LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 28 novembre 2022
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 16 heures (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner, pour en faire rapport, les questions relatives à la sécurité et à la défense dans l’Arctique.
Le sénateur Tony Dean (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Je m’appelle Tony Dean et je suis un sénateur de l’Ontario et le président du comité.
Je suis en compagnie de mes collègues membres du comité : le sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec, vice-président du comité; la sénatrice Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest; le sénateur Peter Boehm, de l’Ontario; le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec; la sénatrice Donna Dasko, de l’Ontario, la sénatrice Marty Deacon, de l’Ontario; le sénateur Clément Gignac, du Québec; le sénateur Victor Oh, de l’Ontario; le sénateur David Richards, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Hassan Yussuff, de l’Ontario.
Je précise à l’intention de ceux qui suivent la séance que nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur la sécurité et la défense dans l’Arctique, y compris l’infrastructure militaire et les capacités de sécurité. Le sujet à l’ordre du jour est la gouvernance de l’Arctique et les perspectives du Nord.
Dans notre premier groupe de témoins, qui comparaîtront par vidéoconférence, nous accueillons Bridget Larocque, présidente, Conseil consultatif du Nord, Réseau sur la défense et la sécurité nord-américaines et arctiques, et conseillère en politiques auprès du Conseil des Athabaskans de l’Arctique, ainsi que Devlin Fernandes, directrice générale du Conseil international des Gwich’in.
Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous allons commencer en vous invitant à faire votre déclaration liminaire, après quoi les membres du comité poseront leurs questions.
Bridget Larocque, présidente, Conseil consultatif du Nord, Réseau sur la défense et la sécurité nord-américaines et arctiques, à titre personnel : Je vous remercie de l’invitation à comparaître. Je vais faire une déclaration préliminaire, après quoi je répondrai avec plaisir à vos questions.
Sur le plan de la gouvernance de l’Arctique et des perspectives du Nord, comme composante de ma propre affirmation d’autodétermination et de gouvernance, mon engagement en tant que présidente du Conseil consultatif du Nord et coresponsable du Réseau sur la défense et la sécurité nord-américaines et arctiques me permet de travailler à promouvoir l’Analyse comparative entre les sexes Plus, la réconciliation avec les Autochtones et le savoir autochtone et à faire en sorte que les enjeux concernant les jeunes entrent en ligne de compte dans nos recherches et nos activités.
L’énoncé de mission du RDSNAA insiste sur le noyau de leaders émergents qui vise à inspirer, à favoriser et à préparer la prochaine génération de leaders dans le domaine de la défense et de la sécurité nord-américaines et arctiques. Pour cela, il offre un programme de perfectionnement des compétences, un programme d’idées pour leaders émergents et des soirées de réseautage. Nous nous employons également à soutenir et à produire des recherches opportunes, pertinentes et valables sur les grands défis stratégiques qui concernent clairement l’Arctique. À mes yeux, la raison d’être du RDSNAA réside dans nos trois défis stratégiques fondamentaux: défense dans l’Arctique, sécurité de l’Amérique du Nord et renforcement de la défense continentale, sans oublier le changement climatique et l’environnement.
Bien entendu, il est préférable que le Canada et l’Arctique circumpolaire demeurent une zone de paix, mais la politique des États n’est pas toujours pacifiste, à preuve la guerre de la Russie contre l’Ukraine. La coopération entre le Canada et les États-Unis dans l’Arctique prend une importance accrue en raison du besoin d’assurer l’état de préparation des peuples autochtones, ce qui nécessite un renforcement des compétences dans plusieurs domaines: renseignement et sécurité des Rangers, sécurité humaine, perspectives sexospécifiques, sécurité alimentaire, autodétermination, collaboration de nation à nation sur les enjeux de sécurité dans l’Arctique, consentement libre, préalable et éclairé, traités modernes et autonomie gouvernementale, amélioration de la communication avec les peuples autochtones et intendance des terres et de l’environnement.
Je signale qu’en 1994 le rapport des Nations unies sur le développement humain a élargi la notion de sécurité pour y inclure la sécurité alimentaire, sanitaire, communautaire, environnementale, économique et politique personnelle, ainsi que la protection de l’environnement pour les générations futures. C’est dans ce domaine que nous accomplissons la plus grande partie de notre travail avec le RDSNAA et le Conseil des Athabaskans de l’Arctique. C’est clairement pour les générations futures que nous le faisons.
Je vais m’arrêter ici. Je vous remercie encore une fois.
Le président : Merci beaucoup, madame Larocque.
Devlin Fernandes, directrice générale, Conseil international des Gwich’in : Merci d’avoir invité le Conseil international des Gwich’in à vous parler de la gouvernance de l’Arctique et des perspectives du Nord. Nous avons appris que vous avez rencontré les dirigeants et le personnel du Conseil tribal des Gwich’in à Inuvik en octobre et nous sommes heureux que vous vous soyez rendus chez eux pour les entendre. J’espère que tous se sont trouvés bien portants au terme de leur voyage.
Je m’appelle Devlin Fernandes et je suis directrice générale du Conseil international des Gwich’in, qui représente 9 000 Gwich’in des Territoires du Nord-Ouest, du Yukon et de l’Alaska à l’échelle internationale avec pour mission de la résilience et la santé des collectivités et a le statut de participant permanent au Conseil de l’Arctique. Nous comptons parmi nos membres deux organismes représentatifs au Canada et un en Alaska, soit le Conseil tribal des Gwich’in, qui représente, dans les Territoires du Nord-Ouest, les bénéficiaires de la Loi sur le règlement de la revendication territoriale des Gwich’in, la Première Nation Vuntut Gwichin, qui est une Première Nation autonome à Old Crow, au Yukon, et le Council of Athabascan Tribal Governments, composé de 10 chefs de collectivités gwich’in en Alaska. Nous sommes un organisme sans but lucratif avec un bureau à Yellowknife et un conseil d’administration composé de bénévoles nommés par les organisations membres.
Nous comprenons que, dans l’exercice de ses responsabilités, le gouvernement du Canada a l’obligation de définir ses frontières, d’assurer la sécurité des Canadiens et de maintenir l’état de préparation opérationnelle des forces armées. Cependant, il y a aussi des responsabilités et des considérations à l’égard des peuples autochtones, et je veux aujourd’hui vous faire part de certaines de nos priorités, ainsi que de quelques questions et points à considérer dans le cadre de votre étude.
La nation gwich’in a participé et continuera de participer à l’établissement de la gouvernance dans l’Arctique. Il s’agit de notre Nord, de notre terre et de notre peuple, et nous sommes résolus à assurer la paix, la sûreté et la sécurité sur nos terres ancestrales et dans l’ensemble de l’Arctique. Depuis longtemps, la nation gwich’in demande le respect et la reconnaissance de sa souveraineté et de son droit à l’autodétermination. Au Canada, tous les Gwich’in sont visés par une entente sur les revendications territoriales, et les Vuntut Gwichin jouissent actuellement de l’autonomie gouvernementale autonome, tandis que les Gwich’in des Territoires du Nord-Ouest sont en train de négocier une entente d’autonomie gouvernementale. Les revendications territoriales portent sur de nombreux points qui recoupent les intérêts canadiens en matière de planification, de sécurité et de défense, et les responsabilités du Canada en vertu des règlements des revendications territoriales touchent directement les décideurs et la façon dont le travail se fait.
Notre vision du rôle des peuples autochtones est que nous sommes essentiels à la gouvernance dans l’Arctique et que nous devons prendre part aux discussions sur la gouvernance et le leadership dans l’Arctique. Nous avons l’esprit de collaboration et voulons travailler dans cet esprit sur notre territoire. Nous sommes des partenaires dans le processus décisionnel, et il ne peut se prendre de décisions concernant l’Arctique sans notre participation. Nous comprenons que nous vivons une période sans précédent, mais il n’y a pas de meilleur moment pour reconnaître l’importance du leadership autochtone pour la gouvernance dans l’Arctique et la valoriser. Nous nous sommes joints au Conseil de l’Arctique en 2000 et, depuis plus de 20 ans, nous montrons ce que la participation et la contribution des peuples autochtones apportent à l’action des États, à l’établissement de relations, à l’échange de connaissances et à la mobilisation.
La nation gwich’in tient ordinairement un rassemblement semestriel, mais il a été reporté de quelques années en raison de la COVID-19. Cet été, nous nous sommes rassemblés à Old Crow, au Yukon, et avons à cette occasion établi huit grandes priorités pour l’ensemble de la nation, à savoir la connectivité, la mobilité transfrontalière, le changement climatique, la revitalisation de la langue, la guérison, la lutte contre la violence latérale, les caribous de la Porcupine et le saumon. Chaque collectivité et région peut avoir ses propres priorités, mais celles-ci sont communes aux Gwich’in de l’Alaska, du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest.
Aux fins de votre examen de la gouvernance dans l’Arctique et des perspectives du Nord, nous souhaitons porter à votre attention certains points à considérer. En premier lieu, quelles sont les responsabilités du Canada envers les titulaires de droits et sur le plan des revendications territoriales dans la poursuite de ses objectifs de sécurité et de défense et quelle est la nature de ses responsabilités en matière d’engagement, de consultation et d’activités sur leurs terres? En deuxième lieu, quelles sont les conséquences d’une collaboration avec une nation transfrontalière relativement aux soins de santé, à la sécurité alimentaire, aux droits de récolte et à la connectivité? En troisième lieu, comment les investissements dans le Nord qui se rapportent aux objectifs de sécurité et de défense peuvent-ils être complémentaires et contribuer à bâtir les économies locales et régionales et à atteindre les objectifs de connectivité, de soins de santé et d’infrastructure dans les collectivités?
Nous croyons que la gouvernance ne peut pas être cloisonnée dans les différentes régions géopolitiques: l’Alaska, le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest. Ce qui se passe à l’échelle internationale est étroitement lié à ce qui se passe à l’échelle nationale, régionale et locale. Nous croyons que les investissements dans le Nord pourraient comporter de grands avantages pour les habitants du Nord.
Merci beaucoup du temps que vous nous avez consacré aujourd’hui. Comme Mme Larocque, je serai heureuse de répondre à vos questions et de discuter avec vous. Mahsi’cho.
Le président : Merci, madame Fernandes.
Avant de passer aux questions, je tiens à dire que, au cours de notre séjour dans le Nord, nous avons entendu Mme Fernandes répéter qu’il n’y a rien qui nous concerne qui doit se faire sans nous et, sans exclure les autres choses que vous avez mentionnées, c’est certainement aussi le cas pour les investissements de défense et de sécurité et ceux qui amélioreraient l’infrastructure sociale et économique. Vous n’êtes donc pas les seuls, mais il est important que vos voix se fassent également entendre ici aujourd’hui.
Nous allons maintenant passer aux questions. Je demande aux membres de ne pas trop s’approcher de leur microphone ou de retirer leur oreillette afin d’éviter une rétroaction acoustique susceptible d’incommoder le personnel du comité dans la salle. Je vous demande aussi de veiller à ce que vos questions soient brèves et de préciser à qui elles s’adressent.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à Mme Larocque. Il y a ce qu’on peut appeler l’aspect politique des choses quand on parle de la défense de l’Arctique. Évidemment, il y a l’aspect des peuples qui occupaient ces territoires bien avant les Canadiens et les Américains. Existe-t-il une différence entre ce que demandent les représentants de vos organisations et ce que les peuples sont prêts à accepter?
[Traduction]
Mme Larocque : Je ne suis pas certaine d’avoir bien compris la question, mais je suppose qu’elle a rapport au fait que les Athabascans de l’Arctique sont une nation distincte… ou y a-t-il quelque chose qui m’échappe?
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ce que je veux dire, c’est que vos organisations ont quand même des attentes par rapport au territoire de l’Arctique. Ces attentes correspondent-elles à ce que les peuples exigent? Il peut y avoir des différences entre les peuples sur le territoire. Évidemment, ils y sont depuis longtemps. Est-ce que les attentes correspondent avec la volonté des peuples, ou y a-t-il parfois des divergences de points de vue?
[Traduction]
Mme Larocque : Je vous remercie de la question.
Je pense qu’il faut être très conscient qu’il y a des peuples autochtones distincts au Canada, donc les Métis, les Premières Nations et les Inuits. Tous ces peuples auront des demandes, des exigences ou des affirmations distinctes en matière d’autodétermination.
Au sein du Conseil des Athabaskans de l’Arctique, les dirigeants sont au service du peuple, et c’est donc le peuple qui décide. Le peuple fait part de ses préoccupations aux dirigeants, et ceux-ci, dans toute organisation éthique, font valoir les besoins et les désirs du peuple qu’ils représentent. Il va sans dire que le Conseil des Athabaskans de l’Arctique représente ses membres. Cependant, ils ne parlent au nom d’aucun autre participant au Conseil de l’Arctique ni au nom des Inuits ou des Métis du Canada.
De toute évidence, lorsqu’ils considèrent leurs besoins distincts sur le plan de l’autodétermination, il peut y avoir des chevauchements en raison des relations découlant des traités et des relations de nation à nation. Cependant, ils constituent chacun un groupe très distinct et ne manqueront pas de le faire valoir très clairement à différentes tribunes.
J’espère que cela répond à votre question.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Oui. Merci beaucoup.
J’ai aussi une question pour Mme Fernandes. Madame Fernandes, dans votre présentation, vous parlez davantage de vos problèmes de langue, dont vous venez de faire état. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les problèmes de langue?
[Traduction]
Mme Fernandes : Merci beaucoup de votre question, sénateur.
La langue a été désignée comme une priorité clé dans l’ensemble de la région gwich’in, de la nation gwich’in. La langue gwich’in est le Dinjii Zhu’ Ginjik et elle compte un certain nombre de dialectes. Des efforts de revitalisation linguistique sont faits dans différents endroits sur tout le territoire de la nation. Il s’agit notamment de créer des foyers linguistiques où, dès l’âge de deux ans, des enfants fréquentent des garderies et des prématernelles et apprennent les langues, et d’offrir des cours de langue destinés aux jeunes et aux adultes, jusqu’au niveau universitaire à l’Université de l’Alaska, à Fairbanks.
Comme c’est le cas pour beaucoup de langues autochtones dans le monde, il s’agit d’une langue menacée. Il ne reste plus beaucoup de personnes qui la parlent couramment. L’an 2022 a marqué le début de la Décennie internationale des langues autochtones des Nations unies. Comme il s’agit d’un domaine prioritaire, il y a des activités qui se déroulent au niveau local, des activités et des événements à l’échelle régionale, et des événements transfrontaliers, donc internationaux, sont prévus pour l’an prochain.
