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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 4 décembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), pour étudier la teneur du projet de loi C-71, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (2024).

La sénatrice Rosemary Moodie (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je m’appelle Rosemary Moodie. Je suis sénatrice de l’Ontario et présidente du comité. Avant de commencer, j’aimerais faire un tour de table et demander aux sénateurs de se présenter.

Le sénateur Arnot : David Arnot, sénateur de la Saskatchewan.

[Français]

La sénatrice Youance : Bonjour. Suze Youance, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Senior : Bonjour. Paulette Senior, de l’Ontario.

La sénatrice Osler : Flordeliz (Gigi) Osler, du Manitoba.

Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Cormier : Bonjour. René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Cuzner : Rodger Cuzner, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Bonjour. Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Brazeau : Bonjour à vous tous. Patrick Brazeau, du Québec.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Muggli : Tracy Muggli, de la Saskatchewan, territoire du Traité no 6.

La sénatrice Bernard : Soyez les bienvenus. Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse, territoire mi’kmaq.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

[Traduction]

La présidente : Nous entamons aujourd’hui notre étude de la teneur du projet de loi C-71, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (2024).

Les témoins suivants, ici présents, forment le premier groupe : Don Chapman, fondateur et chef de Canadiens perdus, J. Randall Emery, consultant en immigration, Kathryn Burton, et Carol Sutherland-Brown. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui.

Nous allons commencer par M. Chapman, qui sera suivi de M. Emery, de Mme Burton et de Mme Sutherland-Brown. Vous disposerez de quatre minutes chacun pour faire votre exposé préliminaire. Monsieur Chapman, vous avez la parole. Merci de respecter le temps alloué, car tout le monde veut poser des questions dans cette salle bondée. Merci.

Don Chapman, fondateur et chef de Canadiens perdus, à titre personnel : J’ai témoigné une vingtaine de fois devant la Chambre et le Sénat. Alors, pourquoi suis-je ici? Parce que vous n’avez pas encore réglé le problème.

Comme je l’ai dit il y a deux décennies, le Canada est un pays qui viole les droits de la personne parce qu’il ne respecte pas la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, la Convention des Nations unies sur la réduction des cas d’apatridie et la Convention de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

Ne le saviez-vous pas? Si vous le saviez, pourquoi n’avoir rien fait? Si vous le saviez, c’est que vous acceptez que les femmes aient moins de droits que les hommes en matière de citoyenneté ou que le Canada enfreigne la réglementation — comme l’a souligné la revue des Nations unies sur les droits de la personne intitulée Refugees — puisqu’il crée des apatrides ou qu’il participe toujours activement à la séparation forcée de familles, n’est-ce pas?

Pourquoi le Sénat n’a-t-il pas donné suite à sa propre recommandation d’il y a 16 ans visant à rendre la Loi sur la citoyenneté conforme à la Charte? Dans votre étude sur les adoptions forcées, intitulée Honte à nous, pourquoi n’avez-vous pas parlé des enfants de Canadiens dépouillés de leur citoyenneté? Pourquoi avez-vous gardé le silence quand des bébés ont perdu leur citoyenneté à cause du lucratif réseau de vente de bébés de l’Église catholique à Montréal?

Je suppose que vous ne le saviez pas, mais ce n’est pas parce que je n’aurai pas essayé de vous y sensibiliser. Maintenant que c’est consigné au compte rendu, qu’allez-vous faire? Comment régler le problème quand on ne connaît pas toutes ses nuances? Il est impossible d’expliquer tout cela en seulement quatre minutes.

Si on avait agi, le problème serait réglé depuis des décennies. Vos études sont terriblement insuffisantes, car vous n’allez jamais à la racine du problème. Vous souvenez-vous du fiasco du Boeing 737 MAX? J’ai été commandant à bord de cet avion. Conviendrait-il de donner seulement quatre minutes à l’expert principal de l’enquête sur les accidents pour expliquer le problème? Il y aurait encore des dangers et des personnes en danger. C’est la même chose pour les « Canadiens perdus » dont les familles ont connu des suicides, des séparations forcées et d’autres violations des droits de la personne.

Nous sommes ici aujourd’hui non pas parce que c’est ce qu’il faut faire depuis longtemps, mais parce que nous avons gagné une contestation en vertu de la Charte il y a un an, dont le résultat a confirmé mes déclarations selon lesquelles la Loi sur la citoyenneté enfreint la Charte. Le gouvernement a été forcé de présenter une mesure législative corrective, à savoir le projet de loi C-71.

Pour le bien du pays et des Canadiens, adoptez ce projet de loi. Le projet de loi C-71 corrige quatre des six lacunes actuelles de la Loi sur la citoyenneté. Il en reste deux, majeures. Le Canada a désespérément besoin d’une nouvelle Loi sur la citoyenneté conforme à la Charte, et cela ne se produira pas si vous ne saisissez pas correctement l’enjeu et que vous n’avez pas la volonté de le faire.

Ne vous contentez pas du statu quo des droits de citoyenneté à plusieurs paliers, d’une situation où des enfants et des femmes sont la cible d’une loi inconstitutionnelle et de l’exclusion de 111 000 personnes mortes au cours de la Première et de la Seconde Guerres mondiales, celles, précisément, que vous dites chérir le jour du Souvenir.

Sachez également que la Loi sur la citoyenneté est un rêve d’autocrate, car la citoyenneté n’est pas un droit, mais un privilège. Le gouvernement pourrait littéralement annuler votre citoyenneté, celle de vos enfants ou de vos petits-enfants. La citoyenneté étant le droit d’avoir des droits, vous ne pourriez pas vous marier ni obtenir un permis de conduire, et vous n’auriez ni passeport, ni certificat médical, ni assurance, ni voyage en avion, ni vote, car tout dépend de votre citoyenneté. Vous pensez être à l’abri? Le sénateur Roméo Dallaire a été dépouillé de sa citoyenneté.

L’antidote — votre antidote — est le savoir, et, à mon avis, vous n’apprendrez pas grand-chose au cours de ces audiences. Les « Canadiens perdus » sont également voués à corriger le faux récit de l’Histoire du Canada, notamment quand il s’agit des Canadiens d’origine autochtone, chinoise, japonaise et juive.

Honorables sénateurs, vous et les députés de l’autre Chambre avez une occasion en or de corriger un tort historique. Adoptez le projet de loi C-71, faites-le rapidement et avec fierté. Par la suite, dans ce qui pourrait devenir un tournant dans votre vie de parlementaires et de Canadiens, faites du Canada un phare pour le monde : adoptez une nouvelle loi sur la citoyenneté canadienne inclusive.

Merci.

La présidente : Monsieur Emery, vous avez la parole.

J. Randall Emery, consultant en immigration, à titre personnel : Je suis né ici. Pendant la plus grande partie de ma vie, le gouvernement m’a refusé le droit de vote. Il a refusé à mes enfants une citoyenneté égale, tout comme à leur grand‑père, leur arrière-grand-mère et leurs arrière-arrière-grands-parents canadiens avant eux.

Je suis membre d’une grande famille ayant des racines antérieures à la Confédération, dont le sang a été versé au nom de notre pays pendant la Grande Guerre, qui a servi dans la Force aérienne auxiliaire canadienne pendant la Seconde Guerre mondiale et qui a mérité une place dans l’Ordre du Canada pour son travail humanitaire. Je suis également un professionnel qui a une expérience directe. C’est la raison pour laquelle j’ai été invité ici aujourd’hui dans le cadre de l’étude du projet de loi C-71.

J’aimerais pouvoir parler en sa faveur, mais c’est l’équité qui compte, surtout dans le cas d’un projet de loi qui vise à corriger des inégalités inconstitutionnelles.

Il y a deux grandes catégories de citoyens : les citoyens de naissance et les citoyens naturalisés. Les citoyens de naissance sont nés au Canada ou d’un parent canadien à l’étranger. Le Canada fait partie de leur origine et de leur identité nationales. Ils sont nés Canadiens. Les citoyens naturalisés sont des étrangers qui suivent une démarche pour devenir Canadiens. Mais au bout du compte, un citoyen est un citoyen. Il semble pourtant que, d’après ce projet de loi, tous les citoyens ne soient pas égaux.

Les catégories de citoyens suivants peuvent transmettre leur citoyenneté à leurs enfants, sans qu’aucune question ne soit posée : les citoyens nés au Canada, dont les citoyens nés de ressortissants étrangers qui ont quitté le Canada après l’expulsion de leurs parents, les citoyens nés de touristes, les citoyens nés d’espions — protégés par l’arrêt Canada c. Vavilov —, et n’oublions pas les citoyens qui sont naturalisés enfants sans avoir vécu au Canada et qui s’en vont après la cérémonie de citoyenneté.

Ce projet de loi affirme que mes enfants sont moins canadiens que ces autres enfants et qu’ils doivent prouver un lien pour transmettre la citoyenneté à la prochaine génération. Autrement dit, l’exercice de mon droit à la mobilité a érodé la valeur de la citoyenneté de mes enfants, tandis que des ressortissants étrangers entrant au Canada de façon irrégulière, comme touristes de naissance, voire comme espions, obtiennent un laissez-passer.

Où est l’équité?

Est-ce que la tante Jeanne, qui a servi à l’étranger pendant la Seconde Guerre mondiale, était moins canadienne parce qu’elle a eu des enfants à l’étranger? Est-ce que la cousine Dorothée, membre de l’Ordre du Canada pour son travail de chirurgienne en Inde, était moins canadienne parce qu’elle est née là-bas?

C’est absurde. La Loi sur la citoyenneté est un gâchis. Après des années de législation répondant à des cas particuliers, généralement en sacrifiant les droits de générations futures aux impératifs du passé, mais avec la même partialité tacite, on se retrouve avec un nombre stupéfiant d’exceptions aux exceptions.

Cela plonge vraiment tout le monde dans une telle confusion qu’il est facile de confondre des citoyens de naissance et des immigrants avant leur naturalisation.

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés définit trois catégories de non-citoyens, à savoir les étrangers, les résidents temporaires et les résidents permanents. Tous sont assujettis à des restrictions en matière de mobilité.

C’est cohérent. Les résidents temporaires se voient accorder un séjour temporaire. Les résidents permanents adultes doivent vivre au pays pour développer un nouveau lien avant d’être naturalisés. Mais les résidents permanents enfants peuvent être exemptés, et, quand ils sont naturalisés, ils ne sont pas contraints de rester. Ils peuvent grandir sans connaître le pays. Il en va de même pour les citoyens nés au Canada, y compris pour les enfants nés au Canada d’un ressortissant étranger.

Ce projet de loi retient l’exigence de résidence applicable aux adultes qui souhaitent être naturalisés et l’applique arbitrairement à la reconnaissance ou non des enfants de Canadiens nés à l’étranger. Les Canadiens nés à l’étranger sont la définition même d’un groupe défini par l’origine nationale. Il n’y a tout simplement aucune raison de restreindre la transmission de leur citoyenneté aux générations suivantes.

Certains ne voient peut-être pas grand avantage à couper les cheveux en quatre au nom de l’équité, surtout quand cela concerne un petit nombre de personnes. Ce n’est pas un problème nouveau en soi. J’espère seulement que le comité prendra très au sérieux son obligation d’examiner la constitutionnalité de ce projet de loi. Même si ses lacunes concernent les membres d’un groupe relativement restreint, elles les touchent d’une manière grave et très injuste.

On peut adopter une approche plus ouverte ou plus restrictive à l’égard de la citoyenneté, mais la Constitution exige l’égalité. C’est à cet égard que le projet de loi C-71 est en défaut.

La présidente : Merci, monsieur Emery. Madame Burton, vous avez la parole.

Kathryn Burton, à titre personnel : Kwé. Telusi Kathryn Burton. Bonjour. Je m’appelle Kathryn Burton.

Wela’lioq. Je remercie l’éminent comité du temps qu’il m’accorde pour expliquer les conséquences de la révocation de la citoyenneté de mes deux fils mi’kmaqs, Miles et Graydon. Ce sont des citoyens inscrits en vertu de la loi, mais ils ne sont pas reconnus comme citoyens par le Canada.

Ma mère, Connie Pictou Sark Burton, m’a dit de ne jamais laisser le gouvernement fédéral me définir. Que fait donc une fille entêtée? Elle se met au service du gouvernement fédéral, voilà. Et le plus drôle est que j’ai commencé ma carrière en travaillant pour l’ancien ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration. Me voilà donc ici pour vous dire que ma famille, comme beaucoup d’autres familles autochtones, ne remplit pas les conditions d’une demande en bonne et due forme.

