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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 38 - Témoignages du 2 mai 2013


OTTAWA, le jeudi 2 mai 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 28, pour étudier le projet de loi C-43, Loi modifiant la loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je suis Kelvin Ogilvie, sénateur de la Nouvelle-Écosse, et j'aimerais demander d'abord à mes collègues de se présenter, en commençant aujourd'hui à ma droite.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman de Montréal, Québec.

La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, de l'Ontario.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

La sénatrice Merchant : Bonjour, je suis Pana Merchant, de la Saskatchewan.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, de Toronto, et vice-président du comité.

Le président : Merci, mesdames et messieurs. Je rappelle à tous que nous poursuivons notre examen du projet de loi C-43, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Nous accueillons quatre témoins qui ont accepté l'ordre de présentation. Je vais les nommer à mesure que je vais leur donner la parole et je leur demanderais de se présenter.

Comme je l'ai dit, par entente préalable, le premier témoin à faire son exposé est Gordon Maynard, ancien président de la Section nationale du droit de l'immigration à l'Association du Barreau canadien.

Gordon Maynard, ancien président, Section nationale du droit de l'immigration, Association du Barreau canadien : Monsieur le président, honorables sénateurs, c'est un honneur pour moi de prendre la parole au nom de la Section nationale du droit de l'immigration de l'Association du Barreau canadien. La section compte plus de 1 000 membres. Nos pratiques couvrent tous les domaines du droit de l'immigration, de la protection des réfugiés et de la citoyenneté. L'ABC travaille à l'amélioration du droit et du système de justice. Nous avons étudié le projet de loi C-43 sous ces angles. Vous avez reçu notre mémoire écrit.

Le temps qui m'est alloué est court. Je vais m'attarder surtout à une disposition du projet de loi C-43, la disposition principale, soit la modification du paragraphe 64(2) de la LIPR, c'est-à-dire la modification de la règle de deux ans qui était entrée en vigueur en 2002. La règle dit que si un résident permanent au Canada est déclaré coupable d'une infraction criminelle et condamné à une peine d'au moins deux ans de prison, il n'a pas droit à l'examen de son ordonnance d'expulsion à la Section d'appel.

L'article 24 du projet de loi C-43 modifie cette disposition de deux façons. Premièrement, il réduit la durée de la peine, de deux ans à au plus six mois. Deuxièmement, il élargit les motifs qui entraînent pour les résidents permanents la perte de l'accès à la Section d'appel, entre autres l'impossibilité de s'adresser à la Section d'appel pour les résidents permanents visés par une interdiction de territoire en raison de condamnations à l'étranger. Il s'agit des alinéas 36(1)b) et c) de la LIPR. L'inclusion de ces dispositions dans l'article 64 est nouvelle. Ces dispositions relatives aux condamnations ou aux infractions à l'étranger n'impliquent pas forcément une peine d'emprisonnement et peuvent même ne pas impliquer de condamnation du tout. Manifestement, elles n'impliquent pas de condamnation au Canada.

Il est important que vous saisissiez ce que ces modifications signifient. Je vais vous les expliquer en évitant d'employer le jargon juridique.

Monsieur le président, mesdames et messieurs, il est important que vous compreniez ces changements parce qu'ils sont épouvantables et nuisibles. Ces modifications entraîneront de nombreuses expulsions inutiles et irrationnelles. Des parents seront séparés de leurs enfants, des maris de leurs femmes; les expulsions viseront des personnes qui vivent au Canada depuis des dizaines d'années, depuis leur enfance. Des familles, des quartiers et des collectivités en subiront tous les conséquences. Les préjudices seraient nombreux et durables. Non seulement ces individus et leurs milieux sociaux seront touchés, le Canada et les Canadiens en souffriront également. Nous perdrons notre tradition de justice et d'équité. Voici des exemples de la façon dont cette nouvelle loi s'appliquerait, si elle était adoptée.

Arrivé au Canada avec le statut de résident permanent à l'âge de 11 ans, vivant ici depuis 20 ans, avec ses parents et ses frères et sœurs, marié et père de famille, mais souffrant d'alcoolisme et de maladie mentale, un homme perd son emploi, tombe dans la drogue et commence à commettre des fraudes mineures et à voler des cartes de crédit. Il est déclaré coupable de ses premières infractions criminelles en Alberta et se voit infliger une peine de six mois d'emprisonnement. Sous le régime du projet de loi C-43, sa situation n'est pas prise en compte lorsque l'ordonnance d'expulsion est émise. Le temps qu'il a passé au Canada, ses problèmes de santé, sa famille et l'absence de tout antécédent judiciaire ne seront pas pris en compte. Il n'y a aucun droit d'appel à la Section d'appel.

Un autre exemple : M. Sing, un résident permanent au Canada, est en vacances à Hawaï. Alors qu'il bavarde dans un bar, il y a une insulte raciale, une dispute et une bagarre. Il donne un coup de poing sur le nez d'un adversaire; c'est un coup solide. Il est arrêté et comparaît le lendemain devant un juge. M. Sing ne tient pas à passer son temps à Hawaï à contester une accusation dont il ne se croit pas coupable, mais il plaide coupable pour rentrer chez lui. Il plaide coupable à une accusation de voies de fait causant des lésions corporelles et acquitte une amende de 200 $. Il est libéré et autorisé à rentrer au Canada. Cette condamnation aux États-Unis l'assujettit à l'alinéa 36(1)b). Il s'agit d'une condamnation prononcée à l'extérieur du Canada pour une infraction dite grave au Canada. La peine qui lui a été infligée n'a aucune importance. Aux termes du projet de loi C-43, lorsqu'une mesure d'expulsion est prise à son endroit, son dossier ne peut être soumis à la Section d'appel. Aux termes de l'alinéa 36(1)b) du projet de loi C-43, l'interdiction de territoire bloque l'accès à la Section d'appel.

Troisième exemple : au Canada, dans des affaires criminelles mettant en cause des infractions mineures et des personnes ne présentant aucun danger public, les juges peuvent infliger des peines d'emprisonnement avec sursis. C'est une disposition du Code criminel. Ces peines sont purgées à domicile et non en prison. C'est une forme de probation. Vous portez un bracelet électronique et vous avez habituellement le droit de sortir de la maison le jour, d'aller travailler ou à l'école, mais le soir, vous avez un couvre-feu. Lorsqu'ils infligent des peines avec sursis, les juges fixent une durée plus longue que s'ils infligeaient une peine d'emprisonnement en bonne et due forme. Un juge qui aurait envisagé d'infliger une peine d'emprisonnement de deux mois ordonnerait plutôt une peine d'emprisonnement avec sursis de huit mois. C'est une peine moins lourde, mais aux fins de la Loi sur l'immigration, c'est une peine d'emprisonnement. Le projet de loi C-43 dit qu'une peine de six mois bloque l'accès à la Section d'appel. Cette peine d'emprisonnement avec sursis de huit mois purgée à domicile entraîne une mesure d'expulsion que l'individu ne peut porter en appel.

Ce projet de loi s'intitule « Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers ». On le dit nécessaire pour empêcher de criminels étrangers d'abuser de notre régime d'appel et de commettre d'autres crimes graves, mais les trois exemples que je vous ai cités concernent des individus qui seront pris dans les mailles de cette loi. Ce ne sont pas des criminels étrangers, ce sont des résidents permanents du Canada dont certains vivent ici depuis des dizaines d'années. Ils n'abusent pas du système; ils perdent leur droit à l'examen de leur situation. C'est l'effet de ce projet de loi. C'est pourquoi il entraînera beaucoup plus de renvois non susceptibles d'appel.

Comment se fait-il que cette loi puisse prendre une tangente si irrationnelle? Pourquoi notre système décisionnel relatif au renvoi de résidents permanents en est-il venu à manquer de rationalité? Je peux vous expliquer comment c'est arrivé.

Le régime de droit que nous avons au Canada pour décider du renvoi de résidents permanents se veut un régime en deux étapes. Il est assimilé aux pêcheurs qui lancent de grands filets. Nous avons des filets que nous pouvons mettre à l'eau et qui nous permettent d'attraper beaucoup de poissons. Nous avons un « filet Canada ». Il attrape les résidents permanents déclarés coupables au Canada de certaines infractions, et ceux qui se voient infliger une peine d'emprisonnement de six mois. Ils sont pris au filet et déclarés interdits de territoire. C'est l'alinéa 36(1)a).

Nous avons le filet de l'alinéa 36(1)b) qui attrape les résidents permanents déclarés coupables à l'extérieur du Canada. Tout dépend du fait d'être déclaré coupable à l'extérieur du Canada d'une infraction qui constituerait aussi une infraction au Canada. La peine qui vous est infligée n'a pas d'importance. Ces personnes sont déclarées interdites de territoire.

Nous avons ensuite le filet de l'alinéa 36(1)c), pour les résidents permanents qui ont, croyons-nous, commis une infraction à l'extérieur du Canada. Aucune condamnation n'est nécessaire.

Ce sont les filets que nous lançons. C'est ainsi que nous attrapons le poisson. Nous en attrapons des gros et des petits, et que faisons-nous ensuite? Nous les rentrons dans le bateau et nous les trions. Le bateau correspond à la Section d'appel, là où nous examinons chaque poisson et nous nous demandons : « Est-ce un gros ou un petit poisson? Si vous êtes un gros poisson, nous allons vous expulser. Si vous êtes un petit poisson, nous allons peut-être vous expulser quand même, mais nous pourrions vous donner une autre chance. »

La Section d'appel examine tous les éléments de la situation. Elle prend en compte depuis combien de temps vous vivez au Canada. La gravité de l'infraction est déterminante. En quoi consiste votre criminalité? Y a-t-il une probabilité de réadaptation? Comment êtes-vous établi ici? Avez-vous le soutien de membres de votre famille ou de votre collectivité en vue de votre réadaptation? Depuis combien de temps êtes-vous ici?

En prenant en compte toutes les circonstances, la Section d'appel décide de la pertinence d'expulser l'individu. Nous avons beaucoup de filets qui attrapent du poisson, et nous avons la Section d'appel qui détermine qui est renvoyé et qui est autorisé à rester.

Avec le projet de loi C-43, le gouvernement élimine l'accès à la Section d'appel. Il élimine un système conçu pour attraper beaucoup de poissons, petits et gros, mais qui ne se prononce pas sur le renvoi avant que la Section d'appel soit saisie du dossier, et il élimine l'accès à la Section d'appel. Dorénavant, beaucoup de gens n'auront pas accès à la Section d'appel.

Et alors? Les petits et gros poissons ne peuvent plus faire réviser l'ordonnance d'expulsion délivrée contre eux et nous devons renvoyer des gens qui ne devraient pas l'être. Ce sont les cas pour lesquels le projet de loi n'a aucun sens. Cette loi aboutira-t-elle aux bonnes décisions pour les bonnes personnes? Oui, parfois — pas par dessein, mais par pure chance. Aboutira-t-elle à de mauvaises décisions? Oui.

