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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 2 octobre 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 12 h 3 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments.

La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bonjour. Je m’appelle Radna Omidvar, je suis une sénatrice de l’Ontario et je suis présidente du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments. Avant de commencer, je demanderais à mes collègues de se présenter à tour de rôle aux gens dans la salle et au public qui nous écoute.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Osler : Flordeliz (Gigi) Osler, sénatrice du Manitoba.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Bonjour. Sénatrice Patti LaBoucane-Benson, de l’Alberta, territoire visé par le Traité no 6.

Le sénateur K. Wells : Bonjour. Sénateur Kristopher Wells, de l’Alberta, territoire visé par le Traité no 6.

La sénatrice Burey : Bienvenue à tous. Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Bernard : Je suis Wanda Thomas Bernard, sénatrice de la Nouvelle-Écosse, où se trouve le territoire des Mi’kmaqs.

Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Pate : Kim Pate, et je vis ici, sur le territoire non cédé de la nation algonquine anishinabe.

La sénatrice Moodie : Rosemary Moodie, de l’Ontario.

La présidente : Merci, chers collègues. Pour la première partie de la séance, nous accueillons les témoins suivants : Mme Colette Trudeau, directrice générale de la Métis Nation British Columbia, ainsi que Mme Marilee A. Nowgesic, cheffe de la direction de la Canadian Indigenous Nurses Association. Merci à vous deux d’être ici aujourd’hui.

Nous allons d’abord entendre la déclaration liminaire de Mme Trudeau, suivie de celle de Mme Nowgesic. Vous disposez de cinq minutes chacune pour faire votre exposé, après quoi nous enchaînerons avec une période de questions.

Colette Trudeau, directrice générale, Métis Nation British Columbia : Tansi. Bon après-midi. Mesdames et messieurs les sénateurs, je m’appelle Colette Trudeau, et je suis une fière citoyenne de la Métis Nation British Columbia, ou MNBC. Avant de commencer, j’aimerais souligner que nous nous trouvons sur le territoire non cédé de la nation algonquine anishinabe, et que j’honore et respecte ses droits et ses titres à l’égard de ces terres.

Je suis la directrice générale de la Métis Nation British Columbia. Je tiens à remercier le comité sénatorial permanent de nous avoir invités à comparaître cet après-midi au sujet du projet de loi sur l’assurance-médicaments.

La Métis Nation British Columbia est autorisée à agir au nom des quelque 27 000 citoyens métis inscrits et représente plus de 98 000 Métis qui s’identifient comme tels dans la province. Elle représente aussi 39 communautés à charte et est reconnue par le gouvernement de la Colombie-Britannique et par le gouvernement du Canada comme le gouvernement qui représente les Métis en Colombie-Britannique.

« Métis » désigne une personne qui s’identifie comme étant métisse, qui est distincte des autres Autochtones, dont les ancêtres faisaient partie de la nation métisse historique et qui est acceptée par la nation métisse.

Les citoyens métis sont aux prises avec d’importantes difficultés en matière de soins de santé à cause du colonialisme qui perdure encore aujourd’hui, des répercussions des pensionnats autochtones et des politiques et pratiques fédérales discriminatoires. Exclus du Programme des services de santé non assurés, de nombreux Métis ploient sous le fardeau que représentent les coûts des soins de santé. Ce qui est le plus préoccupant, c’est le fait que les traumatismes intergénérationnels ont créé des besoins urgents en matière de santé mentale qui ne sont pas pris en compte de manière adéquate, et les aînés métis, les personnes âgées et les personnes en fin de vie ne bénéficient pas de soins adaptés à leur culture, ce qui aggrave leur vulnérabilité.

Les structures systématiques du régime de santé provincial ne reflètent pas l’expérience vécue par les Métis, ce qui entraîne l’exclusion et la discrimination. Le projet de loi C-64 sur l’assurance-médicaments offre à la fois des possibilités et des défis au gouvernement métis. S’il permet de remédier aux disparités en matière de soins de santé, il exige également de prêter une attention particulière à l’autodétermination des Autochtones, à la souveraineté des données et à la coopération provinciale. Le Ralliement national des Métis estime qu’il en coûterait environ 1,3 milliard de dollars par année pour permettre aux gouvernements métis de tout le Canada de prendre en charge la prestation des services de santé étendus à notre population et adaptés à ses besoins.

Nous voyons des points forts et des possibilités dans ce projet de loi. Il permettrait un accès équitable aux soins de santé. L’accès universel aux médicaments essentiels, notamment pour traiter le diabète, permettrait de lutter contre la forte prévalence du diabète au sein de la population métisse et de s’attaquer aux problèmes de santé disproportionnés attribuables à la pauvreté et à l’accès limité aux soins.

Il créerait également une gouvernance collaborative. La Commission de vérité et de réconciliation du Canada réclame l’élimination des disparités en matière de santé entre les populations autochtones et non autochtones. Un régime d’assurance-médicaments universel soutiendrait cet objectif en garantissant aux Métis un accès égal aux médicaments, en s’attaquant à l’une des causes profondes des inégalités en matière de santé et en favorisant la réconciliation en agissant sur les déterminants sociaux de la santé des Métis, comme la pauvreté et le manque d’accès aux services de santé. Il traite également de l’autodétermination des Métis et des considérations culturelles. Le projet de loi C-64 offre au Canada l’occasion de répondre aux besoins des Métis en matière de soins de santé.

Le projet de loi C-64 présente toutefois quelques difficultés qui méritent d’être prises en compte. Il ne renferme pas de dispositions sur la souveraineté des données autochtones. Bien qu’il mentionne la consultation, il ne garantit pas le contrôle des Métis sur les données relatives à la santé, perpétuant ainsi l’effacement de l’histoire et des données des Métis. La souveraineté des données est essentielle pour fournir un cadre sécurisant sur le plan culturel.

Le projet de loi a également une portée très étroite dans sa phase initiale. L’assurance-médicaments ne couvrirait que les médicaments contre le diabète et les contraceptifs. C’est une mesure utile mais insuffisante pour les communautés métisses. Étant donné le taux élevé de maladies chroniques, les problèmes de santé mentale et l’accès limité aux soins primaires, le projet de loi doit prévoir un éventail plus large de produits pharmaceutiques afin d’améliorer réellement les résultats en matière de santé des Métis et de l’ensemble des Canadiens.

Le succès du projet de loi dépend du financement durable des accords sur l’assurance-médicaments conclus avec les provinces. Sans un financement garanti et sans structures de gouvernance métisses, les personnes vivant dans des communautés éloignées continueront d’être confrontées à des pénuries de ressources et à des problèmes liés à la prestation des soins de santé. Un investissement à long terme est essentiel pour que le programme profite aux populations métisses mal desservies.

Au-delà des résultats en matière de santé, l’assurance-médicaments universelle réduirait le stress financier des familles métisses, qui sont plus susceptibles de vivre dans l’insécurité financière que les Canadiens non autochtones. Nous savons, grâce à notre engagement auprès de nos concitoyens, que les Métis sont moins susceptibles d’avoir une assurance-maladie couvrant les frais pharmaceutiques. Pour ceux qui en ont une, un certain nombre de médicaments sur ordonnance en vente libre ne sont pas couverts par l’assurance.

Malgré les défis et les considérations liées aux Métis, le projet de loi représente un pas en avant vers l’autodétermination en matière de santé. Il nécessitera un engagement continu pour veiller à ce qu’il réponde aux besoins précis des Métis tout en respectant nos droits et notre identité. Nous exhortons le Sénat à prendre les mesures suivantes pour que le projet de loi C-64 profite à tous les citoyens métis : intégrer la sécurité culturelle au régime d’assurance-médicaments afin qu’il réponde aux besoins uniques des Métis, des Premières Nations et des Inuits; consulter véritablement les gouvernements métis et collaborer avec eux afin d’assurer la mise en œuvre et la prestation d’une assurance-médicaments nationale et universelle qui soit adaptée à la culture métisse; et veiller à ce que le comité d’experts qui se réunit pour faire des recommandations sur le fonctionnement du régime d’assurance-médicaments à payeur unique comprenne un siège réservé à un représentant des Premières Nations, un représentant des Métis et un représentant des Inuits, soit trois personnes autochtones telles qu’elles sont définies...

La présidente : Merci, madame Trudeau. Je vais maintenant céder la parole à la prochaine intervenante pour cinq minutes.

Marilee A. Nowgesic, cheffe de la direction, Canadian Indigenous Nurses Association : Bonjour, aaniin, boozhoo.

[Le témoin s’exprime en ojibwé.]

