LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 9 février 2022.
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 heures (HE), par vidéoconférence, pour l’étude du projet de loi S-209, Loi instituant le Jour commémoratif de la pandémie.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je suis Ratna Omidvar, sénatrice de l’Ontario et présidente de ce comité.
Nous commençons notre étude du projet de loi S-209, Loi instituant le Jour commémoratif de la pandémie.
J’aimerais vous présenter notre premier témoin, notre collègue, l’honorable sénatrice Françoise Mégie, du Québec, marraine du projet de loi. J’invite la sénatrice Mégie à faire sa déclaration. Afin de nous garder tous sur la bonne voie, je tiens à vous informer que vous ne disposerez que de cinq minutes pour votre déclaration. Si vous me voyez lever la main comme ceci, cela signifie que vous êtes près de la marque des 10 secondes et que je vous demande de conclure. Je ne souhaite pas nécessairement vous interrompre, alors soyez attentive à ma main levée. Merci, sénatrice Mégie. La parole est à vous.
[Français]
L’honorable sénatrice Marie-Françoise Mégie, marraine du projet de loi : Bonjour, chers collègues. Je suis heureuse de vous revoir, même virtuellement, à cette reprise des travaux parlementaires. Je vous remercie de considérer le projet de loi instituant le Jour commémoratif de la pandémie. Le projet de loi S-209 a trois objectifs : s’en sortir, se souvenir et se préparer. Le projet de loi désigne le 11 mars comme date, car c’est le 11 mars 2020 que l’épidémie de COVID-19 a été caractérisée de « pandémie » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
En date d’aujourd’hui, l’Université Johns Hopkins a recensé mondialement plus de 400 millions de cas de COVID-19 et près de 6 millions de personnes décédées des suites de la COVID. Au Canada, il y a eu plus de 3 millions de cas et près de 35 000 personnes en sont décédées.
Le Jour de la pandémie serait utile pour s’en sortir. Nos gouvernements font d’énormes efforts en ce sens, que ce soit par l’appui à la population et aux entreprises, à la recherche de traitement, par la prévention de la transmission et l’immunisation collective.
Nous sommes privilégiés au Canada d’avoir atteint des niveaux élevés de vaccination. J’espère que ce projet de loi nous incitera à continuer les discussions, à intervalles réguliers, sur les manières les plus efficaces de contrôler la transmission, et peut-être même d’éradiquer la COVID-19 — en d’autres mots, à s’en sortir.
Le Jour de la pandémie serait nécessaire pour s’en souvenir. Rappelons qu’en 2021, le gouvernement du Canada, emboîtant le pas à l’OMS, désignait aussi le 11 mars 2021 comme journée nationale de commémoration pour rendre hommage aux personnes qui ont perdu la vie et souligner les répercussions importantes que nous avons tous ressenties à cause de la COVID-19.
En désignant le 11 mars comme Jour commémoratif de la pandémie, le projet de loi S-209 assurera que la commémoration se fait chaque année. Il permettra ainsi de reconnaître et d’honorer le courage, l’abnégation et le dévouement des travailleurs essentiels, ces travailleurs qui œuvrent dans tous les secteurs du système de santé et qui font d’énormes sacrifices, même parfois au détriment de leur vie. Pensons aussi aux travailleurs essentiels des autres domaines comme le transport, la sécurité, la restauration, etc., et aux bénévoles contribuant à l’effort collectif.
C’est dans cet esprit que l’Association du taxi du Canada a appuyé le projet de loi S-209.
D’autre part, le Jour de la pandémie perpétuera annuellement le souvenir des gens qui ont été touchés par la pandémie et nous permettra de penser aux personnes décédées, parfois seules en institution pour personnes âgées, et aux familles endeuillées.
La protectrice du citoyen du Québec a recommandé dans son rapport, et je la cite :
l’instauration d’actes de commémoration annuelle des victimes de la COVID-19 et des personnes qui ont travaillé directement ou indirectement auprès d’elles afin de garder en mémoire ce qu’elles ont traversé [...].
Honorables sénateurs, ce rapport démontre l’importance d’agir dans le sens proposé par ce projet de loi. Les répercussions de la pandémie se feront sentir encore longtemps. Ses impacts sur nos sociétés s’étendront sur plusieurs générations. Ils se sont déjà traduits par la rupture des liens familiaux, la déshumanisation des liens professionnels et l’isolement des gens les plus vulnérables de notre société.
Nous, comme les autres personnes qui traversent l’épreuve de la COVID-19 et aussi comme parlementaires, avons un devoir de mémoire, un devoir de nous souvenir.
Le Jour de la pandémie aiderait à se préparer à la prochaine pandémie. L’ouvrage du professeur Denis Goulet, Brève histoire des épidémies au Québec : Du choléra à la COVID-19, nous apprend que les pandémies sont cycliques. La question n’est pas de savoir si une prochaine pandémie peut arriver, mais quand elle arrivera.
C’est dans cette optique que nous avons le devoir de nous y préparer en élaborant les meilleures stratégies pour y faire face à nouveau. C’est dans le contexte pandémique de la grippe espagnole que le Canada a mis sur pied les agences de santé publique. Espérons que cette pandémie nous offrira l’occasion d’améliorer nos processus pour toute urgence sanitaire.
Enfin, j’espère que le Sénat adoptera ce projet de loi d’ici le 11 mars prochain.
Je vous remercie pour le temps que vous m’avez accordé aujourd’hui et de l’attention que vous portez au projet de loi du Jour commémoratif de la pandémie. Je vous remercie.
[Traduction]
La présidente : Merci, sénatrice Mégie. Vous avez pris bien moins que le temps imparti. C’est vraiment agréable de vous voir, ne serait-ce que virtuellement.
Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Comme d’habitude, j’aimerais rappeler à chaque sénateur que vous avez cinq minutes pour poser vos questions et que ce temps inclut les réponses. Si vous souhaitez poser une question, veuillez utiliser la fonction « Lever la main » dans Zoom. Si vous êtes dans la salle, veuillez faire signe à la greffière en utilisant le bouton « Lever la main ».
[Français]
La sénatrice Verner : Je n’ai pas véritablement de question à poser à la sénatrice Mégie. Je pense que son discours parle de lui-même. J’exprimerai simplement un commentaire.
Au Québec, là où se trouve la grande majorité des décès, particulièrement chez nos personnes âgées, j’espère qu’en prévision d’autres pandémies — qu’on ne souhaite pas connaître, mais que de façon cyclique, on pourrait être appelés à connaître — on apprendra à prendre soin de nos populations vulnérables et particulièrement de nos aînés, qui encore une fois au Québec, avec la cinquième vague, sont celles qui sont le plus touchées. C’était simplement un commentaire, mais félicitations, sénatrice Mégie, pour votre initiative.
La sénatrice Mégie : Merci pour votre commentaire, sénatrice Verner, parce que je suis tout à fait d’accord avec vous et je pense qu’il devrait y avoir un suivi. Justement, quand je parlais du rapport de la protectrice du citoyen du Québec, elle était chargée de faire un rapport sur l’hécatombe qui s’est produite lors de la première vague de la COVID-19 dans les CHSLD.
C’est de ce rapport que j’ai extrait la citation concernant sa recommandation no 27, qui propose qu’une période soit consacrée à la commémoration de la pandémie.
[Traduction]
La présidente : La sénatrice Bovey se joint à nous. Nous ne lui donnerons pas la parole tout de suite, mais nous lui donnerons la possibilité de poser des questions un peu plus tard.
Le sénateur Kutcher : Je remercie ma collègue, la sénatrice Mégie, pour cet important projet de loi.
Malgré la pandémie qui s’éternise, on continue de voir des gens remettre en doute l’efficacité des vaccins pour prévenir les hospitalisations et les décès. On continue de voir des tas et des tas de fausses informations, de désinformation sur les traitements efficaces, notamment sur l’ivermectine, qui n’en est clairement pas un. On continue même de voir des gens nier l’existence même de la COVID. Certains participants au convoi devant les portes du Parlement ont abondamment écrit qu’il s’agissait d’un complot de Bill Gates visant à injecter des puces électroniques dans les gens et à les contrôler au moyen des réseaux 5G. Ce jour commémoratif de la pandémie pourrait être une excellente occasion d’aider les Canadiens à faire face à la désinformation scientifique. Avez-vous des idées de la façon dont cela pourrait se faire?
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci, sénateur Kutcher, de cette question. Je pense qu’en adoptant ce projet de loi, cela aidera surtout par la pérennité et par le fait que ce sera annuel; il y aura une répétition. Chaque commémoration sert à se rappeler ce qui s’est passé, que ce soit les choses dramatiques ou les preuves de solidarité et d’empathie que la communauté a pu mettre en œuvre. Tout cela sera commémoré grâce à ce projet de loi, s’il est adopté. Cela permettrait de faire un retour sur cet événement chaque année, et on espère que cela convaincra certaines personnes, mais là n’est pas l’objectif du projet de loi; il est fait pour qu’on se souvienne, qu’on prenne les mesures nécessaires pour mettre fin à la pandémie et pour se préparer pour le futur.
[Traduction]
La présidente : Sénateur Kutcher, vous êtes désavantagé parce que je n’ai pas la greffière à mes côtés pour me dire combien de minutes il vous reste. Je suppose que vous avez encore un peu de temps. Voulez-vous poser une question complémentaire ou attendre au deuxième tour?
Le sénateur Kutcher : Je m’arrêterai ici pour tout de suite et attendrai le deuxième tour.
Merci beaucoup, sénatrice Mégie.
La présidente : Sénatrice Bovey, comme vous êtes vice-présidente du comité, vous serez la suivante.
La sénatrice Bovey : Je suis désolée de mon petit retard. J’étais vraiment absorbée par l’allocution du ministre de la Santé et j’ai ensuite eu besoin d’une petite pause santé moi-même.
[Français]
Sénatrice Mégie, merci pour ce projet de loi. Je crois que c’est un projet de loi important et je vous remercie de votre travail. Je pense que cette journée en sera une pour tous les citoyens et toutes les citoyennes du Canada.
[Traduction]
J’ai une question, cependant. Je comprends que vous dites que le but de ce projet de loi est de nous souvenir de ce qui s’est passé. J’ai le sentiment que nous n’oublierons jamais cette pandémie, donc comme nous l’observons et que nous nous en souvenons, quel est l’objectif principal? S’agit-il de nous souvenir des personnes en première ligne? S’agit-il de nous souvenir de ceux qui ont beaucoup souffert, sur le plan de la santé et de l’emploi, pendant la pandémie? Je me demande si nous ne pourrions pas être un peu plus précis quant à l’intention.
En même temps, voici ma deuxième question : serait-ce l’occasion pour nous de nous souvenir des pandémies passées, comme de l’épidémie de grippe ou de l’épidémie de polio? Je me souviens très bien que, dans mon enfance, des amis avaient contracté la polio et que nous faisions tous la queue à l’école pour recevoir une injection. Est-ce que cela va au-delà — et je n’ose pas dire de « la COVID seulement » —, mais est-ce que ce serait la journée nationale des pandémies, soit « de la pandémie de COVID et des autres »?
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci pour votre question, sénatrice Bovey. Quand on dit « se souvenir », il s’agit de se souvenir de la tragédie au complet, c’est-à-dire les personnes qui ont été gravement malades et qui ont souffert, les personnes qui sont décédées toutes seules sans leurs proches, et leurs proches qui ont souffert et qui souffrent encore, parce qu’ils n’ont pas pu faire leur deuil. Certaines entreprises de pompes funèbres n’ouvrent pas encore, et plusieurs n’ont pas eu la chance de faire de rituel de deuil. Tous ces gens sont souffrants.