Mes parents se sont rencontrés et m’ont donné naissance à Wichita, au Kansas. Je suis née aux États-Unis, mais je ne saurais être plus canadienne. C’est au Canada que j’ai grandi, que j’ai fréquenté l’université et que je siège actuellement au conseil des gouverneurs de l’Université de King’s College à Halifax — dont le président Ruck vous adresse ses salutations —, que je siège au conseil d’administration du Conseil des affaires canadiennes-américaines, que j’investis dans des entreprises canadiennes en démarrage par l’entremise du bureau de capital-risque de ma famille, que j’ai reçu un diplôme honorifique et où j’ai bien l’intention de retourner quand l’occasion se présentera et que ce beau pays accueillera mes fils.

Voici une brève description des restrictions imposées aux non‑citoyens du Canada qui sont des Autochtones. Il y a d’abord des restrictions à la participation à la vie politique : si vous croyez un instant que mes enfants, passionnés de politique et informés de la nature fondamentale de la démocratie et du gouvernement, se laisseraient dire que le pays dans lequel ils veulent vivre un jour ne leur permettrait pas de faire de la politique, envoyez-moi une liste de vos ennemis, et j’aurai un candidat pour les affronter dans 8 à 10 ans. Il y a également des restrictions en matière d’accès à l’éducation et d’admissibilité aux prestations sociales, ainsi que des restrictions professionnelles.

C’est là qu’on passe très rapidement aux répercussions du Traité de Jay, qui est bien connu de beaucoup d’entre vous. Pour les membres des Premières Nations reconnues, le Traité de Jay peut avoir une incidence sur l’expérience d’une personne au Canada comme non-citoyen. Mais ce n’est pas une garantie puisque cette protection est souvent accordée au cas par cas dans le cadre de processus administratifs.

En fin de compte, le Traité de Jay ne garantit pas les droits ou la protection des non-citoyens autochtones au Canada. C’est pourquoi il n’est pas souhaitable pour les non-citoyens autochtones d’invoquer ce traité pour élargir leurs protections, leurs droits ou leurs libertés au Canada.

Ma mère m’a dit de ne pas définir qui nous sommes comme famille, mais elle m’a poussée à lutter pour des raisons de principe. En l’occurrence je lutte pour des raisons personnelles, et mes garçons me poussent à continuer non seulement pour eux, mais aussi pour beaucoup d’autres qui s’apercevront de cette répercussion imprévue pour de nombreuses familles autochtones.

Je suis quelqu’un qui sait et comprend comment s’y retrouver dans les bureaucraties. J’ai dirigé le Massachusetts Office of the State Treasurer, et j’ai dirigé la municipalité de Boston avec l’ancien maire de Boston Martin J. Walsh, qui dirige maintenant l’Association des joueurs de la Ligue nationale de hockey, si bien que même mon ancien patron est devenu un Canadien honoraire en service.

Mais, surtout, fière d’être canadienne, ma famille traditionnelle, bien qu’éminemment non traditionnelle, vous remercie à l’avance de tout mettre en perspective et de comprendre que les gens qui veulent ce changement sont loin de faire quelque chose de scandaleux, mais qu’ils sont coincés dans des situations que la plupart des législateurs n’avaient jamais envisagées. Voici maintenant l’occasion de corriger la situation. Merci d’envisager une audience favorable, et merci encore de votre temps et de votre engagement envers ce pays et notre nation.

La présidente : Merci, madame Burton. Madame Sutherland-Brown, vous avez la parole.

Carol Sutherland-Brown, à titre personnel : Honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir invitée à raconter comment cette disposition cruelle et rétroactive de la Loi sur la citoyenneté a touché ma famille. Je ne suis qu’une voix parmi tant d’autres, comme vous le constaterez dans notre mémoire au comité.

Je suis une mère, une grand-mère et une fière Canadienne de quatrième génération. Je suis née au Canada, à Kingston, en Ontario. Mon père était un officier de l’artillerie canadienne et ma mère a fui l’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. J’ai passé une bonne partie de ma vie au Canada.

Mon père est né à Innisfail, en Alberta. C’était le fils d’un pasteur anglican. Il a fréquenté le Collège militaire royal du Canada et a servi pendant la Seconde Guerre mondiale en Italie, au moment de la libération des Pays-Bas et pendant la guerre de Corée.

Et pourtant ma propre fille, Marisa, sans que rien ne puisse lui être reproché, ne peut pas transmettre sa citoyenneté canadienne à ses enfants, même si elle a vécu dans notre grand pays pendant 22 années consécutives. Pourquoi? Parce qu’elle est née en Arabie saoudite, où son père canadien et moi avons vécu temporairement à une époque où nous étions au service d’un hôpital ophtalmologique à Riyad. Avec seulement six semaines de congé de maternité, je ne pouvais pas revenir au Canada pour la naissance. Je n’étais pas protégée par le régime d’assurance-maladie de l’Ontario et je n’avais pas de médecin canadien. J’étais alors directrice d’une bibliothèque médicale en Arabie saoudite, et je pouvais y avoir un congé de maternité et des soins de santé.

Marisa avait cinq semaines quand nous avons obtenu son premier passeport canadien à notre ambassade à Riyad. Avant 2009, il n’était pas nécessaire d’être né au Canada pour obtenir la citoyenneté canadienne. Je n’avais alors aucune raison de m’inquiéter. Mais la loi adoptée en 2009 a créé deux niveaux de citoyenneté, à savoir une citoyenneté de première classe pour les immigrants naturalisés canadiens ou les Canadiens nés au Canada, aptes à transmettre leur citoyenneté canadienne à leur enfant né à l’étranger, contrairement aux citoyens de deuxième classe, comme ma propre fille, qui sont Canadiens de descendance.

Marisa avait deux ans quand nous sommes revenus au Canada. Je suis entrée au service de la fonction publique fédérale et j’ai travaillé pour Santé Canada, où j’ai élaboré des programmes nationaux de santé, par exemple dans le domaine de la lutte contre le tabagisme.

Marisa a fait toutes ses études primaires, secondaires et collégiales ici à Ottawa. Elle a été élevée comme tous les jeunes Canadiens, allant dans des camps d’été, faisant du ski, du canot et de la natation. Elle ne s’est jamais sentie moins canadienne que ses amis d’Ottawa.

Elle s’est installée en Europe à l’âge de 24 ans, y a rencontré son mari britannique et a obtenu une maîtrise au Royaume-Uni, où ils vivent maintenant et où ses deux enfants sont nés. Comme moi, elle ne pouvait pas revenir au Canada pour la naissance de ses bébés. Elle n’avait ni régime d’assurance-maladie de l’Ontario ni médecin canadien. C’est au Royaume-Uni qu’elle avait son emploi à l’Université de Cambridge et qu’elle a eu ses soins de santé prénatals et postnatals et son congé de maternité.

Étant donné que les enfants de Marisa sont nés à l’étranger, elle ne pouvait pas demander leur citoyenneté canadienne comme j’ai pu le faire. Cela a bouleversé son sens de l’identité comme fière Canadienne, et je suis peinée de voir que nous ne pouvons pas transmettre notre citoyenneté et notre identité à ses enfants. Mon père serait dévasté de découvrir que ses arrière-petits-enfants, qui ont maintenant six et cinq ans, ne sont pas canadiens, puisque cela mettrait fin à cinq générations de ma famille canadienne.

Marisa vient régulièrement au Canada et garde des liens solides avec sa famille et ses amis ici. Elle a toujours un passeport canadien valide et elle espère s’installer un jour au Canada avec sa jeune famille.

Le tribunal a rendu une décision claire dans l’affaire Bjorkquist, et cette loi inconstitutionnelle qui aggrave les inégalités entre les sexes sera invalidée le 19 décembre.

Le projet de loi C-71 propose une solution concrète permettant la transmission de la citoyenneté par filiation seulement lorsqu’un lien important peut être établi. Ainsi, des Canadiens comme Marisa, qui ont des liens authentiques et des racines profondes au Canada, auraient le même droit de transmettre leur citoyenneté que les Canadiens naturalisés ou les Canadiens nés au pays.

En terminant, je me réjouis de votre examen approfondi des dispositions du projet de loi C-71, dans le prolongement de l’étude de plus de 30 heures du projet de loi S-245 au Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes.

J’implore les honorables sénateurs d’adopter le projet de loi C-71 et de corriger une fois pour toutes une situation cruelle, injuste et rétroactive. Mes petits-enfants sont encore trop jeunes pour savoir qu’ils ne sont pas canadiens. Je veux que ce soit réglé avant qu’ils puissent le comprendre.

La présidente : Merci, madame Sutherland-Brown.

Je remercie les témoins de leurs exposés préliminaires. Nous allons passer aux questions des membres du comité. Les sénateurs disposeront de trois minutes pour poser des questions et obtenir des réponses. Veuillez préciser si votre question s’adresse à un témoin en particulier ou à tous et qui vous aimeriez entendre en premier.

La première question sera posée par la sénatrice Bernard, notre vice-présidente.

La sénatrice Bernard : Merci à tous de votre présence ici aujourd’hui et de vos témoignages très sincères. J’ai été travailleuse sociale dans le domaine de l’adoption internationale. C’est pourquoi je vais utiliser le peu de temps dont je dispose pour poser des questions précisément à ce sujet.

Certains militants craignent que le projet de loi C-71 soit discriminatoire à l’égard des enfants adoptés à l’étranger en raison de leur naissance, de leur nationalité et de leur pays d’origine. Quelles sont les répercussions du projet de loi C-71 pour les enfants adoptés à l’étranger et leurs familles adoptives? Je pose la question à tous les témoins qui sont en mesure de répondre.

M. Chapman : Les enfants adoptés à l’étranger auraient les mêmes droits que n’importe quel autre enfant, c’est-à-dire qu’ils devraient s’installer au Canada pour transmettre leur citoyenneté à leurs enfants. Il faudrait qu’ils aient accumulé 1 095 jours de résidence au Canada. Cela reste vrai que vous soyez un Canadien qui adopte un enfant à l’étranger ou une famille canadienne qui vit, disons, aux États-Unis et qui adopte ensuite un enfant là-bas, puis l’amène au Canada. L’exigence est exactement la même : 1 095 jours de résidence pour l’enfant. Cet enfant aura alors satisfait aux mêmes exigences qu’une famille immigrante.

Les immigrants doivent vivre ici pendant 1 095 jours, et consécutivement dans leur cas. Ils peuvent ensuite être naturalisés. À partir de là, ils peuvent transmettre leur citoyenneté. En vertu de la loi actuelle, les immigrants ont plus de droits que la fille de Mme Sutherland-Brown.

La sénatrice Bernard : J’ai une deuxième question. Quelle serait l’incidence de l’adoption du projet de loi C-71 sur différents groupes identitaires à diverses intersections, comme la race, le sexe, l’âge, la religion et les personnes 2ELGBTQQIA+? Certains groupes en bénéficieront-ils plus que d’autres? Madame Burton, pourriez-vous répondre à cette question? Je sais que vous avez parlé de l’indigénéité. Si vous avez quelque chose à ajouter, ce serait utile.

Mme Burton : Merci. Le paradoxe est très clair et évident : le gouvernement fédéral peut définir mes garçons comme étant des Indiens inscrits tout en leur refusant la citoyenneté. Beaucoup de familles autochtones ne savent pas que leurs membres ne sont pas des citoyens canadiens en raison de leur circulation d’un bout à l’autre du Canada, mais aussi entre les États-Unis et le Canada. Cela a toujours été une grande force pour les deux pays. Ils ont travaillé, voyagé et servi dans l’armée.

C’est là le paradoxe, mais il est possible de le régler. Quand des membres de ces familles autochtones présentent une demande de citoyenneté ou de passeport, par exemple, ils s’aperçoivent brusquement qu’ils ne sont pas considérés comme des citoyens canadiens.

Nous avons eu une conférence de presse avec le ministre Miller, et c’est ce jour-là qu’une de mes aînées, Katherine Sorbey, est décédée. La famille m’a appelée. Elle m’avait toujours dit : « C’est ta responsabilité. Tu sais comment te débrouiller dans ce genre de situation, et c’est donc à toi qu’il incombe de continuer la lutte. » Elle est décédée ce jour-là.

La présidente : Merci beaucoup, madame Burton.

La sénatrice Seidman : Merci aux témoins de leur présence parmi nous aujourd’hui et de leurs témoignages très personnels.

