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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 19 septembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance-médicaments.

La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je m’appelle Ratna Omidvar, sénatrice de l’Ontario et présidente du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance-médicaments.

Avant de commencer, je voudrais effectuer un tour de table pour que les sénateurs se présentent, en commençant par la vice‑présidente du comité, la sénatrice Cordy.

La sénatrice Cordy : Bienvenue. Je m’appelle Jane Cordy, sénatrice de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Moodie : Sénatrice Moodie, de l’Ontario.

La sénatrice Senior : Bonjour. Paulette Senior, de l’Ontario.

La sénatrice Burey : Sharon Burey, de l’Ontario.

La sénatrice Osler : Gigi Osler, du Manitoba.

[Français]

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Brazeau : Bonjour. Patrick Brazeau, du Québec.

La sénatrice Seidman : Bonjour. Judith Seidman, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

Le sénateur Boudreau : Bonjour. Victor Boudreau, nouveau sénateur du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La présidente : Vous ne resterez pas nouveau longtemps. Cela va changer.

Pour notre premier groupe de témoins, nous recevons Marc‑André Gagnon, professeur agrégé à l’École de santé publique et des populations de l’Université de la Colombie-Britannique, qui témoigne en personne. Par vidéoconférence, nous entendrons Steven G. Morgan, professeur agrégé à l’École d’administration et de politique publique de l’Université Carleton, ainsi que Matthew Herder, professeur de droit et de médecine et directeur du Dalhousie Health Justice Institute de l’Université Dalhousie. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui.

Nous entendrons d’abord la déclaration d’ouverture de M. Gagnon, puis celles de M. Morgan et de M. Herder.

Vous disposerez de cinq minutes chacun pour faire votre déclaration, après quoi nous vous poserons des questions. Monsieur Gagnon, la parole est à vous.

[Français]

Marc-André Gagnon, professeur agrégé, École d’administration et de politique publique, Université Carleton, à titre personnel : Bonjour à tous. Je m’appelle Marc-André Gagnon, professeur de politique publique à l’Université Carleton. J’en profite pour dire bonjour aux étudiants de mon cours de politique sociale, à qui j’ai donné comme devoir de regarder les débats du Sénat en ce moment.

Depuis plus de 15 ans, j’ai rédigé plus de 150 articles, chapitres ou rapports sur les enjeux de politiques pharmaceutiques au Canada.

Pour prendre le temps de bien expliquer les débats sur la réforme de l’assurance médicaments, j’ai soumis au comité un exposé de politique détaillé qui porte sur les structures et les défaillances actuelles de l’assurance médicaments au Canada, sur les enjeux quant aux différents types de réformes proposées, ainsi qu’une analyse du projet de loi C-64, que je considère comme problématique.

Je n’en peux plus d’entendre des gens ou des groupes de réflexion avec des conflits d’intérêts évidents se citer mutuellement pour radoter sur la désinformation quant aux enjeux liés à l’assurance médicaments. L’exposé de politique passe en revue de manière objective la littérature scientifique qui touche ces enjeux. Je n’ai aucun conflit d’intérêts si ce n’est que, parfois, en tant que patient, je suis désespéré de voir l’inefficacité de notre système, qui récompense trop souvent le gaspillage.

Les données probantes sont claires. Un régime d’assurance médicaments public universel, tel que le recommande le rapport Hoskins, permettrait non seulement d’offrir un meilleur accès aux médicaments pour tous les Canadiens et Canadiennes, mais permettrait aussi de réduire significativement les coûts et de promouvoir une utilisation plus appropriée des médicaments. Rien de tout cela n’est possible avec un système morcelé entre régimes publics et régimes privés. Il nous faut un régime de couverture public et universel, comme le propose le rapport Hoskins, dont le gouvernement Trudeau s’était engagé à suivre les recommandations.

Lors de la présentation du projet de loi C-64 en février, je voyais enfin quelques premiers pas en vue de réaliser les recommandations du rapport Hoskins. Enfin, nous allions poser les jalons d’un régime plus rationnel, même si on commençait bien modestement en couvrant seulement les contraceptifs et les produits pour le diabète.

J’ai toutefois déchanté. Le budget de mars n’offrait pas les crédits suffisants pour une couverture publique des produits mentionnés, et l’analyse du directeur parlementaire du budget expliquait que le régime n’allait coûter qu’une fraction des coûts associés à ces produits, car l’on présumait que les régimes privés continueraient de couvrir lesdits médicaments, ce qui est très peu probable. On s’entend : si une couverture publique est offerte, les régimes privés vont transférer les coûts au régime public et vont simplement arrêter de couvrir des médicaments qui sont déjà couverts par le régime public, à moins qu’on force les régimes privés à continuer de les couvrir.

Bref, le projet de loi C-64 ne semblait plus poser les jalons d’un régime public universel, mais semblait plutôt reposer sur la préservation, voire l’obligation de maintenir les régimes privés. Le ministre Holland a même confirmé en entrevue sur la Chaîne d’affaires publiques par câble (CPAC) que le projet de loi C-64 permettait d’envisager qu’une province adopte une approche pour combler les trous, « fill the gap », comme on le dit en anglais, plutôt que d’offrir une couverture publique pour tous.

Le projet de loi C-64 n’est pas toujours clair, ce qui crée beaucoup de confusion. Il est construit sur l’idée d’un « régime public d’assurance médicaments universel » et sur les recommandations du rapport Hoskins, mais on ouvre la porte pour faire le contraire en concrétisant un régime hybride public-privé comme au Québec, où tout le monde est couvert, en priorité par des régimes privés qui sont obligatoires.

La question qui me hante est de savoir si le projet de loi C-64 est malhonnête; sera-t-il utilisé pour mettre en place le contraire de ce qu’il prétend mettre en place? Ce n’est pas clair. À moins qu’on puisse dissiper autrement cette confusion, je propose deux amendements au projet de loi, non pas pour tenter de l’améliorer, mais plutôt pour colmater une brèche qui pourrait permettre d’en faire un usage malhonnête.

Voici mon premier amendement : « Pharmacare » doit être défini non pas en tant que régime d’assurance médicaments, mais en tant que régime public d’assurance médicaments.

Voici mon deuxième amendement : il faut inclure une définition du terme « universel » qui renvoie à la notion d’universalité en politique sociale, qui suppose que 100 % des citoyens ont droit aux services prévus par le programme, selon des modalités uniformes.

Actuellement, dans le projet de loi C-64, le régime d’assurance médicaments universel pourrait signifier que tout le monde sera couvert par un assortiment de couvertures publiques ou privées, et même que la couverture privée pourrait devenir obligatoire lorsqu’elle est disponible. Avec les amendements suggérés, un régime d’assurance médicaments universel signifiera un régime public d’assurance médicaments qui s’applique à tous sur le territoire, comme l’envisage le rapport Hoskins. Cela nous permettra finalement de poser les fondations d’un régime efficace et adapté, qui nous en donne pour notre argent.

Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

[Traduction]

La présidente : Merci, monsieur Gagnon. Chers collègues, le mémoire est en cours de traduction et vous sera envoyé dès qu’il sera prêt.

Monsieur Morgan, vous avez la parole.

Steven G. Morgan, professeur, École de santé publique et des populations, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Merci, sénateurs, de me permettre à présenter mon point de vue aujourd’hui.

En qualité de sénateurs, vous savez que ce n’est pas le moment d’étudier les options pour un régime national d’assurance-médicaments. C’est le temps de s’assurer que le projet de loi de mise en œuvre du régime national d’assurance-médicaments est clair, conforme aux objectifs du programme et sans lacunes importantes — d’autant plus qu’il s’agit d’une loi qui pourrait marquer l’histoire.

J’estime que le projet de loi C-64 n’est rien de cela. Il est remarquable que son préambule réitère la promesse répétée du gouvernement actuel de mettre en œuvre les recommandations du conseil consultatif Hoskins et des nombreuses commissions et rapports précédents, qui ont également recommandé un programme national d’assurance-médicaments universel, fondé sur des données probantes et, surtout, administré publiquement, à l’instar du programme d’assurance-maladie. Toutefois, tel qu’il est rédigé, le projet de loi ne réalisera pas cette promesse.

Vous avez tous lu attentivement le projet de loi C-64; vous savez donc qu’il est étonnamment concis pour un projet de loi de cette importance. Pour mettre les choses en perspective, les Canadiens dépensent déjà plus de 3 milliards de dollars par année seulement pour le traitement du diabète. Un programme national d’assurance-médicaments complet pourrait coûter plus de 30 milliards de dollars par année. Cela ne signifie pas que le Canada ne devrait pas mettre en œuvre un tel programme, car si un programme national d’assurance-médicaments est bien conçu, il permettrait aux Canadiens d’économiser plus qu’il ne coûte aux gouvernements de l’offrir, tout en nous permettant d’honorer l’obligation qu’a notre pays de veiller à ce que tous les Canadiens aient un accès équitable à des médicaments essentiels convenablement prescrits sans fardeaux financiers excessifs pour leurs ménages ou leurs lieux de travail.

Vous avez entendu le ministre affirmer hier que chaque mot — en fait, comme il l’a dit, chaque syllabe — du projet de loi C-64 a été contesté et débattu. Le projet de loi C-64 a été rédigé sous la contrainte alors que les libéraux et les néo-démocrates tentaient de sauver leur accord de soutien et de confiance. Le résultat est un projet de loi dangereusement ambigu. Vous savez, par exemple, que le projet de loi C-64 parle de « couverture universelle au premier dollar à payeur unique », mais ne tente même pas de définir ces termes.

Vous savez aussi que le projet de loi C-64 ne précise pas qu’un programme national d’assurance-médicaments devrait être un programme public. De fait, pas plus tard qu’hier, nous avons même entendu le ministre fédéral de la Santé refuser d’engager l’administration publique, disant qu’il est « ambivalent » quant au fait que l’assurance-médicaments nationale devrait être administrée publiquement. Il a ensuite ajouté que c’était son opinion et que la question n’est pas réglée.

Réfléchissez un instant au fait que le projet de loi C-64 concerne ce que beaucoup croient être la plus grande réforme de la santé depuis l’établissement du régime canadien d’assurance-maladie dans les années 1950 et 1960. Or, dans sa forme actuelle, le projet de loi C-64 laisse à la discrétion du ou de la ministre fédéral de la Santé des décisions très importantes sur l’élaboration des programmes. Il lui permet d’exercer ce pouvoir discrétionnaire — comme il ou elle le souhaite — dans le cadre de négociations bilatérales avec les provinces et les territoires, permettant la mise en place de structures de programme différentes à l’échelle du pays.

Ce genre de souplesse non seulement politise ce qui devrait être des décisions fondées sur des données probantes au sujet de la prestation des soins de santé pour tous les Canadiens, mais elle est aussi très dangereuse dans le contexte de la politique pharmaceutique.

Le Canada a besoin d’un cadre national clair et cohérent pour gérer cette composante extraordinairement importante, mais complexe des soins de santé canadiens — une composante qui fait intervenir certains des acteurs les plus puissants du monde, en plus de présenter des défis très sérieux et véritablement mondiaux à propos du caractère raisonnable et la transparence des prix.

Le projet de loi C-64 a donc besoin d’amendements. Il devrait être clair que le programme qui sera établi en vertu du projet de loi C-64 au départ, avec la couverture de contraceptifs et de traitements du diabète sélectionnés, sera un programme public vraiment universel. Il devrait être clair que le programme qui sera établi en vertu du projet de loi C-64 ne variera pas à l’échelle du pays, selon les caprices du ministre fédéral de la Santé ou à la demande d’une province en particulier.

Un programme universel et public d’assurance-médicaments assorti de normes nationales claires et solides prouvera que les Canadiens sont plus forts ensemble. C’est ce que fait le régime canadien d’assurance-maladie. C’est ce que les Canadiens méritent dans le cadre d’un programme national d’assurance-médicaments. Mais dans sa forme actuelle, le projet de loi C-64 ne donnera pas ce résultat. Merci.

La présidente : Chers collègues, la déclaration de M. Herder vous est distribuée.

Monsieur Herder, vous disposez de cinq minutes.

Matthew Herder, professeur de droit et de médecine; directeur, Dalhousie Health Justice Institute, Université Dalhousie, à titre personnel : Merci de m’offrir l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui. Je suis professeur de droit et de médecine à l’Université Dalhousie. Toutes mes recherches portent sur le droit et la politique pharmaceutiques et visent un seul objectif : améliorer l’accès aux médicaments essentiels.