Il s’agit aussi des travailleurs de la santé qui sont en première ligne, qui sont encore en train d’en prendre soin et qui sont exténués. Il faut honorer leur courage. Il ne s’agit pas strictement des professionnels de la santé, il s’agit aussi de tous les autres travailleurs essentiels. Comme je l’ai dit dans mon discours, ceux qui travaillent dans le transport, dans l’alimentation, dans la restauration, tous ces gens qui ont contribué, parfois de façon bénévole, à mettre toutes leurs forces en commun et à démontrer leur solidarité pour soutenir ces personnes. Cette journée-là, il faudrait honorer toutes ces personnes et que ceux qui ont un lien de près ou de loin avec elles puissent se recueillir avec elles et se souvenir avec elles. Voilà pourquoi c’est important.
[Traduction]
La sénatrice Bovey : Sénatrice, cela pourrait-il s’étendre aux pandémies passées, pendant lesquelles bien des personnes ont également perdu des êtres chers, ont souffert ou étaient en première ligne?
[Français]
La sénatrice Mégie : Cela pourrait être possible et on pourrait le voir. Cependant, là n’est pas le but, mais si cela peut servir et être utile, c’est possible.
La sénatrice Bovey : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Patterson : Merci, sénatrice Mégie.
J’ai quelques questions. Premièrement, il est écrit dans le préambule de votre projet de loi que le 11 mars 2021 a été désigné par décret et par proclamation. Ma première question est la suivante : pourquoi avons-nous besoin d’un projet de loi s’il a déjà été proclamé et désigné par le gouvernement par décret?
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci de votre question, sénateur.
Le décret, c’était pour consacrer une journée, mais pas une journée à répétition. C’était la journée du 11 mars 2021 seulement. Ce que le projet de loi S-209 propose, c’est une journée de commémoration annuelle.
[Traduction]
Le sénateur Patterson : Deuxièmement, le projet de loi crée le Jour commémoratif de la pandémie, mais ne comprend pas de définition du terme pandémie, ni de description de l’intention. Vous avez parlé dans votre exposé de s’en sortir, de se souvenir et de se préparer, mais ni le projet de loi ni le préambule — qui, nous le savons, ne sont pas définitifs — ne font mention de s’en sortir et de se préparer. J’aimerais vous demander pourquoi l’intention du projet de loi n’est pas décrite dans le projet de loi S-209. Serait-ce quelque chose à corriger?
[Français]
La sénatrice Mégie : Dans le préambule, il est écrit « coronavirus (COVID-19) ». Donc, cela a été identifié dans le préambule. Pour les trois volets, peut-être qu’on pourrait voir avec vous, dans un deuxième temps, s’il y a quelque chose à faire. Une fois que c’est noté ici, je pense qu’on peut dire qu’en fêtant la pandémie — pas « fêtant », mais en commémorant la pandémie —, on pourrait en reparler, se remémorer et toujours revenir avec des discussions pour savoir quoi faire pour que cela ne se répète pas les années suivantes — et je ne parle pas de la pandémie, mais des mesures qu’on devrait prendre pour que cela ne se répète pas les années suivantes.
[Traduction]
Le sénateur Patterson : Si vous me le permettez, madame la présidente, j’aimerais poser une question complémentaire.
La présidente : D’accord.
Le sénateur Patterson : Madame la sénatrice, dans le préambule, auquel vous venez de faire référence, il n’est fait mention que de souligner le travail des personnes œuvrant en première ligne et les répercussions graves de la COVID-19, mais il n’est pas question de préparation, comme dans vos observations préliminaires, afin d’en tirer des leçons pour l’avenir et de s’en sortir. Le préambule ne devrait-il pas, à tout le moins, inclure ces concepts que vous avez décrits avec beaucoup d’éloquence : s’en sortir, se souvenir et se préparer? Pourrait-il être amélioré?
[Français]
La sénatrice Mégie : Ce serait quelque chose à discuter, mais, en fin de compte, cette définition a déjà été proposée comme telle; comme vous le dites, la discussion pour voir s’il manque quelque chose. La définition du titre a été proposée comme telle, tant par le gouvernement canadien que par les autres instances. En Angleterre, on a aussi proposé quelque chose comme cela. On n’a pas voté, mais on l’a proposé aussi. Il y a plusieurs instances qui le proposent, toujours pour faire la commémoration de la pandémie.
La sénatrice McPhedran : Sénatrice Mégie, je vous remercie pour ce projet de loi important. Pourriez-vous, s’il vous plaît, nous présenter comment ce projet de loi, s’il est adopté, aidera à effectuer des changements systémiques pour la capacité du Canada à répondre aux pandémies futures?
La sénatrice Mégie : Nous pensons que toute commémoration nécessite un temps de pause. Quelle que soit la commémoration, c’est un temps de pause pour réfléchir à ce qui s’est passé et justement en tirer des leçons pour l’avenir. Ce sont les leçons pour l’avenir qui vont être utiles pour savoir comment on va mettre en place d’autres mesures, comme je l’ai dit dans mon discours, qui pourraient permettre que le Canada se dote d’autres moyens pour faire face à une prochaine pandémie.
Comme on veut soulever la commémoration, cette journée sera consacrée à cela, mais pas pour donner les détails de ce qu’il faut faire, parce que les gouvernements peuvent faire ce qu’ils veulent en fonction de ce qu’ils vont recueillir comme information de la population. Peut-être qu’ils vont demander des rapports, des discussions. Ils vont agir en fonction de ce qui va ressortir de ces rapports. Cela ne viendra pas du projet de loi. Le projet de loi S-209 va être comme un catalyseur. La journée de commémoration peut éventuellement servir à cette réflexion. Le fait que ce sera annuel apportera des discussions annuelles.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Merci, sénatrice Mégie, pour votre exposé d’aujourd’hui.
Ma question fait presque suite à la question posée un peu plus tôt par le sénateur Kutcher, mais elle est posée sous un angle légèrement différent. Je suis très enthousiaste à l’idée d’une campagne de marketing social qui pourrait accompagner le Jour commémoratif de la pandémie. Nous savons qu’il y a de nombreuses journées au Canada pour souligner différentes conditions et maladies. Je pense en particulier au mois entier que nous consacrons à la lutte contre le tabagisme. Pendant cette période, diverses campagnes de marketing social sont menées contre le tabagisme. Je me demande s’il serait possible que cette journée soit marquée non seulement par des activités de commémoration, mais aussi par une importante campagne de marketing social pour promouvoir les vaccins ou toute autre activité utile et bénéfique connexe. Qu’en pensez-vous? Le gouvernement pourrait-il y réfléchir ou pensez-vous que ce serait quelque chose qui pourrait être fait en association avec cette journée?
[Français]
La sénatrice Mégie : Les campagnes sur les médias sociaux, la diffusion de l’information et tout cela, ce sont des moyens pour arriver aux buts, soit ceux que le gouvernement se sera fixés ou que la population se sera fixés. Cela fait partie des moyens. Le projet de loi, lui, donne la possibilité, justement, d’avoir un temps pour penser à tout cela. Alors ce temps, dépendant de ce que le gouvernement veut faire ou de ce que la population veut faire — parce que la population aussi va vouloir se recueillir et faire des activités —, ce sera à eux de penser de quelle façon ils vont diffuser l’information, par les médias sociaux ou d’autres façons. Ce sont les moyens qu’ils vont utiliser. Le projet de loi S-209 ne parle pas des moyens à prendre. On consacre la journée pour permettre aux gens de réfléchir.
La sénatrice Petitclerc : J’ai une question qui se veut un commentaire. Je tenais d’abord à prendre la parole...
Mme Mugny : Je regrette de vous informer que votre micro est mal branché.
[Difficultés techniques]
La sénatrice Petitclerc : Je tenais juste à vous dire merci et félicitations.
La sénatrice Mégie : Merci.
[Traduction]
La présidente : Nous entendrons la sénatrice Bernard pendant que la sénatrice Petitclerc essaie de régler son problème informatique.
La sénatrice Bernard : Sénatrice Mégie, je suis désolée d’avoir manqué votre déclaration préliminaire parce que je suis arrivée en retard à la réunion, alors pardonnez-moi si vous avez déjà répondu à ma question. Pouvez-vous nous éclairer sur la façon dont ce jour commémoratif est lié à d’autres jours commémoratifs déjà observés au Canada? Avez-vous fait des recherches à ce sujet? En avez-vous discuté?
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci, sénatrice Bernard.
Vous savez, il n’y a pas de parallèle à faire avec d’autres journées. Chaque tragédie et chaque événement marquant peut avoir sa journée de commémoration. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait un lien.
Ce que j’ai pu voir en fouillant, justement, c’est que l’Angleterre a commencé à brasser les idées, mais on n’a pas encore proposé de projet de loi. Il y a des infirmières et des professionnels de la santé qui commencent à envoyer des notes pour que l’on consacre une journée à cette commémoration. Ils n’ont pas encore choisi de date, pas du tout.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Une de mes questions a trait à la réflexion. Je sais que vous avez dit que c’était une journée de réflexion, mais parlons action. Cela rejoint peut-être la question de la sénatrice Dasko, je n’en suis pas sûre. Je me demande si vous avez réfléchi aux actions qui pourraient être entreprises dans le cadre de cette journée. Je pense notamment aux effets de cette pandémie sur la santé mentale, dont nous entendons beaucoup parler, particulièrement chez les jeunes; à ses répercussions sur les parcours éducatifs, particulièrement chez les jeunes, encore une fois; à ses répercussions sur ceux qui sont déjà confrontés à une certaine forme de défi ou de désavantage; à ses conséquences sur les nombreuses personnes confrontées à des deuils et à des pertes. Cette journée donnera-t-elle lieu à des actions d’une manière ou d’une autre? Si vous pouviez nous donner votre point de vue là-dessus, nous vous en serions reconnaissants. Merci.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci pour la question, sénatrice Bernard.
C’est là la richesse de ce projet de loi : il laisse le champ libre à tous les groupes, parce que la souffrance de l’un n’est pas la souffrance de l’autre. Quand on va proposer cette journée de recueillement et de réflexion, chaque groupe, chaque personne et chaque famille pourra choisir sa façon de la commémorer dépendant de son degré de souffrance, dépendant de ce qu’il ou elle a vécu, dépendant de ce que la population aura vécu, un groupe donné ou une population donnée. Là est la richesse de ce projet de loi : il laisse libre cours à la réflexion et à l’action.
L’action ne sera pas prise par le projet de loi; il n’est pas là pour dire quelle action prendre. Le projet de loi donne la possibilité de réfléchir et les groupes et les populations peuvent décider. Par exemple, les professionnels de la santé peuvent choisir de commémorer la journée d’une certaine façon; les étudiants et les jeunes, un groupe de personnes souffrant de problèmes de santé mentale peuvent choisir de la célébrer d’une certaine façon. Cela est la richesse de ce projet de loi : il donne le champ libre à tous ceux qui veulent commémorer la journée de le faire à leur façon. Il peut y avoir des rituels selon la culture de la personne, donc c’est varié. Cela ouvre la porte à tout cela. Au contraire, le projet de loi ne met pas de barrière.
[Traduction]
La présidente : Sénatrice Mégie, pendant que nous attendons que la sénatrice Petitclerc ait résolu ses problèmes techniques, vous pourriez peut-être répondre à quelques questions de ma part.
