LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 30 mars 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 31 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.
La sénatrice Patricia Bovey (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La vice-présidente : J’aimerais commencer par souhaiter la bienvenue aux membres du comité, aux témoins et au public qui regarde notre réunion.
Je m’appelle Patricia Bovey. Je suis une sénatrice du Manitoba et je suis vice-présidente de ce comité.
[Traduction]
J’aimerais commencer par un tour de table et j’invite les sénateurs et les sénatrices à se présenter. Sénatrice Lankin, nous allons commencer par vous.
La sénatrice Lankin : Mon nom est Frances Lankin, et je suis sénatrice de l’Ontario.
La sénatrice Dasko : Je m’appelle Donna Dasko, et je suis également une sénatrice de l’Ontario.
La sénatrice Bernard : Sénatrice Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Moodie : Sénatrice Rosemary Moodie, de Toronto.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Bonjour à tous. Merci d’être des nôtres. Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Burey : Bonjour à tous. Je suis la sénatrice Sharon Burey, de l’Ontario.
La sénatrice Osler : Gigi Osler, du Manitoba.
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La vice-présidente : Aujourd’hui, notre comité continue son examen du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.
[Traduction]
Je souhaite prendre un moment pour rappeler aux participants ainsi qu’aux personnes qui suivent nos délibérations dans la salle ou par vidéoconférence que le comité a pris des mesures pour permettre la pleine participation de tous les témoins et membres du public dans le cadre de notre étude du projet de loi C-22.
Dans le cadre de la planification de réunions inclusives et accessibles, le comité a pris des dispositions pour assurer un service d’interprétation en langue des signes américaine et en langue des signes québécoise pour les témoins présents dans la salle et dans l’auditoire. L’interprétation en langue des signes est enregistrée sur une vidéo qui sera ensuite incorporée à l’enregistrement vidéo de la réunion, en vue d’une diffusion éventuelle sur ParlVu par l’entremise du site Web du comité.
Enfin, si un membre de l’auditoire a besoin d’aide à un moment ou à un autre, il est prié de le signaler à l’un des pages ou à la greffière.
Nous accueillons aujourd’hui, par vidéoconférence, Neil Belanger, chef de la direction chez Indigenous Disability Canada. Nous accueillons également en personne Krista Carr, vice-présidente à la direction pour Inclusion Canada.
Je tiens à vous remercier tous les deux pour votre présence parmi nous aujourd’hui. Madame Carr, je souhaite vous remercier tout particulièrement pour le temps que vous nous consacrez. Vos remarques préliminaires de la semaine dernière ont été transmises au comité et nous attendons avec impatience que vous répondiez à nos questions aujourd’hui. Au nom du comité, je tiens à nouveau à m’excuser publiquement pour les problèmes techniques qui ont eu lieu lors de votre dernier témoignage. Je vous souhaite la bienvenue en personne et vous remercie à nouveau.
Nous allons commencer par les remarques préliminaires de M. Belanger. Je vous rappelle, monsieur, que vous disposez de cinq minutes pour présenter vos observations. Mme Carr nous a indiqué que, puisque tout le monde a reçu son rapport de l’autre jour, elle sera disponible pour répondre aux questions pendant la série de questions.
Monsieur Belanger, la parole est à vous.
Neil Belanger, chef de la direction, Indigenous Disability Canada : Je vous remercie. Bonjour à tous. Je souhaite d’abord remercier le comité de me donner l’occasion de m’exprimer brièvement aujourd’hui à propos du projet de loi C-22, la Loi sur la prestation canadienne pour personnes handicapées.
J’aimerais saluer et remercier les habitants d’Esquimalt et de Songhees, car je me trouve sur leur territoire traditionnel non cédé.
Je m’appelle Neil Belanger, et je suis membre du clan Lax Yip de la maison de Nigidane, qui appartient elle-même à la Première Nation Gitxsan. Je suis également chef de la direction chez Indigenous Disability Canada, et directeur exécutif de la British Columbia Aboriginal Network on Disability Society, la BCANDS, un organisme autochtone de défense des droits des personnes handicapées qui mène des activités à l’échelle nationale depuis plus de 30 ans.
Les deux organismes que je représente offrent tout un éventail de mesures de soutien et de services à des milliers de personnes autochtones handicapées et à leur famille, dont la majorité est en situation de pauvreté.
Comme vous l’avez entendu dans les témoignages précédents, 22 % des Canadiens présentent un handicap. Néanmoins, chez les Autochtones, le taux de handicap est beaucoup plus élevé, il s’élève à plus de 30 %. Cela s’ajoute au fait que les Autochtones sont plus susceptibles de vivre en situation de pauvreté au Canada.
Au Canada, de nombreuses personnes handicapées, autochtones et non autochtones, ont vécu toute leur vie dans la pauvreté systémique. On leur a intimé d’en faire plus avec moins et de se montrer reconnaissantes de ce qu’elles ont. On attend de ces personnes qu’elles soient en mesure de naviguer au sein d’un système inaccessible qui n’a pas été conçu par elles ou avec elles. Nombre de ces gens n’ont pas les moyens de se payer un logement adéquat ni de faire leurs courses et de payer leurs médicaments, leurs frais de transport, leurs frais d’éducation, les aides et les soutiens que nécessite leur handicap, ou même une simple sortie au cinéma. Par ailleurs, ils sont confrontés à la violence, au racisme envers les Autochtones, au capacitisme, à l’exclusion professionnelle, et la liste continue.
Cette situation a lieu au Canada, un pays où l’inclusion et la possibilité de devenir des membres actifs et prospères de la société devraient aller de soi. Malheureusement, on constate que certains sont plus égaux que d’autres. La Prestation canadienne pour les personnes handicapées peut permettre une réduction des inégalités et constituer une avancée positive dans la lutte contre la marginalisation et la pauvreté auxquelles sont confrontées de manière historique les personnes handicapées en âge de travailler.
Plusieurs témoins estiment que le projet de loi ne devrait pas être adopté dans sa forme actuelle, car il n’est pas assez solide et comporte trop d’aspects inconnus qui doivent être explicités. Comme les membres du comité le savent, certains amendements ont été adoptés à l’autre endroit pour améliorer le projet de loi, et tout nouvel amendement devrait être renvoyé à la Chambre pour examen et débat, avant d’être ensuite renvoyé au Sénat pour que le processus recommence.
Nous craignons à présent que des retards persistants ne compromettent l’adoption du projet de loi dans son ensemble. Il y a trop de points de vue contradictoires, et je pense que nous devons envisager de retourner à la case départ pour mener de nouvelles consultations avec la communauté des personnes handicapées. De cette manière, nous pourrons cerner à nouveau les besoins des personnes handicapées et reformuler le texte du projet de loi pour être certains de bien faire les choses.
Il faut éviter de retarder la mise en œuvre d’une prestation avoisinant les 9 milliards de dollars par an pour les personnes handicapées. Lors des nouvelles consultations, nous ne devons pas chercher à parvenir à un consensus parfait au sein de la communauté des personnes handicapées. Bien des détails pourront être réglés au cours de l’étape de l’élaboration des règlements.
Les personnes handicapées qui vivent dans la pauvreté ont besoin dès maintenant de la Prestation canadienne pour les personnes handicapées. À vrai dire, elles en avaient besoin hier. Elles en avaient besoin il y a des années, voire des décennies. Le moment est venu de passer à l’action.
Bien que nous ne puissions pas parler au nom de l’ensemble des personnes handicapées, nous pouvons dire, d’après de nombreux témoignages, qu’il est essentiel que cette loi-cadre soit adoptée le plus rapidement possible. De cette manière, on pourra passer au processus d’élaboration des règlements afin de concrétiser l’allégement financier pour les personnes handicapées dans les plus brefs délais.
Nous demandons instamment au comité d’accélérer l’adoption du projet de loi C-22 et, ce faisant, de permettre le processus de réglementation de suivre son cours. C’est ainsi que nous pourrons venir en aide aux personnes handicapées, notamment celles qui se trouvent en situation de pauvreté.
Je vous remercie de votre attention.
La vice-présidente : Merci, monsieur Belanger.
Nous allons maintenant passer à la première série de questions. J’aimerais rappeler aux personnes dans la salle de bien vouloir éviter de se pencher trop près du microphone, ou d’enlever leurs écouteurs s’ils le font. Cela permettra d’éviter toute rétroaction sonore qui pourrait avoir un effet négatif sur le personnel du comité dans la salle.
Chers collègues, je compte suivre la même procédure que j’avais adoptée lorsque j’ai eu l’honneur de présider le comité auparavant. Je dispose d’une liste des noms de chacun, vous n’aurez donc pas besoin de lever la main pour vous inscrire sur la liste. Nous passerons d’une personne à l’autre. Si vous ne souhaitez pas poser de question, vous pouvez céder votre temps de parole à la personne suivante. Si le temps le permet, nous passerons à une deuxième série de questions.
Chaque sénateur et chaque sénatrice dispose de cinq minutes pour poser sa question et obtenir une réponse. Il est préférable pour gagner du temps de s’adresser directement à un témoin spécifique, à moins que vous ne souhaitiez entendre la réponse des deux témoins.
La sénatrice Osler : Je vous remercie de votre témoignage, monsieur Belanger. Vous avez dit souhaiter voir s’accélérer le processus d’adoption du projet de loi C-22 afin de passer à l’étape de l’élaboration des règlements. L’article 11.1 du projet de loi C-22 stipule que le ministre est tenu d’offrir à des personnes handicapées des possibilités réelles et exemptes d’obstacles de collaborer à l’élaboration et à la conception de la plupart des règlements contenus dans la Prestation canadienne pour personnes handicapées.
Vous avez utilisé la formule selon laquelle certains sont plus égaux que d’autres. Quelles sont vos recommandations pour que les règlements et le processus de demande s’inscrivent dans une approche intersectionnelle et antiraciste?
M. Belanger : Je vous remercie pour votre question, sénatrice. Nous pouvons agir sur plusieurs plans. Les personnes présentes à la table doivent être des personnes qui vivent dans la pauvreté et qui comprennent bien ses répercussions dévastatrices, ainsi que ce qui doit être fait pour en sortir.
Nous disposons d’un certain nombre de leviers pour ce faire. Les gouvernements fédéral et provinciaux font partie de la solution, mais également les organismes comme le nôtre qui établissent des liens avec les communautés marginalisées pour s’assurer qu’elles sont conscientes d’avoir l’occasion de participer au processus dans son ensemble.
Dans le passé, les sondages et les activités virtuels ont fait partie du processus, mais nous devons déployer des efforts pour être sur le terrain et communiquer avec les parties prenantes en personne. Il faut que les différents organismes fassent la promotion de cette ouverture au dialogue afin que tout le monde ait une chance égale de participer au processus. Je le répète, nous devons accorder la priorité aux personnes qui vivent dans la pauvreté.
Notre organisme souhaite bien entendu faire partie du processus. Nous pouvons offrir une certaine perspective et relayer ce que nous disent les personnes auxquelles nous offrons des services. Toutefois, il est fondamental que les personnes présentes à la table de discussion soient directement concernées par le projet de loi et les règlements qui en découlent; leurs voix doivent être clairement entendues.
La sénatrice Osler : Monsieur, pourriez-vous formuler des recommandations par rapport à ce que vous envisagez comme processus de demande?
M. Belanger : Voulez-vous parler de la procédure de recours à la prestation?
La sénatrice Osler : Oui, c’est exact.
M. Belanger : Nous aimerions beaucoup de choses. Nous aimerions que les personnes qui reçoivent actuellement des prestations d’invalidité fédérales, provinciales et territoriales obtiennent un droit acquis et qu’elles soient automatiquement admissibles à cette prestation. Nous aimerions qu’un formulaire de demande soit élaboré avec la communauté des personnes handicapées et les personnes en situation de pauvreté pour les personnes qui pourraient ne pas être admissibles aux programmes provinciaux, territoriaux et fédéraux actuels, mais qui devraient être admissibles à cette prestation, ainsi que pour les provinces atlantiques qui n’ont pas de prestations d’invalidité à proprement parler qu’elles administrent, à l’exception du supplément de revenu.
Le processus de demande doit être facilement accessible. Il doit aussi être facile à exécuter. Bien entendu, il doit contenir des renseignements pertinents pour s’assurer que la personne est admissible à la prestation. Il doit également être diffusé à grande échelle.
Il est important de souligner que ce projet de loi et la prestation canadienne d’invalidité ne devraient pas former l’initiative d’un seul ministre ou d’un seul ministère, car tous les ministères devraient participer. En effet, chaque ministère fédéral a un rôle à jouer dans la mise en œuvre et la promotion de cette initiative, conformément à la Loi canadienne sur l’accessibilité. Ils devraient donc tous participer.
Nous ne devrions avoir aucun problème à transmettre l’information nécessaire à la population par l’entremise des organismes communautaires, des gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral, des particuliers et des médias sociaux. Cela ne devrait pas poser de problème. Le processus devrait être aussi facile et transparent que possible.