Je suis Marilee Nowgesic. Je suis originaire de la Première Nation de Fort William, près de Thunder Bay. J’appartiens au clan de l’aigle. Je tiens à rendre hommage aux ancêtres de la région et je vous remercie de participer aujourd’hui avec eux. J’aimerais aussi reconnaître vos ancêtres autour de la table, qui nous ont rassemblés ici aujourd’hui pour tenir une discussion très importante.

Je suis la cheffe de la direction de la Canadian Indigenous Nurses Association, ou CINA, et je suis heureuse de pouvoir m’adresser à vous aujourd’hui au sujet du projet de loi C-64.

Si les versions préliminaires de ce projet de loi ont été transmises aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ainsi qu’au public afin de garantir un accès et une diffusion de l’information en temps utile au sein de la population, nous reconnaissons également qu’elles ont fait l’objet de discussions avec de nombreuses organisations clés, et nous espérons que les peuples autochtones, nos partenaires, ont été inclus dans ces discussions. Nous savons que les projets de loi C-213 et C-340 ont été présentés au cours de la 43e législature, mais qu’ils n’ont jamais dépassé l’étape de la première lecture. Nous avons beaucoup d’espoir concernant le projet de loi C-64.

À l’instar de ma collègue, nous craignons cependant que la mise en œuvre du projet de loi entraîne des difficultés, de la confusion, des retards et des complications administratives supplémentaires — dont nous n’avons pas besoin — dans les systèmes de santé existants gérés par les gouvernements provinciaux et territoriaux.

En outre, les Premières Nations et les Inuits qui reçoivent déjà des prestations au titre du programme des Services de santé non assurés se verront imposer un fardeau supplémentaire. Il existe également de nombreuses questions relatives aux compétences, à la résidence, à l’identification, à l’emplacement géographique, etc. Les infirmiers et infirmières autochtones sont le pilier des systèmes de soins de santé dans les communautés. Nous sommes leur voix. Ces couches supplémentaires de bureaucratie viendront s’ajouter à l’environnement de travail déjà surchargé du personnel infirmer et à son champ d’action actuel. Remarquez que j’ai parlé du « personnel infirmier », et pas seulement des « Autochtones ». Nous tenons compte de tous nos partenaires à cette table.

La Canadian Indigenous Nurses Association est la plus ancienne organisation de santé autochtone au Canada. Nous existons depuis 50 ans. Nous menons un grand nombre d’activités communautaires, régionales, nationales et internationales liées aux ressources humaines en santé, au soutien de nos membres, à des consultations, portant notamment sur des mesures réglementaires et législatives comme celle-ci, à la politique, à la recherche et à l’éducation. La CINA entretient une collaboration fructueuse avec de nombreuses organisations autochtones dans le domaine de la santé, les principales organisations de soins infirmiers, des établissements d’enseignement, le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et territoriaux et les gouvernements autochtones locaux. Nous sommes en relation constante avec les organisations nationales représentant les Premières Nations, les Métis et les Inuits. C’est par l’intermédiaire de leurs portefeuilles de la santé que nous communiquons ces informations à leurs comités.

Aujourd’hui, nos relations avec l’Indigenous Pharmacy Professionals of Canada revêtent une importance particulière. Il s’agit d’une organisation à but non lucratif dont les membres ont pour mission de favoriser l’épanouissement et l’autonomisation de la communauté des professionnels en pharmacie autochtones, afin d’offrir des soins sûrs et équitables aux patients, à leurs familles et à leurs communautés. Cette organisation fait partie de notre réseau grandissant et nous nous réjouissons de travailler avec elle.

Dans le cadre du projet de loi, le travail lié à l’accessibilité, à l’abordabilité et à l’utilisation appropriée des médicaments sur ordonnance doit être accompli en collaboration avec les partenaires de l’assurance-médicaments. Nous pensons aux pharmacies ainsi qu’au secteur des entreprises et à leur responsabilité sociale. L’objectif est de concevoir, de développer et de mettre en œuvre un régime national universel d’assurance-médicaments. La participation de la CINA contribuera à répondre aux priorités en matière de sécurité des patients, à améliorer les résultats sur le plan de la santé et à assurer la reddition de comptes au sein du système de soins de santé.

L’engagement des membres de la CINA, que j’ai présenté dans un rapport ici, nous permet de faire entendre la voix d’environ 10 000 infirmiers et infirmières partout au pays. Cette étude a été réalisée en collaboration avec l’Université de la Saskatchewan en 2018. Cependant, depuis lors — et beaucoup d’entre vous le savent —, l’utilisation des identifiants est devenue problématique. Nous ne pouvons donc pas savoir avec certitude quel serait ce nombre aujourd’hui.

En 2021, près d’un demi-million d’infirmiers et d’infirmières ont été identifiés par l’Association des infirmières et infirmiers du Canada. C’est un chiffre considérable. Encore une fois, nous ignorons la proportion des Autochtones au sein de ce groupe. Il y a une certaine réticence à s’identifier comme tels dans le milieu pour plusieurs raisons que vous connaissez déjà. On compte au moins 3 000 infirmiers et infirmières autorisés, 7 500 infirmiers et infirmières praticiens, 130 infirmiers et infirmières auxiliaires et 6 300 infirmiers et infirmières psychiatriques. Cela fait beaucoup de gens à réunir autour de la table pour discuter de l’assurance-médicaments. Or, nous estimons que par l’intermédiaire de la CINA, nous pouvons donner une voix à tous les membres du personnel infirmier, ainsi qu’à nos alliés et à nos partenaires.

Grâce à une coordination soutenue financièrement, nous savons que nous serons en mesure de fournir des conseils techniques et d’experts concernant le suivi clinique, les différents régimes et les médicaments sur ordonnance admissibles, la collecte et l’analyse des données, comme l’a souligné ma collègue, et la souveraineté de ces données pour notre peuple. Cela vous aidera à cerner les améliorations à apporter au régime d’assurance-médicaments, notamment en ce qui concerne le formulaire national, les considérations géographiques telles que l’accès aux médicaments en fonction du lieu de résidence. C’est une chose de donner un congé à son patient, mais où va-t-il aller s’il ne peut pas se rendre dans une pharmacie? Je vous remercie de votre attention.

La présidente : Je suis désolée de devoir vous interrompre, mais il y a de nombreux sénateurs ici qui souhaiteraient poser des questions.

Chers collègues, voici comment nous allons procéder. Chaque sénateur qui souhaite intervenir se verra accorder trois minutes. J’accorderai la priorité aux membres du comité, mais les sénateurs invités pourront aussi poser des questions.

La sénatrice Osler : Merci à nos deux témoins d’être des nôtres aujourd’hui. Ma question s’adresse à vous deux et comporte deux volets. Je vais tout d’abord m’adresser à la représentante de la CINA.

Dans quelle mesure le projet de loi C-64 contribuerait-il à éliminer les obstacles et les lacunes socioéconomiques en matière d’assurance-médicaments pour les Métis, les Premières Nations et les Inuits qui ne bénéficient pas du Programme des services de santé non assurés? Le projet de loi C-64 pourrait-il influer sur le Programme des services de santé non assurés, par exemple réduire l’accès à ce programme ou la couverture des membres?

Mme Nowgesic : Madame la sénatrice, pourriez-vous répéter la première partie de votre question?

La sénatrice Osler : Le projet de loi C-64 s’attaque-t-il aux obstacles et aux lacunes socioéconomiques en matière d’assurance-médicaments pour les Métis, les Premières Nations et les Inuits qui ne bénéficient pas du Programme des services de santé non assurés? À l’inverse, le projet de loi C-64 pourrait-il réduire l’accès à ce programme?

Mme Trudeau : Je peux répondre à la première partie de votre question, et je laisserai ma collègue répondre à la deuxième partie.

C’est un bon début. Comme je l’ai dit dans ma déclaration, pour répondre aux besoins des Métis, il nous faudrait environ 1,3 milliard de dollars dans notre province pour combler les lacunes socioéconomiques dont vous avez parlé. L’approche progressive proposée dans le projet de loi permettrait de répondre à certains besoins, mais pas à tous. Les Métis de la province se tournent vers leur gouvernement métis pour obtenir des services et du soutien, mais nous sommes plutôt limités relativement à ce que nous pouvons faire pour soutenir nos citoyens. Chose certaine, nous pourrions commencer à combler certaines de ces lacunes socioéconomiques auxquelles est confrontée la population métisse, mais ce n’est qu’un début. Il en faudra beaucoup plus pour répondre aux besoins de nos citoyens.

