LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 20 novembre 2014
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui à 8 heures pour étudier le développement des énergies renouvelables et non renouvelables dans les trois territoires du Nord, y compris le stockage, la distribution, la transmission et la consommation d’énergie, de même que les technologies émergentes.
Le sénateur Richard Neufeld (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Richard Neufeld. Je représente la province de Colombie-Britannique et je suis le président du comité.
Je souhaite la bienvenue aux sénateurs, aux membres du public qui sont avec nous dans la salle et à tous les auditeurs d’un bout à l’autre du pays qui suivent nos travaux à la télévision. Je rappelle à tous que les audiences du comité sont ouvertes au public et sont également disponibles en webémission sur le site sen.parl.gc.ca. Vous trouverez également le calendrier de la comparution des témoins sur notre site Web, à la rubrique « Comités du Sénat ».
Je demanderais maintenant aux sénateurs de se présenter et je vais commencer par présenter moi-même le vice-président du comité, le sénateur Paul Massicotte, du Québec.
Le sénateur Patterson: Dennis Patterson du Nunavut.
La sénatrice Ringuette: Pierrette Ringuette du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Sibbeston: Nick Sibbeston des Territoires du Nord-Ouest.
Le sénateur Wallace: John Wallace du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Black: Douglas Black de l’Alberta.
La sénatrice Seidman: Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
Le président: Nos deux analystes de la Bibliothèque du Parlement sont Sam Banks et Marc LeBlanc.
Le 4 mars 2014, le Sénat a autorisé notre comité à entreprendre une étude sur le développement des énergies renouvelables et non renouvelables dans les trois territoires du Nord, y compris le stockage, la distribution, la transmission et la consommation d’énergie, de même que les technologies émergentes. Le comité a tenu des réunions et a entendu des témoins sur cette question à Ottawa et, en mai dernier, s’est rendu dans les trois territoires du Nord canadien pour y tenir des réunions privées et visiter des sites.
Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’accueillir, pour la première partie de notre réunion, M. Alain Barriault, président-directeur général de la Qulliq Energy Corporation, et M. William Mackay, sous-ministre adjoint par intérim, Affaires intergouvernementales, gouvernement du Nunavut. Messieurs, vous avez la parole.
Alain Barriault, président-directeur général, Qulliq Energy Corporation: Bonjour, monsieur le président Neufeld et mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous remercie de nous avoir invités à discuter des questions relatives à l’énergie au Nunavut.
La société Qulliq Energy exploite et entretient un système de production d'électricité alimenté à 100 p. 100 au diesel, hors réseau, dans 25 localités éloignées et isolées, éparpillées sur un territoire représentant 20 p. 100 de la superficie terrestre du Canada et réparties dans trois fuseaux horaires.
Le parc énergétique de Qulliq Energy comprend 102 groupes électrogènes, dont 40 datent de la période allant de 1974 à 2001. Ces derniers représentent 61 p. 100 de la puissance installée et approchent de la fin de leur durée de vie utile. Dix-sept de nos 26 centrales sont également proches de la fin ou carrément à la fin de leur vie utile de 40 ans.
En plus de la présentation PowerPoint et des notes que j’ai remises aux membres du comité, j’ai également fourni séparément une carte du Nunavut illustrant l’emplacement des centrales, en précisant leur âge, pour donner au comité une idée de l’ampleur du défi que nous devons relever.
Beaucoup des installations que nous exploitons et qui datent de plus de 40 ans sont bien sûr des vestiges de la Commission d’énergie du Nord canadien, qui était à l’époque une société d’État fédérale. Nous procédons actuellement au déclassement de certaines de ces vieilles centrales, ce qui nous pose également des difficultés sur le plan environnemental.
Fournir de l’énergie de manière fiable dans ce contexte comporte évidemment des difficultés, mais présente aussi de nombreuses possibilités. L’achat de carburant diesel représente 45 p. 100 des dépenses totales de la société. Cela représente environ 55 millions de litres de diesel, dont le tiers pour Iqaluit seulement.
J’en suis actuellement à la page 4 de ma présentation, pour ceux qui suivent le texte.