Encore une fois, des membres de la communauté doivent nous dire comment cela fonctionne et comment les choses se passeront.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui. Ma première question s’adresse à vous, madame Carr. C’est toujours un plaisir de vous recevoir au Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
La plupart de nos témoins nous disent que ce projet de loi demande qu’on prenne en considération le seuil de pauvreté et le panier d’épicerie — c’est une chose —, mais ce que les témoins et les gens qui ont vécu une expérience de situation de handicap nous disent, c’est qu’il y a un coût lié au fait d’être une personne en situation de handicap. Il y a des dépenses supplémentaires. Je vous vois hocher la tête; cela a été bien documenté jusqu’à maintenant.
J’aimerais savoir si selon vous, on peut quantifier ce coût. Certains nous ont dit que le fait d’être une personne en situation de handicap peut représenter 30 % de plus de dépenses; certains ont même dit 40 %. Est-ce qu’on sait, par exemple dans votre association, s’il y a des données à ce sujet?
[Traduction]
Krista Carr, vice-présidente à la direction, Inclusion Canada : Je vous remercie beaucoup de votre question. C’est une question difficile.
Nous avons mené de vastes consultations d’un bout à l’autre du pays sur la prestation d’invalidité et sur ce que les personnes handicapées en situation de pauvreté veulent voir dans cette prestation, et de nombreuses personnes nous ont dit que nous ne pouvons pas nous contenter de parler du seuil de la pauvreté. En effet, nous devons reconnaître que les personnes handicapées font face à des coûts supplémentaires.
Il n’existe pas beaucoup de données canadiennes à ce sujet, mais celles qui existent indiquent qu’une personne handicapée doit faire face à des coûts de l’ordre de 30 à 40 % plus élevés. Cela dépend de la nature du handicap et de l’équipement nécessaire ou d’autres coûts, mais c’est à peu près la fourchette dont on nous parle à ce moment-ci.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci. Ma prochaine question s’adresse maintenant à M. Belanger. On parle aussi beaucoup de dispositions de récupération, les clawbacks, et ce qui m’intéresse est de savoir s’il y a des récupérations qui seront faciles à trouver, dans le sens où, si un gouvernement coupe une prestation directe à une personne en situation de handicap, on va le savoir assez rapidement.
Ce qui me fait peur dans les services, les outils et par exemple, dans le matériel de soins d’autonomie, c’est qu’une province dise que vous aviez droit à ceci, qui est de telle qualité, mais maintenant, vous aurez droit à ceci ou cela, qui est de moindre qualité, ce qui sera beaucoup plus difficile à savoir, je pense.
Avez-vous peur de cela? Cela vous inquiète-t-il? Ma sous-question est la suivante : à qui reviendra la responsabilité de surveiller le tout et de s’assurer que dans les petits détails, les personnes en situation de handicap ne subissent pas de coupures?
[Traduction]
M. Belanger : Je vous remercie, sénatrice. C’est une très bonne question.
Les dispositions de récupération représentent une préoccupation de tous les membres de la communauté des personnes handicapées. Les gouvernements provinciaux les appliquent actuellement aux assurances privées, aux prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, etc. Le gain net est nul pour tous ceux qui ont cotisé à ces régimes d’assurance.
Il n’y a aucun avantage dans ces cas. Par contre, dans le cadre de la prestation d’invalidité du Canada, il sera très important d’établir les règles du jeu à l’avance avec les provinces et territoires, afin que cette récupération ne se produise pas, que les programmes complémentaires ne soient pas réduits et que l’augmentation des prestations provinciales ou territoriales ne révoque pas l’admissibilité à cette prestation.
Malheureusement, ce matin, j’ai vu un reportage dans lequel un gouvernement provincial invoquait la prestation d’invalidité du Canada et l’utilisait en quelque sorte comme excuse pour ne pas améliorer les prestations d’invalidité provinciales. Ce n’est pas correct.
Encore une fois, la prestation canadienne d’invalidité est une prestation fédérale, mais elle s’applique à l’ensemble du Canada. Les provinces et les territoires ont un rôle à jouer à cet égard, et le gouvernement du Canada, la communauté des personnes handicapées et les gouvernements provinciaux et territoriaux eux-mêmes ne devraient pas se dire qu’ils n’ont plus rien à faire maintenant que cette initiative est en cours.
Il faut demander des comptes à l’ensemble des intervenants et au Canada lui-même. Il s’agit enfin d’un pas en avant, et si nous commençons à revenir en arrière et à dire que les personnes handicapées devraient être capables de survivre avec moins tout en s’épanouissant tout de même, nous ne serons pas plus avancés.
C’est la responsabilité de tout le monde. C’est la responsabilité de chaque sénateur dans cette salle et de tous les députés. Il leur revient à tous, ainsi qu’à chaque membre d’une assemblée législative, de s’assurer de demander des comptes au gouvernement pour que les personnes handicapées aient la capacité de s’épanouir, et pas seulement sur papier. Cela doit se faire à l’échelle du Canada, et pas seulement dans les provinces qui ne récupèrent pas les sommes versées. Cela doit se faire à l’échelle du Canada. Je vous remercie.
La vice-présidente : Je vous remercie beaucoup.
La sénatrice Bernard : Je remercie les deux témoins de leur présence et de leurs témoignages. Nous leur sommes très reconnaissants.
J’aimerais revenir sur certains témoignages que nous avons entendus hier au sujet des complexités de la pauvreté. Bien entendu, nous savons que le projet de loi traite de l’intersection de l’invalidité et de la pauvreté, mais hier, deux de nos témoins ont parlé des complexités de la pauvreté et de la façon dont, parfois, l’exclusion ne consiste pas seulement à s’assurer qu’un groupe participe aux discussions, mais aussi à se pencher sur les questions de pouvoir et de déséquilibre à cet égard. En effet, nous savons que de nombreuses personnes, en particulier les personnes qui souffrent d’un handicap invisible, sont parfois la proie d’un sentiment de honte. Ainsi, les gens évitent parfois d’avoir accès aux services et aux soutiens qui leur sont offerts parce qu’ils s’inquiètent du type de réaction auquel ils devront faire face.
Lorsque nous parlons du besoin d’inclusion — et vous avez tous parlé de la nécessité de veiller à ce que des représentants participent aux discussions —, comment pouvons-nous prendre contact avec les personnes qui sont les plus difficiles à joindre en raison des complexités de la vie à l’intersection de la pauvreté, de l’invalidité et d’autres intersectionnalités?
Mme Carr : Je vous remercie beaucoup de votre question.
Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les gens viennent à nous. Nous devons plutôt aller à leur rencontre. Lorsque nous avons mené notre consultation à l’échelle du pays — une consultation qui a été financée par le gouvernement —, nous avons d’abord tenté d’entrer en contact avec les communautés les plus marginalisées. Il ne suffit pas de les inviter à participer à une séance de consultation. Il faut aller dans les refuges pour les sans-abri, les prisons et les endroits où les gens se trouvent — il faut aller à leur rencontre dans leur espace — et écouter ce qu’ils ont à dire. Ne vous attendez pas à ce que ces gens puissent venir où vous êtes pour vous parler.
Vous devez réellement les écouter, et ils doivent se sentir… Vous devez créer un environnement dans lequel ils ont l’impression qu’ils sont au centre des préoccupations et que vous vous intéressez réellement à ce qu’ils ont à dire et à leur expérience dans le système. Souvent, leur expérience du système est différente. En effet, à bien des égards, elle est pire, faute d’un meilleur mot. C’est très important.
Nous avons également mené des entrevues avec des intervenants clés, c’est-à-dire des personnes qui travaillent quotidiennement sur le terrain avec ces populations. Il s’agit vraiment de s’asseoir avec les personnes qui travaillent sur le terrain tous les jours avec ces populations et de les écouter. C’est une autre façon de recueillir ces renseignements.
Cependant, il ne faut pas nous attendre à ce les gens viennent nous voir à nos conditions dans notre espace simplement parce que nous offrons une séance de consultation et que nous voulons entendre ce qu’ils ont à dire. Les choses ne fonctionnent pas de cette façon.
La vice-présidente : Monsieur Belanger, avez-vous quelque chose à ajouter à la discussion?
M. Belanger : Oui, sénatrice. Je vous remercie de votre question. Je suis d’accord avec Mme Carr.
Nous devons partir du principe que nous voulons que les gens participent, et non pas parce que nous devons cocher une case sur une liste. Nous voulons vraiment entendre les histoires difficiles et les réalités que vivent ces gens. Nous voulons connaître leur expérience vécue.
On peut faire appel à différents organismes pour y arriver, mais il faut surtout aller à la rencontre de ces personnes, comme l’a dit Mme Carr. Il faut aller au sein des communautés autochtones, et rencontrer les représentants des cinq groupes représentatifs au Canada. Il s’agit aussi d’être en mesure de les consulter de manière légitime, afin de s’assurer que leurs voix sont entendues.
Nous devons parler à des personnes qui vivent cette expérience et leur demander de nous décrire la meilleure façon de procéder. Je vous remercie.
La vice-présidente : Je vous remercie beaucoup.
La sénatrice Burey : Je remercie les témoins d’être avec nous aujourd’hui, que ce soit virtuellement ou en personne.
J’aimerais poser une question que j’ai entendue de la part de différents témoins, à savoir la question de la mise en œuvre d’un cadre législatif par rapport aux processus réglementaires qui seront lancés. Je vais lire un extrait de votre déclaration, madame Carr. Je vous remercie de nous l’avoir envoyée.
Nous craignons que tout autre amendement de fond proposé par le Sénat à ce stade-ci retarde l’adoption du projet de loi, alors que les personnes handicapées ne peuvent attendre plus longtemps.
Hier, nous avons entendu parler d’un certain nombre de préoccupations importantes, telles que l’utilisation d’un cadre de travail axé sur les droits de la personne et l’inclusion de ce libellé dans le projet de loi. Nous avons entendu parler d’une récupération. Il y a aussi le seuil de la pauvreté, qui est mentionné dans le projet de loi, et en particulier la mesure du panier de consommation, une mesure très inadéquate.
Ma question s’adresse aux deux témoins. Vous utilisez les mots « amendement de fond ». Je ne suis pas avocate, je suis simplement médecin. Est-il possible d’apporter un amendement qui renforcerait ce projet de loi?
Mme Carr : J’ai utilisé les mots « amendement de fond » à dessein. Je ne l’ai pas souligné lorsque je l’ai dit, mais un certain nombre d’amendements apportés par le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes ont permis de renforcer le projet de loi. Quand je dis « amendement de fond », je parle notamment de choses comme la nature des critères d’admissibilité ou le montant de la prestation. Il s’agit évidemment de questions de fond, mais l’autre préoccupation concerne la question de savoir qui prend ces décisions. Est-ce qu’il revient au Parlement d’en décider ou est-ce que cela doit être fait en collaboration avec les personnes handicapées et les organismes qui les représentent, les familles, etc.?
C’est au sujet de ces grandes questions que nous devrions mener des consultations de fond. Nous devons déterminer ces choses et les inscrire dans le projet de loi, afin de veiller à utiliser un cadre de travail axé sur les droits de la personne. Je considère qu’il s’agit là d’une façon de renforcer le projet de loi qui ne nécessite pas de travaux, de réflexions ou de consultations approfondis, et je sais que la communauté des personnes handicapées ne s’y opposerait pas.
Lorsque nous parlons d’amendement « de fond », il s’agit de questions importantes qui devraient faire l’objet de débats, de discussions et de consultations. Avec tout le respect que je dois aux parlementaires, ils ne sont peut-être pas les mieux placés pour décider de la forme que prendront ces mesures.
M. Belanger : Encore une fois, je suis d’accord avec Mme Carr. Les changements qui doivent être apportés peuvent l’être dans le cadre du processus de réglementation, en consultation avec des personnes handicapées en situation de pauvreté. Ces personnes disposent des meilleurs renseignements, elles connaissent bien le sujet et c’est à elles qu’il revient d’orienter le processus à ce stade-ci.
D’après certains témoignages et commentaires que j’ai entendus précédemment, certains des changements proposés ne sont tout simplement pas possibles, par exemple lorsque nous parlons d’introduire des amendements au projet de loi pour restreindre la récupération par les gouvernements provinciaux et territoriaux. Je ne pense pas que cela puisse être inscrit dans la loi. Je peux me tromper, mais je ne pense pas que ce soit possible.
Lorsqu’il s’agit de l’admissibilité, des critères liés à l’âge et d’autres critères qui ont été proposés, il ne serait pas nécessaire de reprendre le projet de loi depuis le début pour le remanier et en créer un nouveau.