Je vais m’adresser à vous, monsieur Emery, si vous le permettez. Ma question porte sur le processus et les procédures qui seront nécessaires. Il faudra des documents de confirmation pour prouver le lien avec le Canada. Il y aura aussi des processus de renonciation qui, eux aussi, exigeront certains documents. Il y aura peut-être beaucoup d’autres documents dont je n’ai pas idée pour l’instant.

Compte tenu de votre expérience de consultant en immigration, dans quelle mesure pensez-vous qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada serait apte à superviser cette nouvelle catégorie de statut de citoyenneté?

M. Emery : Merci de la question. C’est une excellente question, qui souligne clairement un énorme problème. Premièrement, IRCC ne dispose d’aucun registre indiquant depuis combien de temps les citoyens sont au pays ou l’ont quitté, sauf dans le cas du très récent suivi de passeports par l’Agence des services frontaliers du Canada. Mais il n’existe aucun registre qui permettrait de savoir où vous étiez il y a 20 ans. Vous avez peut-être un élément de preuve, mais, quand on représente des clients, c’est un problème récurrent. Il faut que ce soit un élément de preuve reconnu — pas une simple affirmation, mais une preuve concrète. Comment prouver où vous étiez il y a 10 ou 20 ans? C’est très difficile. Que se passe‑t‑il quand des gens ne peuvent pas le prouver, mais qu’ils vivent ici? Ont-ils un statut devant les tribunaux? Il faut en effet être citoyen pour intenter des poursuites.

C’est très problématique. Comme je l’ai dit tout à l’heure, cela ne concerne aucun autre groupe. Cette preuve est exigée d’un certain groupe de personnes très précis, alors qu’elle ne l’est pas pour d’autres. La grande différence pour les citoyens nés à l’étranger est qu’ils sont peu nombreux. Si nous appliquions le même genre de critère à toutes les personnes nées au Canada, il y aurait un tollé national.

La sénatrice Seidman : Monsieur Chapman, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Chapman : On en revient à l’échange de droits entre le futur et le passé. Dans le passé, le projet de loi C-37 a supprimé des droits rétroactivement. Si vous lisez la Loi d’interprétation de 1985, c’est inconstitutionnel. On ne peut pas supprimer les droits de quelqu’un, mais ce projet de loi l’a fait. Celui-ci redonne rétroactivement la citoyenneté. Ce n’est pas seulement pour les immigrants. Mon passeport des États-Unis indique que je viens du pays d’où il est le plus difficile de venir au Canada. Je viens du Canada, et il y a une photo de moi en tant qu’immigrant dans mon propre pays. On m’a retiré ma citoyenneté, il y a 63 ans, et il m’a fallu 47 ans pour la récupérer. Oui, il y aura des exigences à remplir pour prouver que vous êtes Canadien. Je pense que c’est juste.

La présidente : Merci.

La sénatrice Osler : Je remercie tous les témoins qui sont ici aujourd’hui. Ma question s’adresse d’abord à Mme Burton, puis à Mme Sutherland-Brown. Madame Burton, cela fait suite à une observation que vous avez faite dans votre réponse à la sénatrice Bernard. Beaucoup de gens ne savent peut-être pas quel est leur statut en matière de citoyenneté, comme vous l’avez dit. Une fois le projet de loi C-71 adopté, de nombreux « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté » ne seront peut-être toujours pas informés de leur admissibilité à la citoyenneté en vertu de ce projet de loi.

Quelles mesures le gouvernement fédéral devrait-il prendre pour communiquer efficacement avec les gens et les informer?

Mme Burton : C’est une excellente question. En tant que personne qui élabore des stratégies jour après jour, je crois que pour certains, cela se fera de façon organique, et qu’ils se rendront compte soudainement qu’ils sont en fait des citoyens.

Pour ce qui est d’informer les gens, cela viendra de ceux qui souhaitent obtenir la citoyenneté canadienne. Encore une fois, je ne prévois pas un gros afflux de gens. Il ne faut pas confondre l’immigration et la citoyenneté. Je veux que ce soit bien clair. Pour répondre à votre question, je pense qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, a le devoir d’être très transparent. Lorsque les gens tapent « Suis-je un citoyen canadien? » en passant par les différents labyrinthes, lignes et graphiques, il devrait y avoir — j’ai récemment consulté le site Web d’IRCC — un processus propre aux familles des Premières Nations. Il doit être très clair — et non pas limité pour une raison intentionnelle autre que celle-ci — afin que les personnes puissent voir quelle est la voie à suivre et ce qu’elles doivent faire pour prouver leur citoyenneté.

La sénatrice Osler : Merci. Et vous, madame Sutherland-Brown?

Mme Sutherland-Brown : J’aime l’aspect organique que Mme Burton vient de mentionner. Le site Web d’IRCC est difficile à consulter. Je sais qu’on a essayé de le mettre à jour. Depuis que je fais ce travail, il est intéressant de voir combien de personnes communiquent avec moi. J’ai découvert qu’il y a beaucoup de « Canadiens perdus » un peu partout. Je sais que M. Chapman l’a lui-même constaté au cours de décennies de travail. Je fais de mon mieux pour en informer ces personnes.

Je suppose qu’IRCC devrait utiliser tous les médias sociaux à sa disposition pour diffuser le message une fois que le projet de loi C-71 changera la loi. Les gens ne sont pas au courant. Les bébés continuent de naître, et les parents ne sont pas informés.

M. Chapman : Ils ont besoin d’un ombudsman de la citoyenneté. La citoyenneté est l’enfant bâtard. Regardez le nom : Immigration, Réfugiés et Citoyenneté. IRCC a besoin d’un ombudsman de la citoyenneté dévoué, parce que personne ne comprend ce portefeuille, et ce n’est certainement pas le cas en ce qui concerne la loi actuelle.

Le sénateur Arnot : Merci aux témoins. Je pense que ma question s’adresse à M. Chapman et peut-être aussi à M. Emery. Compte tenu de votre expérience des injustices en matière de citoyenneté, craignez-vous — tout comme moi — que le projet de loi C-71 laisse intentionnellement de côté des « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté » une fois de plus? Dans le cas où des parents canadiens adoptent des enfants qui sont nés à l’étranger et deviennent citoyens canadiens, ces enfants sont des citoyens de seconde classe, car lorsqu’ils ont des enfants à leur tour, en tant que parents nés à l’étranger, ils ne peuvent pas transmettre leur citoyenneté canadienne à leur progéniture. C’est une cause que Kat Lanteigne a soulevée à maintes reprises. Vous la connaissez. Elle ne pourra pas venir témoigner devant le comité — ce que je trouve honteux —, mais c’est une autre question.

J’aimerais que vous nous disiez ce que vous pensez de ce problème, car il me semble qu’il y a là un élément de xénophobie et de racisme qui contrevient très clairement à l’article 15 de la Charte, et qu’il faut y remédier par un amendement à cette loi avant qu’elle ne quitte le Sénat.

M. Emery : Je vous remercie de me permettre de répondre en premier. Ce sont d’excellentes remarques. Ce que les gens devraient reconnaître, dans le cas des enfants adoptés — par rapport aux enfants nés de citoyens canadiens —, c’est que si vous adoptez un enfant, vous avez le choix de suivre un processus pour qu’il soit considéré comme Canadien de naissance ou par naturalisation. C’est là qu’apparaît cette iniquité évidente. Mais la même iniquité existe pour d’autres enfants. Oui, absolument, il est injuste de traiter certains enfants adoptés différemment des autres. Il est également injuste de traiter différemment certains enfants nés de citoyens. C’est le même problème, et nous essayons de le régler, mais cela n’a pas donné les résultats escomptés. Il faut aller plus loin.

Le sénateur Arnot : Je suis d’accord. Cette loi ne règle certainement pas le problème, et il faut y remédier.

M. Chapman : La citoyenneté des enfants, qu’ils soient adoptés ou non, dépend de l’existence de liens manifestes entre les parents et le Canada. Ce que vous dites, c’est que si les parents n’ont pas de liens manifestes avec le Canada et qu’ils ont adopté un enfant, l’enfant n’est pas canadien. D’une certaine façon, c’est très juste parce que — là où les bureaucrates n’ont pas fait ce qu’ils étaient censés faire —, dans le projet de loi C-37, il était entendu que tout enfant né d’un parent citoyen canadien aurait le droit de venir au Canada avec le statut de résident permanent, de la naissance jusqu’à l’âge de 23 ans. Cela éliminait le problème parce que l’enfant pouvait alors créer ses propres liens. Mais pour le moment, il ne s’agit pas seulement des enfants adoptés. Un petit bébé n’a aucun droit légal au Canada, alors qu’il est né d’un père citoyen canadien et n’a pas été adopté. Le problème, c’est que tous les enfants devraient avoir le droit de venir au Canada s’ils sont nés d’un parent citoyen canadien. C’est une violation de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant. Les parents et les enfants ont le droit légal d’être ensemble.

Le sénateur Arnot : Convenez-vous que la distinction en ce qui concerne les enfants adoptés est...

La présidente : Sénateur Arnot, votre temps de parole est malheureusement écoulé. Nous allons vous inscrire pour le deuxième tour.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Merci d’être là. Je vais vous poser une question sur les 1 095 jours. C’est une question assez simple : croyez-vous que ce lien substantiel avec le Canada, qui est déterminé par le fait d’y être présent pendant au moins 1 095 jours avant la naissance de l’enfant, est réaliste et raisonnable? Est-ce que vous êtes d’avis que ces 1 095 jours doivent être cumulatifs ou consécutifs?

J’aimerais entendre M. Chapman et d’autres témoins, si vous avez un avis là-dessus.

[Traduction]

M. Chapman : Pour les citoyens canadiens, je dirais « non » parce que c’est très difficile. J’étais pilote de ligne, et je ne pouvais absolument pas accumuler ces jours consécutifs. Pour les immigrants, ils doivent être consécutifs. Mais pour ce qui est du critère des liens manifestes, même pour les immigrants, il y a plus de possibilités. Il y a la décision Koo, So et — je ne le prononcerai jamais correctement — la décision Papadogiorgakis que les tribunaux ont rendues, si vous pouvez prouver que votre vie est centrée au Canada. Si vous choisissez cette voie, cela n’en fait même pas partie, mais oui, je pense que c’est juste.

M. Emery : Je ne suis pas d’accord avec M. Chapman. Tout d’abord, c’est comme comparer des pommes et des oranges. Vous comparez des citoyens qui ont déjà des liens — et qui sont nés avec des liens — à des gens qui n’ont aucun lien et les règles qui s’appliquent à eux lorsqu’ils sont adultes. Mais ce n’est même pas comme comparer des pommes à des oranges parce que les enfants sont exemptés de cela. C’est comme comparer des pommes à du soda à l’orange. Et ce ne sont pas des jours consécutifs pour les gens qui passent par la naturalisation. C’est pour garder...

La sénatrice Petitclerc : Désolée; je ne veux pas vous interrompre. J’essaie de voir si c’est juste, mais est-ce même réaliste?

M. Emery : Ma nièce ne remplirait pas ce critère. Elle vient de la même famille, elle a les mêmes antécédents familiaux, elle est très liée au Canada et vit à deux heures d’ici, plus près de la capitale que la plupart des Canadiens.

Ma sœur songeait à déménager au Canada, puis le prix des maisons a monté en flèche. Elle n’a pas les moyens de vivre ici. C’est un énorme problème au Canada aujourd’hui. Allez-vous punir ma nièce parce que ma sœur n’a pas les moyens de vivre ici? Cela ne veut pas dire qu’elle n’a pas de liens avec le Canada.

La sénatrice Petitclerc : C’est intéressant.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci aux témoins d’être là; je vais poser ma question en français. Ma première question va à M. Chapman. Considérez-vous que la lutte que vous avez menée — et que vous menez encore pour les Canadiens perdus inspirés de votre histoire personnelle — a porté ses fruits avec le projet de loi C-71? Existe-t-il d’autres catégories de personnes, selon les critères de cette réforme, qui sont dépossédées de leur citoyenneté, mais qui ne font pas partie du projet de loi C-71?

[Traduction]

M. Chapman : Le projet de loi C-71 ne corrige pas seulement la question de la deuxième génération, et c’est ce dont nous parlons. Ce projet de loi accorde rétroactivement aux femmes les mêmes droits qu’aux hommes pour la première fois dans l’histoire du Canada.

J’ai perdu ma citoyenneté parce que la loi disait que les femmes mariées, les mineurs, les lunatiques et les idiots seraient classés dans la même catégorie. Cette loi est encore appliquée à certaines personnes. Il serait très utile que tous les enfants aient le statut de résident permanent. Ce serait d’une grande aide, y compris pour la nièce de M. Emery. Cependant, le projet de loi corrige également la limite d’âge de 28 ans dont nous parlons.