Voilà pourquoi j’appuie l’instauration d’un régime universel, à payeur unique, financé et administré par le secteur public au Canada. Je ne peux imaginer deux catégories de médicaments plus importantes que les traitements du diabète et les contraceptifs, autour desquels on commencerait à construire un système national d’assurance-médicaments.

Toutefois, je ne peux pas appuyer le projet de loi C-64 tel qu’il est rédigé. La mesure législative proposée présente deux lacunes fondamentales. Premièrement, elle ne comprend pas de critères ou de normes clairs et uniformes pour la mise en œuvre du régime d’assurance-médicaments. Là où il est le plus près de le faire, c’est à l’article 6, où il stipule que le ministre fédéral de la Santé :

... peut effectuer des paiements à une province ou à un territoire [...] dans le but [...] d’offrir une couverture universelle au premier dollar à payeur unique — en ce qui concerne des médicaments sur ordonnance et des produits connexes destinés à la contraception ou au traitement du diabète.

Mais ces critères ne sont pas définis où que ce soit dans le projet de loi. En outre, cette couverture dépend du fait que le ministre a déjà conclu un accord distinct avec la province ou le territoire en question.

Le projet de loi C-64, comme l’a souligné mon collègue, M. Morgan, fait en sorte qu’une série d’accords bilatéraux devront être négociés entre le gouvernement du Canada et les provinces et territoires; ainsi, les médicaments jugés essentiels différeront probablement d’une région à l’autre du pays, et l’accès ne sera pas universel.

Ce genre de régime disparate et fragmenté n’est pas celui qu’envisageait le propre conseil consultatif du gouvernement dirigé par M. Eric Hoskins, pas plus qu’il ne pourra réduire les dépenses relatives aux médicaments d’ordonnance, qui représentent le poste de dépenses en soins de santé qui connaît la croissance la plus rapide et le deuxième poste budgétaire le plus élevé au Canada.

La deuxième lacune fondamentale du projet de loi C-64 est son incapacité à préciser, où que ce soit dans le libellé, les pouvoirs, les fonctions et la structure de gouvernance de l’Agence canadienne des médicaments ou ACM.

Dans sa version actuelle, le projet de loi désigne simplement l’ACM comme étant un organisme auquel le ministre fédéral de la Santé peut demander des conseils sur, par exemple, le rapport coût-efficacité des médicaments, et oblige le ministre à demander à l’ACM de contribuer à l’élaboration d’une stratégie nationale d’achat en gros d’une liste nationale de médicaments. Il ne donne pas de véritable pouvoir juridique à l’ACM quant aux médicaments à inclure dans la liste ou pour mettre en œuvre une stratégie nationale d’achat en gros.

En bref, dans le projet de loi C-64, tout le pouvoir de créer et de mettre en œuvre un régime d’assurance-médicaments repose encore entre les mains des acteurs politiques, notamment celles du ministre fédéral de la Santé. Nous savons cependant que les décisions concernant les médicaments qui devraient faire partie du régime d’assurance-médicaments doivent reposer sur une évaluation soignée et rigoureuse de la sécurité, de l’efficacité et de la valeur relative des médicaments sur ordonnance pour la santé publique ou les besoins médicaux non satisfaits, y compris pour les maladies rares. C’est l’ACM, et non les acteurs politiques, qui possède l’expertise nécessaire.

L’absence de détails dans le projet de loi C-64 sur les pouvoirs et responsabilités de l’ACM — notamment sur la façon dont l’agence doit être gouvernée pour veiller à ce qu’elle soit protégée contre toute influence indue de la part d’acteurs politiques et d’autres acteurs puissants de l’extérieur, tout en étant transparente et en rendant des comptes aux Canadiens qui dépendront de ses prises de décisions, constitue une omission troublante dans le projet de loi.

Au vu de ces deux lacunes fondamentales dans le projet de loi C-64, j’ai rédigé plusieurs amendements à apporter à la mesure législative proposée, que j’ai annexés à ma déclaration préliminaire pour que vous puissiez les étudier.

À cette étape du processus législatif, je me doute qu’il y a peu d’intérêt à examiner une série aussi vaste d’amendements. En vous les communiquant, cependant, mon intention est de montrer ce qu’une loi sérieuse sur l’assurance-médicaments doit contenir pour avoir une chance d’offrir un accès équitable et abordable aux médicaments essentiels au Canada.

De plus, selon moi, le comité peut arriver à la conclusion que le projet de loi C-64 a été adopté par la Chambre des communes par erreur parce que ses dispositions ne soutiennent pas réellement un régime d’assurance-médicaments permettant un accès universel aux médicaments essentiels. Il n’est pas trop tard. Le comité peut y remédier en intégrant directement dans le projet de loi des critères clairs sur ce à quoi doit ressembler l’assurance-médicaments au Canada et en supprimant le libellé du projet de loi C-64 qui renvoie l’assurance-médicaments à des négociations futures.

J’ai mis en évidence ces amendements essentiels au projet de loi C-64 dans l’annexe à la présente déclaration. J’invite les membres de ce comité à véritablement les prendre en considération. Je vous remercie de votre attention.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Herder.

Nous allons passer aux questions, chers collègues. Je propose d’accorder quatre minutes pour les questions et les réponses. Nous commencerons par la sénatrice Cordy, qui est la vice-présidente du comité.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. C’était très intéressant et fort utile pour tous les membres du comité. Ma première question s’adresse à M. Morgan.

Vous avez parlé de la nécessité d’avoir un programme clair et universel sans variation d’une région à l’autre du pays. Il s’agissait d’accords bilatéraux entre le gouvernement fédéral et chacune des provinces, et les soins de santé sont toujours difficiles à administrer pour le fédéral. Les provinces et les territoires aiment recevoir le chèque, mais ne veulent pas qu’on leur dise comment le dépenser. Il y a de nombreuses années, des sommes importantes ont été versées aux provinces pour l’achat d’équipement médical. Or, un hôpital a acheté un tracteur à gazon, qui a été utilisé par l’hôpital, mais qui ne correspondait certainement pas à ma définition de l’équipement médical. C’est ce qui se passe avec ce type de relation entre les provinces et le fédéral.

Comment s’assurer que, malgré la conclusion d’accords entre les dix provinces, les trois territoires et le gouvernement fédéral, il n’y a pas de variation dans la gestion des programmes? Vous avez fait un commentaire très valable.

M. Morgan : C’est une excellente question. Je me souviens de l’époque des accords sur la santé, au début des années 2000, où les provinces recevaient des fonds qui étaient dépensés pour des choses qui n’étaient pas nécessairement des soins de santé.

En ce qui concerne le régime national d’assurance-médicaments, nous disposons déjà d’un plan détaillé de mise en œuvre avec les recommandations du Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments. Elles précisent clairement que nous devrions créer une liste nationale des médicaments assurés qui seront financés conjointement par le gouvernement fédéral et toute province souhaitant bénéficier d’une aide financière pour offrir une couverture publique universelle de ces médicaments.

La question du financement conjoint peut faire l’objet d’un débat et d’une discussion. Pour lancer le programme avec les contraceptifs et certains traitements du diabète, le gouvernement fédéral souhaiterait peut-être mettre tout l’argent sur la table, comme il l’a fait pour les vaccins contre la COVID-19 et les traitements tels que le PAXLOVID. Le fait de disposer d’une liste nationale des médicaments assurés, que les provinces peuvent utiliser comme norme de protection — mais avec un financement fédéral — est un moyen de s’assurer qu’il y a véritablement une couverture et qu’elle est uniforme au pays.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. Voilà qui semble très simple.

Monsieur Herder, vous avez mentionné dans un article d’opinion paru dans Options politiques que le ministre doit veiller à ce que le comité d’experts soit libre de tout conflit d’intérêts. J’en ai parlé hier au ministre, qui m’a assuré que tout irait bien pour le comité, mais je partage votre inquiétude. Si le comité ne fonctionne pas bien, c’est l’ensemble du programme qui s’en ressentira. Comment envisagez-vous les opérations du comité d’experts?

M. Herder : C’est une excellente question. Je pense que plusieurs choses doivent se produire. J’ai été heureux d’entendre le ministre dire que c’était justement l’objectif : éviter que des conflits ne viennent compliquer le processus. Outre les protections existantes comme celles de la Loi fédérale sur les conflits d’intérêts, il convient d’inscrire dans la législation que le comité doit être formé de personnes possédant une expertise pertinente, ce qui inclut les personnes ayant vécu la situation, et pas seulement des experts. Leur propre vie avec une condition ou une maladie constitue également une expertise. Mais ces personnes doivent être à l’abri de tout conflit. Elles ne doivent pas avoir de relations étroites avec des secteurs de l’industrie pharmaceutique ou des assurances qui pourraient tirer profit d’un retour d’information ou d’un conseil particulier à ce comité. Je pense qu’il est essentiel d’intégrer cet élément au projet de loi afin de garantir une expertise équilibrée, qui vient à la fois des disciplines scientifiques pertinentes et de l’expérience de la vie.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie pour tous vos exposés d’aujourd’hui. Ma question s’adresse à MM. Morgan et Herder. Je crois savoir que vous êtes les principaux experts canadiens en matière de régimes d’assurance-médicaments et que vous travaillez dans ce domaine depuis des décennies, notamment en conseillant Santé Canada dans le cadre du Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments. Compte tenu de votre récent article paru dans le Journal de l’Association médicale canadienne, ou JAMC, qui s’intitule « Pharmacare Act does not prescribe universal, public pharmacare », et à la lumière de vos commentaires d’aujourd’hui, j’espère que vous pourrez répondre aux propos du ministre Holland devant notre comité hier. En effet, il affirme que la signification de termes tels que « universel » et « à payeur unique » est sujette à interprétation. J’aimerais savoir comment vous définiriez ces termes dans le contexte de l’assurance-médicaments. Pensez-vous qu’ils peuvent décrire avec précision un système mixte?

La deuxième partie de ma question est la suivante. Le ministre Holland a déclaré hier au comité que le projet de loi représentait un mécanisme d’évaluations graduelles, par étapes, pour parvenir à un régime d’assurance-médicaments universel et à payeur unique. Selon lui, l’adoption de ce projet de loi sans amendement était le seul moyen d’atteindre cet objectif.

Votre exposé et votre article dans le JAMC semblent suggérer que le projet de loi entrave la mise en place d’un véritable régime universel à payeur unique en enchâssant dans la loi un modèle mixte et fragmenté. Craignez-vous que ce projet de loi n’empêche l’atteinte de cet objectif à long terme? Je vous remercie. Je commencerai peut-être par vous, monsieur Herder.

M. Herder : Je vous remercie pour cette question. Je suis très inquiet. Je pense que le point essentiel que M. Morgan et moi-même avons essayé de faire valoir dans cet article et dans notre témoignage d’aujourd’hui est que le projet de loi est fondamentalement ambigu. Bien que je soutienne l’objectif d’améliorer l’accès aux médicaments contre le diabète et aux contraceptifs dès que possible, je crains que ce soit voué à l’échec. En effet, même si le régime se concrétise et qu’il n’arrive pas à faire baisser le coût des médicaments, cet échec sera défavorable au programme. Contrairement aux contraceptifs, le coût des médicaments contre le diabète a augmenté de manière significative, tout comme celui de nombreux autres médicaments essentiels que nous pourrions ajouter à une liste nationale des médicaments assurés. Je crains que cet échec ne soit utilisé pour expliquer pourquoi nous ne devrions plus jamais essayer de faire une telle chose. Je pense que nous devons simplement intégrer un point de départ à la loi pour éviter toute ambiguïté.

Le rapport Hoskins nous a donné des conseils clairs sur la manière d’intégrer et de définir des termes comme « universalité » dans le contexte de l’assurance-médicaments. Je les ai ajoutés dans les amendements que j’ai proposés et classés par ordre de priorité dans l’annexe qui accompagne mes remarques. Je vous invite plus particulièrement à regarder l’article 6, par exemple, pour savoir comment vous pourriez définir chacun de ces termes dans les articles qui suivent.

Je cède la parole à M. Morgan pour qu’il complète.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie. Monsieur Morgan, allez-y, je vous prie.