Dans votre allocution de deuxième lecture, vous avez dit très justement qu’il n’y a qu’une seule façon de sortir de cette pandémie, et c’est de le faire ensemble. Mais réfléchissons à cela dans le contexte de ce qui se passe à Ottawa et dans d’autres régions du pays avec le « convoi de la liberté ». Comment pensez-vous que ce projet de loi, cette commémoration du passé ou du présent, selon le cas, aidera à unir notre pays et à aplanir les divisions qui sont si fortes aujourd’hui?
[Français]
La sénatrice Mégie : Dans la vie, ce qu’on remarque, c’est que lors d’une tragédie ou d’un événement marquant, il y a beaucoup de gens qui se réunissent. Cela peut créer des raisons pour s’unifier. À mon humble avis, cela peut permettre d’ouvrir — l’unité vient de tous ceux qui veulent commémorer cette journée étant donné qu’elle leur donne le temps de réfléchir pour savoir quoi faire. C’est de là que viendra une sorte de cohésion sociale, dépendant de l’acte qu’on veut poser et de son but. Cela prend un moment. Les jours passent, les choses vont vite. Les médias sociaux envoient plein de messages, tout va vite. L’oubli aussi vient vite. Pour qu’il y ait place à l’expression de la solidarité et de la cohésion sociale, cela prend une journée consacrée à cela. C’est cette journée consacrée que le projet de loi veut apporter.
[Traduction]
La présidente : Merci.
Comme la sénatrice Bernard, je serais curieuse de savoir quelle forme cela prendra. Prenons l’exemple de la Journée de l’alphabétisation familiale, je sais ce que fait notre bibliothèque locale. C’est un bon exemple de ce qui se fait. Imaginez-vous peut-être dans un hôpital, un milieu que vous connaissez bien, en tant que médecin, ou dans un foyer de soins de longue durée. Quelles activités y aurait-il? Comment commémorerait-on cette pandémie dans ces milieux?
[Français]
La sénatrice Mégie : Le projet de loi ne dit pas comment faire. À chacun sa façon de faire. Par exemple, dans un centre pour personnes âgées, il y a des gens responsables de la récréation. Leur rôle est de réunir les gens et de le faire selon les cultures. Certains vont prier, certains vont se recueillir pour les personnes décédées, etc. Chacun va choisir selon ses croyances, sa culture et les dommages qu’il a subis : les dommages en matière de santé, mais aussi les dommages qui affectent la santé économique. Chacun va trouver sa façon de faire. C’est pourquoi le projet de loi ne va pas dire à chacun quoi faire. Il donne à chacun l’espace nécessaire pour y penser et pour élaborer son propre plan, afin de faire ce qu’il veut pour commémorer cette journée.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : Sénatrice Mégie, nos collègues ont parlé de l’importance de l’action, et je comprends très bien ce que vous dites — l’enjeu ici est que les gens choisissent les actions qui leur semblent les plus appropriées. Je pense que c’est une excellente façon d’aborder la question. Ce n’est pas prescriptif; c’est encourageant et prometteur. Si vous deviez conseiller une autorité sanitaire — non pas à titre de sénatrice, mais à titre de médecin conseillant une autorité sanitaire — quelles sortes de pistes donneriez-vous à l’autorité sanitaire pour commémorer ce genre de journée?
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci, sénateur Kutcher, pour votre question-piège. Supposons que je ne sois pas sénatrice, mais simplement médecin, cela serait surtout sur le plan de la santé. Je vais leur dire de se rappeler ce qui a été fait et les manques qui ont eu lieu, et de tirer des leçons de tout cela pour pouvoir aller de l’avant et mettre en place des structures pour qu’on ne soit pas en mauvaise posture une prochaine fois. C’est très important. Cependant, cela ne donne pas lieu à une commémoration. La commémoration serait peut-être de s’asseoir ensemble — les différents acteurs, les gestionnaires — pour pouvoir faire ce post-mortem, pour être en mesure d’aboutir à ces réflexions.
[Traduction]
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie.
La sénatrice Bovey : Ma question fait suite à celles du sénateur Kutcher, de la sénatrice Bernard et de tous ceux qui voulaient savoir quels gestes pourraient être posés et à quoi tout cela pourrait être relié. Je voudrais me faire une meilleure idée de ce que vous entrevoyez.
Nous nous rappelons tous du moment où notre planète a été bouleversée par la pandémie de sida. Dans le monde d’où je viens, le milieu artistique, le 1er décembre est consacré à la Journée sans art. À l’instar de ce que propose la sénatrice Mégie, on marque ainsi à l’échelle planétaire une pause vouée à la reconnaissance, à la commémoration et à la réflexion. Les diverses institutions de par le monde et au Canada soulignent le Jour sans art de bien des manières différentes. Certaines ferment leurs portes; d’autres drapent de noir les œuvres d’art; d’autres encore tiennent des activités spéciales. La journée a été créée pour honorer la mémoire des disparus et rendre hommage aux chercheurs. Nous n’avons toujours pas de vaccin contre le sida, mais on peut s’en remettre à une thérapie combinant plusieurs médicaments. C’est aussi l’occasion de souligner l’apport des médecins et des travailleurs de première ligne qui traitent les patients souffrant du sida, et de reconnaître la grande perte subie par les proches des victimes. Cette journée spéciale tire son origine de la crainte d’une maladie dont personne ne connaissait les causes. Nous pensions en fait les connaître. Il y a des préjugés contre certains segments de la société.
Je voudrais savoir, sénatrice Mégie, si la Journée sans art est un exemple dont vous pourriez vouloir vous inspirer pour faire la promotion de votre projet de loi étant donné qu’il s’agit également d’un événement commémoratif visant à souligner l’apport des chercheurs et des travailleurs de première ligne et à rendre hommage aux disparus, tout en se tournant malgré tout résolument vers l’avenir.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci, sénatrice Bovey, pour votre question. Vous venez de décrire tous les moyens et toutes les actions que l’on peut prendre. Même si ce n’est pas le projet de loi qui vous le prescrit, celui-ci donne l’espace à la population pour y penser et pour penser à faire un suivi de tout ce que le gouvernement a déjà fait contre la COVID-19. Cela peut être un bilan de tout cela.
Cela peut être aussi, comme vous l’avez dit, une journée sans activités. Ce qui me vient en tête — et pour répondre par ricochet au sénateur Kutcher, qui m’avait demandé ce que je ferais en tant que citoyenne — pourrait être aussi simple qu’une journée où tout le monde se lave les mains, pour apprendre à se laver les mains pour une prochaine pandémie. Cependant, cela ne vient pas du projet de loi, cela vient du temps que le projet de loi laisse pour réfléchir. Par exemple, les professionnels de la santé pourraient décider que dans leur hôpital et dans plusieurs hôpitaux de la région, ils surveillent le lavage des mains. C’est quelque chose qui pourrait sensibiliser le public.
Je suis contente que vous m’ayez donné tous ces exemples du SIDA, parce que cela donne des suggestions aux membres de notre comité pour savoir quelles sont les actions que les gens peuvent faire. Cette journée, quand on y réfléchit, peut servir à appeler le gouvernement à agir, selon le groupe qui réclame l’action.
[Traduction]
La sénatrice Bovey : Dans le cas du sida, l’initiative a été accueillie très positivement et les gens y ont adhéré rapidement. Les coûts sont minimes, si ce n’est ceux engagés pour draper les œuvres de noir ou organiser des activités spéciales. C’était tout ce qu’il y a de plus simple et direct.
[Français]
La sénatrice Bovey : Je pense que dans le cas de la Journée sans culture, c’était une réponse très rapide qui engageait beaucoup de personnes dans tout le pays et qui ne coûtait rien. C’était très simple.
La sénatrice Mégie : C’est bien, oui.
[Traduction]
Le sénateur Patterson : Sénatrice, pourquoi le 11 mars a-t-il été retenu? Est-ce que cette date a une signification particulière dans le contexte de la pandémie de COVID-19?
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci, sénateur, pour cette question. Cette date a une signification; le 11 mars est la journée où l’OMS a décrété que ce qui était considéré comme une épidémie était devenu une pandémie.
[Traduction]
Le sénateur Patterson : Merci beaucoup.
Je suis tout à fait prêt à reconnaître que ce projet de loi a un objectif fort louable. Cependant, je suis au Sénat depuis un bon moment déjà et je suis presque sûr que certains de nos honorables collègues ou même d’autres observateurs vont s’exclamer : « Oh non, pas encore une autre journée commémorative. Bientôt, il ne restera plus de date dans le calendrier. » J’ai déjà entendu des commentaires semblables au sujet de projets de loi comme celui-ci. Avez-vous une idée du nombre de journées dans l’année que le Parlement du Canada a déjà désignées de la sorte?
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci beaucoup pour la question, sénateur. Je pense qu’il y en a beaucoup, mais je ne pense pas que cela empêche l’idée de permettre aux gens qui ont souffert et à ceux qui ont travaillé fort pour sauver des vies de trouver un espace pour se remémorer et pour entamer leur deuil. Comme je l’ai mentionné, les personnes souffrantes étaient des malades, mais il y a également leurs proches qui restent endeuillés. Il leur faut un espace pour vivre leur deuil.
Lorsqu’on n’a pas vécu cela, peut-être qu’on peut se dire que le fait d’instaurer une autre journée est exagéré. Cette journée n’est pas fériée, donc cela ne devrait pas déranger quoi que ce soit sur le plan économique. Cependant, les gens qui ont souffert et qui souffrent encore ont besoin de cet espace.
Le sénateur Patterson : Merci beaucoup.
[Traduction]
La présidente : Je vais peut-être pouvoir vous poser ma question, sénatrice Mégie. Parmi toutes les journées nationales que nous soulignons de cette manière, j’ai l’impression qu’il y en a une qui s’est tout particulièrement insinuée dans notre conscience collective, et c’est le jour du Souvenir. Nous portons tous alors le coquelicot et une foule d’événements de plus ou moins grande envergure sont organisés au pays. Est-ce un peu ce que vous envisagez avec votre projet de loi pour la création du Jour commémoratif de la pandémie?
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci, madame la sénatrice. En fait, ce n’était pas juste le 11 novembre; c’est l’objectif de commémoration, l’objectif de se souvenir. Comme vous le voyez, pour toutes les journées commémoratives — vous venez de me dire qu’il y en a beaucoup —, comme vous vous en rendez compte, c’est souvent de ces moments que les gens profitent pour se recueillir. La vie va comme elle va. Tout le monde vit sa vie quotidienne, mais cette journée est consacrée à cela.
On a vu aussi que cela s’oublie vite. La grippe espagnole a été dévastatrice, mais cela fait un siècle et personne ne s’en souvient, car cela n’a jamais été fêté. Comme je l’ai dit dans mon discours, il y a même eu comme conséquence positive ou retombée positive de la grippe espagnole, des actions prises par le gouvernement consistant à mettre sur pied les agences de santé publique, mais personne ne s’en souvient, parce que c’est du passé.
Donc, si on laisse passer cela, surtout avec les réseaux sociaux, où la nouvelle du lendemain n’est plus une nouvelle, cela va s’oublier vite. Au moins, si on garde cette date à répétition chaque année, cela donne aux gens la possibilité, justement, de l’utiliser selon leurs besoins.
La sénatrice McPhedran : Sénatrice Mégie, seriez-vous d’accord pour que nous vous proposions quelques amendements à apporter à ce projet de loi?
La sénatrice Mégie : Cela dépend du genre d’amendement. On pourrait regarder cela en comité. Je ne suis pas fermée complètement.