Mme Nowgesic : Les lacunes sont importantes. Le projet de loi permettra-t-il de combler les lacunes? Non, car nous n’avons pas eu l’occasion d’inviter nos partenaires autochtones à la table pour qu’ils présentent leurs données et de voir ce qui est réellement important pour la dynamique de leur population particulière.

Par conséquent, oui, cela aurait des répercussions sur les personnes couvertes qui ne font pas partie d’un programme d’assurance-médicaments ou qui n’y sont pas admissibles. Cela pourrait créer des obstacles importants et nous faire passer à côté de certaines occasions. Cela diminue la couverture. En tant qu’infirmière — et c’est le point que j’essaie de faire valoir ici —, j’estime que nous devons avoir accès à des formulaires en temps réel. Nous avons besoin de codes d’exemption. Nous nous retrouvons dans des situations où les pharmaciens modifient les exigences liées aux congés ou les ordonnances parce qu’ils n’ont pas la même opinion concernant la sécurité des patients.

Nous essayons de voir comment ce système répond aux besoins de la population en temps réel. C’est une chose d’être ici et de pouvoir se rendre à la pharmacie. C’en est une autre lorsque la bureaucratie entre en jeu. Quarante secondes de votre temps, c’est beaucoup.

La sénatrice Moodie : Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui. Je voudrais poser une question qui a déjà été posée, car je souhaite obtenir des précisions et une réponse très simple. Le diabète touche les populations et les communautés autochtones de façon disproportionnée. Le taux de diabète est plus élevé au sein de ces communautés, de même que l’incidence des maladies chroniques et des complications, voire des décès. Chose certaine, les maladies concomitantes nécessitant des médicaments et des interventions, l’augmentation des coûts, et le lourd fardeau pour les communautés : tout cela est vrai.

Si le régime d’assurance-médicaments prévu dans ce projet de loi permettait à chaque personne de se présenter dans une pharmacie et d’obtenir ses médicaments sans frais, c’est-à-dire sans qu’elle ait besoin de payer une quote-part ou des frais d’ordonnance, cela améliorerait-il la situation de vos concitoyens?

Mme Trudeau : Je commencerai par dire qu’en principe, oui. Cependant, des personnes vivant dans des communautés éloignées nous ont dit qu’elles ne pouvaient pas se rendre dans une pharmacie pour obtenir leurs médicaments. En outre, dans le Nord de la Colombie-Britannique, il y a la communauté de Kelly Lake, et nous avons entendu des histoires selon lesquelles des gens meurent, car ils doivent quitter leur communauté pour accéder à des soins de santé et ne se sentent pas en sécurité dans le cadre de ces programmes. Lorsqu’il s’agit de répondre à un besoin fondamental, comme le fait de se procurer ses médicaments sans frais, c’est fantastique, mais il faut s’attaquer à d’autres obstacles pour que les populations autochtones — et je parle au nom des citoyens métis de la Colombie-Britannique — se sentent en sécurité lorsqu’elles se rendent dans un centre de soins de santé. C’est pourquoi il est important de veiller à ce que ces voix soient entendues au sein d’un comité d’experts et à ce qu’il y ait un cadre sécurisant sur le plan culturel pour que les Autochtones puissent accéder au programme d’assurance-médicaments et pour que le programme lui-même fonctionne.

Mme Nowgesic : Je vous remercie pour votre question. En termes plus simples, j’aimerais que nous ne soyons pas obligés d’aller à la pharmacie pour traiter ces problèmes. Nous n’aurions alors pas besoin de discuter des maladies chroniques.

Or, puisque c’est un problème, cela a des répercussions sur le fardeau associé au traitement.

Les infirmiers et infirmières autochtones se heurtent à des problèmes supplémentaires. Je pense ici aux approches traditionnelles qui sont utilisées lorsque des médicaments ou des thérapies ne sont pas disponibles pour nos populations autochtones. Cette situation dure depuis longtemps. Nos concitoyens ne disent pas aux fournisseurs de soins de santé qu’ils utilisent encore la médecine traditionnelle, ce qui peut avoir une incidence sur leur état de santé. Cependant, cela les aide à traiter et à obtenir de meilleurs résultats en matière de santé.

La présidente : Je vous remercie, madame Nowgesic.

Chers collègues, il nous reste à peine 20 minutes.

Nous vous remercions de nous faire profiter de votre grande sagesse, mais je veux m’assurer que mes collègues puissent poser toutes leurs questions.

La sénatrice Pate : Vous avez certes beaucoup d’expertise et d’expérience dans ce domaine. En réponse aux inquiétudes que pourraient avoir des membres des Premières Nations et des Inuits, le ministre a réaffirmé devant le comité que l’adoption du projet de loi C-64 n’aurait aucune incidence sur l’accès au Programme des services de santé non assurés, qui continuerait d’être offert selon les modalités actuelles.

Cela dit, avez-vous des suggestions sur la façon dont le gouvernement fédéral pourrait communiquer efficacement l’information sur l’accès continu au programme des SSNA afin de rassurer les utilisateurs ou les communautés qui pourraient s’inquiéter de l’incidence du projet de loi C-64 sur leurs prestations actuelles?

Mme Nowgesic : Je vous remercie de votre question. Cela faisait partie de mes recommandations. Premièrement, les dirigeants autochtones doivent avoir la possibilité d’établir des échéanciers adaptés à leurs communautés et d’aborder leurs problèmes et leurs points de vue. Deuxièmement, il est nécessaire d’avoir une collaboration et un financement continu pour soutenir les organisations autochtones qui fournissent des soins de santé comme la CINA afin de concevoir, de développer et de mettre en œuvre une structure indépendante pour superviser une politique fondée sur des données probantes, une structure de recherche et d’éducation et un régime d’assurance-médicaments. Ce secteur a encore beaucoup à apprendre sur les populations autochtones.

Je suis surprise — on parle de l’efficacité des soins de santé, parce que c’est comme une boîte de Pandore. Il y a des gens qui se présentent et qui n’ont pas de carte d’identité. Ils ne sont pas dans le système. On se retrouve avec plusieurs noms. Les gens ont le même nom de famille. Il y a plus de 100 personnes dans ma famille qui portent le nom Nowgesic, mais écrit de 26 façons différentes. Dieu merci, nous n’avons pas la même date de naissance. Toutefois, pour ce qui est de l’accès, comment s’y prend-on? Comment fait-on le suivi, en particulier lorsqu’on parle de toxicomanie, de crise des opioïdes et de gestion des maladies chroniques?

La sénatrice Bernard : Je vous remercie toutes les deux de votre présence. J’ai modifié ma question en fonction de certaines de vos réponses. Madame Trudeau, vous avez utilisé l’expression « cadre sécurisant sur le plan culturel ». Je crois comprendre ce dont vous parlez, mais il serait peut-être utile que vous précisiez ce que vous entendez par cette expression.

Mme Trudeau : Je vous remercie de votre question. Les Métis sont souvent surnommés le « peuple oublié ». Dans le contexte autochtone, les Métis ne sont pas considérés comme ayant une culture, une langue et une histoire distinctes. Même lorsque nous utilisons le terme « Autochtones », cela n’inclut pas nécessairement la population métisse. Lorsque je parle d’un cadre sécurisant sur le plan culturel, je parle de visibilité, du fait de voir les Métis. J’ai déjà donné un conseil semblable au Sénat. Lorsque nous parlons des Autochtones, il faut préciser « Métis » pour que la population sache qu’il s’agit d’un programme ou d’un service qui lui est destiné.

La visibilité, le sentiment d’appartenance — tout cela change la façon dont une personne métisse se sent lorsqu’elle accède à un programme. Lorsque je parle d’un « cadre sécurisant sur le plan culturel », je parle de cette visibilité, de l’importance de tenir compte de ces valeurs afin que les Métis soient visibles et qu’ils se sentent à l’aise dans cet espace. Il s’agit de travailler avec les aînés, les gardiens du savoir et les membres de nos communautés pour veiller à ce que cela se fasse réellement.

Mme Nowgesic : Si vous me permettez, j’aimerais vous donner un peu de contexte. On parle ici de sécurité et d’humilité culturelles. C’est tout cet exercice qui doit être intégré dans toutes les professions de la santé — un exercice que nous avons réussi à faire avec les écoles de soins infirmiers dans tout le pays.

En même temps, les gens confondent sécurité culturelle et compétence culturelle. La compétence et la capacité de dire, lorsqu’une personne se présente à la clinique, à l’urgence ou pour subir une intervention chirurgicale, et qu’elle a une trousse de guérisseur sur elle, qui êtes-vous pour la lui enlever? De quel droit pouvez-vous la lui enlever? Cela fait partie de qui elle est.