L'élimination du diesel nous permettrait bien sûr potentiellement de réduire grandement nos émissions de gaz à effet de serre ainsi que les risques environnementaux associés au transport et au stockage du carburant diesel.
Même si l’électricité est tarifée au Nunavut, les subventions et la grille tarifaire sont tels que le gouvernement du Nunavut et ses organismes payent indirectement l’essentiel des coûts de la société Qulliq Energy. Réduire les tarifs d’électricité grâce à des investissements dans l’hydroélectricité et d’autres grands projets énergétiques permettrait de diminuer les tarifs, d’alléger le fardeau financier du gouvernement du Nunavut et de libérer des fonds transférés du fédéral dont on aurait grandement besoin pour le logement social, la santé et d’autres priorités.
De plus, comme vous le savez tous, la baisse des tarifs d’électricité a également l’avantage d’être un catalyseur économique et c’est souvent le facteur décisif qui détermine la viabilité et la durabilité des grands projets. Des sociétés minières présentes au Nunavut ont fait savoir que la production d’électricité sur place au moyen de groupes électrogènes diesels représente jusqu’à 20 p. 100 de leur coût de fonctionnement.
Remplacer le diesel par des sources d’énergie moins polluantes est logique, en grande partie parce que le diesel est très coûteux. L’élimination du diesel serait donc plus avantageuse sur le plan de la rentabilité que son remplacement par des carburants moins coûteux, et il y aurait aussi d’importantes réductions des émissions de gaz à effet de serre.
J’en suis à la page 5 de mon exposé: l’énergie, la sécurité et les réseaux isolés. Chacune de nos collectivités est un réseau isolé en soi. En cas de panne prolongée en hiver, nous pouvons subir des dommages considérables à cause du gel. Donc, du point de vue de la gestion du risque, toute source d’énergie de remplacement que nous introduirions devrait être complétée par notre infrastructure diesel existante. Quiconque suit l’actualité dans le Nord est au courant de la panne d’électricité qui a eu lieu la semaine dernière à Cambridge Bay. Notre plus gros groupe électrogène diesel est tombé en panne, causant des pannes de courant rotatives jusqu’à ce qu’une équipe puisse être envoyée par avion depuis une autre localité. Bien sûr, trouver des pièces pour ces installations vieillissantes pose constamment des difficultés.
Nous avons en effet une infrastructure vieillissante, comme je l’ai dit au début de mon exposé. Le remplacement d'une centrale ayant une durée de vie de 40 ans coûte entre 15 et 25 millions de dollars. La durée de vie des groupes électrogènes est plutôt de l’ordre de 10 ans. De nos jours, si on peut en installer un pour 2 millions de dollars, c’est un bon prix. Le coût d’achat d’un groupe électrogène est d’environ 1 000 $ par kilowatt, et il faut ajouter 1 000 $ par kilowatt pour l’installation. Nos lignes de transmission, transformateurs et appareillage de connexion sont également vieillissants. Qulliq Energy doit mettre de côté environ 35 millions de dollars par année en immobilisations simplement pour assurer le remplacement périodique de cet équipement de base.
Bien sûr, comme pour d’autres services publics, nos améliorations sont financées au moyen d’emprunts et notre service de la dette est financé par les tarifs d’électricité que nous faisons payer à nos clients. Toutes les dettes engagées par Qulliq Energy sont comptabilisées dans le plafond d’endettement du gouvernement du Nunavut. Bien que nous ayons un pouvoir d’emprunt pour assurer notre stabilité financière, nous devons quand même composer avec la contrainte du plafond d’endettement du gouvernement du Nunavut et nous devons travailler en collaboration avec notre ministère des Finances.
Le problème de l’endettement est exacerbé par notre très petit nombre de clients. Nous avons une population de 36 000 habitants et 14 000 abonnés. Un projet d’aménagement hydroélectrique de 400 millions de dollars représente un peu plus de 11 000 $ par habitant — pour chaque homme, femme et enfant — ou encore 28 000 $ par abonné. Répercuter cette dette sur nos abonnés ne fait qu’augmenter les tarifs déjà les plus élevés au Canada. Bien sûr, l’adoption d’une méthode de production à plus faible coût est attrayante; cependant, cela exige énormément de capitaux et nous avons besoin d’aide à cet égard.