Il s’agit d’une mesure rétroactive, mais la Cour suprême du Royaume-Uni a eu gain de cause sur cette question même de discrimination fondée sur le sexe, et elle a dit catégoriquement que le libellé du projet de loi C-71, si vous voulez, est exactement la seule façon de corriger cela.

En passant, une dernière chose, au sujet des droits des Autochtones, vous avez raison; ils ont été bafoués dans beaucoup de domaines liés à la citoyenneté. Mais ce que j’ai trouvé intéressant, c’est qu’au Sénat, vous avez adopté le projet de loi S-3, qui donne aux femmes autochtones le droit de transmettre leur statut, mais pas leur citoyenneté. Cela a toujours soulevé des questions.

Le sénateur Brazeau : Merci à vous tous d’être ici. J’ai deux questions. Ma première question s’adresse à Mme Burton en particulier. Il est malheureux que vous soyez dans cette situation. Mes quatre enfants les plus âgés ont le statut, mes deux plus jeunes ne l’ont pas, mais ils ont la citoyenneté, et ils attendent depuis quatre ans et demi d’obtenir leur statut. C’est donc une situation différente.

J’aimerais que vous me disiez précisément, si le projet de loi est adopté, ce qu’il fera concrètement pour vous et votre famille.

Mme Burton : Je vous remercie, sénateur, de cette question parce que mes garçons tiennent beaucoup à vivre, à résider et à participer au Canada. Comme je l’ai dit dans mon exposé, j’ai l’intention de venir ici, mais sans la citoyenneté, ce n’est tout simplement pas possible pour une multitude de raisons, dont bon nombre ont déjà été exposées.

Je voudrais aussi revenir brièvement sur ce que M. Chapman vient de dire. Ma mère a lutté contre le projet de loi C-31. Je suis ici en son honneur, et j’utilise maintenant sa force pour me battre contre un autre projet de loi, mais c’est une lutte fondée sur des principes. Ce ne sont pas des « Canadiens perdus », sans vouloir manquer de respect à M. Chapman. Je dirais simplement que depuis des temps immémoriaux, mes garçons et ma famille n’ont jamais été perdus. Ils veulent venir ici. Ils veulent fréquenter l’école ici. Ils veulent être des pages ici. Si vous voyez une photo de mon fils, sur sa photo d’école, en fait, il porte deux épinglettes canadiennes parce qu’il est convaincu d’être canadien.

Madame la présidente, me permettez-vous? Non. Merci.

C’est pour eux que je me bats parce que nous avons l’intention de revenir ici pour vivre, résider et participer. Et j’espère en avoir la possibilité et la chance parce que, dans leur esprit, mes fils sont Canadiens. À mon avis, ils le sont. C’est simplement que la loi dit le contraire. Je vous remercie de cette question, sénateur.

Le sénateur Brazeau : Dites-leur que je leur dis : « Bravo et continuez à vous battre. » Ma deuxième question s’adresse à tous les témoins. Si ce projet de loi est adopté, avons-nous une estimation ou une approximation du nombre de personnes qui pourraient être touchées par cette mesure? Évidemment, cela peut changer avec le temps.

M. Chapman : Le projet de loi C-37 visait plus d’un million de personnes, mais la vraie question à laquelle il faut répondre, c’est combien de personnes sont revenues? Combien de personnes se sont inscrites? 20 000. C’est la même chose ici. Ce projet de loi vise un million de personnes. Si je vous accordais la citoyenneté d’un pays comme la Trinité, déménageriez-vous demain? Probablement pas. Les gens ne déménageront pas simplement pour venir au Canada. Les gens qui déménageront ici ou qui s’inscriront seront comme les membres de sa famille. Ils reviendront au Canada et nous devrions les accueillir à bras ouverts.

Pour le projet de loi C-37, c’était au moins un million de personnes. Combien sont venus? 20 000. Combien d’entre eux étaient déjà ici? Je vous parie la moitié.

Le sénateur Brazeau : Espérons seulement que nous ne deviendrons pas le 51e État des États-Unis.

M. Emery : Et comme le projet de loi C-37 l’a fait, celui-ci risque de créer d’autres « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté ». Nous avons parlé des iniquités qui existent entre les différents groupes de citoyens. Il y a des gens qui, en vertu de la loi actuelle qui est inconstitutionnelle, sont revenus naturalisés, mais qui ne remplissent pas l’exigence des 1 095 jours. Tout à coup, ils forment une nouvelle catégorie de citoyens alors qu’ils étaient auparavant des citoyens de première classe. Le projet de loi risque aussi d’engendrer des révocations. C’est un autre point faible.

[Français]

Le sénateur Cormier : Bienvenue et merci de vos présentations. Je vais revenir sur la question des 1 095 jours. J’essaie de saisir la faisabilité de cette question. Monsieur Chapman, je comprends que pour une catégorie, ce nombre de jours peut s’échelonner sur une longue période. Comment cela sera-t-il quantifié? Comment le gouvernement s’assurera-t-il que ces 1 095 jours ont été couverts? Surtout, ne faudrait-il pas réduire cette période d’admissibilité à cinq ans? On sait que c’est une période de cinq ans pour la résidence permanente. Je veux plus de précisions sur les 1 095 jours, parce que je n’en comprends pas la faisabilité. C’est une question pour vous et pour M. Emery.

[Traduction]

M. Chapman : En ce qui concerne les 1 095 jours, IRCC impose cette exigence aux immigrants, alors le mécanisme est bien huilé et il vous faut le prouver. Nous avons établi de nombreuses exigences au fil des ans dont il faut faire la preuve.

Nous ne voulons pas transformer des citoyens canadiens en immigrants, mais je vous ai déjà expliqué que c’est ce qui arrive. L’objectif est de transformer des immigrants en de bons citoyens canadiens, et non l’inverse.

Nous ne devrions pas être soumis aux mêmes règles que les immigrants. Nous sommes des citoyens. Encore une fois, une très bonne réponse serait de permettre aux familles d’obtenir immédiatement le statut de résident permanent pour leurs enfants nés à l’étranger et, pour les immigrants, les 1 095 jours s’appliquent, alors pourquoi devrions-nous être soumis à un seuil plus élevé, pour ainsi dire?

Mme Sutherland-Brown : Dans le cas de ma fille, elle remplirait cette exigence par un facteur de sept. Nous pourrions réunir ses dossiers scolaires et ses relevés de notes pour prouver les 1 095 jours.

Il y a aussi des catégories de personnes dont les enfants viennent tous les étés passer un mois ou plus avec leurs grands‑parents. Ces dossiers pourraient aussi être conservés.

M. Emery : Il y a deux points. Premièrement, il faudrait que les gens en connaissent l’existence. Ils ne sauront pas qu’ils devront respecter cette exigence. C’est très différent de la situation des résidents permanents, même si vous acceptez la comparaison.

Deuxièmement, il faut tenir compte du moment où les gens deviennent aptes à faire des choix pour eux-mêmes. Nous parlons des choix de leurs parents. Peu de temps s’écoule entre le moment où vous avez l’âge de la majorité et celui où vous avez normalement des enfants. La fenêtre est petite. Vous allez peut‑être à l’université quelque part. Vous n’avez pas la possibilité de déménager, mais cela ne veut pas dire que vous ne le ferez pas plus tard.

C’est l’histoire de ma famille depuis cinq générations : déménager à des moments différents, mais pas toujours au moment où vous avez des enfants.

La présidente : Monsieur Cormier, nous devons laisser la parole à un autre intervenant; votre temps est écoulé. Vous aurez une autre occasion, si vous le souhaitez.

Le sénateur Harder : Je remercie les témoins.

J’aimerais me concentrer sur la pertinence du critère des liens avec le Canada. Les témoins sont-ils d’accord pour qu’au minimum, ce critère s’applique? Si vous n’êtes pas d’accord sur le critère numérique — cumulatif — qui est proposé, quels seraient les autres critères, à votre avis?

M. Chapman : Rétroactivement, ce n’est pas vraiment possible parce qu’on prive des gens du droit de vivre dans leur propre pays. Vous dites maintenant qu’ils doivent prouver qu’ils ont ce droit.

Rétroactivement, non. C’est seulement le projet de loi C-71 qui s’applique. À l’avenir, oui, c’est 1 095 jours. Si quelqu’un veut vraiment être Canadien, je comprends; je suis les lois depuis de nombreuses années. Vous savez qu’il vous faut 1 095 jours, et vous le prouvez. L’autre façon de le faire, je le rappelle, c’est par les arrêts Koo et Papadogiorgakis de la Cour suprême qui disent que ce sont des façons d’avoir des liens substantiels.

Dans l’ensemble, c’est identique pour un immigrant canadien qui doit aussi documenter la durée de ses séjours au pays et à l’étranger. C’est juste. À l’avenir, oui. Rétroactivement, non.

Mme Burton : Dans de telles situations, il faut choisir ses combats. Comme bureaucrate, je le comprends et je le respecte. Heureusement ou malheureusement, ma famille et moi n’avions jamais assez d’argent pour prendre des vacances en famille avant que j’aie 17 ans. Mon père m’avait promis un voyage à Disneyland. Ce n’est qu’au cours de ma première année à l’université que nous avons enfin eu assez d’argent pour y aller.

Donc, pendant tout ce temps et bien avant, ce genre de choses est raisonnable, à mon avis. Je pense que nous avons tous parlé de nos liens et du fait que notre intention n’est pas vraiment scandaleuse, comme je l’ai dit. Ce n’est pas un nivellement par le bas. Ce n’est pas une citoyenneté de convenance. Vous allez entendre toutes ces choses. Il s’agit simplement de réparer un tort.

M. Chapman : Lorsque vous avez parlé d’aller à Disneyland, Walt Disney était un « Canadien dépossédé de sa citoyenneté ». Sa mère ne pouvait pas obtenir la citoyenneté.

Mme Sutherland-Brown : Je suis tout à fait d’accord pour dire que le critère des liens devrait s’appliquer. Si j’ai bien compris, faute de prorogation d’ici le 19 décembre, la loi tombera, l’effet deviendra permanent et le critère des liens ne s’appliquera plus. Je pense que c’est dangereux.

La sénatrice Petitclerc : Si je vous ai bien compris, monsieur Chapman, dans votre déclaration liminaire, vous avez dit en passant qu’il existe six défis, obstacles ou échappatoires et que ce projet de loi en règle quatre. J’aimerais connaître les deux éléments dont le projet de loi ne parle pas.

M. Chapman : La citoyenneté est un privilège plutôt qu’un droit. C’est ce qui est le plus effrayant. Si Donald Trump pouvait révoquer la citoyenneté de Joe Biden ou celle de Kamala Harris, le ferait-il? Oui. Au Canada, c’est possible. Chaque fois que nous avons une affaire devant les tribunaux, le gouvernement dit que la citoyenneté est un produit de la loi et qu’elle n’a pas d’autre sens. Le Canada dépouille depuis longtemps non seulement des individus, mais des groupes entiers. Les Autochtones ont été ballottés d’un côté et de l’autre. Ils n’ont obtenu leur citoyenneté qu’au début des années 1960. Pour ce qui est des Japonais, tout le monde sait qu’ils ont été internés, mais peu de gens savent que 3 997 d’entre eux ont été dépouillés de leur citoyenneté en 1945 et expulsés du Canada.

C’est le premier point épineux.

Voici le deuxième : quand la citoyenneté a-t-elle commencé? Le Canada dit qu’elle a commencé en 1947 avec Mackenzie King, mais si c’est le cas, que deviennent ceux qui sont morts au champ d’honneur? Ils ne seraient pas Canadiens. Grattez les feuilles d’érable de leurs pierres tombales.

La citoyenneté a commencé avec la Confédération et elle a évolué au point où la Cour suprême a rendu plusieurs décisions sur la citoyenneté avant 1947.

De plus, comment pouvez-vous révoquer la citoyenneté de Japonais en 1945 si elle n’existait pas?

Enfin, pour les Autochtones, l’affaire Nicholas devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique porte sur le fait que vous ne pouvez sauver votre enfant d’un pensionnat que de trois façons : premièrement, quitter le Canada, mais pour aller où; deuxièmement, ne pas enregistrer la naissance de votre enfant — il y a donc encore des Autochtones apatrides qui n’ont jamais été inscrits — et troisièmement, renoncer à votre statut d’Indien en échange de votre citoyenneté. C’est ce qu’ils font depuis la Confédération, alors la question qui se pose est la suivante : comment pouvez-vous accorder la citoyenneté si elle n’existait pas?