Lorsque nous examinons cette question, cela doit faire partie intégrante du régime d’assurance-médicaments. La CINA, qui existe depuis de nombreuses années, peut compter sur des gardiens du savoir et des aînés, mais aussi sur des médecins et des personnes qui sont intégrées à leur environnement, qui savent ce qui va fonctionner selon la région — ce qui va fonctionner pour le peuple ojibwé ne va pas fonctionner pour le peuple mi’kmaq; nous venons de deux régions différentes.

[Français]

La sénatrice Mégie : Pour faire suite à la question de la sénatrice Bernard, vous avez parlé de sécurité et d’humilité culturelles. Vous avez aussi mentionné que cela faisait partie des obstacles quand les Métis vont chercher leurs médicaments eux‑mêmes à la pharmacie. Serait-il possible de discuter de toutes ces notions lors des discussions entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires? Y a-t-il des gens des différentes communautés que vous pourriez sensibiliser au fait de soulever ces notions-là lors des discussions? Sinon, tout cela restera flou et ce sera codifié comme pour tout le monde. Y aurait-il moyen que vous le fassiez avec votre monde, soit le fait d’inclure ces éléments lors de ces discussions?

[Traduction]

Mme Nowgesic : Ce que nous examinons, c’est la façon dont nous obtenons l’information. Le comprendre est une chose, mais comment faire pour l’appliquer dans la réalité? Comment pouvons-nous faire en sorte que l’information sur ce qui est prévu soit fournie aux dirigeants autochtones, aux fournisseurs de soins de santé et à la population? Il n’y a eu aucune discussion sur la façon dont tout cela va se dérouler, et là, les Autochtones se disent : « Oh, non, ils vont encore jouer dans nos plates-bandes. Que va-t-il se passer maintenant? Je vais m’y perdre. » Ils se demanderont ce qu’il adviendra de leur état. Ensuite, nous examinons la rapidité avec laquelle nous sommes en mesure de réagir dans un contexte où le nombre de fournisseurs de soins de santé diminue rapidement. Merci.

La sénatrice Burey : Bonjour encore une fois, et merci beaucoup de votre témoignage d’expert.

Je suis médecin et je me souviens de l’époque — cela ne me rajeunit pas — où, selon l’état d’un patient, il pouvait obtenir une ordonnance complète lorsqu’il quittait l’hôpital. Or, cela ne se fait plus. Cela en dit long sur l’état de la situation.

Le simple fait d’entendre votre témoignage, c’est un premier pas. Je comprends que vous êtes en faveur de ce projet de loi comme première étape, mais qu’il s’agit d’une question plus vaste en ce qui concerne la souveraineté des Autochtones, comment les soins de santé sont fournis, comment leurs données sont protégées et tout l’enjeu de la souveraineté des données.

Mais je voulais vous poser des questions sur la mise en œuvre, parce que les gens écoutent les témoignages ici pour comprendre les obstacles. Comme nous le savons, le diable est dans les détails — la mise en œuvre, la confusion, le fardeau administratif des fournisseurs de services —, vous le savez aussi bien que moi.

Que pourriez-vous nous dire pour nous aider à cet égard? Que devons-nous faire ou entendre aujourd’hui?

Mme Nowgesic : Vous devez nous donner le temps d’assurer la mobilisation, la discussion et l’élaboration d’un cadre pour une stratégie qui traitera de chacun de ces éléments.

Comme vous le savez très bien, en tant que médecin, tout cela a radicalement changé au fil des décennies, tout comme la terminologie des pathologies avec lesquelles les gens doivent composer. Les travailleurs sociaux sont maintenant appelés du personnel accompagnateur, si bien que les gens ne reconnaissent même pas la désignation de travailleur social; on parle maintenant de personnel accompagnateur. Les médecins ne viennent dans les communautés que lorsqu’ils sont disponibles. Imaginez s’il n’y en a qu’un de disponible tous les deux ou trois mois. Ce sont nos infirmières qui sont là jour après jour, 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et qui pourraient aider à diriger.

À quoi ressemblerait ce cadre? Comme vous l’avez dit, ce sont les détails qui posent problème. À quoi ressemblerait ce design, en fonction des indicateurs autochtones, de la méthodologie autochtone et des cadres autochtones? Tout cela est à déterminer. Quelle est l’éthique derrière cette recherche autochtone? Il y a aussi l’éducation à prendre en compte.

Ce n’est pas parce que vous cherchez quelque chose à faire à l’automne de votre exercice financier que tous les Autochtones sont disponibles à ce moment-là. Un excellent exemple de cela, c’est d’essayer de les amener à voter. Ils chassent et trappent, ramassent leurs plantes médicinales et s’occupent de leurs récoltes. Si nous pouvions faire cela, nous pourrions alors suivre la situation et travailler beaucoup plus étroitement avec les fournisseurs de soins de santé et les spécialistes de la médecine traditionnelle pour déterminer où le produit est encore vivant ou endommagé; ce produit particulier n’existe plus.

Nous examinerions également la résistance. Les niveaux de résistance au nombre de médicaments augmentent. Où les gens sont-ils censés aller quand les médicaments n’ont pas d’effet? Comment sont-ils censés y aller et comment sont-ils censés y avoir accès?

Mme Trudeau : Pour ce qui est de la mobilisation, il s’agit de s’assurer qu’il y a suffisamment de temps pour mobiliser les communautés afin de recevoir cette rétroaction et, par la suite, veiller à ce que la rétroaction soit effectivement incluse dans la voie à suivre. Nous avons participé à tellement d’activités de consultation et de rétroaction, mais la perspective métisse demeure absente.

Donc, il faut veiller à ce que les différentes nations soient représentées dans le rapport final

Le sénateur Quinn : Merci d’être ici, mesdames et messieurs. Je vais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Osler, je crois. J’aimerais poser une brève question au sujet des services de santé non assurés, de ce qui est actuellement couvert et de ce qui est envisagé dans le projet de loi C-64 à cette étape-ci.

Oui, c’est une première étape, mais ne serait-il pas avantageux que tous les aspects de cette première étape se passent au même niveau? N’est-ce pas quelque chose que nous devrions envisager, de faire en sorte que tout se produise au même niveau afin que nous puissions mener d’autres consultations et discussions?

Mme Trudeau : Pour ce qui est des services non assurés, il est important que je répète que les Métis ne sont pas inclus. Il est donc tout à fait normal de rééquilibrer les règles du jeu, mais sachez que les Métis partent de beaucoup plus loin que les Premières Nations.

Mme Nowgesic : Il serait bien de s’attaquer en même temps au projet de loi C-64 et aux services de santé non assurés, les SSNA. Cela ne se produira jamais parce que nous changeons constamment les conditions ou les règles du jeu, et lorsque vous changez constamment ces conditions, cela crée une confusion généralisée parmi les fournisseurs de soins de santé, sans parler des bénéficiaires.

Dans cette optique, c’est la raison pour laquelle la CINA aimerait que nous puissions concevoir cette structure. Sénateur Quinn, je comprends ce que vous essayez de dire, mais c’est exactement ce que nous disons; si les règles du jeu sont inégales, nous n’avons pas l’impression de savoir ce que vous voulez en ce qui concerne les indicateurs et ce qui existe pour ce qui est des services de santé non assurés. Quand vient le temps d’appliquer tout cela dans la réalité, il y a toutes sortes d’obstacles à surmonter pendant cette période, et on vous dit des choses comme : « Oh, vous ne pouvez pas faire cela, vous y avez déjà eu droit, ou vous avez trop dépensé. »

Si le projet de loi C-64 peut éliminer une partie de ce problème, les gens participeront en un clin d’œil, mais le Programme des services de santé non assurés impose une limite bureaucratique supplémentaire, sans parler des contraintes imposées aux fournisseurs de soins de santé. Pour le projet de loi C-64, ce que disent essentiellement les peuples autochtones, c’est que nous n’avons jamais négocié. Nous n’avons jamais renoncé à notre droit inhérent à un traitement médical en vertu de l’article pertinent du Traité no 6. Merci à l’Alberta. Nous n’avons jamais renoncé à cela. Nous ne sommes pas ici pour négocier ce droit.

Ce que nous pouvons dire, c’est que nous sommes ici pour trouver avec vous une façon d’améliorer les choses pour nous tous à long terme. La collecte des données en fera partie intégrante, mais elle se fera à nos conditions et les données seront stockées par nos employés. Nous serons les gardiens de leur dépôt, ainsi que du moment et de la façon dont elles seront communiquées.