En conclusion, si le gouvernement tient à éliminer la compétence de la Section d'appel, s'il tient à créer un système sans aucun mécanisme de révision à la Section d'appel, il faut alors tenir une consultation et élaborer un nouveau système. On ne peut pas prendre un moteur à combustion interne, en retirer le carburateur et s'attendre à ce qu'il tourne rondement. Ça ne marchera pas. Ce système a été conçu avec deux étapes. Si on supprime la deuxième étape, on se retrouve avec un système qui cesse de bien fonctionner et qui cesse d'être juste et équitable. C'est pourquoi nous devrions nous arrêter un instant afin d'y réfléchir de façon posée pour empêcher l'adoption de ce projet de loi.

Le président : Je donne la parole à Mme Taub, avocate spécialisée en droit de l'immigration et des réfugiés, qui comparaît à titre personnel.

Julie Taub, avocate spécialisée en droit de l'immigration et des réfugiés, à titre personnel : Monsieur le président, honorables sénateurs, merci de m'accorder le privilège de participer au débat. Brièvement, je travaille comme avocate spécialisée en droit de l'immigration et de la protection des réfugiés. J'ai représenté de nombreux clients qui comparaissent devant la Section d'appel de l'immigration pour motif de criminalité et pour les autres motifs susceptibles de les y conduire.

Même si j'ai eu un singulier succès, si j'ai très souvent réussi à faire annuler des ordonnances d'expulsion visant des personnes ayant été déclarées coupables d'actes criminels, je dois admettre que je n'ai pas réussi à aider mes clients à délaisser la criminalité. La plupart d'entre eux ont récidivé. Pour cette raison, cette partie de ma pratique a été une très grande source de frustration pour moi et je ne représente plus de personnes condamnées devant la Section d'appel de l'immigration.

Cela dit, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt l'exposé de mon collègue et avant d'y aller du mien, j'aimerais vous citer quelques exemples. Il a parlé de condamnations pour des infractions commises à l'étranger qui entraîneraient l'expulsion d'un résident permanent.

Permettez-moi de vous parler d'un individu qui était un résident permanent et qui a été déclaré coupable d'une infraction et qui n'a jamais été expulsé en vertu du système que nous avons parce qu'il avait droit à d'innombrables appels. Je parle du terroriste du PLO condamné Mohammad Issa Mohammad. Une cour grecque lui avait infligé une peine de 17 ans pour un attentat commis à bord de l'avion de ligne El Al à Athènes en 1968 au cours duquel un passager avait été tué. L'histoire ne finit pas là. Il avait été libéré dans le cadre d'un quelconque échange et il est venu au Canada. Il est entré au Canada en qualité d'immigrant reçu sous une fausse identité, et lorsque sa véritable identité et ses antécédents terroristes ont été révélés, une mesure de renvoi a été prononcée contre lui en 1988. Il est encore ici. Je crois que son dernier rappel avait quelque chose à voir avec le fait qu'il ne pourrait pas obtenir les mêmes soins de santé dans l'un des pays du Moyen-Orient qu'au Canada. Oui, à cause d'une condamnation criminelle, il aurait dû être expulsé, mais il ne l'a pas été dans le système en vigueur.

Mon collègue a aussi dit que désormais, lorsqu'un individu se verra infliger une peine de six mois d'emprisonnement, il sera automatiquement expulsé sans droit d'appel auprès de la SAI. Cependant, j'attirerais votre attention sur un autre cas, celui d'un résident permanent étranger, Joselito Rabaya Arganda, un Philippin arrivé au Canada en 1985. Il a été condamné à deux ans de prison pour différents crimes. Le 10 mai 2010, la CISR a pris une mesure de renvoi et il n'avait aucun droit d'appel parce que sa condamnation était de deux ans. Cependant, il est revenu devant la Cour d'appel du Manitoba pour en appeler de la peine qu'il avait déjà purgée, demandant que celle-ci soit réduite d'un jour pour lui donner la possibilité d'être entendu à la SAI.

Cela m'amène à un arrêt très important de la Cour suprême du Canada du 10 janvier 2013. Je viens d'en remettre des copies pour distribution. Il s'agit de R. c. Pham. La Cour suprême a statué qu'à l'audience de détermination de la peine, les conséquences que l'accusé subirait à l'égard de son statut d'immigration sont un facteur que le tribunal peut prendre en considération lorsqu'il prononce la sentence. L'avocat devrait présenter un mémoire sur le statut d'immigration de la personne déclarée coupable et le juge doit prendre en considération le statut d'immigration de cette personne avant de prononcer la sentence. Par conséquent, ce n'est pas que les juges et le système de la justice pénale ont les mains liées; ils ont la latitude de prendre en compte le statut de l'immigration et les conséquences indirectes de la peine lorsqu'ils prononcent la sentence. Comme ils l'ont fait dans le passé, au lieu d'infliger une peine de deux ans — la norme à cette époque — ils infligeaient une peine de deux ans moins un jour. La norme est désormais de six mois, mais ils peuvent infliger une peine de trois mois. Ils peuvent infliger une peine de quatre mois, parce qu'un ou deux mois de moins n'ont pas vraiment d'importance lors du prononcé d'une sentence.

Examinons la situation dans son ensemble. Lorsqu'un individu est sous le coup d'une ordonnance d'expulsion, il ne se retrouve pas dans cette situation à cause d'un accident de parcours, pour ainsi dire, si nous prenons en compte l'aspect de la criminalité. Il ne s'est pas retrouvé dans cette situation parce qu'il a fait une erreur. Il est dans cette situation parce qu'il a commis un acte criminel. Personne n'oblige qui que ce soit à commettre un crime. Ce n'est pas une erreur. Une erreur arrive par accident, c'est une bévue, mais un acte criminel est commis dans un but et avec une intention. Malgré tout, quiconque vit au Canada — un résident permanent, un résident temporaire, un étranger clandestin — jouit des mêmes droits garantis par la Charte. C'est unique au monde. Vous posez le pied au Canada et vous jouissez de tous les droits garantis par la Charte.

Le système de justice pénale du Canada est reconnu dans le monde. Il n'a pas son pareil. La transparence et l'équité sont phénoménales et les peines, à vrai dire, sont plus indulgentes que la plupart des peines infligées dans le monde entier, même dans d'autres pays démocratiques. Avant même qu'une personne soit inculpée, les policiers doivent avoir des motifs raisonnables et probables de l'inculper.

Deuxièmement, l'individu jouit de tous les droits garantis par la Charte, c'est-à-dire le droit à un avocat, le droit d'être protégé contre toute fouille, perquisition ou saisie abusive, le droit à un cautionnement raisonnable et le droit à un procès dans un délai raisonnable. On lui offre toutes les chances de se défendre des accusations portées contre lui. S'il ne peut se payer les services d'un avocat, il a droit à l'aide juridique. S'il souffre de problèmes de santé mentale, c'est toujours pris en considération et il obtient une aide psychologique par l'entremise des services sociaux. Si la langue pose problème, il y a un interprète. Par ailleurs, tous ont droit à la présomption d'innocence, peu importe leur statut au Canada. Avant d'en être rendu à l'étape de se voir visé par une mesure de renvoi, l'individu est passé par notre fantastique et phénoménal système de justice pénale qui n'a vraiment pas son pareil.

S'il est déclaré coupable, sa culpabilité doit être établie au-delà de tout doute raisonnable, une exigence très contraignante. Ensuite, même s'il est déclaré coupable, au moment de prononcer la peine, selon la Cour suprême du Canada, un juge doit désormais prendre en considération les conséquences de la peine sur son statut d'immigration. Si un individu a commis un meurtre, cela ne pose pas problème : il est impossible de manipuler la peine à cause de ses conséquences sur le statut d'immigration.

Un individu déclaré coupable a le droit d'en appeler non seulement de sa condamnation, mais aussi de sa peine. Au moment où il reçoit une ordonnance d'expulsion, il s'est prévalu de tous les appels, de toutes les considérations et de tous les droits dont il jouit comme tout citoyen canadien.

Je vous ai remis mon exposé, ainsi qu'une liste de cas de criminels qui sont au Canada depuis des dizaines d'années. J'ai déjà mentionné l'un d'eux, Mahmoud Mohammad Issa Mohammad.

J'aimerais mentionner un reportage de l'émission W-5 du mois de février 2013 sur Sandra Gordon. J'en ai donné les détails dans le document que je vous ai remis. J'ai participé à ce documentaire. Sandra Gordon est arrivée au Canada en 1972 à l'âge de 16 ans. Elle a commencé sa carrière criminelle à 19 ans. Elle a été condamnée pour vol. Elle a été inculpée de 22 chefs de fraude liés à des prêts et de contrefaçon de monnaie. Elle a amassé plus d'un million de dollars. Bref, elle est encore au Canada. Aux dernières nouvelles, W-5 a pu confirmer qu'elle demande maintenant le statut de résidente permanente, bien qu'elle ait récemment été inculpée de nouveau. Notre système ne fonctionne pas parce qu'il accorde à un individu déclaré coupable d'actes criminels un nombre incalculable d'appels. Pour cette raison, je souscris à l'effort du ministre de prendre des mesures contre les criminels et ceux qui violent les droits de la personne.

Leon Mugesera est un autre exemple. Il a fallu 12 ans pour le renvoyer du Canada. Il avait été déclaré coupable de génocide au Rwanda.

Ces abus doivent cesser.

Barbara Jackman, avocate, à titre personnel : Je représente moi aussi beaucoup de non-citoyens qui interjettent appel auprès de la Section d'appel de l'immigration. Je suis ravie de dire que beaucoup de mes clients qui ont un casier judiciaire ont changé de vie et sont devenus des résidents productifs du Canada. Certains d'entre eux ont même obtenu leur citoyenneté.

J'ai un peu de difficulté lorsque des témoins progouvernement comparaissent ici et devant d'autres comités devant lesquels j'ai témoigné et se mettent à parler de mes clients. M. Mohammad est mon client. Son dossier n'est pas embourbé dans des appels. Le ministre n'a pris aucune mesure depuis 2003 dans son dossier. M. Mohammad a commis un seul acte il y a 45 ans de cela. Pour l'amour du ciel, quand allez-vous pardonner? Il n'a rien fait depuis. C'est un vieil homme en mauvaise santé, entouré de tous les membres de sa famille qui sont citoyens canadiens, sauf une fille qui a la citoyenneté américaine. Il faut regarder les faits.

Le point principal en ce qui concerne l'immigration tient au fait qu'il n'est pas question de châtiment. Nous disons que quelqu'un devrait examiner les considérations humanitaires dans ces dossiers. Je peux prédire une chose au sujet de ce projet de loi — et je sais qu'il sera adopté — c'est que nous aboutirons en cour dans des contestations constitutionnelles parce qu'il va simplement trop loin. Il est mesquin et non démocratique.

