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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 6 février 2023

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 16 heures (HE), avec vidéoconférence, afin d'examiner, pour en faire rapport, les questions relatives à la sécurité et à la défense dans l’Arctique.

Le sénateur Tony Dean (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Je suis Tony Dean, sénateur de l’Ontario, président du comité, et je suis accompagné aujourd’hui de plusieurs de mes collègues membres du comité et d’autres aussi se joindront à nous. Jean-Guy Dagenais représente le Québec. Le sénateur Dagenais est le vice-président du comité. Nous avons Pierre-Hugues Boisvenu, qui représente le Québec; Victor Oh, qui représente l’Ontario; et Hassan Yussuff, qui représente l’Ontario. Comme je l’ai dit, d’autres encore suivront.

Pour ceux qui regardent la séance d’aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur la sécurité et la défense dans l’Arctique, y compris l’infrastructure militaire et les capacités de sécurité.

La séance d’aujourd’hui porte sur le rôle de l’OTAN, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, dans l’Arctique. Nous avons le plaisir d’accueillir, par vidéoconférence depuis Bruxelles, M. David Angell, ambassadeur et représentant permanent dans la Délégation conjointe du Canada à l’OTAN, et le vice-amiral Scott Bishop, représentant militaire du Canada auprès de l’OTAN avec les Forces armées canadiennes.

Merci beaucoup à vous deux de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous avons hâte de vous entendre. Nous allons commencer par vous inviter à présenter vos déclarations liminaires, qui seront suivies des questions de nos membres. Monsieur Angell, vous pouvez commencer quand vous êtes prêt.

David Angell, ambassadeur et représentant permanent, Délégation conjointe du Canada à l’OTAN : Merci, monsieur le président, et bon après-midi.

[Français]

Je vous remercie, monsieur le président, de me donner l’occasion de comparaître devant le comité alors que vous examinez le rôle de l’OTAN dans l’Arctique.

Je suis accompagné de mon collègue, le vice-amiral Scott Bishop, représentant militaire du Canada auprès de l’OTAN.

Le Grand Nord est une région qui suscite un intérêt croissant à l’OTAN, en raison des conséquences géostratégiques du changement climatique et de l’adhésion anticipée de la Finlande et de la Suède à l’OTAN.

Le Canada est reconnaissant de l’attention que l’OTAN porte à cette région et de sa prise de conscience croissante des capacités et des ambitions de ses concurrents stratégiques.

Le Grand Nord est une région fortement touchée par les enjeux plus vastes auxquels l’OTAN est confrontée, à savoir le regain de tensions avec la Russie et les ambitions de plus en plus affirmées de la Chine qui affectent la sécurité euroatlantique.

Monsieur le président, du point de vue des commandements militaires, le Grand Nord comprend deux régions stratégiques. L’une d’elles est le Grand Nord ou Grand Nord européen, la région située à l’intérieur et à proximité immédiate de la zone de responsabilité (AOR), du commandant suprême des forces alliées en Europe. C’est la partie du Grand Nord où l’OTAN joue un rôle direct. Géographiquement, elle comprend le Groenland, l’Atlantique Nord, la zone stratégique incluant le Groenland, l’Islande et le Royaume-Uni (GIUK), la mer de Norvège, et, bien sûr, la partie septentrionale de l’Europe.

La seconde est la région arctique de l’Amérique du Nord. Celle-ci n’est pas une région où l’OTAN joue un rôle direct. Elle est plutôt placée sous le commandement des deux alliés nord-américains par l’intermédiaire du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD), qui est binational, du US Northern Command et du Commandement des opérations interarmées du Canada. Cette distinction est importante en matière de commandement, mais aussi parce que les deux régions ont des caractéristiques différentes.

Le Grand Nord européen est de plus en plus contesté sur le plan militaire, tandis que l’Arctique nord-américain est relativement stable sur le plan stratégique. Cependant, la région arctique n’est pas exempte de tensions et le Canada reste attentif à l’impact des conflits géopolitiques en cours et aux activités de ses adversaires, et il prend des mesures si nécessaire.

En d’autres termes, nous cherchons une approche qui est claire quant aux défis et aux menaces auxquels nous sommes confrontés, tout en évitant de faire monter les tensions par inadvertance.

Nous ne voyons pas la nécessité, pour l’OTAN, d’assumer un rôle opérationnel dans l’Arctique nord-américain, mais nous encourageons l’OTAN à maintenir une connaissance de la situation en ce qui concerne cette région. Par exemple, le premier ministre Trudeau a accueilli le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, au Nunavut en août dernier, et les alliés sont souvent invités aux exercices NANOOK dans l’Arctique canadien. Nous sommes également favorables à ce que l’OTAN renforce davantage son rôle opérationnel dans le Grand Nord européen.

[Traduction]

Monsieur le président, permettez-moi d’insister sur quatre points.

Le premier est de réitérer le fait que le Grand Nord européen est un espace plus contesté que l’Arctique nord-américain. Le Grand Nord européen abrite la Flotte du Nord de la Russie, qui revêt une importance stratégique énorme pour la Russie. En temps de crise, la Flotte du Nord pourrait être utilisée pour menacer les voies de communication maritimes entre l’Amérique du Nord et l’Europe.

Le nouveau concept stratégique, adopté par les dirigeants lors du sommet de Madrid en juin 2022, reconnaît ce défi stratégique. Au paragraphe 8, on peut lire :

Dans le Grand Nord, [l]a capacité [de la Russie] à entraver le renfort d’Alliés par le nord de l’Atlantique ainsi que la liberté de navigation dans cette zone constitue un défi stratégique pour l’alliance.

Plus généralement, la poursuite du renforcement militaire et des essais d’armes de la Russie dans le Grand Nord demeure inquiétante.

Deuxièmement, étant donné l’importance stratégique du Grand Nord pour la Russie, nous pouvons nous attendre à ce qu’elle y maintienne son attention et ses investissements militaires. L’Arctique russe est essentiel pour l’économie russe. Environ 20 % du PIB de la Russie et 30 % de ses exportations proviennent de son Arctique. Les capacités militaires de la Russie dans le Grand Nord soutiennent également les efforts de Moscou pour développer la route maritime du Nord et exploiter les ressources naturelles.

En outre, l’affaiblissement général des forces conventionnelles de la Russie dû à la guerre en Ukraine conduit, du moins en théorie, à un recours accru à la dissuasion nucléaire. Une grande partie des capacités nucléaires russes opèrent dans le Grand Nord.

Je voudrais également souligner que, malgré les difficultés rencontrées sur le champ de bataille contre l’Ukraine — les difficultés qu’elle rencontre, en d’autres termes —, la plupart des capacités russes haut de gamme dans le Grand Nord, comme les sous-marins, restent largement intactes.

Troisièmement, le changement climatique ouvre le Grand Nord à davantage d’activités économiques et militaires. Cela va également augmenter la vulnérabilité de l’Arctique nord-américain. Le nouveau concept stratégique reconnaît que le changement climatique est un défi déterminant et un multiplicateur de menaces qui peut exacerber les conflits, la fragilité et la concurrence géopolitique et nuire au fonctionnement de nos forces armées. Cet impact est particulièrement aigu dans le Grand Nord qui, même s’il reste un environnement opérationnel difficile, deviendra plus accessible tant aux pays arctiques qu’aux pays non arctiques.

C’est l’une des raisons pour lesquelles le Canada a proposé d’accueillir un Centre d’excellence de l’OTAN pour le changement climatique et la sécurité, qui sera situé à Montréal et deviendra opérationnel en 2023 ou 2024. Les répercussions du changement climatique sur les environnements de sécurité de l’Arctique et du Grand Nord seront parmi les sujets que le Canada et ses alliés et partenaires pourraient aborder dans le cadre de ce centre. Les centres d’excellence de l’OTAN fonctionnent en dehors des chaînes de commandement militaires. Le Centre d’excellence de l’OTAN pour le changement climatique et la sécurité constituera donc une plateforme inoffensive qui permettra de suivre de plus près et de mieux comprendre les répercussions géostratégiques du changement climatique, notamment dans le Nord.

Quatrièmement, la Chine est un État autoproclamé proche de l’Arctique, selon sa politique arctique de 2018. L’incident du ballon de cette semaine est un rappel du vif intérêt de la Chine envers notre continent — Arctique y compris. Dans le nouveau concept stratégique, les dirigeants de l’OTAN se sont engagés à travailler ensemble pour relever les défis systémiques posés par la Chine à la sécurité euro-atlantique.

Comme le note également le concept stratégique, les ambitions déclarées et les politiques coercitives de la Chine remettent en cause les intérêts, la sécurité et les valeurs de l’OTAN. L’approfondissement du partenariat stratégique entre la Chine et la Russie va également à l’encontre de nos valeurs et de nos intérêts. Il convient de noter les signes d’une collaboration croissante entre la Russie et la Chine dans le Nord. Compte tenu de l’isolement accru de la Russie à la suite de sa guerre d’agression en Ukraine, et alors que la Chine continue de chercher des occasions d’accroître son influence dans la région, il est possible que cette coopération s’intensifie.