Merci.

La présidente : Madame Trudeau, madame Nowgesic, merci beaucoup. Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion.

Nous accueillons par vidéoconférence l’honorable Adriana LaGrange, ministre de la Santé du gouvernement de l’Alberta, et l’honorable John Main, ministre de la Santé du gouvernement du Nunavut. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous allons commencer par la déclaration préliminaire de la ministre LaGrange, qui sera suivie du ministre Main.

Madame la ministre LaGrange, vous avez la parole pour cinq minutes.

L’honorable Adriana LaGrange, députée provinciale, ministre de la Santé, gouvernement de l’Alberta : Merci beaucoup. Bonjour, sénateurs et invités. Je vous remercie de me donner l’occasion de vous parler aujourd’hui du projet de loi C-64, la Loi concernant l’assurance-médicaments.

Je vais vous faire part brièvement de certaines des préoccupations de l’Alberta et de l’information et de l’approche dont nous avons besoin en Alberta pour avancer.

Le gouvernement fédéral continue de proposer des initiatives en matière de santé pour atteindre ses propres objectifs politiques, alors que sa responsabilité réelle consiste à agir comme un bon partenaire dans la viabilité à long terme des initiatives en matière de santé et dans l’amélioration des résultats pour la santé. Les provinces et les territoires ont compétence exclusive sur la planification, l’organisation et la gestion de nos systèmes de soins de santé. Le gouvernement de l’Alberta reconnaît qu’il existe effectivement des préoccupations à l’échelle nationale concernant les lacunes et la couverture directe, ainsi que la viabilité des programmes publics directs. Je crois que nous sommes d’accord sur ce point et que nous aimerions collaborer davantage en vue de trouver des solutions concrètes.

Cependant, le gouvernement fédéral a choisi de ne pas consulter l’Alberta au sujet d’un régime national d’assurance-médicaments avant de déposer le projet de loi C-64, et il n’y a eu aucune consultation importante depuis. Le gouvernement de l’Alberta prend des décisions au sujet de son système de soins de santé pour mieux répondre aux besoins de tous les Albertains, et non au service des programmes fédéraux. Le gouvernement fédéral doit respecter les compétences provinciales et territoriales et les décisions que nous prenons. Des initiatives fédérales comme l’assurance-médicaments doivent être élaborées dans un véritable esprit de collaboration, en harmonie avec les priorités provinciales et territoriales et dans le respect des compétences.

Pour le gouvernement de l’Alberta, il est très important de rendre les médicaments plus abordables et plus accessibles pour les Albertains. Nous avons l’un des régimes publics d’assurance-médicaments les plus complets du pays, qui couvre plus de 5 000 médicaments, et nous avons l’intention de maintenir l’offre actuelle. Le gouvernement fédéral peut nous aider à améliorer l’offre actuelle en évitant d’imposer des programmes en double ou un fardeau administratif superflu et coûteux. Il est également inutile que le gouvernement fédéral fournisse une couverture des produits pharmaceutiques qui sont déjà pris en charge par des régimes provinciaux de soins de santé.

Si le gouvernement fédéral couvre moins de produits pharmaceutiques que ce qui est actuellement prévu dans la liste de médicaments plus complète de l’Alberta, ce n’est pas dans l’intérêt des Albertains. Par exemple, la liste fédérale des médicaments contre le diabète n’inclut pas certaines des pharmacothérapies plus récentes et plus coûteuses qui correspondent aux lignes directrices actuelles de pratique clinique, comme l’Ozempic et des types d’insuline plus récents et plus efficaces. Un grand nombre de ces médicaments sur ordonnance se trouvent sur la liste des médicaments de l’Alberta.

Il est facile de prévoir que l’exclusion de ces traitements plus récents pourrait entraîner des problèmes d’abordabilité et d’équité, sans parler des risques pour les diabétiques et notre province.

L’Alberta s’inquiète des courts délais associés à l’atteinte des objectifs fixés dans le projet de loi. Si le gouvernement fédéral veut sincèrement faire progresser ses plans et ses promesses, il doit fournir beaucoup plus de détails sur les coûts pour les bénéficiaires et les provinces, les échéanciers, la liste nationale de médicaments, la stratégie nationale d’achat en gros et les autres risques et conséquences financières.

Les Albertains attachent une grande importance au choix, et le régime d’assurance-médicaments proposé limitera les options offertes.

Ce ne sont là que quelques-unes des inquiétudes de l’Alberta au sujet de la mise en œuvre du projet de loi C-64. L’Alberta est tout à fait disposée à travailler avec le gouvernement fédéral pour discuter des façons dont celui-ci peut investir dans les programmes complets d’assurance-médicaments de la province afin d’étendre la couverture pour ceux qui en ont le plus besoin. Nous devrions avoir le droit et la possibilité d’utiliser la juste part des fonds publics fédéraux provenant des contribuables albertains pour améliorer nos initiatives de santé et programmes existants, en particulier pour les plus vulnérables.

L’Alberta continuera de demander au gouvernement fédéral de fournir aux provinces et territoires un financement de la santé qui est prévisible, durable et sans condition.

Je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion de prendre la parole devant vous et je suis prête à répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, madame LaGrange.

Monsieur Main, la parole est à vous.

L’honorable John Main, député, ministre de la Santé, gouvernement du Nunavut : Je remercie le Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie de l’occasion de prendre la parole aujourd’hui au sujet des répercussions potentielles sur le Nunavut du projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments.

D’abord, je vais donner de l’information aux membres du comité sur le système de santé du Nunavut. Nous fournissons des soins à quelque 40 000 habitants de 25 collectivités. Ces collectivités sont regroupées en trois régions et couvrent trois fuseaux horaires; le Nunavut représente un cinquième de la masse terrestre totale du Canada. Nos principaux établissements de soins de santé incluent un hôpital de 35 lits à Iqaluit, 2 centres régionaux de soins de santé à Cambridge Bay et Rankin Inlet, et 22 centres de santé dans d’autres collectivités. Nous avons également un établissement psychiatrique et cinq établissements de soins de longue durée dans le territoire.

La géographie et la logistique des déplacements ont façonné les soins de santé au Nunavut. Les grandes distances entre les collectivités et le manque de réseau routier font en sorte qu’il doit y avoir des centres de santé dans chaque collectivité, où des services infirmiers d’urgence 24 heures sur 24 et des services de consultation externe sont offerts. Nous comptons fortement sur le transport médical vers des régions plus au sud, comme l’Alberta, pour répondre aux besoins en soins de pointe et en soins spécialisés.

Au cours de l’exercice 2023-2024, le ministère de la Santé a organisé l’achat de plus de 49 900 billets d’avion réguliers et plus de 2 500 évacuations médicales pour les Nunavummiuts à un coût de plus de 121 millions de dollars. En raison de notre géographie et de notre manque de capacité sur le territoire, nous avons le niveau le plus élevé de dépenses par habitant pour les services de soins de santé, soit 21 000 $ par personne contre une moyenne nationale de 8 500 $.

Nous comptons beaucoup sur les ententes et les investissements fédéraux pour atteindre l’équité en santé partout sur le territoire. Nous saluons tous les efforts fédéraux pour favoriser un accès équitable aux soins de santé à l’échelle du Canada.

Plusieurs indicateurs de santé principaux reflètent les défis auxquels les Inuits du Nunavut font face. Nous constatons une espérance de vie plus courte que la moyenne, un taux de mortalité infantile plus élevé, un plus grand nombre de suicides chez les jeunes et un taux considérablement plus élevé de tuberculose. Il y a aussi une tendance à la hausse des maladies chroniques, comme le diabète, la bronchopneumopathie chronique obstructive et l’hypertension.

Les discussions sur l’amélioration de l’accès aux soins de santé au Nunavut doivent tenir compte du contexte des déterminants sociaux de la santé, des répercussions du colonialisme sur les collectivités du Nord et de la forme que prend la réconciliation.

Les soins de santé au Nunavut sont financés par l’État, et la majorité des services essentiels sont couverts par le Régime d’assurance-maladie du Nunavut. Ce régime couvre les visites chez le médecin et les consultations, ainsi que des services hospitaliers, comme les tests de diagnostic, les interventions chirurgicales et les procédures médicalement nécessaires. Les Inuits représentent près de 85 % de la population du Nunavut. Par conséquent, la majorité de la population est couverte par le programme des services de santé non assurés, ou le programme des SSNA, qui est offert par Services aux Autochtones Canada. Le programme couvre les médicaments sur ordonnance, l’équipement médical et les fournitures médicales, les soins dentaires, les soins de la vue, le transport pour raison médicale en provenance et en destination du territoire, et les services en santé mentale. Ainsi, seule une petite proportion de Nunavummiuts, environ 15 %, ne sont pas couverts par le programme des SSNA. Cela dit, environ la moitié de ces personnes travaillent pour le gouvernement territorial ou le gouvernement fédéral. Elles sont donc couvertes par les régimes de soins de santé offerts par l’employeur.

