LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 24 septembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-269, Loi concernant un cadre national sur la publicité sur les paris sportifs, et à huis clos pour discuter de travaux futurs.
Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, bonjour. Je suis le sénateur Leo Housakos, du Québec, et je suis président de ce comité. J’invite mes collègues à se présenter.
La sénatrice Simons : Je suis la sénatrice Paula Simons, de l’Alberta. Je représente le territoire du Traité no 6.
Le sénateur Cuzner : Je suis Rodger Cuzner, sénateur de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Quinn : Je m’appelle Jim Quinn; je suis sénateur du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Marty Deacon, de l’Ontario.
Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi S-269, Loi concernant un cadre national sur la publicité sur les paris sportifs. Nous accueillons, par vidéoconférence, Michael Grade, Lord Grade de Yarmouth, ancien président du comité spécial sur l’impact social et économique de l’industrie du jeu de la Chambre des lords britannique. Bienvenue et merci beaucoup de vous joindre à nous. Nous commencerons par vos remarques préliminaires, puis nous passerons aux séries de questions. Lord Grade, la parole est à vous.
Michael Grade, Lord Grade de Yarmouth, Chambre des lords : C’est un grand honneur d’avoir été invité à comparaître devant le Sénat canadien pour parler des répercussions de la publicité sur les jeux de hasard liés au sport.
Comme le président l’a indiqué, j’ai présidé un comité de la Chambre des lords chargé d’étudier l’impact social et économique de l’industrie du jeu et, très franchement, nos conclusions ont été choquantes. Nous avons notamment constaté qu’en moyenne, chaque jour, une personne — généralement un jeune homme — se suicide en raison de problèmes de jeu. L’exposition à la publicité, particulièrement chez les jeunes, est sans doute un facteur contributif. Nous avons obtenu les témoignages des familles de certains de ces jeunes hommes tant de manière officielle, ainsi que des témoignages informels. Ces rencontres furent très instructives et très éprouvantes. Je vous exhorte à tenir de telles rencontres, si vous le pouvez, pour obtenir des témoignages venant directement de ceux qui souffrent.
Lorsque je dis que la publicité sur les jeux de hasard est l’une des principales causes du tort lié aux jeux de hasard, je cite un fait, mais l’industrie s’entête à faire valoir qu’il n’existe aucun lien prouvé entre la publicité sur les jeux de hasard et les effets néfastes du jeu. Inévitablement, la preuve n’est pas rigoureuse, car on ne peut démontrer que les répercussions subies à l’âge de 20 ans découlent d’une exposition à la publicité 10 ans plus tôt. Il y a toutefois un fait incontestable : au Royaume-Uni, l’industrie du jeu dépense 1,5 milliard de livres sterling en publicité, dont une bonne partie est liée au sport, ce qu’elle ne ferait pas si elle ne considérait pas qu’il s’agit d’un moyen efficace d’inciter les gens à commencer et à continuer à se livrer aux jeux de hasard.
Évidemment, la publicité dans les médias de masse ne fait pas de discrimination : nous la voyons tous, qu’elle nous influence ou non.
Les approches ciblées en fonction de destinataires précis, rendues possibles par l’utilisation des téléphones intelligents, sont beaucoup plus pernicieuses. Dans ce cas, les algorithmes des sociétés de jeux de hasard peuvent cibler les plus vulnérables, et c’est ce qu’ils font. Il s’agit des personnes qui consacrent au jeu plus d’argent qu’ils en ont les moyens, qui ont souvent essayé de combattre leur dépendance, peut-être à l’aide d’outils d’auto-exclusion. Or, il est extrêmement facile d’inciter les gens à revenir par la publicité directe. C’est de cette clientèle que l’industrie tire la majorité de ses profits.
Il convient de ne pas ignorer ces approches directes individuelles lorsqu’on étudie la publicité sur les jeux de hasard en général.
La forme de publicité sur le jeu la plus omniprésente est sûrement liée au football, qui est évidemment la religion dominante au Royaume-Uni. L’industrie se targuera des mesures volontaires qu’elle a prises pour veiller à protéger les enfants de ce type de publicité lorsqu’ils regardent le football à la télévision. La plus importante est une interdiction de la publicité durant le match, soit une interdiction de publicité avant 21 heures, entre le coup d’envoi et le coup de sifflet final. Lorsque j’en ai entendu parler pour la première fois, j’espérais être impressionné. Je pensais naïvement que les enfants qui regardaient le football ne verraient aucune publicité pour des jeux de hasard. J’ai ensuite découvert que cette restriction s’appliquait uniquement à la publicité lors de la mi-temps. Les barrières autour du terrain demeurent pleines de publicités pour les jeux de hasard. C’est aussi le cas des maillots des joueurs. L’an dernier, l’industrie a promis d’arrêter de faire de la publicité sur le devant des maillots des joueurs en 2026, mais il y aura tout de même de la publicité sur le dos et les manches.
Donc, que peut-on faire? De toute évidence, on ne peut et ne doit pas compter sur l’industrie pour mettre elle-même en place des mesures efficaces. Alors que 40 de nos petits clubs de football ont volontairement renoncé aux commandites des sociétés de jeux de hasard, la plupart de clubs — y compris dans la très importante Premier League — continuent de compter sur cette publicité, affirmant que sans elle, ils connaîtraient des difficultés financières. Ils ont dit la même chose lors de l’interdiction de la publicité sur le tabac, mais ils semblent avoir survécu.
Que peuvent faire les gouvernements? En 2020, le gouvernement espagnol a imposé une interdiction presque totale de la publicité sur les jeux de hasard dans le sport. Plus tôt cette année, cependant, la Cour suprême d’Espagne a invalidé une bonne partie de l’interdiction. L’Australie visait une interdiction de la publicité en ligne, ce à quoi l’industrie s’est opposée avec véhémence. Le gouvernement semble avoir reculé. En Belgique, toutefois, une interdiction presque totale a été imposée l’an dernier malgré la vive opposition de l’industrie, des clubs et des médias. C’est possible.
Lorsque ce type de publicité générale sera endigué, le cas échéant, il est certain que l’industrie misera davantage sur les approches individuelles que j’ai mentionnées plus tôt. Devant mon comité, un témoin a indiqué que pour des jeux de hasard sécuritaires, « l’accessibilité financière est la clé ». Ce sont les propos du PDG d’une des plus importantes sociétés de jeux de hasard du Royaume-Uni. Je pense qu’il voulait vraiment dire qu’il souhaiterait que les gens qui ont moins les moyens jouent moins fréquemment. Certains de ses collègues étaient en désaccord.
J’ai malheureusement la conviction que ce sont les plus vulnérables et ceux qui ont moins les moyens de perdre de l’argent qui seront les plus ciblés, individuellement, par ces algorithmes. Il existe une multitude d’exemples scandaleux d’offres spéciales alléchantes faites auprès de participants à des programmes d’auto-exclusion : mises gratuites, argent gratuit, etc. Ici, les mesures de contrôle qui s’offrent aux organismes de réglementation sont moins efficaces, mais comprennent une arme puissante. Dans les cas extrêmes, l’organisme de réglementation peut, au Royaume-Uni, suspendre ou même révoquer le permis d’un exploitant qui enfreint les règles de manière récurrente et flagrante. Mon comité et moi souhaitons que cette sanction soit appliquée au besoin. La simple menace d’être frappé d’une telle sanction pourrait inciter certains exploitants à améliorer leur comportement.
Voilà un aperçu de la situation, comme je la perçois. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions. Je vous remercie.
Le président : Merci, lord Grade. Je rappelle à notre auditoire que le Comité sénatorial permanent des transports et des communications étudie aujourd’hui le projet de loi S-269, Loi concernant un cadre national sur la publicité sur les paris sportifs.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup, lord Grade, de prendre le temps de nous parler depuis l’autre côté de l’océan.
Il est important de comprendre le contexte ici. Le Canada a légalisé les paris sportifs sur un événement unique en 2021 seulement, et cela demeure interdit dans la plupart des régions du pays. Donc, notre écosystème est très différent de celui de la Grande-Bretagne. Nous commençons à nous attaquer à un problème que le gouvernement... J’ai voté contre la légalisation des paris sportifs sur un événement unique lorsque le projet de loi a été présenté. Nous avons créé cette situation assez récemment.
À titre de comparaison, pouvez-vous nous dire quels types de paris sportifs sont actuellement légaux en Grande-Bretagne et depuis combien de temps?
Lord Grade : Essentiellement, tous les types de paris. Il y a les paris sur écarts et les paris sur résultats. Vous pouvez parier sur n’importe quoi, en fait, sur les plateformes de paris en ligne, vous savez, si vous parvenez à trouver quelqu’un qui veut bien...
La sénatrice Simons : La blague qui circule, c’est qu’on peut parier sur le vainqueur d’un débat présidentiel américain, ou sur les Oscars. C’est toujours possible, d’une manière ou d’une autre, par l’intermédiaire de preneurs aux livres à Londres.
Lord Grade : Oui, c’est exact. Je ne pense pas qu’il y ait une inhibition quelconque relativement aux paris au Royaume-Uni, pourvu que la personne qui propose le pari précise explicitement sur quoi porte le pari afin que ce soit équitable pour le consommateur, et fasse preuve de transparence pour les cotes, etc. Donc, il n’y a aucune restriction.
C’est ainsi depuis 2005, lorsque l’actuelle Gambling Act a été adoptée. Malheureusement, c’était un an avant l’émergence des téléphones intelligents, et les dispositions de la loi de 2005 ont lamentablement échoué à composer avec cette explosion. En 2005, personne n’avait pensé qu’on puisse perdre 20 000 $ en une demi-heure, bien assis dans son bain. C’est là que les choses ont commencé à déraper.
La sénatrice Simons : Vous et moi ne pensons pas au même sport lorsque nous employons le mot « football », mais un des défis, ici, c’est que le football professionnel au Canada est soumis à un incroyable stress financier parce que les gens choisissent de regarder le football américain au lieu du football canadien. Le football canadien connaît de véritables difficultés, et je pense que l’idée était que permettre les paris sportifs sur un match unique contribuerait à relancer l’intérêt pour un sport en pleine crise économique.
Fait-on valoir les mêmes arguments en Angleterre, pas seulement qu’ils ont besoin des revenus publicitaires, mais qu’ils auront besoin des paris sportifs pour attirer de nouveaux publics si les gens délaissent le sport télévisé?
Lord Grade : Non, je ne pense pas que ce soit le cas au Royaume-Uni. Le sport — football, cricket, rugby et tout le reste — est le principal moteur de l’auditoire télévisuel. Nous sommes une nation passionnée de sport. Nous n’avons pas l’enthousiasme pour le hockey que vous avez chez vous, mais nous avons pratiquement tous les autres sports.
Je pense que vous êtes dans une position privilégiée au Canada, si j’ose dire, et je suis certain que votre comité saura tirer des leçons de ce qui s’est passé ailleurs, car vous êtes au bas d’une montagne à gravir, et il y a une multitude de leçons à tirer de partout dans le monde.