Monsieur le président, les cinq alliés arctiques de l’OTAN — le Canada, le Danemark, l’Islande, la Norvège et les États-Unis — jouent collectivement le rôle principal au sein de l’alliance dans la protection du Grand Nord. Cette démarche est conforme à l’approche globale de l’OTAN, selon laquelle les alliés sont appelés à jouer un rôle de premier plan dans leur environnement immédiat. Les cinq alliés arctiques de l’OTAN deviendront bientôt sept avec l’adhésion prévue de la Finlande et de la Suède. L’adhésion de la Finlande et de la Suède renforcera encore les défenses de l’OTAN dans le Grand Nord, car ces deux pays disposent de forces armées très compétentes, dotées d’une expertise et de capacités considérables en matière de froid. Leur adhésion renforcera les capacités de l’OTAN dans le Grand Nord, et donc sa capacité à assurer la sécurité dans cette région essentielle pour le Canada.

Je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup, monsieur l’ambassadeur, pour ces remarques. Je sais qu’elles susciteront beaucoup d’intérêt et de questions de la part de nos membres autour de la table.

[Français]

Vice-amiral Scott Bishop, représentant militaire du Canada à l’OTAN, ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes : Merci, monsieur le président. Je suis très content d’être ici aujourd’hui pour répondre à vos questions concernant l’OTAN et le Grand Nord.

Le Grand Nord est l’expression utilisée par l’OTAN pour identifier la partie européenne de l’Arctique qui est sous la responsabilité du SACEUR, c’est-à-dire le Supreme Allied Commander Europe. Le Grand Nord n’inclut pas le territoire canadien dans l’Arctique.

L’OTAN s’intéresse depuis longtemps au Grand Nord européen et y mène des activités militaires depuis plusieurs décennies.

Comme mentionné par l’ambassadeur Angell, une partie importante des forces de dissuasion nucléaire stratégique de la Russie se trouve dans la région de la presqu’île de Kola, qui borde le nord de la Finlande. D’ailleurs, la Flotte du Nord de la marine russe est aussi basée dans la région, plus précisément à Mourmansk.

[Traduction]

Dans ce contexte, l’OTAN a toujours reconnu l’importance stratégique de la mer du Nord et de la zone Groenland-Islande-Royaume-Uni. Ces voies maritimes offrent aux forces navales russes des moyens d’approche pour menacer les lignes de communication stratégiques de l’OTAN entre l’Amérique du Nord et l’Europe.

Au cours des dernières années, l’intérêt de l’OTAN pour la région du Grand Nord n’a cessé de croître, compte tenu des investissements importants réalisés par la Russie pour améliorer sa propre capacité militaire dans la région arctique. Bien entendu, les attaques illégales et non provoquées de la Russie contre l’Ukraine n’ont fait qu’accroître les inquiétudes quant aux intentions à long terme de la Russie, y compris dans l’Arctique.

Ces dernières années, l’alliance a pris un certain nombre de mesures pour renforcer sa dissuasion et son dispositif de défense dans le Grand Nord, principalement en augmentant sa présence militaire et son cycle d’exercices. Par exemple, les forces navales permanentes de l’OTAN patrouillent régulièrement la zone Groenland-Islande-Royaume-Uni et la mer de Norvège. L’OTAN déploie aussi régulièrement des capacités de défense aérienne dans la région, notamment des missions de police aérienne basées en Islande et une force d’alerte de réaction rapide basée en Norvège.

L’OTAN organise régulièrement des exercices dans le Grand Nord pour démontrer à la Russie sa capacité de dissuasion, ainsi que pour renforcer la compétence experte de l’alliance en matière d’opérations dans cet environnement redoutable. Tout récemment, l’alliance a mené son plus grand exercice dans le Grand Nord depuis la fin de la guerre froide. Accueilli par la Norvège, cet exercice appelé Cold Response 2022 a vu la participation de plus de 32 000 marins, aviateurs et soldats de l’OTAN, dont un petit contingent du Canada. L’OTAN a également pris des mesures pour améliorer ses capacités de commandement et de contrôle dans le Grand Nord.

En 2019, un nouveau commandement de forces interarmées a été créé à Norfolk, en Virginie, lequel est responsable d’une vaste zone comprenant l’Atlantique Nord, la mer de Norvège, les îles britanniques, le Groenland, l’Islande et la Norvège. Le Commandement des forces conjointes de Norfolk est également chargé d’établir des plans militaires afin que l’OTAN puisse réagir rapidement à toute menace dans le Grand Nord européen.

Enfin, l’OTAN travaille à l’élaboration d’une nouvelle famille de plans de dissuasion et de défense qui inclura la région du Grand Nord de l’OTAN. Ces plans intégreront à terme la Suède et la Finlande lorsqu’elles deviendront membres à part entière de l’alliance.

Nous sommes convaincus que l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’alliance renforcera considérablement la posture de dissuasion et de défense de l’OTAN. Ces pays apporteront à l’OTAN des capacités militaires importantes et, comme le Canada, ils ont tous deux une grande expérience des opérations dans les conditions très difficiles du Grand Nord.

Je conclurai en disant que, bien que le Grand Nord soit une région importante pour l’OTAN, ce n’est pas son seul centre d’intérêt. L’alliance a toujours insisté sur le fait qu’elle devait avoir une vision à 360 degrés des menaces que représentent la Russie et les groupes terroristes. Le Grand Nord n’est qu’une des nombreuses régions sur lesquelles l’OTAN se concentre.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de parler de l’intérêt de l’OTAN pour la région du Grand Nord européen, et je me réjouis de répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir sur le sujet.

Merci, monsieur le président. Je suis prêt à répondre à toutes les questions que vous ou votre comité pourriez avoir.

Le président : Merci beaucoup, vice-amiral.

Je signale que la sénatrice Donna Dasko, qui représente l’Ontario, la sénatrice Marty Deacon, qui représente l’Ontario, et le sénateur Clément Gignac, qui représente le Québec se sont maintenant joints à nous.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux témoins. Ma première question s’adresse à l’ambassadeur Angell.

Monsieur l’ambassadeur, on a accusé à maintes reprises la Chine de faire de l’espionnage. Cela ne m’impressionne pas trop parce que j’ai la conviction que les Américains, les Britanniques, les Français et les Allemands font aussi de l’espionnage — et j’espère que le Canada en fait et qu’il en est capable aussi.

Cela dit, en juillet 2021, l’OTAN appuyait un groupe de pays qui soutenaient que la Chine menait une campagne globale de cyberespionnage. Dix-huit mois plus tard, quel genre d’information avez-vous à ce sujet? Croyez-vous que le Canada est aussi bien équipé que les autres pays de l’OTAN pour contrer le cyberespionnage?

M. Angell : Monsieur le président, je vous remercie de cette question.

Je ne peux pas parler de l’étude qui a été faite en juillet, mais je peux constater que premièrement, l’OTAN prend le cyberespionnage très au sérieux. Il figure parmi les cinq domaines stratégiques de l’alliance et est aussi important que la marine, le terrain et l’espace, maintenant.

Le Canada fait partie des pays possédant le plus de capacités dans ce domaine et il joue un rôle très important. La Chine, bien sûr, fait partie des acteurs que nous suivons, mais le Canada est parfaitement engagé dans l’important effort de l’OTAN dans le domaine du cyberespionnage.

Merci.

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur l’ambassadeur. Ma question s’adresse maintenant au vice-amiral Bishop.

Vice-amiral Bishop, vous comprendrez que l’incident du ballon chinois qui est passé au-dessus du Canada pour ensuite se retrouver au Montana, et traverser les États-Unis avant d’être abattu au-dessus de l’Atlantique soulève bien des questions d’insécurité.

Est-ce que les Chinois viennent de faire la démonstration de l’inefficacité de notre système de détection des ennemis qui peuvent arriver par l’Arctique?

Vam Bishop : Merci pour la question, monsieur le sénateur.

Selon moi, la situation avec le ballon est bien comprise par le commandement de NORAD, notre commandement en matière de défense aérospatiale.

[Traduction]

Je pense que c’est toujours un défi de traiter de ces questions, mais je suis convaincu que notre Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord est bien placé pour être en mesure de comprendre et de maintenir une conscience situationnelle de ce qui se passe au-dessus de notre région.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Maintenant, pour continuer sur le même sujet, monsieur le vice-amiral, est-ce que ce sont les Américains ou les Canadiens qui ont signalé sa présence? Pourquoi n’a-t-on pas pu l’abattre avant qu’il n’entre en territoire américain? Ce que je veux savoir, c’est si nos équipements actuels sont assez performants pour que le Canada puisse agir par lui-même.

[Traduction]

Vam Bishop : Encore une fois, c’est une très bonne question. C’est une question que le Canada et les États-Unis étudient de près. Cela fait partie de nos efforts pour moderniser les systèmes de défense aérienne nord-américains. Cette modernisation portera sur une toute nouvelle série de capteurs et permettra de s’assurer que nous avons les capacités nécessaires pour défendre le continent nord-américain.

Nous prenons cela très au sérieux. La défense de l’Amérique du Nord et de l’espace aérien au-dessus de l’Amérique du Nord est une responsabilité binationale partagée également entre les États-Unis et le Canada. Nous travaillons en étroite collaboration pour nous assurer que nous restons conscients des menaces qui s’exercent sur l’Amérique du Nord.