Je ne sais pas si vous êtes conscients que nous avons une loi depuis 1910. Nous avons toujours eu un pouvoir discrétionnaire en matière humanitaire. Il n'a jamais été limité. Le ministre a toujours pu dire que des gens pouvaient rester au Canada pour des motifs humanitaires parce que ce sont les dossiers de personnes, d'êtres humains.

J'ai un lot de dossiers de la commission, et certains de mes clients sont ici depuis qu'ils ont deux ans. Ils se lient avec les mauvaises personnes et s'engagent dans des activités criminelles. Beaucoup d'entre eux s'en sortent, mais nous les privons de leur deuxième chance parce qu'ils n'auront plus de droit d'appel à la Section d'appel de l'immigration.

Nous éliminons aussi le pouvoir discrétionnaire d'examen de considérations humanitaires. Je parle ici des modifications apportées à l'article 25, pour les personnes visées par l'article 34 en matière de sécurité, ou les articles 35 ou 37 en matière de criminalité organisée ou de crimes de guerre. Tout cela semble épouvantable, mais vous ne comprenez pas comment la loi est appliquée.

Je vais vous donner un exemple. Une femme est mariée à un membre dûment élu de l'assemblée législative de son pays. Il est assassiné. Elle a près de 80 ans. Elle vient au Canada pour vivre près de ses filles. Comme le parti au pouvoir avait pris la défense d'un groupe de militants armés que le Canada considère comme des terroristes par rapport aux pourparlers de paix, son mari aurait été considéré comme un terroriste même s'il a choisi de ne pas être mêlé à ce parti, optant plutôt pour une voie démocratique. Elle est une terroriste parce qu'elle lui a préparé à souper et tapé ses notes. Elle était sa secrétaire. La portée de la disposition relative au terrorisme est à ce point vaste. Que faites-vous d'une vieille femme de 80 ans dont les deux filles vivent au Canada et qui n'a plus personne à l'extérieur du Canada? Sous le régime de la nouvelle loi, il n'y aura plus de demande de compassion pour des motifs humanitaires pour cette femme, alors que nous avons toujours eu cette possibilité.

Comme M. Maynard l'a dit, ce sont des changements législatifs fondamentaux qui causeront des ravages au sein de familles canadiennes installées ici depuis longtemps avec leurs enfants. Le ministre supprime le pouvoir discrétionnaire de confier à quelqu'un la charge d'examiner les circonstances de cette affaire.

Deuxièmement, la position de repli dans toutes les contestations constitutionnelles de dispositions législatives auxquelles j'ai pris part a été qu'il existe un pouvoir discrétionnaire de remédier à une disposition exagérément large. En ce qui concerne la disposition relative au terrorisme, la Cour suprême du Canada a dit que le ministre avait le pouvoir discrétionnaire d'y remédier pour des innocents qui n'ont rien fait. Ce pouvoir discrétionnaire est désormais limité dans ce texte de loi. Il ne s'agira pas du pouvoir discrétionnaire évoqué par la Cour suprême. Dans l'affaire de Guzman, dans laquelle une femme n'avait pas déclaré ses enfants et ne pouvait pas les parrainer, la Cour fédérale a dit que oui, les droits familiaux peuvent être un droit constitutionnel et que l'intégrité de la famille et l'intérêt supérieur des enfants sont tous des droits importants, mais la loi est constitutionnelle parce qu'elle prévoit un pouvoir discrétionnaire d'examen de considérations humanitaires. Supprimez ces pouvoirs discrétionnaires et vous ouvrez la porte à des contestations constitutionnelles.

Il faut confier à quelqu'un la tâche d'examiner ce projet de loi afin de déterminer s'il viole la Charte, parce qu'il le fait et que des gens s'adresseront à la cour pour le contester dès son adoption. Je crois que vous devriez lire les décisions que j'ai distribuées. C'est un mélange de dossiers dont la Section d'appel de l'immigration a été saisie. Ils montrent les différentes catégories de faits présentés à la commission, y compris des gens qui vivent ici depuis leur enfance. Certains d'entre eux gagnent leur cause et d'autres la perdent.

La réponse aux préoccupations que Mme Taub a exprimées au sujet de tous ces criminels qui envahissent le Canada, c'est d'avoir des processus efficaces. Actuellement, la Section d'appel de l'immigration est dysfonctionnelle. Je ne sais pas pourquoi; peut-être qu'elle s'est vue dépouillée de ressources ou qu'il n'y a pas assez de commissaires. Nous attendons plus de deux ans l'audition d'appels. Ce n'est pas satisfaisant.

Cependant, il faut éviter de jeter le bébé avec l'eau du bain. Il faut plutôt mettre en place un système efficace. Si un individu est arrivé ici à l'âge de deux ans et il a aujourd'hui des condamnations criminelles, faisons-le comparaître devant la commission et demandons au commissaire d'étudier son dossier et de trancher dans l'année qui vient, pas dans dix ans.

Le problème tient du système, non de la loi comme telle. C'est le système qui ne fonctionne pas. Il n'y a pas un seul processus fonctionnel dans le contexte de l'immigration pour les gens interdits de territoire. Rien ne fonctionne parce qu'il manque de personnel ou de ressources. À mon sens, voilà où se situe le problème.

Richard Kurland, avocat et analyste des politiques, à titre personnel : Merci de l'honneur et du privilège que vous me faites. Gordon Maynard, l'ancien président de la Section nationale de l'ABC, a fidèlement résumé le processus et les changements de procédures qui permettront d'attraper ces poissons dénigrés. Ce sont des changements très étendus.

J'aime bien les anciens présidents de sections nationales, non pas parce que j'en suis un, mais parce que nous avons parcouru le Canada pour sonder nos collègues d'un océan à l'autre sur les répercussions du projet de loi. J'ai fait l'exercice pour voir vraiment qui sera touché. J'ai des craintes pour un groupe donné, c'est-à-dire les personnes arrivées au Canada à l'âge de six mois, un an et deux ans.

Dans l'ensemble, le problème est lié à la Loi sur la citoyenneté. Jusqu'à ce que la Loi sur la citoyenneté soit modifiée de façon à permettre à une personne qui a résidé au Canada pendant 10 ans avant l'âge de 18 ans de devenir citoyen canadien d'office, nous attrapons les mauvais poissons. Ce sont des personnes qui appartiennent au Canada. Ce sont des personnes à qui l'on refuse la citoyenneté canadienne. Ce sont des personnes victimes de ce nouveau processus que M. Maynard a décrit. C'est injuste. Il conviendrait peut-être de retarder la sanction royale jusqu'à ce que les modifications requises soient apportées à la Loi sur la citoyenneté. C'est mon premier point.

Mon deuxième point porte sur la rétroactivité. À mon sens, la nature, la fonction et l'objet mêmes des lois sont de permettre aux humains de décider de façon rationnelle de leur comportement. Si ce projet de loi entre en vigueur avec rétroactivité, permettez-moi de vous faire part de ce que des avocats de la Couronne et des avocats de la défense m'ont dit. Si cette loi entre en vigueur, nous allons observer une augmentation du nombre d'étrangers emprisonnés. Pourquoi? D'un point de vue pratique, j'aimerais mieux passer quatre mois sous les verrous que de me voir infliger une peine avec sursis ou une peine qui dépasse la limite applicable au renvoi. Il est ironique de penser que ce projet de loi entraînera l'incarcération d'un plus grand nombre d'étrangers afin d'éviter non pas le nœud coulant du bourreau, mais la loi médiévale du bannissement, que ce projet de loi veut mettre en vigueur de façon si éloquente au Canada.

Ce sont mes deux souhaits, une déclaration des honorables sénateurs disant que si cette loi devait être adoptée, elle ne doit pas avoir d'effet rétroactif. Par ailleurs, personne au ministère ni à la Chambre ne s'est levé pour dire officiellement si oui ou non le projet de loi aura une portée rétroactive. Le processus judiciaire, s'il lit le compte rendu des débats d'aujourd'hui, en prendra note. La rétroactivité n'est pas présumée. La rétroactivité ne découle pas de la volonté du Parlement. Il pourrait être fait mention ici que l'intention n'est pas de donner à cette loi une portée rétroactive.

C'est tout le temps qui m'est alloué, mais manifestement, la question suscite les passions.

Le sénateur Eggleton : Merci à vous tous pour vos exposés.

Je reviens à l'idée du poisson. Je crois que nous abhorrons tous les cas où des personnes réussissent à se soustraire aussi longtemps à leur renvoi sans justification. Je ne parle pas d'un dossier en particulier, même si Mme Taub en a décrit plusieurs.

À mon avis, le problème important que pose ce projet de loi se rapporte aux petits poissons et aux limites de la portée du projet de loi. Nous parlons de personnes qui pourraient être déclarées coupables d'infractions très mineures. Nous ne parlons pas de meurtres, de viols ou de crimes majeurs du genre, qui ne seraient pas saisis par cette disposition législative de toute façon parce que la peine infligée serait sans doute supérieure à deux ans. Cependant, en éliminant la possibilité de soumettre la décision à l'examen de la Section d'appel de l'immigration, nous faisons courir à des personnes ayant commis des infractions mineures le risque d'être renvoyées du Canada.

Le ministre a comparu hier et nous a dit qu'il est vrai que cela pourrait se produire pour des personnes qui se voient infliger une peine de six mois ou plus, mais que celles-ci auront encore un droit d'appel à la Cour fédérale. Je ne crois pas que c'est le même genre de processus.

Mme Jackman : C'est un contrôle judiciaire.

Le sénateur Eggleton : Oui, c'est un contrôle judiciaire, mais il a beaucoup insisté là-dessus dans son exposé. Il a dit : « Ne vous inquiétez pas, ils auront encore cette option ». Pourriez-vous nous donner votre point de vue sur la possibilité d'en appeler à la Cour fédérale? Si je ne m'abuse Mme Jackman, vous en avez déjà touché un mot, mais vous pourriez peut-être approfondir votre pensée.

Mme Jackman : Le contrôle judiciaire sert à examiner la légalité de la décision d'expulser. Si vous avez une condamnation à votre actif, vous êtes susceptible d'expulsion. Il n'y a pas de pouvoir discrétionnaire. Il y a des considérations humanitaires ici. La décision n'est pas soumise au contrôle de la Cour fédérale. Elle est pro forma. C'est tout. Vous devez demander l'autorisation d'en appeler, une demande qui n'est accueillie que si vous établissez l'existence d'un problème grave. Si vous avez une condamnation, vous n'obtiendrez même pas l'autorisation.