Je peux donner un autre exemple. Si vous étiez du groupe de voyageurs qui s’est rendu à Inuvik, vous savez peut-être que le Conseil tribal des Gwich’in, basé à Inuvik, offre des cours et des programmes de langue assez étonnants. Ils viennent de développer une appli d’interprétation du Dinjii Zhu’ Ginjik pour téléphone cellulaire.
Dans l’optique de la gouvernance dans l’Arctique, il faut se rappeler que la langue véhicule des connaissances. La langue, même quand elle ne se prête pas facilement à la traduction, constitue un système de connaissances.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, madame.
Le sénateur Boisvenu : Merci à nos deux témoins pour les informations qu’elles nous ont données.
Ma question s’adresse à Mme Larocque. Avez-vous pris connaissance du rapport de la vérificatrice générale déposé au gouvernement le 15 novembre dernier relativement à la surveillance des eaux arctiques?
[Traduction]
Mme Larocque : Non, je suis désolée.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je comprends que vous faites partie du Conseil consultatif du Nord, Réseau sur la défense et la sécurité nord-américaines et arctiques, et que vous n’avez pas pris connaissance d’un rapport très important déposé au ministre fédéral en la matière. Je trouve cela relativement inquiétant. Nous arrivons d’une tournée en Arctique et nous avons un regard relativement étroit par rapport à ce qu’on a pu observer.
Selon vous, où se situe le Canada en ce qui concerne le respect de son autorité en matière de souveraineté et de sécurité dans le Nord? Où nous situons-nous par rapport aux autres pays nordiques, en incluant la Russie, la Scandinavie, la Norvège, en matière de performance?
[Traduction]
Mme Larocque : Je vous remercie de cette question.
Il y a un certain nombre de rapports et de consultations qui ne sont pas nécessairement portés à la connaissance des diverses organisations de l’Arctique. Le Conseil des Athabaskans de l’Arctique est directement relié au Conseil de l’Arctique, et si les rapports ne lui sont pas envoyés, il est évident que nous n’en serons pas informés. Du côté du RDSNAA, le rapport que vous mentionnez ne semble pas nous avoir été envoyé; il l’a peut-être été, mais je n’ai pas eu l’occasion de le lire.
La sécurité dans l’Arctique suscite beaucoup de préoccupations parmi les participants étatiques et non étatiques. On se préoccupe des activités de la Russie et de son intérêt militariste pour l’Arctique. Malgré cela, je ne crois pas personnellement que le Canada, en tant qu’État, soit en mesure de défendre ses peuples de l’Arctique. Nous avons des ententes bilatérales avec les États-Unis. Cependant, les travaux du Conseil de l’Arctique sont en suspens, ce qui confirme la divergence des intérêts des différents participants.
Le Canada, en tant qu’État, a la responsabilité nationale de protéger ses citoyens. On se demande en quoi cela apporte une protection aux peuples autochtones dans l’Arctique, sachant combien peu d’argent le gouvernement canadien consacre actuellement à la sécurité dans l’Arctique. Comme je l’ai dit dans mes observations liminaires, pour nous, la sécurité dans l’Arctique n’est pas seulement une question militaire, mais aussi une affaire de droits de la personne et de droits des Autochtones.
Cela suppose un effort énorme, mais il faut établir des liens directs avec les peuples autochtones de l’Arctique. Bien qu’il y ait des communications avec les organismes chargés des revendications territoriales, il faut aussi que les citoyens soient consultés. Les gens du Nord doivent savoir que le gouvernement en place agit de façon responsable et qu’il veille à ce que les voix des gens de l’Arctique et du Nord soient entendues.
Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Madame Fernandes, pendant notre tournée en Arctique, beaucoup de leaders autochtones nous ont parlé de leur intérêt à assumer une responsabilité plus grande sur le plan politique, économique et même sur le plan de la sécurité dans le Nord, ou de leurs attentes sur ces plans. Quelle est votre vision relativement au rôle que les communautés devraient jouer en matière de politique et en matière de sécurité dans l’Arctique?
[Traduction]
Mme Fernandes : Mahsi’cho pour la question, sénateur.
La réponse a deux parties. Premièrement, il faut savoir que chaque région a ses propres structures de gouvernance, selon qu’on est au Yukon ou dans les Territoires du Nord-Ouest. Comme Mme Larocque l’a dit, c’est dans les collectivités que se prennent les décisions et qu’est la source du pouvoir.
Au Yukon, les Gwitchin Vuntut sont une nation autonome. C’est donc la collectivité qui prend les décisions politiques, économiques et de sécurité dans cette région. Vous avez peut-être voyagé à bord d’Air North, dont la Première Nation des Gwitchin Vuntut est actionnaire à 49 %. Sa participation résulte de sa décision de s’engager sur le plan économique, d’obtenir des avantages continus pour la collectivité, mais aussi de servir de plaque tournante pour l’activité aérienne et de procurer des avantages à Old Crow, à Whitehorse et à Inuvik.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, je crois savoir que vous avez rencontré le Conseil tribal des Gwich’in en tant qu’organisme chargé d’une revendication territoriale. Il y a des organisations gwich’in désignées dans quatre collectivités gwich’in des Territoires du Nord-Ouest. Elles élisent les membres des conseils d’administration des Gwich’in ainsi que leur dirigeant, le grand chef Kyikavichik. Les collectivités travaillent ensemble au niveau régional pour établir leurs priorités et prendre des décisions en matière de développement économique, de politiques et de sécurité. Chaque corps élu a également des responsabilités dans sa propre collectivité, mais celles-ci sont toutes définies et discutées au sein de l’organisation chargée des revendications territoriales.
Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, concernant les responsabilités et la sécurité dans l’Arctique ou d’une vision pour la sécurité dans l’Arctique, je pense qu’il y a des possibilités de participation à la formation et au renforcement des capacités. Comment peut-on soutenir l’infrastructure des soins de santé, qui a pour vocation de gérer et atténuer les crises, mais qui peut aussi promouvoir la santé et le bien-être dans les collectivités? Comment doit-on organiser l’infrastructure pour qu’elle soit capable d’atténuer les effets du changement climatique, tout en étant souple et durable?
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup. J’aurais une question pour la deuxième ronde, si c’est possible.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie de ces échanges. Nous pouvons dire que nous avons effectivement voyagé à bord d’Air North à partir d’Iqaluit jusqu’à Yellowknife, avec de nombreuses escales, et que le voyage a été des plus agréables.
La sénatrice Anderson : Quyanainni et Mahsi’cho aux témoins pour leurs exposés.
J’ai beaucoup de liens avec l’Arctique. Mme Larocque a été ma première superviseure au ministère de la Santé et des Services sociaux du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Je suis heureuse de vous revoir.
J’adresse ma question à Mme Fernandes, qui a demandé comment nous percevons la responsabilité du Canada envers les titulaires de droits. À votre avis, quelles sont les responsabilités du Canada à l’égard des titulaires de droits dans le Nord sur le plan de la sécurité nationale et de la défense?
Mme Fernandes : Merci, sénatrice Anderson.
La réponse a deux volets, car une partie de ces responsabilités sont énoncées dans les ententes sur les revendications territoriales. Je ne suis pas moi-même spécialiste de ces ententes, mais je sais que, dans l’entente conclue avec la Première Nation des Gwitchin Vuntut et dans l’entente sur la revendication territoriale globale du Conseil tribal des Gwich’in, plusieurs de ces responsabilités portent sur les terres et les ressources, sur la consultation et l’engagement et sur la gouvernance. Voilà un élément de réponse.
En ce qui concerne la sécurité surtout, la discussion est en cours, et je crois qu’elle nécessite une collaboration et un engagement continus. Le Conseil international des Gwich’in siège au Conseil de l’Arctique, dont le fonctionnement a considérablement changé au cours de la dernière année, puisque c’est la Russie qui en assume la présidence. Au début de mars, sept des États de l’Arctique ont interrompu leurs activités au Conseil de l’Arctique. Cela a eu des répercussions sur les organisations des peuples autochtones, qui ont le statut de participants permanents au Conseil de l’Arctique; les travaux sur le projet ont été interrompus.
Au début de cette interruption, nous y étions très favorables en raison des actions menées par la Russie en Ukraine. Nous étions très préoccupés et, encore une fois, nous étions en faveur de suspendre nos activités. À mesure que cette interruption se prolongeait, notre préoccupation augmentait devant le fait que les activités à long terme relatives à la lutte contre le changement climatique, à la santé mentale et au bien-être dans les collectivités et d’autres travaux d’importance du Conseil de l’Arctique n’avaient pas encore été entrepris. Nous avons donc demandé — et reçu une réponse favorable de la part des États — un dialogue continu sur la façon de remettre sur rails certains de ces projets.
Quant aux responsabilités des peuples autochtones du Canada, pour les Gwich’in, je dirais que nous sommes un partenaire stratégique dans la résolution de problèmes et la recherche de solutions. Quand le Canada a des idées d’investissements et de sécurité dans le Nord et envisage de renforcer sa souveraineté dans le Nord, il devrait d’abord avoir des discussions avec les détenteurs de droits et les parties à des revendications territoriales dans ces territoires.
Encore une fois, je sais que vous avez participé à la visite du Conseil tribal des Gwich’in à Inuvik.
Merci.
La sénatrice Anderson : Vous avez parlé de collaboration et d’entente permanentes. Quelle forme est-ce que cela prend pour vous ou pour les Gwich’in?
Mme Fernandes : Cela se produit à tous les niveaux. Le Conseil international des Gwich’in travaille en particulier avec Affaires mondiales Canada et, par l’entremise du Comité consultatif sur la coopération dans l’Arctique, avec le gouvernement fédéral et beaucoup de gouvernements infranationaux au Canada pour discuter des priorités, échanger de l’information et décider où pratiquer une coopération partagée.
Le sénateur Boehm : Je remercie nos témoins de leur comparution aujourd’hui, de leurs déclarations très intéressantes et, bien sûr, des réponses aux questions de mes collègues.
J’aimerais commencer par Mme Fernandes. Mon expérience avec la nation gwich’in remonte à une vingtaine d’années, quand je travaillais à notre ambassade à Washington. Le problème, c’était le forage dans la Réserve faunique nationale de l’Arctique, ou ANWR. Vous avez parlé du défi de la gouvernance transfrontalière. Il y a un autre défi ici — et je suppose que ceci est lié à cela —, c’est le lobbying transfrontalier. Les perspectives de forage dans la PNWR ont augmenté, diminué et fluctué en fonction de qui était au pouvoir aux États-Unis et de qui étaient les politiciens influents de l’Alaska à tel ou tel moment. Au cours de cette période, j’ai remarqué que la nation gwich’in — aujourd’hui, bien entendu, le Conseil international des Gwich’in — était devenue un groupe très efficace dans la défense des intérêts des peuples qui, au fond, traversent ces frontières qui, il va sans dire, ne signifient rien pour les peuples autochtones qui étaient là bien avant que le tracé des frontières soit établi.
J’en viens à ma question. Trouvez-vous qu’il est plus facile ou plus difficile de faire entendre votre voix à Washington ou à Ottawa sur ce genre de questions transfrontalières où la souveraineté est un facteur? Êtes-vous capables d’obtenir que les deux gouvernements fédéraux travaillent de concert dans votre intérêt?
Mme Fernandes : Merci beaucoup, sénateur Boehm, de votre question. C’est formidable d’entendre parler de votre histoire avec la Réserve faunique nationale de l’Arctique, et je suis certaine que vous avez été un excellent partenaire pour la nation gwich’in.
J’ai l’impression d’avoir toujours une double réponse à chaque question. Premièrement, il y a un certain nombre d’organisations transfrontalières qui représentent les Gwich’in, et nous ne sommes qu’une d’elles. Nous avons le statut de participant permanent au Conseil de l’Arctique, de sorte qu’une grande partie de notre travail de défense des droits et de promotion de la voix des Gwich’in se fait au Conseil de l’Arctique et dans le cadre de forums internationaux qui en découlent. Ce rôle est distinct, bien qu’il y soit apparenté, du travail du Comité directeur gwich’in, qui fait beaucoup de travail de représentation, particulièrement à Washington, et qui s’emploie efficacement à protéger les caribous de la Porcupine. Pour ceux qui ne le savent peut-être pas, l’un des récits gwich’in de la Création met en scène un homme et un caribou qui s’échangent la moitié de leur cœur, de sorte que l’homme possède une moitié de cœur de caribou et est éternellement lié au caribou. Les terrains de mise bas du caribou de la Porcupine sont situés dans la Réserve faunique nationale de l’Arctique, et leur route migratoire traverse le territoire gwich’in. Par conséquent, il existe, sur le plan culturel, linguistique, alimentaire et économique, un lien très fort avec le caribou, et le travail de défense au nom du caribou et des Gwich’in se fait à beaucoup de différents niveaux, à l’échelle internationale, nationale et régionale.
Quant à savoir si nous réussissons à nous faire entendre à la table pour promouvoir de bons partenariats canado-américains, je dirais qu’il est parfois difficile d’en mesurer et d’en repérer les effets. Nous avons vu des réponses positives dans la dernière déclaration conjointe des dialogues du partenariat Canada–États-Unis, et les caribous de la Porcupine ont fait l’objet d’une mention expresse au chapitre de l’intendance et la sécurité alimentaire. Nous étions très heureux de le voir. Nous avons soulevé la question à notre dernière rencontre avec le ministre des Affaires étrangères du Canada en 2021 et le secrétaire d’État américain à la réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique.
Je dirais que c’est en grande partie une affaire de bonnes relations et de respect de la position du Canada à l’égard de la nation gwich’in. Merci.
Le sénateur Boehm : Merci de cette réponse.
Ma question s’adresse à Mme Larocque. Madame Larocque, en novembre 2020, vous étiez parmi les nombreuses personnes qui ont participé à un événement appelé « Voices from the Arctic: Diverse Views on Canadian Arctic Security ». En parcourant votre exposé, j’ai été frappé par votre description, concernant la sécurité, de l’approche du pouvoir ferme de l’État et de l’approche du pouvoir souple associée aux peuples autochtones. À l’heure actuelle, avec une vision du monde axée sur l’holisme et l’idée que tout est relié, vous affirmez que, dans le paradigme du pouvoir souple, il faut parler de bien-être social, de régimes de cogestion et de gouvernance. La grande question devient alors, bien sûr, comment on peut insérer la sécurité militaire dans la discussion.