M. Morgan : Par respect pour le temps du comité, je suis d’accord avec M. Herder. Ce projet de loi est dangereusement ambigu et pourrait créer un précédent juridique qu’il serait très difficile de renverser, pour le Canada. Je donnerai l’exemple du Québec. Le plan initial du Québec, dans les années 1990, prévoyait un régime public universel d’assurance-médicaments assorti d’une liste de médicaments raisonnablement complète. En attendant, le gouvernement du Québec a été encouragé à mettre en place un système privé-public disparate, mais cette mesure provisoire aura bientôt 30 ans. C’est ce qui me préoccupe si nous adoptons maintenant un régime canadien qui manque d’uniformité.

La sénatrice Osler : Je remercie tous les témoins de leur présence aujourd’hui. Ma question s’adresse à vous trois. Hier, le ministre de la Santé a exhorté le Sénat à adopter le projet de loi C-64 rapidement et sans amendements. Par contre, vous avez tous dit que ce projet de loi contient des lacunes fondamentales et qu’il est nécessaire d’y apporter des amendements.

Monsieur Herder, vous nous avez soumis une série d’amendements. Monsieur Gagnon, vous en avez proposé deux.

Y a-t-il des amendements au sujet desquels vous êtes tous d’accord? M. Gagnon peut répondre en premier, suivi de M. Morgan et enfin de M. Herder.

M. Gagnon : J’en propose peu. Si nous ne pouvons pas éliminer cette confusion dans le projet de loi d’une autre manière, je propose deux petits amendements pour y arriver. Le terme « assurance-médicaments » serait redéfini pour préciser qu’il s’agit d’un régime public d’assurance-médicaments et le terme « universel » serait redéfini pour préciser que l’on offre la même couverture à toute la population. Je pense que tout le monde serait d’accord avec cela.

M. Morgan : Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que ce projet de loi devra être amélioré au fil du temps, et c’est peut-être ce que fera ce comité d’experts. Ce qui ne fait aucun doute pour l’instant, c’est que la couverture devrait être universelle, publique et au premier dollar pour les médicaments destinés à la contraception et au traitement du diabète. Il serait très utile d’inclure ce libellé dans le projet de loi.

M. Herder : Je pense que nous sommes tous les trois d’accord sur ce point. Je suis allé plus loin et j’ai essayé de reformuler plusieurs autres articles du projet de loi. Je crois toutefois qu’il est absolument essentiel de veiller à ce que le programme soit administré par le secteur public — on peut le préciser ou inclure cela dans la définition d’« assurance-médicaments », comme l’a proposé M. Gagnon — et que le terme « universel » soit assorti de véritables définitions pour faire en sorte que tout le monde, peu importe la province ou le territoire, soit couvert.

La sénatrice Osler : Je vous remercie.

Madame la présidente, je cède le temps qu’il me reste au comité.

La présidente : Monsieur Gagnon, j’aimerais vous poser une brève question. Avez-vous témoigné au comité de la santé de la Chambre des communes?

M. Gagnon : Oui. J’y ai aussi témoigné entre 2016 et 2018 lorsqu’il examinait l’assurance-médicaments.

[Français]

Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse aux trois témoins et concerne la notion de flexibilité dont a parlé le ministre hier. Par exemple, en consultant un peu le programme de médicaments dans ma province, le Nouveau-Brunswick, on constate que, d’une province à l’autre, il y a d’énormes différences dans la façon dont les programmes de médicament sont livrés.

Tout en considérant que le gouvernement fédéral veut proposer un système universel, quelle est la marge de manœuvre en ce qui concerne la flexibilité? Qu’est-ce qui vous semble raisonnable comme flexibilité pour mettre en place ce programme, compte tenu des disparités entre les provinces et territoires?

M. Gagnon : On est vraiment au premier stade avec les contraceptifs et les produits pour le diabète. On arrive avec une liste formelle de médicaments qui seraient couverts de cette façon. Ensuite, on étendrait la couverture à une liste de médicaments essentiels. Si l’on parle de la liste des médicaments essentiels, ce sont les mêmes médicaments pour l’ensemble des provinces qui devraient être la condition minimale pour tous.

L’idée, c’est que si on fait les pas suivants — ce que proposait de faire le rapport Hoskins en cinq ans —, on se retrouve avec une liste plus globale de médicaments et là on voit que, parmi les différentes populations des différentes provinces, les besoins ne sont pas nécessairement les mêmes. Cela peut être pour des questions génétiques ou d’autres raisons. À partir de là, l’évaluation entre les coûts et les bénéfices thérapeutiques de certains médicaments peut être très différente d’une province à l’autre. Donc, pour ces médicaments spécifiques, pour ce qui est du panier de médicaments couverts, il y aurait des variations qui pourraient être intéressantes et importantes.

Le sénateur Cormier : Les autres témoins aimeraient-ils commenter? Monsieur Morgan?

[Traduction]

M. Morgan : Merci. L’idée d’un régime national d’assurance-médicaments, telle qu’elle a été recommandée par plusieurs commissions d’enquête au cours des 30 dernières années, est que le système national établirait le plancher d’une couverture publique minimale dans tout le pays. Les provinces auraient la souplesse d’aller au-delà et, bien sûr, les compagnies d’assurance privées auraient la souplesse d’offrir des prestations de santé élargies, dépassant le programme national minimum d’assurance-médicaments.

On peut inscrire dans la souplesse l’idée que le gouvernement fédéral commencerait par des catégories de médicaments essentiels, comme les médicaments destinés à la contraception et au traitement du diabète, et choisirait des médicaments dans ces catégories. C’est un très bon point de départ. On pourrait ensuite ajouter des médicaments essentiels.

Au fil du temps, les provinces, les territoires et les Canadiens conviendront qu’un cadre national cohérent et solide pour l’achat de médicaments, l’obtention de meilleurs prix et l’assurance de la qualité et de la sécurité de l’approvisionnement est bénéfique. Nous finirons par avoir un programme national réellement complet.

Le sénateur Cormier : Merci. Bien que j’aimerais que M. Herder réponde à la question, je vais poser une question à M. Morgan au nom de la marraine du projet de loi, la sénatrice Kim Pate. Elle porte sur les économies prévues avec la mise en place d’un système public universel à payeur unique. Certains ont suggéré que nous disposions déjà d’un système d’achat en gros semblable à un système à payeur unique par l’entremise de l’Alliance pancanadienne pharmaceutique, ou APP.

Vous avez examiné ces questions, notamment en tant que membre du conseil consultatif Hoskins. Pouvez-vous préciser en quoi l’achat en gros dans un système à payeur unique serait différent? Pouvons-nous nous attendre à des économies supplémentaires?

M. Morgan : Oui. Le pouvoir de négociation d’un acheteur unique au nom de 40 millions de Canadiens est bien plus grand que celui de l’Alliance pancanadienne pharmaceutique, qui ne dessert pratiquement que les régimes publics d’assurance-médicaments qui sont des payeurs minoritaires sur leur marché.

Je vais vous donner quelques exemples. Nous savons, par exemple, que les prix des médicaments génériques au Canada ont baissé à la suite d’accords non concurrentiels entre l’APP et les fabricants de médicaments génériques. La fin de semaine dernière, j’ai analysé les prix des 32 médicaments génériques les plus vendus au Canada et en Nouvelle-Zélande au même moment. J’ai constaté que les prix de ces médicaments au Canada étaient, en moyenne, près de six fois plus élevés que les prix en Nouvelle-Zélande.

Je peux vous donner une idée des économies potentielles. Les régimes publics d’assurance-médicaments canadiens dépensent 925 millions de dollars par année pour ces 32 médicaments génériques les plus vendus. Si nous payions les mêmes prix que paie la Nouvelle-Zélande grâce à son programme national d’assurance-médicaments à payeur unique, nous économiserions 770 millions de dollars par année, rien que pour ces 32 médicaments.

Le fait d’être un payeur unique donne un grand pouvoir. Je vous dis cela depuis la Norvège, où j’organise une conférence internationale des responsables des programmes nationaux d’assurance-médicaments d’une douzaine de pays à revenu élevé d’un peu partout dans le monde. J’ai donné une présentation aujourd’hui devant ce groupe, et tout le monde m’a souhaité bonne chance dans l’espoir que le Canada puisse enfin se doter d’un programme public véritablement universel pour répondre aux besoins des Canadiens.

Le sénateur Cormier : Mon temps est écoulé. Mes excuses, monsieur Herder.

[Français]

Le sénateur Brazeau : Je remercie nos trois témoins d’être parmi nous ce matin. Ma question s’adresse à M. Gagnon.

Vous avez mentionné, dans vos remarques préliminaires, votre préoccupation par rapport aux conflits d’intérêts. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette préoccupation que vous avez? Qu’est-ce qu’on pourrait faire en tant que comité pour s’assurer qu’on limite de telles situations?

M. Gagnon : En fait, lorsque j’ai commencé à travailler sur l’assurance médicaments au Canada, il y a une quinzaine d’années, j’ai participé à la rédaction de la publication intitulée The Economic Case for Universal Pharmacare. On y faisait la démonstration que non seulement on aurait un meilleur accès, mais qu’on pourrait en plus épargner jusqu’à 10 milliards de dollars, selon le modèle d’assurance médicaments qu’on mettrait en place. Je me disais que, avec une politique fondée sur des données probantes, on arriverait à développer un programme, on pourrait faire des économies, il y aurait un meilleur accès pour tous, et que normalement le projet passerait facilement au Parlement. J’ai vite compris que, pour chaque dollar économisé, c’est un dollar de revenu que quelqu’un d’autre perdra et qu’il va faire tout ce qu’il peut pour ne pas perdre ces milliards de dollars.

Il y a énormément de groupes associés aux enjeux de l’assurance médicaments qui sont directement financés par l’industrie pharmaceutique, l’industrie de l’assurance ainsi que les chaînes pharmaceutiques. Il ne faut pas oublier que, dans le système de distribution actuel, avec l’immense gaspillage qui est en place, les chaînes de pharmacie ont le beau jeu de s’en mettre plein les poches. Pour elles, perdre le système actuel et perdre les inefficacités du système actuel, c’est perdre des capacités de revenus.

Parmi les groupes financés par l’industrie, vous en recevrez certains au comité. Si l’on songe au Conference Board du Canada, j’avais moi-même des étudiants qui y travaillaient et qui avaient arrêté d’étudier l’assurance médicaments, parce que ce qui se faisait était inacceptable.

L’idée, c’est qu’on répond à des commandes politiques. Depuis longtemps, l’Institut économique de Montréal est financé d’abord et avant tout par l’assurance-vie. Ce sont des organisations qui sont ultramilitantes sur ces enjeux et on les entend constamment.

Lorsqu’il y a des conflits d’intérêts, c’est important d’entendre une diversité de voix. Il faut comprendre que certaines voix sont appuyées financièrement pour avoir des porte-voix. Il faut juste faire attention de mieux équilibrer le poids que devrait avoir chacune de ces voix.

[Traduction]

La sénatrice Moodie : Je ne sais pas par où commencer. Je pense que je commencerai par le fait qu’hier, j’ai discuté avec la représentante de l’Agence canadienne des médicaments, qui était ici, et je lui ai posé des questions. J’étais perplexe et je lui ai fait part de ma perplexité. En raison du libellé du projet de loi, elle a dit qu’elle ne pouvait que répondre à une invitation à créer une liste de médicaments et à examiner les recherches qui sous‑tendent l’achat en gros. J’avais l’impression que l’organisme ne se considérait pas comme étant aux commandes de la mise à jour, de la présentation et de la modification de la liste de médicaments au fil du temps. Il me semble que ce n’est pas ainsi que la représentante de l’agence nous a décrit son rôle.

De même, parmi les témoins hier, je ne savais pas trop qui ferait les achats en gros. De fait, j’ai cru comprendre que les provinces finiraient par acheter les médicaments chacune de leur côté, encore une fois.

Pouvez-vous nous parler de ce que vous avez entendu et de la manière dont le projet de loi doit être modifié pour éliminer certaines ambiguïtés qui subsistent visiblement dans ce domaine? Par ailleurs, la contribution de 11 % de l’industrie à leur financement est, je suppose, une autre préoccupation dont on a déjà parlé. On a évoqué la question des conflits d’intérêts. Pouvez-vous en parler également, s’il vous plaît? J’aimerais vous entendre tous les trois.

M. Gagnon : Je peux commencer par dire qu’un régime universel d’assurance-médicaments ne doit pas nécessairement être à payeur unique, mais pour avoir un régime public universel d’assurance-médicaments, il est nécessaire de disposer de fondements institutionnels. Une agence des médicaments doit établir une liste nationale et rembourser les médicaments qui y figurent. La question est ensuite de savoir comment inclure les différents médicaments sur cette liste. Cela repose sur des négociations menées avec les entreprises pharmaceutiques afin de veiller à ce que nous en ayons pour notre argent.