Ce sont les choses qui me préoccupent, car je crains que s’il y a d’autres retards et que l’on envisage d’apporter d’autres changements importants au projet de loi, le gouvernement décide de prendre son temps. Comme je l’ai dit dans ma déclaration, il pourrait décider de faire les choses correctement la prochaine fois et de revenir en arrière cette fois-ci, et décider de prévoir des fonds pour mener d’autres consultations et de mettre de côté les 9 milliards de dollars pendant deux ou trois autres années afin de faire les choses correctement en revenant en arrière. À titre d’administratrice, si mon organisme devait dépenser 10 millions de dollars par année ou 9 milliards de dollars par année, je choisirais peut-être les 10 millions de dollars.
Je crains simplement que si nous passons beaucoup de temps à revenir en arrière, nous risquions de perdre des choses et de retarder encore plus le processus.
Je vous remercie.
La vice-présidente : Je vous remercie beaucoup.
Le sénateur Kutcher : Je remercie les deux témoins de leur présence, de leur aide dans ce dossier et de l’excellent travail qu’ils accomplissent. Ma première question s’adresse à Mme Carr et je m’adresserai ensuite à M. Belanger, s’il me reste du temps.
La question des handicaps de nature épisodique a été soulevée précédemment par la directrice générale de l’Association canadienne pour la santé mentale. Si j’ai bien compris, elle a également mentionné que cet organisme, qui est le plus grand organisme au service des personnes atteintes d’une maladie mentale, n’a pas participé aux consultations sur ce projet de loi. Elle nous a fortement encouragés à reconnaître l’importance de tenir compte des handicaps de nature épisodique dans les règlements.
Au sein d’Inclusion Canada, y a-t-il des organismes qui se concentrent précisément sur les personnes qui vivent avec une maladie mentale, et si c’est le cas, ont-ils soulevé la question des handicaps de nature épisodique? Que ce soit le cas ou non, quelle est la meilleure façon, selon vous, d’aborder cette question?
Mme Carr : Je vous remercie de votre question, sénateur Kutcher.
Il y a différentes façons de répondre à cette question. Tout d’abord, les consultations que nous avons menées ne concernaient pas uniquement les membres d’Inclusion Canada. On nous a confié le mandat de mener des consultations sur les handicaps multiples à l’échelle du pays, et 28 % des personnes qui ont participé à ces consultations ont déclaré avoir un handicap psychosocial, ce qui nous permet de répondre à une partie de la question. Je pense que nous avons certainement entendu la contribution de cette population.
En outre, 40 % des personnes atteintes d’une déficience intellectuelle ont également un problème de santé mentale concomitant. Voilà donc les statistiques à cet égard. Il y a certainement des similarités.
Les handicaps de nature épisodique ont été mentionnés dans le cadre de ces consultations. Les gens ont insisté sur le fait qu’il devrait être possible de recevoir les prestations et d’y mettre fin à tout moment facilement, car nous savons que les personnes qui souffrent de handicaps de nature épisodique vivent des périodes où il leur est très difficile de travailler et d’autres où tout va très bien. On peut dire la même chose, en général, des personnes qui souffrent d’un handicap psychosocial.
Les gens ont dit que la définition du mot « handicap » qui sera utilisée pour déterminer l’admissibilité à la prestation devrait être la définition qui se trouve dans la Loi canadienne sur l’accessibilité et qui, de toute évidence, est une définition très inclusive du handicap. Ils ont dit aussi que la question du handicap de nature épisodique revient fréquemment, et que ces personnes devraient être admissibles. Lors des périodes où tout va bien et où elles sont capables de travailler et de gagner un revenu raisonnable, elles ne vivent pas dans la pauvreté et elles n’ont peut-être pas besoin de la prestation, mais elles devront être en mesure de la recevoir à nouveau pendant les périodes où elles en ont besoin.
Le sénateur Kutcher : C’est très utile. Je vous remercie.
Pour que ce soit bien clair, pensez-vous qu’à l’avenir, les organisations représentant les personnes atteintes de maladie mentale — pas seulement celles ayant des défis psychosociaux — et vivant avec des handicaps propres à la maladie mentale devraient avoir droit au chapitre dans la rédaction d’un règlement?
Mme Carr : Oui, absolument. L’Association canadienne pour la santé mentale et ses organisations membres devraient effectivement y participer, tout à fait.
Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup.
Monsieur Belanger, les personnes âgées constituent le groupe d’âge dont le niveau de pauvreté est le plus élevé au Canada, et l’âge de travailler, qui n’est pas défini dans le projet de loi, est un sujet qui préoccupe beaucoup de gens. Vous y avez fait allusion il y a quelques instants lorsque vous avez dit que s’il y avait un amendement sur l’âge de travailler, il faudrait retourner à la planche à dessin et réécrire le projet de loi.
Pouvez-vous nous aider à comprendre pourquoi le projet de loi devra être remanié s’il y a un amendement en ce sens?
M. Belanger : Merci, sénateur. Je pense que comme il est écrit « personnes en âge de travailler » dans le projet de loi lui-même — et peut-être que je fais de fausses suppositions ici —, il s’appliquerait aux personnes de 18 à 64 ans. La question a été soulevée aussi au Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées, et un amendement y a été proposé pour étendre l’application du projet de loi aux personnes âgées, mais il a été rejeté au motif que ce n’était pas un amendement acceptable parce qu’il aurait une incidence financière substantielle, si ma mémoire est bonne.
Je pense que c’est le problème. Je pense que c’est ce qui l’empêche. Je pense que lorsque le projet de loi a été présenté, il y était écrit « personnes en âge de travailler ». Je sais bien qu’il y a aussi des Canadiens de 12 ans qui travaillent, c’est vrai, mais je pense que la prémisse du projet de loi était de viser les 18 à 64 ans afin de créer des prestations complémentaires à celles qui existent actuellement, tandis que l’Allocation canadienne pour enfants est pour les enfants et les familles, et le Supplément de revenu garanti et la Sécurité de la vieillesse sont pour les personnes âgées. Je pense que c’était l’intention du projet de loi.
Je suppose simplement que si les coûts engendrés par le projet de loi sont plus élevés, il faudra le reformuler.
La vice-présidente : Merci.
La sénatrice Moodie : Je remercie les témoins d’être parmi nous aujourd’hui.
Je voudrais poursuivre la discussion sur le processus de demande et la conception du cadre administratif et réglementaire qui suivra.
Nous avons effleuré la question des états épisodiques et de l’incidence de leur variabilité sur l’accès à cette prestation. Il y a d’autres questions qui ont été soulevées aussi, dont les critères fondés sur le revenu et l’idée de lier l’admissibilité aux revenus plutôt qu’aux moyens ou de la lier aux individus plutôt qu’à la famille.
Je me demande comment vous nous recommanderiez d’assurer l’équité, de manière à ne laisser personne de côté dans la conception du règlement qui suivra?
Mme Carr : En ce qui concerne le processus de demande, ce que nous avons entendu lors de nos consultations à travers le pays, c’est que les gens souhaitent que le processus de demande soit simple, notamment, comme nous l’avons déjà dit, et qu’on puisse soumettre une demande en ligne, en personne, par téléphone — de diverses façons — afin que l’accès aux prestations soit aussi facile que possible.
Par ailleurs, il faut que quand une personne est jugée admissible à la prestation, elle puisse y renoncer un certain temps, mais sans perdre son admissibilité pour autant. Par exemple, une personne atteinte d’un handicap épisodique qui respecte les critères pour en bénéficier au moment où elle ne travaille pas ne devrait pas perdre son admissibilité si elle cesse d’en bénéficier quand elle reprend le travail et que ses revenus augmentent. Il se peut qu’elle ne la reçoive pas pendant une certaine période, mais il faut qu’elle y reste admissible parce qu’en fin de compte, sa maladie ne disparaîtra pas. C’est une autre chose qui a été réclamée.
Il sera aussi capital de faire abondamment la promotion de la prestation et d’offrir des services d’accompagnement. Les organisations qui représentent les personnes handicapées, par exemple, seraient très bien placées pour aider les gens à demander la prestation s’ils ont besoin d’aide. Les organisations communautaires qui travaillent avec les populations marginalisées de personnes handicapées pourraient elles aussi être en mesure de les aider à demander des prestations.
Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais je pense que c’est ce que nous avons entendu pendant nos consultations.
La sénatrice Moodie : Merci.
La vice-présidente : Monsieur Belanger, voudriez-vous ajouter quelque chose?
M. Belanger : Oui, merci, sénatrice. C’est une très bonne question : est-ce que l’admissibilité serait individualisée ou liée au revenu?
Je pense que toute personne handicapée devrait avoir la possibilité de demander cette prestation, et je pense surtout — nous en avons déjà discuté ici — aux personnes handicapées qui vivent de la violence dans leur unité familiale, quelle que soit la forme de violence. En raison des revenus de la famille, la personne pourrait ne pas être admissible parce qu’elle ne répond pas aux critères sur les revenus et les actifs. Je suis sûr que certaines personnes diront qu’il nous faut des exigences de ce type, qu’il faut tenir compte des revenus et des actifs pour évaluer l’admissibilité d’une personne.
Toutefois, je ne pense pas que cela devrait nécessairement empêcher quelqu’un d’être admissible. Il se peut qu’une personne ne reçoive pas de prestation pendant un moment, mais elle devrait être jugée admissible à la prestation. Quand une personne est victime de violence, elle devrait pouvoir bénéficier d’un traitement accéléré pour pouvoir se sortir de là. Il faut corriger ces lacunes, parce que je pense que toutes les personnes qui y seraient admissibles par leur handicap devraient être considérées comme admissibles à la prestation. La question de savoir si elles la recevront ou non selon leurs moyens financiers ou leurs revenus est tout autre. Mais il faut mettre des mécanismes en place afin de permettre aux personnes victimes de violence d’en sortir le plus rapidement possible. Il ne devrait pas falloir attendre de 30 à 90 jours pour pouvoir déposer une demande. Ces demandes devraient être approuvées; si la situation financière d’une personne change, elle devrait pouvoir bénéficier sans attente d’un traitement accéléré.
Encore une fois, il y a tellement d’autres dynamiques qui entrent en jeu et tellement d’autres ministères au sein du gouvernement, d’autres acteurs de la société à mettre à contribution. Le fait qu’une personne soit jugée admissible à la prestation parce qu’elle s’apprête à quitter un milieu familial violent ne l’aidera pas vraiment si elle n’a pas de moyen de transport dans sa municipalité ni de mécanisme d’aide ou d’endroit où aller.
Mais je pense qu’il faudrait élargir les critères d’admissibilité à cet égard. Si une personne a un handicap et qu’elle en fait la demande, elle devrait être jugée admissible. Elle pourrait ne pas pouvoir recevoir de prestation en raison de sa situation financière, mais si sa situation change, elle devrait bénéficier d’un traitement accéléré. Merci.
La sénatrice Lankin : Je vous remercie de votre présence ici aujourd’hui. Je vous remercie de l’occasion qui m’est donnée de m’entretenir avec vous deux. La sénatrice Burey a posé ma première question avec beaucoup plus d’éloquence que je n’aurais pu le faire. Elle portait sur le concept de la loi-cadre et des amendements de fond. Vous n’êtes pas sans savoir que de nombreux représentants de la communauté des personnes handicapées nous ont demandé, en personne ou par écrit, d’adopter des amendements de fond. Je comprends votre position à ce sujet.
C’est la position dont nous parlons aujourd’hui — que c’est une loi-cadre et qu’on ne peut pas adopter d’amendements de fond —, et les autres recommandations qui ont été formulées et qui nécessiteraient des amendements de fond me font également penser à la question du partage des compétences fédéral-provincial. J’aimerais que nous en parlions un peu.
Le projet de loi définit un seuil de la pauvreté. On nous a dit que la mesure du panier de consommation n’est pas suffisante lorsqu’il s’agit des personnes handicapées, en raison de tous les coûts supplémentaires qui leur incombent pour des appareils fonctionnels médicaux ou d’autres choses, et on nous a recommandé d’adopter une formule de calcul différente après consultations sur les critères, comme un revenu net ajusté. Je me demande si vous avez réfléchi à la question.
Deuxièmement, la question de savoir comment vous calculeriez le montant ou le juste pourcentage m’intéresse parce qu’il existe de nombreux programmes dans les provinces pour des appareils fonctionnels. Que ce soit dans le domaine de la santé — par exemple, je viens de l’Ontario, où il y a le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées... Il existe toutes sortes d’organisations qui fournissent de l’aide dans ce domaine également.
Ainsi, le coût varie non seulement en fonction du handicap et de la personne, de la couverture d’assurance et d’autres éléments, mais il varie en fonction de la province et des prestations provinciales offertes.
J’essaie de voir comment on pourrait rédiger un amendement pour guider le gouvernement, afin que le montant des prestations soit établi dans le respect du partage des compétences fédéral-provincial. Pourrais-je vous entendre tous les deux à ce sujet, s’il vous plaît?
La vice-présidente : Madame Carr, puis monsieur Belanger, il nous reste deux minutes, je vais donc proposer d’entendre Mme Carr d’abord, et si nous manquons de temps, M. Belanger pourra peut-être poursuivre au deuxième tour.