Le potentiel hydroélectrique à Iqaluit est actuellement estimé à 18 à 25 mégawatts, ce qui répondrait aux besoins d’Iqaluit pour les 40 prochaines années et éliminerait 15 millions de litres de diesel. Nous avons aussi des sites hydroélectriques prometteurs dans la région de Kivalliq qui permettraient de desservir les communautés régionales plus populeuses de Baker Lake et de Rankin Inlet. Là encore, il faudrait investir des centaines de millions.
Le gouvernement fédéral a fourni de l’argent pour le développement énergétique à d’autres gouvernements. En l’absence d’assurances d’un financement semblable du gouvernement fédéral au Nunavut, Qulliq Energy n’a pas vraiment d’autre choix à l’heure actuelle que d’utiliser ses ressources limitées pour entretenir sa capacité actuelle de production d’électricité au moyen du diesel.
Autres sources d’énergie: Qulliq Energy continue d’explorer l’énergie photovoltaïque, éolienne et marémotrice. Bien sûr, les sources d’énergie intermittentes posent de grandes difficultés en matière de contrôle, de stockage et d’intégration dans de petits réseaux. Au départ, les techniciens sont peu nombreux au Canada et il serait encore plus difficile d’en obtenir chez nous, à moins de les former nous-mêmes.
Malgré le coût en capital élevé et la petitesse de la clientèle, un investissement fédéral dans nos projets représente une possibilité extraordinaire pour le Canada, qui pourrait devenir un chef de file mondial dans l’exportation de sources d’énergie de remplacement en climat froid. Si nous pouvons exploiter et entretenir des parcs éoliens à moins 40, des centrales marémotrices dans des baies gelées, si nous pouvons stocker de l’énergie photovoltaïque en période d’ensoleillement 24 heures pour l’utiliser en période d’obscurité 24 heures, ces exploits technologiques pourraient être appliqués n’importe où ailleurs sur la planète. De plus, nous aurons non seulement mis au point la technologie, mais aussi formé une main-d’œuvre hautement qualifiée.
Dans le contexte de Qulliq Energy, c’est la demande de pointe qui dicte notre capacité installée. Chaque génératrice a besoin d’un changement d’huile à un moment donné ou est indisponible à cause d’un entretien quelconque. Or dès que nous retirons de notre réseau notre génératrice la plus puissante, les autres doivent pouvoir répondre à la demande. Pour nous, il est primordial de réduire et de niveler la demande pour éviter le remplacement coûteux des génératrices par des groupes plus puissants, et il faut aussi éliminer la consommation de diesel et fournir un service plus fiable pour répondre à une demande croissante.
Dans ce but, le conseil d’administration de Qulliq Energy a décrété que l’une de ses priorités stratégiques est l’effort de conservation d’énergie afin d’aider à réduire la demande. Nous lançons un certain nombre de projets, y compris une technique de supervision des systèmes de contrôle et d’acquisition des données et une infrastructure de compteurs automatiques. Des compteurs intelligents sont actuellement installés à Iqaluit et le seront au cours des prochains mois. Nous examinons aussi les possibilités du côté de l’éclairage DEL et des photovoltaïques, et nous travaillons avec la Station de recherche du Canada dans l’Extrême-Arctique dans le domaine de l’énergie.
Nous avons également collaboré avec le Groupe de travail de la confluence énergétique de la table ronde régionale de la baie d’Hudson, à qui l’on a confié la tâche d’essayer de prouver la viabilité de prolonger jusqu'au Nunavut le réseau de transmission du Manitoba. Ce projet coûterait également des centaines de millions de dollars. À l’heure actuelle, nous avons au sein de ce groupe des représentants des gouvernements municipaux, territoriaux et provinciaux, ainsi que des entreprises du secteur, notamment Agnico-Eagle et Areva.