La surveillance par ballons n’est probablement pas une chose à laquelle les gens pensent très souvent, mais pour les commandants qui travaillent dans cet espace problématique, c’est quelque chose qu’ils connaissent bien.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’aimerais revenir à l’ambassadeur Angell, plus particulièrement sur la question de l’Arctique. Des témoignages nous signalent un déploiement plus grand des Russes dans le Grand Nord. Compte tenu des réactions occidentales face à l’invasion de l’Ukraine et des menaces possibles pour le Canada, est-ce qu’il y a encore des contacts avec les Russes au sujet de l’Arctique, et si oui, où en sommes-nous?

M. Angell : Je vous remercie de cette question. À ma connaissance, il y a très peu de contacts avec les Russes depuis l’invasion de l’Ukraine. Il y avait un dialogue au sujet des questions de sécurité dans le Grand Nord, mais pour presque tous les alliés, il y a maintenant très peu de contacts avec les Russes. À ma connaissance, il n’y a pas de contacts avec les Russes en ce qui concerne notre région arctique.

[Traduction]

J’aimerais ajouter quelque chose à la question précédente. Il y a eu une coopération extrêmement étroite entre le Canada et les États-Unis en réponse à l’incident du ballon. Bien sûr, la décision a été prise d’abattre le ballon une fois qu’il n’était plus au-dessus d’une masse terrestre, une fois écarté le risque que des débris puissent blesser des personnes. Cela s’est produit seulement après le passage du ballon dans l’espace aérien américain.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’aurai d’autres questions au deuxième tour. Merci beaucoup, monsieur l’ambassadeur.

[Traduction]

Le président : J’accueillerais volontiers d’autres remarques de chacun d’entre vous si vous souhaitez ajouter aux remarques de vos homologues. Nous adopterons ce modèle, si vous le souhaitez.

Le sénateur Oh : Ma question s’adresse à vous deux. L’un ou l’autre d’entre vous peut répondre à cette question. Tout d’abord, je remercie les témoins de leur présence.

Comment le rôle de l’OTAN dans la gestion de l’environnement de sécurité dans l’Arctique a-t-il changé au cours des dernières années? Y a-t-il un changement particulier dont le comité devrait être informé? Pouvez-vous nous mettre à jour sur cette situation particulière?

M. Angell : Je pense que le représentant militaire peut être en mesure de répondre à cette question plus directement que moi. J’aimerais souligner que le rôle de l’OTAN en ce qui concerne le Nord est certainement en train d’augmenter et de devenir plus robuste, mais, du côté de l’OTAN, cela concerne le Grand Nord européen, pas l’Arctique nord-américain. Cependant, il y a un plus grand nombre d’exercices et de discussions. Je pense que le représentant militaire, ou le REPMIL, peut nous parler de certaines des activités militaires supplémentaires qui se produisent.

Vam Bishop : Je vous remercie de cette question. Comme je l’ai mentionné dans mon exposé, l’OTAN a fait beaucoup pour améliorer ses opérations dans le Grand Nord. En 2019, elle a créé un nouveau commandement de forces interarmées qui est chargé de s’occuper non seulement de l’Atlantique Nord, mais aussi de la région du Grand Nord, qui est d’une importance cruciale pour l’OTAN. Une partie de son travail au Commandement des forces interarmées de Norfolk consiste à élaborer un plan régional, qui fait partie de la suite ou de la famille de plans du commandant suprême des Forces alliées, afin de pouvoir assurer la dissuasion et la défense de l’alliance. Une partie importante de ce plan est évidemment axée sur le Nord.

Un autre domaine sur lequel l’OTAN s’est concentrée pour accroître ses capacités dans le Nord est la multiplication des exercices. L’OTAN travaille avec les pays à l’élaboration de programmes d’exercices visant à donner aux troupes, au personnel aérien et aux marins une plus grande expérience des opérations dans la région du Grand Nord, en leur permettant d’utiliser des navires et des aéronefs dans ces conditions environnementales difficiles et de s’exercer à d’autres aspects des opérations militaires dans l’Arctique, comme la logistique et le soutien, et d’être en mesure de soutenir les forces qui opèrent loin des bases logistiques. Ce régime d’exercices se poursuivra à l’avenir. Il fait partie de la nouvelle planification de la dissuasion et de la défense que l’OTAN entreprend.

Un autre domaine que l’OTAN s’efforce d’améliorer est celui des Centres d’excellence pour les opérations par temps froid, qui ont été créés en Norvège il y a quelques années. Le Canada travaille régulièrement avec ce centre d’excellence pour partager les leçons et l’expérience de ce que cela signifie de travailler dans l’Arctique.

C’est une très bonne question, mais l’OTAN se concentre beaucoup sur l’Arctique. Il y a un certain nombre de nations au sein de l’alliance qui sont des nations centrées sur le Nord, y compris le Canada, et ces nations ont tendance à travailler ensemble pour s’assurer que l’OTAN accorde une attention appropriée à cette région.

Le sénateur Oh : Je veux donner suite à une question posée par le sénateur Dagenais au sujet du ballon. J’ai fait une recherche sur Google et sur Internet, et j’ai découvert que, pendant la Seconde Guerre mondiale, 5 000 ballons ont été envoyés par les Japonais en Amérique du Nord. Évidemment, plus de 2 500 d’entre eux ont probablement atteint la terre ferme en Amérique du Nord.

Le ballon qui est entré dans notre espace aérien est-il un ballon-espion ou simplement un ballon de surveillance météorologique?

Vam Bishop : C’est une bonne question. Je pense qu’il est prématuré d’avancer des hypothèses sur l’objectif exact du ballon. On s’efforce présentement d’essayer de vérifier quelle était la charge utile du ballon.

Comme cela a été mentionné, l’envoi de ballons au-dessus de l’Amérique du Nord n’est pas une nouveauté. C’est une idée qui existe depuis un certain temps. C’est bon marché et relativement efficace, bien que vous soyez à la merci des vents, et cetera. Ce n’est pas un moyen précis de recueillir de l’information. C’est une chose à laquelle, évidemment, nous devons prêter attention, car nous faisons partie du NORAD depuis de nombreuses années.

M. Angell : Je pourrais compléter la réponse du vice-amiral Bishop en soulignant que l’information était absolument correcte. Cependant, aux États-Unis, le secrétaire Blinken a rejeté la caractérisation du ballon comme étant météorologique.

Le président : Merci pour cet ajout.

La sénatrice M. Deacon : Merci à nos invités d’être ici aujourd’hui. Ma question, que j’adresserai d’abord à l’ambassadeur Angell, concerne les candidatures de la Finlande et de la Suède à l’OTAN. J’aimerais avoir une idée de notre coopération militaire dans ces pays à l’heure actuelle et savoir comment, en dehors de l’article 5, l’adhésion à l’OTAN changerait cette dynamique de votre point de vue.

Vam Bishop : Merci. Je peux commencer sur ce point. Je dirais que nous avons toujours eu d’excellentes relations avec la Finlande et la Suède. Même si elles n’ont pas été membres de l’alliance, elles ont coopéré étroitement avec un grand nombre de commandements de l’alliance pour résoudre les problèmes de défense et de sécurité. Ces deux pays apportent de très bonnes capacités à l’alliance. Nous nous comprenons mutuellement. Nous avons travaillé ensemble dans le cadre de formations et d’opérations ailleurs dans le monde pendant de nombreuses années.

Pour ce qui est du changement de dynamique, je pense que, dans l’ensemble, cela renforcera l’alliance. Il y a beaucoup d’avantages à avoir la péninsule scandinave au sein de l’alliance de l’OTAN. D’un point de vue militaire, je pense que c’est une évolution très positive. Je ne parlerai pas des aspects politiques, je laisserai cela à l’ambassadeur.

L’un des défis auxquels nous avons été confrontés au sein de l’alliance du point de vue de la planification militaire, en particulier dans la région balte, est qu’il n’y avait pas de profondeur stratégique. Il n’y avait aucun endroit où l’on pouvait fournir un soutien de l’arrière aux États baltes. Avec la Finlande et la Suède dans l’alliance, il sera beaucoup plus facile de traiter ces problèmes, et cela compliquera beaucoup plus pour la Russie les défis qui s’opposeront à elle dans ses opérations dans la région de la mer Baltique.

M. Angell : Pour compléter la réponse du vice-amiral, la Finlande et la Suède sont toutes deux très compétentes en ce qui a trait à leurs propres forces et très semblables en ce qui concerne leur politique étrangère et leur approche, par exemple, du soutien de l’ordre international fondé sur des règles.

Au sein de l’OTAN, le Canada s’est concentré sur la région de la Baltique. Nous avons dirigé le groupement tactique de présence avancée amélioré depuis sa création en Lettonie. Nous sommes conscients de l’énorme sentiment de vulnérabilité des alliés baltes pour des raisons géographiques, et l’ajout de la Finlande et de la Suède permettra de nicher davantage, si vous voulez, les alliés baltes et de renforcer la nature défensive de l’OTAN dans cette région. En outre, l’adhésion de ces deux pays signifierait que sept des huit pays de l’Arctique sont des alliés, ce qui accroît les possibilités d’échanger des informations, par exemple, et d’assurer la défense de la région.