Parier n’est pas mal en soi. La plupart des gens survivent à cela. Ils parient sur un cheval lors d’un derby, comme le Grand National ou le derby du Kentucky, peu importe. Cela ne pose pas problème. Par contre, c’est un problème dans le coin des joueurs compulsifs, pour employer ce terme. C’est très toxique. Le jeu compulsif cause de la souffrance chez beaucoup de gens, allant parfois jusqu’à les pousser à la mort, d’où l’importance de la réglementation et de la législation.
La sénatrice Simons : Au Canada, le problème est habituellement lié aux jeux de hasard, comme les terminaux de loterie vidéo et le jeu en casino. Ce dont nous parlons est relativement nouveau pour nous.
Par conséquent, que recommanderiez-vous? Nous venons tout juste de légaliser cela, et nous commençons à peine à constater les répercussions de la publicité. En outre, en raison de la vaste étendue de notre pays, une publicité diffusée dans une province donnée peut être vue par des gens qui regardent le match à la télévision ou en ligne, même si, techniquement, les paris sont interdits dans leur province. Selon vous, quelles règles de base devrions-nous envisager pour l’avenir?
Lord Grade : Je pense, puisque la plupart des gens utilisent une carte de crédit ou de débit pour faire des paris, que les sociétés de jeu devraient mettre l’accent sur la vérification de la capacité financière des titulaires de comptes. La technologie existe déjà. Si une personne fait des paris à hauteur de 10 000 $ par mois, comptant, mais gagne 30 000 $ par année, ce qu’il est possible de déduire, en général, avec son code postal ou ses habitudes de consommation, il ne devrait pas être accepté. Ce sont les exploitants de jeux de hasard qui contrôlent cela.
J’ignore comment la réglementation est censée fonctionner au Canada, si elle s’applique à l’ensemble du pays ou comment elle fonctionne, mais il y a un deuxième élément important : l’organisme de réglementation doit faire un contrôle des jeux ou paris offerts sur le marché et de la promotion de tels jeux afin de déterminer le risque de dépendance. Il s’agirait d’une obligation; ce n’est pas difficile. Vous devriez pouvoir mesurer le caractère addictif des jeux qu’ils offrent. Tout produit destiné au marché devrait faire l’objet d’une vérification du caractère addictif.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup.
Le sénateur Quinn : Merci, monsieur, de comparaître aujourd’hui depuis l’autre côté de l’océan.
Au pays, comme la sénatrice Simons l’a mentionné, nous en sommes seulement aux premières étapes de ce processus, probablement. Vous avez dit que nous sommes au bas d’une montagne. Quels enseignements pouvez-vous nous donner? Ma question est la suivante : avez-vous des statistiques à nous fournir qui démontrent clairement la relation entre le jeu et ses effets sur la santé, les familles, la criminalité et l’emploi? Nous aimerions voir ce que pourrait nous réserver l’avenir si nous ne nous attaquons pas à ce problème maintenant.
Lord Grade : Je serai ravi de transmettre au comité tous les renseignements que nous avons dans les plus brefs délais. Donnez-moi un instant pour prendre cela en note. Le but est essentiellement de mesurer le tort, n’est-ce pas? J’ai noté la question et je vous enverrai ces renseignements le plus rapidement possible.
Le sénateur Quinn : Je vous en remercie, monsieur.
Lord Grade : C’est un point très important.
Le sénateur Quinn : Vous avez également déclaré que les gouvernements ont tendance à reculer. Cela m’amène à vous poser la question suivante : quelle est la nature des activités de lobbying de ces grandes sociétés au Royaume-Uni? Sont-elles au premier plan? Offrent-elles du soutien financier important à tous les partis politiques? Ont-elles une influence auprès de diverses personnes dans des domaines importants? Pouvez-vous en dire davantage à ce sujet?
Lord Grade : Je ne pense pas qu’elles aient besoin de faire du lobbying ou de contribuer à des fonds. Je dirais — c’est une simple opinion — que leur plus important soutien est le Trésor de Sa Majesté, qui engrange beaucoup de recettes et qui souhaite ardemment que les recettes du secteur des jeux de hasard ne soient pas réduites. Beaucoup de mesures que nous aimerions voir être mises en œuvre pour réduire les répercussions toxiques liées au jeu pourraient avoir une incidence sur les recettes. Je pense qu’on se retrouve toujours à se battre contre le Trésor.
Le sénateur Quinn : Savez-vous quelles seront les conséquences sur les revenus de la chambre du Royaume-Uni?
Au Canada, la prolifération des paris en ligne, de la publicité et de tout le reste à la télévision a créé un marché pour les célébrités. Certaines mesures ont été prises pour éviter cela, mais il est possible de les contourner. Nous avons des hockeyeurs célèbres... Par exemple, vous connaissez peut-être Wayne Gretzky, d’Edmonton, en Alberta.
Lord Grade : En effet.
Le sénateur Quinn : Dans tous les cas, est-ce qu’il s’agit d’un enjeu important chez vous : de grands joueurs que les jeunes adulent, qui font la promotion du jeu à la télévision? Avez-vous connu ce genre de problèmes ou avez-vous réussi à les éviter d’une certaine façon?
Lord Grade : Nous n’avons pas réussi à les éviter, non. Il n’y a aucune restriction, mais il faudrait désigner les pratiques de commercialisation permises ou interdites dans la mesure législative que vous allez proposer.
Ce qui a souvent émergé de nos discussions sur ce point en particulier, c’est l’association du jeu et du sport, par l’entremise des ambassadeurs pour des entreprises de paris sportifs ou autres, ce qui crée une situation de normalisation. Les gens croient que le sport et le jeu vont de pair, ce qui n’est absolument pas le cas, et qui ne devrait pas l’être.
Tous ces éléments contribuent à la normalisation du jeu. Il n’y a pas de danger associé au jeu s’il est réglementé et que les personnes vulnérables sont protégées... d’elles-mêmes, je dirais.
Le sénateur Quinn : J’aimerais vous poser une autre question, si vous me le permettez, sur un sujet qui m’intéresse. Il y a eu plusieurs incidents en Amérique du Nord où des joueurs étoiles se sont fait prendre à parier contre leur propre équipe ou pour d’autres équipes. Est-ce que c’est arrivé également au Royaume-Uni?
Lord Grade : Très occasionnellement, et ces cas sont traités de façon très sévère lorsqu’ils sont mis au jour.
Le sénateur Quinn : Très bien. Merci.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, lord Grade, d’être avec nous aujourd’hui. Je vais aborder la question selon un autre angle, soit celui des enfants et des mineurs qui sont affectés par la publicité. Votre loi sur la sécurité en ligne est très impressionnante. Elle entrera en vigueur sous peu. Est-ce qu’elle contient des mesures pour protéger les enfants contre une telle publicité? Je dois dire que je suis surprise de constater que le Royaume-Uni n’a pas abordé la question de la publicité, puisque vous avez été les premiers — ou parmi les premiers — à empêcher les enfants de faire des paris en ligne. D’après mes recherches, vous avez été parmi les premiers à dire qu’il fallait des mesures plus strictes en la matière.
Comment vous expliquez-vous que la situation ait complètement dégénéré au Royaume-Uni, étant donné les progrès que vous avez réalisés? Bien sûr, les enfants ne font pas tous des paris, mais s’ils sont assujettis à la publicité dès leur jeune âge, cela peut avoir une incidence sur leurs comportements plus tard.
Lord Grade : Cela ne fait aucun doute. Je suis président de l’Ofcom, qui est l’organisme de réglementation des communications du Royaume-Uni, et nous sommes responsables de la mise en œuvre de la loi sur la sécurité en ligne. Vous soulevez un point très pertinent au sujet de la vérification de l’âge en ligne, mais il faudrait qu’elle s’applique au secteur du jeu. Ce n’est pas une science parfaite. Il y a toutes sortes de technologies qui cherchent à être les plus fiables en matière de reconnaissance faciale et autres, de diverses façons afin...
La sénatrice Miville-Dechêne : Pour estimer l’âge des personnes.
Lord Grade : C’est extrêmement important. Les exploitants de jeux de hasard devraient être tenus de s’assurer que leur système de vérification de l’âge des joueurs est aussi fiable que possible, sous peine de sanctions sévères. Dans notre rapport, il y a trop... Je ne me souviens pas des chiffres exacts, mais nous avons été consternés de voir combien d’enfants arrivaient à entrer dans le système et à jouer.
La sénatrice Miville-Dechêne : Qu’en est-il du climat? Comment justifiez-vous le fait que vous n’ayez pas encore réglementé la question de la publicité du jeu de façon générale? Est-ce que c’est simplement parce que le gouvernement fait de l’argent avec le jeu? Est-ce parce que vous avez d’autres priorités? Est-ce à cause d’obstacles juridiques?
Lord Grade : Non. Comme vous le savez, les gouvernements et les législatures sont toujours très occupés, et il faut trouver le temps pour le faire. Je crois que notre rapport contient environ 60 recommandations, et seulement trois ou quatre d’entre elles visent une loi principale. Bon nombre des recommandations pourraient être abordées par l’entremise d’un règlement ou d’une loi secondaire, que nous appelons des textes réglementaires. Il faut donc une volonté politique et il faut que le gouvernement du jour — le ministère responsable — demande des comptes à l’organisme de réglementation s’il n’agit pas pour mettre fin aux mauvais comportements des exploitants de jeux de hasard.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup. Je ne sais pas si nous avons votre rapport, mais si nous ne l’avons pas, pourriez-vous le joindre aux autres documents que vous voulez nous transmettre?
Lord Grade : Absolument. Je vais l’envoyer de nouveau. Je crois que le greffier l’a reçu, mais je vais m’assurer de vous l’envoyer.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup.
La sénatrice M. Deacon : Lord Grade, nous vous remercions d’être avec nous aujourd’hui. Nous vous en sommes très reconnaissants. Je suis la marraine du projet de loi, et nous avons beaucoup investi dans certains renseignements.
Juste avant de poser mes questions — et je vais essayer de m’en tenir au moins de questions possible —, j’aimerais aborder deux éléments qui ont été soulevés jusqu’à maintenant. Le premier vise à reconnaître que nous travaillons à ce dossier depuis près de deux ans, et qu’au cours de cette période, nous avons recueilli quotidiennement des données canadiennes — en grande partie grâce au soutien de l’Université de Bristol et de la CBC — sur les liens entre le jeu en ligne, la publicité et la santé mentale des jeunes. Le travail avance bien. Cet été, le comité a fait une ventilation des revenus au pays. Il est parfois difficile de savoir où va cet argent. Le comité a reçu à la fin du mois d’août une mise à jour sur la situation dans chaque province. Je tenais à ce que vous sachiez qu’il s’agissait de l’un de nos projets pour les vacances d’été.