Mme Carr : Je vais essayer de me dépêcher pour que M. Belanger ait la chance de vous répondre.
C’est une question difficile, très difficile, parce que nous n’avons pas de bonne idée des coûts supplémentaires liés au handicap et qu’ils varient, comme vous l’avez dit, d’une province et d’un territoire à l’autre. J’ai l’impression que vous souhaitez surtout savoir s’il est possible ou non d’adopter un amendement pour en tenir compte. Je n’en suis pas sûre à 100 %, pour être honnête, parce que je ne pense pas que nous puissions légiférer sur ce que font les provinces et les territoires. Cela rend la situation très complexe.
Je pense qu’une partie de la magie, s’il y en a, viendra de la façon dont vous négocierez des accords avec les provinces et les territoires pour améliorer de toutes les façons possibles le revenu que touchent les gens, sans rien leur enlever du reste. Est-ce qu’il faudrait se fonder sur un revenu net ajusté? Ce serait peut-être mieux que — il est certain que la mesure du panier de consommation n’est pas la solution. Je suis d’accord avec les témoins qui l’ont dit. Je pense qu’il faudra bien y réfléchir. J’aimerais avoir une solution miracle à vous proposer, mais je n’en ai pas.
M. Belanger : Merci. J’aimerais savoir exactement quel est le seuil de pauvreté qui serait utilisé et comment les coûts réels et les revenus des personnes handicapées seraient calculés à travers le Canada. Malheureusement, les gouvernements se limiteront souvent à déterminer qu’elles recevront tant en prestations, parce qu’elles reçoivent aussi des suppléments de santé, qui seront pris en compte, de même que la TPS. Tout à coup, l’argent dans la poche de quelqu’un, qui est de 1 200 $ par mois, passe aux yeux du gouvernement pour 1 800 $ en raison des prestations complémentaires. Ce n’est pas ce que nous voulons. Nous voudrions qu’aucune des prestations reçues, les prestations complémentaires qui existent, ne soit prise en compte dans le calcul du seuil de la pauvreté et que les nouvelles prestations s’ajoutent simplement.
La sénatrice Dasko : Je remercie les deux témoins d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse tout d’abord à Mme Carr, et elle découle des commentaires que vous avez formulés l’autre jour au sujet de la pauvreté et de l’incidence de la pauvreté chez les personnes handicapées. Il est écrit dans le projet de loi — et la ministre, lorsqu’elle a comparu ici, a dit que l’un des objectifs très importants du projet de loi était de réduire la pauvreté... Cet objectif figure dans le titre même du projet de loi, il est donc assez évident.
Dans vos commentaires, vous nous avez dit que 22 % de la population canadienne se compose de personnes handicapées et que 40 % d’entre elles vivent dans la pauvreté. Je suppose que vous devez utiliser les mesures standard pour calculer les taux de pauvreté ici.
Quel pourcentage de la population vivant dans la pauvreté pensez-vous que ce projet de loi permettra de sortir de la pauvreté? S’agit-il de 40 %, de 22 %? Je rappelle que nous parlons ici de la population handicapée. Quelle amélioration attendez-vous de ce projet de loi?
Mme Carr : Merci beaucoup pour cette question. Je m’attends à ce que toutes ces personnes sortent de la pauvreté. Ce serait l’objectif. Si je devais estimer ici que seulement 20 % devraient...
La sénatrice Dasko : Pas qu’elles devraient...
Mme Carr : Exactement. Je veux dire que 73 % des adultes ayant une déficience intellectuelle, c’est-à-dire la population avec laquelle je travaille au quotidien et à laquelle j’ai consacré les 26 dernières années de ma carrière, vivent dans la pauvreté. Au Nouveau-Brunswick, cela représente 800 $ par mois. Je parle du Nouveau-Brunswick parce que c’est là que je vis. Toute somme inférieure à cela... Je sais qu’on prétend que c’est une loi visant à réduire la pauvreté et, bien sûr, nous voulons la réduire. Mais je suis ici pour nous pousser un peu plus loin et nous exhorter à éliminer la pauvreté. En fin de compte, tout le monde devrait en bénéficier.
Mais il ne fait aucun doute que les personnes handicapées ont des taux de pauvreté beaucoup plus élevés que toute autre population au Canada. Je pense que notre objectif devrait être de ne laisser personne de côté.
La sénatrice Dasko : Pensez-vous que ce projet de loi nous permettra d’atteindre cet objectif?
Mme Carr : Je vais faire tout en mon pouvoir pour m’assurer que nous poussions aussi fort et aussi loin que possible pour aider le plus grand nombre de personnes possible. Mon objectif serait qu’aucune personne handicapée ne vive dans la pauvreté.
La sénatrice Dasko : Monsieur Belanger, vous nous avez dit tout à l’heure que 30 % de la population autochtone était handicapée.
Avez-vous des chiffres sur le pourcentage de la population qui vit sous le seuil de pauvreté? Je vous pose la même question. Je sais que nous espérons que cette prestation réduira la pauvreté dès cette année, mais pensez-vous vraiment que ce sera le cas?
M. Belanger : Merci, sénatrice. Nous savons que la pauvreté chez les Autochtones a diminué pendant la pandémie de COVID, en grande partie grâce au soutien financier du gouvernement. Cependant, les taux de pauvreté sont généralement très élevés dans cette population. Je pense qu’en 2016, 80 % des communautés des Premières Nations affichaient un revenu médian inférieur au seuil de pauvreté. C’est vraiment beaucoup.
Combien devrions-nous sortir de personnes de la pauvreté, à mon avis? Je suis d’accord avec Mme Carr : nous devrions toutes les sortir de la pauvreté. Si nous visons la moitié de la population, 90 % ou même 98 %, nous faisons fausse route. Il y a beaucoup de choses qui se passent dans ce pays. Il y a la Loi canadienne sur l’accessibilité, qui vise à rendre le Canada totalement accessible d’ici 2040. Le Canada ne sera pas un pays totalement accessible d’ici 2040 si tout le monde n’a pas les mêmes chances de s’épanouir. Est-ce que je m’attends à ce que 100 % des gens sortent de la pauvreté? Oui. Pourquoi ferions-nous cela si ce n’était pas l’objectif? À quoi cela ressemblerait-il? S’agit-il de gagner un dollar de plus que le seuil de la pauvreté? Non. Nous devons donner aux gens la possibilité de s’épanouir.
Les personnes handicapées ont des besoins beaucoup plus grands que les autres. Il y a des coûts qui viennent avec cela. On leur demande de survivre et de s’épanouir dans des communautés inaccessibles et discriminatoires. Il faut en tenir compte dans l’examen et la création de tout cela. Tant que le Canada ne sera pas un endroit égal pour tous, investissons dans les personnes handicapées et les personnes vivant avec un handicap afin qu’elles puissent s’épanouir.
Le Canada a tout à gagner à aider les personnes handicapées. Nous les avons ignorées pendant des générations, il s’agit maintenant d’une législation générationnelle. Faisons les choses correctement et veillons à ce que ce nouveau régime soit plus qu’adéquat. Pourquoi doit-il être adéquat? Parce que ces personnes doivent vivre de manière inadéquate depuis des générations. Faisons les choses correctement.
Bref, sénatrice, la réponse courte à votre question est « tout le monde ».
La vice-présidente : Merci, chers collègues. Il nous reste quelques minutes pour un deuxième tour. Nous continuerons le plus longtemps possible. Vous aurez, disons, deux minutes pour la question et la réponse. Il faut donc des questions concises et peut-être des réponses par oui ou par non.
La sénatrice Osler : Merci encore aux deux témoins. Ma question s’adresse à vous deux. Vous et d’autres témoins avez demandé à ce que l’on accélère le processus, à ce que l’on ne retarde pas l’adoption du projet de loi C-22. Avez-vous une recommandation qui ne constituerait pas un amendement de fond et qui améliorerait le projet de loi C-22?
Mme Carr : Wow. C’est toute une question. Ce type de recommandations pourrait inclure ce que vous avez dit plus tôt. On doit s’assurer qu’il s’agit d’un cadre de protection des droits de la personne et insister davantage sur l’importance de s’assurer que le processus inclut les personnes les plus marginalisées. Ainsi, peut-être que les aspects intersectionnels pourraient être renforcés.
Nous avons ramené le projet de loi trois fois. Il est mort au Feuilleton à trois reprises en raison de l’interruption des travaux du Parlement et il a dû être présenté à nouveau. Nous espérons vraiment que cette fois-ci, nous pourrons franchir la ligne d’arrivée. Quand je dis que les gens ne peuvent pas attendre, ils ne peuvent tout simplement pas attendre.
M. Belanger : Je suis d’accord avec Mme Carr. C’est maintenant qu’il faut agir. Je pense que les neuf amendements qui ont été déposés à la Chambre constituent une excellente avancée. Comme l’a dit Mme Carr, pour les personnes que nous servons, le temps est venu. Si le projet de loi était adopté aujourd’hui, ce ne serait tout de même pas assez rapide pour que les ressources soient mises à la disposition des gens qui en ont besoin. Il faut donc faire avancer les choses. Merci.
La sénatrice Petitclerc : J’ai une brève question qui dépasse un peu le cadre du projet de loi, mais j’aimerais savoir ce que vous en pensez. Certains diront — et ont dit — que ce projet de loi constitue une dépense. D’autres diront — et c’est mon avis — que c’est un investissement. M. Belanger a utilisé le mot « s’épanouir » à de nombreuses reprises. Croyez-vous — car c’est ce que j’espère — qu’en sortant les personnes handicapées de la pauvreté, le projet de loi leur permettra de s’épanouir et leur ouvrira les portes du monde du travail et de l’éducation? Il aura un effet boule de neige qui en fera un véritable investissement. Qu’en pensez-vous?
Mme Carr : Je pense que c’est un investissement à 100 %. Il existe toutes sortes d’études à ce sujet et j’aimerais bien vous les envoyer. Ce que je dirais, c’est que lorsqu’on ne peut pas satisfaire ses besoins fondamentaux, lorsqu’on ne sait pas d’où viendra son prochain repas et lorsqu’on est mal logé ou sans abri, on ne peut pas penser à aller travailler. On ne peut faire aucune de ces choses. On peine à survivre au jour le jour. Bien sûr, lorsque les gens peuvent être dans une situation où ils n’ont pas à s’inquiéter de ce genre de choses, le monde s’ouvre à eux — l’école, le travail et tout le reste.
De plus, ils sont en meilleure santé. Ils coûteront moins cher à nos systèmes. Ils contribueront à l’assiette fiscale. Ils dépenseront l’argent qu’ils ont. Si l’on investit dans le financement des personnes handicapées, elles dépenseront l’argent. Il reviendra sous forme de recettes fiscales. Il s’agit donc d’un investissement à 100 %.
M. Belanger : Je suis du même avis — investir dans les personnes handicapées et les aider à avoir une vie meilleure. Cela améliorera leur vie. Cela se fera à des degrés divers selon les individus. C’est pourquoi il faut que d’autres ministères et les gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral interviennent et en fassent davantage. La prestation canadienne pour les personnes handicapées n’est pas la fin de la partie. Nous ne nous arrêterons pas là parce qu’elle sera mise en œuvre. Toutefois, elle a certainement le potentiel de changer la vie de nombreuses personnes.
La vice-présidente : Merci. Sénatrice Lankin, je vais vous demander de poser votre question et nos témoins pourront y répondre par écrit.
La sénatrice Lankin : C’est très sage de votre part, car vous savez que je prendrai tout mon temps pour poser la question. Notre présidente me connaît.
Je comprends qu’il est important pour vous que le projet de loi soit adopté cette fois-ci. Essayer de concrétiser quelque chose à long terme est une position stratégique. Vous savez que beaucoup d’autres personnes n’approuvent pas cela. Si vous avez des observations à faire sur le débat en cours au sein de la collectivité, j’aimerais bien les connaître.
L’une des autres options que nous avons — une solution de rechange à l’adoption d’amendements — consiste à dresser une liste d’observations dans laquelle nous avons la possibilité d’intégrer les commentaires des témoins dans le document qui est renvoyé à la Chambre des communes et qui informe le gouvernement des témoignages que nous avons entendus. Vous pourriez certainement y réfléchir et nous soumettre le tout par écrit.
Préféreriez-vous qu’aucun amendement ne soit apporté — car tout amendement doit être renvoyé à la Chambre —, examiné et renvoyé ici? Si vous préférez cette option, quelles observations, selon vous, renforceraient le processus d’examen de ce projet de loi par le Sénat et éclaireraient le gouvernement sur une orientation importante à prendre?
La vice-présidente : Merci beaucoup. Nous vous serions très reconnaissants de bien vouloir soumettre à la greffière toute observation ou, en outre, toutes autres réflexions en réponse aux questions que mes collègues ont posées aujourd’hui.