Il est totalement faux de prétendre que Mackenzie King a été le premier citoyen du Canada. Beaucoup de gens, y compris les 45 000 épouses de guerre et 22 000 de leurs enfants ont été traduits en justice avant d’être expulsés du Canada à cause de cette fausse conception du début de la citoyenneté.

Je veux faire de la citoyenneté un droit pour que personne ne puisse venir ici et dire : « Écoutez, je suis membre d’un parti politique X et je révoque la citoyenneté de tout le monde. » Deuxièmement, on a dit aux Chinois qu’ils n’étaient rien de plus que des étrangers apatrides enregistrés avant 1947. Nous devons corriger cette situation.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à M. Emery, mais je pense qu’il y a répondu en partie.

Je voulais savoir s’il y avait des défis potentiels pour mettre en œuvre le projet de loi C-71. Je sais qu’on a parlé des 1 095 jours et du fait que c’était difficile à calculer. Cependant, y a-t-il d’autres défis à relever pour la mise en œuvre du projet de loi?

[Traduction]

M. Emery : Oui. J’ai aussi parlé de la qualité pour agir. Je dirais que si le projet de loi est adopté, il sera immédiatement contesté. Kathryn Burton et moi sommes prêts à intenter des poursuites, séparément.

Je tiens simplement à dire que cette idée est en quelque sorte dangereuse. Dans le cadre de l’étude du projet de loi S-245, j’ai analysé tous les pays d’Amérique du Nord et d’Amérique du Sud, les partenaires du G7, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et tous les partenaires commerciaux européens. J’ai constaté que les trois quarts du monde font exactement ce que tout le monde qualifie de dangereux. Ils existent et tout va bien. Je pense que c’est parce que — exactement comme M. Chapman l’a dit tout à l’heure — même si des gens ont un droit, ils peuvent ne pas l’exercer.

Au bout du compte, les chiffres ne seront pas énormes. Ce n’est pas plus dangereux que de laisser des gens entrer au pays sans statut et d’accorder la citoyenneté à leurs enfants. C’est une autre catégorie peu nombreuse. C’est similaire. Je vous remercie de la question.

[Français]

La sénatrice Mégie : Si vous dites que ce pourrait être dangereux, que ce pourrait être litigieux, donc, vous n’êtes pas tellement d’accord avec le fait d’adopter le projet de loi C-71 tel qu’il est. Est-ce que je comprends bien votre point de vue?

[Traduction]

M. Emery : C’est exact. Je ne suis pas d’accord pour l’adopter dans sa forme actuelle. Je ne l’appuie pas dans sa forme actuelle.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Cormier : Ma question va dans le même sens. Si vous étiez en mesure de corriger le projet de loi C-71, que changeriez-vous ou ajouteriez-vous? Quelle serait votre principale recommandation?

M. Emery : Si l’on veut avoir un quelconque critère qui soit juste, tenons un registre comme dans d’autres pays, où l’on enregistre sa citoyenneté pour établir ce lien. Cela fonctionne pour beaucoup de pays. Ce n’est pas aussi libre et ouvert, mais c’est plus égal. Que cela s’applique à tout le monde de la même façon.

M. Chapman : Nous avons eu un véritable problème avec cela après la Seconde Guerre mondiale, lorsque des survivants de l’Holocauste sont arrivés et craignaient de s’enregistrer. Nous pouvons encore le voir avec certaines personnes inscrites dans un registre officiel. Des gens voudront l’éviter. Soit dit en passant, le Canada a expulsé des survivants de l’Holocauste pour cette raison.

Le sénateur Cormier : Merci.

[Français]

Donc, si je peux résumer, vous êtes tous en faveur du projet de loi C-71, sauf vous, en fait. Vous êtes d’accord avec le projet de loi C-71 dans sa mouture actuelle et avec la manière dont il est rédigé.

Y a-t-il des laissés-pour-compte quand même? Cela vous a été posé comme question, mais y a-t-il des laissés-pour-compte? Y a-t-il des gens qui ne seront pas pris en compte dans le projet de loi C-71?

[Traduction]

M. Chapman : Il y aura toujours des sans-papiers et c’est la raison d’être des attributions spéciales prévues au paragraphe 5(4) de la Loi sur la citoyenneté. Le problème, c’est que ces dispositions n’ont pas fonctionné parce que des obstacles se dressent souvent un peu partout, comme pour cette jeune femme qui est visée par le projet de loi C-71 et l’arrêt Bjorkquist. Elle a le statut de résidente permanente et va devenir citoyenne, mais elle a encore de la difficulté à trouver du travail à cause de cela. Oui, il y a toujours des problèmes.

Dans son cas, nous demandons qu’on lui attribue la citoyenneté en vertu du paragraphe 5(4), mais cela n’a pas été très efficace au fil des ans. On n’arrivera jamais à corriger la loi pour que tout le monde soit couvert et que tous soient égaux. Cela ne fonctionne pas. Il y aura des exceptions et c’est pourquoi le pouvoir prévu au paragraphe 5(4) existe.

Au lieu de confier au ministre de la Citoyenneté la tâche de superviser l’immigration et les réfugiés, désignez un ombudsman de la citoyenneté dont ce serait son seul portefeuille.

M. Emery : De mon point de vue, les personnes qui seraient laissées pour compte — examinons la question de la discrimination fondée sur le genre. C’est pourquoi ma grand‑mère a perdu sa citoyenneté, je crois. C’était une femme et elle s’est mariée avec quelqu’un qui n’était pas citoyen, et c’est ce que la loi prévoyait à l’époque.

J’ai beaucoup de tantes et d’oncles. Est-ce que certains d’entre eux seraient couverts? Non, parce que ma grand-mère est décédée il y a 30 ans. Elle ne peut pas devenir citoyenne et les parrainer. Mes tantes et oncles ne seraient pas admissibles à l’attribution de la citoyenneté prévue au paragraphe 5(4). Ils ne répondent pas aux critères.

M. Chapman : Par contre, ils sont admissibles en vertu du projet de loi C-37 parce qu’on corrige le tort causé par la discrimination fondée sur le genre et que c’est conforme au jugement favorable obtenu devant les tribunaux en Angleterre. Si vous n’adoptez pas le projet de loi, je suis prêt à intenter une poursuite au nom des « Canadiens perdus ». La seule façon dont nous avons pu vraiment gagner et faire avancer ce dossier, c’est en prenant notre propre gouvernement à partie.

La présidente : Voilà qui conclut notre discussion avec le premier groupe de témoins. Je les remercie de leur témoignage.

Pour notre prochain groupe de témoins, nous accueillons en personne les témoins suivants : Amandeep S. Hayer, avocat, Hayer Law et vice-président, Groupe des avocats étrangers, Section du droit de l’immigration, Association du Barreau canadien, Division de la Colombie-Britannique; et Andrew Griffith. Merci de vous joindre à nous. Nous allons commencer par Me Hayer, qui sera suivi de M. Griffith. Vous disposerez chacun de quatre minutes pour faire votre déclaration liminaire. Maître Hayer, vous avez la parole.

[Français]

Me Amandeep S. Hayer, avocat, Hayer Law, vice-président, Groupe des avocats étrangers, Section du droit de l’immigration, Association du Barreau canadien – Colombie-Britannique, à titre personnel : Merci, madame la présidente. Honorables sénateurs et sénatrices, merci de m’avoir invité ici aujourd’hui.

[Traduction]

Je m’appelle Amandeep Hayer et je suis avocat spécialisé en droit de l’immigration chez Hauer Law, un petit cabinet spécialisé en droit de l’immigration et de la citoyenneté dans le district régional du Grand Vancouver, sur les territoires traditionnels et non cédés des Premières Nations Musqueam, Squamish, Tsleil-Waututh et Salish de la Côte.

Je comparais aujourd’hui au nom de la Section nationale du droit de l’immigration de l’Association du Barreau canadien, ou ABC. Nous comptons plus de 40 000 membres, soit des avocats, des juges, des notaires, des universitaires et des étudiants en droit et nous avons le mandat, depuis 120 ans, d’améliorer le droit et l’administration de la justice au Canada.

Mesdames et messieurs, nous abordons une fois de plus une question qui nous est familière, celle des « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté ». Le projet de loi C-71 vise à redonner la citoyenneté à ces Canadiens au-delà de la limite de la première génération, ce à quoi la Section de l’ABC souscrit, surtout dans les cas où un lien important avec le Canada peut être établi. Cependant, la Section a cerné trois enjeux dont nous vous faisons part aujourd’hui.

Le premier concerne l’exigence de séjour pendant trois années consécutives proposée dans un amendement présenté à la Chambre des communes. À la Section de l’ABC, nous sommes d’avis que le droit à la citoyenneté par filiation devrait reconnaître que dans certaines situations, un enfant pourrait naître à l’extérieur du Canada au cours de la deuxième génération ou des générations suivantes et avoir encore des liens importants avec le Canada.

Nous sommes heureux de constater que le projet de loi est conforme à nos recommandations de mars 2023 d’utiliser un critère fondé sur la résidence comme celui utilisé aux États-Unis. Cependant, nous nous opposons à l’amendement au projet de loi qui exige que les personnes nées à l’étranger séjournent au Canada pendant trois années consécutives avant de pouvoir transmettre leur citoyenneté à leurs enfants. Un voyage de magasinage transfrontalier ou un voyage au Mexique — tous des événements très fréquents dans la vie d’une famille — risquerait de contrer aisément l’exigence des trois années consécutives.

Le deuxième enjeu que nous aimerions aborder est celui des personnes adoptées. À notre avis, il s’agit d’un oubli majeur de la loi actuelle. Pour qu’un enfant né à l’extérieur du Canada soit reconnu comme citoyen canadien de naissance, il faut que l’un de ses parents ou les deux soient citoyens canadiens le jour de sa naissance. Pour ces enfants déclarés Canadiens de naissance, la citoyenneté commence le jour de leur naissance. Par contre, les personnes adoptées n’obtiennent la citoyenneté canadienne qu’une fois que leur demande de citoyenneté canadienne par adoption est approuvée.

Nous croyons que ce cadre est incompatible avec l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, car il traite les enfants adoptés différemment de ceux qui ont la citoyenneté de naissance. C’est la seule différence entre les deux personnes.

La Section de l’ABC recommande que la citoyenneté par adoption utilise la même approche qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni, où la date d’entrée en vigueur de la citoyenneté par adoption est la date de naissance de l’enfant adopté.

Le troisième enjeu est l’adoption d’un langage clair. La lecture du paragraphe 3(1) de la Loi sur la citoyenneté s’apparente aux instructions pour résoudre un cube Rubik 32x32. Il est difficile à comprendre, même pour les professionnels instruits, et encore plus pour les profanes. Le Parlement devrait rendre cette loi plus accessible en adoptant un langage clair et simple.

La détermination de l’admissibilité à la citoyenneté canadienne ne devrait pas être un casse-tête. J’aime bien résoudre des énigmes, mais comprendre son admissibilité devrait être simple et accessible à tous.

Je vous remercie de nous avoir donné l’occasion de vous faire part de nos préoccupations. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci, maître Hayer. Monsieur Griffith, vous disposez de quatre minutes.

Andrew Griffith, à titre personnel : Merci, madame la présidente. En guise d’introduction, j’ai déjà occupé le poste de directeur général de la citoyenneté et du multiculturalisme à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, et bon nombre des personnes avec qui j’avais affaire il y a 10 ou 15 ans sont ici aujourd’hui. Il est donc assez curieux de revenir discuter de ce sujet.

Depuis lors, j’ai beaucoup écrit sur la citoyenneté, le multiculturalisme et l’immigration et je tenais à discuter de deux aspects du projet de loi C-71.

Le premier est la raison pour laquelle on impose une limite de cinq ans de résidence à ceux qui sont visés par le projet de loi C-71, comme on le fait pour les résidents permanents. En ce qui concerne le deuxième, étant donné le manque de chiffres, j’ai préparé des estimations du nombre de personnes qui seront touchées et des répercussions opérationnelles probables.

Tout d’abord, en ce qui concerne la justification de la limite de cinq ans de résidence, je ne vois pas pourquoi on n’appliquerait pas la même limite de cinq ans que celle utilisée pour les résidents permanents. Cette exigence aurait été remplie dans les dossiers de toutes les familles qui ont été cités dans l’affaire judiciaire et je pense que la plupart des cas dont il a été question aujourd’hui répondraient également à cette exigence. Cela garantirait le respect de la décision du tribunal, même si quelqu’un pourrait la contester.

