contrainte, je peux vous assurer de certaines choses. Des brochures sur la sensibilisation aux réalités culturelles? Ce n’est pas suffisant. Au bout du compte, pour moi, personnellement — et je crois que je partage ce sentiment avec d’autres —, il faut criminaliser cette pratique au Canada.
Il n’est pas sécuritaire pour moi de discuter de stérilisation dans les différents médias. La réaction est violente. C’est plus que du racisme; c’est de la violence. Je me sens encore plus ciblée. Par conséquent, comme je l’ai déjà dit, je me suis retirée de tous les médias sociaux auxquels je participais, à l’exception d’un seul. Quoi qu’il en soit, ce n’est que mon point de vue à ce sujet. Merci.
La présidente : Merci.
Le sénateur Wells : Encore une fois, je remercie nos témoins de la force individuelle qu’elles nous ont apportée en nous aidant à comprendre la situation dans son ensemble, puis les circonstances individuelles. Vous avez un courage extraordinaire que je ne crois pas pouvoir avoir un jour.
Madame Mercredi, vous avez mentionné que vous n’êtes pas une victime, et je l’accepte, mais que vous êtes une survivante. Il y a un effet d’entraînement. Au cours des réunions du comité, j’ai entendu dire à quelques reprises que des mariages ont été brisés, que des lignées se sont éteintes et que des personnes auraient souhaité avoir plus d’enfants. Vous n’avez pas eu le choix. Des mariages et des unions ont pris fin. Les collectivités en ont ressenti les effets.
Les témoins auraient-elles l’obligeance de parler brièvement de certaines des choses qui vont au-delà d’elles-mêmes, en tant que personnes directement concernées par cette question, et qui touchent d’autres personnes qui ont subi des effets négatifs évidents à cet égard et qui pourraient être laissées de côté, advenant une indemnisation ou des mesures?
Mme Mercredi : Je vous remercie de la question, même si, pardonnez-moi, je ne la comprends pas tout à fait.
Le sénateur Wells : Je m’interroge au sujet des autres personnes qui sont touchées par les décisions prises illégalement par le personnel médical d’avoir recours à la stérilisation forcée et contrainte. De toute évidence, vous avez été victimisées dans ce processus, mais qu’en est-il des mariages et des unions qui ont pris fin à cause de cela? Des lignées qui se sont éteintes? Des collectivités qui n’ont pas connu la croissance prévue? Qu’en est-il des familles qui auraient voulu avoir plus d’enfants? Vous pourriez peut-être nous parler un peu des autres effets négatifs de ces actions.
Mme Mercredi : Je vais essayer d’être très brève. Je peux certainement vous parler de ma propre expérience et vous dire que mon mariage a pris fin et que je ne me suis jamais remariée. Bien que j’aie été fiancée — j’ai été fiancée —, toutes mes relations à l’âge adulte ont pris fin en raison de mon incapacité à concevoir et du traumatisme qui m’a hantée et suivie tout au long de ma vie. Vous devez comprendre les circonstances de ma situation lorsque j’avais 14 ans. Encore une fois, je ne veux pas revivre ce traumatisme aujourd’hui en parlant de ces événements.
Certainement, dans ma propre collectivité et dans ma famille, les références communautaires, l’attachement que nous avons les uns envers les autres, que nous soyons biologiquement apparentés ou non, les personnes âgées dans la collectivité, qu’il s’agisse de votre tante ou de votre oncle, les relations au sein de nos collectivités, tout cela est très solide. Si ce n’était de la grossesse miraculeuse que j’ai eue à l’âge de 16 ans, de mon fils et de mes deux petits-enfants, ma lignée serait éteinte. Cela aurait été la fin de celle-ci. J’ai beaucoup de chance qu’il y ait sept femmes dans ma famille, qui ont toutes choisi d’avoir des familles plus petites.
Je me contenterai de dire que le fait est que la communauté représente tout, absolument tout. Toutes nos communautés sont matriarcales. Notre identité est fondée sur des sociétés matriarcales, nos tantes, nos grands-mères et nos mères. Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour reconnaître que cette forme de génocide est insidieuse, silencieuse, secrète et permise, et qu’elle entraîne l’éclatement des familles et des collectivités.