Deux ans après votre exposé, j’aimerais vous demander ce que vous pensez de la place de la sécurité militaire dans l’approche ou le paradigme du pouvoir ferme. De plus, avez-vous vu une évolution, dans un sens ou l’autre, dans le débat sur le pouvoir ferme par rapport au pouvoir souple? Votre propre point de vue a-t-il changé?
Mme Larocque : Bien entendu, quand j’ai fait mon exposé à l’époque, on m’avait donné un contexte différent sur lequel je devais me concentrer ou parler. J’ai vraiment du mal à accepter le concept de pouvoir ferme parce que nous voulons considérer l’Arctique circumpolaire comme une zone pacifique. Le Conseil de l’Arctique a été fondé sur principe que l’Arctique serait une zone pacifique où régnerait un esprit de coopération et de recherche scientifique. Cependant, on s’inquiète aujourd’hui de l’accroissement des dépenses militaires de la Russie et du fait qu’un État non arctique — la Chine — affirme être un État quasi arctique. Le fait que ces deux puissances affirment une forme de pouvoir ou une présence accrue dans l’Arctique est très préoccupant.
Devant cette situation, je dois réfléchir aux besoins des peuples autochtones de l’Arctique qui méritent qu’on s’y attarde. Si nous empruntons la voie du pouvoir ferme, nous devrons alors, bien sûr, nous assurer d’accroître les compétences, sur le plan tant du renseignement que de la capacité militaire, des peuples autochtones et des habitants du Nord et des Rangers canadiens, qui sont nos yeux et nos oreilles dans le Nord et dans l’Arctique. Nous ne pouvons pas demander à nos gens de défendre cette vaste région sans avoir les compétences et la formation nécessaires.
Je ne dirais pas nécessairement que j’ai révisé ma position. Cependant, les situations géopolitiques et mondiales externes m’ont amenée à réfléchir dans une optique holistique plus poussée, puisque, quand nous parlons d’holisme — comme je l’ai dit plus tôt —, il est question de santé, de sécurité alimentaire, de sécurité humaine, de sécurité personnelle, de souveraineté, d’environnement et d’intendance des terres. Toutes ces facettes de la sécurité doivent entrer en ligne de compte à mesure que nous continuerons de surveiller les actions des États arctiques et non arctiques.
Merci.
Le sénateur Oh : Je remercie les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui pour contribuer aux travaux du comité.
Ma question s’adresse à l’une ou l’autre d’entre vous. Quelles sont certaines des menaces d’importance pour la sécurité de l’Arctique canadien? Ces menaces sont-elles perçues différemment dans les différents territoires et le Nord du Québec?
Mme Larocque : Vous demandez si les enjeux d’importance pour l’Arctique…
Le sénateur Oh : La sécurité et les menaces, oui.
Mme Larocque : … sont différents de ce qui se passerait au Québec?
Le sénateur Oh : Nous pouvons d’abord parler de l’Arctique, puis des autres territoires.
Mme Larocque : Je vais essayer de donner quelques éléments de réponse.
Le changement climatique et le développement industriel continu sont certainement des menaces dans l’Arctique. Pour le changement climatique, nous nous penchons, bien évidemment, sur les effets secondaires qu’il aura sur la sécurité alimentaire, le dégel du pergélisol, l’infrastructure, le développement économique, les capacités d’intendance et aussi les distinctions sexospécifiques. Dans le Nord, ses effets nous touchent tous, pas seulement certains segments d’une nation. Tous sont touchés. Nous devons tenir compte non seulement des répercussions sur les hommes et les femmes, mais aussi sur les membres genrés de notre communauté. Ces menaces sont circulaires. Elles seront interreliées et exigeront des approches multidisciplinaires. Nous avons parlé plus tôt des lobbyistes, des militants et des alliés, qui sont nos partenaires et qui sont les voix influentes auxquelles un État accorde parfois plus d’attention qu’à celles des titulaires de droits, et il est certain que ces intervenants ont aussi un rôle à jouer. Les plus grandes menaces sont les menaces mondiales. Les peuples autochtones dans l’Extrême-Arctique et dans le Nord n’ont peut-être pas toute la capacité humaine et financière voulue pour entreprendre certaines des activités d’atténuation et de négociation que ces problèmes nécessiteront.
Je vous cède la parole, madame Fernandes.
Mme Fernandes : Merci, madame Larocque. Merci, sénateur Oh, de votre question.
Mme Larocque a très bien décrit les éléments de la situation. Je vais revenir sur la partie de la question du sénateur Oh portant sur les différences entre les régions, car je crois que l’endroit où chacun se trouve a une incidence sur son sentiment de sécurité personnelle et, comme Mme Larocque l’a dit, sur les ressources auxquelles il pourrait avoir accès.
Lorsque nous pensons aux menaces importantes à la sécurité dans l’Arctique canadien, nous devons également réfléchir aux différentes réponses qu’elles peuvent susciter et à leurs conséquences. Si la réponse est de créer une base militaire quelque part dans l’Arctique, quelles seront les conséquences de l’accroissement des activités de construction de bâtiments, d’aérodromes, de pistes et de tout le reste sur la réaffectation des ressources qui auraient autrement été consacrées à la construction de logements. Inversement, si nous décidons de promouvoir le développement économique dans la région, comment est-ce que ce choix se répercutera sur les investissements dans la formation? Que se passe-t-il si les enjeux de sécurité monopolisent l’attention et les ressources? Quelles en seront les répercussions sur les autres dépenses, à court et à long terme?
Il y a une crise de santé mentale et des taux de suicide élevés dans le Nord canadien, et pour bien des gens, c’est une grande préoccupation. On ne peut se soucier de la sécurité, de la sécurité nationale, quand on n’a pas un endroit sûr pour soi-même ou pour sa famille. Comment pouvons-nous envisager la sécurité en général, tout en veillant à répondre aux besoins des gens qui vivent dans l’Arctique?
Merci.
Le sénateur Oh : Merci.
J’ai une brève question au sujet de l’infrastructure de défense du Canada. Selon vous, quelle est notre plus grande lacune?
Mme Larocque : La capacité humaine. Je vis à Yellowknife, mais je viens d’Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest. Nous avons grandi dans cette localité où se trouvait une base des Forces canadiennes. C’est une collectivité créée de toutes pièces par le gouvernement. Nous avons toujours été exposés aux militaires. Je crois qu’il y avait probablement 300 militaires célibataires, puis un grand nombre de familles. Il y avait cette présence militaire. Nous ne sentions peut-être pas nécessairement qu’il y avait une menace, mais nous étions un peu rassurés, je crois, de savoir que s’il y avait un conflit international, ils étaient présents. Je pense aussi que nos aéroports ont été construits pour accueillir de multiples atterrissages, et ainsi de suite. Si nous parlons strictement de défense ou de sécurité dans l’Arctique avec les seuls Rangers, alors non, de toute évidence, nous n’avons pas la capacité parce qu’ils ne sont pas militarisés adéquatement. Il y a de l’entraînement qui se fait dans l’Arctique, c’est sûr, mais il ne s’agit pas d’une authentique unité de l’armée ou de la Marine. Je pense que ce sont certainement là les besoins: la capacité humaine, mais aussi une infrastructure adéquate.
Je ne veux pas donner l’impression que je fais la promotion — peut-être que je le fais — des exigences militaires d’un pouvoir ferme, mais je pense que, vu la façon dont les choses évoluent actuellement, l’État doit chercher à mieux comprendre, sur le plan stratégique, ce qui se passe dans l’Arctique. En quoi sommes-nous préparés ou comment allons-nous nous préparer? Quels genres de dépenses faut-il et comment ces dépenses doivent-elles être canalisées pour assurer la sécurité et la souveraineté dans l’Arctique?
Le sénateur Oh : Merci.
Le président : C’est une question fondamentale dans le travail du comité et cette étude. Madame Fernandes, avez-vous quelque chose à ajouter?
Mme Fernandes : Il y a beaucoup de travail qui se fait dans ce domaine. La semaine dernière, j’ai participé aux travaux du Groupe de travail sur la sécurité dans l’Arctique, qui a consacré deux jours à des exposés et où plus de 100 personnes se sont réunies en personne et en virtuel à Yellowknife pour examiner cette question et réfléchir aux lacunes et aux défis. Comme Mme Larocque l’a mentionné, on a beaucoup parlé de la capacité humaine et de l’adaptation de l’infrastructure au changement climatique. Comment des plans qui prennent cinq ou dix ans à préparer peuvent-ils correspondre à des conditions nouvelles qui exigent des adaptations, qu’elles soient humaines, géopolitiques, économiques ou physiques? C’est tout ce que j’ai à ajouter pour l’instant. Merci.
Le président : C’est un ajout très important. Merci.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie toutes les deux d’avoir exprimé des points de vue très intéressants. Nous vous en sommes reconnaissants.
J’aimerais revenir sur une question qui a été soulevée plus tôt par mon collègue et aller un peu plus loin. C’était au sujet du Conseil de l’Arctique. Oui, il y a une certaine interruption à l’heure actuelle et, oui, on se préoccupe des conséquences de l’invasion russe, mais comment peut-on envisager l’avenir? J’aimerais que vous me disiez toutes les deux ce que vous pensez de la santé du Conseil de l’Arctique en ce moment. Compte tenu de ce que vous savez maintenant, pensez-vous qu’il va continuer à se développer et peut-être à s’épanouir avec le temps, ou pourrait-il ralentir ou périr avec sa structure actuelle? J’aimerais creuser la question un peu plus, si vous le voulez bien.
Mme Fernandes : Selon ce que nous avons entendu, tous les États restent convaincus de la valeur réelle du Conseil de l’Arctique. On reconnaît que l’interruption a eu une incidence sur certains travaux. Elle influe sur les relations. Mais il y a un désir et un optimisme — variable selon les jours — de pouvoir retrouver un forum où il y a de la coopération et de la collaboration, un forum où les peuples autochtones sont à la table avec les participants étatiques et d’où les questions militaires sont exclues.
Bien qu’un certain nombre de participants des États arctiques aient interrompu leurs activités, il y a en fait plusieurs projets qui sont toujours en cours et qui continuent de fonctionner, car la Fédération de Russie n’y participe pas. Nous participons à certains de ces projets. Nous avons tenu des discussions très fructueuses sur la santé mentale et le bien-être à Inuvik en mars et en avril, à la suite de quoi un documentaire et quelques films ont été produits.
L’espoir de la survie du Conseil de l’Arctique est bien vivant, il me semble. Des plans et des discussions sont en cours en vue d’opérer la transition vers un espace où les États et les organisations des peuples autochtones pourront poursuivre les discussions sur les priorités. En 2021, le tout premier plan stratégique du Conseil de l’Arctique, élaboré avec le concours des représentants de tous les États et participants permanents autochtones, a été déposé et approuvé. C’est donc ce plan que nous suivons actuellement. Il y a toujours cette volonté de continuer de faire fonctionner le Conseil de l’Arctique qui est manifeste dans chacune de nos discussions avec les États partenaires.
Je vais céder la parole à Mme Larocque au cas où j’aurais oublié quelque chose.
Mme Larocque : Merci, madame Fernandes.
La santé du Conseil de l’Arctique — c’est mon opinion — est quelque peu précaire à l’heure actuelle. Je pense que nous serons en mesure de le sauver si nous continuons de considérer l’Arctique comme une zone de paix et d’y mener des recherches scientifiques, l’un des principaux champs d’activités du Conseil de l’Arctique.
Le Conseil de l’Arctique, comme la plupart d’entre vous le savez, est composé d’États, de participants permanents et d’observateurs. Il est dit clairement dans son mandat et dans la Déclaration d’Ottawa que les questions de sécurité militaire n’ont pas leur place à la table du Conseil de l’Arctique. Cependant, nous savons maintenant que ce n’est pas le cas.
Nous ne pouvons qu’espérer que le Conseil de l’Arctique demeure intact parce qu’il s’agit du seul forum international auquel participent les peuples autochtones. Le Conseil de l’Arctique, plus que d’autres, est saisi, comme tous le savent, de questions transfrontalières en raison de la nature circumpolaire de la recherche scientifique. Vu les répercussions mondiales sur notre sécurité alimentaire, la pollution atmosphérique, le changement climatique et bien d’autres facteurs et problèmes attribuables au changement climatique, il est impératif que le maintien du Conseil de l’Arctique suscite un réel intérêt.
Cependant, je crois qu’il doit y avoir un examen approfondi de ce qui peut se produire ou de ce qui devrait se produire si de futurs conflits avaient une incidence sur l’Arctique, puisque la suspension des activités n’aide en rien les recherches scientifiques qui s’y font, ni tout le bon travail accompli par les peuples autochtones dans l’Arctique circumpolaire. C’est ce que je recommande. Il faut réviser la Déclaration d’Ottawa, et tous les États doivent décider, puisqu’il n’y a pas de discussions sur la sécurité militaire, ce qui se passera si la situation actuelle devait se reproduire.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de nous avoir fait connaître leur point de vue, mais aussi de si bien représenter leur organisation.
Ma question s’adresse aux deux témoins. La modernisation du NORAD est une priorité pour le Canada et les États-Unis. Les deux gouvernements doivent investir des sommes considérables dans cet effort. Je vous demande sans détour quelles sont vos attentes quant à l’investissement que le Canada fera. Plus important encore, comment les deux pays peuvent-ils s’associer à chacune de vos organisations, compte tenu de votre intérêt direct pour la modernisation du NORAD et, bien sûr, de l’investissement de chacun des gouvernements à cet égard? J’invite les deux témoins à répondre.
Mme Larocque : Je vous remercie de la question.
Je pense que la modernisation du NORAD doit, comme je l’ai dit plus tôt, reposer sur l’examen stratégique ce qui se passe à l’échelle mondiale quant aux intérêts des États arctiques et des États non arctiques, et qu’il faut une collaboration, une relation et une discussion de nation à nation. La discussion doit porter sur les obligations découlant des traités du Canada à l’égard de ses peuples autochtones distincts et sur les moyens de faire participer les peuples autochtones à la recherche de solutions. De plus, il faut déterminer quels sont les autres principaux points de discorde en matière de sécurité et de souveraineté dans l’Arctique. Il y en a toute une liste. Si nous voulons être souverains, il faut affirmer ce que voulons ou ce que signifie pour nous une zone de paix dans les cas où elle comporte des conséquences géopolitiques et mondiales. Ce sont des questions préoccupantes que les États, tant les États-Unis que le Canada, doivent discuter avec leurs peuples autochtones parce qu’ils ont des engagements distincts résultant de leurs relations de nation à nation avec eux.