Pour des raisons démographiques, le projet de loi C-64 aurait des répercussions différentes sur le Nunavut que sur les autres provinces et territoires. Même si le projet de loi C-64 ferait en sorte que tous les Nunavummiuts aient accès à des médicaments contre le diabète et à des contraceptifs oraux gratuits, peu d’entre eux ne sont pas déjà couverts par le programme des SSNA ou les régimes offerts par l’employeur.

Certains aspects du programme doivent être clarifiés pour garantir une mise en œuvre efficace dans le territoire. D’abord, comme il a déjà été mentionné, même si le Nunavut compte 25 collectivités, nous n’avons que sept pharmacies de détail, dont trois se situent à Iqaluit. Les quatre autres se trouvent à Rankin Inlet, Cambridge Bay, Arviat et Baker Lake. On ne sait pas pour le moment si les Nunavummiuts pourront obtenir ces médicaments admissibles auprès des pharmacies de centre de santé communautaire, sans ordonnance de détail, dans le cadre du régime d’assurance-médicaments.

Ensuite, comme la majorité de la population du Nunavut reçoit des prestations de santé par l’entremise du programme des SSNA, y compris pour les médicaments, on ne sait pas exactement comment le régime national interagira avec ce programme de Services aux Autochtones Canada. Selon une évaluation de la liste des contraceptifs et des médicaments contre le diabète proposée par Santé Canada, la liste du programme des SSNA respecte déjà la couverture prévue dans le projet de loi C-64 en ce qui concerne les médicaments inclus et l’étendue de la couverture. En d’autres mots, il n’y a pas de quote-part ou de franchise.

On ne sait pas exactement quelles seront les répercussions de l’approche proposée sur les clients admissibles au programme des SSNA qui sont couverts entièrement ou partiellement par des payeurs du secteur privé. C’est un aspect sur lequel nous devrons travailler avec nos partenaires fédéraux pour relever et résoudre tous les problèmes possibles.

Enfin, il faut déterminer les répercussions sur les régimes de prestations pour les employés. Le gouvernement du Nunavut, à titre d’employeur, et ses employés versent des primes d’assurance pour que des assureurs privés paient les médicaments contre le diabète et les contraceptifs oraux. Avec le projet de loi C-64, ces assureurs n’auront plus à payer ces médicaments qui sont généralement pris tous les jours et à long terme, ce qui entraîne des coûts élevés pour la compagnie d’assurances. Retirer ces médicaments des réclamations auprès du régime privé d’assurance pourrait réduire le coût global des prestations de santé offertes par l’employeur pour le gouvernement du Nunavut.

Même si nous avons relevé certains problèmes qui devront être résolus en ce qui concerne l’administration du projet de loi C-64, nous sommes disposés à continuer de discuter avec le gouvernement fédéral pour comprendre les interactions avec le programme des SSNA et pour offrir aux Inuits du Nunavut le meilleur accès aux soins. Nous ne nous opposons pas à l’aide fédérale en santé et nous travaillons déjà de façon collaborative avec nos partenaires pour renforcer les soins de santé au Nunavut.

Je voudrais conclure avec quelques points précis. Environ 6 % des habitants du Nunavut sont prédiabétiques ou sont atteints du diabète. Nous savons que les risques pour la santé qui sont associés à cette maladie sont graves, et l’accès gratuit aux médicaments contre le diabète peut transformer la vie d’une personne, et même permettre de sauver des vies.

De plus, offrir des contraceptifs oraux gratuits favorise la santé génésique, renforce l’autonomie des personnes et peut mener à de meilleurs résultats socioéconomiques pour des collectivités entières. Une telle mesure prévient les risques pour la santé qui sont associés aux grossesses non désirées ainsi que les répercussions financières. Les grossesses planifiées sont associées à de meilleurs soins prénataux et à une meilleure santé.

La présidente : Monsieur le ministre, je suis fascinée par votre témoignage, mais la greffière me dit que nous allons manquer de temps.

La sénatrice Osler : Je remercie les deux ministres d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse à la ministre LaGrange.

Dans sa lettre de clarification récente sur le projet de loi C-64, le ministre Holland a précisé que le coût des médicaments serait payé et géré par l’entremise du régime public.

L’Alberta est connue pour sa recherche de modèles différents de prestation des soins de santé. Je pense notamment au nouveau centre de santé à guichet unique, à Airdrie, en Alberta. Madame la ministre, vous avez dit craindre qu’un régime national d’assurance-médicaments impose un fardeau administratif et bureaucratique aux provinces.

Les provinces devraient-elles s’inspirer de l’Alberta pour établir différents modèles de prestation de soins de santé et d’assurances-médicaments — peut-être même envisager des partenariats public-privé — au-delà du traitement de demandes que le gouvernement albertain utilise en ce moment avec la Croix Bleue de l’Alberta?

Mme LaGrange : Je vous remercie pour la question.

D’abord, nous croyons fermement au financement public des soins de santé, et nous travaillons très fort pour innover et offrir aux citoyens de l’Alberta les meilleurs soins de santé possible. Je sais que de nombreuses préoccupations ont été soulevées, par l’Alberta, mais également par beaucoup d’autres provinces et organismes, dont l’Asssociation canadienne des compagnies d’assurances de personnes, McKesson Canada, et l’Association canadienne du médicament générique.

Les problèmes sont surtout la perturbation de la couverture existante des médicaments sur ordonnance dans le cadre des régimes auxquels cotisent les employés, la limitation des choix offerts aux Canadiens et aux Albertains, l’utilisation de précieuses ressources financières fédérales pour remplacer la couverture existante, et l’absence de couverture pour les Canadiens non assurés qui dépendent de médicaments qui ne figurent pas sur la courte liste de médicaments couverts par le régime fédéral, lesquels ne concernent que deux problèmes de santé parmi la myriade qui existe dans notre province.

En Alberta, nous sommes très fiers du fait que nos pharmaciens exercent les fonctions dont la portée est la plus étendue au Canada. Ils exercent des fonctions de portée maximale et même plus, en ce sens qu’ils ont des cliniques où les citoyens peuvent obtenir une consultation. Cela augmente notre rayonnement dans les collectivités du Nord et éloignées où les citoyens n’ont pas accès à un médecin.

Le ministre Main a exprimé très éloquemment les difficultés relatives aux collectivités rurales et éloignées, et le recours à des fonctions étendues pour les pharmaciens en Alberta s’avère une solution sûre et efficace et améliore l’expérience globale pour les Albertains.

J’espère que cela répond à votre question.

La sénatrice Osler : Merci, madame la ministre.

La sénatrice Pate : Pour économiser du temps, je vais poser mes deux questions — une pour chaque ministre — et si jamais nous manquons de temps, vous pourriez peut-être fournir la réponse par écrit.

Monsieur le ministre Main, je me rappelle du travail que vous avez fait il y a quelques années à l’appui d’un revenu de base garanti pour le Nunavut. Nous savons que le revenu est le principal déterminant social de la santé. Quelles mesures le gouvernement fédéral pourrait-il prendre dans le cadre de la mise en œuvre du projet de loi C-64, tant dans le cadre de ses démarches à court terme pour couvrir les frais des médicaments contre le diabète et des contraceptifs que dans le cadre de ses progrès à long terme vers un régime national à payeur unique, pour remédier aux inégalités au chapitre du revenu et de la santé?

Madame la ministre LaGrange, selon le Journal de l’Association médicale canadienne, le système de l’Alberta est celui qui coûte le plus cher aux personnes à faible revenu au Canada. Voyez-vous des solutions que le gouvernement de l’Alberta pourrait adopter pour remédier à cette situation et convenez-vous qu’il s’agit là d’un obstacle important pour les personnes à faible revenu?

Monsieur le ministre Main, je vous demanderais de répondre en premier s’il vous plaît, puis nous passerons à la ministre LaGrange.

M. Main : Je vous remercie pour la question.

Les déterminants sociaux de la santé sont un facteur qui influe énormément sur toutes nos décisions en matière de santé au Nunavut. Évidemment, nous nous concentrons sur les tenants et les aboutissants du système de santé, la dotation constituant notre principal défi, mais les infrastructures représentent également un défi énorme, tout comme la viabilité financière.