Dans mon mémoire, j’ai préparé des scénarios illustrant les répercussions de l’exigence de résidence prévue dans le projet de loi. Mon petit-fils, qui est né en Allemagne, est un cas personnel. S’il décide d’avoir des enfants et qu’il ne fait pas d’études universitaires au Canada, il ne deviendra pas citoyen canadien, et ce sera évidemment sa décision.

D’autres cas sont plus complexes si l’on essaie de satisfaire aux exigences de résidence sur différentes périodes. Pour ce faire, il est très difficile de les administrer de façon uniforme et d’assurer un suivi. Compte tenu des défis opérationnels actuels d’IRCC, on ne voit pas très bien pourquoi, en fait, le gouvernement a opté pour une exigence aussi ouverte.

Pour ce qui est des estimations, ni la ministre ni IRCC n’ont fourni ces chiffres jusqu’à maintenant. Étant maniaque des données, d’une certaine façon, je trouve toujours un peu irresponsable que les propositions du gouvernement ne comprennent pas certains chiffres et certaines estimations de coûts. J’espère que le ministre nous fournira ces chiffres demain. J’ai établi des estimations fondées sur l’analyse de Statistique Canada concernant les expatriés canadiens et le nombre de passeports actifs délivrés à des Canadiens à l’étranger. J’ai utilisé les détenteurs de passeports canadiens à l’étranger comme substitut du critère des liens avec le Canada. Ce n’est pas parfait, mais cela montre en fait que le critère a une incidence et que ces Canadiens conservent leur citoyenneté pour une grande part.

Selon ces chiffres, si on prend l’analyse de Statistique Canada et on fait la manipulation, on constate qu’environ 40 000 personnes sont touchées. Si l’on adopte une approche plus prudente, en prenant les détenteurs d’un passeport canadien, on obtient environ 5 000.

Je formule trois recommandations. Premièrement, modifier le projet de loi C-71 pour exiger que l’exigence de 1 095 jours de séjour soit respectée dans un délai de cinq ans comme pour les résidents permanents. Deuxièmement, demander à IRCC de préparer et de communiquer des estimations du nombre de personnes touchées, y compris les répercussions opérationnelles et les coûts connexes. Troisièmement, exiger qu’IRCC publie sur le portail Données ouvertes le nombre de preuves de citoyenneté délivrées par pays de résidence parce que cela nous permettra de mesurer l’impact de cette mesure.

[Français]

Merci beaucoup de votre attention. Je suis prêt à répondre à vos questions.

[Traduction]

La présidente : Merci à nos témoins. Chers collègues, je serai très généreuse à l’égard de ce groupe. Les sénateurs disposeront de quatre minutes pour poser des questions, ce qui comprend les réponses. Veuillez indiquer si votre question s’adresse à un témoin en particulier ou à tous les témoins.

La sénatrice Bernard : Merci, madame la présidente, de votre générosité.

La présidente : Je vous en prie.

La sénatrice Bernard : Je vous remercie tous les deux de votre présence et de vos témoignages. J’aimerais commencer par vous, maître Hayer. J’aimerais en savoir plus sur le traitement différent réservé aux enfants adoptés. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? De plus, si vous deviez apporter un amendement à ce projet de loi en raison de ces préoccupations, quel serait-il?

Me Hayer : Le problème est le suivant : lorsqu’une personne devient citoyenne canadienne de naissance, c’est de plein droit. En vertu de la loi actuelle, si un bébé est né, disons, à Washington — pour utiliser un exemple facile —, il serait citoyen canadien conformément à l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, dans la mesure où les deux parents sont nés au Canada ou ont été naturalisés au Canada.

S’ils adoptaient en même temps un frère ou une sœur, ce frère ou cette sœur ne deviendrait pas immédiatement citoyen canadien. Ils devront passer, bien évidemment, par le processus d’adoption et — en supposant que tout aille bien — présenter une demande de naturalisation à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC. C’est prévu à l’article 5.

Il s’agit d’une distinction juridique, mais elle a un effet fondamental : la date d’entrée en vigueur de la citoyenneté devient la date de l’attribution aux termes du paragraphe 5(4), tandis que pour l’enfant qui a la citoyenneté en vertu de sa naissance au Canada, la date d’entrée en vigueur de la citoyenneté est la date de naissance.

Dans ma pratique, j’ai vu certaines personnes décider de s’en prévaloir plus tard dans la vie, alors il pourrait arriver que ces deux frères et sœurs viennent me consulter. Ils ont maintenant 30 ans. Ils ont chacun un enfant. Dans ce cas, en supposant que le projet de loi soit adopté et que les enfants ont trois ans, d’un côté, pour l’enfant qui a la nationalité de naissance, son enfant deviendrait citoyen canadien parce que la date d’entrée en vigueur de la citoyenneté remonte à sa naissance, mais pour ce qui est de l’enfant adopté, son enfant ne serait pas citoyen canadien.

Dans sa version actuelle, le projet de loi a aussi un autre effet plus intéressant, avec la limite de la première génération. Ce serait comme il est proposé dans le projet de loi — supposons que cette exigence de trois ans ne s’applique pas. Tant la limite de la première génération que l’exigence de 1 095 jours ne s’appliqueraient pas à l’enfant adopté parce que, techniquement, il est naturalisé et, par conséquent, il appartient à la première génération.

En fait, cela ressemble beaucoup à l’arrêt Benner c. Canada, sur lequel la Cour suprême du Canada s’est déjà prononcée. Un processus établi il y a assez longtemps visait à corriger une discrimination historique fondée sur le genre. Si le mauvais parent était admissible à la citoyenneté canadienne, sa citoyenneté entrait en vigueur à la date où la demande de naturalisation avait été approuvée; par contre, s’il s’agissait du bon parent, elle relevait du paragraphe 3(1) et elle entrait en vigueur à la date de naissance.

Plusieurs de mes clients sont passés par ce dernier processus et simplement parce qu’il s’agissait du mauvais parent et du mauvais état matrimonial, ils n’ont pas pu transmettre leur citoyenneté à leurs enfants. C’est un problème récurrent.

Je pense que si jamais la question était portée devant les tribunaux, ceux-ci diraient qu’il s’agit d’une discrimination fondée sur l’adoption par opposition à la naissance.

La sénatrice Bernard : S’il y avait un amendement à recommander, quel serait-il?

Me Hayer : Je dirais qu’il faut s’inspirer des lois en vigueur au Royaume-Uni et aux États-Unis. Dans les deux cas, on dit que dès l’adoption, l’enfant devient citoyen canadien et, pour nos besoins, l’adoption serait désormais assujettie à l’alinéa 3(1)b) et à ses dispositions et nous inclurions simplement les enfants adoptés.

Je sais que l’une des préoccupations qui existent au ministère, c’est que nous devons également confirmer que l’adoption est conforme aux principes de la Convention de La Haye. On peut facilement inclure un amendement qui dit que c’est en attente de confirmation du respect des principes de La Haye et conférer au ministre le pouvoir de dire : « Non, ce n’était pas conforme aux principes de La Haye » et rejeter ensuite l’adoption pour cette raison.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie tous les deux de votre témoignage très clair. C’est très apprécié.

Monsieur Griffith, j’aimerais vous demander d’autres précisions. En fait, je suis peut-être l’une des personnes que vous avez rencontrées il y a 15 ans au sein de ce comité. On ne sait jamais. J’évoque simplement cette possibilité. Nous pourrions nous reconnaître mutuellement.

Vous avez publié un article dans Options politiques cette année dans lequel vous affirmez, comme son titre en fait foi, que le projet de loi C-71 ouvre la porte à une possible chaîne de citoyenneté sans fin. Vous avez évoqué aujourd’hui le fait qu’il n’y a pas de délai fixe à l’intérieur duquel ces 1 095 jours doivent être passés au Canada. C’est donc très vague. Vous avez dit très clairement qu’il devrait y avoir un délai de cinq ans.

Je suppose que ma question est la suivante : pourquoi pensez‑vous que le gouvernement choisirait de faire une distinction et de ne pas proposer la même exigence de séjour dans une période de cinq ans pour les nouveaux Canadiens?

M. Griffith : C’est une bonne question, et vous aurez évidemment l’occasion de la poser au gouvernement demain.

Concernant la discussion avec M. Chapman de tout à l’heure, je pense qu’il utilise son expérience de pilote de ligne, et il a dit que s’il s’agit d’une période de cinq ans, cela ne lui donne peut‑être pas l’occasion d’accumuler ce nombre de jours. Je continue de penser que, dans une perspective globale, la plupart des gens seraient en mesure de respecter le critère de trois ans au cours de la période de cinq ans.

Je pense, une fois encore, qu’en matière de législation et du point de vue du fonctionnaire, il faut veiller à ce que la mise en œuvre soit assez facile et ne devienne pas trop complexe.

La sénatrice Seidman : En fait, la question que j’ai posée au groupe précédent concernait le processus et les procédures, l’incidence opérationnelle sur l’IRCC et la capacité de ce dernier à répondre aux exigences de ce projet de loi.

Vous discutez maintenant avec nous de l’incidence potentielle. Qu’en pensez-vous?

M. Griffith : Il faut prouver votre résidence. Les gens soumettront des documents pour essayer de la prouver et, espérons-le, dans les prochaines années, nous aurons la capacité automatique de le faire grâce au suivi des personnes qui entrent dans le pays. C’est un fardeau; si nous arrivons au stade où nous pouvons suivre automatiquement les données d’entrée et de sortie, cela facilitera les choses pour les gens. Je pense que cela fera une grande différence.

L’autre question, qui a été soulevée ailleurs, est que nous ne connaissons pas vraiment ces personnes, à moins qu’elles aient respecté la période de trois ans sur cinq. Il peut y avoir des problèmes liés au contrôle de sécurité. Je pense qu’il n’y aurait pas de problèmes en ce qui concerne la langue, étant donné que ces personnes ont passé trois ans sur cinq au Canada. Elles ne devraient avoir aucun problème. On pourrait dire qu’elles devraient passer l’examen de citoyenneté, mais ce serait facultatif. Je crois que c’est le principal aspect.

En ce qui concerne IRCC, c’est la vérification de l’obligation de résidence qui est probablement le fardeau le plus lourd, à moins que vous souhaitiez ajouter d’autres critères, mais je pense que c’est le plus important.

La sénatrice Osler : Ma question s’adresse à M. Griffith et va dans le même sens que celle de madame la sénatrice Seidman.

Dans l’article de juillet 2024 que vous avez publié dans Options politiques, vous avez écrit : « Il est lourd de conséquences imprévues potentielles », ce que vous avez, je crois, commencé à expliquer à la sénatrice Seidman. Pourriez‑vous, s’il vous plaît, pour le Comité, expliquer plus précisément, une fois de plus, ces conséquences potentielles imprévues?

M. Griffith : C’est l’un des défis à relever lorsque l’on fait ce genre de choses. Ce n’est pas la faute des décideurs politiques, puisqu’ils essaient de penser à toutes les possibilités qui s’offrent à eux, mais chaque fois que nous adoptons une mesure législative, nous constatons que nous avons oublié des choses. C’est tout simplement inévitable.

Pour ce qui est des conséquences, je pense que ce qui m’intéresse, c’est que selon les données de Statistique Canada, on constate que, traditionnellement, les expatriés ont essentiellement vécu dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, à quelques exceptions près. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus diversifié et, bien entendu, cette diversité peut entraîner davantage de problèmes de sécurité, si l’on considère les manifestations à Gaza, au Hamas et en Israël.

C’est le seul aspect qui, à mon avis, pourrait créer d’autres problèmes. Ce n’est peut-être pas le cas, mais il faut garder l’œil sur le ballon, d’une certaine manière.

Ce commentaire que j’ai fait dans mon article était un peu paresseux. J’ai dit qu’il y avait peut-être quelque chose d’autre, et je ne sais pas encore ce que c’est, mais à mon avis, c’est une chose à laquelle nous devons toujours penser.

Le projet de loi tel qu’il est rédigé, avec l’ajout du critère de résidence de cinq ans, répondrait à bon nombre de ces préoccupations, car, au moins, nous aurions une période cohérente, et si des questions se posent, elles se poseront probablement.

La sénatrice Osler : Maître Hayer, je crois que dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit, et corrigez-moi si je me trompe, que le projet de loi C-71 devrait être plus accessible aux profanes et contenir un langage clair et simple.