Merci beaucoup de votre présence. Nous vous remercions grandement pour vos réponses réfléchies et le travail que vous avez accompli dans vos collectivités partout au pays. Vous effectuez un travail de fond très important. Je tiens à vous féliciter pour ce que vous avez fait et ce que vous faites. Je tiens à vous remercier de nous avoir aidés aujourd’hui dans le cadre de l’examen du projet de loi.
Chers collègues, sur ce, nous allons nous préparer pour notre deuxième groupe de témoins.
J’aimerais souhaiter la bienvenue aux témoins, qui sont avec nous dans la salle. Merci beaucoup de votre présence.
Nous accueillons des représentants de l’organisation ASE Fondation communautaire pour les Canadiens noirs handicapés : la vice-présidente, Mme Jheanelle Anderson; la gestionnaire de recherche et politique, Mme Nkem Ogbonna; et le directeur des partenariats, M. Bernard Akuoko-Dabankah. Nous recevons également des représentantes du Réseau d’action des femmes handicapées du Canada : la directrice générale, Mme Bonnie Brayton; et la directrice nationale, Mme Samantha Walsh.
Si j’ai mal prononcé le nom de quelqu’un, j’en suis vraiment désolée, mais je vous souhaite à tous la bienvenue. Nous vous sommes très reconnaissants de donner de votre temps pour témoigner devant notre comité dans le cadre de son étude du projet de loi C-22.
Nous avons jusqu’à 13 h 30. Je suis donc la gardienne de l’horloge et je m’en excuse à l’avance.
Je vais vous demander de faire vos observations. Nous entendrons d’abord Mme Anderson. Je crois que vous parlez au nom de votre groupe, n’est-ce pas? Madame Brayton, je crois que c’est vous qui parlerez au nom du Réseau d’action des femmes handicapées du Canada.
Bonnie Brayton, directrice générale, Réseau d’action des femmes handicapées du Canada : Mme Walsh fera quelques observations, mais nous savons que nous disposons de cinq minutes.
La vice-présidente : Nous entendrons tout d’abord la représentante de l’organisme ASE Fondation communautaire pour les Canadiens noirs handicapés. Si vous pouviez commencer, je vous en serais très reconnaissante.
Jheanelle Anderson, vice-présidente, ASE Fondation communautaire pour les Canadiens noirs handicapés : Merci. Je suis accompagnée de Mme Ogbonna et de M. Akuoko. Nous sommes ici pour parler du projet de loi C-22 en tant que personnes handicapées de race noire et en tant que représentants de l’organisme ASE Fondation communautaire pour les Canadiens noirs handicapés. Il s’agit d’une organisation nationale fondée sur les principes de la justice pour les personnes handicapées et dirigée par des personnes noires handicapées. Notre mission est de travailler en collaboration avec les institutions, les chercheurs, les prestataires de services et les individus afin de provoquer un changement culturel pour réduire les inégalités qui touchent les personnes noires, les personnes handicapées et les questions de genre.
Le projet de loi C-22 constitue une étape critique vers la réduction de la pauvreté et l’amélioration de la sécurité financière des personnes handicapées au Canada, car il fournit un cadre qui permet de s’attaquer à certaines de ces inégalités. Cependant, en ne nommant pas explicitement les obstacles auxquels sont confrontés les Canadiens handicapés les plus marginalisés, nous manquons une occasion importante de créer des solutions durables pour réduire la pauvreté.
Comme nous l’indiquons dans notre rapport intitulé The Intersection of Blackness and Disability in Canada: A Brief Overview & A Call to Action, les Canadiens noirs handicapés font partie des communautés les plus vulnérables au pays. Nous savons que le handicap et la pauvreté sont inextricablement liés et que la pauvreté est fortement racisée. En raison du racisme structurel et systémique envers les Noirs, les personnes noires handicapées ont moins de possibilités d’emploi et d’avancement professionnel et, comme le mentionne Krista Wilcox, elles vivent certaines des inégalités les plus marquées en matière de pauvreté.
Vivre dans la pauvreté signifie que l’on est plus susceptible d’occuper des emplois précaires, ce qui augmente davantage les facteurs de stress, exacerbe les problèmes de santé et, en général, conduit à de moins bons résultats en matière de santé. Le racisme envers les Noirs et le capacitisme structurels excluent les personnes noires handicapées et créent des conditions défavorables à leur égard quant à l’aggravation du handicap et à l’accès à des ressources vitales.
Pour éliminer ces obstacles particuliers, il est essentiel que tout projet de loi, toute politique, tout règlement ou tout programme conçus pour soutenir les personnes handicapées inclue dès le départ ceux d’entre nous qui ont des expériences qui se recoupent. Le processus de modification du projet de loi offre l’occasion de faire preuve d’un leadership réceptif axé sur l’équité qui concrétise véritablement l’esprit du principe selon lequel « rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous ».
Nous proposons tout d’abord que des critères d’admissibilité clairement définis et inclusifs soient établis, que des mesures antidiscriminatoires soient mises sur papier pour prévenir la discrimination dans l’administration de la prestation et que des fonds soient alloués pour couvrir les coûts associés à l’accès à cette prestation. Par exemple, nous savons que de nombreux membres de notre communauté sont victimes d’inégalités en matière d’accès aux soins de santé et peuvent se heurter à des obstacles pour obtenir un diagnostic officiel, par exemple, ou même avoir accès à un médecin en soins primaires pour remplir les formulaires d’admissibilité.
Ensuite, nous demandons l’élaboration d’une stratégie globale de mobilisation des connaissances dirigée par des personnes handicapées noires qui comprend des stratégies d’éducation, de formation et de sensibilisation qui instaurent la confiance, augmentent la prise de conscience et la connaissance concernant les handicaps et aident les personnes à accéder à la prestation. Il s’agit notamment d’établir des partenariats avec des organisations dirigées par des Noirs et des personnes handicapées et de leur allouer des fonds.
De plus, le projet de loi devrait comprendre des mesures de responsabilisation et des évaluations qui intègrent dans la collecte et l’analyse de données désagrégées, fondées sur la race, une optique d’équité.
Enfin, il faut un engagement à collecter les données dans un but utile et non pour surveiller à outrance les communautés qui sont d’éternelles victimes de l’exclusion. Nous savons que, grâce à ce principe d’universalité ciblée, tous profiteront d’une démarche équitable et inclusive.
Dorénavant, il faut que les Canadiens noirs handicapés participent aux prises de décisions, ce qui signifie dépasser le fait d’accueillir des consultations des collectivités pour s’engager à nous mobiliser comme coconcepteurs et spécialistes en la matière.
Bref, nous incitons le comité à appuyer le projet de loi C-22, à la lumière des éléments d’appréciation soulevés aujourd’hui dans nos efforts pour réduire la pauvreté et accroître la sécurité financière. Nous devons éviter de faire des Canadiens noirs handicapés des laissés-pour-compte d’un oubli de dernière minute du législateur.
Nous avons une chance réelle de changer quelque chose, particulièrement dans la vie des Canadiens noirs handicapés. Profitons-en pour collaborer à la construction d’un Canada plus équitable, qui n’oublie aucun de ces citoyens.
Merci beaucoup de votre invitation. Je remercie particulièrement la sénatrice Bernard de nous avoir introduits ici.
La vice-présidente : Merci beaucoup. Votre déclaration m’a vraiment plu. Je demande à Mmes Brayton et Walsh de faire leur déclaration. Nous passerons ensuite aux questions.
Bonnie Brayton, directrice générale, Réseau d’action des femmes handicapées du Canada : Merci beaucoup.
Merci également à Mme Anderson, qui, dans son exposé a abordé tellement de matière.
Bonjour et merci encore de votre invitation. Nous reconnaissons être rassemblées sur le territoire non cédé des peuples algonquins anichinabés et nous les en remercions. On me rappelle que nous sommes une nation vouée à la vérité et à la réconciliation. Ayons donc toutes, aujourd’hui, une pensée pour les besoins urgents de nos sœurs, de nos mères, de nos grands-mères et de nos enfants autochtones et puissions-nous trouver une façon de faire réparation et d’améliorer leur sort, maintenant et pour les générations à venir.
Plus tôt, vous avez entendu nos homologues M. Belanger et Mme Carr, M. Belanger, notamment, qui a énuméré certains faits importants qui rendaient urgente l’adoption du projet de loi C-22. Au cas où ces faits vous auraient échappé, nous allons en énumérer d’autres pour, ensuite, vous demander encore de coordonner vos actions à ces faits.
L’immense recherche effectuée par notre réseau a donné une abondante moisson de renseignements et de données que nous communiquerons au comité, faute d’avoir pu le faire par manque de temps, mais nous en avons amplement pour appuyer ce que nous vous demandons de faire aujourd’hui.
Depuis près de 40 ans, notre organisation a la même mission, qui hélas! n’a pas changé : mettre fin à la pauvreté, à l’isolement et à la violence qui pénètrent la vie des Canadiens les plus opprimés, très majoritairement des femmes, des filles et des personnes handicapées de diverses identités de genre.
Les taux les plus élevés de pauvreté, et de loin; les taux les plus élevés de chômage; les taux les plus élevés de violence sexiste, y compris d’agressions sexuelles, d’agressions et de sévices sexuels contre les enfants appartiennent à notre communauté. La majorité des plaintes pour infraction contre les droits de la personne dans l’ensemble des provinces et territoires, depuis maintenant des années.
Voici les faits : 24 % des femmes, le quart d’entre elles, d’après Statistique Canada, ont déclaré un handicap. Pour les femmes autochtones et noires, comme notre homologue Mme Anderson l’a rappelé, le taux est d’environ 30 % en ce qui concerne les conséquences et les discriminations croisées.
Madame Walsh, puis-je vous inviter à prendre la parole?
Samantha Walsh, directrice nationale, Réseau d’action des femmes handicapées du Canada : Merci. Comme Mme Brayton l’a déjà souligné, les femmes handicapées sont parmi les plus marginalisés d’un système qui ne travaille pas pour nous.
Il faut se représenter les femmes du Canada comme une vaste somme d’expériences diverses. Nous devons également nous rappeler que le groupe des personnes handicapées n’est pas un groupe fermé. Chaque femme pourra en faire partie, et la probabilité augmente avec l’âge. En témoignent les taux de violence sexiste observée chez les femmes âgées; la forte mortalité, pendant la COVID, dans les établissements de soins de longue durée, in memoriam.
Notre dépendance financière nous prive de choix. Les choses comme les services de préposés sont souvent liées au logement ou à l’emplacement géographique. Il est souvent difficile de trouver un logement accessible, et beaucoup de programmes de soutien sont assortis de périodes d’attente.
L’argent apporte choix et moyens. Les lacunes dans la sécurité financière obligent les femmes à rester dans des situations précaires, puisqu’elles comptent souvent sur des membres de la famille et des amis pour obtenir du soutien, si elles en ont la chance. Beaucoup de personnes handicapées vivent dans l’isolement. Ça signifie qu’une femme handicapée est plus susceptible de rester avec un partenaire violent et est beaucoup plus susceptible d’être victime de violence interpersonnelle.
Entre les provinces, les programmes de soutien aux personnes handicapées ne sont pas harmonisés, mais les femmes handicapées sont censées s’y retrouver, alors que, souvent, elles vivent une période de stress intense. Souvent, elles constatent que leur état matrimonial ne les rend pas admissibles aux mesures de soutien des provinces, mais elles sont également incapables de partir de chez elles, faute d’être financièrement indépendantes. La Prestation canadienne pour les personnes handicapées leur offrira le choix et, dans de nombreux cas, elle leur évitera de se retrouver piégées dans des situations empreintes de violence.
Moi-même handicapée par une infirmité motrice d’origine cérébrale, je jouis également d’un privilège de classe, grâce à un emploi et à d’assez bonnes études. Je suis toujours redevable à un système que je ne fais pas attendre. J’ai toujours trois ou quatre coups d’avance sur lui, dans tout ce que je fais. En dépit de mon privilège, je suis plutôt individualiste. J’hésite à inviter mon partenaire à partager mon chez-moi, parce que si jamais je devais m’en aller, ce serait difficile pour moi de reconstruire mon système de soutien et de me trouver un logement. S’il vivait avec moi et que je perdais mon emploi ou mes économies, je ne serais pas admissible aux mesures de soutien de la province, vu son niveau de revenus. Les femmes handicapées ont besoin de soutien financier. Nous ne pouvons pas attendre.
Mme Brayton : Comme beaucoup d’entre vous se le rappelleront, nous avons comparu devant votre comité en septembre dernier, pendant l’étude de l’analyse comparative entre les sexes plus, comme cadre de politique. Nous vous avons vivement incités à exercer des pressions pour la responsabilisation et des résultats, puisque notre communauté a été laissée pour compte.
Aujourd’hui, au Canada, nous avons un meilleur accès à l’aide médicale à mourir qu’à la sécurité, au logement, à la dignité et à une vie décente.