La sénatrice M. Deacon : Merci. Si je peux poursuivre sur cette lancée — je le reconnais —, nous pourrions peut-être parler un peu du blocage par la Turquie de la candidature de la Suède à l’OTAN. Avant de poser la question, nous devons tous reconnaître le terrible tremblement de terre en Turquie et en Syrie et les terribles pertes et souffrances qui s’y produisent. Je suis heureux de voir que le Canada offre un certain soutien.

En ce qui concerne ma question, je me demande si l’acceptation tardive de la Suède et, par la suite, de la Finlande a des conséquences stratégiques dans l’Arctique avec ces nations. Je vais d’abord poser la question à l’ambassadeur, si possible.

M. Angell : Monsieur le président, je n’ai pas entendu toute la question, mais je peux certainement répondre à la première partie. Tout d’abord, je me joins au sénateur pour exprimer mes condoléances, bien sûr, à notre alliée, la Turquie, face à l’horrible tremblement de terre des dernières 24 heures.

Je n’ai saisi qu’une partie de la question, mais l’adhésion...

Le président : Nous allons reformuler la question, monsieur l’ambassadeur, pour vous faciliter la tâche.

M. Angell : Vous obtiendrez peut-être une réponse plus précise. Merci, monsieur le président.

La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup. Ma question concerne le blocage par la Turquie de la candidature de la Suède à l’OTAN. Je me demande si l’acceptation tardive de la Suède et ensuite de la Finlande a des conséquences stratégiques dans l’Arctique avec ces nations.

M. Angell : Merci beaucoup. Nous restons convaincus que la Finlande et la Suède adhéreront à l’alliance avant trop longtemps. Il y a un processus en cours, une négociation très active à laquelle participent les deux pays invités. Le secrétaire général s’est engagé très activement.

La Turquie, je dois le souligner, est un allié absolument vital en soi. Elle possède la deuxième plus grande armée de l’OTAN, et elle déploie cette armée de manière très efficace. C’est aussi un allié situé dans un voisinage extrêmement dur.

La Finlande et la Suède déploient d’énormes efforts pour répondre aux préoccupations de la Turquie. Il n’y a pas de calendrier fixe pour ce genre de choses. Dans l’idéal, les deux pays, ou au moins l’un d’entre eux adhéreraient d’ici le prochain sommet de Vilnius, mais si ce n’est pas le cas, je suis sûr que ce sera d’ici le sommet suivant. L’important est qu’ils deviennent rapidement membres de l’OTAN.

La question de la vulnérabilité est une question qui est certainement très présente. Un certain nombre d’alliés individuels ont indiqué qu’ils prendraient in extremis des mesures pour soutenir la Finlande et la Suède si elles se trouvaient en position de vulnérabilité entre le moment où elles sont invitées à se joindre à l’alliance et celui où elles tombent officiellement sous le coup de l’article 5. En fait, il s’agit de partenaires si proches, et pour des raisons géographiques, il est très difficile d’imaginer une situation où, si elles étaient attaquées, l’alliance n’aurait pas le sentiment d’être elle-même attaquée. C’est théorique, bien sûr, mais nous espérons qu’elles seront alliées avant très longtemps.

Le président : Auriez-vous quelque chose à ajouter, vice-amiral?

Vam Bishop : Non, monsieur le président. Je pense que M. Angell a très bien décrit la situation.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Gignac : Ma première question s’adresse à l’ambassadeur Angell. Merci de votre témoignage. J’ai bien hâte de vous rencontrer, à l’instar du sénateur Boisvenu, le 20 février prochain à Bruxelles. Je ferai partie de la délégation de l’Association parlementaire canadienne de l’OTAN.

Vous avez bien expliqué que l’OTAN n’a pas vraiment de rôle opérationnel dans l’Arctique canadien; il collabore avec le NORAD. Vous avez aussi mentionné que l’Arctique canadien n’est pas aussi contesté que le nord de l’Europe.

Quelles sont les conditions qui pourraient entraîner un changement sur le plan opérationnel et qui, tout à coup, inciteraient l’OTAN à prendre davantage en charge les opérations relatives au NORAD, actuellement? Est-ce que cela se produirait dans le cas du déclenchement d’un conflit mondial? À ce moment-là, la chaîne de commandement sera-t-elle claire et l’OTAN décidera-t-elle? Puisque s’il y avait une attaque de la Russie, cela ne serait pas juste contre le Canada ou les États-Unis, mais probablement tous les pays de l’OTAN, en raison de l’Arctique que vous connaissez bien, y a-t-il déjà un protocole prévu que la chaîne de commandement pourrait changer en cas de conflit?

M. Angell : Merci de votre question. Je vais répondre en anglais pour être plus précis.

[Traduction]

Il existe un arrangement de commandement très explicite pour l’Arctique nord-américain, et cet arrangement de commandement relève du NORAD et des deux alliés nord-américains, le Canada et les États-Unis. Il est théoriquement possible que nous puissions transférer la responsabilité — et je m’en remettrai au représentant militaire à ce sujet —, mais il existe un solide arrangement de commandement et de contrôle et un arrangement de commandement militaire pour l’Arctique nord-américain au titre du NORAD.

La région, bien sûr, relève de l’article 5. Si jamais il y avait un besoin de forces en dehors de ces deux alliés arctiques, on pourrait demander de l’aide. Je veux simplement souligner que les dispositions de commandement explicites ne manquent pas. Il y a un arrangement de commandement très explicite dans le cadre du NORAD, mais peut-être que le représentant militaire peut parler davantage de ce point.

Vam Bishop : Oui. Encore une fois, c’est une caractérisation exacte. Évidemment, il s’agirait de deux grands théâtres, le théâtre européen et celui de l’Amérique du Nord. Il serait vraiment difficile pour un seul commandant de gérer un espace de bataille aussi vaste.

Avec les arrangements que nous avons actuellement en Europe, ce serait le commandant suprême des forces alliées en Europe dans l’architecture de commandement de l’OTAN. Pour l’Amérique du Nord, c’est le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord, ou NORAD, qui assure la défense aérospatiale. Le domaine maritime et terrestre est une responsabilité partagée entre le commandant du Commandement du Nord des États-Unis et le commandant du Commandement des opérations interarmées du Canada. Je ne verrais donc pas les deux théâtres — l’Europe et l’Amérique du Nord — être fusionnés en un seul commandement géant sous l’égide de l’OTAN. Comme l’a dit M. Angell, c’est possible en théorie, mais sur le plan pratique, cela ne fonctionnerait pas.

Manifestement, il y aurait beaucoup de collaboration et de coordination entre ces deux théâtres, et nous pourrions voir des forces aller et venir entre ces théâtres, y compris dans les domaines maritime et aérien.

Merci, monsieur le président.

[Français]

Le sénateur Gignac : Merci, monsieur l’ambassadeur et vice-amiral, vos réponses sont très claires. Cela nous rassure. Ma seconde question est un peu plus précise.

Vice-amiral Bishop, depuis que la Russie a envahi l’Ukraine, avez-vous été en mesure de remarquer une réduction des effectifs ou des activités dans le nord de la Russie, au nord de l’Arctique canadien ou, au contraire, un renforcement? Y a-t-il des choses que vous êtes à l’aise de partager publiquement avec nous?

Vam Bishop : Ce que je peux dire à ce sujet, c’est que nous avons remarqué une diminution des activités de la Russie dans la plupart de leurs territoires parce que la plupart de leurs forces se concentrent sur la guerre en Ukraine, qui occupe la plupart des forces russes.

[Traduction]

Pour cette raison, nous avons constaté une réduction de certaines activités. Je pense que la Russie prend bien soin d’envoyer à tous les alliés de l’OTAN le message qu’elle est toujours capable de se défendre, et elle mène d’autres exercices dans d’autres régions de la Russie pour nous le signaler. Mais dans l’ensemble, avec le nombre de forces qu’elle a dû engager en Ukraine, il y a eu une réduction inévitable de l’activité dans la région du Nord.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci à nos deux témoins. Comme mon collègue le sénateur Gignac, je tiens à dire qu’on a bien hâte de revoir notre ambassadeur dans les semaines à venir, aux réunions de l’OTAN auxquelles je participe depuis maintenant six ans. C’est avec plaisir que nous vous accueillons au comité, ambassadeur Angell.

J’ai deux questions à vous poser : une question politique pour vous, monsieur l’ambassadeur, et une plutôt militaire pour le vice-amiral, pour ne pas le mettre dans l’embarras.

Monsieur l’ambassadeur, au Canada, au cours des derniers mois, de nombreuses personnes ont demandé une modernisation de nos forces armées et des investissements supplémentaires dans l’armée tant pour ce qui concerne la quantité que la qualité des équipements. La situation mondiale nous a rattrapé et a mis encore plus en évidence ce retard du Canada, et je pense que vous avez lu le récent rapport du vérificateur général qui pointe du doigt notre pays.