Ce que vous dites aujourd’hui, et c’est l’une des recommandations de votre rapport de 2020, c’est que les exploitants de jeux de hasard ne devraient plus être autorisés à faire de la publicité sur les vêtements des équipes sportives ou sur toute autre partie visible de leur équipement, et qu’il ne devrait pas y avoir de publicité sur le jeu sur les terrains de sport ou dans le cadre des événements professionnels et amateurs, ou à proximité de ceux-ci.
Quel est le sentiment de votre comité sur le sujet, alors que le temps passe? Cela fait maintenant trois ou quatre ans que vous y travaillez, et le club de football de la Premier League dont vous avez parlé plus tôt a dit qu’il retirerait volontairement la publicité des maillots pour sa saison 2025-2026. Y a-t-il des efforts pour enchâsser cette mesure dans la loi, soit en faisant en sorte que les ligues professionnelles entament le processus ou en suggérant que cela se fasse?
Lord Grade : Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’adopter une loi principale, et si c’était le cas, il faudrait des années pour que le projet de loi passe dans la file d’attente et par les deux chambres du Parlement. Les clubs sont inquiets; ils sont déchirés, parce qu’ils ne veulent pas perdre de revenus d’une part et que le risque d’atteinte à leur réputation est très grand d’autre part. Il ne se passe pas un mois sans qu’on entende parler d’une tragédie, d’une personne qui s’est enlevé la vie parce qu’elle avait accumulé des dettes de jeu, qu’elle avait honte et qu’elle était incapable de faire face à la situation. Il y a donc un risque pour la réputation et un risque pour les recettes.
Au bout du compte, le marché arrivera à tirer son épingle du jeu. Lorsque la publicité sur le tabac a été interdite, le vide s’est comblé assez rapidement avec de nouveaux annonceurs, de nouvelles personnes qui ont vu des occasions à saisir. Le marché s’en occupera. S’il y a moins d’argent pour payer les agents et les joueurs, ce n’est probablement pas une mauvaise chose.
La sénatrice M. Deacon : Merci. La publicité est certainement le point de départ d’un projet de loi ici, au Canada. Cependant, nous envisageons aussi de demander au gouvernement de trouver des mesures pour empêcher les mineurs de devenir des joueurs à problème et d’établir des normes nationales pour la prévention et le diagnostic des problèmes de jeu.
Dans votre rapport de 2020, vous avez dit que plus de 50 000 enfants au Royaume-Uni avaient un problème de jeu. Quelles mesures souhaiteriez-vous que le gouvernement prenne — ou auriez-vous voulu qu’il prenne en 2010 ou en 2005, lorsque la loi sur le jeu a été créée, pour empêcher que cela se produise?
Lord Grade : Je ne crois pas que ce soit aux gouvernements de s’en charger. Il est illégal de permettre aux mineurs de faire des paris ou de consommer de l’alcool. L’organisme de réglementation doit assurer une surveillance et veiller à ce que les procédures de vérification et d’évaluation de l’âge des sociétés de jeu soient sécuritaires. Une loi principale prendra plus de temps. Je crois que vous devez agir plus rapidement.
Je ne sais pas quels sont les pouvoirs de votre organisme de réglementation. Est-ce que les exploitants de jeux de hasard détiennent un permis au Canada?
La sénatrice M. Deacon : Oui.
Lord Grade : Est-ce qu’il est émis par un organisme de réglementation du jeu?
La sénatrice M. Deacon : Des organismes de réglementation, oui.
Lord Grade : C’est la responsabilité des organismes de réglementation. Il faut qu’ils soient tenus responsables. C’est leur responsabilité. Ils doivent veiller à ce que cela ne se produise pas.
Je ne sais pas quelles sont les sanctions au Canada, mais si les exploitants ont un permis, on peut leur retirer lorsqu’ils se comportent de façon éhontée.
La sénatrice M. Deacon : D’après votre travail et les recommandations que vous avez faites au comité, croyez-vous que, au sein de votre administration, ces recommandations pourraient être mises en œuvre par l’entremise de règlements ou est-ce qu’il faudrait adopter des lois?
Lord Grade : Comme vous le constaterez dans le rapport, au Royaume-Uni, seules cinq ou six de ces 60 recommandations nécessitent l’adoption de lois principales, et elles visent des redevances prévues par la loi pour que les exploitants paient pour la réglementation, les préjudices qu’ils causent, les mesures de suivi et ainsi de suite. La plupart des recommandations peuvent être mises en œuvre par l’entremise d’un organisme de réglementation qui relève du Parlement.
La sénatrice M. Deacon : Je pense entre autres à toute la promotion qui est faite sur les sites Web. Ce matin — nous sommes mardi matin ici, au Canada —, lorsque j’ai regardé le site Web dont on avait largement fait la promotion sur les ondes de notre diffuseur national pendant les Jeux olympiques cet été, la première chose qui est apparue, ce sont ces offres allant jusqu’à 500 $ d’argent supplémentaire et d’une deuxième chance allant jusqu’à 250 $.
Je crois que, dans votre rapport de 2020, vous dénonciez vivement ce type d’offre. D’après ce que vous avez appris du rapport cause à effet dans ce domaine, qu’est-ce qui est particulièrement dérangeant dans ces pratiques? Quelles mesures ont été prises au Royaume-Uni en ce sens?
Lord Grade : Une personne qui ne contrôle pas entièrement ses habitudes de jeu est très vulnérable à des offres de pari gratuit ou d’argent. On n’aide pas les gens qui ont une dépendance lorsqu’on leur fait de telles offres. Ils se disent qu’ils peuvent jouer et que cela ne leur coûtera rien, mais ils se retrouvent ensuite aux prises avec les mêmes problèmes. C’est comme un alcoolique qui se dit qu’il peut bien prendre un verre et que ce ne sera pas grave. Ce n’est pas vrai.
Cela revient une fois de plus à l’organisme de réglementation. Les parlements doivent établir des principes pour que cet organisme mette en œuvre des règlements et y associe des sanctions sévères, et qu’il adopte une approche rigoureuse dès le départ, parce que les exploitants de jeux du hasard ont pris de mauvaises habitudes.
La sénatrice M. Deacon : Est-ce que vous pourriez m’expliquer une chose que vous avez dite plus tôt? On parle d’une interdiction entre le premier et le dernier coup de sifflet, mais au Canada, ce serait une interdiction complète, puisque cinq minutes avant et cinq minutes après la partie, qu’il s’agisse de la diffusion pendant les quarts ou les périodes... C’est une interdiction complète. Selon ce que je comprends, dans votre cas, c’est plutôt une interdiction partielle. Est-ce exact?
Lord Grade : Exactement. C’est très bien dit.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Le sénateur Cardozo : Merci, monsieur Grade, d’être ici. Je suis heureux de m’adresser à vous parce que je m’intéresse à votre rôle de président de l’Ofcom. J’ai été commissaire au CRTC, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, qui est l’équivalent de votre organisation au Canada. Il est intéressant d’entendre ce que vous faites par rapport à ce que fait notre organisation.
Vous avez parlé de la réglementation du jeu et de l’organisme responsable à cet égard. Je crois comprendre que les organismes de réglementation du jeu relèvent des provinces au Canada. En tant que Parlement fédéral, nous n’aurions que très peu d’influence sur eux. Nous avons 10 provinces et trois territoires, et chacun fait ses propres affaires.
J’aimerais en savoir plus sur ce que fait l’Ofcom en ce qui concerne les jeux de hasard; j’aurai ensuite quelques questions précises sur ce que vous avez dit.
Lord Grade : Ofcom n’a absolument rien à voir avec le monde du jeu. Nous réglementons les câbles Internet, les lignes téléphoniques et les cellulaires. Nous réglementons le matériel.
Le jeu est dirigé par un organisme de réglementation du jeu prévu par la loi, la Gambling Commission. C’est l’organisme qui, à mon avis et comme on le dit dans le rapport — on le laisse certainement entendre dans le rapport —, dort au travail depuis l’avènement des téléphones intelligents quant à la façon dont les exploitants de jeux ont déjoué le système.
L’organisme de réglementation du jeu est beaucoup trop occupé à s’inquiéter de l’équité des jeux et des affirmations sur les chances, la transparence, etc. Il a perdu de vue la façon dont les exploitants utilisaient les téléphones intelligents, la publicité et l’argent gratuit, et ciblaient les jeunes et les personnes vulnérables qui sont accablés par leur dépendance au jeu.
Le sénateur Cardozo : L’organisme Ofcom a-t-il un rôle à jouer dans cette situation?
Lord Grade : Non. C’est seulement une coïncidence que j’aie présidé le comité spécial à la Chambre des lords et que je sois désormais le président d’Ofcom.
Le sénateur Cardozo : Lorsque vous êtes au Parlement, vous siégez au comité spécial.
Lord Grade : C’est exact. Comme l’un de vos sénateurs l’a déjà dit, le chevauchement est la vérification de l’âge de l’Online Safety Act, qui s’applique et qui doit être appliquée par l’entremise de l’organisme de réglementation du jeu.
Le sénateur Cardozo : À titre de précision, êtes-vous toujours membre de la Chambre des lords lorsque vous êtes président d’Ofcom?
Lord Grade : Oui, mais je ne prends pas de whip de parti.
Le sénateur Cardozo : Notre système est un peu différent ici. Je ne pense pas que l’un de nous pourrait rester au Sénat et présider un organisme.
Pouvez-vous parler de l’efficacité de la vérification de l’âge?
Lord Grade : En ce qui concerne la sécurité en ligne, Ofcom est d’avis que la vérification de l’âge est très importante, mais comme la technologie évolue très rapidement, nous ne devrions pas dire, « Voici la technologie que vous devriez utiliser ». Il appartient à l’exploitant de la plateforme en ligne de décider quel système il utilisera pour la vérification de l’âge. Toutefois, aux termes de la loi, la technologie choisie doit être efficace. C’est très bien défini dans la loi. À mesure que la technologie progresse, la vérification de l’âge devient plus fiable. Il est inacceptable de choisir une technologie qui est seulement efficace à 50 % et dire, « Eh bien, nous l’avons fait, nous avons la vérification de l’âge ». Il y a beaucoup de chemin à faire, mais la vérification de l’âge est extrêmement importante.
Le sénateur Cardozo : Les gens doivent-ils montrer une pièce d’identité délivrée par l’État où figure leur date de naissance?
Lord Grade : C’est une façon de procéder, mais dans le monde du jeu, il incomberait aux exploitants de jeux de décider s’ils veulent utiliser la reconnaissance faciale ou de l’âge. Il y a toutes sortes de systèmes différents. Ils devront choisir celui qu’ils veulent utiliser et ensuite prouver qu’il est aussi efficace que le meilleur système disponible.
Le sénateur Cardozo : L’autre question que je souhaite vous poser porte sur un point intéressant que vous avez soulevé — bien que vous n’ayez pas utilisé l’expression — concernant la vérification du niveau de revenu. Si une personne parie 10 000 $ et que son revenu annuel est de 30 000 $, comment feriez-vous pour vérifier cela?