Je tiens à dire qu’après ce qui m’est arrivé, je sais aujourd’hui que l’une des raisons pour lesquelles je ne m’en suis pas souvenu et que je n’ai pas pu en parler avant d’avoir 50 ans, c’est parce que je me suis retrouvée dans un état catatonique et que j’ai fait une dépression. À 15 ans, huit mois après le fait — vous savez, j’avais encore 14 ans — huit mois après le fait, j’ai essayé de me suicider pour la première fois, et cela n’a pas été la seule fois dans ma vie adulte. Les répercussions que cela a eues sur moi et sur mon bien-être sont profondes et indescriptibles. L’impact que cela a eu sur moi en tant que femme est indescriptible.
Merci d’avoir posé la question.
Le sénateur Wells : Merci.
Madame la présidente, à moins que d’autres témoins veuillent répondre, je vais m’arrêter ici.
La présidente : Madame Rabbit et témoin B, voulez-vous répondre?
Mme Rabbit : Je réfléchis à la question.
Essentiellement, ce que j’ai dit dans mon témoignage, c’est que j’ai été contrainte de subir une ligature des trompes, ce qui m’a empêchée d’avoir plus d’enfants, alors que comme ma mère, j’ai toujours voulu une grande famille. Mes grands-parents, d’un côté comme de l’autre, avaient six enfants, sept enfants, et leurs parents avant eux ont eu beaucoup d’enfants. J’ai grandi avec beaucoup de tantes et d’oncles, et comme Mme Mercredi l’a dit, les tantes et les oncles sont présents, et nous prenons soin les uns des autres. Essentiellement, c’est ce que je fais, mais je suis limitée à mes enfants. Mes frères et sœurs ont leurs propres enfants, et parmi mes nièces et mes neveux, qui étaient au nombre de huit, deux sont décédés. Ils étaient comme mes enfants. Je traite tous mes neveux et nièces comme mes enfants, et ils le savent. Ce qui s’est produit a limité le soutien dont nous disposons.
Aujourd’hui, mes parents sont âgés. Si ma mère avait eu plus d’enfants, elle aurait plus de petits-enfants, plus d’arrière-petits-enfants pour prendre soin d’elle ou de mon père. Mais étant donné qu’elle n’a eu que quatre enfants, et que nous avons en quelque sorte quitté la maison à cause de tout ce qui s’est passé par suite du traumatisme intergénérationnel des pensionnats, une distance s’est installée entre nous.
Pour ma part, j’essaie vraiment d’être là pour mes nièces et mes neveux, le plus possible, ainsi que pour mes parents, mais ce n’est pas comme quand j’ai grandi. J’ai grandi avec beaucoup de tantes et d’oncles, et j’ai plus de 40 cousins germains. Mes enfants n’ont que quelques cousins. Ensuite, comme je l’ai dit, la mère de leur père n’a eu que deux enfants, ce qui fait que mes enfants n’ont qu’un oncle et ses enfants.
Cela nous a vraiment affectés, et cela continuera de nous toucher, parce que nous faisons de notre mieux pour traverser tout cela. Mais ce n’est qu’un problème. Nous devons demeurer forts et résilients, parce qu’il y a tellement de problèmes qui surgissent maintenant avec les pensionnats et tout le reste.
Pour revenir à l’autre question, nos voix sont enfin entendues, et c’est ce qui m’a donné le courage de parler, de témoigner et de raconter mon histoire, pour que d’autres puissent le faire aussi. C’est notre voix, et nous devons être entendues, et il faut faire quelque chose. Même au début de cette réunion, je me disais que nous aurions dû commencer par une prière, et il aurait été bien que nous puissions être face à face, parce que cela change un peu la dynamique.
Je ne sais pas. Je m’égare, mais c’est ce que je voulais dire.
Le sénateur Wells : Merci. C’est très utile.
Je tiens à remercier tous les témoins de leur présence parmi nous. Même si vous ne vous en rendez peut-être pas compte aujourd’hui, le travail que vous avez fait avec nous aujourd’hui est un pas de plus, peut-être même un grand pas, vers la fin de tout cela. Merci.
La présidente : Je profite de l’occasion pour remercier tous les participants à la séance d’aujourd’hui.
Je remercie tous les témoins d’avoir eu le courage de raconter leur histoire. Cela nous aidera à rédiger le rapport. Nous sommes solidaires de vous. Ce sont des histoires difficiles à raconter pour vous, mais croyez-moi, ce sont aussi des histoires difficiles à entendre pour nous tous, et je pense que nous avons tous été émus ce soir. Je sais que nous l’avons été, alors je tiens à vous remercier.
Notre prochaine réunion à ce sujet est prévue le 9 mai 2022, date à laquelle nous continuerons d’entendre d’autres personnes survivantes.
(La séance est levée.)