Si nous nous retrouvons avec des médicaments beaucoup trop chers pour le peu de bienfaits thérapeutiques qu’ils apportent à la population, nous devons avoir la capacité de dire que nous n’en voulons pas. C’est le rôle d’une agence des médicaments. Je ne parle pas de Santé Canada. Santé Canada approuve les médicaments. Nous avons besoin d’une agence qui s’occupe du remboursement de ces médicaments. C’est le fondement de tous les programmes d’assurance-médicaments que l’on trouve dans tous les autres pays.

Si l’Agence canadienne des médicaments n’est pas sûre du rôle qu’elle doit jouer... Le projet de loi stipule, en gros, qu’on lui confie la mise en place d’une stratégie nationale pour l’utilisation appropriée des médicaments, l’élaboration de la liste, et cetera. Elle doit préparer ces choses et les soumettre au ministre. Nous ne savons pas exactement ce qu’il adviendra de cette stratégie pour une utilisation appropriée ou ce qui sera fait dans le cadre de l’élaboration d’une liste nationale.

La sénatrice Moodie : Je pose maintenant cette question à MM. Morgan et Herder.

M. Morgan : Je vais répondre brièvement à la question. Vous avez soulevé une préoccupation importante. Dans sa forme actuelle, le projet de loi fera en sorte que chaque province sera toujours en mesure de négocier les prix des médicaments qui pourraient être couverts par ce nouveau programme créé de façon bilatérale avec le gouvernement fédéral, mais la situation pourrait être encore pire. Si le gouvernement du Canada souhaite mettre de l’avant un programme où toutes les réductions de prix négociées dans le cadre du programme public doivent également être transmises aux assureurs privés, même s’ils affirment qu’ils rembourseront n’importe quel médicament à n’importe quel prix, cette politique — appelée politique de la nation la plus favorisée — fera en sorte qu’il sera plus difficile pour le programme public de négocier des prix concurrentiels, car, en pratique, il faut donner les rabais négociés aux assureurs privés. Ce genre de politique pose problème.

Si l’Agence canadienne des médicaments négociait au nom d’un programme public dans chaque province et territoire signataire, on aurait alors un négociateur avec un réel pouvoir, capable d’obtenir les meilleurs prix. Je tiens également à être clair : ce négociateur peut également veiller à ce que les contrats d’approvisionnement avec les fabricants comprennent des clauses qui garantissent la sécurité de l’approvisionnement dont les Canadiens ont besoin, ce qui est un élément important absent de la stratégie en cours à l’APP.

La sénatrice Moodie : Je vous remercie.

La sénatrice Dasko : Je remercie nos témoins. Ma question est la suivante. Imaginons que, par malheur, aucun amendement n’est apporté à ce projet de loi. Supposons qu’il n’y en ait pas. Quelles seraient vos priorités dans cette situation? Quelles seraient les mesures les plus importantes à mettre en place? Ma question s’adresse à tous les témoins. Monsieur Morgan, vous avez la parole.

M. Morgan : Compte tenu des ambiguïtés contenues dans ce projet de loi, il faudrait veiller à ce que l’actuel ministre de la Santé le mette en œuvre d’une manière qui soit conforme aux recommandations du rapport Hoskins, que chaque accord bilatéral avec les provinces exige une couverture universelle, publique et au premier dollar, et que l’Agence canadienne des médicaments soit l’agence qui puisse négocier les contrats d’approvisionnement. Il s’agit, en somme, de passer du projet de loi à la réglementation. Il faudrait avoir l’assurance absolue qu’il ne s’agira pas d’un programme d’assurance-médicaments où on laissera « mille fleurs s’épanouir », ce qui saperait les objectifs plus larges recommandés depuis longtemps.

La sénatrice Dasko : D’accord, je vous remercie. Monsieur Gagnon, vous avez la parole.

M. Gagnon : Essentiellement, je dirais qu’il faut s’assurer que l’assurance-médicaments privée n’est pas rendue obligatoire pour veiller à ce que les régimes d’assurance-médicaments privés continuent de payer une part des médicaments.

À titre d’exemple, au Québec, nous pouvons dire que nous avons un régime universel d’assurance-médicaments. Tout le monde bénéficie d’une assurance-médicaments quelconque. Le régime est donc universel; tout le monde est couvert et bénéficie d’un régime d’assurance-médicaments, c’est très bien. Pour ce qui est de rendre ce régime obligatoire... Je travaillais avec des groupes de consommateurs, et nous nous retrouvions parfois avec des cas... Je me souviens d’une étudiante à temps plein à Sherbrooke qui travaillait deux fins de semaine par mois comme préposée aux services de soutien à la personne. Elle gagnait 540 $ par mois, mais puisque l’employeur offrait un régime d’assurance-médicaments, le régime d’assurance-médicaments était obligatoire et elle était obligée de payer les cotisations. Elle n’avait pas le choix. Elle devait payer 190 $ par mois pour cotiser à ce régime d’assurance-médicaments.

Lorsqu’une personne se présente au comptoir de la pharmacie, peu importe que ce soit une couverture publique ou privée qui la rembourse, elle obtient le médicament. Par contre, pour un étudiant à temps plein, cela fait toute la différence de pouvoir garder dans ses poches 540 $ plutôt que 350 $ chaque mois.

La sénatrice Dasko : Monsieur Herder, je ne sais pas s’il reste du temps. Quelles seraient vos priorités?

M. Herder : Eh bien, j’espère que nous ne serons pas confrontés à cette situation, mais si le projet de loi n’est pas amendé, le comité d’experts deviendra une structure de reddition de comptes. On pourra assurer la surveillance du processus de mise en œuvre en lui donnant accès aux négociations bilatérales qui passent par le bureau du ministre de la Santé et en veillant à ce qu’il fasse preuve de transparence dans le cadre de ses travaux. Comme je l’ai dit, il est important de veiller à ce que ce comité soit composé d’experts et de gens ayant une expérience vécue et qu’il soit exempt de conflits d’intérêts. Il ne suffit pas de divulguer les conflits d’intérêts.

La sénatrice Dasko : Je vous remercie.

La sénatrice Bernard : Merci à tous les témoins d’être ici et de partager leur expertise. Je vous remercie du travail que vous abattez. Merci aussi d’avoir invité des étudiants qui seront peut-être nos futurs décideurs à observer nos travaux.

Je voudrais revenir sur la question que vient de poser la sénatrice Dasko. On parle beaucoup des compagnies d’assurances et des changements qui pourraient s’opérer. Je me demande toujours à qui ce projet de loi est réellement destiné. Je pense aux Canadiens qui ne sont pas couverts — ceux qui doivent choisir chaque mois entre acheter ou non des médicaments sur ordonnance, payer leur loyer, ou acheter de la nourriture ou des chaussures que leurs enfants porteront à l’école. On exerce beaucoup de pression pour qu’il n’y ait pas d’amendements.

Lorsque vous pensez aux plus pauvres parmi nos concitoyens qui ne bénéficient pas de régime d’assurance-médicaments, qu’avez-vous à dire à propos de ce projet de loi dans sa forme actuelle ou des amendements importants qui pourraient y être apportés? Quelle est votre recommandation quant à la manière dont nous devrions défendre ces personnes qui ne jouissent pas d’un régime d’assurance-médicaments et qui attendent que nous prenions la bonne décision? Quelle est la bonne décision?

M. Morgan : Je vais répondre très rapidement, puis laisserai mes collègues ajouter leurs commentaires.

Nous devons notamment nous assurer que nous traitons les plus pauvres au pays exactement de la même manière que nous traitons les plus riches. Il faut garantir un accès équitable à des médicaments soigneusement sélectionnés en fonction de la sécurité, de l’efficacité et de la valeur. Tous les pays qui participent aux réunions que j’organise cette semaine offrent un accès universel aux médicaments, quels que soient les revenus, l’âge, la profession, et cetera. Les modalités d’accès sont uniformes. Cela fait en sorte que les personnes les plus riches de ces pays veillent à ce que ces programmes répondent très bien à leurs besoins et à ceux des plus pauvres.

Voilà la mentalité qu’il nous faut adopter. Quoiqu’il en soit, le régime d’assurance-maladie fonctionne assez bien pour les plus démunis au pays, en partie parce que c’est le même système qui répond aux besoins des riches. Il ne faut pas l’oublier lorsqu’il est question de politiques en matière de médicaments.

La sénatrice Bernard : Eh bien, certains pourraient soutenir que le système actuel n’est pas très efficace pour les plus démunis.

M. Gagnon : Ce que je trouve fascinant, c’est que nous subventionnons fortement le système inefficace actuel, mais d’une manière complètement régressive. En gros, nous n’imposons pas les cotisations payées pour l’assurance médicaments.

Par exemple, si je gagne 200 000 $ par année et que mon taux marginal d’imposition du revenu est de 50 %, je reçois une énorme subvention pour mon assurance médicaments. Toutefois, si je gagne 20 000 $ par année et que mon taux marginal d’imposition du revenu est minime, je ne reçois aucune subvention pour mon assurance médicaments. C’est la façon dont fonctionne le système actuel.

Oui, à l’heure actuelle, nous avons une population très vulnérable qui a certainement besoin d’une couverture supplémentaire. Comme dans l’exemple d’un étudiant à temps plein au Québec que j’ai utilisé plus tôt, je pense que si nous nous retrouvons avec le mauvais système au bout du compte, nous continuerons d’imposer un fardeau financier supplémentaire beaucoup plus important à la population plus pauvre et plus vulnérable, ce qui ne serait pas le cas si nous avions un bon système universel qui couvre tout le monde dès le départ.

Un autre exemple…

La présidente : Monsieur Gagnon, je suis désolée. Chers collègues, je suis déçue et je sais que vous l’êtes aussi, car il n’y aura pas suffisamment de temps pour une deuxième série de questions.

J’aimerais également poser une question.

Nous sommes l’endroit où se déroule un second examen objectif. Nous aimons faire les choses correctement. Vous avez soulevé de nombreuses questions. Toutefois, nous n’existons pas dans un vide politique. Selon vous, vaut-il mieux adopter ce projet de loi, avec toutes ses imperfections et ses ambiguïtés, que de se retrouver sans aucun projet de loi?

M. Gagnon : Malheureusement, je ne sais pas.

La présidente : Vous ne savez pas. Et vous, monsieur Herder?

M. Herder : Ce n’est pas évident. La possibilité de l’accès aux contraceptifs et aux médicaments contre le diabète semble prometteuse, mais comme je l’ai dit, je pense qu’il s’agira d’une victoire de très courte durée. Je crains que nous n’abordions pas cette question à nouveau à moins qu’il ne s’agisse d’un texte législatif plus complet. Je pense que des amendements peuvent y être apportés et que la Chambre l’a adopté par erreur, comme on peut le constater dans presque toutes les dispositions du projet de loi. Le libellé est ambigu et mal rédigé. Il serait extrêmement utile de prendre un peu plus de temps pour apporter des amendements réfléchis, ciblés et tactiques.

La présidente : Mais ces amendements ont été rejetés par la Chambre des communes. Comme je l’ai dit, nous ne sommes pas la Chambre des communes, mais nous n’existons pas dans un vide politique.

Qu’en pensez-vous, monsieur Morgan?

M. Morgan : Étant donné son libellé actuel, je pense qu’il serait préférable de n’avoir aucun projet de loi plutôt que d’adopter celui-ci. Je me fonde sur mon expérience de personne qui travaille sur ce dossier au Canada depuis 30 ans.

À mon avis, si le gouvernement du Canada souhaite réellement que les contraceptifs et les traitements contre le diabète soient accessibles aux Canadiens dans le cadre d’accords bilatéraux, rien ne l’empêche de le faire dans le contexte des accords bilatéraux actuels qu’il a conclus pour toute une série de questions liées à la santé et dans le cadre des priorités que les provinces pourraient souhaiter établir.

Si ce projet de loi crée un précédent juridique et qu’il ouvre la voie à un ensemble disparate de régimes privés et publics, le régime d’assurance médicaments pourrait devenir, au fil des générations, l’un des textes législatifs les plus coûteux de l’histoire du Canada.