Il suffit que cela ne brise pas l’essence du projet de loi, parce que son essence est de donner l’espace qu’il faut pour que les gens puissent réfléchir, faire le bilan et faire ce qu’il faut pour que cela ne se reproduise pas. Si les amendements ne changent pas l’essence, je suis ouverte à cela.
La sénatrice McPhedran : Merci.
[Traduction]
La présidente : Merci, sénatrice McPhedran.
Comme il ne semble pas y avoir d’autre question, je vais me permettre une observation. La peste est une pandémie qui a pris des proportions gigantesques. Dans toutes les villes et localités européennes, on a érigé un monument appelé Colonne de la peste. C’est le mode de commémoration qu’ils ont choisi. Comme nous n’en sommes plus à l’époque où l’on érigeait de telles structures, je me réjouis de votre initiative à cet égard, sénatrice Mégie.
Je vous présente maintenant nos prochains témoins pour la poursuite de notre étude du projet de loi S-209. Nous accueillons d’abord Mme Katherine Kortes-Miller, membre du Comité de direction de l’Alliance canadienne pour le deuil. Nous recevons également la Dre Katharine Smart, présidente de l’Association médicale canadienne. Sont aussi des nôtres trois représentantes de la Société royale du Canada, Mme Tracy Vaillancourt, professeure et titulaire d’une chaire de recherche du Canada, Université d’Ottawa; Mme Julia M. Wright, professeure, Université Dalhousie; et la Dre Sharon Straus, directrice, Programme d’application des connaissances, Institut du savoir Li Ka Shing, Hôpital St Michael’s, Unity Health Toronto.
J’invite Mme Kortes-Miller à nous présenter ses observations préliminaires. Elle sera suivie de la Dre Smart, puis de Mme Vaillancourt. Je tiens à vous préciser que vous avez droit à cinq minutes chacune pour vos exposés. Si vous me voyez lever la main comme ceci, c’est qu’il ne vous reste qu’une dizaine de secondes et qu’il est temps de conclure. Je préfère ne pas avoir à vous interrompre. À vous la parole, madame Kortes-Miller.
Katherine Kortes-Miller, membre du Comité de direction, Alliance canadienne pour le deuil : Merci et bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs.
Je suis ravie de vous parler cet après-midi depuis le territoire traditionnel de la Première Nation de Fort William, signataire du traité Robinson-Supérieur de 1850, afin d’exprimer notre soutien au projet de loi S-209 de la sénatrice Mégie visant à désigner dorénavant le 11 mars comme Jour commémoratif de la pandémie.
J’ai le privilège de représenter aujourd’hui l’Alliance canadienne pour le deuil dont je suis l’une des membres originales. Notre alliance regroupe d’éminents spécialistes du deuil et plus de 150 organisations nationales et provinciales qui demandent au gouvernement d’adopter une proposition pour remédier à un manque de services d’accompagnement du deuil qui prive les Canadiens endeuillés du soutien dont ils ont besoin. L’alliance réunit des travailleurs de première ligne, des psychiatres, des travailleurs sociaux, des psychologues, des thérapeutes, des universitaires et des organismes offrant des services d’accompagnement du deuil partout au Canada. Notre groupe est chapeauté par le Portail palliatif canadien, un organisme de bienfaisance de renommée internationale qui offre des ressources à 2,4 millions d’utilisateurs par année.
La pandémie est vraiment dévastatrice pour les Canadiens. Nul besoin de vous rappeler que nos concitoyens ont dû composer avec un endeuillement sans précédent au cours des deux dernières années alors que tous les éléments étaient présents pour faire de la pandémie une véritable catastrophe avec un nombre incroyable de décès, des clivages politiques, des confinements, des directives sur les visites, le chômage, la ruine financière et, maintenant, les occupations.
Non seulement la COVID-19 a-t-elle coûté la vie à près de 35 000 Canadiens, mais de nombreux autres sont décédés dans des circonstances qui ont pris leurs proches au dépourvu, les obligeant à faire leurs adieux sur une tablette électronique, les empêchant de tenir des obsèques et ne leur permettant pas d’être présents pour offrir tout le réconfort voulu. Le compteur affiché sur notre site Web indique que plus de 5 millions de Canadiens sont endeuillés par un décès lié à la pandémie.
Le deuil est un processus naturel dont la plupart des gens se remettent dans des circonstances normales, mais la situation est différente depuis le début de la pandémie. Jamais de notre vivant n’a-t-on vu le Canada frappé par une vague de deuil d’une telle ampleur et d’une telle complexité. Le deuil est souvent difficile, mais les exigences de distanciation sociale liées à la COVID-19 ont totalement bouleversé nos façons de vivre ce deuil. Les professionnels conviennent qu’en l’absence des importants rites permettant d’honorer la mémoire du défunt, il y a un risque accru de vivre un deuil plus compliqué. L’accompagnement d’un endeuillé repose sur le contact humain, la possibilité de lui apporter un plat chaud, de lui tenir la main, de l’étreindre, de s’asseoir tranquillement à ses côtés, d’être tout simplement présent. De nombreux Canadiens ont dû vivre leur deuil dans l’isolement, sans accès à leur réseau de soutien social et sans pouvoir faire officiellement leurs adieux à un être cher en étant à son chevet ou à l’occasion d’un service funéraire ou commémoratif. Les survivants peuvent ainsi devoir composer avec un deuil non assimilé ou à retardement. Lorsque l’on reporte ces importants rites, les gens en viennent à se demander si la mémoire de la personne décédée sera adéquatement honorée. Les recherches démontrent que le deuil lié à la pandémie et transformé par celle-ci est plus complexe. On peut avoir l’impression que la personne n’est pas vraiment morte, même si on sait très bien que c’est le cas. D’autres endeuillés peuvent regretter de ne pas avoir pu faire convenablement leurs adieux.
La désignation du 11 mars comme Jour commémoratif de la pandémie est l’un des moyens à notre disposition pour reconnaître l’angoisse que nous éprouvons et les pertes inestimables que nous avons subies depuis le début de la pandémie. C’est ainsi que nous pourrons entreprendre notre deuil collectif et amorcer tous ensemble le processus de guérison. Étant donné que la façon dont nous vivons le deuil est importante, l’Alliance canadienne pour le deuil appuie ce projet de loi, car cette reconnaissance officielle de notre deuil collectif lié à cette pandémie est un pas dans la bonne direction.
Merci.
La Dre Katharine Smart, présidente, Association médicale canadienne : Merci, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité, de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui.
Je suis la Dre Katharine Smart. Je vous parle depuis le territoire traditionnel de la Première Nation des Kwanlin Dün et du Conseil des Ta’an Kwäch’än. Je suis pédiatre et je travaille au Yukon. En ma qualité de présidente de l’Association médicale canadienne (AMC), j’ai l’honneur de représenter les médecins et les étudiants en médecine de toutes les provinces et tous les territoires. Ce rôle est encore plus significatif à un moment où notre pays peut ressentir si vivement les répercussions de la pandémie sur un système de santé et des professionnels déjà surchargés depuis des années.
Je me réjouis de pouvoir vous dire que notre association est en faveur d’un Jour commémoratif de la pandémie. Une telle journée nous donnerait l’occasion de réfléchir à tout ce que nous traversons, aux impacts de la pandémie sur tous les aspects de notre vie et aux enseignements que nous devons tirer de cette expérience pour bâtir un avenir meilleur.
Le gouvernement fédéral a joué un rôle primordial dans la réponse canadienne à la pandémie, et nous appuyons sans réserve les nombreuses mesures prises par ce gouvernement depuis le début de la crise. À l’aube de la troisième année de la pandémie, nous continuons de nous tourner vers le gouvernement fédéral pour qu’il fasse le nécessaire. Le moment ne saurait être mieux choisi pour, non seulement stabiliser notre système de santé, mais aussi le repenser.
Les patients et les professionnels de la santé font les frais des pénuries, des problèmes structurels et des obstacles réglementaires qui minent notre système de santé depuis trop longtemps. Nos travailleurs de la santé se retrouvent au cœur d’une situation de crise. Chaque nouvelle vague nous affaiblit en nous laissant avec des arriérés de plus en plus lourds et des répercussions encore plus marquées sur notre main-d’œuvre et notre système.
Plus que jamais, l’épuisement professionnel guette les médecins. Les résultats préliminaires du Sondage national de l’AMC sur la santé des médecins révèlent que 53 % des médecins signalent un niveau élevé d’épuisement professionnel, près du double de la proportion enregistrée avant la pandémie. De plus, 46 % ont dit qu’ils vont probablement ou très probablement réduire leurs heures de travail clinique au cours des 24 prochains mois, et 18 % ont dit envisager de le faire.
L’état des effectifs de santé va grandement influer sur la capacité des gens à avoir accès aux soins dont ils ont besoin, maintenant et à l’avenir. Nous savons que les premiers ministres provinciaux et territoriaux comptent sur une augmentation du financement fédéral, et ce, sans condition. L’AMC demande plus d’investissements fédéraux stratégiques pour soutenir le rétablissement et la réforme de la prestation des soins de santé au Canada.
Premièrement, il faut un leadership fédéral pour créer un cadre pancanadien de planification intégrée des ressources humaines de la santé. Les défis que posent les effectifs médicaux ont atteint un niveau qu’aucune province ne peut gérer seule. Nous avons maintenant besoin d’une approche intergouvernementale dirigée par le gouvernement fédéral.
Deuxièmement, il est temps pour le gouvernement fédéral d’honorer son engagement à verser 3,2 milliards de dollars pour élargir l’accès des patients aux médecins de famille et aux équipes de soins primaires. Le développement des soins primaires collaboratifs interprofessionnels est essentiel si nous voulons augmenter l’accès aux soins.
Troisièmement, nous devons abolir les obstacles auxquels sont confrontés les professionnels de la santé en permettant l’adoption d’un permis d’exercice pancanadien. Les professionnels de la santé doivent pouvoir se déplacer entre les provinces pour fournir des soins là où ils sont requis.
Ces mesures fédérales sont essentielles pour rebâtir les fondements des soins de santé au Canada. Selon qu’elles seront mises en œuvre ou non, le regard rétrospectif que nous jetterons au fil des prochaines années sur les vies que nous avons touchées ira dans un sens ou dans l’autre.
Les futurs Jours commémoratifs de la pandémie nous permettront de nous souvenir d’un moment où nous avons profité d’une occasion pour réagir collectivement à une avalanche de difficultés systémiques et travailler pour redonner vie aux soins de santé.
Nous savons que c’est important pour le gouvernement, et nous comptons sur lui pour nous aider à offrir aux Canadiens les soins dont ils ont besoin.
Merci, madame la présidente.
Mme Tracy Vaillancourt, professeur et titulaire d’une chaire de recherche du Canada, Université d’Ottawa, Société royale du Canada : Nous vous remercions de nous avoir invités à prendre la parole devant votre comité.
Au cours des 20 derniers mois, le groupe de travail de la Société royale du Canada (SRC) a supervisé les efforts de près de 30 groupes spéciaux chargés de préparer des notes d’information pour que des mesures fondées sur des données probantes puissent être prises en réponse à la pandémie. Cette pandémie a affecté notre santé, nos institutions, notre économie, notre système d’éducation, notre culture, nos interactions sociales et même notre cohésion sociale. Les conséquences de la pandémie se feront ressentir pendant de nombreuses années, voire des générations, à venir.