Recommandez-vous des amendements, ou pouvez-vous donner des exemples de formulations que vous souhaiteriez plus claires et plus simples?

Me Hayer : Oui, si vous jetez un coup d’œil à certains des mémoires présentés précédemment, tant du Sénat que de l’Association du Barreau canadien, nous avons en fait mentionné que si vous regardez, en particulier, l’article 3, il fait référence à des lois qui ne sont plus en vigueur. Il faut au moins une heure ou deux pour essayer de déterminer si une personne née avant le 15 février 1977 peut prétendre à la citoyenneté canadienne.

Il faut examiner des lois qui ne sont plus en vigueur et qui ne sont pas faciles d’accès. C’est facile pour moi. Je les ai tous enregistrées quelque part, mais ce n’est pas le cas de tout le monde.

Que ce soit dans le cadre de ce projet de loi ou d’un projet de loi futur, cet organe doit examiner l’article 3 et dire que nous avons besoin de définitions claires de ce qu’est un Canadien, de qui se qualifie et de la date utilisée par l’organe, ainsi que des recommandations de 2009 et des recommandations faites par l’ABC. C’est là que se situent nos plus grandes préoccupations.

L’autre point que je voudrais mentionner est que la Loi sur la citoyenneté actuelle a été adoptée en 1977. Elle est en vigueur depuis plus longtemps que n’importe quelle autre loi. En fait, elle a 10 ans de plus que moi. Cela en dit long. Il est peut-être temps de revoir l’ensemble de cette loi.

La sénatrice Osler : Merci.

Le sénateur Arnot : Maître Hayer, je vous remercie pour le mémoire que l’Association du Barreau canadien nous a présenté. Votre mémoire indique que le cadre traite les enfants adoptés différemment de ceux nés en tant que citoyens canadiens, conformément à l’affaire Bjorkquist, qui a établi qu’il est inadmissible d’accorder un traitement de faveur aux citoyens par filiation sur la foi de facteurs arbitraires. C’est le problème fondamental. Vous dites qu’il s’agit d’une omission majeure dans ce projet de loi, et l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés favorise clairement le même raisonnement.

L’ABC demande que des amendements soient apportés afin que les personnes adoptées obtiennent la citoyenneté canadienne rétroactivement à la date de leur naissance et que les enfants adoptés soient ainsi traités sur un pied d’égalité avec les autres Canadiens citoyens par filiation. Est-ce exact?

Me Hayer : Oui.

Le sénateur Arnot : Vous avez parfaitement raison. Je suis d’accord avec cela parce que cette discrimination relative à l’adoption est tout à fait arbitraire. Je peux vous dire qu’aucun responsable politique ne m’a expliqué en quoi elle était valable. Ils n’ont pu donner aucune raison, et j’ai posé la question il y a un certain temps.

Je félicite l’ABC d’être intervenue dans cette affaire et d’avoir exposé si clairement vos arguments. J’espère que le Sénat n’approuvera pas ce genre de violation manifeste de la Charte, obligeant des citoyens comme M. Emery ou Mme Lanteigne à plaider leur cause, et ce genre de procès serait vraiment coûteux et redondant, en fait.

Merci de votre contribution.

[Français]

Le sénateur Cormier : Ma question s’adresse à vous, monsieur Griffith. Décidément, nous sommes plusieurs à avoir lu votre article dans Options politiques avec beaucoup d’intérêt. Vous dites que le projet de loi C-71 est rempli de conséquences involontaires possibles. Vous parlez de la question des 1 095 jours, mais vous soulevez des inquiétudes au sujet du fait que la mesure législative ouvrirait la porte à la citoyenneté à la chaîne, et ce, sans fin possible. Pouvez-vous préciser ce concept de citoyenneté à la chaîne dans le contexte de personnes qui pourraient, par exemple, accumuler ces 1 095 jours comme étudiants ou lors d’étés passés au Canada?

Deuxième question : y a-t-il un risque réel de multiplier les Canadiens dits « de convenance » qui bénéficient des avantages liés à la citoyenneté sans maintenir un lien significatif avec le Canada?

M. Griffith : C’est une bonne question.

[Traduction]

Pour commencer par la première question, qui concerne la citoyenneté, j’ai consulté certains médias étrangers, en particulier indiens, et c’est l’évaluation qu’ils en ont faite. Ils ont dit : « Compte tenu de cela, nous pouvons presque élaborer une stratégie sur la manière de procéder ». Combien de personnes le feraient? Aucune idée. Je pense que c’est possible.

Je ne sais pas si c’est réaliste, car cela demande beaucoup de concentration et de stratégie de la part d’une famille individuelle, mais je pense que la possibilité est là.

Désolé, j’ai oublié votre deuxième question.

[Français]

Le sénateur Cormier : Y a-t-il un risque réel de multiplier les Canadiens dits « de convenance »?

[Traduction]

M. Griffith : Je pense que nous devons être honnêtes. Les gens sont plus mobiles et recherchent des occasions. La tendance est déjà à la citoyenneté de convenance, en ce sens que le passeport canadien est utile pour voyager, et les gens profitent des occasions qui passent, et nous ne pouvons pas les blâmer. C’est naturel.

Cela rendra les choses plus possibles, mais je ne pense pas que cette approche — encore une fois, si nous avons la limite de cinq ans — fera une grande différence. Malheureusement, l’époque où la citoyenneté avait beaucoup plus de sens et représentait un plus grand engagement est en train de disparaître.

Le sénateur Cormier : Je ne sais pas comment poser cette question, car elle est un peu délicate.

[Français]

Quelle relation le Canada entretiendra-t-il avec ces Canadiens qui vivent à l’extérieur du Canada et qui acquièrent la citoyenneté canadienne? Est-ce une fausse question? Les Canadiens qui sont au Canada, on les connaît parce qu’ils en font partie, mais quelle est la responsabilité du Canada envers les Canadiens de deuxième génération qui reçoivent la citoyenneté canadienne, mais qui, en fait, habitent la majorité du temps à l’extérieur du pays?

M. Griffith : C’est une autre bonne question.

[Traduction]

C’est tout un défi, car dans de nombreux cas, nous avons un grand nombre d’expatriés canadiens. La plupart d’entre eux ne font probablement que vivre leur vie. Certains ont un lien plus étroit. Certains sont plus engagés envers le Canada. Certains sont plus actifs au sein des diverses associations internationales au Canada. Lorsque j’étais en poste à l’étranger, j’ai pu constater qu’il existait une différence entre les personnes très engagées et très utiles aux intérêts du Canada et les autres, qui ne font que vivre leur vie.

L’autre indicateur que je prends en compte est le fait que les Canadiens peuvent désormais voter à l’étranger. Les Canadiens qui vivent à l’étranger peuvent voter aux élections canadiennes. Il n’y a pas de limite, comme c’était le cas auparavant. Le gouvernement a retiré cette limite, ce qui a été confirmé par la Cour suprême, je crois. Mais le nombre de personnes qui ont effectivement voté était inférieur à 30 000, et il n’y a pas eu beaucoup plus de personnes inscrites.

Je ne les blâme pas. Dans un sens, je pense qu’il est préférable qu’ils ne votent pas, car ils ne sont pas concernés par les soins de santé canadiens, les impôts canadiens et d’autres choses de ce genre.

C’est une question difficile. Dans le monde d’aujourd’hui, où les gens sont mobiles, où nous disposons de médias sociaux et où les gens forment des communautés qui n’ont pas nécessairement de rapport avec la citoyenneté, comment maintenir un lien? Comment rester pertinent? Je n’ai pas de réponse à ce sujet, mais c’est une question intéressante à long terme, car il semble que ce soit la direction que nous prenions.

La sénatrice Petitclerc : J’ai une petite question à vous poser, maître Hayer. Elle fait suite à celle du sénateur Arnot, simplement pour m’aider.

Vous et d’autres témoins avez clarifié la différence dans le traitement des enfants, qu’ils soient adoptés ou non; je comprends cela. Je comprends qu’il y a une différence dans le traitement, et donc une différence dans la façon dont ils deviennent Canadiens. C’est là que j’ai besoin de précisions.

Quelles sont les conséquences pour eux et éventuellement pour leurs enfants?

Me Hayer : Les conséquences se font surtout sentir pour leurs enfants. Dans la plupart des cas, oui, les parents adoptent un enfant, ils l’amènent au Canada, il est canadien, et ce sera rétroactif à la date d’approbation de la demande.

La sénatrice Petitclerc : Je veux y aller pas à pas pour bien comprendre. Un frère et une sœur auraient donc une date différente d’obtention de leur citoyenneté canadienne. C’est une chose.

Me Hayer : Et si je vous donnais un scénario pour clarifier le tout? Supposons que mon épouse et moi-même nous rendions aux États-Unis et adoptions un enfant, mais que, pendant notre séjour, nous ayons de la chance et que mon épouse tombe enceinte. Au cours de cette même période, disons que la date à laquelle l’adoption est approuvée aux États-Unis correspond à la date à laquelle nous avons eu notre deuxième enfant, né naturellement. Supposons que nous décidions de revenir au Canada 20 ans plus tard et que, dans l’intervalle, ces deux enfants ont, d’une manière ou d’une autre, eu des enfants à leur tour. S’ils nous accompagnaient, nous déposerions une demande de citoyenneté canadienne pour l’enfant adopté et une demande de preuve de citoyenneté canadienne, comme nous l’appelons, pour l’enfant naturel. L’enfant naturel se verrait délivrer un certificat attestant qu’il était citoyen canadien à la date de sa naissance. Dans le cas d’un enfant adopté, la date d’approbation de la citoyenneté canadienne correspond à la date de délivrance du certificat.

Quand vous commencerez à évaluer la lignée, les enfants de l’enfant naturel seront également Canadiens en vertu de cette loi, à condition qu’ils aient respecté l’obligation de résidence de trois ans. Mais si l’on descend plus bas, avec l’enfant adopté, non, ce n’est pas le cas. Dans le cas d’un enfant adopté, il ne peut pas du tout transmettre sa citoyenneté. Dans son cas, ses enfants se voient refuser l’accès à la citoyenneté canadienne. C’est là que je pense que le défi viendra de l’article 15 de la Charte.

La sénatrice Petitclerc : Si je comprends bien, dans une même famille, ayant fait le même parcours, les deux enfants viennent au Canada, mais pour les cousins, l’un serait canadien et l’autre non?

Me Hayer : Pour les frères et sœurs, l’un est adopté, l’autre est naturel, tout comme ses enfants.

La sénatrice Petitclerc : Oui. Merci. Je comprends mieux.

Le sénateur Harder : Je remercie nos témoins. Je voudrais juste faire un commentaire, monsieur Griffith, sur les Canadiens vivant à l’étranger. Le Comité des affaires étrangères envisage une étude sur les Canadiens vivant à l’étranger, car ils seraient en fait la sixième province. On peut dire que dans le monde de demain, nous n’exploitons pas — si je puis m’exprimer ainsi — cette ressource canadienne. Je comprends que vous ayez l’impression que la notion d’attachement au Canada est importante.

Ce projet de loi vise à répondre à la Cour suprême. Êtes-vous tous les deux convaincus que, dans un sens très étroit — je ne dis pas qu’il ne devrait pas y avoir d’amendements —, l’arrêt de la Cour suprême est traité de manière efficace?

Me Hayer : À mon avis, oui. Mais pour mettre un bémol, en pratiquant le droit, on réalise qu’on tombe souvent sur de nouveaux problèmes. En fait, c’est ce que nous avons dit la dernière fois…

Le sénateur Harder : Que ce sont les conséquences imprévues des responsables politiques.

Me Hayer : La dernière fois, la plupart des gens se sont penchés sur la tentative d’accorder la citoyenneté canadienne par filiation à tous les « Canadiens perdus », et nous avons soudain découvert qu’il y avait un problème avec le mauvais parent au paragraphe 5(2) par rapport à l’alinéa 3(1)g), et cela n’est ressorti que l’année dernière lorsque nous avons reçu un mémoire de l’ABC à ce sujet. C’est un problème récurrent. Il se peut qu’un problème surgisse, mais pour le moment, c’est probablement la première fois que nous supprimons complètement le sexe et l’état matrimonial de la loi.

Le sénateur Harder : Je suis d’accord. Êtes-vous d’accord?

M. Griffith : Oui. L’autre point, c’est que je pense que cela va au-delà des exigences du tribunal, parce qu’il n’était pas nécessaire de rendre la disposition illimitée sans aucune conséquence. Je pense que…

Le sénateur Harder : C’est l’amendement que vous proposez…

M. Griffith : L’amendement l’amènerait en fait…

Le sénateur Harder : C’est un choix politique, absolument, oui.