La sénatrice Senior : Je déteste l’admettre, madame la présidente, mais je pense que vous avez posé la question que je voulais poser.

Cependant, j’aimerais également essayer de comprendre quelque chose. À plusieurs reprises, le ministre Holland a mentionné que ce projet de loi avait été élaboré sous la pression, comme l’a dit l’un d’entre vous, si je ne me trompe pas. J’aimerais en savoir plus au sujet de cette pression, c’est-à-dire que j’aimerais connaître la source de cette pression ou les pressions les plus importantes qui s’exercent lorsqu’il s’agit de comprendre son idée selon laquelle si nous recommandons… Ou si on nous pousse à ne pas adopter d’amendements à cet égard. Avez-vous une idée de la nature du point de pression le plus important à cet égard?

M. Gagnon : Il ne faut pas oublier qu’en ce qui concerne les régimes privés d’assurance médicaments, les sociétés d’assurances perdront une part de marché représentant de 12 à 13 milliards de dollars chaque année. Les assureurs font également partie de l’électorat.

J’ai été quelque peu sidéré par le pouvoir des sociétés pharmaceutiques pendant la pandémie. En effet, le gouvernement canadien s’est essentiellement prosterné devant les intérêts des sociétés pharmaceutiques pour tenter de garantir l’approvisionnement en doses de vaccin. Nous avons d’ailleurs obtenu d’excellents résultats en matière de nationalisme vaccinal, mais seulement si nous respections les conditions imposées.

En ce qui concerne les pressions exercées, comme je l’ai dit, différents individus pourraient perdre beaucoup d’argent et c’est la raison pour laquelle ils aimeraient préserver le système actuel et font tout ce qu’ils peuvent en ce sens. C’est tout.

La sénatrice Senior : Me reste-t-il une minute?

La présidente : Il vous reste une minute.

La sénatrice Senior : Y a-t-il d’autres commentaires sur le sujet?

M. Morgan : Il faut admettre que l’entente de soutien et de confiance arrivait à son terme. En fait, après les négociations de l’automne dernier, elle avait été prolongée jusqu’en février et mars. Les deux partis souhaitant prolonger la durée de vie du gouvernement actuel se sont entendus sur une recommandation finale convenue à la hâte. Lorsque le ministre a témoigné, chaque mot a fait l’objet d’un débat.

Je pense que les commentaires du ministre indiquent qu’il est peut-être responsable de l’un des points de friction, car il ne croit pas à la recommandation du conseil consultatif Hoskins en faveur d’un programme d’assurance médicaments administré par l’État.

Il s’agit d’une motivation politique qui découle en partie de l’entente de soutien et de confiance. Bien honnêtement, les Canadiens et tous ceux qui comprennent un tant soit peu la politique dans notre pays savent bien qu’il est important d’assurer la couverture des contraceptifs. La Colombie-Britannique avait déjà commencé et le Manitoba s’en occupe maintenant. Mais c’est également important sur le plan politique pour le gouvernement actuel, à l’approche d’une élection où les sondages le montrent si loin derrière. Cela permettrait d’intégrer la contraception et les droits génésiques dans le discours national lors des prochaines élections.

Je tiens à souligner, encore une fois, que le gouvernement n’a pas besoin de ce projet de loi pour faire cela. Il pourrait y arriver par l’entremise d’accords bilatéraux distincts d’une loi sur l’assurance médicaments.

La présidente : Je vous remercie beaucoup.

Chers collègues, c’est ce qui met fin à la discussion avec ce groupe de témoins. Je vous remercie beaucoup, monsieur Gagnon, monsieur Herder et monsieur Morgan, de votre discernement et de vos réflexions. Vous avez soulevé de nombreuses questions que nous espérons pouvoir approfondir au fil de notre étude sur ce projet de loi.

Dans notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons, en personne, Nikolas Barry-Shaw, responsable de campagnes (accords de libre-échange et privatisation) du Conseil des Canadiens, et Eddy Nason, directeur, Santé, du Conference Board du Canada. Par vidéoconférence, nous accueillons Emmanuelle B. Faubert, économiste, et Daniel Dufort, président-directeur général, tous deux de l’Institut économique de Montréal. Nous vous remercions tous d’être ici aujourd’hui.

Nous entendrons d’abord une déclaration préliminaire de MM. Barry-Shaw et Nason, et nous entendrons ensuite M. Dufort. Vous avez chacun cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire.

Monsieur Barry-Shaw, vous avez la parole.

Nikolas Barry-Shaw, responsable de campagnes (accords de libre-échange et privatisation), Conseil des Canadiens : Je vous remercie, madame la présidente.

Depuis environ deux ans, je suis plus ou moins responsable à temps plein des campagnes pour l’assurance médicaments au sein du Conseil des Canadiens. Nous sommes un organisme de citoyens qui s’appuie sur l’adhésion volontaire. Nous avons 30 sections à l’échelle du pays. Plus de 150 000 personnes soutiennent nos activités.

Tout au long de la campagne pour l’assurance médicaments, nous avons organisé 18 assemblées publiques sur l’assurance médicaments dans des villes et collectivités de partout au pays. Nous avons recueilli plus de 10 000 signatures de personnes réclamant un régime national d’assurance médicaments. Nous avons passé plus de 5 000 appels téléphoniques aux députés et aux ministres pour promouvoir l’assurance médicaments.

Dans le cadre de cette campagne, nous demandons la création d’un régime d’assurance médicaments universel, public et à payeur unique. Nous demandons au Sénat d’adopter le projet de loi C-64 sans amendements, car nous pensons qu’il s’agit d’une étape essentielle pour atteindre cet objectif.

La nécessité d’un tel programme n’a jamais été aussi évidente. Je sais que nous avons déjà discuté ici de l’ampleur du problème. Je tiens cependant à souligner que l’accès aux médicaments représentait déjà une situation de crise avant la pandémie. La situation s’est encore détériorée en raison de l’inflation postpandémique.

Dans le document que vous recevrez — je crois qu’il est en cours de traduction —, nous révélons que, selon les sondages les plus récents, 22 % des ménages canadiens déclarent qu’un de leurs membres n’a pas les moyens de payer ses médicaments. Ces personnes sautent des doses, coupent des pilules en plusieurs morceaux ou ne renouvellent plus leur ordonnance. Le coût des médicaments représente donc un énorme problème pour un nombre considérable de ménages.

Nous savons que le non-respect des prescriptions attribuable au coût est un problème plus important pour les personnes atteintes de diabète, et le coût est également l’un des principaux obstacles à l’accès aux contraceptifs pour les femmes et les personnes de diverses identités de genre. Nous pensons qu’il est urgent d’agir. Nous ne voulons pas que le projet de loi subisse d’autres retards.

J’aimerais également souligner que ce problème ne concerne pas uniquement les personnes qui n’ont pas d’assurance. En effet, il y a eu des erreurs à cet égard au sein de certains débats, car on nous a cité la statistique selon laquelle 97 % des Canadiens sont censés être admissibles à une forme d’assurance.

Dans le cadre de notre campagne, de nos discussions et des commentaires que nous avons reçus de nos membres et sympathisants au sujet des difficultés créées par le coût élevé des médicaments et les polices d’assurance inadéquates, le problème le plus souvent cité est que le coût des médicaments est si élevé que les gens n’ont pas les moyens d’y avoir accès, même s’ils sont couverts par une assurance. Comme la plupart des régimes publics et privés prévoient des mécanismes de participation aux coûts, le problème est bien réel, même lorsque les personnes sont couvertes par une assurance.

Le rapport Hoskins a révélé que six personnes sur dix qui déclarent ne pas respecter leur prescription pour des raisons liées aux coûts sont des personnes qui bénéficient d’une couverture dans le cadre d’un régime existant. Des sondages récents révèlent qu’il est possible que sept personnes sur dix qui déclarent éprouver de grandes difficultés à payer leurs médicaments soient des personnes qui bénéficient également d’une couverture existante. Je tiens donc à souligner l’importance d’une couverture universelle au premier dollar pour ces deux catégories de médicaments. Nous avons très hâte que cette norme soit étendue aux médicaments à mesure qu’ils seront ajoutés au formulaire de la liste des médicaments essentiels.

La discussion était déjà enrichissante. J’avais préparé une déclaration préliminaire, mais je tiens à aborder la question des ambiguïtés du projet de loi et dire rapidement que nous reconnaissons ces ambiguïtés, mais que selon nous, elles sont moins importantes. En effet, nous pensons que le projet de loi présente de nombreux points forts, en particulier le paragraphe 6(1), qui stipule clairement qu’il s’agira d’une couverture universelle au premier dollar et à payeur unique. Le financement de la première étape du programme servira aux régimes publics. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous voulons que le projet de loi soit adopté sans amendements.

Nous sommes d’avis que cela crée un précédent. Il faut saisir cette occasion politique. Il est également essentiel de protéger le processus d’élaboration des politiques contre les conflits d’intérêts et les entreprises qui tentent d’influencer ce processus.

Nous avons réalisé un grand nombre de rapports et de recherches sur le lobbying exercé auprès du ministre et de ses hauts fonctionnaires tout au long de l’élaboration du projet de loi sur l’assurance médicaments. Nous pouvons voir que ce lobbying se poursuit aujourd’hui.

Nous tenons fermement à ce que l’Agence canadienne des médicaments et le comité d’experts soient exempts de conflits d’intérêts. Je tiens à réitérer le point de vue de M. Matthew Herder selon lequel il est essentiel que les membres de ces comités non seulement divulguent leurs conflits d’intérêts, mais qu’ils en soient également exclus s’ils ont des liens avec les deux industries qui ont le plus à perdre dans le système public à payeur unique, à savoir les sociétés pharmaceutiques et l’industrie de l’assurance.

La présidente : Monsieur Nason, vous avez la parole.

Eddy Nason, directeur, Santé, Le Conference Board du Canada : Bonjour tout le monde. Je suis très heureux d’être ici aujourd’hui pour parler de notre travail sur la couverture relative aux médicaments sur ordonnance.

Les renseignements suivants remontent à juillet 2022, lorsque Le Conference Board du Canada a publié un rapport intitulé Comprendre l’écart 2.0: Une analyse pancanadienne des régimes d’assurance-médicaments sur ordonnance. Il s’agissait d’une mise à jour d’une analyse précédente intitulée Comprendre l’écart, publiée en 2017.

Dans cette étude, qui a été mentionnée à quelques reprises, on estimait qu’environ 3 % seulement des Canadiens n’étaient pas admissibles à une forme quelconque de couverture relative aux médicaments sur ordonnance, que ce soit par l’entremise de leur régime public provincial ou de régimes privés.

Il s’agit d’une diminution de l’écart par rapport à l’estimation donnée dans la version précédente de 2017, qui était d’environ 5 %. Vous pouvez constater que ce changement est principalement attribuable à la mise en œuvre du RAMO en Ontario, qui a fourni une couverture relative aux médicaments sur ordonnance à 1,3 million d’enfants et de jeunes supplémentaires. Cela a donc permis d’augmenter ces chiffres par rapport à 2016.

Les gens qui n’ont pas d’assurance, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas admissibles, se trouvent dans deux provinces, soit l’Ontario et Terre-Neuve-et-Labrador, qui n’offrent pas de régime public universel d’assurance médicaments, un ensemble de programmes ouverts à toute la population ou un nombre suffisant de programmes pour couvrir l’ensemble de la population provinciale, ou dans lesquelles les régimes publics couvrent les personnes qui n’ont pas de couverture privée, afin de combler les lacunes de la couverture privée.

Parfois, en cas de coût élevé des médicaments, les personnes qui ne sont pas assurées dans ces provinces peuvent être admissibles à une couverture de médicaments onéreux qui sera fournie par la province.

Cependant, même en cas d’admissibilité à un régime d’assurance, 10 % des Canadiens visés par l’étude n’étaient pas inscrits à un régime public ou privé. Là encore, il s’agit d’une légère diminution par rapport aux estimations de 2017.

En outre, même si le taux d’inscription à un régime est élevé, nous constatons toujours — comme M. Barry-Shaw vient de le mentionner — que de nombreux Canadiens n’ont pas un accès suffisant aux médicaments dont ils ont besoin. Il y a de multiples raisons qui expliquent cette situation. Cette analyse en a cerné quelques-unes, dont l’incapacité des ménages à faible revenu de couvrir les frais liés aux médicaments, les différences entre les médicaments accessibles dans le cadre des régimes publics et privés ou dans les régimes publics provinciaux, les délais nécessaires pour avoir accès aux nouveaux traitements dans les régimes publics — ces délais tendent à être plus longs que dans les régimes privés, car les personnes inscrites à un régime privé peuvent parfois avoir accès à certains nouveaux traitements avant les gens inscrits à un régime public — et les plafonds de couverture ou les limites de dépenses des régimes, qui peuvent entraîner des frais à la charge des personnes pour certains traitements.