L’investissement et le partenariat, c’est la clé. Nous sommes actuellement en discussion avec des sociétés de développement inuites qui ont exprimé l’intérêt de s’associer à Qulliq Energy pour la fourniture de l’infrastructure énergétique. Les possibilités les plus intéressantes sont du côté de l’aménagement hydroélectrique et de la connexion au réseau du Manitoba. Ce sont des projets structurant qui permettraient au Nunavut d’être un contributeur net à la richesse du Canada. Le Nunavut a un énorme potentiel minier; cependant, il est clair que la rentabilité des mines est liée aux coûts de production, dont l’électricité représente une portion considérable. En l’absence de sources d’électricité plus abordables au Nunavut, les promoteurs se tourneront vers d’autres possibilités qui s’offrent ailleurs et qui seraient plus rentables. Un investissement fédéral stratégique dans l’énergie du Nunavut permettrait de réduire les tarifs d’électricité et serait un véritable catalyseur du développement économique.
Monsieur le président, je tiens à vous remercier ainsi que tous les membres du comité de m’avoir donné l’occasion de témoigner devant vous et je suis prêt à répondre à vos questions.
William Mackay, sous-ministre adjoint par intérim, Affaires intergouvernementales, gouvernement du Nunavut: Monsieur le président, je n’ai pas de texte écrit, mais je voudrais dire quelques mots au sujet de la dernière page du document de M. Barriault.
Je travaille au ministère des Affaires intergouvernementales. Les relations intergouvernementales sont un élément clé de notre stratégie énergétique. Le gouvernement du Nunavut accueille favorablement ce rapport. J’ai passé en revue le compte rendu des audiences tenues par le comité et je sais que les membres du comité sont conscients que le Nunavut est unique parmi les trois territoires en ce sens que ses 26 localités sont alimentées en électricité par des groupes électrogènes diesels, et il est donc impératif que nous trouvions une source d’énergie de remplacement. Comme M. Barriault l’a fait observer, l’hydroélectricité représente une excellente occasion pour le gouvernement du Nunavut de se débarrasser du diesel, car c’est la meilleure source d’énergie renouvelable, fiable et non polluante pour le Nunavut.
Comme l’a également dit M. Barriault, ce sont des projets coûteux, mais nous estimons qu’ils se rembourseront avec le temps. À cet égard, je tiens à réitérer que, du point de vue de notre ministère, un partenariat avec le gouvernement fédéral est impératif pour doter le Nunavut d’une énergie fiable et non polluante. Je pense que nous n’insisterons jamais assez sur ce point.
Nous avons aussi des partenariats, comme M. Barriault l’a dit, avec le gouvernement du Manitoba et avec le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest. Comme je l’ai dit au début de mon exposé, le Nunavut est un cas unique et je crois que le comité, d’après les comptes rendus que j’ai lus, en est conscient.
Je n’ai pas grand-chose à ajouter. M. Barriault est bien sûr l’expert dans ce domaine, mais je suis à la disposition du comité pour répondre à toute question.
Le président: Merci beaucoup. Nous allons passer aux questions.
Le sénateur Massicotte: Merci, monsieur Barriault et monsieur Mackay, d’être venus.
Comme vous le savez, nous avons entendu bon nombre d’exposés ces derniers mois. Quel est le meilleur moyen de réduire le coût de l’énergie dans le Nord? Monsieur Barriault, vous avez d’énormes responsabilités. Vous fonctionnez essentiellement au diesel, mais vous connaissez les dossiers de l’énergie hydroélectrique, éolienne et solaire. Tout le monde parle de ce qui pourrait se faire, mais y a-t-il des données solides au sujet de l’expérience de gens qui ont investi dans ces formes d’énergie? Quelle est la solution? Quelle est la solution la plus prometteuse? M. Mackay vient d’évoquer l’hydroélectricité. Est-ce la possibilité la plus intéressante, au moindre coût, ou bien est-ce l’éolien? Est-ce le solaire? Est-ce le granulé de bois? Ou encore l’énergie géothermique?
M. Barriault: À l’heure actuelle, la possibilité la plus intéressante est vraiment l’hydro. Toutes les autres formes d’énergie de remplacement pourraient remplacer en partie notre diesel, mais ne pourraient absolument pas l’éliminer. Parmi les techniques existantes, nous n’en voyons aucune qui puisse dans l’immédiat remplacer complètement le diesel. L’hydro est très fiable. Le problème, évidemment, comme c’est le cas ailleurs, est le faible niveau d’eau à certaines périodes. Je crois que dans les Territoires du Nord-Ouest, il y a eu la semaine dernière des embâcles de glace à l’un des barrages. Cependant, cela demeure la source d’énergie la plus fiable comme remplacement du diesel.