Mme Fernandes : Je vous remercie de votre question, sénateur Yussuff.
Au Canada, nos organisations membres sont la Première Nation des Gwitchin Vuntut et le Conseil tribal des Gwich’in, et les deux ont des sociétés de développement économique qui travaillent à obtenir des contrats, à bâtir des économies locales et régionales, et qui peuvent être et qui ont été associées à la construction d’infrastructures, à l’élaboration de programmes et à la promotion de communautés de travailleurs. Donc, pour ce qui est de leur éventuelle participation, je crois qu’il faut parler à ces organisations et ces instances pour faire avancer les choses.
À Inuvik, le Conseil tribal des Gwich’in et la Société régionale inuvialuite ont monté une coentreprise ensemble. Pour toute construction à venir à Inuvik ou pour tout investissement lié au NORAD à Inuvik, il y a un partenaire fin prêt à s’y engager.
De plus, comme vous l’avez mentionné, il y a d’importants investissements qui s’en viennent pour le NORAD. Dans une perspective holistique, nous aimerions que ces investissements puissent aussi contribuer à atteindre des objectifs et à répondre à des besoins du Nord, qu’il s’agisse d’offrir la connectivité à laquelle d’autres peuvent avoir accès, de fournir des équipements publics qui soient durables et polyvalents, ou d’investir dans les ressources humaines pour que les compétences restent dans la région une fois le travail initial terminé. Voilà autant d’éléments qui pourraient stimuler la réussite de la coentreprise.
Le sénateur Yussuff : Ma deuxième question concerne les changements climatiques. Ils se produisent rapidement dans le Nord et ils vont transformer à jamais le visage du Nord. Il est certain qu’avec l’accès au passage du Nord-Ouest, l’activité économique sera beaucoup plus importante qu’elle ne l’a été par le passé, ce qui amène, bien sûr, son lot de grands défis à gérer. Évidemment, l’activité économique pourrait apporter de grands bienfaits à la collectivité, mais elle peut aussi être lourde de conséquences. Compte tenu de cette réalité et, bien sûr, de cet enjeu des changements climatiques qui nous concerne tous, quelles sont les choses que vous recommanderiez au Canada d’examiner et qui seraient d’une importance primordiale pour vous, en tenant compte, bien sûr, de ce qui s’est dit tout à l’heure au sujet de la souveraineté du peuple et du respect de la relation de nation à nation, qui a besoin d’être renforcée et cultivée encore?
Mme Fernandes : Je pense à des solutions locales. Les changements climatiques auront des répercussions différentes selon les régions. Le Nord sera durement touché, et il sera très difficile d’avoir une stratégie pancanadienne sans chercher à y intégrer des solutions locales. Par exemple, à Old Crow, au Yukon, on trouve un des plus grands parcs solaires du Nord, ce qui permet d’éteindre les génératrices au diesel pendant la majeure partie de l’été. Le calme tombe sur la collectivité, et c’est parfait pour la saison de la cueillette des petits fruits. C’est un modèle qui attire l’attention dans toute la région de l’Arctique et qui change le cours des affaires. Il a fallu des années pour mettre ce projet en branle. Le Canada y a beaucoup investi, mais il a fallu y mettre beaucoup d’efforts. Pour bien saisir les répercussions des changements climatiques sur les collectivités locales, nous devons être prêts à écouter. Nous devons être prêts à essayer des solutions qui peuvent paraître farfelues aujourd’hui, mais qui rapporteront beaucoup dans 5, 10 et 25 ans. Merci.
Mme Larocque : Je vous remercie de la question.
Je pense que chaque fois que nous amenons une nouvelle infrastructure ou de nouveaux débouchés, nous devons les mesurer. Cette mesure doit se faire en permanence pour que nous connaissions les effets bénéfiques de toute solution à venir.
Ce que je retiens des observations de Mme Fernandes, c’est qu’il n’y a pas de solution universelle. Dans les régions côtières de l’Arctique, les gens dépendent beaucoup de la glace de mer. Dans l’arrière-pays, beaucoup de gens dépendent des réseaux hydrographiques, mais aussi de la santé du milieu.
Il se fait beaucoup de travail dans le Nord en matière de souveraineté alimentaire, depuis les jardins communautaires jusqu’aux exploitations agricoles et horticoles locales. Ce sont là quelques-unes des solutions qui peuvent profiter à l’Arctique, mais nous devons aussi nous préoccuper de la qualité et de la santé des terreaux que nous utilisons, qui sont le plus souvent transportés du Sud vers le Nord. Nous devons nous préoccuper de la contamination et des différents contrôles en place pour assurer la qualité et la bonne nutrition.
Les solutions en matière de sécurité alimentaire dépendent encore beaucoup du transport depuis le Sud, de la production dans le Sud, et une grande partie de nos aliments nous arrivent par voie terrestre. Nous venons d’avoir un énorme problème ici parce qu’il y a eu une énorme tempête de neige et que le transport terrestre a été interrompu.
L’autre chose, c’est que nous dépendons encore beaucoup du diesel; c’est plus répandu dans le Haut-Arctique, mais nous en dépendons encore ici, dans la vallée du Mackenzie.
Donc, comme disait Mme Fernandes, toute solution doit comporter de multiples facettes et pourrait être vraiment novatrice, mais comment pouvons-nous la mesurer en vue d’en faire une pratique exemplaire pour d’autres régions exposées aux mêmes conséquences que nous?
La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins de leur présence.
J’aimerais revenir un instant au Conseil de l’Arctique pour obtenir des précisions. Cette fois-ci, il ne s’agit pas de l’avenir, mais de la façon dont il fonctionne en temps normal, et surtout de la participation des peuples autochtones.
Tout d’abord, est-ce qu’il y a des communautés autochtones d’autres pays de l’Arctique qui participent aussi au conseil? Est-ce qu’elles participent sur le même pied, disons, que les communautés autochtones du Canada? Le Conseil de l’Arctique réunit évidemment plusieurs pays. Est-ce qu’il y a des Autochtones de la Russie qui y ont participé? Je n’en ai jamais entendu parler, et je me demande s’il y en a eu.
Deuxièmement, j’aimerais obtenir quelques précisions, madame Fernandes. Vous avez parlé de votre participation au Conseil au sujet des enjeux climatiques et de l’infrastructure, mais en ce qui concerne la souveraineté et la sécurité, dois-je comprendre que les communautés autochtones ont décidé de ne pas prendre part aux discussions, ou est-ce que vous y avez pris part? Si oui, quel est votre point de vue sur ces questions?
Je demande aux deux témoins de clarifier ces points. Merci.
Le président : Madame Larocque, je propose que vous commenciez par le Conseil de l’Arctique et la Russie, puis Mme Fernandes pourra prendre le relais et parler aussi de sécurité.
Mme Larocque : Merci.
Au Conseil de l’Arctique, six organisations internationales de peuples autochtones siègent à titre de participants permanents. Trois d’entre elles comprennent des peuples autochtones du Canada qui ont des liens avec l’Alaska, et par l’entremise du Conseil circumpolaire inuit, avec la Russie.
En ce qui concerne la Russie, il y a l’Association russe des peuples autochtones du Nord. Cependant, on ne sait pas trop en quoi elle consiste au juste et comment elle s’est constituée; on craint que ses représentants soient des employés du gouvernement de Poutine, alors il se pourrait que les peuples autochtones de la Russie n’aient pas d’organisme légitime représentant leurs intérêts distincts. Mme Fernandes pourra me corriger si je me trompe, mais c’est ainsi que je vois l’arène politique à l’heure actuelle.
En ce qui concerne le droit de parole, quel que soit le problème abordé, qu’il s’agisse des changements climatiques, de la santé mentale, des langues ou des pandémies, les peuples autochtones qui ont le statut de participant permanent ont voix au chapitre et peuvent exprimer leurs préoccupations. Nous participons aussi aux recherches du Conseil de l’Arctique, nous siégeons à divers groupes de travail et nous échangeons nos connaissances, tant universitaires qu’autochtones, dans la mesure du possible.
Madame Fernandes, je vous cède la parole.
Mme Fernandes : Je vous remercie, madame Larocque, de cette excellente explication, et je vous remercie, sénatrice Dasko, de votre question. Je vais ajouter quelque chose aux propos de Mme Larocque.
Lorsque la Déclaration d’Ottawa a été signée en 1996, elle a créé le Conseil de l’Arctique et elle a créé la catégorie des « participants permanents ». Pour obtenir le statut de participant permanent au Conseil de l’Arctique, il fallait une de deux choses : soit être une nation transfrontalière, soit être une organisation regroupant de multiples nations.
Comme Mme Larocque l’a dit, il y a six organisations de peuples autochtones qui ont le statut de participant permanent au Conseil de l’Arctique. Trois d’entre elles comptent des membres canadiens : le Conseil des Athabaskans de l’Arctique, le Conseil international des Gwich’in et le Conseil circumpolaire inuit. Le Conseil Saami représente les intérêts des peuples saamis des pays nordiques, et l’Association internationale des Aléoutes, les intérêts des peuples aléoutes qui vivent en Russie et en Alaska. Donc, oui, il y a des Autochtones en Russie qui siègent au Conseil de l’Arctique et qui sont représentés par l’Association russe des peuples autochtones du Nord. Au Conseil de l’Arctique, il y avait des démarches à faire pour obtenir le statut de participant permanent, et je crois que le dernier a été accordé en 2000.
Quant à votre question sur les enjeux de sécurité, la sécurité n’est pas à l’ordre du jour au sein même du Conseil de l’Arctique, mais les discussions à ce sujet ont une incidence sur les communautés et les peuples autochtones du Nord. Qu’il s’agisse des frontières et des déplacements transfrontaliers, qu’il s’agisse de savoir avec qui tenir des discussions bilatérales, qu’il s’agisse d’un projet qui intéresse à la fois le Canada et les États-Unis, mais que nous ne pouvons traiter qu’avec un des deux pays à ce moment-là au lieu de travailler dans un contexte multilatéral, ce sont toutes là des incidences des discussions sur la sécurité.
Nous discutons de la gouvernance de l’Arctique et de ce qu’elle veut dire, ou nous essayons de voir comment continuer d’y faire participer les dirigeants autochtones, malgré les discussions en cours sur la sécurité, parce qu’elles ont lieu effectivement. Nous croyons que, en ces temps difficiles, il y a un besoin encore plus grand de coopération en général et de coopération entre les États et les peuples autochtones. Merci.
La sénatrice Dasko : Merci.
Le sénateur Gignac : Merci aux témoins.
Pour poursuivre la discussion de la sénatrice Dasko au sujet du Conseil de l’Arctique, chacun des États membres a ses propres stratégies et politiques. Mis à part la Russie, j’aimerais savoir si un de ces sept États a pu servir de modèle au Canada en matière de gouvernance ou de consultation avec les communautés locales. J’aimerais savoir si un de ces États a été un modèle. Plus précisément, j’aimerais avoir votre avis sur la relation entre le gouvernement central du Danemark et le Groenland.
Mme Fernandes : Je vais d’abord répondre à la deuxième partie de votre question.
D’après notre expérience au Conseil de l’Arctique, le Royaume du Danemark a un siège au conseil, mais il amène avec lui des représentants du Groenland et des îles Féroé. Dans le processus décisionnel du conseil, que ce soit au niveau des ministres, au niveau des hauts fonctionnaires de l’Arctique ou au sein de n’importe quel groupe de travail, le Danemark travaille avec le Groenland et les îles Féroé. Il y a eu des élections récemment, alors il reste à voir comment elles vont se répercuter sur la participation et le leadership dans les affaires mondiales.
Quant à savoir s’il y a des pratiques exemplaires ou des modèles de gouvernance venant des États membres, je pense qu’il y a des leçons à tirer de tout le monde, y compris du Canada. Il peut y avoir des mécanismes de gouvernance très différents dans toute l’étendue de l’Arctique. La reconnaissance des droits varie aussi, tout comme le financement des organisations et des collectivités autochtones. Je dirais que le Canada est un meneur dans le financement de la participation autochtone au Conseil de l’Arctique, ce qui nous rend souvent fiers de siéger à ses côtés. Nos organisations qui ont le statut de participant permanent profitent beaucoup de l’Initiative sur le leadership mondial dans l’Arctique.
Il y a d’autres pays, je crois, qui ont pratiquement attribué des pouvoirs à des collectivités du Nord ou qui établissent des infrastructures et des pouvoirs décisionnels dans le Nord dont le Canada pourrait s’inspirer. J’ai grandi dans le sud de l’Ontario. Je sais que les pouvoirs de décision sont largement concentrés à Ottawa. Nous n’avons pas d’ambassade canadienne à Inuvik. Nous n’avons pas d’ambassade canadienne à Old Crow. Lorsque des gens viennent visiter l’Arctique, ils restent généralement dans le sud du Canada. C’est une pratique que nous avons observée.
En Norvège, Tromsø se trouve à 70 degrés de latitude. C’est une métropole en plein essor et elle a sa propre université. On a beaucoup investi là-bas malgré la nuit polaire et le fait qu’il coûte plus cher de s’y rendre plutôt qu’à Oslo. Il y a eu des investissements importants dans l’infrastructure, ce qui a amené la création de nouvelles économies et de nouveaux centres d’excellence universitaires. Il y a maintenant des programmes d’études saamis assez dynamiques à l’université et des expositions saamies au musée, des pratiques dont nous pouvons nous inspirer, je crois.
Je vais laisser à Mme Larocque le soin de dire ce qui a pu m’échapper et d’ajouter quelque chose.
Mme Larocque : Vous vous en êtes très bien tirée, mais j’aimerais ajouter quelques éléments.
Je pense que peu importe qu’il y ait des traités modernes, qu’il y ait une loi intérieure, qu’il y ait le droit de se gouverner soi-même, tout cela vient encore avec un certain contrôle de l’État central. Comment l’État et la relation de nation à nation favorisent-ils l’autonomie, ou à quoi ressemble cette autonomie lorsqu’elle est toujours soumise au contrôle de l’État? Il y a tout cela à considérer.
La reconnaissance des droits s’étend aux objectifs de développement durable. La façon dont l’État veille à ce que nos gens aient accès aux soins de santé, à l’eau potable et aux services de santé mentale dépend, encore une fois, de la valeur que ses populations autochtones peuvent avoir à ses yeux.
Le financement est extrêmement important, mais il ne devrait pas toujours être le facteur décisif. Des solutions fondées sur l’autonomie de la collectivité et sur sa vision autochtone des choses devraient entrer en ligne de compte ici, parce que certaines de ces solutions peuvent favoriser la guérison à même le territoire qui nous porte, sans être aussi coûteuses et extravagantes qu’un système de santé comme celui des établissements du Sud.