Parmi les déterminants sociaux de la santé qui ont un impact réel sur les gens au quotidien, il y a l’insécurité alimentaire et le logement, mais aussi les séquelles du colonialisme et les traumatismes intergénérationnels.

Le gouvernement fédéral doit mieux comprendre les avantages d’investir dans des choses comme des mesures pour lutter contre l’insécurité alimentaire. Services aux Autochtones Canada a récemment augmenté le soutien à la sécurité alimentaire dans le cadre de l’Initiative : Les enfants inuits d’abord, au Nunavut, et un certain nombre de communautés au sein du territoire distribuent des bons — je n’ai pas le terme exact — aux familles qui ont des enfants. Il s’agit d’une toute nouvelle initiative grâce à laquelle des milliers d’enfants au Nunavut jouissent maintenant d’un soutien à la sécurité alimentaire, en particulier d’un accès à des aliments sains.

Nous aimerions mieux comprendre l’incidence de ces dépenses. Il est incroyable de voir les répercussions dans nos communautés quand on s’entretient avec les parents et les familles. Selon les preuves empiriques, cette initiative a une incidence très positive.

En ce qui concerne les indicateurs de la santé, quelle est l’incidence positive? Pouvons-nous la mesurer? J’aimerais que l’on étende les mesures de soutien à la sécurité alimentaire telles que l’initiative Les enfants inuits d’abord et qu’on les rende permanentes.

Merci.

La présidente : Sénatrice Pate, la réponse de la ministre LaGrange à votre question devra se faire attendre.

La sénatrice Moodie : Ma question s’adresse au ministre Main.

Une particularité du Nunavut, et un défi géographique important, est la nécessité de maintenir un plus gros inventaire de médicaments que la plupart des autres provinces et territoires du Canada. Or, ce ne sont pas tous les médicaments qui sont utilisés, donc cela s’accompagne d’un niveau supérieur de gaspillage et d’un fardeau financier accru pour votre région et le système de santé en général.

Selon vous, y a-t-il quoi que ce soit que le gouvernement puisse faire ou doive faire au sujet de l’inventaire des médicaments sur ordonnance au Nunavut? Qu’aimeriez-vous voir ressortir de vos négociations avec le gouvernement relativement à l’accord relatif à l’assurance-médicaments pour le Nunavut?

M. Main : Je vous remercie pour la question. Vous soulevez des points importants et je vous remercie de me donner l’occasion d’en parler. Pour aider à gérer les stocks, le Nunavut aurait besoin d’un système public d’information sur la santé. C’est une chose que nous souhaitons et que nous travaillons à obtenir. À l’heure actuelle, nous n’avons pas les infrastructures adéquates en matière de technologies de l’information pour gérer ou surveiller en temps réel les stocks de choses comme les vaccins. C’est certainement un besoin en matière de gestion de la santé publique et cela nous aiderait, je crois, à mieux gérer les stocks de choses telles que les vaccins. En outre, nous travaillons à renforcer l’équipe de l’information sur la santé au sein du ministère. Dans le passé, cette équipe a bénéficié d’un soutien financier dans le cadre d’ententes de financement fédérales, et nous continuons d’en renforcer les capacités.

Ce que nous recherchons auprès de nos partenaires fédéraux, c’est, comme toujours, de la souplesse et la reconnaissance du caractère unique du Nunavut, comme je l’ai décrit dans ma déclaration liminaire. Nous soutenons depuis toujours que les tableaux des ententes de financement fédérales-provinciales ou fédérales-territoriales ne fonctionnent pas pour le Nunavut. Il suffit d’examiner la logistique. Transporter une personne en détresse médicale de Grise Fiord à Ottawa coûte des dizaines de milliers de dollars. Je ne dis pas que ce n’est pas nécessaire ni que c’est un gaspillage d’argent. Je dis simplement que les coûts sont beaucoup plus élevés que pour le transport d’un résidant d’une grande ville du Canada de son domicile à l’hôpital. C’est ce qui nous rend tout à fait uniques. Par conséquent, nous aimerions que nos partenaires fédéraux nous offrent plus de souplesse et un soutien qui va plus loin que la simple exploitation de notre système de santé. Nous avons de plus en plus besoin d’aide en matière d’infrastructures de santé.

[Français]

La sénatrice Mégie : Bonjour, monsieur et madame les ministres. Je vais vous poser mes questions en français. Je sais que d’ordinaire, dans la vie, il y a beaucoup de sujets dont vous discutez entre les provinces, et c’est la même chose pour chaque province séparément avec le gouvernement fédéral. Si le projet de loi C-64 était adopté tel quel, en tenant compte du fait que le Nunavut est unique et en considérant les différents points soulevés par la ministre LaGrange concernant l’Alberta, ces éléments ne pourraient-ils pas faire l’objet de discussions lors de vos échanges provinciaux-fédéraux pour solliciter la souplesse dont vous avez besoin? Pourriez-vous en discuter à ces différents moments? Je pose la question à chacun d’entre vous.

[Traduction]

Mme LaGrange : Je serais ravie de répondre à la question en premier, puis je céderai la parole au ministre Main.

Nous avons certainement des exemples de bonne consultation avec le gouvernement fédéral. Je pense notamment aux récents accords bilatéraux que nous avons pu signer, tels que l’accord sur les priorités partagées et l’accord pour vieillir dans la dignité, et nous sommes tout près de conclure l’accord pour les médicaments pour le traitement des maladies rares. Toutefois, je ne comprends pas pourquoi ce projet de loi n’a pas fait l’objet du même processus. Pourquoi n’a-t-il pas fait l’objet de consultations avant sa présentation? D’après nous, ces consultations auraient dû se faire avant que nous en arrivions là où nous en sommes, car chaque province et territoire est unique et, comme je l’ai déjà souligné, la santé est un domaine de compétence provinciale. Il y a des aspects uniques où nous souhaitons intervenir, et comme je l’ai dit, en Alberta, nous sommes plutôt chanceux. La province couvre déjà le coût de beaucoup de médicaments. Nous aimerions améliorer les régimes déjà en place.

Je suis préoccupée non seulement par l’absence de couverture à l’égard de certains médicaments, mais également par la proposition de recourir à des dispositifs plus vieux. La consultation aurait permis d’éviter une grande partie de la consternation qui s’observe actuellement. Je cède la parole au ministre Main.

M. Main : Merci. C’est une très bonne question. Elle est très intéressante. Essentiellement, c’est une question de confiance. Quelle est ma relation avec mes partenaires fédéraux en tant que ministre de la Santé du Nunavut? Quel est mon niveau de confiance envers eux? Je regarde ce que nous avons récemment accompli, comme l’accord bilatéral pour travailler ensemble, l’accord bilatéral pour vieillir dans la dignité, et les récents progrès réalisés avec la ministre Hajdu concernant le financement des services de santé non assurés. Du point de vue du Nunavut, je dois dire que nous avons une bonne relation productive avec nos partenaires fédéraux. Une relation de confiance. Le niveau d’ambiguïté dans le projet de loi sous sa forme actuelle ne me pose pas vraiment problème, car je suis convaincu que nous pourrons peaufiner le tout avec nos partenaires fédéraux. Il n’est pas nécessaire de définir tous les détails dans le projet de loi. Merci.

La sénatrice Dasko : Ma question s’adresse à la ministre LaGrange. Comme aucune compensation n’est prévue pour les provinces qui ne participent pas au programme, votre retrait signifie que la province tournera le dos au financement du fédéral. Ne croyez-vous pas que les Albertains seront mécontents de ne pas avoir accès à ce financement du fédéral? C’était ma question. Merci.

Mme LaGrange : Eh bien, merci de votre question. Premièrement, je crois que la contribution de l’Alberta — fonds existants, taxes et impôts, et cetera — est d’une grande valeur pour le grand pays qu’est le Canada et que la province doit être traitée de façon équitable. Pour être traitée de façon équitable, elle doit obtenir sa part équitable du montant qui est affecté au régime d’assurance-médicaments. Comme la santé est exclusivement de compétence provinciale, nous considérons que nous devrions recevoir le montant équitablement dû à la province de l’Alberta pour offrir des services à la population albertaine.