Le sénateur Massicotte: Est-ce également la moins coûteuse des quatre ou cinq que j’ai énumérées? L’hydroélectricité pose un problème de distribution. Vous avez tout un défi sur le plan de la distribution et je suppose que ce sera très coûteux de transporter cette énergie.
M. Barriault: À l’heure actuelle, il est certain que la transmission représente un coût important. Si l’on prend l’exemple d’Iqaluit, il faudrait un certain nombre de milles de lignes de transmission seulement entre la ville et le barrage, lequel servirait seulement la ville d’Iqaluit et aucune autre région du Nunavut.
Du côté de Kivalliq, par contre, plusieurs rivières pourraient potentiellement alimenter jusqu’à trois collectivités, et peut-être plus. Évidemment, à chaque fois qu’on ajoute une localité, on ajoute une bonne longueur de lignes de transmission qu’il faut installer et entretenir.
C’est un coût important au départ. Comme M. Mackay l’a dit, ce coût va se rembourser avec le temps. C’est vraiment un investissement à long terme que nous envisageons; le coût en capital est important, mais c’est quand même ce qui est le plus prometteur.
Le sénateur Massicotte: Cela va se rembourser. Autrement dit, si quelqu’un vous disait: « Je vais vous prêter de l’argent et vous le rembourserez sur 30 ans », vous prendriez cet argent et vous construiriez des barrages?
M. Barriault: Je n’ai pas vu les calculs. Nous savons que le coût de production est très inférieur à notre coût actuel. Il faudrait évidemment tenir compte des taux d’intérêt, du coût de l’argent. Cela va se rembourser tout seul avec le temps parce que ces projets ont habituellement une durée de vie de 100 ans et plus, mais combien de temps faudra-t-il pour rembourser? Combien coûterait la construction de ces barrages hydroélectriques? Nous avons pris connaissance d’évaluations de coûts faites par des compagnies canadiennes, mais nous avons vu également des coûts bien plus intéressants provenant de l’Islande et du Danemark, par exemple. Nous devons approfondir l’étude de diverses techniques d’aménagement hydroélectrique ayant un meilleur ratio coût-efficacité, ce qui réduira d’autant la période de remboursement.
Le sénateur Black: Je vous remercie d’être venus. Tout cela est évidemment très intéressant, mais compliqué.
Je vais m’attarder à l’hydroélectricité. Il faut prendre acte de la situation actuelle; nous savons qu’elle n’est pas idéale. Je veux essayer de comprendre si l’hydroélectricité représente vraiment une possibilité réaliste. J’ai deux questions précises.
Aux fins de la discussion, mettons l’argent de côté. Est-il réaliste d’envisager la possibilité d’obtenir de l’hydroélectricité du nord du Québec, du Labrador ou de l’Islande? Au lieu de faire vos propres barrages, pouvez-vous l’acheter de quelqu’un d’autre?
M. Barriault: C’est une question que je me suis posée moi-même. Je suis président-directeur général de Qulliq Energy depuis le 14 octobre. C’est une question que nous examinons. Je sais qu’il y a plusieurs décennies, les militaires ont tenté d’établir des liaisons. Évidemment, dans le cas des câbles sous-marins, le problème de l’affouillement causé par les glaces se pose toujours. Des propositions sont actuellement à l’étude et progressent probablement, visant à installer des câbles sous-marins pour la fourniture de services Internet, alors pourquoi ne pas ajouter une rallonge électrique, essentiellement, depuis Muskrat Falls?
Le sénateur Black: Si nous pouvons atterrir sur une comète, nous devrions être capables d’installer des câbles sous-marins, n’est-ce pas?
M. Barriault: Je suis d’accord.
Le sénateur Black: Soyons maintenant un peu plus précis. Si c’était une possibilité, quel est le point le plus près? La meilleure source serait-elle le Labrador, le nord du Québec, l’Islande ou le Groenland? Qu’est-ce qui serait le mieux?