J’ai les noms de femmes qui ont abandonné tout espoir. Ils figurent sur de petites notes autocollantes apposées sur le mur de mon bureau, à la maison, que j’ai prises pendant que je leur parlais et qu’elles avaient besoin d’aide, d’un logement, de nourriture, de sécurité et de soutien. Maintenant, elles sont mortes. Rien ne saurait être plus important que ce projet de loi, tant qu’il ne sera pas adopté, chers sénateurs, rien.
Nous vous recommandons de l’adopter sans modification. Tous ensemble, entreprenons le processus de réglementation qui suivra.
Nous sommes prêtes à répondre directement à vos questions et nous appuyons fermement les recommandations de nos homologues, que nous venons d’entendre et que nous avons entendus plus tôt, aujourd’hui. Merci beaucoup.
La vice-présidente : Merci beaucoup à vous toutes. Puis-je ajouter que, cet après-midi, au Sénat, j’aurai le privilège de déposer notre rapport sur l’analyse comparative entre les sexes plus.
Sur ce, allons aux questions. La parole ira d’abord à la sénatrice Osler, qui fait partie du comité directeur de notre comité. Elle sera suivie de la sénatrice Petitclerc.
La sénatrice Osler : Je remercie tous les témoins.
Je donnerai suite à une question posée, au dernier tour, par la sénatrice Lankin. De nombreux témoins nous ont enjoints à ne pas retarder l’adoption du projet de loi mais à l’accélérer, pour que débute le travail sur la réglementation.
Ma question à tous : D’après vous, comment la conception des règlements et leur mise en œuvre peuvent-elles être équitables, antiracistes et intersectionnelles?
Mme Anderson : Merci. C’est une excellente question.
J’ai dit que ce devait être le fruit d’un effort commun. Ça ne peut être imposé d’en haut. Les communautés savent comment définir le problème, l’ayant vécu. L’élite ne le connaît pas, elle n’a pas connu directement la pauvreté.
Incontestablement, il s’agit de collaborer ensemble à la conception de ce règlement, avec le concours des personnes les plus marginalisées parmi les personnes handicapées, à l’aide de leur expertise.
De plus, comme nous l’avons dit, nous nous sommes surtout inspirés des personnes parmi les plus marginalisées, pour voir les choses sous le prisme d’une justice pour les personnes handicapées, c’est-à-dire les Noirs, les immigrants, les Autochtones, les personnes handicapées de diverses identités de genre, parce que, souvent, on ne les consulte pas. Habituellement, les handicaps évoquent un espace occupé par des personnes handicapées blanches, pas nécessairement pauvres. Il importe vraiment d’optimiser les expériences sur lesquelles nous comptons.
Il importe également de nous inspirer d’une démarche opposée au racisme systémique contre les Noirs pour vraiment le neutraliser. Le règlement doit s’attaquer aux fondations érigées sur des systèmes oppressifs.
La vice-présidente : Autre chose?
Nkemakolam Ogbonna, gestionnaire, Recherche et politique, ASE Fondation communautaire pour les Canadiens noirs handicapés : Seulement pour évoquer ce à quoi ça pourrait ressembler, concrètement, par exemple que les rédacteurs de la politique, les attachés de recherche qui évaluent le projet de loi, à l’intérieur d’un délai imparti, soient des Noirs handicapés, pour déterminer à quelle fréquence il serait amendé ou examiné pour assurer le respect des mesures antidiscriminatoires prévues.
Cette fois encore, comme Mme Anderson l’a dit, c’est, pour la mise en œuvre de ce programme, un partenariat avec les organismes de personnes handicapées noires. Le règlement donne les coudées franches. Souvent, les personnes noires handicapées traversent les mailles du filet de sécurité. Ça offre également l’occasion de vraiment l’écrire dans le projet de loi, en établissant un précédent pour que, dès que le projet de loi donne naissance à un règlement et à un programme, ce précédent du principe « rien ne se fera pour nous sans nous » agisse dès le point de départ.
Mme Brayton : Merci pour la question. C’est une belle façon de lancer la discussion, suivant, je crois, l’opinion d’autres témoins, qu’il est absolument essentiel que les personnes handicapées les plus marginalisées — les Autochtones, les Noirs, les personnes de diverses identités de genre — soient au centre du processus, parce qu’elles affrontent les taux les plus élevés de pauvreté et de sans-abrisme, conformément à toutes les données que nous martelons sans cesse. Dans ce cas également, il n’y a pas de changement, ce qui explique l’urgence si manifeste de cette prestation.
Les quatre piliers de l’action de notre réseau sont la recherche, la sensibilisation, la politique et la défense. Sans le moindre doute, la présence des organismes que nous menons dans ce processus contribuera à la réussite des négociations à venir avec les provinces et territoires, qui doivent nous entendre. Ça fait partie des processus ultérieurs parce que chaque étape doit s’inspirer de quelque chose et que nous devons être inclus.
C’est nous qui serons chargés d’obtenir l’adhésion de notre communauté. Nous en apprendrons les rouages à nos gens qui pourront en tirer parti. Nous sommes les mêmes qui pouvons vous conseiller sur ce qui doit être compris. Nous avons des homologues, partout dans le pays, dans les provinces et territoires et dans les réseaux qui peuvent se raccorder à ce processus.
Ici, aussi, ça vous permet d’augmenter la capacité des organismes de personnes handicapées de travailler comme partenaires de la société civile avec les autorités fédérales, provinciales et même municipales. Il importe de nous confier un rôle de direction dans ce processus et de comprendre qu’il s’agit, de cette façon, de donner des moyens d’action aux personnes handicapées. Ce n’est pas seulement nous aider. C’est nous donner un pouvoir qu’il nous revient de saisir. Merci.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci à nos témoins d’être avec nous aujourd’hui. Ma première question s’adresse à Mme Brayton ou à Mme Walsh. Vous avez déjà mentionné, dans vos notes d’introduction, la vulnérabilité particulière des femmes en situation de handicap et les contextes de violence qui, on le sait, sont documentés.
Jusqu’à quel point est-ce important que cette prestation soit individuelle, donc qu’elle soit liée à la personne en situation de handicap et non à la cellule familiale?
M. Belanger, qu’on a entendu plus tôt, était d’accord avec cela, mais il semblait dire que cela dépendait du revenu de la cellule familiale. Est-ce que cela devrait être pris en compte de façon autonome, c’est-à-dire que peu importe le revenu d’une cellule familiale, la prestation devrait être liée à la personne? Est-ce qu’on a une certaine flexibilité?
Mme Brayton : Je vais répondre parce que je connais la position de M. Belanger. Comme Mme Walsh nous l’a dit plus tôt concernant la violence, les femmes en situation de handicap sont à risque — même elle, qui est une femme pourtant privilégiée.
Un autre point que M. Belanger et Mme Carr ont soulevé est la question de l’admissibilité. La personne doit être admissible, quelle que soit sa situation, qu’elle en ait besoin maintenant ou plus tard dans sa vie. C’est pour protéger la personne pour la vie, savoir qu’elle a toujours...
[Traduction]
C’est une façon discrète de dire à quelqu’un de ne pas craindre qu’un imprévu ne détruise sa vie. Les femmes handicapées éprouvent au quotidien tous ces problèmes superposés. Cette insécurité est vraiment paralysante et empêche de voir les choses du bon côté si, comme on l’a dit, on s’inquiète pour le logement, le transport, les problèmes d’incontinence, la période menstruelle, la nourriture, la garde des enfants et toutes les questions de ce genre. Imaginez la difficulté, pour une femme handicapée ou une mère célibataire, d’aller travailler. On ne peut trouver de garderie accessible et, pis encore, on n’a pas assez d’argent pour bien s’en tirer.
Que nous cherchions ou non à trouver une solution qui tienne compte des différences, la primauté, très manifestement, va à l’individu, en raison des situations familiales. Si ce devait être un filet de sécurité, il s’avère que, dans de nombreux cas bien documentés, cette situation n’est pas sans risque. Merci.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Madame Anderson, vous avez bien expliqué à quel point il est important que vous soyez présents lorsqu’on sera rendu à l’étape du processus réglementaire.
La communauté de personnes en situation de handicap est tellement diversifiée — on parle de types de handicap et de toutes sortes d’autres intersectionnalités. J’ai l’impression qu’on entend parler souvent des mêmes grandes organisations.
Est-ce que vous vous sentez bien représentée? Est-ce que vous voulez être représentée ou voulez-vous vous représenter vous-mêmes à toutes les étapes de consultation qu’il y aura, maintenant et plus tard? Jusqu’à quel point est-ce important?
[Traduction]
Mme Anderson : Merci pour la question. Elle est vraiment immense, mais également excellente. C’est un grand sujet de discussion entre nous. L’année dernière, nous avons réalisé un projet de renforcement des capacités avec Emploi et Développement social Canada. Nous ne sommes pas représentés. Nous ne l’avons jamais été; nous étions exclus. Souvent, comme c’est le cas avec les organismes qui représentent diverses personnes handicapées, on se concentre sur une seule question, et nous savons que la question des handicaps n’est pas unidimensionnelle. Nous en avons discuté ici, aujourd’hui — les identités croisées influent vraiment sur l’expérience personnelle des handicaps.
En ce qui concerne notre perception de nous-mêmes, nous devrions bénéficier d’une représentation de tous les instants, qui ne serait pas limitée à un seul moment après quoi on pourrait revenir avec le résultat définitif et demander s’il convient. La représentation devrait être continue, à toutes les étapes.
Dans notre recherche, nous avons constaté que certains organismes représentent des personnes à la fois noires et handicapées. Malheureusement, il s’agit souvent d’organismes de la base. Ils sont souvent dirigés par des bénévoles qui, en dehors de leurs tâches régulières, aident certains des plus vulnérables de leurs semblables.
Il importe, en fait, de renforcer les capacités, comme Mme Brayton l’a dit, parce que nous sommes ceux qui devraient faire le travail de s’adresser à la communauté, de consolider la confiance et de sensibiliser les gens. Je suis absolument d’accord là-dessus. Comme nous l’avons dit, le financement devrait être accordé à des organismes de Noirs et de personnes handicapées ou à des organismes semblables, pour nous et par nous, pour que les plus vulnérables de nos communautés profitent du projet de loi.
Enfin, en ce qui concerne les mesures antidiscriminatoires, c’est la raison pour laquelle nous parlons de racisme contre les Noirs. Notre expérience à l’intérieur du réseau de santé ou même, simplement, de l’accès aux avantages sociaux, subit vraiment l’influence de personnes qui administrent la prestation avec leur parti pris, qui pourraient nous exclure ou vouloir nous plier à des caprices supplémentaires pour y avoir accès. Nous sommes l’objet d’une surveillance outrancière parce que nous utilisons le système alors que nous ne devrions pas. Voilà ma position à ce sujet.
La vice-présidente : Madame Anderson, j’aimerais proposer que nous passions maintenant à la sénatrice Bernard. Je suis certaine que nous poursuivrons cette conversation.
La sénatrice Bernard : Laissez-moi remercier mes collègues parce que c’est exactement là où je voulais en venir avec ma question. J’essayais vraiment de penser à ce que je pouvais vous demander pour poursuivre dans la même veine. Je pense que c’est très important. Permettez-moi de vous poser une question. Ce que j’ai constaté en Nouvelle-Écosse, c’est que de nombreuses personnes d’ascendance africaine en situation de handicap n’accèdent pas aux services parce qu’elles ne se voient pas représentées dans ces organismes... je pense que vous avez abordé certains de ces points. Il y a aussi un accès limité à ces services.
Votre organisme travaille-t-il également dans ce domaine, dans les collectivités, avec les personnes qui n’arrivent pas à obtenir des services? Quel genre de travail accomplissez-vous et de quel type de mesures de soutien disposez-vous pour effectuer ce travail?
Mme Anderson : Je vais commencer et Mme Ogbonna terminera. Nous organisons beaucoup d’assemblées publiques avec des Canadiens noirs en situation de handicap. Il s’agit d’un sujet qui revient souvent dans la région du Grand Toronto. Ces gens ne bénéficient pas du même soutien, soit parce qu’ils ne sont pas orientés vers cette aide, soit, encore une fois, à cause des préjugés. Ils n’ont peut-être pas accès à un médecin de première ligne, et s’ils peuvent en voir un, on ne les croit pas. Ils doivent attendre une dizaine d’années pour obtenir un diagnostic de handicap ou de maladie chronique. Ce sont des éléments sur lesquels nous nous concentrons. Nous offrons un espace à ces personnes pour valider ces expériences à l’intersection du racisme anti-Noirs et de la discrimination fondée sur la capacité physique.
Nous menons beaucoup de recherches et défendons les droits de ces personnes pour nous assurer que les gens se livrent à une analyse intersectionnelle lorsque nous parlons de handicap et lorsque nous travaillons avec des organismes qui représentent des personnes handicapées.