M. Maynard : C'est tout à fait juste.

Ce serait aussi une erreur de dire : « Eh bien, si cette loi est si mauvaise, la Charte les sauvera. » Ce n'est pas ce qui va arriver non plus. Dans l'arrêt Chiarelli, la cour a dit que les résidents permanents n'ont pas droit à des considérations humanitaires lorsqu'ils risquent l'expulsion. Ils n'ont d'autres droits que ceux que le Parlement veut bien leur accorder. C'est pourquoi le Parlement est libre de faire ce qu'il fait.

Mme Jackman : Je ne suis pas d'accord avec vous. L'arrêt Chiarelli est susceptible d'être contesté à cause de l'intérêt familial. La cour n'a pas soulevé ces points dans sa décision. À mon avis, à cause de l'affaire de Guzman dans laquelle la Cour d'appel fédérale a dit que l'intérêt familial serait pris en compte dans les demandes de compassion pour considérations humanitaires, la constitutionnalité du projet de loi est susceptible d'être contestée et, en réalité, c'est ce qui se produira. La loi sera embourbée dans les tribunaux à cause de contestations constitutionnelles.

M. Maynard : Loin de moi de discuter avec elle de l'application de la Charte.

Le sénateur Eggleton : Ce n'est pas un tribunal ici, ce n'est qu'un lot de sénateurs. Permettez-moi de passer à un autre point. J'y reviendrai peut-être.

La prochaine question s'adresse à M. Maynard et porte sur certains dossiers dont il a parlé. J'ai décrit hier un dossier au ministre. J'ai parlé d'un résident permanent âgé de 20 ans qui est allé aux États-Unis et qui a utilisé une fausse carte d'identité et un faux permis de conduire, parce qu'il tenait à sortir dans un bar. Il s'y est fait pincer et il s'est vu infliger une amende de 200 $. C'est un peu le genre de cas que vous avez décrits.

Le ministre a hoché de la tête et dit : « Oh non, nous n'essayons pas d'attraper ce genre d'individu », mais je crois comprendre que la loi attraperait en réalité cet individu parce qu'il aurait une condamnation à l'étranger. Je crois qu'il a fait référence à l'alinéa 36(1)b) du Code criminel qui comporte une peine maximale possible d'au plus dix ans. Que la peine soit de dix ans ou pas, ou qu'il s'agisse d'une amende de 200 $, cela n'a pas d'importance.

M. Maynard : Ce n'est pas pertinent.

Le sénateur Eggleton : Dites-moi, cet individu serait-il pris au filet sans recours auprès de la SAI?

M. Maynard : Oui, la seule chose qui pourrait le sauver, c'est si les agents d'immigration décidaient de ne pas s'en occuper. S'ils décidaient d'intervenir, ils le prendraient dans leur filet et la décision ne serait soumise à aucun examen.

Le sénateur Eggleton : Tout repose sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministère ou du ministre.

M. Maynard : C'est exact, sans obligation nulle part dans la loi de prendre en compte le caractère équitable de la situation, rien de tout cela.

Mme Jackman : Si je retiens une leçon de mes 30 ans d'exercice du droit, c'est que lorsque le ministre ou quelqu'un d'autre dit : « Nous n'utiliserons pas cette disposition contre cette catégorie de personnes », ce n'est simplement pas vrai. Ils ne le feront peut-être pas au début, mais au fil des ans, qui n'aurait jamais cru qu'une veuve de 80 ans, la femme d'un député, aurait été considérée comme une terroriste parce qu'elle a préparé le souper de son mari? C'est élargir la définition de l'appartenance à une organisation terroriste tellement plus que ce que le Parlement croyait adopter à l'époque. C'est ce qui arrivera dans ce cas-ci.

Le sénateur Eggleton : Permettez-moi de poser une question à ceux qui, comme moi, se préoccupent du petit poisson. Que faisons-nous à propos de ces autres cas dont Mme Taub a parlé? Je suis conscient que vous pouvez avoir une opinion différente sur un ou deux de ces dossiers. C'est parfait, mais en général les affaires qui s'étendent sur des années, voilà la catégorie de personnes qui devraient être expulsées en réalité. Que devons-nous faire à leur sujet?

M. Maynard : Avant toute chose, examinons pourquoi ces cas se produisent. Ce n'est pratiquement jamais à cause d'une décision de la Section d'appel de l'immigration. Il n'y a qu'une audience possible auprès de la Section d'appel, et elle rend généralement une bonne décision.

Beaucoup de ces dossiers mettent en cause d'autres questions. L'origine des délais est ailleurs. Il peut s'agir de gens apatrides qu'on ne peut renvoyer nulle part.

Il peut s'agir d'un cas comme celui de Clinton Gayle, le type qui a tué le policier à Toronto il y a des années et qui est encore en prison. Il devait être expulsé aux termes d'une ordonnance. La Section d'appel a tranché : « Vous devez être expulsé. » Le ministre n'a pas agi, pas le ministre actuel, un autre ministre. Il n'avait pas donné suite à la mesure d'expulsion et le Service de police de Toronto a poursuivi le ministère pour avoir causé la mort d'un policier en ne renvoyant pas un criminel dangereux qui était sous le coup d'une ordonnance d'expulsion.

Peut-être qu'un individu comme M. Mohammad avait obtenu un pardon dans un pays étranger et la cour a cru à tort qu'il fallait reconnaître ce pardon.

Aucun de ces individus n'attendait sur le pas de la porte de la Section d'appel, aucun d'entre eux. Si le ministre veut citer des cas à l'égard desquels la Section d'appel est à l'origine des délais et porte préjudice au Canada, je vous en prie, faites-le et je serai heureux de vous écouter. Cependant, vous n'en trouverez pas. Ils sont très difficiles à trouver. La Section d'appel fait un bon travail. Elle n'est pas du tout la source du problème.

Mme Jackman : Je suis d'accord avec vous. Dans les affaires de longue date, et j'en ai un assez grand nombre qui remontent aux années 1980, même une des années 1970, qui ne sont pas encore réglées, aucune ne concerne la Section d'appel de l'immigration. Elles se rapportent toutes au risque dans le pays d'origine, ou au fait qu'après 30 ans au Canada, tous les membres de la famille de la personne en cause sont ici et qu'il y a des motifs humanitaires solides et un dossier sans tache. Comme je l'ai dit, il s'agirait d'une condamnation dans le passé : imaginez, combien de députés peuvent avoir une condamnation antérieure pour laquelle nous leur accordons un pardon afin qu'ils puissent un jour être candidats à la députation ou occuper une charge publique? Nous ne donnerions pas une deuxième chance à des gens parce qu'ils ne sont pas des citoyens? Nous l'avons toujours fait. Ce projet de loi éliminera cette possibilité.

La sénatrice Eaton : Collectivement, vous êtes beaucoup plus généreux que je le suis. En écoutant hier certains témoins et vous tous ce matin, on nous parle encore et encore de résidents permanents et à quel point il est cruel que si un individu est arrivé au Canada à l'âge de 2 ans et commet un acte criminel à l'âge de 25 ou 30 ans, nous voulions l'expulser. Dites-moi ce qui en est. Pourquoi croyez-vous que des gens vivent au Canada pendant 20 ou 25 ans sans devenir citoyens canadiens?

M. Kurland : Après l'âge de 18 ans, après l'âge de 20 ans, je serais d'accord avec vous. Pourquoi cette personne n'a-t- elle pas obtenu la citoyenneté dès qu'elle a été admissible? On voit une tendance à un nombre grandissant de demandes de citoyenneté au point où il faut entre deux à cinq ans pour traiter les demandes. Les gens se sont réveillés, mais je suis d'accord avec l'honorable sénatrice que si vous avez 25 ans, rien ne vous a jamais empêché d'obtenir la citoyenneté.

La sénatrice Eaton : Les parents ne peuvent pas obtenir la citoyenneté pour leurs enfants? Si les parents obtiennent leur résidence permanente au Canada, ne peuvent-ils pas obtenir la citoyenneté pour leurs enfants?

M. Maynard : Oui, ils le peuvent. Si un parent demande la citoyenneté, un enfant mineur peut obtenir la citoyenneté en même temps que lui. Toutefois, beaucoup de parents comprennent mal la loi et croient que l'enfant devient automatiquement un citoyen et qu'ils n'ont pas besoin d'en faire la demande. À ma connaissance, c'est arrivé dans beaucoup de cas. C'est ce qui explique à mon avis pourquoi des enfants ne sont pas devenus des citoyens.

Mon père est arrivé ici d'Angleterre quand j'avais six mois. Il n'est pas devenu citoyen avant d'avoir 70 ans. La raison en est qu'il n'a pas essayé d'obtenir un passeport et de quitter le pays avant de prendre sa retraite. Il tenait à rendre visite à ma sœur en Nouvelle-Zélande et ce n'est que lorsqu'il a présenté une demande de passeport canadien qu'il a constaté qu'il n'était pas citoyen canadien. Tout ce temps, il croyait qu'il l'était.

Mme Jackman : J'ai vu la même chose plusieurs fois pour des enfants. Ils sont dans la vingtaine, ils n'ont jamais voyagé et ils ne savent pas qu'ils ne sont pas citoyens. Ils ont simplement grandi ici jusqu'à ce qu'un représentant du ministère de l'Immigration se présente à leur porte. C'est un problème.

Toutefois, je peux vous dire que l'Europe ne permet pas une telle situation. La Cour européenne des droits de l'homme a décidé que les personnes qui sont arrivées en Europe à l'enfance ne pouvaient être expulsées pour des raisons de criminalité parce qu'elles sont des enfants européens et que cela représente une atteinte au droit à l'intégrité familiale. Il y a des aspects humains aux causes de cette nature. Je suis consciente qu'ils ont eu tort de commettre des actes criminels.

La sénatrice Eaton : C'est un thème récurrent. J'entends encore et encore que ce sont de « pauvres résidents permanents », et je n'arrête pas de me demander pourquoi ne sont-ils pas devenus citoyens?

Mme Jackman : Certains d'entre eux sont de pauvres résidents permanents. J'ai un type qui est traumatisé crânien. Nous nous sommes adressés cinq fois à la Cour fédérale pour essayer de le garder au Canada. Il ne serait pas entendu à ce niveau, ni par la Section d'appel de l'immigration. Cependant, ce n'est pas sa faute s'il est traumatisé crânien. Certains d'entre eux sont pathétiques. Leur histoire est très triste, mais il faut que quelqu'un, quelque part, jouisse du pouvoir discrétionnaire de se pencher sur ces dossiers.

Mme Taub : Il se trouve que je suis l'une de ces enfants. Je suis arrivée au Canada bébé avec mes parents après la guerre, des survivants de l'Holocauste, et beaucoup d'autres survivants de l'Holocauste qui avaient des enfants sont arrivés par la suite. Malgré tout ce qu'ils avaient vécu, ils n'avaient aucune idée de la façon d'obtenir la citoyenneté pour eux-mêmes ou pour leurs enfants. Ma sœur avait environ 15 ans et j'avais six mois quand nous sommes arrivés. Nous sommes arrivés en 1949; en 1956, nous étions tous citoyens. J'ai ma carte. Évidemment, je ne l'ai pas demandée moi-même. Mes parents ont fait la demande.