Lord Grade : Il y a plusieurs façons de le faire. Il y a notamment avec le code postal ou le code ZIP. S’agit-il d’un code ZIP au Canada ou d’un code postal?
Le sénateur Cardozo : Un code postal.
Lord Grade : Un code postal, oui. Un code postal peut vous révéler à peu près dans quelle catégorie de revenu se trouve une personne. Les gens donnent une carte de crédit, bien que nous ayons interdit aux exploitants de jeux d’utiliser les cartes de crédit. Les gens doivent désormais utiliser une carte de débit. Avec les cartes de crédit, on peut s’endetter, mais on ne peut pas s’endetter avec une carte de débit. C’est un travail très important qui a été réalisé.
Il faut coopérer avec les banques et les exploitants de cartes de débit. Si vous demandez une hypothèque ou un prêt à la banque, elle saura assez rapidement combien vous gagnez et si cela vaut la peine d’avoir une conversation avec vous. Il en va de même ici. Les données sont là; elles existent de nos jours. Il n’est pas difficile de les trouver et de découvrir si une personne a les moyens de dépenser 10 000 $ en espèces pour un pari. Ce n’est pas difficile.
Le sénateur Cardozo : N’est-ce pas trop intrusif? Je pense qu’il y aura un peu de résistance pour ce niveau de...
Lord Grade : Cela arrive tout le temps, n’est-ce pas?
En ce qui concerne votre cote de crédit et tout le reste, toutes ces données sont disponibles. Si cela empêche des gens de s’enlever la vie et prévient toutes les tragédies qui en découlent pour les familles, entre autres, ce n’est pas un grand prix à payer.
Le sénateur Cardozo : La carte de débit me semble être une solution relativement simple qui pourrait être facile à mettre en œuvre et qui n’est pas si intrusive pour ce qui est d’interroger les gens sur leur niveau de revenu.
Lord Grade : C’est exact.
Le sénateur Cardozo : Je vous remercie.
Le président : Chers collègues, je vais apporter une clarification pour l’auditoire. Rien n’empêche les membres du Sénat de siéger à des conseils ou d’être des dirigeants de sociétés d’État ou, d’ailleurs, de servir dans toute autre institution. Je tiens à le préciser.
La sénatrice Simons : Lord Grade, c’est une chose de réglementer la publicité conventionnelle. Il serait assez simple de dire cela à la LNH, qui ne le fait déjà pas — nous ne voulons pas que les joueurs se promènent avec 100 écussons sur leur chandail. Donc, oui, nous pouvons dire d’avance que nous ne serions pas d’accord. Nous pourrions retirer les affiches des patinoires. Nous pouvons réglementer la publicité télévisée par l’entremise du CRTC.
Toutefois, comme vous l’avez mentionné, nous sommes à l’ère de ces appareils, qui peuvent envoyer des publicités personnalisées chaque minute d’une partie en direct et vous demander si vous souhaitez parier sur tel ou tel tir ou tel petit détail du jeu. Ce sont des micro-paris qui coûtent très cher aux gens lorsqu’ils se laissent emporter par l’euphorie du jeu. Ils ne font pas que parier sur le résultat final, mais sur les petits segments du jeu.
Comment pouvons-nous réglementer cela, en particulier dans un monde international où, même si nous le faisions au Canada, les gens pourraient obtenir un réseau privé virtuel, ou RPV, et contourner ce problème? En Grande-Bretagne, vous êtes évidemment lié au continent en ce qui concerne l’endroit où vous obtenez vos renseignements. Comment peut-on commencer à contrer ce type de micro-publicité très ciblée?
Lord Grade : Vous avez bien cerné certaines des difficultés, mais les solutions ne sont pas si difficiles à trouver.
Je ne sais pas si vous avez la même chose au Canada, mais il y a quelque chose dans le secteur bancaire qui s’appelle les pratiques de connaissance de la clientèle. Il incombe aux exploitants de jeux de connaître leurs clients, de savoir ce dont ils peuvent se permettre et s’ils ont demandé à être bannis du site — ce qu’ils ignorent habituellement. On appuie sur le bouton, mais on continue de vous envoyer des choses pour vous tenter.
Vous devez connaître votre client et ce qu’il peut se permettre. Vous ne devriez pas être autorisé à présenter des offres alléchantes à des personnes vulnérables que vous pouvez facilement repérer comme étant très vulnérables. Ce n’est pas difficile. Il s’agit de connaître sa clientèle. Les exploitants de jeux ont l’obligation de se soucier des gens qu’ils incitent à jouer avec eux. Ils ont un devoir de diligence envers leurs clients.
La sénatrice Simons : Ma question est la suivante : comment gérez-vous cela dans un monde en ligne perméable? C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons légalisé les paris dans les manifestations sportives individuelles.
Lord Grade : Bien entendu.
La sénatrice Simons : Les gens ont dit que les Canadiens le font de toute manière, mais sur un marché noir ou gris. L’argent part à l’étranger, et les gouvernements canadiens, fédéral et provinciaux, n’en tirent aucun profit. Il faut donc domestiquer le marché. Faisons en sorte que le jeu soit sécuritaire pour les Canadiens. Nous avons ouvert une énorme boîte de Pandore parce que les gens étaient très naïfs. Ils pensaient aux pratiques de paris de leur passé où l’on ne faisait que parier sur le résultat d’un match. Je ne suis pas sûr que les gens qui ont appuyé ce projet de loi — je tiens à préciser à nouveau que je n’étais pas l’un d’eux — aient compris qu’à l’ère numérique, la publicité pour les jeux d’argent allait devenir beaucoup plus compliquée et plus attrayante et engendrer une plus forte dépendance.
Lord Grade : Pour donner un peu de contexte, la majorité des personnes que nous avons interrogées dans le cadre de nos recherches jouent de manière responsable et selon leurs moyens. C’est une activité qui donne des papillons dans le ventre et les gens s’amusent. Ils ont du plaisir et c’est inoffensif.
Toutefois, il y a une petite partie du marché qui est extrêmement vulnérable. C’est cette partie que vous essayez de protéger dans ce dont nous avons discuté ce matin. Il faut comprendre les moyens financiers du client. Ils vont devoir utiliser une carte de débit, ou peut-être aussi une carte de crédit au Canada. Je ne le sais pas. C’est ainsi que vous le découvrez. Même si les gens utilisent un réseau privé virtuel, ou RPV, une transaction financière doit être effectuée par le système de transfert monétaire normal et établi. Vous pouvez déterminer s’ils ont les moyens financiers. Ce n’est pas difficile. Nous tentons de protéger ce petit groupe de personnes qui ne peuvent pas contrôler leurs habitudes de jeu.
La sénatrice Simons : Je comprends que ce sont là deux rôles différents que vous avez assumés, l’un avec ce rapport et l’autre en tant qu’organisme de réglementation de la radiodiffusion.
J’essaie de comprendre comment, dans un monde sans frontières numériques, on peut même commencer à réglementer. Je comprends ce que vous dites : il y a un devoir de diligence. Les entreprises ne veulent sans doute pas faire des paris pour des gens qui ne peuvent pas les rembourser. En ce qui concerne les vérifications de solvabilité notamment, si je vais acheter une nouvelle voiture, le concessionnaire veut s’assurer que je peux effectuer les paiements, et non pas parce qu’il veut s’assurer que je n’achète pas une Lamborghini parce que mon salaire de sénatrice ne me permet pas d’acheter une Lamborghini. Les entreprises ne le font pas par obligation fiduciaire pour veiller à ce que je ne finisse pas dans la misère; c’est pour couvrir leurs paris. Les entreprises sont probablement motivées par leur propre intérêt, mais je ne sais pas comment nous réglementons le Web s’il n’y a pas de mécanisme pour le faire.
Lord Grade : Même si vous faites des paris par l’entremise d’un réseau privé virtuel à l’étranger, il y a une transaction financière. Vous utilisez une carte de crédit ou de débit. C’est là qu’on découvre ce qu’il en est. Il n’est pas impossible qu’un Parlement juge illégal que des banques ou des exploitants de cartes de crédit ou de débit soient tenus responsables de permettre que de l’argent soit utilisé à cette fin à l’étranger. On peut toujours découvrir ce qui se passe. La lacune des malfaiteurs est au niveau de la transaction.
La sénatrice Simons : J’imagine que la différence est que si je parie avec une personne aux îles Canaries, elle ne viendra pas me casser les genoux si je ne la rembourse pas.
Lord Grade : On ne sait jamais. Je n’en ferais pas l’essai si j’étais vous.
La sénatrice Simons : J’aimerais tout de même une Lamborghini, mais ça n’arrivera pas.
Le président : Lord Grade, ma question est la suivante : Au Royaume-Uni, avez-vous établi un pourcentage de parieurs qui ont un problème de dépendance? Parmi ceux qui ont utilisé l’industrie du pari à des fins récréatives ou peu importe, avez-vous établi le pourcentage de ces gens qui ont un problème de dépendance?
Lord Grade : Je vais parler de mémoire, mais je fournirai une réponse plus précise plus tard. Je pense que c’est bien moins de 10 % des clients qui parient.
Le président : À quel moment la réglementation gouvernementale nuit-elle aux 90 % des citoyens qui font des paris à des fins récréatives afin d’atténuer le problème auquel sont confrontés 10 % ou moins des parieurs?
Lord Grade : J’hésite à faire une comparaison, mais même s’il y a un petit pourcentage d’alcooliques, cela n’empêche pas les gens de boire.
Le président : Nous n’allons pas interdire l’alcool non plus.
Lord Grade : Non. On a essayé de le faire au sud de votre frontière. On en a fait l’essai une fois.
Le président : C’est précisément là où je voulais en venir.
Lord Grade : Exactement, oui. Je ne pense pas que les mesures visant à empêcher les exploitants de jeux de trouver les personnes vulnérables pour les faire jouer d’une manière qu’elles ne peuvent pas se permettre entraveront la liberté de quiconque de jouer de manière responsable. Si vous vous donnez la peine de lire notre rapport, je vous mets au défi de trouver une mesure dans les 60 recommandations qui empiète sur la liberté de chacun de jouer librement et de manière responsable, en fonction de leurs moyens.
Le président : Je faisais partie de ces sénateurs qui ont appuyé notre mesure législative visant à légaliser les paris sportifs. Je l’ai soutenue parce que je voulais que les paris sportifs ne tombent pas entre les mains du crime organisé...
Lord Grade : Vous avez tout à fait raison.
Le président : ... et qu’ils soient effectués dans un monde de bon sens, car même si le gouvernement n’était pas actif dans ce milieu ou dans la légalisation ou la réglementation, nous savons tous que les 10 % qui ont un problème de dépendance trouveraient des moyens d’entretenir leur dépendance. Cela compliquerait la tâche des 90 % restants, mais ils le feraient quand même. Vous avez à juste titre cité l’exemple de l’alcool.