Enfin, en ce qui concerne les programmes offerts, nous faisons beaucoup de sensibilisation à la situation des personnes handicapées au sein de la collectivité. Les membres de la communauté peuvent avoir différentes conceptions du handicap, et c’est ce qui peut parfois échapper à un organisme traditionnel. Comment parlons-nous du handicap au sein de notre communauté? Notre communauté est très multiculturelle. Nous y trouvons donc différentes conceptions culturelles. Le handicap n’est pas toujours explicitement mentionné. Nous pouvons y faire référence en utilisant d’autres termes.
Mme Ogbonna : Absolument. J’aimerais revenir sur ce qu’a dit Mme Anderson, à savoir que notre communauté noire n’est pas monolithique. Nous utiliserons parfois le terme « exception » pour décrire les situations de handicap. C’est pourquoi il est vraiment important que des personnes noires en situation de handicap participent aux initiatives pour que ces nuances, qui ont été traditionnellement et historiquement oubliées par les personnes non noires qui administrent les programmes, soient évoquées.
J’aimerais ajouter quelque chose à ce qu’a dit Mme Anderson et parler de quelques-uns de nos projets en cours. Nous menons plusieurs projets de recherche différents. L’un d’eux porte sur les expériences des jeunes Noirs dans la région de Halton-Hamilton qui ont des difficultés d’apprentissage et sur les obstacles auxquels ils se sont heurtés dans l’accès à l’éducation et à l’emploi. Nous travaillons également avec la Dre Hilary Brown, de l’Université de Toronto Scarborough, sur les expériences des personnes handicapées qui se sont prévalues de services de santé génésique pendant la pandémie de COVID-19. Nous étudions, avec Réalise Canada, l’accès à l’emploi des personnes noires qui ont des handicaps épisodiques et les obstacles auxquels elles sont confrontées.
Nous entendons sans cesse que les fournisseurs de services n’ont pas de compréhension culturelle de la situation de handicap. Nous avons besoin de plus de personnes qui vont non seulement fournir des services, mais aussi expliquer les programmes offerts aux gens et les rédiger afin de veiller à ce que ces nuances qui existent dans notre communauté ne soient pas omises.
Chez ASE, nous nous efforçons vraiment d’être exposés à des expériences diverses. Nous nous concentrons également beaucoup sur les jeunes. Chaque année, nous organisons un sommet sur la réussite des étudiants noirs. Nous offrons des postes précis aux jeunes Noirs en situation de handicap afin qu’ils puissent faire part de leurs idées sur l’orientation qu’ils souhaitent donner à notre avenir.
Tout compte fait, ce qu’on nous dit, c’est que nous devons être présents dans ces espaces et être entendus, mais aussi — comme l’a mentionné Mme Anderson — que nous devons nous faire entendre au début du processus pour orienter la rédaction de ces projets de loi, de ces programmes et de ces politiques, afin que nous ne soyons pas relégués au second plan.
Je pense que M. Akuoko voulait ajouter quelque chose.
Bernard Akuoko, directeur, Partenariats, ASE Fondation communautaire pour les Canadiens noirs handicapés : Évidemment, je suis tout à fait d’accord avec tout ce qui a été dit ici. J’aime votre question parce qu’elle nous incite à parler la langue que nous devons utiliser pour les personnes qui ont ces identités diverses. Par exemple, au sein de la communauté ASE, nous invitons toujours des personnes de diverses identités aux discussions.
Une excellente question a été posée et portait sur les personnes qui sont laissées pour compte. Nous pouvons examiner la situation complexe des hommes noirs en situation de handicap qui, dans certains cas, n’admettent pas qu’ils ont un handicap, ce qui mène à des problèmes et fait que bon nombre se retrouveront en prison ou auront un accès limité aux services de santé mentale. Ce qu’il y a de plus beau dans la discussion que nous avons aujourd’hui et dans le travail que nous accomplissons chez ASE et dans les communautés où nous avons une présence, c’est que nous entendons des points de vue différents et que les gens ont la possibilité de s’asseoir autour de la table et d’être entendus. Nous donnons à ceux qui sont traditionnellement réduits au silence la possibilité de se faire entendre. Je suis très fier du travail que nous accomplissons actuellement.
La vice-présidente : Je vous remercie de votre commentaire et du travail que vous faites.
La sénatrice Burey : Je remercie tous les témoins de leur présence aujourd’hui. Je suis émue par tous vos témoignages et par le récit de vos expériences. C’est vraiment très puissant. Nous nous trouvons dans un espace sacré. J’ai d’ailleurs l’impression d’être dans mon bureau. Par où commencer?
Ma première question — et je serai brève, car je veux passer à ma deuxième question qui est précise — concerne l’adoption immédiate de ce projet de loi. J’ai écouté attentivement vos commentaires et je me suis dit : « Oui, nous devons adopter ce projet de loi parce que nous ne savons pas ce qui va se passer. » Mais j’ai aussi entendu Mme Anderson et Mme Ogbonna dire que certaines choses nous échappent. Devrions-nous nous pencher sur des amendements ou non? C’est ma première question. Vous pouvez répondre par un oui ou un non.
Mme Anderson : Oui, parce que nous ne pourrons pas le faire après coup. Certains éléments n’auront pas été inclus à ce moment-là. Je sais qu’il y a urgence, mais ce projet de loi représente une occasion unique pour de nombreuses personnes handicapées. Il est très important. Nous le répétons depuis le début de l’étude.
Nous voulons bien faire les choses. Nous voulons faire en sorte que le projet de loi aura une réelle incidence sur les personnes en marge de la société, sur les personnes qui sont souvent marginalisées à plusieurs niveaux. Le handicap ne se résume pas à une seule chose. Mme Brayton a cité quelques statistiques que nous avons entendues à maintes reprises. Les personnes qui ont des identités qui se recoupent — les personnes noires, les femmes, les Autochtones — sont encore plus marginalisées et vivent de façon disproportionnée dans la pauvreté. Nous voulons nous assurer que le projet de loi aura l’effet escompté.
La sénatrice Burey : Madame Brayton, pourriez-vous...
Mme Brayton : J’allais dire que je ne suis pas en désaccord avec Mme Anderson sur le fond, mais que, bien sûr, au Réseau d’action des femmes handicapées du Canada, nous estimons que le processus réglementaire est l’étape pendant laquelle nous pouvons régler certaines de ces questions et réellement renforcer la capacité de la communauté. Je dirai que je ne veux vraiment pas que d’autres amendements soient présentés ou revenir...
La sénatrice Burey : Je voulais que votre commentaire figure au compte rendu.
Mme Brayton : Nous voulons que le projet de loi soit adopté.
La sénatrice Burey : J’aimerais parler des obstacles auxquels nous faisons face. Je m’inclus dans le lot parce que je suis une personne privilégiée; je suis instruite, mais je suis aussi une femme noire.
Par exemple, j’ai entendu beaucoup d’entre vous parler des obstacles liés à la discrimination en matière de soins de santé. On ne nous croit pas, nous ne trouvons personne pour remplir les formulaires et nous attendons très longtemps avant de recevoir un diagnostic.
Il existe d’importantes pénuries de fournisseurs de soins de santé partout au pays. Nous savons que 2 millions de personnes n’ont pas de médecin de première ligne en Ontario, et c’est probablement 8 millions de personnes dans l’ensemble du Canada. Pour ce qui est des formulaires qui doivent être remplis, avez-vous des recommandations ou des idées qui ne seraient pas... parce que, bien sûr, nous n’aurons pas les médecins dont nous avons besoin, nous n’aurons pas les fournisseurs de soins de santé dont nous avons besoin. Comment allons-nous obtenir ces formulaires? Il s’agit du point d’entrée. Avez-vous des suggestions à ce sujet?
Mme Anderson : Je ne sais pas si ce que je vais dire est radical, mais, en somme, je crois qu’il faut examiner l’utilité de ces formulaires. Je ne parlerai qu’en mon nom, en tant que personne handicapée. Lorsque j’étais à l’école, à l’université, et lorsque j’ai décroché un emploi, j’ai dû remplir bon nombre de formulaires différents qui disaient tous la même chose. Est-il possible d’utiliser des formulaires déjà remplis et complétés? Nous pouvons faire preuve de créativité. Je vous remercie beaucoup d’avoir parlé de la pénurie de médecins de première ligne. Cette pénurie créera un autre obstacle.
Y a-t-il d’autres moyens de prouver que quelqu’un est admissible? Peut-on faire preuve de souplesse dans ce domaine? Le formulaire est-il la panacée? Nous savons qu’un grand nombre de personnes handicapées sont aux prises avec non seulement les problèmes que nous avons déjà évoqués, mais aussi que les frais à payer pour remplir les formulaires constituent un autre obstacle pour elles. Nous savons qu’il existe de nombreux obstacles à l’obtention d’un formulaire. Pouvons-nous penser à quelque chose d’autre que ce formulaire pour prouver qu’une personne est admissible?
La vice-présidente : Notre temps est presque écoulé pour cette question.
Le sénateur Kutcher : Je remercie tous les témoins de leur présence. Je vous suis reconnaissant de vos réflexions sur ce projet de loi très important. Je n’ai qu’une question à poser, et je souhaite l’adresser à Mmes Brayton et Walsh. La pauvreté sexospécifique est particulièrement répandue chez les personnes âgées. Statistique Canada nous apprend que 16,3 % des femmes âgées vivent avec un faible revenu, contre 11,9 % des hommes. Dans le projet de loi, les prestations d’invalidité ne s’appliquent qu’aux personnes en âge de travailler, ce qui, encore une fois, n’est pas assorti d’une définition.
Certains ont exprimé des préoccupations à ce sujet et ont dit que, si rien n’est changé, la pauvreté sexospécifique perdurera et pourrait même s’aggraver. J’aimerais connaître votre avis sur cet enjeu-là.
Mme Brayton : Je vous remercie. Sénateur, la personne la plus pauvre et la plus démunie de ce pays est une mère célibataire noire en situation de handicap. Je suis certaine de pouvoir vous transmettre des données à cet effet. Je ne nie pas que le sexe et l’âge constituent un énorme problème. Vous avez entendu M. Belanger et Mme Carr tout à l’heure à ce sujet. Ils ont dit que l’idée est d’accomplir un travail ciblé et de se concentrer sur les groupes qui vont faire avancer notre communauté. Je pense que le fait de se concentrer sur les Canadiens en âge de travailler dans ce projet de loi est un pas en avant, tout comme le sont la Loi canadienne sur l’accessibilité et toutes les autres mesures.
Je ne pense pas que c’est une panacée qui va tout régler, mais c’est la mesure structurelle la plus importante que nous puissions prendre après l’adoption du projet de loi, parce qu’il s’agit d’un message envoyé aux Canadiens partout au pays qui dit que nous allons appuyer le projet de loi avec des gestes, car ce projet de loi, ce n’est pas seulement des mots sur une page.
Je comprends votre question et la raison pour laquelle vous avez soulevé cet enjeu, mais je dois dire, en tenant compte de tous les faits — et comme je l’ai dit, nous faisons ce travail depuis près de 40 ans —, qu’il est évident que nous devrons commencer par adopter ce projet de loi en raison des femmes dont je vous ai parlé. Les femmes qui figurent sur ces notes autocollantes sont mortes. Elles ont perdu tout espoir parce qu’elles vivaient dans la pauvreté. Certaines d’entre elles étaient jeunes, d’autres étaient plus âgées. Certaines ne sont peut-être pas visées par ce projet de loi. Toutefois, si nous ne faisons rien, le Réseau d’action des femmes handicapées du Canada ne fera que répéter ce qu’il fait depuis 40 ans, c’est-à-dire demander au Canada de comprendre que les femmes et les filles handicapées ne peuvent plus continuer à vivre dans ces conditions dans ce pays.
Je ne sais pas comment les gens peuvent dormir la nuit, sachant que cette situation, je le répète, dure depuis 40 ans, même si nous avons un organisme — et je n’enlève rien aux autres organismes — qui aide les femmes et les filles depuis 40 ans. Rien n’a changé. Nous sommes toujours les plus pauvres. Nos communautés comptent toujours les taux de chômage les plus élevés, les taux de violence les plus élevés et les taux de pauvreté les plus élevés. Je vous remercie.
Le sénateur Kutcher : Je ne suis pas en désaccord avec vous. Je suis simplement préoccupé par cette pauvreté sexospécifique qui afflige les personnes âgées. Je me demande comment nous devrions aborder ce problème, car nous avons la possibilité de le faire avec ce projet de loi.
Mme Brayton : Il ne me reste pas beaucoup de temps, mais je vais vous dire rapidement que j’ai été présidente d’entreprises sociales au Québec à titre bénévole, qui fournissaient des services de soins à domicile aux personnes âgées et aux personnes handicapées. La majorité des femmes qui prodiguaient ces soins étaient des immigrantes racisées, souvent handicapées, dans la quarantaine et peu scolarisées. Grâce à l’entreprise sociale et à leur insertion professionnelle, nous leur avons donné accès à des régimes de pension — nous avons convaincu le gouvernement du Québec de reconnaître leur travail comme une profession en bonne et due forme —, nous avons permis à ces femmes de vivre dans la dignité et elles ont pu prendre leur retraite. Alors que j’étais en poste, j’ai vu certaines de ces femmes se faire embaucher puis prendre leur retraite avec une pension. Cela vous montre que nous pouvons aborder ces autres questions de différentes manières, et j’ai certainement beaucoup d’idées à vous transmettre à ce sujet, mais je suppose que mon temps de parole est écoulé.