Toutes les circonstances ayant une incidence sur la santé publique et la santé en général influent non seulement sur notre mode de vie, mais aussi sur notre façon de vivre ensemble. L’éventail de documents d’information produits sous la supervision de notre groupe de travail témoigne de cette interdépendance en traitant de sujets allant de l’éducation jusqu’à la reprise économique, en passant par les soins à long terme et la santé mentale.
Comme nous sommes aussi dépendants de notre passé, bon nombre de nos documents d’information intègrent une réflexion sur les disparités qui persistent depuis longtemps au Canada en matière de santé et de santé publique. On y traite ainsi des préoccupations relatives à des groupes dont les besoins sont jugés prioritaires, comme les Autochtones, les communautés racisées, les aînés, les enfants et les résidents des lieux d’hébergement collectifs.
Nous misons aussi sur l’interdépendance dans notre travail. Notre groupe de travail est multidisciplinaire; il réunit des universitaires du domaine des arts, des secteurs des sciences humaines et sociales et du milieu scientifique. Pour former bon nombre de nos groupes spéciaux, nous puisons dans différents bassins d’expertise pour intégrer des représentants des populations touchées comme de simples citoyens, des enseignants, des praticiens, des patients et des partenaires dans l’offre de soins essentiels, qui se joignent à des chercheurs et à des décideurs. Cette pandémie nous aura appris que nous devons travailler tous ensemble et construire des ponts, plutôt que des murs. Nous devons maintenir les liens de partenariat et de collaboration que nous avons déjà forgés.
Nous sommes heureux de pouvoir discuter de la possible création d’une journée nationale de commémoration pour ne pas oublier les vies perdues et les leçons tirées de cette expérience. Il est essentiel que nous puissions continuer ensemble notre réflexion sur les mesures qui ont fonctionné ou non afin de tirer le meilleur parti possible de cet endeuillement que nous partageons en faisant mieux la prochaine fois et d’ici à ce que la situation se représente. Nous devons veiller à conjuguer nos efforts pour favoriser la reprise et évaluer nos progrès en ce sens.
La première note d’information de notre groupe de travail qui portait sur les soins de longue durée a mis en lumière notre incapacité à apprendre des recherches antérieures et des expériences vécues par les résidents et les cliniciens, autant de connaissances qui ont pu être accumulées pendant les décennies qui ont précédé la pandémie. C’est à cause de cette déficience que la première vague a été beaucoup plus difficile qu’elle aurait dû l’être
C’est un thème récurrent dans un grand nombre de nos documents d’information révisés par des pairs. La pandémie a été plus virulente et plus difficile qu’elle aurait dû l’être au Canada, en partie du fait que nous n’avons pas toujours tenu compte de l’expertise et des données probantes, et ce, même lorsqu’il fallait prendre des mesures urgentes. Nous avons laissé aller les choses et négligé de mettre en place des mécanismes souples et adaptables en prévision de situations similaires à venir. Nous avons relégué les problèmes au second plan et oublié de tirer des enseignements du passé. Nous aurions pu espérer mieux après la crise du SRAS et la commission d’enquête à ce sujet, mais ce fut une autre occasion ratée de tirer certaines leçons, si bien que nous n’étions pas aussi prêts que nous aurions pu l’être en mars 2020. Nous devons nous efforcer d’être mieux préparés pour ce que l’avenir nous réserve.
À titre d’exemple, pas moins de 5,7 millions d’enfants et de jeunes Canadiens ont dû vivre l’expérience d’une fermeture d’école. Bien que souvent nécessaires pour enrayer la propagation de la COVID-19, ces fermetures ont accentué les inégalités existantes au Canada. On a ainsi mis en péril les perspectives d’avenir de tous les enfants et les jeunes, mais particulièrement de ceux qui étaient déjà vulnérables. De récentes estimations des pertes d’apprentissage font ressortir le besoin urgent de rattraper le temps perdu et de mettre en œuvre des stratégies de renouvellement pour contribuer à atténuer l’impact des fermetures d’écoles sur le décrochage scolaire, l’absentéisme, la réussite scolaire et les taux de diplomation.
Voici un autre exemple. Au cours des 10 dernières années, on a réalisé au Canada plus de 80 études sur les soins à long terme à un coût se chiffrant en dizaines de millions de dollars. On était donc tout à fait au courant du manque de soutien et des infrastructures inadéquates dans les centres de soins de longue durée. Nous disposions des données nécessaires pour prévoir les effets catastrophiques de la première vague de la pandémie. Néanmoins, les efforts déployés au début de la pandémie visaient principalement les hôpitaux de soins actifs. Nous avons dû nous réorienter rapidement pour venir en aide aux résidents et au personnel des établissements de soins de longue durée.
Au Canada, des partenariats de recherche sans précédent ont été établis en vue d’atténuer les risques d’éclosion et d’appuyer les résidents et les employés des établissements de soins de longue durée tout en veillant à ce qu’ils aient leur mot à dire. Ces partenariats ont permis à notre pays de prendre une longueur d’avance dans les domaines de recherche en question. Nous devons nous assurer de ne pas perdre ces acquis. Nous devons continuer de progresser.
C’est la raison pour laquelle notre groupe de travail continue de mobiliser des experts de différentes disciplines universitaires et autres afin de mieux comprendre les problèmes auxquels nous sommes confrontés et de pouvoir miser sur les leçons tirées de nos expériences pour tracer la voie vers un Canada plus résilient. Nous espérons construire davantage de ponts semblables de manière à pouvoir plus efficacement tirer des enseignements du passé et apprendre les uns des autres pour collaborer à la recherche de solutions. Nous devons continuer de nous appuyer sur les avancées des 22 derniers mois, notamment en ouvrant de nouvelles avenues pour la recherche multidisciplinaire et la recherche collaborative avec le concours des patients, des pourvoyeurs de soins, des enseignants, des jeunes, des décideurs et des citoyens pour une mise en commun des connaissances issues de toutes les disciplines grâce entre autres à des communications efficaces.
Une journée nationale de commémoration nous empêchera d’oublier les leçons et le coût humain très lourd de cette pandémie. Elle pourra aider à garantir que nous devrons tous rendre des comptes à ceux que nous avons perdus, en nous incitant à saluer leur mémoire au moyen d’un élan commun et informé pour rendre le Canada meilleur.
[Français]
Nous vous remercions pour votre temps.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup à vous toutes. Personne n’a pris trop de temps, et, bien sûr, vos propos étaient tous pleins de substance.
Je demanderais à la sénatrice Mégie, la marraine du projet de loi, de bien vouloir poser la première question.
[Français]
La sénatrice Mégie : J’aimerais poser à la Dre Kortes-Miller et à la Dre Smart la question suivante : dans l’éventualité où ce projet de loi serait adopté, comment serait-il reçu dans vos différents groupes et comment pensez-vous qu’ils pourraient s’organiser pour commémorer cette journée?
[Traduction]
Mme Kortes-Miller : Je vous remercie de votre question.
L’Alliance canadienne pour le deuil est très excitée à l’idée de faire un deuil collectif dans le contexte du souvenir de ce que nous avons appris, des leçons de la pandémie. Ce serait notamment pour nous l’occasion de sensibiliser nos collectivités au deuil. L’Alliance, avec l’Hospice virtuel canadien et d’autres groupes de partout au Canada, s’engage à favoriser le deuil collectif par des webinaires et d’autres moyens. Grâce aux ressources du Web et à la mobilisation collective, nous soulignerons les occasions de nous souvenir et de reconnaître ensemble les pertes que la collectivité a subies et les leçons de la pandémie. Merci.
[Français]
La sénatrice Mégie : Est-ce que la Dre Smart pourrait répondre à la même question pour le groupe de l’Association médicale canadienne, s’il vous plaît?
[Traduction]
La Dre Smart : Je vous remercie de la question ainsi que de ce projet de loi important.
D’après l’Association médicale canadienne, une journée de commémoration de la pandémie nous donnerait, chaque année, l’occasion de rappeler le dévouement et les sacrifices des soignants de première ligne qui ont pris soin des Canadiens durant cette pandémie.
Il est vraiment frappant que les soins se soient donnés à de si nombreux niveaux, dans notre société : ceux de courte durée dans les hôpitaux, à des patients gravement malades, mais, également, dans nos collectivités, les établissements de soins de longue durée, les cliniques pour intensifier la vaccination, la prise en charge de patients dans des unités de soins primaires, sans négliger la santé mentale de tout le monde.
Je pense que la possibilité de reconnaître chaque année ces professionnels et leurs sacrifices pour assurer des soins pendant la pandémie, c’est incroyablement significatif. Sont également importantes, comme nous l’avons évoqué, l’occasion de faire le point sur les changements accomplis, la reformulation des objectifs et l’innovation nécessaire à l’avancement de notre système de santé pour qu’il puisse rester au service des Canadiens.
Nous avons à la fois l’occasion de reconnaître nos membres et de les remercier de ce qu’ils ont fait, mais, également, de réfléchir aux orientations et aux actions nécessaires et de nous demander si nous avons pu le faire collectivement, comme nation, alors que nous sortons de cette pandémie.
La sénatrice Bovey : Je vous remercie toutes de vos déclarations. Elles étaient très émouvantes, très factuelles, avant-gardistes et honnêtes.
Docteure Smart, les plans d’action de votre association me plaisent vraiment et j’ai hâte de voir comment on pourra les exécuter.
Madame Vaillancourt, votre description de cette commémoration par de multiples générations m’a fascinée. Notre présidente a évoqué la peste noire. Je tiens à vous dire que j’ai une fille médiéviste à l’université. Elle m’a dit qu’il n’y avait jamais eu plus d’intérêt pour l’histoire de la peste noire et pour ses leçons que depuis deux ans. Cela se poursuivra pendant des générations, et nous avons beaucoup à donner.
Ma question est pour Mme Kortes-Miller. Vous avez tellement raison au sujet du chagrin. Les problèmes ont été énormes, pas seulement pour ceux qui ont perdu des êtres chers, mais, également, ceux dont la vie a changé pour de bon. Je comprends vraiment que, peut-être, les quelques premières années de cette journée spéciale seront consacrées au deuil et au chagrin collectifs, et je fais grand cas de ce que vous avez dit sur ce que vos actions pourraient être.
Ayant connu le chagrin, je sais qu’il peut revenir tellement à l’improviste, à de drôles de moments. Comment, d’après vous, cette journée spéciale aidera-t-elle les personnes qui ont du chagrin pour les en sortir pour les conduire à un moment de lumière et d’heureux souvenirs des êtres chers disparus? De même, croyez-vous que, au fil des années à venir, les effets de cette journée changeront, peut-être en évoluant d’une compréhension et d’un deuil collectifs vers... Je ne veux pas dire des souvenirs positifs, mais vous savez ce que je veux dire. Est-ce qu’elle se chargera d’autres significations? Parce que, d’après moi, cela enrichirait l’expérience de cette journée. Madame Kortes-Miller, c’était vraiment un long détour pour vous demander si vous pouvez nous en dire davantage sur l’effet de cette journée.
Mme Kortes-Miller : Merci de votre question. J’espère que je pourrai y répondre.