Des milliers d'immigrants sont arrivés de Hongrie en 1956 avec leurs enfants et ils sont tous devenus citoyens, malgré les obstacles de la langue et sans égard aux traumatismes qu'ils avaient vécus. Il ne semblait pas y avoir de malentendu sur la façon d'obtenir la citoyenneté et la façon de ne pas l'obtenir.

Je voudrais ajouter un point : nous parlions de « ces pauvres résidents permanents » et du fait qu'ils sont les victimes. Pour la plupart, ils ont leur libre arbitre, à l'exception d'une personne qui souffre d'un traumatisme crânien. Lorsqu'ils commettent un acte criminel, ce n'est pas par accident. Ils choisissent de commettre un acte criminel et il y a des conséquences. Que dire des victimes de leur acte criminel, ce qui est, si je ne m'abuse, ce que le ministre Kenney a pris en compte?

J'ai l'impression que nous oublions les victimes d'actes criminels au Canada. Je crois qu'il doit y avoir une différence entre les droits accordés aux citoyens et aux non-citoyens. Ils ne peuvent être traités de façon identique sous tous les rapports. Ils jouissent déjà des droits garantis par la Charte. Ils ont déjà un juge au criminel et un système de justice pénale qui prend en compte leur histoire personnelle et leur famille. Tout cela est pris en compte, d'une façon on ne peut plus appropriée, par l'entremise du système de justice pénale.

M. Maynard : Je tiens à ajouter brièvement deux choses. Premièrement, ne perdez pas de vue le fait que personne ici, pas même les plus libéraux ou les plus véhéments d'entre nous, ne dit qu'aucun résident permanent ne devrait jamais être expulsé. Ce n'est pas ce que nous disons.

La sénatrice Eaton : J'en suis consciente.

M. Maynard : Nous disons qu'il devrait toujours y avoir un moyen de bien prendre en compte leurs situations. Si vous décidez de les expulser, qu'il en soit ainsi, après un examen convenable. C'est un point.

Le deuxième point que je tiens à vous soumettre, c'est qu'un tribunal de juridiction criminelle n'est pas l'endroit pour prendre ces décisions concernant l'expulsion. Le tribunal de juridiction criminelle a des limites considérables. Une chose que nous pouvons dire en faveur de la Section d'appel, c'est qu'elle fonctionne plus rapidement que le tribunal criminel. Ce dernier a la tâche d'établir la culpabilité criminelle, rien de plus. Il n'est pas là pour entendre une nouvelle série de témoins afin de statuer sur l'expulsion. Ces tribunaux ne sont pas outillés pour le faire. Nous avons un système qui s'en tire très bien à ce jour, et nous devrions en rester là.

La sénatrice Eaton : Je suppose que certains parmi nous ne seraient pas d'accord avec vous, monsieur Maynard.

M. Maynard : J'en suis conscient.

La sénatrice Eaton : J'aimerais revenir sur ce que le sénateur Eggleton disait au sujet du jeune homme qui va aux États-Unis, qui se bagarre dans un bar et qui se voit imposer une amende. Il pourrait être expulsé. Je croyais que le projet de loi dit clairement que par rapport à un acte commis à l'extérieur du Canada, pour qu'une personne soit expulsée, il faudrait que la peine maximale soit de dix ans au Canada. Un individu qui se bagarre dans un bar en ayant utilisé une fausse carte d'identité ne se verra pas infliger une peine de dix ans au Canada.

M. Maynard : La loi dit que vous êtes interdit de territoire si l'infraction au Canada est passible d'une peine potentielle de dix ans. La peine qui vous a été infligée aux États-Unis ne fait aucune différence. Vous êtes interdit de territoire parce que la peine au Canada aurait pu être de dix ans.

La sénatrice Eaton : Ce ne serait pas parce que vous étiez dans un bar à vous battre. Je suppose que je l'interprète différemment que vous le faites.

M. Maynard : Sauf votre respect, vous l'interprétez mal. Il n'est pas nécessaire de se voir infliger une peine de dix ans à l'extérieur du Canada. De fait, vous n'avez même pas à être déclaré coupable, vous n'avez pas besoin d'avoir une peine d'emprisonnement. Une amende de 200 $ vous vaudra une ordonnance d'expulsion du Canada parce que l'infraction au Canada s'accompagne d'une peine potentielle de dix ans aux termes de la loi. C'est tout ce qu'il faut savoir.

Mme Taub : Il a raison, mais comme nous n'avons pas le Code criminel sous les yeux, je ne sais pas si une bagarre dans un bar serait visée.

M. Maynard : Non, mais l'infraction de voies de fait ayant causé des lésions corporelles le serait.

Mme Taub : C'est vrai.

Le sénateur Enverga : La possibilité existe.

M. Maynard : Oui, la seule chose qui entre en ligne de compte, c'est la peine potentielle au Canada.

La sénatrice Merchant : Je dois être en désaccord avec vous, Mme Taub, que tous les Hongrois et tous les Grecs qui sont venus au Canada ont pris soin de faire en sorte que leurs enfants deviennent des citoyens. Je sais que la même chose est arrivée dans ma famille.

Mme Taub : Je n'ai jamais dit « tous ».

La sénatrice Merchant : Oui, vous avez dit « tous », je suis désolée. Quand vous avez parlé des Hongrois, vous avez dit « tous », donc ce n'est pas vrai. Il est très difficile d'inclure tout le monde. Je sais que la chose peut arriver, et je n'entrerai pas dans les détails parce que ça me bouleverse terriblement.

Cette approche universelle m'apparaît aussi bouleversante, parce que c'est ce dont nous parlons. J'aime citer la mythologie grecque et l'anecdote de Procruste, qui prétendait avoir un lit pouvant convenir à tout le monde, mais il négligeait de dire aux gens que lorsqu'il les mettait dans son lit, il devait soit leur étirer les jambes ou les couper pour qu'ils puissent y entrer. Je crois qu'il ne faut pas vraiment beaucoup d'imagination pour saisir que cette idée d'une solution universelle ne convient pas à tous.

J'ai demandé hier au ministre si une personne qui souffre d'une maladie mentale recevrait un traitement spécial parce qu'elle pourrait avoir commis une infraction et j'ai proposé que la question soit examinée. Il a dit que cette personne pouvait compter sur les tribunaux pour s'en occuper. Je vous ai entendu dire ce matin que les tribunaux ne sont pas outillés pour traiter ces cas. Je n'y reviendrai pas parce que vous m'avez donné les réponses.

Que pensez-vous des pouvoirs que le ministre s'est attribués? Pouvez-vous nous faire part de vos observations à cet égard?

Mme Jackman : J'ai représenté George Galloway. Je vous parle donc de la clause Galloway pour désigner le pouvoir que le ministre s'est donné dans la clause 8, le projet d'article 22.1, de refuser l'entrée pendant trois ans pour des considérations d'intérêt public. La disposition vise à conférer au ministre le pouvoir de refuser des gens parce qu'il n'aime pas leur position politique, et c'est mal. Je n'en ai pas parlé dans mon exposé, mais c'est ainsi qu'elle sera utilisée. Je le sais. Pourquoi le ministre a-t-il besoin de ce pouvoir alors que nous avons tous les motifs d'interdiction de territoire? Ce n'est qu'un simple accaparement de pouvoir afin de donner un certain poids à ses vues politiques pour prendre sa revanche sur des gens.

Le sénateur Munson : J'aimerais poser une question supplémentaire sur ce point.

Le président : Je préférerais que vous ne le fassiez pas; je vous laisserai poser directement votre question quand votre tour reviendra, au lieu de nous engager dans un débat.

Le sénateur Munson : Pourquoi ne puis-je pas poser une question supplémentaire sur un point qui est soulevé...?

Le président : Madame Merchant.

La sénatrice Merchant : Avez-vous fini de répondre?

Mme Jackman : L'une des affaires que je citerai au sénateur Ogilvie concerne un Hongrois arrivé au Canada en 1957 et qui a été renvoyé pour des infractions criminelles en 2006 et qui n'est jamais devenu citoyen.

M. Maynard : Je craindrais que ce pouvoir du ministre, et je ne parle pas forcément du ministre en poste, mais de n'importe quel futur ministre, soit une source potentielle de grand embarras pour le Canada. Je crains que le pouvoir soit exercé pour des raisons idéologiques et que nous cessions d'avoir la réputation d'un pays tolérant prêt à entendre d'autres points de vue. C'est ma crainte.

M. Kurland : Si le pouvoir était invoqué, la situation pourrait avoir des conséquences politiques défavorables imprévues. Si l'idée est de fermer les frontières du pays à une personne pour des considérations d'intérêt public, ou d'après les autres témoins, pour des motifs idéologiques, cette décision ne serait-elle pas susceptible de donner lieu à une poursuite qui servirait de tremplin aux médias pour diffuser davantage les positions de la personne en question? J'aimerais que cette disposition soit mise à l'essai sur le terrain avant que nous la coulions dans le béton.

La sénatrice Seidman : J'aimerais que nous essayions de ne pas nous perdre dans la forêt, pour ainsi dire, et que nous essayions de voir les arbres. Plus j'écoute, plus toute la question semble complexe.

J'aimerais revenir à ce que le ministre nous a dit hier. Il a dit que ce projet de loi comblera des vides dans les lois de l'immigration du Canada qui permettent des appels incessants et des années de report d'une éventuelle expulsion. Il a dit très clairement que les criminels jouiront de leur plein droit d'accès au système de justice pénale et à tous les appels accordés par ce système, mais qu'ils ne pourront plus en appeler auprès de la Section d'appel de l'immigration en vue de retarder leur expulsion. Si nous pouvions examiner ce qu'il a dit, lorsqu'il tentait de décrire l'effet de ce projet de loi, pourriez-vous me dire ce que vous en pensez, s'il vous plaît?

Mme Taub : Je pense avoir abordé dans mon exposé la question de la minutie et de l'équité du système de justice pénale. Si un individu a une maladie mentale, il ne sera pas déclaré coupable. S'il est jugé inapte, il ne sera pas déclaré coupable. Par conséquent, s'il n'est pas déclaré coupable, il ne sera pas susceptible de renvoi pour cause de maladie mentale ou d'inaptitude.

Je tiens à revenir à cette récente décision de la Cour suprême qui oblige pratiquement le système de justice pénale à prendre en compte les conséquences en matière d'immigration de la peine qui est infligée. C'est pourquoi jusqu'à présent, les juges qui envisageaient d'infliger une peine de deux ans, qui leur semblait une peine ou un châtiment proportionnel à l'acte criminel, croyaient que deux ans moins un jour ne faisaient aucune différence du point de vue de la dissuasion. Cependant, cela faisait une énorme différence du point de vue de l'immigration. Par conséquent, ils infligeaient souvent une peine de deux ans moins un jour simplement pour éviter de déclencher une mesure de renvoi. Ils sont libres de le faire maintenant.