Lord Grade : Vous m’avez rappelé l’un de nos témoins. J’ai fait cette comparaison lors d’une séance du comité, et le joueur rétabli a dit que la différence entre l’alcoolisme et le jeu est que si vous buvez trop, vous finirez par tomber et vous effondrer. Tant que vous restez éveillé, vous pouvez jouer. C’est la différence et la raison pour laquelle c’est si grave.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie. Je vais dire quelque chose à partir de ce que j’ai entendu aujourd’hui. Je crains que nous ne considérions cette question, en particulier la partie en ligne décrite par mon collègue, et que nous nous disions que nous ne pouvons pas la rendre parfaite, alors pourquoi précipiter les choses et faire quoi que ce soit? Je sais que les gens font des paris illégalement lorsqu’ils le peuvent, mais l’argument est alors le suivant : les gens enfreindront la loi, alors pourquoi avoir des lois? Le Canada n’est qu’au début de cette démarche. Pensez-vous que nous devrions lever les bras, abandonner et dire que c’est futile? Ou vaut-il la peine de poursuivre et de demander au gouvernement fédéral de prendre l’initiative de tenir une conversation nationale avec les provinces et les organismes de réglementation afin d’élaborer un ensemble de normes nationales dans ce domaine, en utilisant les pratiques exemplaires que nous examinons depuis quelques années et avons vues à l’échelle internationale, plus particulièrement au Royaume-Uni? Qu’en pensez-vous?
Lord Grade : Si vous regardez à l’échelle internationale, vous constaterez que la légifération est problématique dans bon nombre de pays. Nous avons parlé de l’Australie entre autres.
Les gouvernements finissent toujours par se résoudre à réglementer les marchés pour éviter que des individus sans scrupules les exploitent. Il y a des lois contre les délits d’initiés commis dans les marchés boursiers. Ces mesures relativement nouvelles dans l’histoire de ces marchés n’empêchent pas les gens de se livrer à des délits d’initiés s’ils peuvent le faire impunément. Néanmoins, cela montre que tous les marchés se développent et doivent être réglementés. Avec la connaissance que vous avez de ce qui se passe un peu partout dans le monde, particulièrement au Royaume-Uni, en Australie et dans d’autres pays, vous manqueriez à votre devoir — si je peux parler crûment — en ignorant le problème à présent que vous avez légiféré sur la question. Vous devez à présent combler une grave lacune dans la réglementation. Pour tracer la ligne entre la restriction et la liberté de faire des paris, vous pouvez vous appuyer sur plusieurs études de cas. Comme vous en êtes aux premiers stades, vous avez de la chance, d’une certaine manière, d’avoir accès à toute cette jurisprudence et à l’expérience provenant d’un peu partout dans le monde, qui vous aideront à prendre les bonnes décisions pour le Canada.
Le président : Lord Grade, au nom du comité, nous aimerions vous remercier de votre présence avec nous ce matin et des observations dont vous nous avez fait part.
Je vais accueillir, au nom du comité, Mme Joannie Fogue Mgamgne, membre du Conseil des jeunes de la Commission de la santé mentale du Canada. Bienvenue, et merci de vous joindre à nous ce matin.
[Français]
Nous allons commencer par vos remarques préliminaires d’une durée de cinq minutes avant de procéder à la période des questions avec les sénateurs.
La parole est à vous.
[Traduction]
Joannie Fogue Mgamgne, membre, Conseil des jeunes de la CSMC, Commission de la santé mentale du Canada : Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, bonjour.
J’aimerais commencer par reconnaître que nous sommes réunis dans le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe. Je m’appelle Joannie Fogue Mgamgne, et je suis membre du Conseil des jeunes de la Commission de la santé mentale du Canada. J’étudie en ce moment à la maîtrise en gestion politique à l’Université Carleton.
Merci de m’avoir invitée à comparaître devant le comité pour discuter du projet de loi S-269.
Je voudrais commencer en vous faisant part de trois cas hypothétiques, mais pourtant bien réels, qui illustrent les effets considérables sur les jeunes de la publicité sur les paris sportifs.
Premièrement, je vous présente Jean-Claude, un adolescent brillant de 13 ans en 3e secondaire. Jean-Claude adore le basketball et rêve de devenir un athlète vedette. Ses amis ont commencé récemment à exercer des pressions sur lui pour qu’il participe aux paris sportifs. Il a vu en outre son artiste favori faire la promotion d’une application de paris sportifs en ligne qui véhicule le message selon lequel il faut parier pour faire partie de la parade. L’univers glamour des paris en ligne semble séduisant, mais pour Jean-Claude, c’est une avenue risquée qui menace de le détourner de ses études et de sa passion pour le sport.
Prenons ensuite Sarah, jeune fille de 17 ans qui traverse les affres de l’adolescence. La vie de Sarah à la maison est compliquée. Ses parents luttent contre des problèmes de jeu depuis des années. Elle a vu les ravages de cette dépendance sur ses proches, notamment le stress financier, les troubles émotionnels et le manque de stabilité. Sarah craint d’être entraînée dans le même cycle. Étant donné l’omniprésence des publicités sur les paris qui véhiculent un faux sentiment de sécurité et qui font miroiter les gains rapides, elle sent que les risques sont bien réels. Elle est prise entre le désir d’échapper à sa situation et la conscience qu’elle a des dangers qui se profilent à l’horizon.
Finalement, il y a Ahmed, étudiant universitaire de 21 ans qui est aux prises avec la dure réalité des dettes d’études, de la crise du coût de la vie et de l’insécurité alimentaire. Il est tenté par l’appât du gain rapide que lui offrent les paris en ligne. Il pourrait ainsi soulager sa situation financière. Les publicités habiles lui donnent l’impression que le jeu est une solution viable à ses problèmes, mais cela ne fait qu’intensifier la pression. Au lieu d’atténuer son stress, le jeu exacerbe son anxiété et son sentiment de désespoir.
Ces cas illustrent une tendance troublante et préoccupante que présentent les jeunes au pays. Le marketing sur les jeux de hasard en ligne est devenu excessivement accessible et accrocheur. Des influenceurs, des célébrités et des artistes glorifient le jeu et présentent une vision romancée du succès aux antipodes de la réalité de bon nombre de jeunes. Même si les paris sportifs sont interdits aux moins de 18 ans, les études révèlent qu’environ 1 jeune Canadien sur 5 âgé de 9 à 17 ans se livre à des jeux de casino ou à des paris en ligne.
En plus, il arrive que les paris sportifs s’intègrent à des produits ludiques. En effet, certains jeux vidéo récompensent les joueurs qui utilisent des composantes inspirées des jeux d’argent. Le lien entre la culture sportive et les jeux d’argent normalise la prise de risques chez les jeunes. Selon une étude, depuis la légalisation des jeux de hasard en ligne en 2021, les messages sur les jeux de hasard prennent en moyenne jusqu’à 21 % du temps d’antenne des émissions sportives.
Ces statistiques extrêmement préoccupantes prouvent d’autant plus l’urgence pour les gouvernements de mener des études législatives et de se préparer à intervenir. Si nous continuons d’ignorer ces tendances, nous risquons de normaliser encore davantage les comportements de jeux d’argent chez les jeunes faciles à impressionner, ce qui pourrait entraîner des préjudices à long terme sur la santé mentale et le bien-être de ces derniers.
Il faut tenir compte également du rôle de la culture de l’hypermasculinité — « bro culture » en anglais — et des vulnérabilités des jeunes hommes. Les études montrent une prévalence beaucoup plus élevée des problèmes de jeu chez les hommes que chez les femmes. À cause de l’idée véhiculée par les tenants de la culture de l’hypermasculinité selon laquelle les vrais partisans sont ceux qui gagnent et qui font des paris, les jeunes hommes risquent davantage de s’adonner au jeu et de développer les troubles de santé mentale qui en découlent. Une étude a démontré que 61,35 % des Canadiens âgés de 15 à 24 ans s’étaient livrés à des jeux d’argent au cours des 12 derniers mois.
Des mesures décisives s’imposent pour freiner l’expansion croissante des plateformes de paris sportifs. Il faut resserrer la réglementation qui protège les jeunes contre la publicité sur les jeux de hasard. Si nous ne maîtrisons pas la situation aujourd’hui, les difficultés qui affligent les jeunes s’amplifieront et créeront un cycle du désespoir difficile à rompre.
En outre, nous vivons à une époque de tensions économiques qui forcent les jeunes à lutter contre l’augmentation du coût de la vie et contre d’autres types de pressions. Nombre d’entre eux ne peuvent pas accorder la priorité à leur santé mentale et à leur bien-être.
La corrélation entre la dépendance au jeu et les problèmes de santé est alarmante. Si nous voulons protéger les jeunes, nous devons comprendre les multiples facettes de leur réalité telles que les liens historiques, les conséquences disproportionnées du jeu sur les jeunes hommes, les difficultés financières dues à la crise du coût de la vie et le manque d’accès à des systèmes de soutien adéquats. La facilité d’accès aux jeux d’argent chez les jeunes et l’insuffisance des ressources pour remédier aux problèmes qui en découlent sont deux éléments aggravants.
Je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion de discuter du projet de loi. Je suis prête à répondre à vos questions.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup de votre présence parmi nous. Est-ce la première fois que vous vous présentez devant un comité sénatorial?
Mme Fogue Mgamgne : Oui. C’est la première fois, mais comme je le disais avant la réunion, nous nous sommes vues il y a quelques années, pendant mes études de baccalauréat, dans le cadre des activités de promotion que je menais pour le campus Saint-Jean. Nous avions obtenu une rencontre avec vous. Je suis heureuse de voir des visages connus aujourd’hui.
La sénatrice Simons : Votre visage me dit en effet quelque chose. Voici ma question pour vous. Je me souviens d’une époque où l’Alberta Gaming and Liquor Commission s’inquiétait de la faible participation des jeunes Albertains aux jeux de hasard. Ils ont donc mis sur pied une campagne publicitaire qui visait officiellement les jeunes de 18 ans et plus. Lorsque j’ai demandé à la commission si les jeunes de 17 ans allaient se voir dans une autre catégorie, ils ont répondu qu’ils se préoccupaient du fait que les jeunes ne jouaient pas autant que leurs parents. Ils ne pariaient plus sur les chevaux, évidemment, ce qui a causé la crise de cette industrie. Je me souviens de ces rencontres et de cette anecdote parce que j’avais eu une réaction très radicale en disant que c’était tant mieux que les jeunes ne s’adonnent plus au jeu. Vu tout le marketing qui est fait sur les paris réalisés pour un seul événement sportif, je me demandais si vous aviez constaté dans le cadre de vos travaux une diminution suivie d’une augmentation du taux de participation aux jeux d’argent des jeunes âgés de 18 à 25 ans. Ces jeunes qui « ne jouaient pas assez » se sont-ils mis à jouer plus?
Mme Fogue Mgamgne : Merci, sénatrice, de la question.
Je ne connais pas très bien les études et les statistiques sur le sujet, mais je peux parler des interactions que j’ai dans le cadre de mon travail avec des personnes qui voient ces publicités générées par des algorithmes sur leur téléphone et ailleurs.