Comme je participe régulièrement aux discussions des délégations parlementaires de l’OTAN, on parle souvent de ce fameux 2 % du PIB consacré aux efforts militaires, que le Canada n’atteint pas encore.

Monsieur l’ambassadeur, avez-vous eu des discussions avec le gouvernement canadien en ce qui a trait aux délais et au moment où nous pourrions atteindre cet objectif de 2 % du PIB? Y a-t-il eu des pressions exercées par vos collègues et alliés de l’OTAN sur le Canada pour qu’il agisse avec diligence et qu’il essaie d’atteindre cet objectif de 2 %?

M. Angell : Merci de votre question. Ce que je peux dire, premièrement —

[Traduction]

... c’est que l’engagement d’investissement dans la défense que les dirigeants ont pris au Pays de Galles en 2014 comprenait trois éléments. L’un d’entre eux était l’engagement de s’efforcer d’atteindre 2 %. Le Canada, dans le cadre de la politique de défense Protection, Sécurité, Engagement, a augmenté ses dépenses de défense de 70 % en 10 ans. En outre, très récemment — en fait en juin —, un financement supplémentaire très important pour la défense continentale et la modernisation du NORAD a été annoncé. Nous avons donc connu une augmentation extraordinaire des dépenses de défense canadiennes.

Il y a deux autres paramètres. L’un concerne les capacités : l’obligation de consacrer 20 % des dépenses de défense à des équipements haut de gamme. Cette année, le Canada respecte cette exigence, et nous allons tripler les dépenses dans ce domaine sur une période de cinq ou six ans, je crois.

Bien sûr, la troisième mesure est celle des engagements, et le Canada est à l’appel, et nous avons un personnel des Forces armées canadiennes extraordinairement fort. Depuis que je suis ici, par exemple, nous avons dirigé, depuis sa création, le groupement tactique de présence avancée renforcée en Lettonie et nous l’avons très bien fait. Nous nous attachons maintenant à atteindre le niveau de brigade. Nous avons également été le pays-cadre dès le début de la mission de l’OTAN en Irak. Nous avons commandé le groupe maritime permanent OTAN. En général, nous avons la réputation de répondre à l’appel, de faire le gros du travail et de le faire très bien.

Sur le plan des dépenses de défense, même si la mesure de 2 % ne fonctionne pas forcément pour nous, nous sommes, je crois, le sixième plus grand contributeur de défense à l’OTAN. Quant aux dépenses de défense supplémentaires depuis la promesse d’investissement au pays de Galles en 2014, nous sommes l’un des rares alliés à avoir dépensé le plus d’argent frais supplémentaire.

Nous faisons donc plus que notre part, et je ne suis pas sous pression, monsieur le président, en ce qui concerne toute suggestion que le Canada fait autrement. Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Nous avons récemment fait une tournée dans l’Arctique et personne ne peut dire que le Canada y fait un travail remarquable si on compare avec les investissements de la Russie dans l’Arctique. Si nous devions investir davantage dans l’infrastructure militaire, sur le plan de l’infrastructure en matière d’avionnerie, dans le domaine naval ou autre, ces investissements compteraient-ils pour 2 % du PIB?

M. Angell : Merci pour la question. De tels investissements pourraient compter seulement s’ils étaient uniquement militaires. S’il y avait une possibilité qu’il y ait une application militaire ou civile, il n’y a que l’application militaire qui compterait. Il y a une définition de plusieurs pages très précise sur ce qui pourrait compter.

Le sénateur Boisvenu : Lorsqu’on parle des infrastructures d’accueil, que ce soit pour les navires militaires ou pour l’avionnerie et l’acquisition de fureteur ou d’avion de dépistage dans l’Arctique, ces dépenses pourraient être incluses dans le 2 %, n’est-ce pas?

M. Angell : Ces dépenses militaires dans l’Arctique pourraient compter, tout à fait.

Le sénateur Boisvenu : Vice-amiral Bishop, je vois que vous avez fait une carrière dans le domaine naval, ce qui m’intéresse beaucoup. Vous avez en fait servi une grande partie de votre carrière non pas à l’OTAN, mais au Canada. Le problème qui m’apparaît grave est celui des sous-marins. Lorsqu’on navigue sur le site de la Marine royale du Canada, on parle de nos sous-marins comme d’une force invisible, de ressources cachées, qui sont bien armées et capables de patrouiller. Si je vais voir l’état de situation de nos sous-marins, le sous-marin de la classe Victoria a été en activité 9 % du temps, le NCSM Corner Brook 9 %, le NCSM Chicoutimi 3 %, et trois des sous-marins sont en rade sèche depuis 10 ans.

Ma question est claire : pour ce qui est de la question des sous-marins, est-ce que le Canada est en retard et la flotte actuelle ne devrait-elle pas être mise au rencart pour être remplacée par des sous-marins beaucoup plus modernes? Je pense entre autres aux sous-marins nucléaires.

[Traduction]

Vam Bishop : Merci, monsieur le président.

Je crois que je vais limiter mes remarques à l’importance des sous-marins dans le cadre d’une marine moderne. Comme on l’a mentionné, monsieur le président, les sous-marins sont des armes navales et des capteurs extrêmement puissants. Ils sont très importants pour le genre de missions de défense qu’entreprennent les Forces armées canadiennes, et la Marine s’efforce de faire en sorte que nous sommes en mesure d’exploiter les sous-marins que nous possédons actuellement et, de toute évidence, à l’avenir, nous aurons toujours besoin de sous-marins.

Pour un adversaire, la simple idée de la présence de sous-marins dans la zone suscite beaucoup d’inquiétude pour ses propres opérations, et cet adversaire doit prendre cette inquiétude très au sérieux dans sa planification. Même la simple menace de présence d’un sous-marin dans la zone peut considérablement accroître la complexité de ses opérations. Ces éléments sont d’une importance fondamentale pour les marines. C’est pourquoi la plupart des marines occidentales ont des sous-marins et veulent continuer à en avoir.

Merci, monsieur le président.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de leur présence.

Le Conseil de l’Arctique a toujours envisagé, bien sûr, d’inclure la Russie, mais depuis l’agression en Ukraine — est-ce que l’un des deux témoins que nous avons pourrait commenter cet aspect? Maintenant, avec l’expansion de l’OTAN avec la Suède et la Finlande, voyez-vous un intérêt à maintenir l’adhésion de la Russie au Conseil de l’Arctique, compte tenu, bien sûr, de son agression, mais surtout de son hostilité envers les alliés de l’OTAN dans la région et, bien sûr, de notre propre souveraineté et sécurité dans la région?

Le président : Nous allons vous entendre tous les deux.

Si nous pouvions commencer par vous, monsieur l’ambassadeur.

M. Angell : Merci, monsieur le président.

Les sept autres membres du Conseil de l’Arctique ont décidé de ne plus s’engager avec la Russie sur ce plan après que celle-ci a choisi d’agresser l’Ukraine. Il y a cependant une consultation permanente entre les pays arctiques aux vues similaires. Par exemple, le chef d’état-major de la défense a convoqué les chefs d’état-major de la défense de l’Arctique récemment, je pense, pour la première fois depuis 2013. Et les ministres cherchent les occasions de traiter avec les pays aux vues similaires.

Le Conseil de l’Arctique, lorsqu’il a été créé, a très délibérément exclu les questions militaires, et on espère qu’un jour nous serons dans une situation où tous les pays de l’Arctique pourront traiter conjointement des questions arctiques. Le concept sous-jacent, la logique, n’a pas changé. Les circonstances ont changé, mais on espère qu’à un moment donné, nous pourrons reprendre la coopération avec la Russie sur les questions arctiques. Bien sûr, il devra y avoir un énorme changement concernant l’Ukraine avant cela.

Vam Bishop : Merci, monsieur le président.

J’ajouterais seulement que la conférence des chefs d’état-major de la défense de l’Arctique qui a eu lieu récemment a exclu la Russie. Elle n’a pas été invitée à y participer.

Merci, monsieur le président.

Le président : Je vous remercie.

Le sénateur Yussuff : Comme vous le savez tous deux, bien sûr, le changement climatique modifie très rapidement l’Arctique canadien et l’Arctique nord-américain, et, bien sûr, tous les pays voudront avoir accès à cette voie navigable et à l’emprunter.

Comment pouvons-nous nous garder contre cette menace et, surtout, quelles sont les mesures que vous nous recommanderiez de prendre, étant donné que les probabilités s’amenuisent très rapidement concernant l’accès? Surtout, nous constatons certainement l’agressivité de la Chine qui souhaite avoir un plus grand accès à l’Arctique canadien.

Assurément, notre défense est fortement mise à l’épreuve, si la Russie et la Chine poursuivent leur collaboration. Cela constitue une menace très sérieuse pour l’Arctique canadien et, surtout, pour l’Arctique nord-américain.

Le président : Cette question, encore une fois, s’adresse à vous deux.

Monsieur Angell, si vous voulez bien commencer.

M. Angell : Merci, monsieur le président.

Le gouvernement prend d’énormes mesures pour répondre à une situation où il pourrait y avoir une plus grande activité dans l’Arctique. Il le fait au titre du Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord, mais aussi au titre de la politique de défense Protection, Sécurité, Engagement.