M. Barriault: Encore une fois, cela dépend des localités qu’on veut servir.
Le sénateur Black: Je veux servir le Nunavut.
M. Barriault: Le Nunavut au complet?
Le sénateur Black: Oui.
M. Barriault: Cela nécessiterait de très longues lignes de transmission d’une localité à l’autre, entraînant des coûts énormes pour l’installation et l’entretien.
Le sénateur Black: Disons que nous voulons seulement alimenter la capitale. Mettons de côté les autres régions pour l’instant. D’où importeriez-vous l’électricité?
M. Barriault: D’où je l’importerais? Une possibilité actuellement, avec l’avancement de la mine Chidliak de Peregrine Diamonds, c’est de traverser la péninsule depuis Iqaluit vers le détroit de Northumberland et de traverser ensuite jusqu’au Groenland. Cela pourrait être une option. À part cela, il y aurait la baie de Frobisher, le détroit d’Hudson, jusqu’à la baie d’Ungava pour se rendre à Kuujjuaq. Il faudrait examiner cela de plus près.
Le sénateur Black: Je reconnais que c’est la distance la plus courte à vol d’oiseau. Nous devrions donc l’envisager. Est-ce que vous nous encourageriez à examiner cette possibilité, ou bien est-ce seulement un rêve?
M. Barriault: Non, je pense qu’il vaut la peine de l’examiner. Il y a beaucoup d’électricité à faible coût disponible d’Hydro Québec et maintenant de Nalcor. Ces options sont sur la table.
Le sénateur Black: Dans la mesure où vous pouvez le divulguer, vous n’avez pas de discussion en ce moment? C’est seulement à l’étape de la réflexion?
M. Barriault: Nous sommes seulement en réflexion pour l'instant, mais j’en ai parlé à certains de mes homologues d’autres régions.
Le sénateur Black: Voici ma dernière question. Je veux revenir sur une question posée par mon ami et collègue le sénateur Massicotte. Supposons que ce soit possible. Le coût associé à un tel projet est évidemment considérable. Supposons que le gouvernement du Canada décide d’appuyer cette initiative. Croyez-vous que, en une certaine période, le prêt du gouvernement du Canada pourrait être remboursé, ou que l’on pourrait tout au moins payer l’intérêt? Y a-t-il quelque possibilité que le gouvernement du Canada puisse être remboursé?
M. Barriault: Il faudrait que j’en discute avec mes collègues des Finances avant de pouvoir bien répondre à cette question. Je sais que pour le Nunavut, l’endettement pose des difficultés, comme les sénateurs le savent. Le plafond de la dette du Nunavut a été porté de 200 millions de dollars à 400 millions de dollars il y a à peine quelques années. N’importe quel projet d’envergure, par exemple la construction d’un aéroport, absorbe une bonne part de cette somme et laisse très peu de place pour d’autres projets. Il faudrait avoir une bonne discussion avec le Conseil du Trésor au sujet du plafond de la dette et des contraintes.
Le sénateur Black: Cette précision est utile. Merci.
La sénatrice Seidman: Je voudrais poursuivre la discussion que vous avez eue avec le sénateur Black. Vous avez évoqué l’Islande et le Danemark dans votre exposé et je songe aussi à la Finlande, au Groenland et à d’autres pays de l’Arctique. Il me semble, comme le sénateur Black l’a dit, que si l’on est capable d’atterrir sur une comète à notre époque, nous devrions trouver le moyen d’avoir dans le Grand Nord une énergie fiable et durable. Y a-t-il des modèles internationaux? Les autres pays en question réussissent-ils à résoudre ces problèmes? Il y a peut-être des différences sur le plan de l’éparpillement ou de la densité de la population. Globalement, ces autres pays arctiques offrent-ils des modèles dont nous pourrions nous inspirer pour l’énergie durable, et communiquons-nous avec ces pays dans le cadre du Conseil de l’Arctique? Je vois ici que nous sommes en discussion avec la SRCEA et avec différents paliers de gouvernement au Nunavut, mais il nous faudrait certainement dépasser ce cadre. Est-ce que chacun est replié sur soi-même? Personne ne se parle?