L’inclusion des peuples autochtones, avec leurs propres capacités, leur vision du monde et leur relation de réciprocité avec la terre, est aussi essentielle pour faire avancer la coopération et la collaboration avec l’État.
Par des consultations de nation à nation avec les peuples de l’Arctique et les habitants du Nord, il faut tenir des discussions du même genre pour que tout le monde ou la majorité des gens dans l’Arctique connaissent les dossiers, sachent ce qui est en jeu et où ils peuvent affirmer leurs compétences. Leur savoir ne sert pas seulement à mener des études, mais aussi à trouver des solutions qui seront pertinentes et communautaires. Merci.
Le président : Merci beaucoup. Voilà qui met fin à notre discussion avec ce groupe de témoins, puisque tous les membres du comité ont eu l’occasion de poser des questions.
Merci, madame Larocque et madame Fernandes, au nom du comité. Nous vous sommes reconnaissants du temps que vous avez passé avec nous aujourd’hui et de la générosité avec laquelle vous avez dispensé vos connaissances et vos conseils. Cela nous est très utile. Les réunions se déroulent mieux, on dirait, sur le ton de la conversation, et c’est bien ainsi que la réunion d’aujourd’hui m’est apparue. Je tiens à remercier mes collègues de la profondeur de leurs questions, mais surtout vous pour vos réponses très étoffées à certaines de ces questions complexes. Vous nous avez beaucoup aidés, et nous vous en sommes reconnaissants. Merci de vous être jointes à nous aujourd’hui.
Pour le deuxième groupe de cet après-midi, nous accueillons par vidéoconférence la cheffe Roberta Joseph, de la Première Nation Tr’ondëk Hwëch’in, et Kluane Adamek, cheffe régionale pour le Yukon à l’Assemblée des Premières Nations. Merci à vous deux de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous vous invitons d’abord à faire votre déclaration préliminaire, après quoi les membres du comité vous poseront des questions.
Roberta Joseph, cheffe, Première Nation Tr’ondëk Hwëch’in : C’est un véritable honneur de témoigner devant le comité, et je tiens à vous remercier de m’avoir invitée à prendre la parole à cette importante tribune.
Je m’adresse à vous aujourd’hui au nom des nations voisines de la mienne au Nord et à l’Est, le gouvernement des Gwitchin Vuntut et les Na-Cho Nyak Dun, et au nom des miens, le gouvernement et les citoyens de la nation Tr’ondëk Hwëchin. Ensemble, nous formons les Premières Nations du nord du Yukon.
La souveraineté et la sécurité territoriales ne sont pas des sujets nouveaux pour nos Premières Nations dans le nord du Yukon ou dans le monde entier. Les enjeux de la souveraineté et de la sécurité dans l’Arctique ne sont pas non plus des sujets nouveaux pour nos communautés.
Nous ne pouvons pas prédire l’avenir; cependant, nous pouvons reconnaître que le cercle arctique est un lieu de conflit, de possible agitation internationale, et qu’il pourrait devenir, sans prévoyance ni préparation, un grand carrefour de navigation et une région de conflit civil. Toutes ces préoccupations que je viens de mentionner auront des répercussions importantes et durables sur nous, les Premières Nations qui vivent sur ces terres et qui en prennent soin depuis des temps immémoriaux, et qui le feront à perpétuité.
Établis dans le nord du Yukon, nous sommes très près du cercle arctique et de la frontière de l’Alaska. C’est là que nous vivons, à proximité des cours d’eau et de la route comparativement à bon nombre des résidents du Nord canadien. La souveraineté et la sécurité dans l’Arctique pourraient affecter davantage notre mode de vie et la vie de nos nations.
Les chefs des Premières Nations n’ont été ni informés ni consultés au sujet de la dernière réunion sur la sécurité dans l’Arctique, qui s’est tenue en Alberta en août 2022. Il est impératif de travailler ensemble, d’unir nos voix et de redoubler d’efforts pour rassembler les Premières Nations du nord du Yukon. Il est important de continuer à nous faire entendre et à affirmer notre souveraineté dans les discussions internationales sur la souveraineté et la sécurité de l’Arctique.
Nous demandons officiellement que les choses changent à l’avenir. Nous demandons que les Premières Nations du nord du Yukon prennent part à toutes les discussions. Nous demandons aux gouvernements canadien et américain de reconnaître le rôle clé que jouent les Premières Nations à l’égard de la souveraineté et de la sécurité dans l’Arctique. Nous demandons l’inclusion, et que les gouvernements canadien et américain fassent preuve de transparence. Notre non-inclusion à ce jour est un oubli, et nous demandons qu’elle soit corrigée.
Compte tenu de l’agitation civile en Russie, de la possibilité que des routes maritimes s’ouvrent dans les eaux intérieures canadiennes du passage du Nord-Ouest en raison de la fonte des glaces et des changements climatiques, et compte tenu des revendications concurrentes de souveraineté sur les eaux, il demeure impératif que les Premières Nations du nord du Yukon participent à toute discussion ou réunion portant sur la souveraineté et la sécurité dans l’Arctique. Il n’est pas acceptable que des forces militaires ou autres forces de sécurité viennent dans nos collectivités sans que nous, les gouvernements des Premières Nations, ayons notre mot à dire. Nous avons vu par le passé ce qui peut arriver lorsque l’armée ou des forces de sécurité interviennent chez nous sans notre permission implicite. Nous aurions tort de ne pas reconnaître que cela pourrait arriver de nouveau. Rappelons-nous la construction de la route de l’Alaska dans les années 1950.
Bref, nous avons le temps de nous organiser ensemble, de nous assurer de faire partie de toutes les conversations futures et de garantir notre statut de participants égaux aux consultations, aux réflexions et aux actions entourant la souveraineté dans l’Arctique, qui affecteront directement notre mode de vie, nos gens, nos collectivités et le monde naturel.
Afin de bien nous préparer, de parler d’une seule voix et d’affirmer fermement notre droit de prendre part aux discussions sur la souveraineté et la sécurité dans l’Arctique, notre traité énonce des dispositions de collaboration et les avantages afférents aux projets et aux activités engagées dans nos territoires ancestraux respectifs.
De plus, j’ai déjà fait part de mes préoccupations au ministre Vandal lors de la réunion sur le Cadre stratégique pour le Nord qui a eu lieu à Yellowknife à la fin de septembre. Nous demandons donc que les Premières Nations soient davantage consultées à l’avenir sur toute question de souveraineté et de sécurité dans l’Arctique, compte tenu surtout des menaces possibles de la Russie et du recul accéléré des glaces dans les voies navigables du Nord-Ouest.
Nous vous sommes très reconnaissants de nous accorder votre temps et votre attention. Nous prenons la précaution de bien examiner comment la loi s’applique à nos garanties juridiques et de nous assurer que nos nations bénéficieront de toute infrastructure appelée à s’installer sur nos territoires ancestraux. En général, notre intention est de collaborer avec les Premières Nations du Yukon, le gouvernement du Yukon et le gouvernement du Canada sur ces questions importantes.
Mahsi’cho .
Le président : Merci, cheffe Joseph, pour ces importants messages d’ouverture.
Kluane Adamek, cheffe régionale, Yukon, Assemblée des Premières Nations : Dänch’ea. Bonjour. C’est un honneur de me joindre à vous avec la cheffe Joseph.
Je tiens tout d’abord à saluer le territoire des Ta’an et des Kwanlin Dün, ici à Whitehorse, au Yukon, et bien sûr, il est important de reconnaître que la cheffe Joseph parle d’une voix très puissante pour la région et qu’elle est notre meneuse nationale en matière de climat.
Je vais aborder quelques-unes des réflexions qu’elle nous a livrées. Pour vous mettre en contexte, nous allons parler de souveraineté et de partenariats, de sécurité, de sûreté et d’infrastructure.
Au cours de la dernière année, j’ai entendu des chefs et des dirigeants autochtones du Yukon exprimer des préoccupations croissantes au sujet des nouvelles menaces militaires qui font leur apparition dans le monde. Notre proximité géographique avec la Russie, en particulier, suscite de plus en plus d’inquiétudes quant à la protection des nôtres, de nos territoires et de nos ressources.
Comme vous le savez, l’histoire de la route de l’Alaska, les rapports avec l’armée américaine et l’exploit que représentait ce lien entre l’Alaska et le sud du 49e parallèle ont des répercussions profondes sur cette région et, plus particulièrement, sur les Autochtones du Yukon. Pour nombre d’entre eux, le 80e anniversaire de la route de l’Alaska appelle moins à la célébration qu’à la méditation.
Nous voici en 2022 avec des problèmes internationaux à nos portes, et nous devons bien faire les choses. Les titulaires de droits des Premières Nations du Yukon doivent avoir pleine voix au chapitre, être dûment consultés — comme vous l’a dit la cheffe Joseph — et être associés dans tout travail entrepris pour assurer la sécurité et l’avenir de l’Arctique.
Je crois savoir que des membres du comité ont eu l’occasion de se rendre en personne dans les Territoires du Nord-Ouest et à Iqaluit, en sachant que certaines des vieilles installations de défense au Yukon sont présentement désaffectées. J’encourage le comité à l’avenir à faire l’effort de venir au Yukon. Je tiens à remercier tout particulièrement la sénatrice Duncan, une de vos collègues, qui ne ménage pas ses efforts pour faire respecter les voix et les droits des Premières Nations du Yukon dans tout processus fédéral.
Le Yukon compte 14 nations et 8 groupes linguistiques distincts. Comme la cheffe Joseph l’a dit, grâce à nos traités modernes, 11 de ces nations ont des accords d’autonomie gouvernementale et de règlement de revendications territoriales. Nous avons, depuis toujours, la capacité et le droit d’adopter des lois sur nos terres et nos territoires et de nous prononcer sur toute loi et toute activité susceptibles de toucher nos terres et nos gens.
Nous devons respecter les accords et les droits existants dans le cadre de la souveraineté et du partenariat. Nous devons respecter le principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, et maintenir les ententes en vigueur, l’Accord-cadre définitif, les accords d’autonomie gouvernementale et la relation de nation à nation qui est enchâssée dans la Constitution. Les ententes doivent être respectées et maintenues.
Le Canada ne peut pas continuer unilatéralement à prendre des décisions au sujet des terres et de l’activité dans le Nord sans faire participer le Nord. Nous ne voulons « rien pour nous sans nous », comme on l’entend encore. Comme je l’ai déjà dit dans le passé, à voir la façon dont nous nous y sommes pris pour protéger le Nord, nous n’avons pas bien fait les choses au Canada. Nous avons maintenant l’occasion de corriger le parcours.
La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est essentielle, et ses principes doivent s’appliquer à mesure que le Canada progresse dans la modernisation du NORAD. Le Canada doit s’adresser directement aux Premières Nations s’il veut répondre correctement aux préoccupations que suscite chez elles une présence militaire accrue, tant pour la sécurité du territoire que pour la sécurité des personnes. Il est également essentiel que nous examinions, dans le cadre de nos accords, l’infrastructure de transport du Yukon, qui passe entièrement par nos territoires ancestraux.
Comme la cheffe Joseph l’a dit, un de nos principaux liens dans toute cette histoire de la défense de l’Amérique du Nord est, bien sûr, la route de l’Alaska. Sur une note personnelle, cette route traverse mon territoire ancestral, celui de la Première Nation de Kluane. À l’époque où elle a été construite, cette route a privé mes grands-parents et mes arrière-grands-parents de chasser comme ils le faisaient. En fait, les soldats américains chassaient à outrance dans le territoire, et nos gens ne pouvaient plus manger de la nourriture comme le mouflon, le caribou et l’orignal comme ils en avaient l’habitude. En fait, certains des nôtres étaient condamnés à la famine parce que l’armée passait avant nous. Maintenant en 2022, grâce à nos accords, nous avons des dispositions légales. Nous assurons la cogestion du parc national Kluane, mais chose certaine, on ne peut pas fermer les yeux sur des questions délicates comme la chasse au mouflon et le traitement des femmes, en particulier les femmes autochtones le long de la route.
Les Premières Nations du Yukon n’ont pas été informées ni consultées au sujet du projet d’envergure qui allait se dérouler sur leurs terres. Les bulldozers et les soldats sont arrivés sans avertissement et sans se soucier le moindrement de nos terres, de nos moyens de subsistance, de notre culture et de nos gens. La route de l’Alaska a laissé une marque profonde dans le tissu social de notre collectivité. On pourrait comparer cela à ce qu’on appelle le premier contact du Yukon avec la civilisation européenne, la ruée vers l’or de la fin du XIXe siècle. La construction de la route de l’Alaska nous a condamnés à la famine, et c’est une chose sur laquelle méditent encore les aînés chez nous, à Burwash Landing et dans la Première Nation de Kluane.
Nous devons réfléchir à la façon dont nous allons avancer désormais, et veiller à ce que la sécurité de nos collectivités passe toujours en premier, comme l’a dit aussi la cheffe Joseph. Il est essentiel, sénateurs et sénatrices, que les Premières Nations soient de véritables partenaires dans les prochaines phases du NORAD. Nous devons tirer des leçons de notre histoire. Nous devons faire mieux, et nous devons appliquer les leçons de notre passé pour mieux avancer vers l’avenir.
En ce qui concerne l’infrastructure, les Premières Nations du Yukon ont continué d’exercer des pressions pour faire reconnaître les inégalités qui existent pour les habitants du Nord et les lois erronées qui n’ont pas permis aux habitants du Nord de croître aussi rapidement que les habitants du Sud, par exemple, dans les domaines de l’infrastructure à large bande, du logement et de la santé. Alors que nous cherchons à faire progresser la souveraineté dans l’Arctique et que nous continuons de chercher des solutions pour l’avenir, nous devons certainement réfléchir aux façons dont le Canada envisage d’améliorer l’infrastructure de défense dans le Nord, et nous devrions vraiment examiner comment ces projets profiteront aux gens et répondront aux besoins urgents en matière d’infrastructure civile. Les projets à double ou à multiples usages pourraient comprendre des projets de stations radars, l’amélioration des télécommunications, la construction ou la modernisation de stations et de bases, des bâtiments polyvalents avec des sections d’entrée civile, l’examen des possibilités de logement en partenariat et la construction d’infrastructures de défense et de transport et de routes permanentes dans les endroits qui en ont besoin, à la demande des Premières Nations du Yukon.