Comme je l’ai mentionné, il y a eu récemment un énorme investissement — 38,6 milliards de dollars sur 20 ans — dans la défense continentale. Cela comprend, bien sûr, la modernisation du NORAD. Nous pouvons constater l’acquisition par la Marine royale canadienne — et le représentant militaire pourra en dire plus à ce sujet — de nouveaux navires de patrouille arctiques et hauturiers résistants aux glaces. Nous assistons à la construction de brise-glaces polaires pour la Garde côtière. Nous assistons à la construction de l’installation navale de Nanisivik, près de la baie de l’Arctique. Ce sont là des investissements à très grande échelle visant à donner au Canada une plus grande capacité à faire respecter sa souveraineté dans l’Arctique.

Nous voyons également d’importants exercices en cours dans le cadre de l’opération Nanook avec ses quatre composantes, mais je m’en remets au vice-amiral pour cet aspect.

Vam Bishop : Merci, monsieur le président. Une fois, M. Angell a présenté, à mon avis, un très bon résumé.

En ce qui concerne le changement climatique, il faut avant tout comprendre ses effets sur la région, et je pense qu’il est très positif — du point de vue de l’OTAN — que le Canada réponde à l’appel en dirigeant un Centre d’excellence sur le changement climatique et la sécurité au Canada, dans lequel des représentants de l’alliance travailleront pour comprendre le changement climatique.

Pour ce qui est de la façon dont nous devons nous préparer, je dirais que nous travaillons dur pour entreprendre ces préparatifs. Nous devons évidemment comprendre ce qui se passe dans la région et avoir une meilleure connaissance de la situation pour savoir qui s’y trouve et ce qu’il fait. Je pense qu’il s’agit d’un élément clé de la modernisation du NORAD et des investissements qui y seront réalisés.

Nous devons être présents dans l’Arctique, et vous avez vu les investissements de la Marine royale canadienne dans les navires de patrouille extracôtiers de l’Arctique et toutes nos capacités d’aviation dans l’Aviation royale canadienne. Nous envisageons la possibilité d’avoir de nouveaux avions capables d’agir dans la région arctique. Nous entraînons tous nos hommes et femmes en uniforme au moyen de tous les exercices que nous effectuons pour leur permettre d’acquérir de l’expérience et pouvoir fonctionner dans cet environnement. Nous entreprenons toutes les choses que nous devons faire.

Je pense que l’on reconnaît que l’espace arctique est en train de changer, que son importance géostratégique évolue en raison du changement climatique, et que nous devons être en mesure de comprendre et de réagir dans cette région au besoin.

Merci, monsieur le président.

Le président : Merci.

Le sénateur Yussuff : Juste une autre petite question.

Les nations de l’Arctique n’ont pas toutes une population autochtone, mais pour le Canada et un certain nombre d’autres pays de l’Arctique, la présence de ces collectivités est réelle. Dans le contexte de nos besoins de sécurité, mais aussi de la nécessité de respecter les façons traditionnelles de faire les choses au sein de ces collectivités, une telle considération est-elle une priorité dans le contexte de l’OTAN? De même, y a-t-il des choses que nous pouvons apprendre d’autres pays sur la façon de respecter notre communauté autochtone dans notre propre Nord et sur la façon dont nous travaillons avec les autres, bien sûr, pour améliorer notre compréhension et être en mesure de renforcer nos relations avec ces collectivités? Existe-t-il des moyens de renforcer la détermination à respecter leur façon traditionnelle de faire les choses, mais aussi d’obtenir leur engagement dans les efforts visant à protéger notre souveraineté et à participer à l’incroyable bon travail qui se fait dans le Nord?

M. Angell : Pour commencer, j’aimerais souligner l’importance que le gouvernement canadien accorde à une collaboration étroite avec les collectivités du Nord. C’était certainement le cas lors de l’élaboration du Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord. Je crois pouvoir dire que tous les alliés de l’Arctique prennent au sérieux l’obligation de travailler en étroite collaboration avec les collectivités locales.

Dans le cas du Canada, bien sûr, les Rangers jouent un rôle extrêmement important dans la défense du Nord et c’est vraiment la mobilisation des collectivités locales. Le secrétaire général les a décrits, je crois, comme « les yeux et les oreilles », et il a rencontré des représentants des Rangers lorsqu’il était au Nunavut en août. Ils jouent un rôle crucial. L’un des rôles qu’ils jouent est d’aider les Forces armées canadiennes à veiller à ce qu’elles fonctionnent en étroite collaboration avec les collectivités locales.

Vam Bishop : Je voudrais simplement insister sur le fait que tout ce que les Forces canadiennes et le ministère de la Défense nationale espèrent faire dans la région arctique du Canada doit être fait en étroite collaboration avec nos peuples autochtones. C’est d’une importance capitale. Nous nous sommes engagés depuis longtemps à travailler avec les peuples autochtones lorsque nous œuvrons dans la région arctique. Nous collaborons avec les collectivités locales lorsque nous nous y exerçons. Les Rangers sont notre empreinte dans le Nord. Tous les Rangers ne sont pas issus des collectivités autochtones, mais beaucoup le sont. Ils comprennent comment fonctionner dans l’Arctique, et ils ont de précieuses leçons à nous donner sur ce que c’est que d’être là-bas et sur la façon dont nous devons nous comporter dans nos activités d’entraînement et dans nos opérations. C’est essentiel, à mon avis.

Au sein de l’alliance de l’OTAN, il est possible de travailler avec d’autres pays qui souhaitent également travailler avec leurs propres peuples autochtones. Il est évident que le Danemark et le Groenland ont d’importantes communautés autochtones. Nos deux chefs d’état-major de la défense ont parlé de la possibilité de travailler avec les communautés autochtones dans nos deux régions nordiques. Je crois que c’est un domaine d’intérêt. C’est certainement un domaine d’intérêt pour le ministère de la Défense nationale et pour les Forces canadiennes dans le cadre de nos opérations. C’est essentiel.

Le président : La sénatrice Dasko, qui représente l’Ontario, est la dernière sénatrice du premier tour.

La sénatrice Dasko : Ma première question fait suite aux questions du sénateur Gignac sur l’activité russe dans le Nord. Nous savons certainement que les Russes ont construit leur infrastructure militaire dans le Nord. Mais nous savons aussi — et vous nous l’avez dit plus tôt et aussi lors de notre voyage dans l’Arctique — qu’en raison de l’invasion russe de l’Ukraine, ils sont moins préoccupés par le Nord et qu’il semble y avoir moins d’activités de la part des Russes dans le Nord.

À la lumière de cette préoccupation accrue au sujet de la Russie — évidemment, parce qu’ils ont envahi l’Ukraine, mais aussi parce qu’il y a peut-être moins d’activité de leur part dans le Nord —, comment avons-nous réagi ou réagissons-nous à cette situation très particulière? Des mesures spéciales s’imposent-elles? Avons-nous pris des mesures spéciales, soit en tant que NORAD, soit en tant que Canada seul? Avons-nous pris des mesures spéciales en dehors de la modernisation du NORAD que nous nous étions engagés à entreprendre avant même que les Russes n’envahissent l’Ukraine? J’espère que mes questions ont un sens. Elles s’adressent à l’un ou l’autre des témoins.

Vam Bishop : Encore une fois, je pense que c’est une très bonne question. Du point de vue de l’OTAN, le commandant suprême des forces alliées en Europe, ou SACEUR, gère activement notre posture de dissuasion et de défense. Il réoriente régulièrement les unités, les avions et les navires là où ils doivent être, au bon endroit, afin de pouvoir démontrer que nous sommes conscients et que nous dissuadons la Russie de penser à une quelconque agression contre une partie des territoires de l’alliance. C’est le commandant suprême des forces alliées en Europe qui s’en charge au jour le jour. Tout cela est fait sous la supervision ou la direction du Conseil de l’Atlantique Nord.

Je crois que nous sommes assez confiants. Il est assez clair que la guerre de la Russie contre l’Ukraine ne se passe pas très bien pour elle. Elle a dû acheminer beaucoup d’équipements militaires, de capacités militaires et de personnes vers l’Ukraine pour soutenir cette guerre. Évidemment, cela a un impact dans d’autres régions où la Russie opère.

Du point de vue de l’alliance, nous sommes conscients qu’il s’agit d’une situation temporaire. À un moment donné, la guerre en Ukraine prendra fin et nous aurons alors affaire à un autre type de Russie. Il est possible que la Russie apprenne de ses erreurs en Ukraine et que nous soyons confrontés à une Russie plus grande et plus forte. Ce sont là les conversations qui sont en cours au sein de l’alliance.

Notre réflexion et notre planification sont tournées vers l’avenir, non seulement pour garantir notre présent, mais aussi pour veiller à ce que l’alliance soit en bonne posture dans trois ou cinq ans, lorsque les forces russes pourraient avoir été reconstituées et constituer une menace pour l’alliance dans différentes régions. Ce sont là une planification et des préparatifs militaires prudents.