D’après les discussions que j’ai eues avec le ministre Holland, il semble y avoir une volonté de consulter et, même si nous aurions voulu que ces consultations se déroulent avant la présentation du projet de loi, je crois comprendre qu’il y a toujours place à discussion. Je voudrais que ces discussions aient lieu. Je voudrais que l’Alberta puisse conserver ses programmes actuels pour que les Albertains aient la liberté de choisir et que la province obtienne sa juste part du montant affecté au régime d’assurance-médicaments proposé dans le projet de loi afin de pouvoir administrer ce montant pour améliorer les programmes qu’elle offre déjà. C’est ce que j’espère.

La sénatrice Dasko : Merci beaucoup. D’après votre réponse, vous êtes plus disposée à collaborer avec le gouvernement fédéral que ce que laissait entendre votre déclaration préliminaire. Vous souhaitez donc discuter avec eux au sujet...

Mme LaGrange : Nous sommes toujours prêts à discuter avec le gouvernement fédéral, mais nous conservons notre droit de retrait des programmes fédéraux qui empiètent sur les compétences des provinces.

La sénatrice Dasko : Oui, bien sûr.

Mme LaGrange : Je veux que ce soit bien clair. Pour nous, il s’agit d’une compétence des provinces. Nous n’avons pas l’impression que la province a été adéquatement consultée avant que le projet de loi soit présenté et nous nous réservons le droit de nous retirer du programme.

La sénatrice Dasko : Par exemple, la province de la Colombie-Britannique discute présentement du programme avec le gouvernement fédéral, notamment au sujet des médicaments qui seront couverts. Croyez-vous que vous pourriez aussi avoir ce genre de discussions avec le gouvernement fédéral?

Mme LaGrange : Eh bien, j’aimerais voir ce qu’on nous propose. Comme je l’ai mentionné, nous avons eu quelques rencontres fructueuses ces derniers temps et nous avons réussi à nous entendre au sujet des priorités communes et de vieillir dans la dignité, et nous sommes près d’un accord au sujet des médicaments pour les maladies rares.

En ce qui concerne le projet de loi à l’étude, nous n’avons pas été consultés avant qu’il soit présenté, alors ce n’est pas le même processus. Il reste beaucoup d’inconnus et d’ambiguïté, alors il est difficile pour nous de donner notre appui.

Si le projet de loi est adopté, j’espère obtenir plus d’information du gouvernement fédéral et du ministre Holland avec le temps.

La présidente : Madame la ministre LaGrange, je voudrais obtenir des précisions. Je ne suis pas Albertaine, mais j’apprécie la contribution de l’Alberta à notre pays.

Est-ce que les deux médicaments inscrits sur la liste pour le diabète et la contraception — les médicaments et les appareils — sont présentement couverts en Alberta? S’ils le sont, dans quelle mesure?

Mme LaGrange : La majorité des médicaments et appareils le sont; je pourrais vous donner la liste de ceux qui sont couverts et de ceux qui ne le sont pas. Selon ce que notre analyse a révélé, il s’agit surtout de médicaments plus vieux, pas nécessairement des nouveaux médicaments plus récents ou des médicaments employés dans les nouvelles thérapies. C’est la même chose pour les appareils. C’est ce que j’ai compris.

Pour répondre à la question posée précédemment par une autre sénatrice, je suis fière que, en Alberta, nous prenions soin des personnes les plus vulnérables d’entre nous et que nous ayons des programmes globaux qui couvrent les médicaments et les services pour les aînés les plus vulnérables et les personnes à faible revenu. Notre analyse montre que, si le programme est mis en œuvre dans sa forme actuelle, environ 100 000 Albertains vulnérables à faible revenu ne seraient pas admissibles, ce qui, pour les Albertains et pour moi, est très inquiétant.

La présidente : Merci, madame la ministre LaGrange.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je voudrais revenir sur la question posée par ma collègue. Certains de vos arguments quant aux empiétements sur les compétences des provinces sont les mêmes que ceux du Québec. Par contre, si les Albertains ont accès aux médicaments pour le diabète et la contraception, y ont‑ils accès gratuitement? La province a-t-elle des programmes qui offrent l’accès gratuit à ces médicaments? S’agit-il plutôt de programmes qui prévoient une franchise à payer? C’est le cas au Québec. Pouvez-vous faire la comparaison?

Je suis un peu surprise que moins de personnes vulnérables soient couvertes par le programme fédéral, parce qu’il s’agit d’un régime gratuit pour tous. J’essaie de comprendre quelles sont vos craintes.

Premièrement, les médicaments de ces deux catégories sont-ils offerts sans frais aux Albertains?

Mme LaGrange : Premièrement, encore une fois, je voudrais souligner que ces deux catégories de médicaments couvertes par le régime d’assurance-médicaments ne représentent qu’une infime partie des médicaments dont la population a besoin. Il est inexact de parler de régime universel d’assurance-médicaments.

Deuxièmement, en ce qui concerne les médicaments auxquels ont accès les personnes vulnérables à faible revenu de la province, le programme va de la gratuité à l’absence de couverture. Il existe d’autres solutions de paiement pour les personnes qui ont un régime avec leur employeur, etc. L’Alberta offre une très bonne couverture et la fourchette de couverture est fondée sur le revenu et la capacité de payer. La fourchette est très large.

Encore une fois, ce que le projet de loi, dans sa forme actuelle, met en péril, c’est la liberté de choix des Albertains. D’ailleurs, comme je l’ai mentionné, les médicaments et les appareils inscrits dans le projet de loi pour le diabète sont désuets et ne sont pas ceux que les gens utilisent ou veulent utiliser. Pourquoi le gouvernement fédéral choisit-il de couvrir des appareils et des médicaments plus anciens que personne n’utilise? Pourquoi ne choisit-il pas les médicaments plus récents? Peut-être qu’on en discutera. Il reste beaucoup de questions en suspens à notre avis.

Comme je l’ai mentionné, selon les recherches que nous avons menées, environ 100 000 personnes ne seraient même pas admissibles. Encore une fois, quel est le but? Pourquoi dédoubler des services déjà offerts en Alberta?

La sénatrice Miville-Dechêne : Comment êtes-vous arrivés au chiffre de 100 000 personnes vulnérables qui ne seraient pas admissibles puisque — je ne prétends pas que le régime est universel — les médicaments de ces deux catégories seront offerts sans frais? Vous parlez des personnes qui travaillent et qui ont un revenu modeste, mais je suis plutôt convaincue qu’elles doivent payer une franchise. Comment êtes-vous arrivés au chiffre de 100 000 personnes qui subiraient un impact négatif du projet de loi C-64?

Mme LaGrange : Eh bien, ce chiffre vient d’un examen mené par mon ministère sur les impacts du projet de loi C-64. Comme il n’y a pas eu de consultations pendant le processus, d’après les informations limitées que nous avons reçues, en fonction de ce que le projet de loi prévoit présentement, c’est le chiffre auquel le ministère est arrivé.

Je le répète, il est encore temps d’en discuter, mais à l’heure actuelle, les Albertains et d’autres Canadiens ont déjà accès à des programmes en santé. Je l’ai dit plus tôt, l’Association canadienne des compagnies d’assurances, McKesson et l’Association canadienne du médicament générique se sont dites inquiètes, parce qu’ils offrent aux Canadiens et aux Albertains des régimes plus généreux que l’offre limitée du régime prévu.

Il y a aussi des inquiétudes quant à la viabilité financière. Quand on regarde les ressources limitées du gouvernement fédéral et l’accroissement des besoins de la province et du pays, on se dit qu’il faudrait réfléchir davantage avant de dédoubler des programmes qui existent déjà.

Je sais que la responsabilité incombe au gouvernement fédéral en ce qui concerne les Premières Nations et ce que ces dernières me répètent constamment, c’est que leurs besoins ne sont pas comblés.

La présidente : Merci, madame la ministre LaGrange. Autour de la table, il y a un peu d’incrédulité quant au chiffre que vous avez donné des 100 000 Albertains qui verraient leur situation se détériorer. Nous aimerions que vous nous transmettiez, si possible, les documents qui montrent comment vous êtes arrivés à ce chiffre.

Nous recevrons un autre groupe de témoins cet après-midi, notamment des représentants des compagnies d’assurances, alors nous pourrons leur en parler également.

Chers collègues, je suis désolée de vous bousculer, mais notre temps est écoulé. Je remercie les deux ministres d’être venus nous présenter le point de vue de leur région et de leur province. Il est important d’en tenir compte.

Chers collègues, je vous rappelle que nous reprendrons l’étude du projet de loi C-64 à l’endroit habituel à 16 h 15. Comme nous procéderons demain à l’étude article par article, si vous avez l’intention de proposer des amendements ou de faire des observations, je vous prie de les communiquer à la greffière à l’avance dans les deux langues officielles.

(La séance est levée.)

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