Je ne sais pas si je peux parler maintenant du petit poisson, mais beaucoup de gens semblent croire que l'expulsion attend le petit poisson qui commet des actes criminels mineurs. Je tiens à soulever le cas des infractions de conduite avec facultés affaiblies. Nous sommes tous conscients du problème grave que nous avons à cet égard. Incidemment, j'appuie le mouvement MADD, les Mères contre l'alcool au volant. J'ai reçu ceci dans le courrier hier. L'un des faits que l'organisme cite est que l'alcool au volant est la première cause criminelle de décès au Canada. Deuxième fait : chaque jour, quatre Canadiens en moyenne sont tués et 174 sont blessés dans des accidents liés à l'alcool ou à la drogue. C'est grave.

Cependant, voyez les peines infligées. Pour la première infraction, c'est une amende d'au moins 1 000 $. L'individu n'est pas susceptible d'expulsion. Pour une deuxième infraction, c'est une peine d'emprisonnement d'au moins 30 jours et une amende, donc vous n'êtes pas encore susceptible d'expulsion. Pour chaque infraction subséquente, une peine d'emprisonnement d'au moins 120 jours est prévue. L'expulsion peut entrer en jeu, selon le nombre de récidives. Par conséquent, lorsque l'infraction est poursuivie par voie de mise en accusation passible d'une peine d'emprisonnement d'au plus cinq ans — c'est-à-dire, si la peine est inférieure à six mois — ils ne sont pas susceptibles d'expulsion parce que la peine d'emprisonnement maximale est de cinq ans.

La sénatrice Seidman : Permettez-moi de vous interrompre un instant. Je ne sais pas si quelqu'un d'autre avait une observation à formuler, mais le temps qui m'est alloué pour poser des questions est très limité. Je suis désolée.

Mme Jackman : Je tiens à commenter l'arrêt Pham. Je figurais parmi les plaideurs devant la Cour suprême du Canada. La cour est claire : si l'éventail des peines est de un à deux ans pour la catégorie d'infractions que vous avez commises, on ne vous infligera pas une peine de moins de six mois. La cour peut prendre en compte le statut d'immigration, mais c'est dans les cas limites. Mon amie se trompe.

L'autre point sur lequel elle se trompe, c'est sur la perfection du système de justice pénale. Des malades mentaux passent au travers des mailles du filet tout le temps. C'est ce qui est arrivé à mon client qui est traumatisé crânien. Cela m'apparaît problématique.

Pour répondre aux préoccupations du ministre, premièrement, les gens sont ici non pas à cause d'appels incessants. Il y a un appel, comme M. Maynard l'a dit. Cet appel devrait simplement être entendu rapidement, comme ils l'ont été à la Section d'appel des réfugiés. Les audiences ont lieu dans le mois ou les deux mois suivants, donc faisons de même pour les appels. Il n'est pas obligatoire de les tenir ici, mais quelqu'un doit examiner leur dossier.

M. Kurland : À dessein, il y a un amenuisement de l'égalité de la compassion. Il ne faut pas se le cacher. C'est une décision de valeur émanant de la population du Canada exprimée au scrutin. Il y a ceux qui en saisiront les tribunaux et qui affirmeront que la Charte l'emporte sur la volonté politique. Ce jour viendra, mais nous ne pouvons pas écarter le fait qu'il y a moins d'accès. Ma préoccupation concerne la rétroactivité. On ne peut pas mettre ce projet de loi en application en regardant dans le rétroviseur.

La sénatrice Seidman : J'ai posé la question hier au ministre, très explicitement, et j'ai ici la transcription. Je lui ai demandé si le projet de loi allait avoir un effet rétroactif. La gestionnaire des politiques de sécurité nationale à Sécurité publique Canada a répondu :

Cette proposition reviendrait à imposer des conditions minimales aux personnes qu'on croit ou qui ont été déclarées interdites de territoire pour des raisons de sécurité. Au lieu de n'imposer ces conditions que pour des cas à venir, nous voudrions les imposer aux personnes qui résident déjà au Canada et qui sont soit considérées, soit jugées interdites de territoire pour des raisons de sécurité, comme le terrorisme ou l'espionnage.

C'est la réponse exacte. Je n'ai pas essayé de la changer. Je l'ai simplement lue.

M. Kurland : Vous m'avez tenu en haleine. Je n'ai pas entendu ni « oui » ni « non ».

M. Maynard : En ce qui concerne les dispositions du paragraphe 64(2), c'est-à-dire la perte du droit d'en appeler si on vous a infligé une peine d'au moins six mois, l'application serait rétroactive. La disposition s'appliquera à quiconque s'est déjà vu infliger une peine de plus de six mois à moins qu'au moment de l'adoption de la loi, le ministère ait déjà examiné le dossier, déjà produit son rapport et renvoyé l'individu à une audience d'admissibilité. Très peu de personnes seront dans cette situation. Il y a des gens ici qui croyaient avoir un droit d'appel parce qu'ils avaient une peine d'un an. Ils perdront ce droit rétroactivement. C'est très injuste.

Le sénateur Munson : Pour revenir à la question de Mme Merchant, à laquelle vous avez répondu, mais pour le compte rendu, le ministre a dit qu'en ce qui concerne l'article 22.1 proposé dans le projet de loi, la responsabilité commence ici. Qu'y a-t-il de mal à cela?

Mme Jackman : C'est lui qui a dit à ses fonctionnaires de refuser l'entrée à M. Galloway. La Cour fédérale a jugé que c'était une décision politique et l'a renversée. C'est le même ministre. Il s'immisce régulièrement dans différents dossiers à cause de ses propres vues politiques.

Le sénateur Munson : En ce qui concerne la Charte, nous avons ce débat ce matin, nous avons eu ce débat avec le ministre et nous avons eu des débats hier avec d'autres témoins qui étaient contre le projet de loi. Nous en parlons et en parlons encore, mais les jeux sont faits. Nous pouvons en parler aussi longtemps que nous le voudrons ici aujourd'hui, et nous pouvons exprimer nos préoccupations et être en colère ou heureux par rapport au projet de loi, mais cela ne changera pas grand-chose. Il sera promulgué. Il n'y aura pas de report de la sanction royale. Cela ne se passera pas comme ça.

Quand vous parlez de causes qui, à votre avis, seront invoquées pour non-respect de la Charte, qu'arrive-t-il ensuite? Supposons que le projet de loi entre en vigueur la semaine prochaine. Les tribunaux vont-ils être submergés d'affaires? Ces affaires seront-elles soumises à la Cour suprême? Il ne semble pas y avoir d'instance d'appel, que ce soit dans cette pièce ou au gouvernement ces jours-ci.

Mme Jackman : Les causes commenceront à s'empiler au tribunal. Certaines d'entre elles seront traitées et chemineront dans le système. Le gouvernement peut compter sur le fait que cette loi restera en vigueur plusieurs années pendant qu'elles cheminent dans le système. À un certain stade, la cour pourrait dire que le pouvoir discrétionnaire doit y être intégré et que la loi est inconstitutionnelle ou pas, auquel cas dans trois ans d'ici, il y aura un nouveau projet de loi. Il faut du temps, trois ou quatre ans.

Nous contestons la limite de 12 mois applicable aux évaluations du risque. La question n'a même pas encore été entendue intégralement devant un tribunal. Cela n'arrivera pas avant l'été, du moins en Ontario. Je ne sais pas ce qui se passe dans d'autres provinces. Il finira par y avoir des contestations. Que nous gagnions ou que nous perdions, il faudra plusieurs années. Je crois que le gouvernement peut compter là-dessus. Il sait que cette loi restera en vigueur jusqu'à ce que les cours disent le contraire.

Sur la question des réfugiés, la détention automatique, nous avons plaidé cette cause à la Cour suprême du Canada en 2007 et nous avons gagné. La cour a dit qu'on ne peut pas détenir des gens de façon arbitraire, puis le gouvernement a adopté un projet de loi prévoyant la détention arbitraire. Il sait qu'il sera contesté et qu'une partie de la loi sera annulée, mais il compte sur le fait que la loi restera en vigueur pendant quelques années.

Le sénateur Munson : Avez-vous réfléchi aux droits des enfants aux termes de la Charte de l'ONU? Cela semble absent de ce feu croisé législatif. Cette question ne semble pas faire partie du débat principal, et j'ai l'impression qu'elle devrait.

Mme Jackman : Le Canada vient de perdre une cause devant le Comité des droits de l'homme de l'ONU sur l'expulsion d'un résident de longue date qui avait toute sa famille ici. Aux termes de la décision, le Canada a été trouvé en violation du Pacte relatif aux droits civils et politiques. Je crois que l'affaire s'intitulait Warsame, et la décision n'a été rendue qu'à la fin de l'an dernier. Il y aura d'autres contestations auprès du Comité des droits de l'homme des Nations Unies, et la Commission interaméricaine des droits de l'homme contestera aussi cette loi. Nous avons la possibilité de plaider notre cause auprès de cette instance parce que nous avons perdu au Canada. Ces conventions sont invoquées, et elles continueront d'être invoquées à mesure que les causes s'accumulent à ce niveau. Elles seront invoquées devant les tribunaux au Canada pour montrer qu'il y a aussi violation de la Charte.

M. Maynard : Ces décisions sont-elles exécutoires pour le ministère?

Mme Jackman : Le Canada a ratifié ce traité de bonne foi et il est censé être lié par les décisions de la convention et du comité. S'il ne s'y conforme pas, il ne s'y conforme pas et il agit de mauvaise foi devant la communauté internationale, mais qu'importe? Le Canada est déjà mis au ban de l'opinion internationale à cause de ce gouvernement.

La sénatrice Seth : J'ai entendu des choses intéressantes et j'apprends beaucoup. D'après votre expérience, quel est le délai lorsqu'un individu interjette appel auprès de la Section d'appel de l'immigration?

M. Maynard : Cela varie d'une région à une autre. À Vancouver, l'audition de ces appels prend un an ou moins. Ce n'est pas si long. Mme Jackman dit qu'en Ontario, c'est deux ans. Cela varie.

La prise d'une mesure de renvoi et l'appel peuvent s'amorcer dès que l'individu a été condamné. Si l'individu est déjà en prison de toute façon, il ne va nulle part. L'appel peut avoir lieu. En général, disons un an, un an et demi, deux ans comme délai actuel. Il n'y a absolument aucune raison que cela prenne aussi longtemps. Il suffit de donner des ressources à la commission et de commencer l'appel dès que la condamnation est prononcée. Il ne faut qu'une condamnation. Allez-y et commencez tout de suite et réglez l'appel en moins de trois mois. C'est tout à fait possible. Il suffit d'avoir la volonté. Le gouvernement n'accorde pas les ressources nécessaires à la commission.