Pour ce qui est de la modernisation du NORAD, encore une fois, il s’agit pour le Canada et les États-Unis de reconnaître que la menace évolue, que la Russie se dote de nouvelles capacités — dont beaucoup sont utilisées par les Russes avec un certain succès en Ukraine — et de s’assurer que nous agissons pour être en mesure de comprendre ce qui se passe dans la zone arctique et de réagir de façon appropriée en cas de menace pour l’Amérique du Nord.

M. Angell : J’aimerais simplement amplifier la réponse du représentant militaire. Je suis d’accord pour dire que si le personnel russe a été déplacé en Ukraine, l’équipement lourd comme la flotte du Nord ne l’a pas été, de sorte que la capacité très importante de la Russie dans le Grand Nord n’a pas diminué, pas plus que l’intérêt stratégique de la Russie dans le Grand Nord n’a diminué. Je ne peux pas imaginer que l’OTAN prenne des décisions à moyen ou à long terme qui supposent une diminution de l’importance du Grand Nord pour la Russie.

Cependant, je tiens à souligner une fois de plus la différence entre les environnements stratégiques du Grand Nord européen, d’une part, et de l’Arctique nord-américain, d’autre part. La capacité offensive est largement basée dans le Grand Nord européen. Il y a un rajeunissement des bases et autres infrastructures dans l’Arctique russe, en face de l’Arctique nord-américain, mais, dans l’ensemble, il s’agit d’une capacité largement défensive. La situation stratégique dans les deux parties du Nord n’est pas uniforme. Dans la partie géographique qui correspond à l’Arctique nord-américain, je pense que nous constatons une certaine prudence de la part des Russes et un désir de ne pas provoquer d’instabilité dans ce qui est encore une région relativement stable.

La sénatrice Dasko : Bien sûr, les Russes pourraient en sortir assez diminués chez eux — enfin, leur nord fait partie de leur domicile — à la suite de leurs activités en Ukraine. C’est un autre scénario, bien sûr.

Vice-amiral Bishop, je voudrais revenir sur cette histoire de ballon, qui a manifestement captivé l’imagination du public. J’aimerais revenir sur votre commentaire selon lequel nous ne savons toujours pas ce que contenait le ballon. Je trouve cela plutôt intéressant et je me demande : pouvez-vous confirmer que cette montgolfière se trouvait dans l’espace aérien canadien? Pouvez-vous confirmer que les Canadiens étaient au courant de la présence du ballon? J’aimerais le savoir.

Je me demande si vous pouvez commenter cela. Si nous ne savons toujours pas ce qu’était ce ballon — évidemment, il pourrait avoir été quelque chose de dangereux, n’est-ce pas? Saviez-vous qu’il était chinois? Y a-t-il eu des communications avec les Chinois, par exemple? Avez-vous demandé : « Qu’est-ce que cette chose? » Je vous laisse le soin de répondre à cette question. Je suis un peu perplexe parce que la chose a maintenant été retirée, mais nous ne savons toujours pas ce qu’elle était ou ce qu’il y avait dedans, si c’était un danger. C’est juste une petite inquiétude de ma part. Merci.

Vam Bishop : Encore une fois, c’est une question à laquelle il m’est difficile de répondre parce que je suis ici au quartier général de l’OTAN, et cela se passe vraiment dans l’espace du NORAD, du Commandement des opérations conjointes au Canada et du Commandement du Nord des États-Unis, ou NORTHCOM. Les renseignements dont je dispose indiquent que le ballon a traversé l’espace aérien canadien et pénétré dans l’espace aérien américain et que le NORAD en était informé.

En ce qui concerne sa charge utile, je sais que des travaux sont en cours pour essayer de vérifier exactement ce que le ballon transportait. J’ignore où en sont ces travaux. Je sais que les États-Unis ont déclaré publiquement qu’il ne s’agissait pas d’un ballon équipé d’instruments météorologiques ou scientifiques, mais en dehors de cela, c’est dans les médias que je suis un peu ce qui se passe. Je crois que ces questions seraient mieux adressées au NORAD et au NORTHCOM.

La sénatrice Dasko : Monsieur Angell, êtes-vous au courant de quoi que ce soit à ce sujet?

M. Angell : Je confirmerais simplement que la ministre Anand a publié une déclaration confirmant que le ballon a effectivement traversé l’espace aérien canadien et que des mesures ont été prises pour suivre l’objet et assurer la sécurité de notre espace aérien et du Canada.

Pour ce qui est de l’engagement avec les Chinois, je crois que le ministère des Affaires mondiales a confirmé que l’ambassadeur de la Chine avait été convoqué, alors il y a certainement eu au moins ce degré de communication, et je soupçonne qu’il y aura eu des communications à Pékin également.

La sénatrice Dasko : Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse à l’ambassadeur Angell.

On a eu l’honneur cet été de recevoir M. Stoltenberg, de l’OTAN, qui a fait une visite dans le Grand Nord. Il a déclaré qu’il fallait assurer une plus grande présence dans l’Arctique. Quelques semaines après, la Russie ripostait en disant qu’elle allait renforcer sa présence en Arctique.

Nous nous trouvons devant deux pays pour lesquels nous ne pouvons pas du tout comparer la présence militaire, et même l’occupation du territoire par les Canadiens ou par les Russes. Donc on est vraiment en déséquilibre par rapport à cela.

Les Russes ont vraiment renforcé leur présence militaire au cours des 10 dernières années, notamment en ce qui a trait à leurs bases militaires, mais aussi grâce à leurs sous-marins qui naviguent sous les glaces de l’Arctique. Nous n’avons aucun sous-marin. Dans notre flotte actuelle, aucun ne peut aller sous les glaces en Arctique; il y aurait trop de danger pour les équipements.

Devant un tel constat, est-ce qu’on peut se contenter strictement d’une présence que je vais appeler « mitigée » en Arctique, ou doit-on se fier à nos partenaires américains qui ont une plus grande présence militaire en Alaska?

Selon les vœux de l’OTAN, est-ce que le Canada doit sérieusement prendre le virage arctique et investir sur le plan des infrastructures et des équipements mobiles, comme je le disais tantôt, dans le domaine de l’avionnerie et le domaine maritime?

Est-ce que, par rapport à la présence accrue de la Russie dans ce domaine, le Canada doit faire un effort substantiel pour accroître sa présence et l’occupation du sol en Arctique?

M. Angell : Merci pour la question, monsieur le sénateur.

Peut-être que le vice-amiral aura des commentaires à ajouter. Cependant, je dirais qu’en ce qui concerne l’investissement que fait le Canada dans la défense du nord de l’Amérique, les dépenses annoncées en juin sont les plus importantes depuis 40 ans. Il y a un élément qui touche le NORAD, mais il y a un élément qui touche le Grand Nord également, et la capacité qu’on est en train de créer est vraiment très importante relativement au fait d’assurer une capacité plus élevée.

Il y a les avions F-35 auxquels le vice-amiral a fait référence, les 88 qui ne sont pas utilisés uniquement dans le Grand Nord, bien sûr, mais ils ajoutent une capacité très importante. On ajoute à cela les navires brise-glace. Puis il y a la construction de l’installation navale de Nanisivik, qui fait la preuve d’un engagement pour assurer une présence plus importante dans la région.

Ces investissements sont les plus importants depuis 40 ans. Le secrétaire général a encouragé le Canada à faire des choses plus importantes et nous sommes en train de le faire.

Le sénateur Boisvenu : Monsieur l’ambassadeur, tous les experts s’accordent sur le fait qu’il faudra composer avec nos vieux appareils pour notre flotte d’avions sur environ une décennie. Même au point de vue maritime, les navires arriveront tard en 2026 et la livraison s’échelonnera jusqu’en 2040-2050. Donc sur une période de 10 ans, il y aura très peu d’investissements qui seront faits pour l’Arctique.

N’est-il pas inquiétant de savoir que les Russes prendront une avance presque insurmontable parce qu’ils continuent à investir dans l’Arctique? De notre côté, tous les projets annoncés par le gouvernement du Canada — je pense au NORAD, les Américains nous ont un peu forcé la main à investir parce que notre équipement était complètement désuet, on ne se le cachera pas. Alors, on connaîtra environ une décennie où la situation sera très fragile, êtes-vous d’accord avec cela?

M. Angell : Il y a ici deux points essentiels. Le premier, c’est que le Canada investit de manière très importante dans la région. Le deuxième est que, bien sûr, le Canada n’est pas seul, il y a la Finlande et la Suède qui deviennent des alliés. Donc, tous les alliés et leurs partenaires qui le deviendront font eux-mêmes des investissements très importants.

Je dirais qu’on peut comparer l’engagement canadien à l’engagement russe, mais ce qui est primordial, c’est l’engagement russe par rapport à l’engagement de la part des alliés et des invités, et c’est ce qui devient très important.

Merci.

[Traduction]

La sénatrice M. Deacon : Ma question sera peut-être très rapide. J’ai écouté attentivement les propos de mon collègue le sénateur Yussuff lorsqu’il parlait du climat. J’ai entendu dans les réponses une bonne partie du « quoi », comme ce que nous faisons, ce que nous avons fait et l’argent qui a été consacré.