La vice-présidente : Nous serions heureux de recevoir tout ce que vous aimeriez nous envoyer. Vous pouvez envoyer vos documents à notre greffière, et je sais qu’elle les distribuera à tous les membres du comité. Vous pouvez constater que ce sujet nous tient beaucoup à cœur.
La sénatrice Moodie : Merci beaucoup aux témoins pour leurs observations pertinentes. Vous nous avez aidés à mieux comprendre les défis variés auxquels sont confrontées les personnes handicapées noires, racisées et marginalisées, notamment les femmes. Vous avez attiré l’attention du comité sur la nécessité de travailler avec des données désagrégées. Comme ces données, faut-il le dire, n’existent pas, elles n’ont pas été prises en compte lors de la mise sur pied de la prestation. Aucun mécanisme qui permettrait de les recueillir n’est en place actuellement.
Des témoins des séances précédentes nous ont dit que la modélisation permettait de produire des projections en chiffres et des estimations ainsi que de comprendre les effets en chiffres absolus et l’incidence de l’intersectionnalité sur la pauvreté chez les personnes handicapées. Selon vous, comment pourrions-nous recueillir ces données? Quel rôle joueraient ces données dans l’administration et dans l’évaluation des impacts de la prestation au fil du temps?
Mme Anderson : J’ai l’impression que des données sont produites, mais qu’elles ne sont pas rendues publiques.
La sénatrice Moodie : Elles ne sont pas accessibles au public.
Mme Anderson : Elles ne le sont pas, en effet. Or, ces données devraient être analysées pour que le projet de loi soit rédigé de manière inclusive et qu’il ait une incidence sur les personnes les plus marginalisées. Après l’adoption du projet de loi, il faudra évidemment évaluer si la loi vise bel et bien les personnes les plus marginalisées.
Nous avons suggéré de faire des choses centrées sur la communauté et dirigées par des organisations ou des personnes noires et handicapées. Il faut recueillir des données sur les personnes touchées par le projet de loi, mais pas à des fins de surveillance. Souvent, les données sont associées à la surveillance. Elles doivent être recueillies dans un but bien précis afin, encore une fois, d’évaluer les impacts. Vous avez dit que le projet de loi avait pour objet de réduire la pauvreté. Le fait-il vraiment? Sur quelles personnes a-t-il une incidence? Qui a accès aux mesures qui y sont prévues?
Prenons par exemple le crédit d’impôt pour personnes handicapées. Des données désagrégées sur ce crédit d’impôt permettraient de savoir qui y a accès. Elles révéleraient quel groupe est surreprésenté et quel groupe est laissé pour compte. Ensuite, nous pourrions poser des questions après avoir constaté, par exemple, que les personnes noires handicapées n’ont pas accès au crédit d’impôt. Pourquoi n’y ont-elles pas accès? Y a-t-il des obstacles que nous pouvons éliminer?
Bref, la collecte de données désagrégées permettrait de vérifier que les personnes marginalisées ont accès aux prestations.
Mme Brayton : Merci pour la question. Nous n’arrêtons pas de soulever le problème et de le déplorer. Cela dit, je suis d’accord avec ce qu’a soulevé Mme Anderson à propos de la surveillance et de la crainte que peuvent ressentir certaines personnes à l’idée de s’auto-identifier. Je souscris également à certaines raisons soulevées par M. Akuoko qui expliquent que des personnes refusent de le faire. Si vous recueillez ces données, ce doit être dans le but de servir les gens sur lesquels vous voulez en savoir plus. Je ne peux pas vous donner une réponse précise aujourd’hui, sénatrice Moodie, sur ce que nous devrions faire et comment nous devrions le faire. Vous soulevez un point très important, tout comme ce que Mme Anderson a dit sur un modèle qui permettrait de vérifier que les personnes les plus marginalisées aient accès aux prestations.
Ce que je viens dire rejoint probablement ce sur quoi nous avons insisté toutes les deux, c’est-à-dire la nécessité de développer la capacité des organisations qui doivent établir des liens avec les communautés et bâtir la confiance. Le soutien par les pairs manque cruellement dans les communautés. Le travail sur la violence fondée sur le sexe effectué par le Réseau d’action des femmes handicapées du Canada repose entièrement sur le soutien par les pairs. Savez-vous pourquoi nous sommes les seules à venir témoigner? C’est parce que nous sommes la seule organisation vouée à la cause des femmes handicapées qui soit dirigée par des femmes. Nous avons beaucoup de pain sur la planche. Nous devons commencer par recueillir ces données et en faire bon usage.
La vice-présidente : Merci. Je suis désolée, sénatrice Moodie, mais notre temps est écoulé. Nous examinerons avec intérêt toute documentation que les témoins nous transmettront.
La sénatrice Lankin : J’ai une question rapide à poser à Mme Anderson. Ensuite, s’il reste suffisamment de temps, je céderai la parole à la sénatrice Moodie, à la sénatrice Bernard ou à la sénatrice Burey si elles veulent poser des questions à l’ASE en particulier. Nous n’avons pas souvent l’occasion d’entendre votre point de vue, et c’est important de saisir cette occasion.
Vous avez écouté les discussions tenues par les deux groupes de témoins aujourd’hui sur la différence stratégique des approches suggérées au comité. Ces deux approches consisteraient respectivement à modifier le cadre ou le contenu du projet de loi maintenant, ou à adopter le projet de loi pour ensuite apporter les modifications en tenant compte des points de vue qui seront exprimés lors des consultations. Vous avez dit que vous vouliez apporter des changements maintenant. Une autre option serait de consigner certains des commentaires et de les réintégrer plus tard dans le processus sous forme d’observations. Je vous invite à réfléchir à cette possibilité et à en discuter au sein de votre organisation. Seriez-vous à l’aise pour adopter le projet de loi tout de suite, mais de noter aussi les observations importantes?
C’est une question stratégique à laquelle vous n’avez pas besoin de répondre aujourd’hui. Vous pouvez nous dire si vous souhaitez la prendre en délibéré ou non.
Mme Anderson : Nous aimerions certainement y réfléchir, mais je maintiens que nous voulons être inclus dans le processus dès le début. Les commentaires formulés après-coup perdent de leur valeur. Nous voudrions y penser et vous soumettre notre réponse dans un mémoire.
La sénatrice Lankin : Je donne le reste de mon temps de parole à mes collègues.
La vice-présidente : Nous vous laissons avec plaisir réfléchir à cette question. Nous attendrons vos commentaires au plus tard le 14 avril. Nous pourrons ainsi en tenir compte dans la suite de nos travaux.
La sénatrice Dasko : Merci aux témoins. Vos commentaires nous sont vraiment utiles. Je voudrais approfondir avec Mme Anderson la question des amendements. Lorsque vous avez dit que le projet de loi devrait être modifié, vous avez pointé le critère d’admissibilité.
Je voudrais vous demander quel amendement vous vouliez nous proposer. Peu importe si nous tenons compte ou non de vos amendements, vous avez dit clairement que le projet de loi devrait être modifié. Pourriez-vous donner plus de détails?
Mme Anderson : Voulez-vous parler du critère d’admissibilité ou de tous les amendements?
La sénatrice Dasko : Vous pouvez parler de n’importe quel amendement, mais vous avez parlé de modifier ou de clarifier le critère d’admissibilité. Si vous avez d’autres amendements à suggérer, je vous demanderais d’être un peu plus précise, car ce n’était pas très clair. Comme vous le savez, le projet de loi énonce que le critère d’admissibilité sera déterminé à l’étape de la réglementation, mais vous, vous souhaitez apporter des modifications maintenant. Voudriez-vous décrire plus en détail ce que vous proposez?
Mme Anderson : Le projet de loi ne décrit pas assez clairement certaines notions. Il ne renferme pas de définition de handicap, même si — je le concède — la ministre Qualtrough a affirmé que ce point serait établi à l’étape de la réglementation. Au sujet de la définition de handicap et de l’opposition entre le modèle médical et le modèle social dont vous avez tous parlé, c’est ce vers quoi nous tendons, mais nous voulons également accroître l’inclusivité pour les personnes les plus marginalisées. Il ne faut pas exclure les communautés culturelles qui ont une conception différente de ce qu’est un handicap ou qui n’ont même pas accès au diagnostic officiel qui pourrait faire partie des critères d’admissibilité. Ces facteurs doivent être pris en compte.
Ensuite, il faut expliciter les mesures antidiscriminatoires, que ce soit dans le projet de loi ou dans les règlements, car comme je l’ai dit, les personnes noires qui se présentent à un centre de service s’adressent à un agent qui peut être influencé par des idées préconçues sur les personnes handicapées ou les handicaps. Je pense que les idées figées sur ce qui est considéré comme un handicap font en sorte que les personnes qui n’entrent pas dans ce moule n’ont peut-être pas accès aux services dont elles ont besoin.
Un des derniers amendements dont nous avons parlé est l’importance d’établir une stratégie de mobilisation pour faire connaître le projet de loi aux personnes intéressées pour que ces dernières en comprennent les rouages et sachent qui est admissible. Cette sensibilisation est vraiment importante. En fait, nous devrions participer à la rédaction des mesures qui nous sont destinées, car nous connaissons les nuances et nous savons où se trouvent les barrières et les disparités.
La sénatrice Dasko : Ce que vous venez de proposer fait-il partie du processus d’amendement? Devrions-nous inscrire tout de suite dans le projet de loi la promotion des prestations et la sensibilisation auprès des communautés au lieu d’attendre à l’étape de la réglementation?
Mme Anderson : Oui. La lutte contre la discrimination est importante également. Je le répète, l’inclusivité doit être énoncée dans le projet de loi. Vous devez établir explicitement le statut prioritaire des personnes « multimarginalisées » qui sont touchées de façon disproportionnée par la pauvreté. La réduction de la pauvreté qui sévit dans cette population doit être un objectif.
Le principe d’universalisme ciblé est avantageux pour tout le monde même si des catégories de personnes sont visées. Prenons les exemples concrets des rampes d’accès et des ascenseurs. Ces infrastructures sont destinées aux personnes handicapées, mais elles revêtent aussi une utilité pour le reste de la population.
La sénatrice Dasko : Je ne parvenais pas à me faire une idée claire du contenu des amendements. Merci beaucoup.
La vice-présidente : Monsieur Akuoko, vous n’avez pas eu l’occasion de répondre à la question de la sénatrice Burey. Il vous reste une minute ou deux. Je me demandais si vous vouliez avoir le mot de la fin.
M. Akuoko : Au fait, quelle était la question? Je suis désolé.
La sénatrice Burey : J’ai tellement de questions en tête. Je pense avoir mentionné l’opposition entre la loi et les règlements.
M. Akuoko : Je crois que j’avais soulevé la question des formulaires entre autres. Comme le disait Mme Anderson, cet aspect est vraiment important. Même dans le cadre de mon travail de défense des droits et de promotion de l’accessibilité, je croule sous les formulaires. En une année, il peut y avoir six ou sept formulaires à remplir pour accéder aux technologies, aux études postsecondaires ou au transport accessible. Il faut à tout prix tenir compte de cet aspect et peut-être trouver un moyen universel de suivre les personnes handicapées et d’alléger les processus au lieu de mettre ces personnes au pied du mur en les obligeant à trouver ces formulaires ou un médecin de famille, par exemple. C’est un autre sujet de discussion, mais certaines tranches de la population trouvent difficile d’accéder à un médecin de famille. Il faudrait déterminer différents moyens d’obtenir une preuve du handicap.
La vice-présidente : Je dis souvent que nous n’avons pas assez de 24 heures dans une journée. Les discussions que nous avons eues aujourd’hui et dans les derniers jours ont été tellement riches. Je voudrais vous remercier.
Nous pourrions continuer indéfiniment. Vous avez contribué immensément à notre étude sur ce projet de loi qui comportait différents champs d’intérêt et différentes perspectives. Les témoins ont soulevé des difficultés concrètes qui ont fait progresser nos délibérations.
Au nom du comité et de toutes les personnes qui sont touchées par le projet de loi partout au Canada, je vous remercie de votre présence parmi nous aujourd’hui, de votre candeur, de votre honnêteté et de votre intégrité à l’égard de vos circonstances personnelles. Je sais à quel point en parler peut être difficile.
Nous sommes reconnaissants de tout ce que vous avez fait pour nous. Je vous prie de nous transmettre tout autre commentaire que vous voudriez ajouter ou tous les faits et toutes les données qui pourraient aider le comité.
(La séance est levée.)