Vous avez mentionné la tranche d’âge des 18 à 25 ans. Je m’inquiète plutôt au sujet des jeunes qui n’ont pas l’âge de s’adonner à des jeux de hasard — les 18 ans et moins.
Je suis la grande sœur d’un garçon formidable, Clement Gagné, qui se passionne pour tout ce qui concerne le basketball et le football. Il est toujours sur TikTok. Je trouve cela inquiétant. Les choses que nous constatons dans les études, dans le cadre de notre conversation, ce sont des choses qui attirent énormément mon petit frère. Il se fait dire par son joueur de football favori de faire des paris sportifs. Il va le faire, puisque c’est ce que lui recommande son idole. Voilà pourquoi il faut absolument se pencher sur la question.
Pour ma part, je vais certainement aller revoir ces études parce que ce sont des données importantes que nous devons utiliser pour que nos discussions et nos solutions soient fondées sur des données probantes.
La sénatrice Simons : Je me souviens d’avoir été choquée à l’époque. Le gouvernement conservateur en Alberta tenait réellement à mettre sur pied des jeux de hasard pour attirer les jeunes de 18 à 25 ans. Il visait cette tranche d’âge en disant que plus personne ne jouait aux jeux de hasard.
Je pense toujours à cette histoire lorsque nous parlons de ce sujet parce que ces types de paris — qui peuvent être faits sur un téléphone, de façon anonyme et instantanée, sans aller voir un preneur de paris ou miser à un guichet — semblent avoir été créés expressément pour la génération qui a grandi avec les jeux vidéo et TikTok. Ce mode opératoire est intégré à la mécanique du divertissement des téléphones.
Mme Fogue Mgamgne : Oui. Je suis contente que vous ayez mentionné TikTok. Même dans le projet de loi, quelque chose semble avoir été oublié. Nous parlons souvent des plateformes de médias traditionnels, mais nous ne parlons pas des nouvelles plateformes de médias sociaux qui sont populaires auprès des jeunes telles que TikTok, Instagram et YouTube.
Comme je le disais, mon petit frère trouve ces jeux essentiellement sur TikTok. À première vue, les publicités que voient défiler les jeunes semblent simplement les inviter à participer à des jeux de hasard, mais elles disent aussi de manière voilée que de parier est la clé pour faire partie du groupe, connaître du succès et faire de l’argent.
Ces publicités ne parlent jamais des pertes financières, du sentiment de désespoir et de toutes les autres émotions qui sont les corollaires du jeu. Voilà les conversations de fond. Je suis très heureuse que vous en ayez parlé.
La sénatrice Simons : Les gens jouent-ils sur Discord et Twitch? Ces plateformes sont-elles utilisées par les jeunes?
Mme Fogue Mgamgne : Je ne peux pas parler de Discord, mais je sais ce qui en est de Twitch parce que certains de mes amis sont malheureusement tombés dans le piège des mécanismes inspirés des jeux de hasard. Le service de diffusion en continu Twitch est un gros joueur. Il diffuse énormément de publicités, comme le font, je le répète, diverses plateformes de médias sociaux comme TikTok et Instagram.
La sénatrice Simons : Nous ne sommes pas le public cible des paris en ligne et des jeux vidéo. Nous parlons de hockey, de football, de basketball et du sport télévisé conventionnel.
Je me pose une question à laquelle je n’ai pas trouvé de réponse à propos de cette industrie complètement différente, dont les clients consomment de la diffusion en continu ou regardent d’autres personnes jouer à des jeux vidéo. Je suis trop âgée pour en comprendre les attraits, mais je me demandais si les services en question offraient la possibilité de faire des paris.
Mme Fogue Mgamgne : Je ne connais pas les mécanismes utilisés dans cette industrie. Sur Twitch et, comme vous l’avez mentionné, dans les services qui permettent de regarder des personnes jouer à des jeux vidéo, il y a des publicités sur les jeux de hasard. Je ne suis malheureusement pas en mesure d’en parler.
La sénatrice Simons : Nous allons tâcher d’élucider la question.
La sénatrice M. Deacon : C’est incroyable, sénatrice Simons, après deux ans de consultations constitutionnelles menées dans le cadre de l’étude du projet de loi, de voir ce qui se fait dans les médias grand public et dans les médias non conventionnels. Les choses se sont décuplées. Nous avons vu des exemples comme Twitch et nous ne cessons d’en voir d’autres.
J’ai une question pour vous à propos d’un commentaire que nous avons entendu quelques fois selon lequel ce serait le rôle des parents de protéger leurs enfants contre ce déluge de publicités. Au Canada, ce serait en effet les mères et les pères qui devraient s’en occuper. L’alcool, le cannabis et le tabac ne suscitent pas les mêmes réactions. Le gouvernement prend des mesures vigoureuses pour limiter la publicité sur ces produits.
Après avoir écouté votre déclaration liminaire, je me suis demandé si vous pensiez que dans l’industrie du vice, les publicités sur les jeux d’argent devaient continuer à faire l’objet d’une exemption et que la diffusion fréquente de publicités devait toujours être permise. Les informations que vous avez vous portent-elles plutôt à croire que des règlements doivent être pris?
Mme Fogue Mgamgne : Merci de votre question, sénatrice Deacon. Je pense qu’il faut réglementer. Les études démontrent que les jeunes courent un risque plus élevé de développer une dépendance au jeu, puis des problèmes de santé mentale tels que l’anxiété, le stress et la dépression. Tout cela s’ajouterait aux autres éléments stresseurs dans leur vie.
Comme je l’ai dit, des étudiants universitaires sont aux prises avec de l’insécurité alimentaire. Pour échapper à cette réalité qui entraîne déjà peut-être du stress et des symptômes dépressifs, ils s’adonnent au jeu en ligne.
Cette discussion s’impose. Il faut agir immédiatement si nous voulons éviter une augmentation du nombre de jeunes aux prises avec la toxicomanie et les problèmes de santé mentale. Il faut avoir cette conversation importante.
La sénatrice M. Deacon : Merci. Lorsque nous nous penchons sur ces risques, nous recevons beaucoup plus d’informations du Centre de toxicomanie et de santé mentale, des médecins des urgences de même que des pères qui sont terrifiés par ce qu’ils voient et entendent dans leur sous-sol. Nous obtenons de plus en plus de données sur le phénomène.
Ma question porte sur l’importance de se documenter sur les différents facteurs afin de comparer les risques associés aux problèmes de jeu chez les jeunes et chez les adultes en tenant compte du fait que les jeunes qui développent ces problèmes de jeu sont souvent déjà aux prises des troubles de santé mentale et présentent déjà des prédispositions au jeu. Il existe bon nombre de corrélations à faire qui entraînent une accumulation de facteurs chez certains jeunes. Pourriez-vous parler de l’incidence que ces facteurs exercent sur les jeunes comparativement à leur incidence sur les adultes, qui semblent voir le jeu plutôt comme une nuisance?
Mme Fogue Mgamgne : Merci. Je ne suis pas experte en santé et je ne peux pas nécessairement parler de l’aspect médical de la chose.
Ce que je peux dire à propos des jeunes, c’est qu’ils sont touchés de façon disproportionnée par les problèmes comme celui-là parce que, comme vous l’avez vu, les publicistes et les entreprises de jeux de hasard ont maintenant trouvé de nouvelles façons de les cibler. Ils sont touchés de façon disproportionnée par ce problème. Les entreprises font passer les jeux de hasard pour une amusette. Les jeunes pensent que c’est un simple jeu, alors que ce sont des jeux de hasard, qui entraîneront des problèmes de jeu et d’autres troubles.
Ces jeunes sont probablement très naïfs, pensant ne jouer qu’à un jeu. Ce qu’ils ne savent pas, c’est qu’ils peuvent développer un problème de jeux de hasard. On leur vend une fausse attente de ce qu’est un jeu. Les annonces sont trompeuses et ne disent pas toute la vérité.
C’est dangereux parce que les jeunes, surtout ceux de 9 à 17 ans — et même tous ceux de moins de 25 ans, car leur cerveau n’est pas encore entièrement développé — sont aussi confrontés à beaucoup d’autres facteurs de stress dans leur vie. On ne leur vend pas la vérité, alors ils sont très faciles à influencer.
Voilà ce qui me préoccupe particulièrement. Je pense à des gens comme mon frère, que nous ne devrions pas blâmer. Il veut simplement utiliser une application qu’il a trouvée sur son téléphone. Cette application est toutefois très trompeuse. Je crains qu’il n’en devienne potentiellement passionné, surtout avec la pression de ses amis qui lui disent : « Hé, vas-y. C’est ce qui est cool maintenant. » Son artiste préféré qui lui dit que c’est ce qu’il devrait faire et influence ses comportements.
Lorsqu’on parle du lien entre la santé mentale et les jeux de hasard, il importe également de souligner que ces publicités encouragent des comportements à très haut risque, un phénomène qui se manifeste aussi avec la consommation de substances. Tout cela est extrêmement préoccupant et nous pousse à non seulement commencer à en parler, mais aussi à chercher sérieusement des solutions pour protéger nos jeunes.
Le sénateur Cuzner : Merci de témoigner aujourd’hui.
Je lève mon chapeau à ma collègue, la sénatrice Simons. Quand on peut faire référence à Discord et à Twitch, je suis impressionné. Je pense encore que les notes autocollantes sont à la fine pointe de la technologie. Bravo.
La sénatrice Simons : J’ai un neveu de 19 ans.
Le sénateur Cuzner : Pour faire référence à un commentaire du président Housakos sur sa décision d’appuyer la mesure législative lorsqu’elle a été déposée, l’objectif évoqué à l’époque consistait à soustraire les jeux de hasard des mains du crime organisé pour les mettre entre celles des bureaucrates, un discours qui s’apparente beaucoup à celui utilisé pour la légalisation du cannabis. J’ai voté pour la légalisation du cannabis.
Nous avons eu du succès au Canada avec le cannabis, et on y a fait référence pendant nos audiences, parce que quand la loi est entrée en vigueur, il y avait des balises. Le déploiement s’est effectué province par province. Elles étaient chargées de réglementer leur propre déploiement. En Nouvelle-Écosse, l’accès s’effectue dans les magasins d’alcool et c’est un grand succès.
Je n’ai pas encore vu de données ou de recherches dénotant une augmentation spectaculaire de la consommation de cannabis chez les jeunes. Je me demande si vous surveillez la situation. Quelle est votre impression générale quant au déploiement du cannabis par rapport aux jeux de hasard, au sujet desquels vous avez dit qu’une crise approchait? Est-ce différent, mais pareil? Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez? Pourriez-vous d’abord établir un parallèle entre le cannabis et les jeux de hasard?