Mme Taub : Pour être juste, tout le système a été mis en place en 2002 sous le gouvernement libéral et il n'avait jamais été envisagé qu'un appel se déroule en prison.

Mme Jackman : Des appels ont lieu en prison depuis que j'exerce, depuis 30 ans.

Le président : Je demanderais à nos témoins de bien vouloir se limiter à répondre directement aux questions, sans débattre entre eux, sauf pour faire une mise au point à l'intention des sénateurs.

La sénatrice Seth : J'ai une question sur ce sujet. Qu'arrive-t-il aux coûts liés à ces appels? Sont-ils habituellement supportés par les immigrants? Qu'arrive-t-il si les immigrants ne peuvent se payer les services d'un avocat? Qui paie dans ce cas-là?

Mme Jackman : Selon la province où ils se trouvent, ils peuvent obtenir l'aide juridique, mais c'est difficile. Essentiellement, ce sont des clients privés et les familles qui aident à payer.

Nous représentons des clients lors de l'audition de leur appel en matière d'immigration dans les prisons. Cela se fait là depuis que j'ai commencé à exercer le droit dans les années 1970.

La sénatrice Seth : S'ils ne peuvent pas se le payer, c'est aux frais des contribuables?

M. Maynard : Pas forcément.

Mme Jackman : Non, la plupart d'entre eux sont payés privément. Les membres de la famille paient. Dans le passé, l'Ontario accordait des certificats pour ça. Je ne suis pas sûre qu'elle le fait encore.

La sénatrice Martin : Je sais que nous nous sommes concentrés exclusivement sur les personnes qui seraient visées par ce projet de loi, s'il était adopté, et je sais que la grande majorité des résidents permanents respectent la loi et contribuent à la société canadienne. Nous parlons d'une minorité, et je pense à la grande majorité des Canadiens et à nos droits fondamentaux comme Canadiens par opposition aux privilèges dont jouissent ceux qui sont au Canada en vertu d'un système très généreux.

J'aimerais me concentrer maintenant sur les vides juridiques et les délais qui existent. J'ai eu un rôle à jouer dans une affaire qui en est maintenant à sa septième année, et cet individu est encore au Canada. C'est très frustrant du point de vue de la population canadienne de penser à la grande majorité des gens qui respectent la loi.

Par rapport aux vides juridiques, pourriez-vous nous parler de la façon dont ce projet de loi les comblerait et améliorerait la loi en vigueur? Les retards sont-ils inacceptables et extrêmement frustrants du point de vue de la grande majorité des Canadiens qui méritent un système juste plus efficace? Je fais référence aux vides juridiques et à la façon de les combler.

Mme Taub : Le retard qui serait éliminé est celui d'un ou de deux ans d'attente pour l'audition de la Section d'appel de l'immigration. J'en conviens, si l'audience avait lieu immédiatement à la SAI, le problème ne se poserait même pas. C'est un énorme retard, et c'est un retard de nature bureaucratique qui serait facile à éliminer en doublant ou en triplant les ressources et en élargissant la Section d'appel de l'immigration à différentes villes au lieu de la restreindre. Ils ferment le bureau d'Ottawa, une autre mesure qui ne va certainement pas améliorer l'efficacité.

Les autres retards sont dus à la Cour fédérale. Comme mes collègues l'ont dit, lorsqu'on s'adresse à la Cour fédérale, il faut des années pour être entendu.

M. Kurland : Le projet de loi comble des vides juridiques. Avec une massue, il comble celui de l'accès au système. La porte est fermée, donc je ne sais pas comment on pourrait catégoriser cela comme un vide juridique ou non.

En ce qui concerne les vides juridiques, ce seront les personnes hautement motivées et admissibles à la citoyenneté canadienne qui en feront la demande et elles ne feront pas partie de cet inventaire.

Pour revenir au commentaire de la sénatrice Eaton sur les raisons pour lesquelles nous pouvons avoir des non- Canadiens de 25 ans : il y a une mauvaise administration créative de la part de Citoyenneté et Immigration Canada. C'est une réponse directe. Pour la première fois, nous avons l'obligation de renouveler le statut de résident permanent aux cinq ans. Cela signifie qu'un individu doit communiquer avec l'administration fédérale aux cinq ans pour obtenir une nouvelle carte à la feuille d'érable. Comment se fait-il que lorsqu'il demande cette nouvelle carte, il ne soit pas automatiquement inscrit sur une liste d'attente pour obtenir sa citoyenneté? Il est admissible et il a fourni les renseignements nécessaires : où est le problème? C'est un vide qu'il vaut la peine de combler.

La sénatrice Martin : Merci. C'est un point important.

M. Maynard : Premièrement, je ne qualifierais jamais l'accès à la Section d'appel de vide juridique. Comme Mme Taub l'a dit, il est sans doute possible d'accélérer la procédure, de toute façon.

Lorsque les délais sont longs, c'est habituellement à cause de questions comme la protection des réfugiés ou d'autres droits en matière de protection, par exemple les risques qui empêchent le Canada de renvoyer une personne dans un pays où sa sécurité serait compromise. La difficulté d'essayer de légiférer le droit de renvoyer par rapport à l'obligation de protéger a tendance à retarder les renvois. Ce sont généralement les causes des longs délais.

La Cour fédérale peut occasioner des retards pour différentes questions, mais pas la Section d'appel. Il est relativement rare de saisir la Cour d'appel de décisions rendues par la Section d'appel. Il faut obtenir l'autorisation d'en appeler. Il faut compter trois mois pour l'audition de la demande d'autorisation d'en appeler, et dans la plupart des cas, elle est rejetée.

Ce projet de loi ne comble aucun des véritables vides juridiques, si vide juridique il y a. Il s'attaque simplement au rôle d'un tribunal très nécessaire qui fait un travail efficace et efficient.

La sénatrice Martin : Efficace, j'en conviens, mais certainement pas efficient parce que les délais sont assez longs.

Quel pourcentage des gens serait visé par cette loi? C'est une minorité de ceux qui ont leur statut de résident permanent au Canada. Y a-t-il un chiffre? Je suis curieuse.

M. Kurland : J'ai essayé d'obtenir ce chiffre, mais il y a un hic : il n'y a aucune façon aujourd'hui de rouvrir une audience de détermination de la peine après le prononcé de la peine. J'ai posé la question à de hauts fonctionnaires du ministère de la Justice et à d'éminents avocats spécialisés en droit criminel, parce qu'on pourrait rebaptiser cette loi « Loi pour l'élimination du chômage chez les avocats criminalistes » : il y aurait des dizaines de milliers de motions pour rouvrir les peines en se fondant sur l'effet rétroactif de cette loi. Il y en aurait à court terme des dizaines de milliers selon des estimations prudentes.

La sénatrice Martin : En passant, après toutes mes années d'expérience, je n'ai eu connaissance que de deux cas. Toutefois, j'étais simplement curieuse de savoir si vous connaissiez ce chiffre.

Le sénateur Enverga : J'ai été frappé par l'un des exemples donnés par Mme Jackman, je crois, qui parlait d'un individu qui avait commis un acte criminel dans son pays il y a 45 ans passés et qui était entré au Canada sous une fausse identité. Est-il encore ici au Canada à intenter toutes sortes d'appels jusqu'à ce qu'il devienne vieux et se retire?

Mme Jackman : Ce n'est pas ce qui s'est produit. Mme Taub était mal renseignée. Il a été expulsé en 1998. Le processus a été long à cause des questions relatives au risque : il s'agit d'un Palestinien apatride.

M. Maynard a dit que dans presque tous les cas comportant de longs retards, des questions de protection sont en jeu. Il y avait eu un seul événement il y a 45 ans de cela sans autre acte criminel depuis, et le dossier a été bloqué non pas par des appels du parrainage ou par des audiences à la Section d'appel de l'immigration ou quoi que ce soit du genre. Il a été bloqué par la question du risque. Un homme peut-il être renvoyé dans un pays où il ne sera pas en sécurité?

Le sénateur Enverga : Mais il était venu ici sous une fausse identité.

Mme Jackman : Non, il n'était pas venu sous une fausse identité. Il était venu sous son vrai nom en donnant sa vraie date de naissance. Toutefois, il n'avait pas dit qu'il avait obtenu un pardon pour cette infraction. Il n'avait pas mentionné sa condamnation ni son appartenance au FPLP. Il avait fait une fausse déclaration, mais il n'avait pas donné une fausse identité.

Le sénateur Enverga : Il n'avait pas donné une fausse identité, donc il était ici légalement. Est-ce bien ce que vous dites?

Mme Jackman : Il est venu pour devenir résident permanent. Il a fait une fausse déclaration. Il n'a pas parlé aux agents de l'immigration de l'infraction pour laquelle il avait obtenu un pardon, et il ne leur a pas parlé de ses activités politiques. Il avait fait une fausse déclaration et une mesure d'expulsion a été prise contre lui.

Le sénateur Enverga : Je pose ces questions parce que je m'attendrais à ce que tous ceux qui viennent ici pour devenir des résidents permanents se conforment à la loi. Pour ma part, en tant qu'immigrant, j'aimerais que ceux qui commettent des actes criminels soient punis. J'aimerais m'assurer que nos contribuables paient pour la bonne cause. Si je devais commettre un acte criminel, ce serait un péché contre tous les contribuables canadiens de me garder ici. C'est ce que je dis. Nous ne devrions pas essayer de garder ces individus au moyen d'innombrables appels simplement pour leur permettre de devenir vieux et de prendre un jour leur retraite ici.

Mme Jackman : Ce n'est pas ce qui se produit. Je ne sais pas pourquoi tout le monde ne cesse... peut-être parce que le ministre vous a dit qu'il y a une multitude d'appels. Ce n'est pas le cas.

Comme je l'ai dit au sujet de cette affaire, la dernière fois que nous avons comparu en cour, c'était sur la question du risque auquel il s'exposait en retournant dans le pays de son lieu de résidence parce qu'il est apatride. C'était en 2003. Rien ne s'est passé depuis. Ce n'est pas sa faute si le ministre n'a pas pris la décision qu'il était censé prendre lorsque le tribunal a renvoyé l'affaire en 2003. Neuf années se sont écoulées depuis.

Vous ne pouvez pas dire que c'est sa faute ou que ces types embourbent le système. Ce sont des problèmes bureaucratiques liés aux dossiers de protection de cette nature. Je pense qu'ils ne savent pas quoi en faire. Si des individus courent un risque, que faites-vous d'eux? Ce ne sont pas des cas faciles.

M. Maynard : Le ministre a dit que cette loi devait être modifiée parce que des criminels étrangers dangereux commettent des actes criminels graves au Canada et retardent leur renvoi en interjetant d'innombrables appels. Je ne sais pas si je le cite textuellement, mais c'est assez proche.