Ce que j’aimerais savoir, si quelque chose d’autre doit être dit, concerne le défi de prendre des décisions dans le Nord sur des choses comme l’infrastructure et l’équipement lorsque le terrain, comme nous l’apprenons, tant terrestre que marin, change si rapidement et parfois de façon imprévisible. Je vous ai entendu parler du Centre d’excellence et des Rangers, mais j’essaie de comprendre non pas le « quoi », mais comment vous pouvez planifier si longtemps à l’avance avec de tels changements et déplacements constants.

M. Angell : Je peux peut-être faire une première réponse et le représentant militaire peut suivre.

En fournissant la réponse précédente, j’aurais peut-être dû présenter ce que nous essayons de faire en matière de climat dans le Nord en fonction de ce que l’OTAN fait au sujet du climat en général.

Nous avons un secrétaire général qui est non seulement un ancien ministre de l’Environnement et premier ministre de la Norvège, mais aussi l’envoyé spécial des Nations unies pour le changement climatique. Il a exercé un leadership extraordinaire pour faire en sorte que l’OTAN situe parfaitement la question du changement climatique dans la perspective de la sécurité. Il est admis que nous ne sommes pas les premiers à réagir au changement climatique, mais le secrétaire général a exprimé le souhait — largement approuvé par les dirigeants dans le concept stratégique — que l’OTAN prenne l’initiative de comprendre le lien entre le climat et la sécurité.

Les dirigeants ont adopté un plan d’action, par exemple, qui vise à faire en sorte que l’OTAN apporte également sa contribution à l’adaptation et à l’atténuation. Il est reconnu, par exemple, que les forces armées sont de grands émetteurs. On reconnaît que les opérations militaires peuvent avoir un impact important sur l’environnement dans lequel elles se déroulent.

L’approche de l’OTAN en matière de climat s’est pratiquement transformée au cours des deux ou trois dernières années. C’est une question sur laquelle un groupe d’experts — dont une éminente Canadienne, Greta Bossenmaier, était membre — a exercé une forte pression, et le secrétaire général s’y est rallié.

Nous sommes très conscients du fait que l’Arctique et le Grand Nord sont des régions particulièrement sensibles au changement climatique, et nous reconnaissons donc qu’il y a une urgence particulière. Mais l’alliance dans son ensemble cherche à devenir un acteur beaucoup plus efficace en matière d’adaptation et d’atténuation du changement climatique et à travailler plus étroitement avec ses partenaires.

Le Centre d’excellence présente de nombreux avantages, mais l’un d’entre eux est qu’il fournira un lieu où nous pourrons mener une réflexion créative sur ce que nous pouvons faire pour essayer de traiter le lien entre le climat et la sécurité. Mais le Centre d’excellence n’est qu’un tout petit aspect de l’engagement beaucoup plus large de l’OTAN entériné par les dirigeants.

Vam Bishop : Je pourrais ajouter quelque chose de précis sur la question de l’infrastructure et du type d’infrastructure que nous devons envisager à l’avenir dans la région du Nord et dans l’Arctique.

Au sein de l’OTAN, le Commandant suprême des forces alliées en Europe est en train d’identifier tout ce qui s’impose pour pouvoir exécuter les plans militaires en cours d’élaboration. Il s’agit notamment d’identifier l’infrastructure que l’alliance doit mettre en place pour que ces plans fonctionnent. Il y a donc un processus qui se déroule.

L’OTAN dispose également d’un processus de planification de la défense, qui lui permet de déterminer les capacités dont elle a besoin, ce qui détermine également les besoins en infrastructure.

Nous faisons quelque chose de semblable au quartier général de la Défense nationale à Ottawa. Nous avons un processus de planification de la défense qui examine les exigences dont nous aurons besoin sur le plan des capacités, mais aussi l’infrastructure requise pour exploiter ces capacités dans le Nord. Ces éléments sont pris en compte dans nos investissements globaux pour l’avenir. Il y a un processus à Ottawa pour comprendre, avec l’espace changeant dans le Nord, quel type d’infrastructure nous devrons envisager pour pouvoir soutenir nos opérations dans la région arctique du Canada.

[Français]

Le sénateur Gignac : J’aimerais revenir au ballon. Peut-être qu’on aura plus de réponses un peu plus tard cette semaine, lorsque le comité sera au Colorado, aux quartiers généraux de NORAD.

Ma question s’adresse au vice-amiral Bishop. J’ai augmenté mes connaissances en fin de semaine en lisant et en comprenant qu’en bas de 20 kilomètres d’altitude, c’est l’espace aérien — évidemment, c’est plus au niveau des avions — mais entre 20 et 100 kilomètres, on appelle cela l’espace aérien supérieur.

[Traduction]

En anglais, je crois que c’est « aerospace operation ». Il n’y a pas de règle ni d’accord. C’est plus ou moins le principe de la chute libre. C’est à chaque pays de décider ce qu’il va faire.

[Français]

Je comprends qu’étant donné qu’on est sans accord international lorsqu’on parle de cette partie de l’espace, comparativement à l’espace aérien traditionnel pour les avions, c’est à chacun des pays de décider s’il croit que ce ballon constitue une menace ou pas. Cela peut être de l’espionnage. Ils ont des satellites, mais le satellite tourne autour de la Terre alors que le ballon demeure stationnaire.

Ma question est la suivante : à votre connaissance, est-ce que le Canada a un protocole pour décider de cela ou faut-il attendre les Américains et c’est alors NORAD qui décide? Ce n’est apparemment pas la première fois qu’un ballon passe et ce ne sera probablement pas la dernière fois. Est-ce qu’au fond, c’est à chaque pays qu’il revient de prendre cette décision de laisser passer le ballon ou de l’abattre, que ce soit en Europe ou en Amérique du Nord? Merci.

[Traduction]

Vam Bishop : Comme pour beaucoup de gens qui sont confrontés à la question des ballons, ce n’est pas quelque chose dont je m’occupe tous les jours. Honnêtement, je dirais que l’entité la mieux placée pour répondre à cette question est le NORAD et notre quartier général de la Défense nationale en ce qui concerne l’approche à adopter face à ces objets.

[Français]

Le sénateur Gignac : Il n’y a pas d’équivalent au NORAD en Europe. Ce serait à chacun des pays européens de décider, s’il y avait un ballon au-dessus de l’Allemagne, la Finlande ou la Norvège. La chaîne de commandement n’est pas la même, n’est-ce pas?

[Traduction]

Vam Bishop : Je pense que cela reviendrait probablement aux pays individuels. Le Commandant suprême des forces alliées en Europe pourrait avoir des conseils à donner si nous étions confrontés à cela. Ce n’est pas une chose que nous avons rencontrée, à ma connaissance, au sein de l’alliance de l’OTAN.

Le président : Monsieur l’ambassadeur Angell et vice-amiral Bishop, tout d’abord, au nom du Comité de la sécurité nationale et de la défense, merci beaucoup d’avoir pris le temps de vous joindre à nous aujourd’hui pour partager vos précieux points de vue et répondre à nos questions. Vos responsabilités sont lourdes, c’est le moins que l’on puisse dire.

Vous avez commencé par parler d’une perspective géostratégique. Cette discussion, plus que toute autre que nous avons eue, je crois, nous a emmenés plus loin et a parlé des interactions entre les deux sphères : les théâtres de défense nord-américain et européen. Vous nous avez également aidés en répondant aux questions sur chacune de ces sphères et en en approfondissant les subtilités, les vulnérabilités et les possibilités particulières de chacune d’elle.

Au nom de notre comité et du Sénat du Canada, je vous remercie très sincèrement de l’important travail que vous accomplissez chaque jour — et souvent la nuit, je le sais — au nom des Canadiens et de ceux qui, à bien des égards, vivent à l’extérieur du Canada. Nous vous souhaitons tout le succès possible dans les mois, voire les années difficiles et stimulantes à venir pour faire face à la crise actuelle en Ukraine, compte tenu de l’incursion de la Russie. Je vous remercie encore une fois. Vous nous avez beaucoup aidés.

Aujourd’hui marque la fin de nos audiences sur le sujet. C’est particulièrement important et particulièrement utile pour nous; nous vous en sommes donc très reconnaissants. Une fois de plus, merci. Nous vous souhaitons à tous le meilleur.

Chers collègues, plus tard cette semaine, le comité entreprendra une mission de découverte au Centre de commandement du NORAD à Colorado Springs, dans le Colorado. Ceci conclut nos travaux sur la sécurité dans l’Arctique.

Je tiens à souligner qu’en ce qui concerne l’ampleur et la portée de notre étude, nous avons maintenant entendu 59 témoins au cours de 12 réunions. Nous nous sommes rendus dans 5 collectivités de l’Arctique et avons rencontré plus de 20 groupes représentant des collectivités, des gouvernements locaux, la GRC et le MDN. Nous reviendrons du Colorado pour mener une réflexion, un travail et une discussion concernant notre rapport et des recommandations issues de cette étude très importante.

Je vous remercie. Nous voyagerons plus tard cette semaine. Nous nous réunirons de nouveau ici le lundi 13 février, à l’heure habituelle de 16 heures, heure de l’Est. Sur ce, je vous remercie tous et vous souhaite une bonne soirée.

(La séance est levée.)

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