Mme Fogue Mgamgne : Merci, sénateur, de votre question. Je n’ai pas exactement de renseignements ou de statistiques en tête concernant la corrélation directe avec le cannabis en particulier — bien que, quand je me préparais en vue de l’audience du comité, je me suis fait remettre des recherches sur la corrélation directe entre les jeux de hasard, les problèmes de santé mentale et la consommation de substances. Je pourrais certainement demander à mon équipe de vous transmettre ces documents pour que vous puissiez y avoir accès. Malheureusement, je ne peux pas en dire plus à ce sujet.
Le sénateur Quinn : Merci de témoigner. Ce que vous dites est intéressant. Pour faire suite à ce que mon collègue vient de dire, je n’avais jamais entendu parler de Discord ou de Twitch. J’ai effectué une recherche sur Twitch, pensant voir quelque chose de physiologique. Les premières pages parlent d’un truc appelé Twitch. Si vous allez sur Twitch, vous devez voir ces pages.
Je veux approfondir le sujet abordé par le sénateur Cuzner. Alors que nous instaurons des régimes de réglementation pour aider à prévenir la propagation des dépendances liées aux jeux de hasard et à d’autres activités, les jeunes d’aujourd’hui s’inquiètent-ils le moindrement d’avoir un autre comportement déviant? Autrement dit, si vous me dites que je ne peux pas ou ne devrais pas jouer en ligne, soit je trouverai un moyen de le faire, parce que j’ai peut-être une personnalité addictive, soit cela me poussera vers d’autres vices, comme la toxicomanie et des comportements de cette nature. J’ignore ce qu’indiquent les statistiques, mais la légalisation du cannabis au Canada a-t-elle fait augmenter le nombre d’adeptes ou a-t-elle eu l’effet inverse? Je ne sais pas. Vous êtes pour ainsi dire sur le terrain, à travailler avec les jeunes. Votre frère joue sur Twitch. Je me demande ce que vous en pensez.
Mme Fogue Mgamgne : Merci, sénateur. C’est une excellente question. Pour moi, il faut s’assurer de faire de notre mieux pour fortement limiter l’accès. Comme vous l’avez mentionné au sujet de mon frère, je ne veux pas donner de statistiques là-dessus, mais si toutes ces publicités sur les jeux de hasard ne lui avaient pas été présentées, je ne sais pas si c’est quelque chose auquel il aurait eu accès, à dire vrai. Dans son cas, c’est quelque chose qu’il verra sur Twitch ou TikTok. Mais si ce n’est pas sur ces plateformes-là, il n’en parle jamais.
Même moi, je fouinais sur TikTok hier soir, et une application — que je ne nommerai pas — y ait annoncée. Je ne consomme même pas de sport ou quoi que ce soit y ayant trait, et c’était sur ma page d’algorithme. À mon avis, il est important de limiter l’accès des jeunes à ce site, parce que je considère qu’on leur impose ce contenu en leur disant : « Voici ce qui s’offre à vous, alors utilisez-le. » Nous montrons les jeux de hasard sous un jour favorable, comme si c’était quelque chose de courant, très naïf et bénéfique. Il faut changer ce message. Si les jeux de hasard sont accessibles, il faut changer les messages et être honnête quant aux risques et aux conséquences. Si nous ne le faisons pas, idéalement, il ne faut pas que ces publicités de jeux de hasard soient aussi accessibles aux jeunes.
Le sénateur Quinn : C’est intéressant. Ces derniers jours, j’ai regardé une émission sur l’histoire de Walt Disney et certains de ses films classiques. Ma femme m’a regardé quand il était question du chapeau de Davey Crockett. À l’époque, tout le monde en avait ou en voulait un. Cela arrive génération après génération. J’aimerais avoir votre avis. Dans la période dont je parle, les médias sociaux n’existaient pas. On peut maintenant prendre un téléphone intelligent et se connecter avec n’importe qui à tout moment et en tout lieu. On peut essentiellement communiquer avec ses amis en tout temps sur n’importe quel genre d’applications. Il semble qu’au lieu d’une époque où quelque chose était à la mode et était ensuite remplacé par quelque chose de nouveau, on crée une atmosphère qui établit des dépendances à vie dès le plus jeune âge. Notre société est-elle en train d’instiller chez les gens des dépendances qui se renforcent au fur et à mesure qu’ils passent par l’adolescence, la vie adulte et la vieillesse? Créons-nous une société addictive avec les jeux de hasard?
Mme Fogue Mgamgne : Merci. Je conviens qu’il y a un parallèle à faire. C’est inquiétant, car je pense que les jeux de hasard créent un genre de cycle dans le cadre duquel s’établit une obsession, un désir d’intégration, de gain et d’argent. Comme je l’ai souligné, un grand nombre de jeunes sont très influençables. Nous leur faisons croire que les jeux de hasard sont acceptables parce qu’ils sont partout sur les réseaux sociaux. Lorsqu’on regarde un match de sport, ils sont là. Tout le monde y a accès, donc il n’y a évidemment rien de mal à s’y adonner.
Ce n’est pas tout à fait vrai, toutefois. On fait en sorte que les jeux de hasard soient faciles d’accès; il faut littéralement 10 secondes pour télécharger l’application et quelques minutes pour commencer à jouer. On peut commencer à parier au bout de quelques secondes, et je pense que c’est très inquiétant.
Le sénateur Quinn : J’essaie de me faire un portrait des jeunes d’aujourd’hui qui commencent à jouer. Cela devient problématique. Existe-t-il des groupes de soutien dirigés par des jeunes pour aider d’autres jeunes, ou est-ce que ce sont principalement des adultes qui tentent d’aider les jeunes, qui pourraient les voir comme des trouble-fête plutôt que comme une source de soutien?
Vous accomplissez évidemment un travail fabuleux, et les jeunes de votre groupe d’âge vous admirent probablement pour ce que vous faites. Pensez-vous que nous devrions chercher à voir comment nous pourrions aider les jeunes avec d’autres jeunes plutôt que de nous en remettre à des législateurs qui leur disent ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire? Parfois, cette méthode peut rencontrer de la résistance, mais en combinaison avec des groupes de soutien par les pairs... y en a-t-il au Canada, des groupes de soutien par les pairs?
Mme Fogue Mgamgne : Pour de nombreux problèmes, qu’il s’agisse du suicide, des personnes victimes de violence sexuelle ou d’une panoplie de problèmes différents qui relèvent de la santé mentale, il existe de nombreux groupes de pairs.
Je ne suis pas sûre s’il en existe pour les paris sportifs. Je pense toutefois que votre idée de créer des groupes de soutien par les pairs dirigés par des jeunes est formidable. À titre de membre du Conseil des jeunes de la Commission de la santé mentale du Canada, j’appuierai toujours sans réserve les initiatives pour et par les jeunes. Il faut en outre que cette approche soit communautaire et que tout le monde s’implique.
En ce qui concerne le projet de loi, je vous remercie encore de m’avoir invitée. C’est comme cela que tout doit commencer : il faut veiller à ce que j’aie, en tant que jeune, accès à des endroits comme celui-ci pour que nous puissions discuter. Nulle part dans le projet de loi, il n’est question de financement pour améliorer les mécanismes de soutien existants. Je sais qu’il en existe, mais ils ont besoin d’un financement supplémentaire ou peut-être que nous devons élaborer des programmes éducatifs dans les écoles secondaires. Il serait merveilleux d’avoir ces conversations et de voir comment on peut passer du simple fait d’en parler à des solutions concrètes pour les jeunes.
Le sénateur Quinn : Merci. Je terminerai en disant que j’aime entendre ce que vous avez à dire. Pour moi, cela souligne le fait qu’il importe que le comité et le Sénat achèvent leurs travaux dans les délais afin que nous puissions continuer d’aider des gens comme vous à régler ce problème. Je vous remercie d’être ici.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci de témoigner. Il est important d’entendre votre voix. Vous avez dit que vous n’aviez rien vu concernant le financement dans le projet de loi. C’est parce qu’il s’agit d’un projet de loi public du Sénat. Lorsque nous élaborons de tels projets de loi, nous ne sommes pas autorisés à dépenser de l’argent. Nous ne pouvons procéder ainsi. Je comprends que c’est décevant, mais le financement doit passer par d’autres voies.
J’ignore si vous pouvez me répondre, mais nous parlions de votre frère qui est, selon ce que je comprends, âgé de moins de 18 ans. Avez-vous entendu parler de mineurs qui vont sur des sites de jeux de hasard, qui parient et qui utilisent les cartes de crédit d’autres personnes? Cela se produit-il plus ou moins fréquemment? S’agit-il d’un problème?
Je comprends bien que les publicités créent les conditions pour que les gens parient quand ils ont 18 ans et plus, mais d’après vos observations, y a-t-il un problème de mineurs sur les sites de paris?
[Français]
Mme Fogue Mgamgne : Merci beaucoup.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je comprends que vous n’êtes pas une experte ou une scientifique, mais est-ce que vous avez vu ce genre d’accès aux sites qui doivent normalement être réservés aux 18 ans et plus?
Mme Fogue Mgamgne : D’abord, j’aimerais commencer par vous remercier pour la précision en ce qui concerne le financement. J’espère que vous aurez l’occasion, en tant que comité, d’avoir ce genre de conversation et d’être nos champions en matière de financement.
Quand il m’a été demandé de participer à ce conseil, la première personne à qui j’ai pensé est un ami qui avait perdu de l’argent, car il était impliqué dans des situations comme celles-ci. Il avait 17 ans. C’est donc un mineur. Il avait accès à un site où il était allé souvent pour des jeux de hasard. Les mineurs ont accès à cela. C’est très facile. Il suffit d’aller sur Internet, de connaître un ou deux sites et d’être en mesure de dépenser son argent. C’est quelque chose que l’on doit prendre en considération, parce que cela me choque.
La sénatrice Miville-Dechêne : Comment procédait-il? Utilisait-il de fausses cartes ou les cartes d’une autre personne?
Mme Fogue Mgamgne : Je pense que c’était les cartes des parents. Mon frère, pour des cas d’urgence, a accès aux cartes de mes parents. Normalement, il doit appeler ou texter mes parents pour dire qu’il va utiliser la carte. Plusieurs jeunes y ont accès. Même quand j’ai commencé l’université, j’avais encore 17 ans et j’avais accès à la carte de crédit de mes parents. J’étais à Edmonton pour l’université et ils n’étaient pas avec moi. On a donc accès aux cartes, aux sites et aux jeux de hasard.
La sénatrice Miville-Dechêne : Votre souhait, est-ce une totale interdiction? Comment savoir qui est touché par la publicité? Tout le monde est touché, que ce soit les adultes ou les plus jeunes. Quelle est votre solution idéale?
Mme Fogue Mgamgne : J’ai certaines pistes de solution. Quand cela a trait au divertissement et quand plusieurs jeunes y ont accès, comme pour les loisirs et les sports, il faudrait peut-être ne pas avoir de telles publications, justement parce qu’ils y ont accès. Si ta mère ou ton père est près de toi en train de visionner un sport et que tu vois une telle publication, tu ne vas pas nécessairement penser que c’est quelque chose de mauvais. Ensuite, tu rentreras chez toi et tu auras envie d’y accéder. C’est pour les loisirs et le divertissement.