Je peux vous raconter rapidement une anecdote que j’ai recueillie dans le cadre d’une recherche que j’ai eu l’occasion de faire, pendant laquelle j’ai conversé avec des personnes qui avaient fait l’expérience de la mort d’un proche pendant la COVID. Une de nos participantes a décrit comment, à son retour de vacances, au début de la pandémie, au milieu du confinement général, elle avait saisi une échelle dans son garage, l’avait fixée à l’arrière de sa camionnette, pour ensuite se diriger vers l’établissement de soins de longue durée où sa mère était mourante. En plein hiver, à Thunder Bay, elle s’est tenue au bout de cette échelle pour assister à l’agonie de sa mère, par attachement pour elle et dans son désir de l’accompagner. Quand je lui ai dit que j’avais l’occasion de vous parler aujourd’hui et qu’on pourrait instituer une journée de commémoration, elle a répondu que sa famille avait produit une vidéo sur YouTube pour les funérailles. Elle croyait qu’une journée nationale de commémoration lui donnerait l’occasion de ressentir le lien social avec sa communauté et l’ensemble du pays en souvenir de cette période difficile pendant laquelle sa mère est morte. Cette reconnaissance et la possibilité, pour elle, d’être unie à d’autres, pendant cette journée étaient vraiment importantes.
Pour répondre au deuxième volet de votre question, ce vers quoi cette journée pourrait évoluer, j’espère qu’elle nous aidera à reconnaître un moment où nous nous sommes rassemblés de façon différente et inédite pour reconnaître notre chagrin collectif, pour ensemble, tous les Canadiens, apprendre de certaines de nos difficultés et erreurs et pour croître ensemble de manière à apprendre que nous prendrons soin les uns des autres quand les temps seront difficiles. J’espère que notre journée nationale de commémoration nous conduira vers cet apprentissage et cette reconnaissance.
La sénatrice Bovey : Merci. Je vous applaudis encore, toutes les trois.
Le sénateur Kutcher : J’adresse ma question aux Dres Smart et Straus, mais, d’abord, je vous remercie, vous et tous les soignants pour votre dévouement et altruisme, votre travail acharné et les soins que vous avez prodigués à tous les Canadiens pendant cette incroyable épreuve. Je suis profondément et personnellement attristé par les attaques absolument inacceptables que vous et vos collègues avez subies. Ni moi ni beaucoup de mes collègues n’appuyons ces comportements qui menacent la santé des soignants ou, d’ailleurs, de tous ceux qui se conforment aux lignes directrices de la santé publique. Je tenais simplement à ce que vous le sachiez.
La pandémie a révélé une incapacité catastrophique d’intensification dans notre réseau de la santé. Sans vouloir faire de jeu de mot, elle a démasqué des problèmes déjà très bien connus. Si le gouvernement fédéral vous demandait conseil sur les mesures à prendre et des sujets de réflexion pour ce genre de journée, quelles réponses concrètes, deux ou trois, chacune de vous lui donnerait-elle pour corriger ces problèmes que la pandémie a éclairés si crûment.?
La Dre Smart : Merci pour la question.
Comme nous l’avons entendu, le Jour commémoratif de la pandémie donne l’occasion à un pays de se souvenir, de faire le point et de mesurer les sacrifices de tant de soignants, de tant d’autres fournisseurs de services de première ligne aux Canadiens, des Canadiens eux-mêmes et, bien sûr, de tous ceux qui ont perdu la vie et des êtres chers. Il peut également servir à lancer un appel à l’action au gouvernement, pour qu’il soit vraiment sérieux et déterminé envers la collaboration et le travail nécessaires au relèvement de notre système de santé au point où il doit se trouver.
Comme vous l’avez dit, la pandémie ne nous a rien appris que beaucoup d’entre nous ne savaient déjà. Ce qui a changé, c’est que c’est maintenant au premier rang des préoccupations des Canadiens. Jamais avant, nous n’avions vu les soins de santé faire presque quotidiennement la une de l’actualité. Il est maintenant évident que, désormais, nous devons faire preuve de transparence, nous approprier le problème et vraiment nous engager dans cette démarche gouvernementale à plusieurs niveaux et collaborer avec les parties prenantes pour accélérer les changements dans le système.
L’Association médicale canadienne discerne plusieurs secteurs prioritaires pour l’action du gouvernement. Au Jour commémoratif de la pandémie, on pourrait planter une sorte de jalon dans le sol pour matérialiser les progrès accomplis vers l’atteinte de ces objectifs. Comme je l’ai dit dans ma déclaration, nous comptons quelques secteurs prioritaires.
L’un d’eux est les ressources pour la santé. Nous savons qu’il n’y a pas de soins sans soignants et, dans notre pays, l’avenir et ses promesses sont en état de crise. Amener tous les ordres de gouvernement à s’engager à l’égard d’un plan intégré pour les effectifs du secteur de la santé, rassembler les données qui le soutiennent, puis surveiller nos progrès annuels, ce serait très significatif et ça nous conduirait vers cet objectif à long terme qui est de disposer des ressources humaines dont notre pays a besoin en matière de santé. C’est un enjeu.
Un autre enjeu est l’autorisation d’exercer. Nous avons parlé de l’étendre à la grandeur du pays ainsi que d’occasions de mieux déployer nos ressources en santé humaine. Nous savons que le désir en a également été exprimé chez d’autres professionnels de la santé. Ce pourrait être un autre sujet annuel de réflexion pour faire le point de nos progrès. Créons-nous un réseau de ressources en santé humaine possédant la mobilité pour être accessible aux Canadiens? Particulièrement compte tenu d’avancées comme les soins virtuels, qui sont susceptibles de rester, nous pourrons, après avoir abattu certains obstacles posés par la réglementation, en démultiplier la puissance pour améliorer l’accès. Ce peut être un objet de réflexion, au cours de cette journée-là, pour mesurer nos progrès vers ce changement.
Un autre enjeu est la stabilisation du financement des soins de santé. Nous reconnaissons tous, maintenant, le financement insuffisant de notre système de santé par rapport aux besoins des Canadiens. Il faut établir des points de comparaison clairs sur nos objectifs, l’éventuel rôle fédéral et les modalités de la combinaison de ce financement accru avec les changements à apporter à la conception du système pour qu’il réponde mieux aux besoins des Canadiens. Je pense que cette journée peut donner l’occasion de mesurer les progrès.
Souvent, je pense que la meilleure façon de commémorer les sacrifices d’autrui consiste à être déterminé à apporter les changements dont il aurait voulu être le témoin dans un système qui serait plus utile à lui, à sa famille et à sa collectivité. Réfléchir sur les points de comparaison et nos progrès en offre la possibilité.
La Dre Sharon Straus, directrice, Programme d’application des connaissances, Institut du savoir Li Ka Shing, hôpital St. Michael, Unity Health Toronto, Société royale du Canada : Je remercie le sénateur de ses propos très gentils et de sa question. Je me focaliserai sur trois aspects.
Le premier concerne le secteur des établissements de soins de longue durée. J’ai corédigé le rapport les concernant pour la Société royale et je voudrais sincèrement que les normes que l’on élabore soient effectivement appliquées, qu’il y ait des comptes à rendre sur la surveillance, pour s’assurer de leur application et pour que, effectivement, nous tirions les leçons des dernières décennies.
Ensuite, je voudrais qu’on continue d’insister sur la science. Je pense que nous avons tous parlé de l’importance d’une culture scientifique et de bonnes communications scientifiques. D’après moi, c’est un facteur critique.
Enfin, il faut poursuivre la promotion des collaborations pluridisciplinaires. Je voudrais plus de collaboration entre l’ensemble des organismes de financement des trois conseils pour qu’ils appuient vraiment les efforts dans toutes les disciplines et qu’ils créent également de nouveaux parcours de recherche dans ces secteurs. En ma qualité de gériatre soignante et chercheuse sur la surveillance des eaux usées avec des ingénieurs et des géographes, si vous m’aviez demandé, il y a deux ou trois ans, si c’est ce que je ferais, ça ne serait jamais arrivé. Je voudrais vraiment être le témoin de ce genre de travail et des occasions qu’il offrira aux étudiants de demain pour se construire des carrières et répondre à ces questions difficiles.
Julia M. Wright, professeure, université Dalhousie, Société royale du Canada : Sans être une spécialiste, je dirais, puisque je vis dans une province où sévit une pénurie chronique de médecins de famille, vu l’épidémie de désinformation dans laquelle nous nous trouvons, qu’il est vraiment essentiel de nous attaquer à cette pénurie dans notre pays. Les gens ont besoin de quelqu’un en qui ils ont confiance et à qui ils peuvent parler de vaccins, de leur chagrin, de leurs besoins en santé physique et mentale et auprès de qui obtenir de meilleurs conseils que ceux qu’ils trouvent en ligne. J’en ferais personnellement une priorité, pour le volet de la réalité que voient les patients.
La sénatrice Moodie : Je remercie nos témoins.
Nous avions déjà discuté de ce que ce projet de loi signifie et de son esprit. Votre témoignage a été éclairant et enrichissant. Vous avez brossé une riche toile de fond de ce qu’il pourrait être.
D’après vous, le projet de loi devrait-il exposer un peu plus clairement l’objectif du Jour commémoratif de la pandémie? Croyez-vous que nous devons mieux définir cette journée? Le fil de certaines de vos pensées et idées se sépare parfois. Comment nous voyez-vous expliquer aux Canadiens ce que signifie cette journée pour chacune d’entre vous? Vous sautez directement dans l’arène et vous savez exactement ce qu’elle signifie pour vous, mais pour le Canadien lambda, sommes-nous allés assez loin?
Je pose la question d’abord à Mme Kortes-Miller, qui est bien placée, dans le chagrin collectif, par rapport au chagrin retardé, et je le comprends. Mais j’essaie de comprendre ce qui arrive aux Canadiens, chaque année et la première année. Que font-ils de cette journée? Quelle impression en retirez-vous?
Mme Kortes-Miller : Pour la première année, j’espère qu’il s’agira d’une occasion pour les gens de se réunir et de faire un deuil collectif. J’espère qu’il y aura des groupes, comme ceux représentés aujourd’hui, qui s’adresseront aux diverses collectivités et qui offriront une structure qui nous permettra de nous rassembler.
Je comprends ce que vous demandez au sujet des prochaines étapes, et j’aime l’idée que les Canadiens puissent souligner la journée comme ils le souhaitent. Je crois que nous pouvons voir cette journée comme un moment pour réitérer l’importance de la science et le besoin de communiquer avec transparence, et aussi pour démontrer notre respect à l’égard du gouvernement.
J’aime aussi l’idée d’un moment pour que les gens parlent de ce qu’ils ont perdu à cause de la pandémie. Je pense aux jeunes qui ont manqué leur cérémonie de remise des diplômes, leur bal et leurs premières années d’université, et aux personnes qui ont perdu leur emploi ou leur entreprise en raison des défis associés à la pandémie. Je crois qu’une journée de commémoration nous permettrait tout cela, en plus de reconnaître ce qui a été accompli dans notre système de santé et ce qui doit être amélioré.
La présidente : Sénatrice Moodie, souhaitez-vous entendre la réponse des autres témoins?
La sénatrice Moodie : Oui, j’aimerais qu’on me dise s’il faut ajouter quelque chose au projet de loi pour orienter la réflexion au sujet de cette journée.
La Dre Smart : Je vous remercie pour votre question.
Je crois que ce qui est intéressant et encourageant, avec un jour de commémoration de la pandémie, c’est qu’il nous donne l’occasion de réfléchir simplement à notre passé, à notre présent — qui changera d’année en année, bien sûr — et à notre avenir.
Bon nombre d’entre nous ont parlé aujourd’hui des conséquences de la pandémie dans nos domaines et de ses répercussions sur nos collectivités et notre pays. Je crois qu’il est juste de dire que les gens souligneront cette journée de manières différentes, selon l’impact que la pandémie aura eu sur eux. Il est important que cette journée soit ouverte et qu’elle permette aux gens de la souligner en fonction de leurs besoins. Elle peut servir de point d’ancrage pour nous poser ces questions.