Le processus que ce projet de loi attaque n'est pas la source d'appels innombrables. Ce n'est simplement pas le cas. Ce n'est pas vrai que la Section d'appel est en faute. La Section d'appel fait un bon travail. J'ai exercé le droit dans ce domaine pendant 25 ans. Je me présente devant la Section d'appel et je suis fier que nous ayons cette instance parce qu'elle fait un bon travail. Le ministre y est représenté par ses agents d'audience, la personne concernée est présente, la preuve est soumise, un compte rendu de cette preuve est établi et une décision écrite est rendue. Dans ces décisions, nous ne pouvons jamais nous plaindre de ne pas avoir été entendus. Si la décision est l'expulsion, qu'il en soit ainsi, mais c'est un processus équitable et il prend en compte tous les bons éléments. Pourquoi voulons-nous nous en débarrasser? Pourquoi?

Mme Taub : J'aimerais revenir à mon exemple de Sandra Gordon, qui vivait au Canada depuis 1975 et dont on a ordonné l'expulsion. L'émission W-5 a fait enquête deux fois sur son dossier et dans sa dernière décision du 14 mars 2007, la Cour fédérale a dit que la demande d'autorisation d'appel et de contrôle judiciaire était rejetée. Deux mois plus tard, le juge Gibson a confirmé cette décision, alors pourquoi est-elle encore au Canada? Ce n'est pas parce qu'elle court un risque en retournant en Jamaïque.

Je n'ai pas les réponses et je n'arrive pas à m'imaginer pourquoi cela se produit dans une affaire comme celle-là. Je ne connais pas l'origine du retard. Honnêtement, je ne peux pas me l'imaginer.

M. Maynard : Alors pourquoi citez-vous ce dossier ici en exemple?

Mme Taub : Parce que c'est l'un des dossiers que le gouvernement tente de régler par ce projet de loi.

Mme Jackman : Ce projet de loi ne le règle pas.

M. Maynard : Cela n'a rien à voir avec l'appel.

Le sénateur Enverga : Je ne tiens pas à cibler un dossier en particulier ici, mais le fait est que l'individu a commis un acte criminel; il a été condamné à six mois puis il a obtenu un pardon. Par ailleurs, les agents d'immigration veulent l'expulser. Il a commis un acte criminel, point à la ligne. Cela devrait être pris en compte dans l'ensemble du système. Sur quoi devrions-nous nous baser, le processus d'immigration ou le processus pénal? Cet individu n'est pas un élément positif pour le pays. Est-il résident permanent?

Un résident permanent devrait se conformer à la loi. Si la peine est de six mois, est-ce que cela signifie qu'un crime grave a été commis? Les crimes relatifs à la drogue sont des crimes graves.

M. Kurland : Je comprends les préoccupations. Si un individu commet un acte criminel, conduisons-le de force à l'aéroport. Je comprends. À l'avenir, les personnes qui seraient prises dans une marche forcée seraient celles qui composent aujourd'hui l'arriéré. Ce sont les illégaux de longue date. En ce qui concerne les individus qui viennent au Canada aujourd'hui en tant que résidents permanents, entachés d'un passé criminel, ils ne viennent pas à cause des modifications récentes du système.

De qui parlons-nous, alors? Non pas des immigrants des cinq dernières années. La mesure vise un segment tout à fait différent de la société canadienne, c'est-à-dire les résidents de longue date. C'est pourquoi je reviens au fait que c'est en réalité une solution à un problème lié à la Loi sur la citoyenneté qui tranchera le nœud gordien.

Un dernier point, monsieur le président : vous souvenez-vous à quel point l'école secondaire était difficile, peu importe le pays dans lequel vous viviez? Imaginez que vous essayez de vous intégrer. Vous êtes différent. Vos confrères sont Canadiens et vous ne l'êtes pas. L'analyse de la cause profonde récente : pourquoi n'aidons-nous pas les résidents permanents à devenir canadiens à l'école secondaire pour qu'ils puissent s'intégrer et ne pas être recrutés par des personnes mal intentionnées pour faire de mauvaises choses? Cet échec de la Loi sur la citoyenneté va au-delà de la criminalité. Nous devrions envisager d'accorder la citoyenneté aux personnes qui ont grandi au Canada, qui ont passé dix ans au Canada avant leur 18e anniversaire de naissance et c'est ainsi, honorables sénateurs, que nous allons régler ce problème.

Le sénateur Enverga : Vous avez mentionné que cette mesure pourrait être l'objet d'une contestation constitutionnelle. L'avez-vous déjà contestée?

Mme Jackman : J'ai dit qu'une contestation constitutionnelle serait à prévoir étant donné qu'on sépare les familles sans en tenir compte. Il faut prendre en compte l'intérêt supérieur des enfants. C'est inscrit dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, dans le Pacte international sur les droits civils et politiques et dans la Charte. Si notre régime ne prévoit aucune discrétion quelque part, afin que quelqu'un prenne en compte ces intérêts, à mon avis, le régime est inconstitutionnel. Je ne peux pas dire que nous allons obtenir une décision favorable devant les tribunaux, mais je crois que nous avons une très bonne chance. On n'élimine pas le pouvoir discrétionnaire. C'est ce qui a sauvé le régime pendant toutes ces années et maintenant, le gouvernement le fait disparaître.

M. Maynard : Je ne suis pas aussi optimiste à ce sujet. Je ne crois pas que la Charte sauvera le régime. La seule chose qui le sauvera, c'est si le Parlement fait preuve de bon sens.

Le sénateur Eggleton : Je tiens à parler d'un dossier que le Conseil canadien des réfugiés a soulevé hier, pour savoir ce que vous en pensez. Il y est question de sécurité et d'admissibilité, de gens qui ont peut-être lutté contre des régimes répressifs, que ce soit en Syrie, en Libye ou ailleurs.

En l'occurrence, une adolescente iranienne était active au sein d'un groupe de l'opposition. Elle a assisté à des réunions, elle a participé à des manifestations et elle a distribué des tracts en Iran. À cause de ses activités, elle a été arrêtée et emprisonnée pendant cinq ans dans la tristement célèbre prison d'Evin, où elle a été torturée. Elle s'est enfuie au Canada. Elle a été interdite de territoire pour des raisons de sécurité à cause de son association, entre les âges de 14 et 16 ans, avec un groupe interdit.

D'après ce que je comprends, ils ont évoqué cette affaire entre autres parce que le ministre pourrait actuellement intervenir pour des motifs humanitaires, mais le projet de loi éliminerait cette possibilité. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

Mme Jackman : L'affaire de la veuve de 80 ans a le même enjeu. Il y a une multitude d'affaires de ce genre parce que l'appartenance à une organisation terroriste couvre des personnes qui n'ont jamais rien fait de mal et dont les organisations auxquelles elles ont appartenu peuvent avoir eu plusieurs objectifs différents. Par exemple, si vous faites partie de l'OLP, vous pouvez travailler dans une clinique à prendre soin des gens, mais vous seriez interdit de territoire au Canada à cause de votre appartenance à une organisation terroriste. C'est très large. Peu importe vos actes ou vos croyances, toute association est coupable. Vous pourriez contourner cet obstacle en présentant une demande pour motifs d'ordre humanitaire, mais ce sera impossible sous le régime de ce projet de loi. C'est pourquoi nous disons que c'est un changement fondamental.

Vous vous souvenez peut-être des discussions relatives au Livre vert et au Livre blanc dans les années 1970. Il y avait des débats à la grandeur du Canada. Étudiante, c'était la première fois que je participais au débat sur l'orientation que nous voulions prendre. L'élimination du pouvoir discrétionnaire de prendre en compte des considérations humanitaires, que nous avons toujours eu, change fondamentalement le regard que nous posons sur les non-citoyens. À mon avis, il devrait y avoir un débat national pour savoir si nous voulons nous orienter dans cette voie et devenir un pays implacable, mesquin et répugnant.

M. Maynard : Il y a plusieurs années, au cours d'une discussion avec un ministère, j'ai dit que le pouvoir discrétionnaire est l'huile qui permet aux rouages de l'application de la loi de tourner rondement. Lorsqu'on élimine le pouvoir discrétionnaire, les rouages cessent de tourner rondement, et c'est ce qui se produit aujourd'hui. Nous éliminons le pouvoir discrétionnaire et les rouages s'entrechoquent.

Mme Taub : L'idéologie politique tempère souvent le pouvoir discrétionnaire. Ce dernier est aussi tempéré par la rectitude politique et le parti au pouvoir. Il est peut-être préférable d'avoir une loi ou un règlement plutôt que laisser le soin à une personne ou à un ministre d'exercer un pouvoir discrétionnaire.

M. Kurland : Cela mis à part, c'est comme un ballon. Nous allons le comprimer à une extrémité et éliminer le pouvoir discrétionnaire et devinez où il va rebondir? Dans la salle de rédaction de La Presse et de Radio-Canada. Il deviendra un grand sujet de débat télévisé à l'égard duquel il y aura un prix politique à payer et le pouvoir discrétionnaire sera rétabli avec le temps. C'est le pendule qui oscille au fil des décennies.

La sénatrice Merchant : Je reviens aux pouvoirs que cette loi confère au ministre, et non seulement au ministre en poste, mais à un ministre de l'Immigration. Cette loi établit-elle des critères? Y a-t-il des mesures similaires dans d'autres pays — peut-être en Australie ou aux États-Unis — que nous pourrions étudier afin de déterminer les critères qu'ils ont établis?

Mme Jackman : Nulle part dans la loi ne sont énoncés des critères applicables aux considérations d'intérêt public.

Je n'en connais pas assez sur les États-Unis ou l'Australie, mais je sais que notre gouvernement étudie ce qui se passe dans ces pays lorsqu'il adopte des lois, alors ils ont peut-être des lois semblables.

La sénatrice Merchant : Le ministre a mentionné quelque chose hier au sujet de l'Australie. Je n'ai pas le texte sous les yeux.

Mme Jackman : En ce qui concerne les considérations d'intérêt public, je ne serais pas étonnée qu'on ne réclame pas son annulation pour cause d'imprécision. Qui peut dire ce qu'il signifie?

Le président : De toute évidence, ces questions sont très importantes et complexes du point de vue de l'interprétation personnelle. Nous avons assurément observé beaucoup d'enthousiasme chez les témoins ainsi que dans toute la salle aujourd'hui. Au nom de mes collègues, je tiens à vous remercier d'avoir répondu avec toute la profondeur de votre réflexion sur ces enjeux. Je n'ai aucun doute que votre contribution a été utile à nos travaux. Au bout du compte, nous devons nous prononcer sur la question et je tiens à vous remercier au nom de mes collègues d'avoir accepté notre invitation et participé au débat comme vous l'avez fait.

À mes collègues, merci beaucoup de la façon dont vous vous êtes conduits.

(La séance est levée.)


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