M. Griffith : Oui.

Le sénateur Harder : L’autre point que je souhaite confirmer, et cela a été sous-entendu dans votre témoignage, est que vous êtes tous deux d’accord pour dire qu’il devrait y avoir un critère de lien substantiel. Nous avons entendu des témoins avant vous, dont l’un n’était pas d’accord. Est-ce la position que vous adopteriez?

Me Hayer : Oui. C’est notre position. Là encore, nous avons présenté nos premières observations l’année dernière sur le projet de loi S-245. Nous avons dit qu’il devrait y avoir un critère de lien substantiel. Nous avons utilisé l’exemple américain. Le délai est de cinq ans cumulés, mais au moins deux de ces années doivent être après le quatorzième anniversaire de l’enfant. Cela correspond à peu près à ce que nous avions recommandé.

Le sénateur Harder : Monsieur Griffith, je voudrais profiter de votre expérience en politique pour vous poser une autre question, si possible. Nous avons discuté de la différence de traitement entre les frères et sœurs adoptés et les frères et sœurs qui sont des enfants naturels. D’après votre expérience en tant que spécialiste des politiques au ministère, comment conciliez‑vous le désir d’égalité de traitement avec les obligations de la Convention de La Haye? Je sais que maître Hayer a fait une suggestion. J’aimerais entendre ce que vous en pensez.

M. Griffith : Je pense que maître Hayer est mieux qualifié pour répondre à ces questions. Je ne suis jamais entré dans autant de détails. La chose générale dont nous avons essayé de nous assurer…

Le sénateur Harder : Vraisemblablement demain aussi…

M. Griffith : Nous avons essayé de faire en sorte que les enfants adoptés soient traités de la même manière que les enfants naturels…

Le sénateur Harder : Je veux m’assurer que nous sommes bien conscients que la mise en œuvre de l’égalité n’entraîne pas d’autres problèmes, comme dans le cas de la Convention de La Haye.

Me Hayer : Tout d’abord, le Royaume-Uni et les États-Unis ont tous deux signé la Convention de La Haye, et ils appliquent la citoyenneté rétroactivement à la date de naissance. Ils affirment que l’adoption doit être conforme à leur loi pour qu’elle fonctionne. C’est une meilleure solution que ce que nous avons fait jusqu’à présent, à savoir que la citoyenneté entre en vigueur à la date à laquelle nous approuvons la demande. Il n’y a rien de mal à dire qu’une adoption n’est pas conforme à nos lois et que nous ne l’accepterons pas. Cela répondrait aux exigences de la Convention de La Haye. C’est ce que font les États-Unis et le Royaume-Uni.

Le sénateur Harder : Le font-ils rétroactivement?

Me Hayer : Oui, la citoyenneté est rétroactive à la date de naissance.

La sénatrice Senior : Merci à vous deux d’être ici. Monsieur Griffith, je ne suis pas certaine d’avoir bien entendu votre réponse à la sénatrice Seidman. Je crois que vous avez mentionné des préoccupations en matière de sécurité, et je pense que c’était en référence au fait que nous travaillons maintenant avec des pays qui ne font pas partie de l’OCDE. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet, s’il vous plaît?

M. Griffith : Dans un sens, il est plus facile de traiter avec les gens des pays de l’OCDE sur le plan de la langue, de l’information et de la nature des sociétés d’où ils viennent. Ce n’est pas parfait. Nous avons beaucoup de problèmes avec les gens de tous les pays. Mais à mesure que notre composition se diversifie, des enjeux comme l’ingérence étrangère deviennent plus évidents, tout comme la manière dont les gouvernements étrangers peuvent envisager d’utiliser ces immigrants ou ces citoyens de deuxième génération du Canada pour servir leurs propres intérêts.

C’est ce que je voulais dire. Mon commentaire était très préliminaire, indiquant qu’il y avait des problèmes d’ingérence étrangère et d’autres problèmes liés à la façon dont les choses se passent dans les rues, avec diverses manifestations et autres choses de ce genre. Ce sont les facteurs qui m’ont amené à faire ce genre de commentaire général. Comment les choses se dérouleront-elles? Je l’ignore. C’est une chose que nous devons prendre en considération. Cela ne veut pas dire que nous ne le faisons pas; nous voulons traiter les gens de manière égale et équitable. Mais lorsque je parle à certains de mes amis dans le domaine de la sécurité, ils s’inquiètent de ces aspects.

La sénatrice Senior : Y a-t-il quelque chose que vous recommanderiez pour répondre ou atténuer certaines de ces préoccupations dans le projet de loi?

M. Griffith : Ce n’est peut-être pas vraiment un problème, car si vous devez venir au Canada pour y passer trois à cinq ans, vous venez probablement en tant qu’étudiant étranger ou avec un permis de travail ou autre, et vous passerez donc de toute façon par un certain contrôle de sécurité. Cela peut suffire. Tout ce que je disais, c’est qu’il y a peut-être quelque chose d’autre à prendre en considération. Je n’ai pas de réponse définitive, mais je pense que c’est une question qui doit être posée et à laquelle il faut répondre dans une certaine mesure.

La sénatrice Senior : Maître Hayer, avez-vous quelque chose à ajouter?

Me Hayer : Les États-Unis utilisent plus ou moins un critère similaire. Il n’y a pas eu beaucoup d’histoires, comme le montrent les données normales de notre pratique.

J’imagine que si nous examinons les chiffres réels, la majorité des Canadiens, s’ils vont quelque part, vont aux États-Unis. Nous avons remarqué que la majorité des demandeurs se rendaient aux États-Unis. Au cours des 10 dernières années, j’ai eu quelques cas en dehors des États-Unis. Tous sont allés en Europe, sauf un. Pour ma part, je ne suis pas certain que cette préoccupation soit légitime. L’article ne dit pas grand-chose, mais c’est l’expérience que nous avons acquise en pratiquant dans ce domaine.

[Français]

La sénatrice Youance : Ma question s’adresse à Me Hayer, mais M. Griffith peut aussi y répondre.

Plus tôt, vous avez fait référence au fait de suivre les règlements des États-Unis. Si je ne me trompe pas, lorsque les Américains ont leurs enfants à l’étranger, ils ont l’obligation de faire la déclaration de cet enfant dans un délai bien précis. À ce moment-là, le transfert de citoyenneté se fait automatiquement. Dans le cas contraire, lorsqu’ils ne le font pas au bon moment, le processus peut être très difficile.

Existe-t-il un règlement semblable au Canada sur l’obligation de déclaration? Dans quelle mesure un règlement semblable aurait-il changé la situation? Cette déclaration devient en quelque sorte la volonté d’accepter la citoyenneté américaine et de la transférer aux enfants.

Est-ce que l’ajout d’un tel règlement aiderait à l’application du projet de loi C-71?

[Traduction]

Me Hayer : Je ne veux pas trop entrer dans les détails de la loi américaine, mais cela a déjà été vrai. Actuellement, c’est la même chose que ce que nous faisons, c’est-à-dire demander une preuve de citoyenneté américaine. Un certificat de citoyenneté américaine vous est délivré.

Selon le processus que nous avions en place, dans un délai de deux ans — cela découle de la loi de 1947 et de la loi de 1952; je crois également que pour les sujets britanniques, cela a commencé avec la loi de 1914 — dans les deux premières années suivant la naissance de l’enfant, vous devez faire une demande auprès du gouvernement pour ce que l’on appelle l’enregistrement de la naissance à l’étranger. Il y avait une petite ligne jusqu’à ce que le ministre l’autorise. Cela a pris fin en août 2004.

C’est l’une des raisons pour lesquelles le problème des « Canadiens perdus » s’est posé dès le départ. Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais si vous avez un bébé, la première chose à laquelle vous pensez n’est pas la loi sur la nationalité. C’est plutôt : où sont les couches? Le bébé n’arrête pas de pleurer. Comment faire pour que le bébé arrête de pleurer? Et comment le nourrir? Vous ne pensez pas à la loi sur la citoyenneté.

L’autre chose que j’aimerais mentionner, c’est que le Sénat a adopté l’an dernier un projet de loi, le projet de loi S-245, qui vise un autre groupe, soit les personnes qui devaient demander à conserver la citoyenneté canadienne avant leur 28e anniversaire. Pour beaucoup de ces personnes, c’est la même chose. Personne n’y a pensé. Ils vivaient ici. Le jour de leur 28e anniversaire, ils ont appris qu’ils n’étaient plus Canadiens.

Il y a des millions de personnes qui sont ici et dont la situation n’a pas été corrigée par le projet de loi. La position de l’article à cet égard serait de faire une mise en garde parce que cela mènerait probablement à une situation où, 20 ans plus tard, une personne ayant vécu toute sa vie au Canada découvrirait qu’elle n’est pas Canadienne. Cela a un effet préjudiciable.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma première question s’adresse à M. Griffith.

Dans vos remarques préliminaires, vous avez fait mention des coûts associés. Y a-t-il des coûts associés au processus de demande de citoyenneté? Sont-ils abordables?

M. Griffith : C’est une bonne question.

[Traduction]

Le problème, c’est qu’il est difficile de connaître le coût à moins d’avoir de bonnes estimations d’IRCC sur les chiffres. IRCC réussit très bien à établir les coûts de ses répercussions opérationnelles, parce que je lis parfois certains de ses bulletins opérationnels et ses avis dans la Gazette du Canada. Ils ont cette capacité au ministère. Je ne sais pas s’ils l’ont déjà fait. Je suppose qu’il y a des fonctionnaires qui travaillent là-dessus. C’est ce dont nous avons besoin.

Je sais qu’il y aura des coûts et des répercussions. J’ai donné des chiffres pour illustrer un ordre de grandeur. C’est à IRCC de répondre à cette question.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je parlais simplement du coût par personne. Pour une personne qui fait une demande, combien cela peut-il coûter? Je poserai la question à IRCC, merci.

Mon autre question s’adresse à maître Hayer. Vous parliez des enfants nés naturellement et j’aimerais revenir sur l’exemple qu’a donné la sénatrice Petitclerc, mais pas tout à fait.

Je prends l’exemple d’un enfant né naturellement en janvier 2023 et un autre adopté en janvier 2023, mais qui est né avant janvier 2023. Sa date de citoyenneté sera ramenée à la date de son adoption, pas à sa date de naissance. Quelle est la conséquence pour cet enfant, dans sa vie de tous les jours?

Que ce soit sa date de naissance ou sa date d’adoption, une fois qu’il est citoyen, il est citoyen. Est-ce qu’il y a une possibilité d’un traitement différent dans la vie de cet enfant?

Merci beaucoup.

[Traduction]

Me Hayer : Je recommande de ne pas utiliser la date d’adoption comme date officielle. J’ai eu un certain nombre de clients qui ont vécu toute leur vie avec un parent canadien aux États-Unis, mais ce parent ne les a jamais officiellement adoptés. Il y a plusieurs raisons à cela. Il peut s’agir d’un enfant issu d’un mariage antérieur de son conjoint ou d’un enfant placé en famille d’accueil. Pour l’essentiel, cette relation parent-enfant existe, mais elle n’a jamais été légalement établie.

Dans la plupart des États américains, on peut adopter un adulte. Nous pourrions suivre ce processus. Il est conforme à la Convention de La Haye. Ils ne pourraient jamais prétendre à cette citoyenneté, parce que, encore une fois, leurs propres enfants nés avant cela seraient également exclus. Une inégalité dans la lignée finit par être créée parce qu’ils ont eu leurs propres enfants. Ils ont adopté un adulte plus tard dans leur vie. Ces enfants sont exclus.

C’est pourquoi je dis que pour les deux options, il faut revenir à la date de naissance. C’est l’approche que nous avons choisie. C’est conforme aux normes internationales : la date de naissance est celle qui est utilisée, qu’il s’agisse d’une adoption ou d’une naissance naturelle.

La présidente : Merci.

Honorables sénateurs, cela nous amène à la fin de ce groupe de témoins.

Je remercie les témoins de leur témoignage d’aujourd’hui.

Chers collègues, nous poursuivrons notre étude du projet de loi C-71 lors de notre réunion de demain. Nous prévoyons de passer à huis clos pendant les 15 dernières minutes de notre réunion de demain pour discuter des instructions de rédaction. Je vous demande de préparer des suggestions, des observations ou du contenu particulier que vous souhaiteriez voir figurer dans ce rapport.

(La séance est levée.)

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