Pour ce qui est de l’infrastructure, nous devons faire participer les peuples des Premières Nations aux entreprises. De nombreuses Premières Nations du Yukon ont leurs propres sociétés de développement qui ont des entreprises de construction qui pourraient aider à réaliser les plans du MDN. Ici, au Yukon, nous avons une politique d’approvisionnement visant les Premières Nations qui établit une nouvelle norme pour faire des affaires dans le territoire. Elle confère des avantages importants aux entreprises des Premières Nations en facilitant les possibilités de partenariats entre les Premières Nations du Yukon et l’ensemble de la collectivité. À l’heure actuelle, au niveau fédéral, il n’y a pas ce même type de politique, alors ce pourrait être l’occasion pour le MDN d’examiner comment ce type de politique pourrait être envisagé dans le cadre de ses priorités.
Sur ce, je tiens à vous remercier, Mahsi’cho,gùnálchîsh. Encore une fois, c’est un honneur pour moi de me joindre à vous aujourd’hui.
Le président : Merci, cheffe Adamek, de cette autre déclaration percutante pour lancer nos discussions d’aujourd’hui. Nous regrettons de ne pas avoir eu l’occasion d’aller aussi loin que le Yukon, mais nous travaillons fort pour entendre les voix du Yukon. Cette semaine et la semaine prochaine, nous continuerons de le faire.
Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par notre vice-président, le sénateur Dagenais.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à Mme Joseph.
En principe, votre situation géographique est stratégique pour le programme de la défense du Canada. Récemment, la ministre de la Défense a annoncé un investissement de 40 milliards de dollars sur 20 ans pour le programme du NORAD.
Qu’en retenez-vous? Comment cette annonce va-t-elle se concrétiser pour le développement de votre région? Êtes-vous satisfaite de cette annonce?
[Traduction]
Mme Joseph : Je vous remercie de cette question.
En ce qui concerne le NORAD, nous n’avons pas été informés directement de l’annonce, et de la façon dont nous pouvons être inclus dans certaines des infrastructures que nous pourrions intégrer dans nos territoires traditionnels respectifs, et travailler avec d’autres en matière de sécurité.
Nous avons des programmes ici, à Dawson. Les Rangers de Dawson City, qui ont fourni un point de vue nordique sur la sécurité, viennent de célébrer leur 75e anniversaire en août. Ils ont commencé pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous travaillons en étroite collaboration avec eux. Ils apportent beaucoup de soutien à notre communauté des Premières Nations.
Je pense qu’il serait important et impératif de participer à la planification des infrastructures nécessaires dans le Nord, en ce qui concerne leur emplacement. Pour ce qui est de ma Première Nation, nous sommes situés à une heure et 15 minutes de la frontière de l’Alaska par la route. Les Gwitchin Vuntut ne sont pas très loin de l’océan Arctique. Ils sont à environ une heure et demie de vol de l’endroit où nous sommes situés. Il s’agit de la communauté la plus au nord du Yukon. Je pense qu’il serait important que le gouvernement fédéral nous fasse participer à certaines de ces discussions lorsque le budget sera présenté à diverses communautés. Mahsi’cho.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Si je comprends bien votre réponse, madame Joseph, le gouvernement ne vous a pas avisé de cette annonce, ce qui est dommage. Comme vous l’avez mentionné, j’espère qu’à l’avenir, le gouvernement vous tiendra au courant de ses annonces ou de ses intentions.
Pouvez-vous faire un parallèle entre ce que vous savez de l’approche des Américains en Alaska et celle du gouvernement canadien sur le territoire voisin du Yukon?
[Traduction]
Mme Joseph : J’ai dit que je m’étais réjouie de l’annonce des fonds pour le NORAD, mais je pense que nous aurions aimé être informés de l’annonce du budget à l’avance en ce qui concerne l’approche de l’Alaska par opposition à celle du Yukon. En Alaska, il y a un niveau élevé de sécurité dans l’État, mais ici, au Yukon, notre sécurité est très minime, compte tenu de la situation critique dans laquelle nous nous trouvons, étant donné que nous sommes si près de la frontière de l’Alaska et de l’océan Arctique, d’autant plus que l’océan Arctique est aujourd’hui très vulnérable, car il ne gèle pas en raison du réchauffement climatique.
Je pense qu’à l’avenir, nous devrions participer à la discussion pour être en mesure d’informer notre communauté et nos citoyens sur la façon dont le Canada travaille avec les États-Unis sur le plan de la sécurité, afin que nous puissions assurer à nos citoyens qu’ils n’ont pas trop à s’inquiéter et que nous nous attaquons à ce problème. Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J’ai une courte question pour Mme Adamek. À la suite de ce qu’on a entendu au premier panel, sur une échelle de 1 à 10 — 10 étant une bonne note —, comment qualifieriez-vous l’écoute du gouvernement à l’égard de vos représentations sur la gouvernance de l’Arctique?
Mme Adamek : C’est vraiment une bonne question, merci. Honnêtement, en ce qui concerne les traités modernes, nous donnerions certainement une note de 10 sur 10, puisque nous sommes complètement inclus dans la gouvernance du Nord. Quand on pense à la mise en œuvre des traités modernes, par contre, la note serait de 3 ou 4. Existe-t-il une possibilité d’être des partenaires à part entière dans la gouvernance du Nord? Oui, c’est certain. Peut-être que la cheffe Joseph pourra donner des exemples spécifiques, selon la perspective d’une cheffe de nation.
Lorsqu’on pense à la mise en œuvre de notre traité moderne, la note serait de 3 ou 4. Il y a certainement des situations où je crois que le gouvernement fédéral voit notre traité moderne comme un livre sur une étagère. Or, ce n’est pas le cas. Les aînés ont développé ces traités pour le futur des Premières Nations au Yukon. Il y a bien des chances que ce soit honoré et mis en œuvre. Toutefois, le défi est grand. Je crois qu’il serait prudent que la cheffe Joseph parle de ces exemples.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, madame.
[Traduction]
Le président : Cheffe Joseph, si vous avez d’autres observations, vous pourriez peut-être les ajouter à votre réponse à la prochaine question.
La sénatrice Anderson : Je remercie les témoins.
Ma question porte sur la façon dont le gouvernement concilie l’apport et la participation des divers titulaires de droits, surtout lorsque la proximité géographique des titulaires de droits n’est pas considérée comme étant sur la ligne de front, si vous voulez. Je vais vous donner un exemple en ce qui concerne les Inuvialuit Gwich’in, qui sont plus près de l’océan Arctique, et le Yukon qui n’est peut-être pas considéré comme étant à proximité de l’océan Arctique. Pensez-vous que cela a une incidence sur votre engagement en tant que titulaires de droits?
Mme Joseph : Oui, cela a un impact réel sur nous, les titulaires de droits. À la réunion d’août 2022, en Alberta, les premiers ministres du Nord ont assisté à la réunion au nom de la population du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. Je ne sais pas si le Nunavut était présent. À ce jour, le gouvernement du Yukon n’a toujours pas vraiment discuté de cette importante initiative avec les Premières Nations du Yukon. Même si nous avons discuté du Cadre stratégique pour l’Arctique, cette question n’a pas été abordée avec nous. Pour ce qui est d’avoir un traité moderne avec nos partenaires, le gouvernement du Canada et le gouvernement du Yukon, dans le contexte actuel, une collaboration à cet égard dans le cadre de nos ententes permettrait d’établir un partenariat plus solide. Dans ce dossier important, l’engagement a été insuffisant.
J’en ai parlé au ministre Vandal — parce que j’avais eu vent de la réunion du mois d’août par les médias — lorsqu’il a rencontré notre Première Nation, en août. J’ai soulevé la question parce que je pensais qu’elle était importante pour les chefs des Premières Nations du Nord qui étaient favorables à une collaboration à cet égard. J’ai abordé le sujet à la réunion sur l’Arctique et le Nord qui a eu lieu à Yellowknife avec le ministre Vandal, et j’ai demandé qu’il y ait des consultations avec nos Premières Nations respectives sur cette question. J’ai aussi fait valoir, en ce qui concerne nos traités modernes, que nous devions nous assurer que nous bénéficierions de cette question importante pour nos peuples du Nord et que nous y participerions activement.
De plus, pour ce qui est de l’engagement à l’égard de ces questions, nous collaborons activement avec le gouvernement fédéral en ce qui concerne le tribunal des services à l’enfance et à la famille. Notre engagement est plus important à ce sujet, mais pour ce qui est des autres questions liées à la souveraineté dans l’Arctique, à la sécurité et aux affaires étrangères en matière de sécurité, nous ne sommes pas vraiment engagés, tandis que nous le sommes pour d’autres questions comme les changements climatiques.
Pour ce qui est de la mise en œuvre de nos accords, elle a été assez lente. L’an dernier, nous avons célébré le 25e anniversaire de la signature de notre accord, mais nous n’en avons probablement pas mis en œuvre 25 %. Le partenariat n’a pas été aussi solide pour ce qui est de la mise en œuvre de nos ententes. Ici, au Yukon, nous nous considérons comme les pionniers de l’indépendance des Premières Nations, mais nous ne pouvons progresser qu’avec nos partenaires dans la mise en œuvre de nos accords avec le gouvernement fédéral et le gouvernement du Yukon.
Merci.
La sénatrice Anderson : Merci. Dans la même veine, y a-t-il eu des mesures concrètes en réponse aux préoccupations que vous avez exprimées au Canada au sujet de la sécurité et de la souveraineté dans l’Arctique?
Mme Joseph : Je pense que la seule mesure concrète à ce jour a été de nous inviter à comparaître devant le comité permanent. À part cela, il n’y en a pas eu.
Mme Adamek : Je voulais ajouter qu’à mon avis, il est très important d’avoir la diversité des points de vue. Comme la cheffe Joseph vous l’a dit, en ce qui concerne la sécurité dans l’Arctique, les régions septentrionales du territoire ont des problèmes très précis, tout comme les régions méridionales du Yukon.
Je tiens à rappeler au comité qu’il y a, en fait, quatre points d’entrée au Yukon. Il y a Skagway, Haines, Beaver Creek, puis Eagle, sur le territoire de la cheffe Joseph. Souvent, je trouve vraiment intéressant que lorsque nous pensons à la souveraineté dans l’Arctique, c’est l’océan qui nous vient immédiatement à l’esprit plutôt que l’emplacement actuel des frontières internationales.
Nous sommes très près de l’Alaska et de la Russie. Tout récemment, j’ai entendu parler de gens qui sont partis de la Russie en bateau pour se rendre en Alaska à cause de ce qui se passe entre la Russie et l’Ukraine. C’est une possibilité réelle de ce qui peut arriver là-bas. Comment nos gouvernements des Premières Nations du Yukon peuvent-ils participer aux décisions alors que nous sommes si près de la frontière américaine? De nombreux membres de nos familles sont des citoyens américains. Je sais que dans ma nation, il y a des membres de la Première Nation de Kluane qui sont aussi des citoyens américains et qui vivent aux États-Unis. On peut dire la même chose de tant de Premières Nations du Yukon.
En ce qui concerne la sécurité et la souveraineté dans l’Arctique, je dirais que notre région n’a pas été incluse. Il s’agit d’un oubli vraiment critique parce que, comme la cheffe Joseph l’a mentionné, je dirais que toutes les Premières Nations et toutes les communautés du Yukon — et corrigez-moi si je me trompe — ont un groupe de Rangers canadiens incroyablement solide et ont joué un rôle essentiel pour assurer et maintenir ces responsabilités ici, au Yukon. Chose certaine, le temps est venu de faire des annonces concernant le financement et la planification à long terme. Les gouvernements du Yukon et des Premières Nations du Yukon doivent être inclus exactement comme vous l’avez mentionné à propos d’autres régions du Nord, en étant consultés et mobilisés, parce que les répercussions ici seront très semblables à ce que nous voyons dans tout le Nord.
La sénatrice Anderson : Mahsi’cho.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci à nos deux témoins; vos témoignages sont très, très intéressants. Je tiens à vous remercier.
Cheffe Joseph, si je comprends bien, votre communauté touche à deux territoires : le Yukon et l’Alaska, n’est-ce pas?
[Traduction]
Mme Joseph : Ma communauté est située dans le nord-ouest du Yukon, et le Yukon est adjacent à l’Alaska par la route. Nous sommes à une heure et quart de route. Nous sommes probablement à environ six heures de l’Alaska par voie fluviale, et à environ 15 minutes par avion. Les Gwitchin Vuntut sont probablement à peu près à la même distance — peut-être un peu moins —, mais ils n’ont pas d’autoroute. Par avion, il faut compter environ 15 minutes. Ils seraient probablement à environ une heure ou une heure et demie de l’océan Arctique par voie aérienne — peut-être un peu moins. Mais il n’y a pas d’autoroute vers l’océan Arctique à partir de leur communauté. Vuntut se trouve au nord de Dawson, et c’est une communauté accessible uniquement par avion.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vous pose cette question parce que j’ai cru comprendre, selon votre exposé, que vous aviez des rapports politiques à la fois avec les Américains et le Canada. Ai-je bien compris vos propos?
[Traduction]
Mme Joseph : Non. J’ai demandé que, si le Canada s’engage avec les États-Unis dans le dossier de la souveraineté et de la sécurité dans l’Arctique, nous soyons invités à participer à ces discussions.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je comprends très bien. Merci beaucoup.
Ma question est la suivante. Vous aviez raison — je ne sais pas si c’est vous ou Mme Adamek — de dire que vous êtes maintenant une société ouverte. Pendant des siècles, je dirais même des décennies, l’Arctique était formé de communautés très fermées, considérant le climat qui existait. Maintenant, on constate que c’est un milieu ouvert à l’exploitation économique, à l’exploitation des ressources, ouvert au transport maritime et ainsi de suite. C’est certain que le visage de l’Arctique ne sera plus jamais le même pour les décennies à venir.
Dans ce contexte, en tant que société ouverte sur le monde, si je puis me permettre, quel rôle voulez-vous jouer en ce qui a trait à la gestion de votre territoire, à l’autonomie de votre territoire? Quel rôle tenez-vous absolument à jouer dans votre avenir?
[Traduction]
Mme Joseph : Nos Premières Nations doivent vraiment jouer un rôle en participant aux discussions sur la souveraineté et la sécurité dans le Nord de l’Arctique. C’est important parce que, comme je l’ai mentionné, nous sommes très près de l’océan Arctique et de la frontière de l’Alaska. Il y a d’autres communautés des Premières Nations, ici au Yukon, qui sont assez près de la frontière de l’Alaska.