Ces problèmes d’accessibilité correspondent aux inégalités sociales au Canada et s’alignent sur les niveaux de revenus des ménages, sur les populations vieillissantes souffrant de comorbidités multiples et nécessitant davantage de médicaments et sur les origines raciales et ethniques des personnes et des familles.

Je vous remercie de m’avoir invité à participer à cette discussion. J’ai hâte de discuter plus en détail du rapport avec les membres du comité.

La présidente : Je vous remercie beaucoup, monsieur Nason.

Monsieur Dufort, vous avez la parole.

[Français]

Daniel Dufort, président-directeur général, Institut économique de Montréal : Je vous remercie de nous avoir invités pour discuter d’un enjeu très important qui est celui de l’assurance médicaments.

Le projet de loi C-64 soulève des préoccupations majeures quant à son impact sur la qualité de la couverture et sur l’accès aux médicaments pour nos concitoyens. En effet, il écarte un principe essentiel en politique publique, soit que l’on doit tout d’abord éviter de faire du tort à autrui.

Actuellement, 24,6 millions de Canadiens bénéficient d’une assurance privée, ce qui représente, grosso modo, 65 % de la population. Malheureusement, un régime universel menacerait la qualité de la couverture pour au moins 21,5 millions de Canadiens. En effet, les régimes privés couvrent en moyenne 51 % plus de médicaments que les régimes publics. Cette réduction de la qualité de la couverture n’est tout simplement pas justifiable.

De plus, la mise en place de ce régime national d’assurance médicaments sera extrêmement coûteuse. Selon le directeur parlementaire du budget, le coût total pour le gouvernement fédéral friserait les 39 milliards de dollars d’ici 2028, dont 13,4 milliards de dollars à l’échelle fédérale. Ces dépenses supplémentaires exerceraient une pression considérable sur nos finances publiques, qui sont déjà fragilisées par une dette nette de 1 300 milliards de dollars et des déficits récurrents à l’horizon.

Actuellement, l’approbation d’un nouveau médicament prend en moyenne 732 jours dans les régimes publics, contre seulement 226 jours dans les régimes privés. Les patients n’ont souvent pas le luxe de voir la mise en vente de médicaments encore plus retardée.

Aujourd’hui, on parle de 1,1 million de Canadiens qui ne sont admissibles à aucune assurance médicaments. Il est important de mettre en place des mesures qui vont les aider, sans toutefois nuire au reste de la population. Au lieu de mettre en place un régime national d’assurance médicaments qui pourrait perturber les régimes existants et réduire la variété et la qualité des médicaments disponibles, nous devrions nous concentrer sur l’élargissement de la couverture pour ceux qui n’y ont pas accès en ce moment. En effet, le gouvernement propose ici essentiellement d’arracher aux travailleurs canadiens les régimes d’assurance médicaments pour lesquels ils travaillent fort et leurs familles dépendent leurs familles. Il les remplacerait par des régimes nettement moindres.

Comme tout programme d’assurance publique quel qu’il soit, il faudra en contenir les coûts. Inévitablement, cela se fera en restreignant l’offre : moins de médicaments couverts et de plus longs délais d’attente. Ce n’est pas un défaut du système, mais bien une de ses caractéristiques essentielles.

En conclusion, bien qu’un régime national d’assurance médicaments puisse sembler attrayant en théorie, il présente en pratique de nombreux risques et inconvénients. Nous devons et pouvons veiller à ce que tous les Canadiens aient accès aux médicaments dont ils ont besoin sans compromettre la qualité de la couverture existante. Je vous encourage à considérer ces éléments et à travailler ensemble pour trouver des solutions qui vont améliorer la vie de l’ensemble des Canadiens, plutôt que de nuire à une nette majorité d’entre eux. Merci de nous avoir écoutés.

[Traduction]

La présidente : Je vous remercie beaucoup, monsieur Dufort.

La sénatrice Cordy : Monsieur Nason, merci beaucoup. J’ai lu de nombreux rapports du Conference Board du Canada. Vous faites de l’excellent travail. Vous avez indiqué que 3 % des Canadiens n’ont pas d’assurance privée. Corrigez-moi si je me trompe, car je l’ai pris en note rapidement. Certaines provinces offrent une couverture pour les médicaments onéreux. Dans ma province, la Nouvelle-Écosse, les médicaments des personnes âgées sont couverts. Vous avez parlé des pourcentages et des différentes catégories, mais vous n’avez pas dit si vous étiez ou non en faveur du projet de loi. Était-ce intentionnel? Pourriez‑vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

M. Nason : Pour clarifier les choses, les 3 % représentent la proportion de Canadiens qui ne sont admissibles à aucune couverture, qu’il s’agisse d’un régime privé ou public ou de tout autre système en place au Canada.

En ce qui concerne le projet de loi, je suis en faveur de l’idée, mais, comme on l’a indiqué au cours de la dernière session, sa mise en œuvre pose certains problèmes.

La sénatrice Cordy : C’était une réponse très diplomatique.

Monsieur Barry-Shaw, je vous remercie également pour les statistiques et l’information que vous nous avez fournies. Vous avez dit que le projet de loi renferme des ambiguïtés, mais le principe de gratuité est suffisant. De plus, tant de personnes à qui vous avez parlé ont dit que c’était nécessaire pour elles. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce que les gens vous ont dit? Que se passera-t-il si nous apportons des amendements au projet de loi?

M. Barry-Shaw : Nous avons eu l’occasion de rencontrer de nombreuses personnes ces deux dernières années. Je pense, entre autres, à Rebecca Redmond, une descendante de sir Frederick Banting, qui a découvert l’insuline. Elle est atteinte de diabète de type 1. Elle a participé à l’une de nos assemblées publiques et a déclaré qu’être atteint de diabète, c’est comme avoir un deuxième paiement de voiture à faire. Cela revient extrêmement cher pour les gens. Je pense à des personnes comme l’infirmière de la Saskatchewan qui nous a écrit. Elle travaillait à temps plein. Elle avait des enfants adultes à la maison qui avaient besoin de médicaments. Elle bénéficiait d’une certaine couverture à son travail, mais les médicaments étaient si chers que la partie du coût qu’elle devait assumer était au-dessus de ses moyens. Sa fille n’allait pas à l’université et son fils ne pouvait pas occuper un emploi parce qu’il ne recevait pas les médicaments dont il avait besoin.

Il est essentiel que le programme soit universel et qu’il soit offert à des personnes comme cette infirmière de la Saskatchewan et Rebecca Redmond — et à celles qui bénéficient d’une couverture, mais pour qui le coût des médicaments demeure élevé. Ce sont là des principes très importants : nous en faisons un service de santé comme les autres, il est reconnu comme étant nécessaire d’un point de vue médical et nous n’allons pas mettre d’obstacle financier pour les personnes qui y ont accès. J’espère que cela créera un précédent.

La sénatrice Cordy : La semaine dernière, j’ai été choquée de devoir payer de ma poche des frais de 70 $ pour des médicaments. Pour moi, cela ne signifiait pas que nous n’aurions pas d’argent pour faire l’épicerie. Nous avons donc de la chance. Or, dans cette situation, certaines personnes auraient à faire des choix difficiles. Est-il important que le projet de loi soit adopté dans sa forme actuelle?

M. Barry-Shaw : Je pense que nous avons la possibilité de le faire. Je regrette de devoir reprendre les propos du ministre de la Santé. Nous sommes souvent en désaccord avec le gouvernement sur de nombreuses questions, mais sur ce point, je pense qu’il a raison. D’après ce que nous ont dit nos alliés — nous avons parlé à des députés —, nous ne sommes pas sûrs que le projet de loi serait adopté avec des amendements.

Le Conseil des Canadiens réclame l’assurance médicaments depuis environ 20 ans. Nous pensons vraiment qu’il est temps de commencer, de créer un précédent et, nous l’espérons, de poursuivre sur cette lancée. Je dirais que c’est la façon de procéder, c’est-à-dire qu’un comité d’experts va se pencher sur la question et décider pour quel modèle nous optons, pour un modèle public à payeur unique ou non. Pour moi, il n’y a aucun doute.

Nous avons entendu le point de vue de Marc-André Gagnon, de Steven Morgan et d’autres spécialistes qui ont examiné la question. Tous les groupes d’experts indépendants qui se sont penchés là-dessus ont déclaré que nous devions adopter un régime à payeur unique afin de réduire les coûts des médicaments et d’inclure tout le monde. Si le gouvernement écoute les conseils des experts...

La présidente : Merci.

La sénatrice Seidman : Je remercie tous nos témoins de leurs exposés et de leur présence ici aujourd’hui. Je pense que je vais commencer par vous, monsieur Nason.

Hier, le directeur parlementaire du budget a confirmé au comité que le coût estimé du programme suppose que les Canadiens qui bénéficient déjà d’un régime en milieu de travail pour des médicaments couverts par un programme national d’assurance médicaments devraient continuer d’avoir accès à ces avantages dans le cadre d’un régime en milieu de travail. Il s’agissait des estimations du directeur parlementaire du budget. Je vous pose donc ma question. En quoi cela correspond-il à votre interprétation du terme « régime universel d’assurance médicaments à payeur unique »?

Le directeur parlementaire du budget a également dit au comité que le marché inciterait clairement les employeurs privés à supprimer la couverture de produits couverts par un programme national d’assurance médicaments et qu’ils le feraient dans le cadre de négociations collectives.

Est-ce que la probabilité d’une réduction de la couverture par un régime en milieu de travail, que le directeur parlementaire du budget a confirmée au nom de membres des syndicats, vous préoccupe?

M. Nason : Oui, je pense que c’est en soi un incitatif. Si l’on crée un système dans lequel on indique que l’on est prêt à payer pour certaines choses, alors d’autres ne seront pas prêts à payer pour ces mêmes choses. Il y aura des problèmes si l’on essaie de créer un système qui réunit d’autres systèmes et que l’on dit « nous allons simplement combler les lacunes » plutôt que, comme l’a indiqué Steven Morgan, d’établir le plancher et de déterminer ensuite comment aller plus loin avec ce qui serait encouragé pour que d’autres payeurs participent.

La sénatrice Seidman : En fait, nous avons entendu des experts canadiens — et ce sont vraiment des experts — qui ont dit que l’adoption du projet de loi compromettrait encore plus la possibilité qu’il y ait, un jour, un véritable système universel au pays. Le croyez-vous? Ou êtes-vous du même avis? Je suis désolée, je ne devrais pas vous demander si vous le croyez.

M. Nason : Je m’en remettrais certainement à leur expertise quant à la capacité de créer un système d’assurance médicaments complet. Ce n’est pas une question à laquelle moi ou le Conference Board du Canada avons consacré beaucoup de travaux. Leur opinion est donc probablement plus valable que la mienne.

La sénatrice Seidman : Merci. Monsieur Dufort, dans votre exposé, vous avez mentionné que moins de médicaments seraient accessibles et qu’ils le seraient moins rapidement, ou du moins qu’il faudrait beaucoup plus de temps pour qu’un médicament soit accessible dans le régime public. Je pense qu’il faut environ un an de plus que pour un assureur privé. J’aimerais poser une question sur la liste actuelle des produits de traitement du diabète proposée par Santé Canada. L’avez-vous examinée et pensez‑vous qu’elle est assez exhaustive par rapport aux produits qui sont actuellement disponibles dans le cadre des régimes d’avantages sociaux en milieu de travail qui ont été négociés dans le cadre des négociations collectives?

[Français]

M. Dufort : Pour être honnête avec vous, nous n’avons pas analysé les médicaments contre le diabète; nous nous sommes concentrés sur le principe même de l’assurance médicaments et nous avons constaté que les régimes privés couvrent 51 % plus de médicaments que les régimes publics. On peut donc imaginer que, au fur et à mesure que ce programme s’élargira et que les coûts devront être contenus, il faudra évidemment restreindre davantage l’accès à de nouveaux médicaments. De plus, les délais s’allongeront, tout comme on le constate pour le système public de soins de santé ou pour tous les autres programmes où le public exerce un monopole.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup.