La deuxième chose, c’est qu’il faudrait mettre en place des réglementations pour tout ce qui est en ligne et sur les réseaux sociaux. Ceux qui nous concernent le plus sont les jeunes qui ont moins de 18 ans. Ils ont accès à tout. Je ne sais même pas pourquoi c’est une réalité. Cela ne devrait pas l’être. Je parle de tout ce qui se retrouve sur les réseaux sociaux et en ligne.
Il y avait une mention en ce qui concerne les athlètes, les célébrités, et cetera. Si j’ai compris la manière dont on en a parlé, cela ne couvre pas nécessairement tout. C’était seulement en vue de réglementer leurs apparitions. Personnellement, je crois qu’ils devraient être complètement écartés et ne devraient pas être liés à tout cela. C’est très facile. Lorsque ton athlète préféré te dit de faire quelque chose, tu vas le faire.
La sénatrice Miville-Dechêne : Le conseil dont vous faites partie fait-il des pressions auprès des provinces? On parle ici d’une compétence provinciale. Par exemple, le Québec et l’Ontario sont-ils sensibles à ces questions? Y a-t-il des gens qui travaillent là-dessus?
Mme Fogue Mgamgne : Je ne peux pas répondre à cette question. Je ne suis pas certaine. Pour ce qui est des provinces et des territoires, je crois que ce n’est pas pareil partout. Il y aura certaines provinces où les jeunes sont plus à risque. Il est important d’essayer de prévoir, d’anticiper et de trouver des solutions. Même moi, je serais intéressée à voir quels sont les différents mécanismes entre les provinces et les territoires.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Cardozo : Merci de comparaître. C’est une séance fort instructive.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre opinion sur la publicité? Comme vous l’avez indiqué, c’est attrayant. La publicité utilise des vedettes du sport, et les personnes qui sont les plus influencées par ces personnalités sont peut-être les jeunes qui admirent une série de leaders dans leurs sports préférés. Avez-vous l’impression que les organismes avec lesquels vous traitez, qu’il s’agisse du vôtre ou d’autres, saisissent cet aspect du problème de la publicité qui n’est pas censée s’adresser aux jeunes, mais qui a un effet sur eux?
Mme Fogue Mgamgne : Merci de votre question, sénateur. Je dirais que oui, même si je pense que c’est différent quand on ne va pas parler aux jeunes.
Je travaille dans le domaine des communications et je comprends pourquoi les sociétés de marketing utilisent des publicités de jeux d’argent comme celles-là et emploient de tels mécanismes. C’est habile. C’est sensé. C’est attirant et séduisant. C’est ce qu’on veut utiliser. Les publicistes utilisent nos athlètes et nos célébrités préférés, et dans le monde des médias d’influenceurs, ils utilisent les influenceurs pour nous influencer littéralement à faire ce qu’ils nous disent. C’est malin de leur part.
Nous devons avoir des conversations comme celle-ci pour comprendre le point de vue des jeunes et la façon dont nous assimilons l’information, car je ne pense pas que ce sera toujours la même chose. Je sais qu’il y a des données concernant les conséquences, mais nous devons aussi revenir à la planche à dessin. Il faut non seulement une réaction proactive, mais aussi une approche préventive au problème, et comprendre ce qui rend ces publicités attrayantes.
Peut-être que c’est à ce propos qu’il faut avoir une autre conversation pour savoir si c’est quelque chose qu’on doit changer. Pourquoi cible-t-on les jeunes? Selon les recherches, ces publicités ciblent les jeunes. Ce n’est pas l’adulte moyen qui va télécharger une application pour parier. Les publicités sont conçues expressément pour cibler les jeunes de 25 ans et moins ou ceux de 9 à 17 ans. Il faut discuter aussi du marketing.
Le sénateur Cardozo : Oui. Nous avons beaucoup parlé des jeunes enfants qui n’ont pas de carte de crédit.
Cependant, si les jeunes de 15 ou 16 ans, et certainement de 18 ans et plus, occupent un emploi, ils ont probablement une carte de crédit ou au moins une carte de débit. Il ne leur en faut pas beaucoup perdre illico au jeu tout l’argent gagné à la sueur de leur front.
Mme Fogue Mgamgne : Exactement. J’ai reçu ma première carte de débit à 12 ans. Quand je regarde ce groupe d’âge, je pense que les jeunes de 12 ans pourraient très bien s’adonner à des activités comme celle-là. C’est vraiment inquiétant.
Mon frère a 13 ans et est en neuvième année. Tout comme dans le cas de Jean-Claude que j’ai évoqué au début, c’est pour lui une réalité. J’ai pu observer les conversations qu’il a avec ses amis, et c’est toute une culture d’influence. Même dans la culture du « frère », comme je l’ai mentionné, les jeunes hommes sont vulnérables et seront soumis de façon disproportionnée par cette influence. En ce qui concerne les sports, selon les statistiques, il y a plus d’hommes — des jeunes gens — qui regardent les sports. Ils en parlent déjà. S’ils voient quelque chose surgir dans leur algorithme, ils vont évidemment continuer d’en parler. Ajoutez maintenant le fait qu’un enfant de 12 ans peut avoir accès à une carte et qu’il commence peut-être à travailler à 14 ans. C’est quelque chose d’aisément accessible pour eux.
Le sénateur Cardozo : Je vous remercie sincèrement et vous remercie aussi pour le travail que vous faites.
Mme Fogue Mgamgne : Merci.
Le président : J’ai aussi quelques questions. Pouvez-vous nous confirmer si la Commission de la santé mentale du Canada est un groupe de défense des droits ou si elle offre, en fait, des services sur le terrain? Quel est son budget annuel et d’où proviennent les fonds?
Mme Fogue Mgamgne : Je tiens à rappeler que je ne parle pas au nom de la commission dans son ensemble. Je siège à son conseil des jeunes. Je ne peux pas vraiment parler au nom de la commission. Je peux vous dire qu’il ne s’agit pas d’un groupe de défense des droits. Je ne peux pas vraiment vous en dire plus.
Le président : C’est un groupe de défense des droits?
Mme Fogue Mgamgne : Non, ce n’est pas un groupe de défense des droits.
Le président : Ce n’est pas un groupe de défense des droits. Quels sont des exemples de services offerts?
Mme Fogue Mgamgne : Elle gère beaucoup de programmes éducatifs. Comme je l’ai mentionné, même avec ce projet de loi — et en dépit du fait que le financement n’est sans doute pas possible —, on pourrait avoir des initiatives ou des cadres nationaux qui font la promotion des campagnes d’éducation ou des systèmes de soutien. On se rapprocherait alors beaucoup du genre de travail que fait la Commission de la santé mentale. Je ne peux malheureusement pas vous donner de détails sur des programmes précis.
Le président : Il y a de toute évidence un problème, puisque les jeunes développent une dépendance aux paris sportifs; si ce n’était pas le cas, nous ne serions pas ici en train d’avoir cette discussion. Dieu merci, ce n’est qu’un petit pourcentage du nombre total de ceux qui s’adonnent aux jeux de hasard, mais ce n’est néanmoins pas négligeable.
Vous avez parlé d’éducation à quelques reprises, et je sais que le sénateur Quinn y a fait allusion également. Ce n’est pas une compétence fédérale, mais bien une compétence provinciale, et nous n’aimons pas jouer dans leurs plates-bandes. Toutefois, le fait est que nous vivons dans un pays où les jeunes de 10, 12 et 13 parlent de sexe à l’école et d’une foule d’autres sujets délicats.
Existent-ils des programmes au pays ou dans certaines provinces dans le cadre desquels on parle de toxicomanie et de dépendance à l’alcool ou aux jeux de hasard à un très jeune âge? Vous avez mentionné à quelques occasions — et vous avez raison — que les jeunes sont très faciles à influencer. Nous voyons la force du marketing. Quand il est question d’argent, les gens trouvent des arguments convaincants pour l’attirer à eux.
Nos programmes éducatifs au pays préparent-ils les jeunes, d’une part, à profiter de ces divertissements en leur expliquant bien ce qu’il en est, et d’autre part, à connaître leurs dangers et à se responsabiliser? Quand on en arrive au point où les jeunes ont développé une dépendance... J’en ai été témoin quand j’étais jeune: j’avais des amis qui, à l’âge de 12, 13 et 14 ans, volaient de l’argent à leurs parents pour se rendre ensuite dans des ruelles miser sur des matchs de sport. Ils ont ensuite perdu tout contrôle et leur vie a pris un affreux tournant. Selon vous, les gouvernements provinciaux et les systèmes d’éducation s’efforcent-ils de remédier à ce problème?
Mme Fogue Mgamgne : Oui. Je dois dire qu’il s’agit de mon opinion. Je ne peux pas vous parler de tous les programmes d’éducation au pays. Je peux vous parler de mon expérience personnelle. On nous parlait de dépendance, mais le problème est que cela se limite à Ia consommation de substances. En raison de la présence croissante de l’intelligence artificielle et des médias sociaux, les jeux de hasard en ligne gagnent en popularité. Quand on parle de dépendances, on ne parle pas de ce sujet. C’est pourquoi il fait élargir la discussion pour l’englober et veiller à ce qu’il en fasse partie.
Pour ma part, je ne me souviens pas qu’on m’ait dit à l’école précisément que les jeux de hasard sont une dépendance, ou ce qu’on peut faire, ou quels sont les mécanismes de soutien. Il faut avoir ces discussions. Mon frère est actuellement en neuvième année, et je ne pense pas qu’il en ait été question. Je lui ai même demandé — pour me préparer à venir témoigner — sur quoi portaient les discussions à l’école. Il parle des paris sportifs avec ses amis, mais pas avec les enseignants des risques et des problèmes qui y sont associés.
Le président : Je vous remercie de votre réponse.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie. Au sujet d’un point qui a été soulevé plus tôt, à titre de précision et pour que vous sachiez qu’il y a de l’espoir, lorsque le projet de loi a été rédigé, il l’a été avec trois grands objectifs. Comme l’a dit à juste titre la sénatrice Miville-Dechêne, un projet de loi du Sénat ne comprend pas de financement, mais l’une des recommandations était de recenser les mesures pour promouvoir la recherche et la mise en commun de l’information entre les gouvernements afin de diagnostiquer et de prévenir l’utilisation néfaste des jeux de hasard chez les jeunes, etc. Cela dit, si on ne peut inclure de financement à ce stade-ci, on peut supposer que le gouvernement pourrait décider d’investir plus tard dans la recherche et la mise en commun de l’information. C’est ce que nous espérons. Je vous remercie.
Le président : Je vous remercie. Au nom du comité, je veux vous remercier de votre présence et de votre témoignage fort intéressant. Nous vous en savons gré.
Chers collègues, nous passons maintenant à huis clos pour consacrer les 12 minutes qui restent aux affaires du comité. Je vous remercie.
(La séance se poursuit à huis clos.)