Il est important que nous puissions comprendre quels types de plans sont élaborés pour la souveraineté et la sécurité dans l’Arctique. Étant donné que nous sommes des Premières Nations signataires de traités modernes, nos accords prévoient que nous avons la capacité de collaborer et de cogérer les ressources sur nos territoires traditionnels respectifs. Nous considérons que la souveraineté et la sécurité dans l’Arctique font partie des activités susceptibles d’engendrer des conflits, et nous devons nous assurer que nous sommes préparés à cela dans nos territoires traditionnels. Nous devons nous assurer que les Rangers résidant dans nos territoires traditionnels disposent de l’infrastructure et de la formation dont ils ont besoin, ainsi que de la capacité de se mobiliser s’ils doivent intervenir. Nous devons faire en sorte d’augmenter leur nombre. Nous devons participer à la mise en œuvre des possibilités de développement économique décrites dans nos traités modernes et en tirer des avantages.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Madame Adamek, comme nous le savons, les Rangers canadiens sont une force que je vais qualifier de paramilitaire. Ils ne font pas partie des forces armées régulières. Or, on sait que les forces armées ont un problème majeur de recrutement. On parle de milliers de postes à combler. Les forces armées devraient-elles avoir une stratégie particulière pour recruter des membres de vos communautés pour faire partie de leurs forces régulières?
[Traduction]
Mme Adamek : Je pense que cela pourrait être possible. Je me dois de souligner que, lorsqu’il est question de défense, un grand nombre d’anciens combattants autochtones ont participé aux deux guerres mondiales et n’ont pas été traités de la même façon que les autres Canadiens, et ce n’est pas quelque chose qui échappe à notre peuple.
Il y a une Journée des anciens combattants autochtones, qui est très importante pour nous parce qu’il y avait des leaders très forts, solides et incroyables, Pete Sydney, Elijah Smith, Alex Van Bibber, pour n’en nommer que quelques-uns. Lorsqu’on a demandé ou ordonné aux Canadiens de s’engager, les Autochtones n’étaient pas inscrits sur les listes, pour ainsi dire. Ils se sont présentés parce qu’ils estimaient important de protéger notre territoire. Nos aînés les ont guidés dans cette démarche.
Pour répondre à votre question, je pense que les peuples autochtones, et plus particulièrement les Premières Nations du Yukon, ont la possibilité d’être présents partout où des décisions ou des mesures sont prises pour protéger nos terres et nos territoires.
Je pense qu’il faudrait comprendre qu’il y a aussi une volonté d’attirer plus d’Autochtones dans les services de police, par exemple. Il faut certainement changer l’approche pour s’assurer que les valeurs et la culture des peuples autochtones sont reflétées dans les programmes. Je voulais vous en faire part. Je pense qu’il y a certainement des possibilités à cet égard, mais il est important de ne pas oublier l’histoire et les raisons pour lesquelles notre peuple pourrait avoir une certaine réticence à s’engager dans cette voie.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup à vous deux. C’était très intéressant.
[Traduction]
La sénatrice M. Deacon : Merci à vous deux d’être ici aujourd’hui.
J’ai fait trois tentatives pour me rendre au Yukon, avec trois annulations, mais j’espère y aller en juillet prochain. Je suis enthousiaste à l’idée d’avoir la chance de marcher sur les routes.
Je vais poursuivre sur une question qui, je l’espère vraiment, n’est pas trop redondante et répétitive. Les relations entre le Yukon et l’Alaska ont pris différentes formes. Bien sûr, nous savons tous que vous avez une frontière commune, et nous nous attendons à ce que les relations avec le 49e État soient tout aussi importantes que vos relations avec le gouvernement fédéral, ici à Ottawa.
Étant donné que le Canada doit essayer de moderniser ses forces armées, dans le cadre de ce processus, je me demande où en sont, de votre point de vue, les relations Alaska-Yukon à l’heure actuelle, ainsi qu’avec les Premières Nations du Yukon dans le cadre de cette relation bilatérale. Je veux m’assurer que tout est bien compris aujourd’hui. Si l’une ou l’autre d’entre vous a quelque chose à ajouter, j’aimerais l’entendre.
Mme Joseph : Je pourrais ajouter qu’en ce qui concerne les relations avec le Yukon, il y a toujours eu des relations entre le gouvernement du Yukon et le gouvernement de l’Alaska. De nombreuses questions sont abordées, je crois, en ce qui concerne la gestion des espèces internationales, comme le Conseil de gestion de la harde de caribous de la Porcupine, le saumon du fleuve Yukon et le saumon du Pacifique. Ce sont quelques-uns des domaines où les relations avec les Premières Nations du Yukon font partie de ces discussions, car la cogestion de ces espèces internationales s’inscrit dans les paramètres de nos traités modernes.
Nous avons des discussions de collaboration dans ce sens, et il serait important d’entamer des discussions avec le gouvernement de l’Alaska sur ces autres questions. Je pense que le gouvernement du Canada devrait d’abord en prendre l’initiative pour participer à ce processus.
Mme Adamek : Je pense que c’est une question très importante, et je tiens à souligner que notre député, Brendan Hanley, a récemment rencontré Mary Peltola, une Autochtone de l’Alaska, qui a été réélue. Comme la cheffe Joseph l’a mentionné, il existe certaines relations intergouvernementales sur certains paramètres présentant un intérêt mutuel, au sujet de certains corridors, certaines possibilités énergétiques. Je pense au Skagway, et il y a eu des discussions au sujet de la fibre optique et du potentiel hydroélectrique. Je pense aussi aux Tlingits de la rivière Taku, qui vivent dans le nord de la Colombie-Britannique, et qui se trouvent à la frontière du Yukon. Je pense qu’il y a là une excellente occasion de renforcer davantage ces relations.
Comme la cheffe Joseph l’a mentionné, du point de vue du gouvernement des Premières Nations, et je vais parler du point de vue du sud du Yukon, il se trouve que de nombreux membres de la Première Nation de Kluane sont de l’Alaska. Ils sont d’abord et avant tout des membres de la Première Nation de Kluane, et ensuite des citoyens de l’Alaska. Cela comprend également les tribus Tlingit et Haida de l’Alaska. Nous avons des Tlingits de l’intérieur ici, au Yukon, le Conseil des Tlingits de Teslin, la Première Nation de Carcross-Tagish et les Tlingits de Taku River. Il y a aussi les récits de la migration de notre peuple, de l’Alaska vers le sud du Yukon. Lorsque vous viendrez, vous verrez cet art côtier dans une grande partie du sud du Yukon parce que c’est notre histoire. Nous sommes nombreux à être originaires du sud-est de l’Alaska et à suivre son régime de clans, et c’est la réalité du sud du Yukon.
Dans le Nord, comme la cheffe Joseph l’a mentionné, beaucoup de gens descendent la rivière Porcupine d’Old Crow jusqu’au Yukon pour célébrer le rassemblement des Gwich’in. Il y a le Conseil international des Gwich’in. Il existe des organismes. Le Conseil de l’Athabaskan arctique, par exemple, n’est pas aussi actif qu’il l’a déjà été, mais c’est certainement un organisme important pour faire entendre les voix autochtones qui sont gwich’in ou qui sont dans la réalité de la cheffe Joseph, peut-être Hän, les récits, les chansons et l’histoire. Nous n’avions pas ces frontières par le passé. Ce sont des frontières coloniales qui ont été créées. Ces récits ces histoires, ces chants, ces relations sont profondément ancrés.
Pour ce qui est d’une façon officielle de nous rencontrer, cheffe Joseph, c’est peut-être quelque chose qui pourrait se produire dans le cadre de ce processus. J’aimerais savoir ce que nos chefs du Yukon en pensent et comment ils voient cela, mais c’est certainement une excellente occasion de renforcer les relations plus politiques et intergouvernementales.
La sénatrice M. Deacon : Vous en avez toutes les deux parlé, et nous avons beaucoup discuté des Rangers canadiens. C’est un sujet qui a été abordé à quelques reprises de différentes façons, mais j’aimerais savoir ce que vous pensez toutes les deux de ce programme. Nous avons entendu parler du bien que font les Rangers et de leur importance dans les communautés, mais à votre avis, s’agit-il d’un programme avantageux pour ceux qui nous servent également? J’ai l’impression que le rôle des Rangers va continuer de croître. J’aimerais avoir une idée de ce qui incite les jeunes hommes et les jeunes femmes de vos communautés à s’engager comme Rangers ou réservistes. Que pourrait-on faire de plus pour améliorer le programme des réservistes dans le Nord? Ma question s’adresse à vous deux.
Mme Joseph : Je vous remercie de cette question.
En ce qui concerne les Rangers canadiens dans le Nord, un financement est fourni à ceux qui font partie de l’armée. Nos Rangers canadiens dans le Nord font beaucoup entraînement. Ils font de l’entraînement sur le terrain et sont allés dans toutes les régions du territoire traditionnel. Ils suivent également des formations ensemble lors de rassemblements annuels, où qu’ils aient lieu. Ils doivent tous fournir leur propre équipement. Pour ce qui est de l’entraînement sur le terrain, ils doivent fournir eux-mêmes une grande partie de leur équipement. Ils n’ont pas beaucoup d’infrastructures comme des motoneiges ou des VTT. Ils fournissent tout cela eux-mêmes. Ils doivent avoir ce genre d’équipement pour pouvoir aller sur le terrain. Autrement, ils ne pourraient pas participer à la formation.
Maintenant que nous avons des avions et des hélicoptères à notre disposition, ils devraient aussi pouvoir suivre des cours de pilotage. Ils devraient aussi pouvoir se déplacer pour suivre la formation plus poussée que peut offrir l’armée canadienne. Je pense qu’il pourrait y avoir une base dans les Territoires du Nord-Ouest, dans le Nord. Ce serait bien qu’ils participent à ce niveau d’entraînement avec l’armée, car plus il y a d’entraînement, mieux c’est. Nous devrons peut-être songer à établir une base ici, dans le nord du Yukon, pas seulement dans les Territoires du Nord-Ouest. Je ne sais pas s’il y en a une au Nunavut, mais il faudrait peut-être en avoir une ici, étant donné que nous sommes adjacents à la frontière de l’Alaska.
L’instruction des cadets est une autre étape. S’il y avait une base militaire ici, au Yukon, peut-être que de plus en plus de cadets iraient dans l’armée. À l’heure actuelle, ils suivent leur formation de cadets jusqu’à l’âge de 18 ans ou peu importe, puis ils passent à d’autres intérêts parce qu’il n’y a pas de base ici, au Yukon, où ils peuvent envisager cette carrière.
Je pense qu’on pourrait fournir beaucoup de choses aux Rangers de nos communautés. Ils n’ont même pas d’infrastructure d’entreposage et ce genre de choses. Je pense que cela pourrait aussi leur être fourni.
Je pense qu’il y a de l’intérêt pour l’armée parce qu’un certain nombre de personnes aiment aller sur le terrain, participer ensemble à l’entraînement en tant qu’adultes. Il n’y a pas beaucoup de choses que vous pouvez faire dans nos communautés du Nord parce que nous manquons d’infrastructures. La plus grande partie de l’infrastructure se trouve à Whitehorse, au Yukon, où la majorité des fonds sont investis dans l’infrastructure des loisirs et des télécommunications. Nous devons nous rendre en voiture à Whitehorse pour répondre à bon nombre de nos besoins. Il serait formidable de pouvoir fournir plus d’infrastructures.
Je pense que les participants aiment également la formation en mécanique offerte pour les petits moteurs, qui leur permet de les réparer eux-mêmes, parce que c’est nécessaire quand vous êtes sur le terrain, et aussi de l’enseigner à la jeune génération et de l’intéresser à participer, par exemple aux Rangers juniors canadiens. Je ne sais pas si toutes les communautés ont un programme des Rangers juniors, mais nous avons ce programme ici parce que nous n’avons pas de cadets. Il n’y a pas beaucoup d’activités ici. Je pense qu’une des raisons pour lesquelles les gens s’intéressent à faire partie des Rangers, c’est qu’il n’y a pas beaucoup d’activités ici dans nos petites communautés.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui.
Nous parlons de l’Arctique et de la sécurité dans le Nord. Je vous ai écoutées toutes les deux, et ce n’est pas une question de puissance militaire. Il s’agit d’autres choses qui font partie de la stratégie plus vaste sur la façon dont nous exerçons notre souveraineté sur notre propre territoire et sur la façon dont nous établissons des relations pour renforcer notre souveraineté sur le territoire du Canada.
Dans le cadre du renouvellement du NORAD, quelles sont certaines des choses que le Canada peut améliorer? Le renouvellement du NORAD entre le Canada et les États-Unis est un événement crucial. Il y aura d’énormes investissements. Il y a beaucoup d’autres choses auxquelles nous devons réfléchir. Dans certaines communautés, ce n’est peut-être pas militaire, mais c’est tout aussi important dans le contexte de la façon dont le Canada peut maintenir sa souveraineté sur son propre territoire et travailler avec la communauté, et dans le cadre de votre entente de nation à nation, sur la façon de faire progresser nos relations à l’avenir.
J’invite les deux témoins à dire ce qu’elles en pensent.
Mme Joseph : Je pense que le Canada va dans la bonne direction en renouvelant le NORAD, surtout face aux incertitudes auxquelles nous sommes confrontés dans le Nord et dans le monde en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et au niveau d’insécurité que cette situation continue de créer dans le monde. Nous sommes très près de ces pays du Nord — juste de l’autre côté de l’Alaska — ainsi que des eaux libres de l’océan Arctique. Il est important de veiller sur la sécurité de notre territoire et notre propre souveraineté dans le Nord et au Canada.
Dans le passé, nous n’avons jamais vraiment réfléchi à cela, mais de nos jours, lorsque les missiles peuvent faire beaucoup de chemin, nous devons penser différemment. Il y a des équipements plus modernes qui peuvent se déplacer en eau profonde en un rien de temps et des avions qui peuvent se déplacer assez rapidement. Nous n’avons jamais vraiment eu à penser à ce genre de choses dans le passé, et beaucoup de gens n’ont jamais vraiment pensé au Nord jusqu’ici. Le gouvernement n’a jamais pensé au Nord dans le passé, mais c’est quelque chose que nous devons faire maintenant.
Je pense qu’en renouvelant le NORAD, le gouvernement du Canada prend la question au sérieux en ce qui concerne le rôle que nous pouvons jouer dans le Nord ou dans le monde pour assurer la sécurité, et la poursuite des discussions avec ceux qui peuvent être des partenaires, en veillant à ce qu’il y ait un engagement avec les Premières Nations du Nord et des autres régions où il pourrait y avoir des répercussions au Canada.