[Traduction]

La sénatrice Osler : Je remercie les témoins de leur présence.

Ma question s’adresse à M. Barry-Shaw, du Conseil des Canadiens. Dans votre témoignage, vous avez mentionné que le conseil réclame un régime national d’assurance médicaments depuis deux décennies. Je crois qu’il réclame un régime tel qu’il est décrit dans le rapport Hoskins.

Plus tôt aujourd’hui, vous avez entendu le témoignage de spécialistes de l’assurance médicaments qui ont affirmé que l’adoption du projet de loi C-64 dans sa forme actuelle constituerait un dangereux précédent pour la mise en place d’un régime national d’assurance médicaments universel public à payeur unique offrant une couverture au premier dollar à l’avenir. Compte tenu des témoignages que nous avons entendus aujourd’hui et étant donné que vous avez mentionné avoir eu des conversations avec le ministre, j’aimerais connaître le point de vue du conseil. Comment les Canadiens réagiraient-ils si cette vision d’un régime national d’assurance médicaments ne se concrétisait pas?

M. Barry-Shaw : Je ne souscris pas à la prémisse de la question. Nous pensons que nous serons sur la bonne voie en vue d’établir un système public à payeur unique.

Nous avons eu beaucoup de discussions sur l’idée que les gens passent de la couverture privée à la couverture publique... En gros, on crée une voie publique. Ce n’est pas tout à fait un payeur unique, mais cela créera une voie publique et un programme entièrement financé par les gouvernements fédéral et provinciaux. C’est un système universel. Il s’agit d’une couverture au premier dollar. Je pense que le système va prendre de l’ampleur et qu’il va attirer la grande majorité des Canadiens, qui sont couverts par un régime qui exige qu’ils paient les médicaments de leur poche. Je pense que cela pourrait nous aider à atteindre notre objectif.

Je pense que si les gens voient que d’autres obtiennent des médicaments contre le diabète et des contraceptifs dans le cadre de ce programme, ils seront tout à fait justifiés de demander: « Pourquoi pas des médicaments contre le cancer? Pourquoi pas des médicaments contre la tension artérielle? Pourquoi ne couvre-t-on pas cela de la même façon? » Et je pense que l’une des croyances largement répandues chez de nombreux Canadiens est que les soins de santé devraient être un droit et devraient être accessibles à tous en fonction de leurs besoins et non de leur revenu, alors je pense qu’en le faisant pour deux catégories de médicaments, on créera un précédent positif.

Je comprends les ambiguïtés et les préoccupations de chacun, mais nous estimons que le danger se situe beaucoup plus sur le plan de la volonté politique. Je pense que l’industrie pharmaceutique et l’industrie de l’assurance ont fait beaucoup pour essayer d’asphyxier cette volonté politique. On a évoqué l’idée que les gens vont perdre leur assurance médicaments privée existante à cause de la création de cette voie publique. Cela ne figure nulle part dans le projet de loi ni dans le rapport Hoskins. Le rapport Hoskins indique explicitement qu’il y aura des prestations de santé supplémentaires privées qui couvriront les médicaments qui ne figurent pas sur la liste nationale des médicaments assurés.

J’ai l’impression que, dans notre environnement politique, il y a beaucoup de désinformation de la part d’acteurs du secteur privé qui ont un intérêt direct très clair à s’opposer à un régime national d’assurance médicaments. C’est à ce niveau que la lutte se poursuivra. La lutte se fera également au niveau des provinces. Nous avons vu beaucoup de lobbyistes de sociétés pharmaceutiques et de compagnies d’assurances se manifester à l’échelle provinciale. Dès le dépôt du projet de loi C-64, ils ont commencé à réorganiser leurs efforts pour influencer les gouvernements provinciaux.

Je suis d’accord avec Steven Morgan pour dire que si le projet de loi est adopté sans amendement, ce que nous aimerions, il y aura une lutte politique au niveau des provinces pour s’assurer que les normes et la forme des programmes que nous voulons voir mis en place se concrétisent.

La sénatrice Osler : Je suis désolée; j’ai peut-être mal formulé ma question. Je voulais savoir comment vous réagissiez au témoignage.

[Français]

La sénatrice Mégie : J’ai écouté l’histoire que M. Barry-Shaw a mentionnée plus tôt sur l’infirmière de la Saskatchewan. Justement, j’ai vu que le Conference Board du Canada a publié un article assez exhaustif sur les complications du pied diabétique.

En voyant ces coûts de 54 millions juste pour des soins infirmiers, est-ce qu’on ne pourrait pas penser que le projet de loi C-64, à un certain moment, deviendrait plutôt un investissement du Canada qu’une dépense? Comme la grosse dépense du début... On le voit, 1,9 milliard de dollars, c’est considérable. Par contre, en évitant que les patients diabétiques aient ces complications qui coûtent tellement cher, est-ce qu’on ne devrait pas plutôt considérer que c’est un investissement?

Qu’en pensez-vous, monsieur Nason, puisqu’on parle du Conference Board?

[Traduction]

M. Nason : Je suis du même avis : toute approche à l’égard d’un régime national d’assurance médicaments est un investissement. Vous reconnaissez qu’il y a des coûts initiaux qui entraînent des économies ailleurs dans le système. L’étude et le rapport sur les soins aux diabétiques en sont un bon exemple. Les nouveaux investissements peuvent permettre de réduire les coûts et les complications associés au diabète, ce qui a une incidence sur les résultats en matière de soins de santé et les résultats individuels. Je ne sais pas s’il y a un argument selon lequel il pourrait s’agir d’un investissement judicieux, mais, comme pour la plupart des investissements, c’est la façon de réaliser, de surveiller et de soutenir les investissements au fil du temps qui compte.

Je pense que le débat sur le programme national d’assurance médicaments ne porte pas nécessairement sur l’idée en soi — je pense que nous reconnaissons généralement que c’est une bonne idée pour le bien public et un bon investissement potentiel —, mais surtout sur la façon de la faire fonctionner, comme on l’a dit plus tôt, et je pense que c’est ce qui déterminera s’il s’agit d’un bon investissement ou non.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci. J’ai une autre question pour l’Institut économique de Montréal. Vous avez publié en février 2024 un article sur les dangers d’un programme d’assurance médicaments au Canada.

Est-ce que vous aviez partagé vos préoccupations avec le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes, quand il faisait son étude sur le projet de loi? Monsieur Dufort pourrait répondre à la question?

M. Dufort : Je ne saurais dire si certains de mes collègues l’ont fait. Pour ma part, je n’ai pas fait cela de mon propre chef.

La sénatrice Mégie : Il n’y a pas de mémoire qui leur a été envoyé non plus à ce sujet?

M. Dufort : Pas à ma connaissance, mais, encore une fois, je ne suis pas au courant de ce que chacun de nos employés a réalisé.

La sénatrice Mégie : D’accord. Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Cormier : Ma première question s’adresse à M. Barry-Shaw. Je la pose au nom de la marraine du projet de loi, la sénatrice Kim Pate. Elle veut savoir ceci:

Certains font valoir qu’un système universel public à payeur unique nuira à la couverture des Canadiens ou fera même en sorte qu’elle sera inférieure à ce qu’ils ont déjà. Pouvez-vous nous expliquer comment et pourquoi, à votre avis, un système à payeur unique améliorera l’accès aux médicaments ou nuira à cet accès? C’est la question de la sénatrice Pate.

M. Barry-Shaw : D’après ce que nous avons entendu de la part du gouvernement et ce que prévoit le projet de loi, il permettra de niveler la couverture existante pour les deux premières catégories de médicaments dans les régimes provinciaux. Le gouvernement fédéral verse des transferts aux provinces afin qu’elles ajustent leur couverture en fonction d’une norme universelle, à partir du premier dollar. Il faudrait éliminer les quotes-parts ou les restrictions existantes sur l’admissibilité aux régimes publics et faire en sorte que ce soit réellement universel.

C’est ainsi que nous comprenons le fonctionnement de la première phase du projet de loi, qui ne changera rien à la couverture privée des gens. Cela pourrait les inciter à changer. À titre d’exemple, je bénéficie d’un régime en milieu de travail. Si j’étais atteint du diabète et que j’avais besoin d’un médicament qui était sur la liste nationale, et que je décidais d’utiliser ce système, la seule chose qui se produirait — et j’espère que c’est bel et bien ce qui se produirait —, c’est que mon employeur renégociait des cotisations moins élevées parce qu’il n’aurait plus besoin de couvrir ces médicaments. Il y aurait moins de réclamations pour les médicaments contre le diabète parce que le régime national couvrirait maintenant une certaine partie d’entre eux.

[Français]

Le sénateur Cormier : Merci. Ma deuxième question s’adresse à tous les témoins.

M. Gagnon parlait plus tôt de gaspillage de médicaments. On sait qu’au Canada, il y a des défis de sous-consommation et de surconsommation de médicaments. Le projet de loi C-64 imposerait au ministre de publier une stratégie pancanadienne portant sur l’utilisation appropriée des médicaments sur ordonnance et des produits connexes.

À votre avis, quelles seraient les principales composantes de cette stratégie? Comment une stratégie nationale pour la consommation sûre et adéquate des médicaments pourrait-elle influencer la sous-consommation, la surconsommation ou le mauvais usage de médicaments sur ordonnance au Canada? Qui aimerait répondre? Monsieur Dufort, voulez-vous répondre à cette question?

Emmanuelle B. Faubert, économiste, Institut économique de Montréal : Si je peux me permettre, une stratégie qui pourrait être intéressante serait d’éduquer la population sur les façons de bien utiliser les médicaments. Cette information pourrait être bénéfique et pourrait influencer les gens à utiliser leurs médicaments correctement. Cela ne viendrait pas affecter la qualité de la couverture des médicaments, qui est aussi extrêmement importante.

Le sénateur Cormier : Quelqu’un d’autre veut-il commenter?

[Traduction]

M. Barry-Shaw : Je dirais, rapidement, qu’une telle stratégie devrait exiger une plus grande transparence en ce qui a trait aux paiements effectués par les sociétés pharmaceutiques aux médecins afin de tenter d’influer sur leurs habitudes d’ordonnance.

Je ne suis pas un expert dans ce domaine, mais je sais que le Dr Joel Lexchin a longuement étudié la question et qu’il a dit que le Canada n’avait pas une réglementation suffisante à cet égard. Je crois que nous sommes face au problème classique de la pauvreté dans un pays d’abondance. Certaines personnes prennent trop de médicaments... Je pense que la crise des opioïdes est un bon exemple en ce sens. Il y a toutefois aussi de nombreuses personnes qui n’ont pas les moyens de payer les médicaments dont ils ont vraiment besoin, et qui leur permettraient d’améliorer grandement leur santé.

M. Nason : Très rapidement, bien que nous n’ayons pas travaillé à ce dossier, certaines organisations comme Choisir avec soin ont fait un excellent travail sur la prescription et l’utilisation appropriées. Je crois qu’elles ont créé un précédent pour une stratégie sur l’utilisation appropriée au pays, et sur ses répercussions : quelles seront-elles sur les ordonnances et sur la substitution des produits génériques? Ces éléments feront partie de la discussion sur ce qui est approprié. Je crois que nous pourrons ainsi obtenir de bonnes données générales sur la situation au Canada.

Le sénateur Cormier : Merci.

La sénatrice Moodie : Monsieur Barry-Shaw, ma question s’adresse à vous. Des experts universitaires nous ont dit que, si ce projet de loi est adopté sans amendement, certaines choses deviendront plus importantes et essentielles. L’une d’elles est que le comité d’experts devienne l’organe de responsabilisation de l’avenir lorsqu’il s’agit de comprendre si l’assurance médicaments fonctionne : si elle va aux bonnes personnes, si elles obtiennent ce que nous avons promis, et ainsi de suite.

Selon vous, le libellé du projet de loi est-il assez ferme, assez précis et assez explicite pour donner au comité d’experts le pouvoir nécessaire pour obtenir et gérer les données, et pour comprendre où les choses s’en vont dans ce pays et avoir le pouvoir d’influencer les décisions futures? Pensez-vous que le libellé est suffisamment précis? Selon vous, y a-t-il des changements à apporter à cet égard?

M. Barry-Shaw : Je vais devoir plaider l’ignorance sur ce point particulier. Je passe beaucoup de temps à examiner d’autres aspects du projet de loi, mais je ne suis pas certain d’avoir une réponse convaincante à vous donner.