Avec la pandémie, nous avons réalisé qu’à de nombreux égards, le statu quo n’était plus acceptable. J’espère que cette journée sera l’occasion de nous poser des questions sur l’avenir de notre nation, sur les leçons que nous pouvons tirer de la pandémie et sur les choses que nous ne voulons pas répéter. Je crois qu’il s’agit d’une excellente façon de souligner tous les sacrifices qui ont été faits. Je veux que le projet de loi demande aux Canadiens de réfléchir à cet aspect de la pandémie et de saisir l’occasion pour grandir.
Le sénateur Patterson : Je remercie tous les invités pour leur témoignage très éloquent et convaincant.
Je vous parle en tant que législateur et avocat. Je vous ai entendus très clairement lorsque vous avez parlé — comme vient de le faire la Dre Smart — du besoin de réfléchir au passé et à l’avenir, et de fixer des objectifs pour notre système de santé en difficulté.
Toutefois, dans le préambule du projet de loi — il n’en est pas question dans le corps du projet de loi — on parle d’honorer les personnes décédées et de reconnaître celles qui travaillent aux premières lignes, et aussi des effets graves de la pandémie sur la santé de la population du Canada. Est-ce que vous recommanderiez de renforcer le projet de loi en y ajoutant ces objectifs pour l’avenir, dont vous avez presque tous parlé?
Comme elle l’a fait valoir, la marraine du projet de loi souhaite qu’il nous aide à nous préparer pour l’avenir. Il me semble que ce n’est pas énoncé dans le préambule, qui vise surtout à reconnaître — et mon but n’est pas de minimiser leur importance — les travailleurs de la santé pour leurs nobles efforts, les personnes qui sont décédées et les conséquences de la pandémie sur la population. Il n’évoque pas cette vision pour l’avenir et les leçons que l’on devrait tirer. Aimeriez-vous que ces éléments soient énoncés plus clairement dans le projet de loi, pour lui donner plus de mordant? Merci. C’est ma question et j’aimerais que la Dre Smart et la Dre Straus y répondent de façon particulière si possible, madame la présidente.
La Dre Straus : Merci beaucoup. Je suis tout à fait d’accord. Lorsque j’ai lu le projet de loi, mon interprétation se centrait sur le rétablissement, le souvenir et la préparation pour l’avenir. À mon avis, cela signifie qu’il faut se tourner vers l’avenir et être responsables des leçons à tirer. Je crois que ce serait une très bonne idée de renforcer le projet de loi et de l’énoncer de manière explicite. Il sera essentiel pour nous de voir au fil du temps que nous avons mis en œuvre les changements et que nous avons continué d’innover, de tirer des leçons de la pandémie. Je ne veux pas devoir rédiger un rapport semblable sur la situation dans les établissements de soins de longue durée dans quelques années et constater que rien n’a changé, alors je crois qu’il faut intégrer ces notions au document.
Le sénateur Patterson : La Dre Smart a recommandé trois objectifs très louables. J’aimerais qu’elle nous donne son avis sur l’ajout des leçons tirées, d’un regard tourné vers l’avenir dans l’intention, le préambule ou même le corps du projet de loi.
La Dre Smart : Je vous remercie pour votre question. Je suis tout à fait d’accord avec la Dre Straus. Je crois que cela renforcerait le projet de loi. Comme je l’ai dit plus tôt, la meilleure façon de souligner ce qu’ont vécu les Canadiens, c’est d’accepter la responsabilité que nous avons à l’égard des changements que nous voulons apporter dans notre système. Je crois qu’en intégrant ce principe au projet de loi — l’idée du passé, du présent et de l’avenir — et en utilisant le Jour commémoratif de la pandémie comme une occasion de nous responsabiliser face à ces changements, on lui donnerait plus de mordant. Nous pourrions souligner les pertes, mais aussi nous tourner vers l’avenir et garder espoir. Je crois que c’est essentiel pour le rétablissement des Canadiens après cette pandémie.
Le sénateur Patterson : Je tenais à vous faire part de ma joie de voir une présidente de l’Association médicale canadienne provenant des territoires. Ma question s’inspirait de celle de la sénatrice Moodie.
La sénatrice Bernard : Je remercie tous les invités pour leur témoignage et le temps qu’ils nous consacrent.
Nous avons beaucoup entendu parler de la pandémie fantôme, c’est-à-dire de l’incidence de la pandémie sur les victimes de violence fondée sur le sexe. Nous avons aussi entendu parler du double impact du racisme dans le cadre de la pandémie, et des conséquences sur les personnes qui sont déjà marginalisées en raison de la pauvreté ou de l’itinérance, qui vivent avec des problèmes de santé ou qui font face à certains défis.
Ma question fait suite à celle de la sénatrice Moodie au sujet du projet de loi. De quelle façon les Canadiens qui vivent ces réalités, celle de la pandémie fantôme ou de la double pandémie — ces failles de notre société qui sont devenues plus visibles avec la pandémie — se retrouveront-ils dans le projet de loi? Comment le projet de loi abordera-t-il leur réalité? Pouvons-nous ajouter des éléments au projet de loi pour rendre cette journée plus significative pour ces personnes? Je pense aussi aux enfants et aux jeunes, et à l’impact de la pandémie sur leur quotidien. Tous les témoins peuvent répondre à ma question.
Mme Kortes-Miller : Je vous remercie pour votre question.
En tant qu’universitaire, je me soucie du détail et de l’orientation des documents que je reçois, mais ce qui m’a surtout plu dans ce projet de loi, c’est sa nature nationale et la place qu’il laisse aux gens, afin qu’ils soulignent cette journée comme ils le souhaitent. Je crois que si nous dictons de façon précise ce que les gens doivent souligner au cours de cette journée, alors nous ne réussirons pas à les rassembler pour qu’ils partagent leurs histoires ou à honorer les Autochtones du Nord-Ouest de l’Ontario, que nous avons vu souffrir. Vous parlez de personnes qui sont dans des situations structurelles et qui vivent de grandes difficultés. Je crois qu’un jour de commémoration qui n’est pas trop précis, trop directif ou obligatoire donne l’occasion aux gens de songer à ce qu’ils ont vécu pendant la pandémie de la façon dont ils le souhaitent. Merci.
La Dre Straus : Je suis d’accord. Je crois qu’il faut veiller à ce que les personnes qui font partie de ces diverses populations prioritaires puissent être invitées à partager leur histoire. Dans la communauté où je travaille, de nombreuses personnes âgées sont fragiles sur le plan social ou vivent dans des conditions précaires en raison de la pandémie, parce qu’elles n’ont pas accès au soutien dont elles ont besoin. Souvent, ces personnes ne peuvent pas faire entendre leur voix. J’aimerais qu’elles puissent nous raconter leur histoire et que d’autres personnes puissent entendre ce que nous entendons depuis maintenant deux ans au sujet de l’impact de la pandémie sur la vie de ces gens. De plus en plus de personnes âgées risquent de perdre leur logement. C’est du jamais vu. J’aimerais que leur histoire soit racontée. J’aimerais que nous soyons tenus responsables afin que cela ne se reproduise plus. Nous devons mettre en place des systèmes dans nos collectivités afin d’avoir les ressources nécessaires pour prendre soin des personnes fragiles qui n’ont pas l’aide de leurs proches en cas de confinement, par exemple, dans les établissements de soins de longue durée, les maisons de retraite ou les établissements de soins actifs. Je crois qu’il est essentiel de raconter et d’entendre ces histoires dans l’ensemble du Canada.
La présidente : Il ne vous reste qu’une minute, mais je vois que la Dre Smart et Mme Wright ont levé la main pour répondre à question. Si vous pouvez le faire très rapidement, allez-y.
La Dre Smart : Je dirai une chose, rapidement : je crois que votre question souligne l’importance de comprendre pourquoi certaines personnes sont en santé et d’autres ont été touchées de façon disproportionnée par la pandémie. Il est évident que le racisme sociétal, les conséquences du colonialisme et tous ces autres thèmes ont eu une incidence sur les personnes qui ont attrapé la COVID, sur l’acceptation du vaccin et sur l’accès aux soins. Encore une fois, je crois qu’il s’agit de la base et qu’en soulignant ce qui s’est passé au cours de la pandémie, nous reconnaissons ces enjeux sociétaux et nous prenons la responsabilité des changements que nous allons proposer pour les aborder.
Mme Wright : Rapidement, je me demande si nous pouvons aborder ces enjeux en faisant référence aux « effets inégaux de la pandémie » sur les gens. Je travaille dans le domaine de l’histoire culturelle et la signification des événements de commémoration change au fil du temps. À divers moments dans l’histoire, les célébrations du jour du Souvenir ont été beaucoup plus porteuses à titre de guerre pour mettre fin à toutes les guerres qu’à d’autres moments. Ce jour a pris une autre signification au fil des générations. Il ne faut pas oublier que c’est ce qui arrivera avec cette journée également. Les inégalités ne risquent pas de disparaître, malheureusement, alors je crois qu’il est important de se rappeler l’importance de les aborder. En ajoutant cette idée au projet de loi, nous pourrions reconnaître les éléments évoqués par la sénatrice Bernard.
La sénatrice McPhedran : Je tiens à remercier nos expertes invitées de nous aider dans notre discussion d’aujourd’hui. Je tiens également à remercier la sénatrice Mégie, la marraine du projet de loi, pour son ouverture et pour avoir permis au comité de songer aux façons de renforcer le projet de loi, et d’en préciser l’intention.
J’aimerais que vous nous expliquiez plus précisément, si possible, l’idée d’ajouter la notion d’inégalité dans un amendement possible, et aussi de faire référence à un changement systémique. Enfin, je crois que le comité peut émettre des observations qui assureront une plus grande clarté, dans le contexte législatif. Ma question s’adresse à tous les témoins.
Mme Vaillancourt : Je suis d’accord. Il sera très important de reconnaître que la pandémie a été particulièrement cruelle pour certains segments de la population. Si nous le disons, alors nous validons leur expérience. Je partage votre point de vue et je comprends ce que dit la Dre Kortes-Miller au sujet de l’importance d’avoir un projet de loi dont la portée est vaste, mais je crois que dans ce cas-ci, les données probantes montrent que certaines personnes ont été touchées de manière disproportionnée par la pandémie et qu’il faut en parler.
La présidente : Je ne vois pas d’autres mains levées. Je crois que cela signifie que les autres témoins sont du même avis que vous.
Sénatrice McPhedran, il vous reste un peu de temps. Voulez-vous poser une autre question ou approfondir celle-ci? Ou êtes-vous satisfaite de la réponse que vous avez obtenue?
La sénatrice McPhedran : J’aimerais approfondir certains des points que la sénatrice Dasko a soulevés. Elle interviendra après moi, alors j’espère que je n’empiéterai pas sur les questions qu’elle voulait aborder. Je serais ravie d’entendre plus d’observations de nos experts puisque nous avons cette merveilleuse occasion d’échanger avec vous sur les types de messages, les activités possibles et les occasions. Cela rejoint beaucoup les points qui ont été soulevés par la sénatrice Moodie et d’autres à propos de l’inclusion. J’ai des préoccupations précises concernant l’inclusion des générations à venir et au sein de cette population de jeunes de notre pays. Comme mes collègues le savent, je suis très inquiète du fait que le Canada est devenu un pays à la population âgée. En date du recensement de 2016, nous avons plus de personnes âgées au pays que de jeunes. J’aimerais que vous nous en disiez plus sur les diverses façons dont nous pouvons inclure les jeunes dans toute leur diversité.