Mme Adamek : Honorables sénateurs, en ce qui concerne le protocole régional, je laisse toujours un chef prendre la parole en premier. Les chefs sont, bien sûr, les détenteurs de droits sur notre territoire, et ils m’ont choisie pour défendre leurs intérêts et pour faciliter l’échange d’information entre eux et l’Assemblée des Premières Nations afin de transmettre les directives. Je tenais à le souligner, parce qu’il est important que vous entendiez d’abord la cheffe Joseph dans ce genre de contexte.
Le deuxième point que je voulais soulever, c’est le concept de l’infrastructure à double usage. Vous avez entendu la cheffe Joseph parler de certaines infrastructures et de leur absence. Par exemple, dans une situation d’urgence — et nous sommes nombreux à l’avoir appris pendant la pandémie de COVID-19 —, y a-t-il un vaste bâtiment où les gens peuvent se rendre au besoin? Ce ne sont pas toutes les communautés qui ont des installations comme une grande école, un gymnase scolaire ou un endroit comme, par exemple, un aréna de hockey. Je sais qu’à Ottawa, c’est là que certains vaccins étaient administrés. Nous n’avons pas tout cela dans chaque communauté. Alors voyons quel sera le double usage lorsque nous envisageons une utilisation stratégique de l’argent qui arrive dans le Nord, en nous assurant que l’infrastructure ne sera pas planifiée uniquement en fonction de ce qu’Ottawa pourrait juger être le mieux pour le Nord. C’est souvent le défi que nous devons relever en tant que résidants du Nord.
Je n’ai pas eu l’occasion de répondre à la question précédente au sujet des Rangers canadiens, mais je peux vous dire que, dans bon nombre de nos collectivités, la population de Premières Nations est de 85 % ou plus. Vous pouvez imaginer que la plupart des Rangers canadiens dans le Nord sont autochtones. Pensons-y; comment pourrait-on bonifier ce programme? Vous emmenez des jeunes dans la nature. Ces valeurs correspondent à nos valeurs autochtones.
En fait, sachant que le programme des Rangers juniors canadiens a eu beaucoup de succès, mais qu’il serait peut-être plus difficile de motiver cette génération, qui s’intéresse beaucoup à la technologie, y aurait-il des façons de mobiliser les jeunes? Pour répondre à l’une des questions que le sénateur a posées plus tôt au sujet de la façon d’inciter les jeunes à s’enrôler dans les Forces armées canadiennes, eh bien, vous faites participer les gens quand ils sont jeunes et vous les aidez à comprendre pourquoi c’est important.
Quant à l’investissement par le NORAD, il s’agit de trouver des façons de réduire au minimum les suicides dans le Nord, qui sont plus élevés que partout ailleurs dans le monde, par exemple au Nunavut. Nous agissons en mobilisant les gens et en les aidant à renouer avec la terre, parce que la terre guérit.
Il existe tellement de synergies différentes avec NORAD. Il faudrait faire en sorte que la politique intergouvernementale de très haut niveau parle davantage aux gens de la base. De quoi ont-ils besoin, et en quoi ces besoins correspondent-ils aux besoins du gouvernement fédéral en matière de sécurité dans l’Arctique? Il s’agit en grande partie d’amener les gens à renouer avec la terre.
J’admets que si l’on me confiait une motoneige par moins 35 degrés, je pourrais me promener pour quelques heures et faire un feu, mais pourrais-je survivre jusqu’au lendemain? Probablement pas. Mon père et mes oncles le pouvaient, et mon oncle fait partie des Rangers canadiens. Ce sont là les compétences que bon nombre de nos aînés possèdent en tant qu’habitants du Nord, tout comme la génération qui m’a précédé. Toutefois, quand on pense à certains de nos jeunes, on constate que le besoin chez eux est réel. Il s’agit d’un besoin profond chez les jeunes Autochtones.
De plus, la lutte contre les changements climatiques et leur atténuation font partie de ce travail. La façon de se rendre sur le lac Kluane n’est pas la même qu’il y a dix ans parce que son niveau a chuté de 10 pieds. Comment le Canada peut-il, comme État-nation, comment pouvons-nous, comme Premières Nations du Yukon, nous adapter aux changements profonds du territoire. Comment pouvons-nous faire en sorte que nos jeunes continuent à participer à ces programmes comme les Rangers juniors canadiens, ou à participer à tout programme lié à la sécurité dans l’Arctique d’une manière qui reflète nos valeurs et qui transmette également aux jeunes certains de nos enseignements?
Je sais que ce sont de très petits exemples, sénateur, mais je pense qu’il est vraiment important de mieux comprendre ce qui se passe sur le terrain et les façons dont certains de ces jeunes peuvent obtenir des crédits d’études secondaires ou les utiliser quand ils font des demandes d’admission à l’université, si c’est ce qu’ils choisissent. S’ils choisissent un cheminement de carrière différent, comme dans les Forces armées canadiennes, par exemple, ou s’ils veulent devenir menuisiers, ou s’ils veulent écrire au sujet de la souveraineté dans l’Arctique, peu importe ce qu’ils choisissent de faire, ils devraient être assistés dans leurs choix. C’est là que je pense que cet investissement dans le NORAD pourrait vraiment soutenir les priorités que les Premières Nations du Yukon ont déjà fait valoir auprès du gouvernement fédéral.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à la cheffe Joseph. Madame la cheffe, l’approvisionnement en aliments et en biens essentiels fait souvent partie des problèmes qui sont évoqués dans les discussions sur la mise en place, entre autres, de programmes gouvernementaux. Pour nous aider à mieux comprendre, pourriez-vous nous faire un bref portrait de ces problèmes d’approvisionnement et nous parler des solutions possibles pour essayer de corriger la situation?
[Traduction]
Mme Joseph : Je vous remercie de cette question. Elle est vraiment appréciée.
Depuis la pandémie de la COVID-19, le taux d’inflation dans le Nord a monté en flèche, surtout pour les habitants d’Old Crow, les Vuntut. Ils doivent débourser 100 $ pour un melon d’eau. Je compatis vraiment avec ceux qui vivent de l’aide sociale parce que je crois qu’ils ne peuvent vraiment pas se procurer assez de nourriture pour tout le mois en raison des coûts. C’est la même chose ici, à Dawson. Nous sommes la deuxième collectivité la plus septentrionale du Yukon, et l’inflation nous a créé de sérieux problèmes quant à la nourriture. À chaque trimestre, le coût de l’épicerie augmente de façon marquée. Alors qu’on pouvait acheter pour 100 $ d’aliments et repartir avec quelques sacs il y a un an, aujourd’hui, ces 100 $ suffiraient à peine à remplir un seul sac d’épicerie.
La sécurité alimentaire dans le Nord est une véritable préoccupation, car notre climat est froid en hiver et nous n’avons pas beaucoup de possibilités de culture ici en l’absence d’infrastructures. La plupart de nos Premières Nations dans le Nord, au Yukon, n’ont pas de serres quatre saisons. Nous sommes nombreux à avoir créé de petits jardins pour assurer une certaine sécurité alimentaire, mais ce n’est vraiment pas suffisant. Le réchauffement de la planète a durement touché notre saumon. Nous n’avons pas pu pêcher de saumon chinook ou chum cette année dans le fleuve Yukon ou la rivière Porcupine, où le saumon migre également. Nos aliments traditionnels sont en déclin.
Quant au caribou de la Porcupine, bien que son nombre soit élevé, je pense qu’il n’y a pas suffisamment d’études sur l’impact des activités pétrolières, gazières ou minières sur sa route de migration naturelle vers notre territoire traditionnel. Soit cela, soit le réchauffement climatique produit des gaz de méthane qui les empêchent de se rendre sur notre territoire traditionnel et de migrer vers le Yukon. Les caribous sont surtout restés dans le Nord et en Alaska au cours des dernières années, de sorte qu’il a été difficile pour nos communautés du Nord d’avoir accès à des aliments traditionnels.
De plus, la population du Yukon s’est accrue au fil du temps, ce qui signifie que de plus en plus de gens chassent et pêchent, ce qui a également eu des effets sur nous et sur le nombre d’orignaux dont nous dépendons.
Le réchauffement climatique a de nombreuses répercussions sur les sources d’alimentation traditionnelles. Dans le Nord, la sécurité alimentaire est toujours un problème. Des camions doivent emprunter la route de l’Alaska depuis le sud pour apporter de la nourriture dans le Nord. Ils doivent faire au moins deux ou trois jours de route à partir des emplacements de grands fournisseurs. Pour ce qui est d’Old Crow, le transport doit se faire par avion. Certaines de nos communautés n’ont qu’un très petit magasin ou un petit dépanneur qui offre des produits généraux. Donc, en gros, ceux qui peuvent se le permettre doivent se rendre à Whitehorse pour acheter des caisses entières d’aliments, mais tous ne peuvent se le permettre.
Le programme de petits déjeuners pour les enfants dans nos collectivités est vraiment formidable. C’est vraiment apprécié. Il pourrait également être nécessaire de mettre en place un programme de déjeuners dans certaines des collectivités plus au nord en raison du coût élevé des aliments. Même s’il existe un programme de petits déjeuners, il y a encore probablement des enfants qui n’ont pas de nourriture autre que celle que leur procure le programme de petits déjeuners. Si leur famille est bénéficiaire de l’aide sociale, cela ne les aidera pas vraiment à se nourrir pendant tout un mois.
Marsee.
La sénatrice Anderson : Moi qui suis Inuk et qui ai fait partie de l’équipe de négociation de l’entente d’autonomie gouvernementale des Inuvialuit, j’ai constaté que les discussions et les négociations avec le gouvernement du Canada sont cloisonnées et parfois superficielles. Au lieu d’attendre que le gouvernement du Canada agisse, n’y aurait-il pas un moyen stratégique pour les titulaires de droits de faire un changement de paradigme et de diriger les discussions sur l’engagement collectif en matière de défense, de sécurité et de souveraineté dans l’Arctique? Est-ce une option?
Mme Joseph : À mon avis, l’accès au financement des capacités pourrait être une option. En travaillant en partenariat avec d’autres, nous pourrions élaborer un certain niveau de programmation. Je sais qu’en travaillant avec les Rangers ici, nous pouvons bonifier ce qui leur est fourni à l’heure actuelle. Je crois qu’ils pourraient développer leurs capacités et leurs aptitudes s’ils pouvaient suivre des cours de formation avec les forces armées.
En septembre, j’ai rencontré un jeune garçon au magasin et je lui ai demandé comment il allait. Il m’a répondu qu’il allait bien et que sa famille allait déménager à Whitehorse. Je lui ai demandé s’il allait à Whitehorse pour travailler. Il a répondu qu’il y allait pour une visite, puis qu’il chercherait à s’engager dans l’armée. Il avait peut-être 15 ou 16 ans. Il devait aller dans le sud pour cela. Un jeune garçon qui ne possède pas une grande expérience du monde songe à faire cela simplement pour obtenir une formation, mais il doit voyager très loin pour le faire, sans soutien familial. Cela est difficile, et je pense que plus de gens souhaiteraient rester au Yukon si nous avions des infrastructures.
Mme Adamek : Je vous remercie de la question.
Comme l’a dit la cheffe Joseph, il me revient à l’esprit une époque que je n’ai pas connue et la façon dont les choses se sont très mal passées quant à un grand nombre de changements importants qui ont touché les Premières Nations du Yukon. En 2022, il existe de merveilleuses possibilités de mettre en œuvre des modèles de cogouvernance et des partenariats, grâce au leadership et aux capacités éprouvées des gouvernements des Premières Nations du Yukon en matière de projets, d’initiatives et d’infrastructures. Essentiellement, nous avons nos propres plans. Nous avons notre propre vision. Nous avons un leadership incroyable ici, dans le territoire. Je dirais que c’est un moment où l’on pourrait assister à un renouvellement de la relation en aidant les Premières Nations du Yukon à prendre les devants dans le domaine de la défense et de la sécurité dans l’Arctique.
Sénatrice, je tiens à vous remercier de votre travail de négociatrice. Je ne peux imaginer ce que cela a pu être à une époque où autant d’idées fausses circulaient encore au sujet de notre peuple. Je pense au parc national Ivvavik, qui se trouve à l’extrémité la plus au nord du territoire. Quand nous parlons de ces modèles de partage, on peut regarder un grand nombre de parcs nationaux qui existent ici et qui sont cogérés par notre peuple. Nous avons des conseils sur les ressources renouvelables. Nous avons des processus dans le cadre desquels les conseils et les comités qui prennent des décisions sur les grands projets incluent la représentation des Premières Nations du Yukon, ce qui n’a jamais été le cas par le passé. Nos ententes définissent la voie à suivre et, à mon avis, elles doivent nous fournir l’orientation dont nous avons besoin aujourd’hui.
Les Premières Nations du Yukon veulent-elles participer? Je dirais que oui. Nous avons beaucoup entendu parler de ce sujet lors de nos sommets des chefs. Le soutien et le renforcement des capacités par le biais du financement du NORAD pourraient permettre à des nations comme les Tr’ondëk Hwëch’in et la Première Nation de Kluane de s’engager davantage sur cette question particulière et de passer des conversations et des réflexions aux rôles et responsabilités réels et peut-être d’examiner les façons dont certains de ces pouvoirs pourraient être délégués à d’autres gouvernements, comme les gouvernements des Premières Nations du Yukon; par exemple. Je vais m’arrêter ici.
Le président : Merci à vous deux. Je vous remercie, sénatrice Anderson, pour cette excellente dernière question et je remercie nos témoins pour leurs réponses très complètes et utiles.
Cela nous amène à la fin de notre réunion de ce soir. Je tiens à vous remercier très sincèrement, cheffe Joseph et cheffe Adamek, ainsi que les autres témoins d’aujourd’hui, de nous avoir guidés à travers cette très importante série de discussions. Votre contribution aujourd’hui nous est extrêmement utile. Nous vous remercions de votre temps, de votre participation et de votre générosité en nous faisant part de votre expérience et de vos conseils. Nous ne pourrions pas y arriver sans vous. Nous avons écouté très attentivement ce que vous nous avez dit aujourd’hui, et je suis convaincu qu’une grande partie de vos propos se reflétera dans nos délibérations. Au nom du comité et du Sénat du Canada, nous vous en remercions infiniment.
Chers collègues, notre prochaine réunion aura lieu lundi prochain, le 5 décembre, à l’heure habituelle de 16 heures, heure de l’Est. Sur ce, je vous souhaite à tous une bonne soirée.
(La séance est levée.)