Avant ma comparution, j’ai échangé avec les experts qui ont témoigné plus tôt, et nous avons largement discuté du projet de loi.

Bon nombre des amendements qu’ils proposent sont positifs et vont dans le même sens que ce que proposent le Conseil des Canadiens et de nombreux autres organismes nationaux qui appuient un régime public d’assurance médicaments à payeur unique.

Je suis simplement préoccupé par les coûts et les avantages et par le risque que nous courons de voir le projet de loi s’enliser et ne pas être adopté, ou de voir son adoption prendre beaucoup de temps, ce qui retardera la mise en œuvre du programme. C’est un risque beaucoup plus grand que les gains que nous obtiendrions en clarifiant certains éléments. C’est une décision difficile à prendre. C’est une question politique difficile avec laquelle nous sommes aux prises.

La sénatrice Moodie : Vous recommandez que nous transmettions un message au gouvernement, en gros, plutôt que de proposer un amendement? Êtes-vous certain que cela permettra d’atteindre l’objectif souhaité?

M. Barry-Shaw : En soi, probablement pas. C’est notamment de cette façon que le Sénat peut contribuer à inciter le gouvernement à emprunter cette voie.

Nous allons poursuivre notre travail. Nous avons évoqué les pressions politiques sur le gouvernement. Le projet de loi émane notamment de la contre-pression.

En ce qui a trait au Conseil des Canadiens, j’ai parlé de notre campagne. Nous avons fait beaucoup de lobbying et avons exhorté le gouvernement d’agir, tout comme l’ont fait bon nombre de syndicats et de coalitions pour la santé. Nous devons continuer de le faire. J’aimerais bien pouvoir relaxer à la maison en me disant que tout ira bien, mais non, nous devons faire preuve d’une grande vigilance.

La sénatrice Moodie : Merci.

La sénatrice Bernard : Je vous remercie pour vos témoignages; je vous en suis reconnaissante. Ma question se fonde sur un commentaire que vous avez fait au sujet d’un petit nombre de Canadiens qui ne sont pas admissibles à une couverture. Qui sont-ils? Vous pouvez nous rappeler quel est ce pourcentage, mais j’aimerais surtout savoir qui sont ces gens et si le projet de loi selon sa forme actuelle permettra de régler ce problème.

M. Nason : D’après le Conference Board du Canada, qui a examiné les données de 2021, environ 3 % des Canadiens n’étaient admissibles à aucune forme d’assurance médicaments. Le travail a été mené par deux provinces — l’Ontario et Terre-Neuve-et-Labrador — où il n’y a pas de couverture universelle complète ni de couverture pour ceux qui n’ont pas d’assurance-maladie privée.

Ce sont habituellement des personnes qui ont un statut socioéconomique inférieur; des jeunes qui n’ont pas accès à des soins de santé privés et qui ne cadrent pas avec les systèmes publics de médicaments destinés aux personnes plus âgées.

Je crois que c’est Steven Morgan qui a qualifié ce projet de loi de laconique selon sa forme actuelle. Il ne donne pas beaucoup de détails sur la façon dont il assurerait la couverture de ce groupe de personnes.

Même si 3 % des Canadiens n’ont pas d’assurance, l’objectif du projet de loi sur l’assurance médicaments est de veiller à ce que les gens aient accès aux médicaments et pas seulement à ce qu’ils soient assurés. Ce chiffre est beaucoup plus élevé, et c’est le problème auquel il faut vraiment s’attaquer. Comme vous l’avez souligné, il y a un énorme défi en matière d’équité à l’heure actuelle.

M. Barry-Shaw : Je suis heureux que nous reconnaissions que le problème dépasse largement la question des 3 %. Le problème avec la statistique de 97 %, c’est qu’elle sert de prétexte pour minimiser le problème et pour faire valoir que nous n’avons pas besoin d’un système universel à payeur unique. Elle a été utilisée à maintes reprises dans des articles d’opinion contre ce projet de loi, souvent rédigés par des groupes de réflexion financés par des sociétés pharmaceutiques et l’industrie de l’assurance.

Je ne sais pas si l’on en fait mention dans les documents fournis au comité, mais cette statistique particulière provient d’une étude financée par Médicaments novateurs Canada, ou MNC, qui est le principal groupe de pression de l’industrie pharmaceutique au Canada. Elle était fondée sur des données fournies par l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes, ou l’ACCAP, qui est le principal groupe de pression de l’industrie de l’assurance, et sur une étude de 2017 créée par deux membres de MNC et deux membres de l’ACCAP.

Nous sommes en quelque sorte embourbés dans plusieurs discussions parce que ces éléments ont été rendus publics par des intérêts commerciaux. Ces discussions nous ralentissent alors que le vrai problème, c’est le nombre beaucoup plus important de personnes qui n’ont pas les moyens de payer leurs médicaments, qu’ils soient couverts ou non.

La présidente : Ma question s’adresse à M. Barry-Shaw. Nous savons que d’autres administrations aux vues similaires offrent un régime universel d’assurance médicaments. Comment notre modèle, tel qu’il est proposé, se compare-t-il à ces régimes?

M. Barry-Shaw : Il fait piètre figure à côté des autres régimes. Je crois que c’est dans le rapport Hoskins que l’on peut lire que le pourcentage de personnes qui ne suivent pas un traitement en raison de son coût est de deux à cinq fois plus élevé au Canada que dans d’autres pays — les nations semblables — qui ont un régime universel d’assurance médicaments. Le coût des médicaments par personne est l’un des plus élevé parmi ces pays. Selon le dernier rapport annuel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, nous sommes le deuxième pays où les coûts sont les plus élevés. Nous étions au troisième rang pendant un moment, mais nous occupons maintenant la deuxième place, tout juste après les États-Unis, qui sont une classe à part, comme nous le savons.

Le système est très coûteux et malgré tout, bon nombre de personnes n’ont pas les moyens de payer leurs médicaments. Il est très inefficace sur le plan administratif. M. Gagnon en a beaucoup parlé et a longuement écrit sur le sujet : la présence de centaines de régimes publics et de milliers de régimes privés entraîne d’importants coûts administratifs qui n’existeraient pas dans un système public simplifié.

La présidente : Merci.

Le sénateur Cardozo : Je ne suis pas membre de ce comité, mais je le surveille de très près. Je suis depuis longtemps en faveur de l’assurance médicaments. À mon avis, lorsque le régime d’assurance maladie a vu le jour, il y a 67 ans, c’était la pièce manquante. Nous rattrapons les lacunes du régime d’assurance maladie. On parle de soins dentaires, de soins de santé mentale et d’assurance médicaments. Pour moi, c’est très important, cela ne fait aucun doute.

Je me demande si c’est la meilleure façon de procéder et si ce projet de loi est la meilleure façon d’aborder la question. Je pense que nous sommes le seul pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques à avoir un régime d’assurance maladie, mais pas d’assurance médicaments. Il ne fait aucun doute que nous devons aller dans cette direction.

Permettez-moi de vous poser une question à ce sujet. Cette approche philosophique est-elle juste? Êtes-vous de cet avis? Je pense que la réponse est « oui », mais si vous pouviez ajouter quelque chose, cela nous serait utile.

Si ce ne sont pas 97 % des gens qui sont couverts, quel est le chiffre qui représente la réalité, selon vous? Je demanderais à M. Barry-Shaw et à M. Nason de répondre à cette question.

M. Barry-Shaw : Les chiffres que je cite dans mon mémoire sur le non-respect des ordonnances en raison des coûts concernent les personnes qui n’ont pas les moyens de se payer leurs médicaments. Dans 22 % des ménages, quelqu’un n’a pas les moyens de payer ses médicaments. C’est énorme.

Certaines personnes disent souffrir de détresse financière. D’autres disent qu’elles ont du mal à payer leurs médicaments. D’autres sont en mesure d’exécuter leurs ordonnances, mais doivent faire des économies ailleurs. Certaines enquêtes suggèrent que le pourcentage de personnes qui disent avoir des difficultés atteint 40 %, ce qui représente donc un nombre considérable de Canadiens.

Pour certains, le problème est plus grave s’ils n’ont absolument aucune couverture. C’est un problème qui concerne de nombreuses personnes et qui n’est pas toujours évident.

Notre système finit en quelque sorte par imposer une taxe aux malades. On tombe malade et on se rend compte du jour au lendemain qu’on doit payer une somme exorbitante de sa poche pour continuer à vivre. C’est une injustice flagrante, et ce programme pourrait y remédier.

M. Nason : En réponse à votre première question, oui, l’assurance-médicaments est l’un des aspects clés qui viendront s’ajouter à la conversation sur l’assurance-maladie par rapport à ce qui n’a pas encore été abordé. D’un point de vue philosophique, je souscris à cette approche. Aucun des travaux du Conference Board du Canada ne contredit ce que M. Barry-Shaw vient de dire.

Les 3 % de personnes forment un groupe qui n’est admissible à rien. Ce n’est pas le nombre de personnes qui ne peuvent pas payer leurs médicaments. Dans notre rapport, nous passons en revue d’autres pourcentages et concluons qu’environ 10 % de personnes ne sont pas inscrites alors qu’elles pourraient être admissibles. Au-delà de ces 10 %, on trouve des personnes qui n’ont pas les moyens de payer leurs médicaments, ou qui en ont les moyens, mais qui doivent alors renoncer à d’autres choses.

Les proportions recensées par M. Barry-Shaw semblent réalistes : cela doit bel et bien être le nombre de personnes susceptibles de bénéficier d’un régime d’assurance-médicaments.

Le sénateur Cardozo : Je vais aborder deux ou trois détails du projet de loi. L’alinéa 4d) porte sur l’offre d’une couverture universelle des produits pharmaceutiques à l’échelle du Canada, soit tous les médicaments. Puis, le paragraphe 6(1) porte sur les médicaments sur ordonnance et les produits connexes destinés à la contraception ou au traitement du diabète. Il semble presque contradictoire que l’alinéa 4d) englobe tous les médicaments, mais que le paragraphe 6(1) renvoie à deux catégories.

Ce que le ministre semblait dire — je ne veux pas lui faire dire ce qu’il n’a pas dit —, c’est que l’alinéa 4d) portait sur ce dont le gouvernement parlait vraiment, et que le paragraphe 6(1) est le résultat de négociations entre lui et Don Davies. Je peux comprendre comment ces choses se produisent. Que pensez-vous de la différence entre les dispositions?

M. Barry-Shaw : D’après ce que j’ai compris — et c’est également ce qui ressort des communications que nous avons eues avec les représentants de Santé Canada —, l’article 6 concerne la première phase. Il s’agit d’une approche graduelle. La première phase consiste à fournir immédiatement une couverture pour ces deux catégories de médicaments — les produits destinés à la contraception et les médicaments contre le diabète. Puis, plus tard, dans un an, les médicaments essentiels seront visés. Je pense que l’article 4 est plus général parce qu’on y laisse la possibilité d’englober une liste plus large de médicaments essentiels. Je pense que c’est tout.

Le sénateur Cardozo : Voulez-vous renchérir sur cette réponse?

M. Nason : Je dirais seulement — et je ne suis pas expert en droit constitutionnel — que c’est un bon exemple de l’ambiguïté que les experts ont mentionnée lors de la première séance.

Le sénateur Cardozo : Merci.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je n’ai pas de question, mais avec votre permission, j’ai une demande à faire à M. Nason, du Conference Board du Canada. Pourriez-vous déposer au comité le rapport qui s’intitule Comprendre l’écart 2.0 : Une analyse pancanadienne des régimes d’assurance-médicaments sur ordonnance? Cela pourrait nous aider.

Est-ce qu’on l’a déjà? Bien que le rapport date d’août 2022... Vous l’avez?

[Traduction]

La présidente : Merci, sénatrice Mégie, de cette demande. C’est une demande importante qui nous aiderait beaucoup. Malheureusement, si le rapport n’est pas déjà traduit...

M. Nason : Il devrait être accessible en ligne dans les deux langues officielles, je crois. Il faudrait que je vérifie.

La présidente : Merveilleux. Merci.

Chers collègues, je pense que nous arrivons au terme de nos questions. Je tiens à remercier chaleureusement nos témoins d’avoir comparu en personne et en ligne. Vous nous avez aidés à comprendre les différents éléments de ce projet de loi.

Honorables sénateurs, nous poursuivrons notre étude du projet de loi C-64 mercredi prochain à 16 h 15.

(La séance est levée.)

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