Mme Wright : Merci de cette question.
Je pense que c’est un enjeu auquel nous devrions consacrer du temps. Nous parlons des commémorations du jour du Souvenir et de la Première Guerre mondiale. Les historiens ont notamment signalé que l’une des raisons pour lesquelles nous avons été surpris d’apprendre il y a quelques années l’existence de l’importante pandémie de grippe à peu près à la même période, c’est ce que c’était perçu comme étant l’histoire des femmes, et c’est l’histoire des hommes qui a été commémorée. L’inégalité est enchâssée dans la façon dont on se rappelle l’histoire, et les leçons de cette grande pandémie ont été perdues. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est urgent de combattre l’inégalité, mais aussi de se souvenir de la diversité de cette expérience.
Ne vous méprenez pas; l’histoire est déjà en train d’être effacée. Si l’on regarde les programmes à la télévision qui se déroulent dans le moment présent, les acteurs ne portent pas de masque ou ne parlent pas de la COVID. On est en train d’effacer l’histoire, et j’entends des intervenants de l’industrie soutenir que c’est par souci d’être universels et de ne pas établir de liens avec un moment historique précis. Nous devons tirer des leçons de cette erreur de toute urgence dans le cadre de nos commémorations de la grande pandémie de grippe il y a 100 ans et réfléchir à la complexité de cette expérience pour diverses sphères de la société, les secteurs du travail et les différentes étapes, ainsi qu’examiner à fond la situation et veiller à nous rappeler ce que nous avons appris.
La Dre Straus : Je pense qu’il serait essentiel de faire participer les jeunes, et un message que nous devrions véhiculer, c’est comment les écoles peuvent participer et comment les organismes communautaires peuvent participer et relever des stratégies pour commémorer ce pan de l’histoire et souligner les récits personnels. Par exemple, l’un des projets de sensibilisation que nous menons auprès des enfants à risque de décrochage scolaire est de créer des vidéos sur ce qu’ils ont fait durant la COVID, pour réfléchir à comment ces récits pourraient être utilisés pour nous rappeler ce qui s’est passé.
La Dre Smart : Je vous suis reconnaissante de vos remarques, surtout en ma qualité de pédiatre qui se soucie profondément des répercussions sur les enfants et les jeunes. Une grande partie du défi lié à cette pandémie, c’est que les répercussions sur ces enfants et ces jeunes ont souvent été secondaires aux répercussions sur les adultes car elles se sont fait sentir d’une manière plus silencieuse, moins dramatique et moins visible aux Canadiens. Nous savons que nos enfants et nos jeunes ont été énormément touchés pour ce qui est de l’accès à l’école et de la santé mentale, et les enfants et les jeunes marginalisés ont été plus gravement affectés que les autres, et ces écarts se creusent de plus en plus. Il sera primordial — et ce sera une source d’espoir pour nous tous — d’inclure les enfants et les jeunes et ce qu’ils envisagent pour l’avenir du Canada et de leur permettre de réfléchir à leurs expériences et à comment ils veulent que notre monde soit différent à l’avenir sur les enjeux qui leur tiennent à cœur.
La sénatrice Dasko : J’ai deux questions, et merci, encore une fois, à nos témoins. J’ai beaucoup appris aujourd’hui. La discussion a été très utile.
Bon nombre d’entre vous ont amené la conversation vers un enjeu plus vaste, à savoir les problèmes en matière de soins de santé durant la pandémie. Ma première question porte là-dessus. Docteure Smart et docteure Straus, vous avez toutes les deux longuement parlé des mesures que vous aimeriez voir. Vous aimeriez voir certaines initiatives, orientations stratégiques, notamment, de la part du gouvernement fédéral, mais je veux que vous nous disiez brièvement si vous pensez que nous avons accompli des progrès. La pandémie dure depuis deux ans. Au début de la pandémie, bon nombre d’entre nous parlaient d’idées que nous voudrions exprimer pour améliorer les choses. Avons-nous fait des améliorations dans l’un des secteurs qui comptent pour vous? Docteure Straus, vous avez mentionné les normes en matière de soins de longue durée. Avons-nous réalisé des progrès dans ce secteur? La situation s’est-elle améliorée par rapport à ce qu’elle était? Docteure Smart, j’aimerais vous poser cette question à vous aussi. Vous avez parlé de planification intégrée, entre autres choses. Avons-nous accompli des progrès? C’est ma première question.
La Dre Straus : C’est une excellente question. Tout à fait. Nous devons également célébrer ce que nous avons fait de bien et ce qui s’est produit au cours des deux dernières années. Les changements qui ont été mis en œuvre très rapidement sont incroyables. Certains exemples sont l’élargissement du champ d’action et la création d’équipes chargées de la réorientation des tâches pour prendre soin de patients dans différents cadres. Je pense que c’est quelque chose de très remarquable qui est survenu assez rapidement.
La deuxième chose est du point de vue des établissements de soins de longue durée. Il y a eu des changements pour le mieux. Plus particulièrement, il y a eu une initiative fédérale pour créer des normes nationales, ce qui est un énorme pas en avant. Je pense que l’élément clé, c’est de nous assurer que ces mesures sont mises en œuvre et de surveiller la mise en œuvre. Par ailleurs, de nombreuses initiatives différentes ont cherché avant tout à soutenir le mieux-être du personnel dans les établissements de soins de longue durée. Ce n’est pas forcément ce qui s’est passé d’un bout à l’autre du pays et c’est un peu fragmenté, mais il y a d’excellents exemples d’initiatives pour corroborer ces progrès. Également, les initiatives pour appuyer les partenaires de soins essentiels, les familles et les fournisseurs de soins qui s’occupent des personnes qui vivent dans des établissements de soins de longue durée et la participation de ces personnes dans les orientations à prendre pour le secteur des établissements de soins de longue durée sont essentielles.
Je voulais également souligner du point de vue de la recherche clinique qu’il y a eu d’énormes avancées, notamment la création de plateformes nationales en matière de recherche clinique pour les essais à grande échelle afin de tester des interventions et d’examiner des méthodes de dépistage rapides et des nouveaux tests comme les tests rapides de détection des antigènes. Il y a eu d’énormes avancées du point de vue de la recherche clinique qui ont mis à contribution nos systèmes de soins de santé. Je dirais que c’est quelque chose que nous pouvons célébrer également.
La Dre Smart : Merci de la question. Je souscris entièrement à ce que nous a dit la Dre Strauss et je ne veux pas le répéter, mais je vais souligner deux autres points.
Ce qui est incroyable, c’est la façon dont nos systèmes de soins de santé se sont adaptés pour répondre aux besoins des patients durant cette période très difficile. Un exemple que je soulignerais, c’est l’adaptation rapide des soins virtuels. Nous parlions des soins virtuels avant la pandémie, mais littéralement du jour au lendemain, des milliers et des milliers de médecins ont adapté leur clinique pour avoir accès à leurs patients par l’entremise des soins virtuels. Il y a encore beaucoup à apprendre, mais il est incroyable de voir à quel point les gens sont disposés à apporter ces changements et à s’adapter aux nouvelles technologies pour veiller à ce que les gens disposent des soins dont ils ont besoin. C’est un aspect sur lequel nous devons continuer de miser lorsque nous pensons à l’accès aux soins.
L’autre volet que je trouve très intéressant, c’est la communication en matière de santé. Nous avons entendu parler au cours de cette discussion du risque de désinformation et de l’infodémie dans laquelle nous sommes. Il est également très intéressant de constater ces deux dernières années le nombre de médecins, d’infirmières, de scientifiques et d’autres experts qui sont intervenus dans l’espace des médias sociaux pour sensibiliser les Canadiens, lutter contre la désinformation et promouvoir la vaccination. Je ne pense pas que nous serions là où nous en sommes actuellement sans ces efforts collectifs et sans les experts qui ont communiqué librement leurs connaissances aux Canadiens sur les plateformes de médias sociaux. Je pense que l’importance de la communication en matière de santé sera également cruciale à l’avenir.
La sénatrice Dasko : Madame Kortes-Miller, nous envisageons le Jour commémoratif de la pandémie comme étant en grande partie une journée positive, mais avez-vous des craintes que cette journée commémorative expose les profondes divisions que nous avons vues récemment en ce qui a trait à la COVID en lien, par exemple, aux exigences en matière de vaccination et au fait que les gens ont connu des confinements et des pertes d’emplois? Vous avez parlé des expériences ratées pour les enfants d’âge scolaire. Il y a tant de conséquences négatives. Avez-vous des craintes que cette journée commémorative mette en évidence les difficultés et les terribles expériences que les gens ont vécues de façon négative? Il se pourrait que les manifestants que nous voyons ici à Ottawa aujourd’hui utilisent cette journée pour revenir et refaire ce qu’ils ont fait.
Mme Kortes-Miller : Merci de la question.
Pour être tout à fait honnête, il y a quelques semaines, j’aurais peut-être dit « non », car je pense que, comme Canadiens, nous utiliserions cette journée pour nous remémorer les leçons que nous avons tirées. Oui, il y a des épreuves. Mais maintenant, en rétrospective et à la lumière des leçons tirées de l’occupation, je ne suis pas totalement certaine, mais il y a eu des moments très sombres durant la pandémie qui doivent faire l’objet de discussion, d’analyse et de recherche pour que nous puissions faire ce que d’autres témoins ont mentionné afin de pouvoir aller de l’avant. Je ne pense pas qu’une journée commémorative qui met seulement l’accent sur les aspects positifs se concrétisera. Je pense que nous devons reconnaître certains de ces défis et moments sombres afin de pouvoir aller de l’avant.
La présidente : J’ai une question. Je serai brève, et elle s’adresse à vous, madame Kortes-Miller. C’est à propos du deuil. Vous parlez avec beaucoup d’éloquence des différentes expressions du deuil. Il y a le deuil social, le deuil individuel et le deuil culturel. J’ai perdu ma mère durant la crise, et nous n’avons toujours pas pu tourner la page. Si ce projet de loi est adopté et que l’Association canadienne pour le deuil est chargée d’élaborer une plateforme, comment incluriez-vous les minorités culturelles du Canada dans vos travaux?
Mme Kortes-Miller : Merci de votre question, et merci de nous avoir parlé du décès de votre mère. C’est une question très importante.
À l’Alliance canadienne pour le deuil, nous espérons pouvoir offrir des occasions de reconnaître les différences culturelles et d’apprendre d’autres cultures et à propos d’autres cultures dans le cadre de nos discussions sur le deuil social. Je pense qu’une journée de commémoration offrira une occasion aux gens de se remémorer et de pleurer leur propre perte à leur manière. J’espère que nous verrons des groupes communautaires culturels, spirituels et occupationnels se réunir pour se remémorer certaines de ces pertes. Il est à espérer que l’Alliance canadienne pour le deuil sera en mesure d’offrir cet espace. Merci.
La présidente : Permettez-moi d’abord de remercier tous les témoins : Mme Kortes-Miller, Dre Smart, Mme Vaillancourt, Mme Wright et Dre Straus. Vos témoignages ont été brillants et importants. Nous aurions pu discuter avec vous pendant deux autres heures, mais c’est impossible. Nous allons vous laisser partir et poursuivre nos travaux. Nous vous remercions d’avoir été présentes avec nous aujourd’hui et d’avoir été présentes pour les Canadiens pendant la crise.
Chers collègues, l’ordre du jour étant épuisé, nous allons ajourner la séance. Merci.
(La séance est levée.)