M. Barriault: Je sais que dans le passé, des représentants de Qulliq Energy sont allés dans d’autres pays nordiques pour étudier leurs systèmes énergétiques. Je suis désolé, mais je ne suis pas au courant de tout ce que Qulliq Energy a fait dans le passé, mais je sais que nous avons des contacts avec d’autres pays et, pour le moment du moins, des partenariats informels. Nous allons poursuivre ces discussions. Nous tenons à tirer les leçons de l’expérience des autres et si d’autres ont trouvé des moyens de résoudre les problèmes qui se posent à nous, alors il est évidemment dans notre intérêt de le savoir.
La sénatrice Seidman: J’aimerais bien entendre ce que M. Mackay a à dire là-dessus.
M. Mackay: Pour ajouter à ce que M. Barriault a dit, le Canada est membre du Conseil de l’Arctique et le Nunavut participe très activement à la délégation canadienne. Le Conseil de l’Arctique — l’une des priorités sous la présidence actuelle, et j’espère que ça continuera sous la présidence américaine, est le groupe de travail sur le carbone noir. Ce groupe a pour but de réduire les émissions de méthane et de carbone noir dans l’Arctique. C’est un problème. L’énergie sale, pour ainsi dire, est un problème partout dans l’Arctique. Il y a des communautés isolées partout dans le monde circumpolaire, pas seulement au Nunavut ou au Canada. Il y a beaucoup de coopération sur le plan du partage de l’information et des meilleures pratiques. C’est donc un bon cadre dans lequel le Nunavut peut apprendre comment réduire notre dépendance au diesel et nous en avons tiré profit. Je voulais seulement ajouter cette observation puisque vous avez mentionné le Conseil de l’Arctique.
La sénatrice Seidman: Merci pour cette observation.
QEC a installé du matériel de mesure du vent. L’hydro est bien sûr la source la plus fiable et je ne le sais que trop bien puisque je suis moi-même Québécoise. Le Québec a pris beaucoup de décisions fort intelligentes il y a bon nombre d’années et nous avons aujourd’hui la chance de récolter les fruits de ces décisions. Mais ces décisions n’ont pas été faciles à prendre. Il a fallu énormément de courage pour les prendre et investir les sommes énormes que nécessitaient des projets aussi futuristes.
Il ne faudrait pas s’imaginer, aujourd’hui que nous en récoltons les fruits, que la tâche a été facile à l’époque. Elle ne l’était pas. Ce que je dis, c’est qu’il n’est pas facile d’avoir l’inspiration et le courage nécessaire pour faire preuve de créativité, d’inventivité et d’esprit futuriste. C’est vraiment important et nous en partageons tous les bénéfices dans l’avenir.
Je voudrais me tourner vers l’éolien comme source d’énergie durable. On ne peut assurément pas compter sur cette source de la même manière qu’on peut compter sur l’hydroélectricité. Mais je sais que QEC a installé du matériel de mesure du vent à Cape Dorset et je veux savoir si vous avez des résultats préliminaires quant à la faisabilité d’une centrale mixte comptant à la fois sur le vent, l’hydrogène et le diesel.
M. Barriault: Des données ont été recueillies à Cape Dorset et, au fil des années, le Nunavut et Qulliq Energy se sont intéressés à plusieurs autres projets d’éoliennes.
Nous sommes très conscients que l’éolien offre beaucoup de potentiel, mais la plus grande difficulté, comme vous l’avez signalé, est le stockage. On peut donc envisager le stockage sous forme d’hydrogène, mais à ma connaissance, nous n’avons pas fait d’études de faisabilité là-dessus. Les données qui ont été recueillies n’ont pas encore été analysées à ce niveau de détail.
Qulliq Energy a été membre dans le passé et demeure membre de la North Atlantic Hydrogen Association, la NAHA. Cette association s’intéresse principalement à la production d’électricité, que ce soit par l’éolien ou le solaire, et ensuite à la conversion de l’électricité en hydrogène pour le stockage de l’énergie.
Encore une fois, il faut examiner toutes les étapes nécessaires pour la production et le stockage de l’hydrogène, mais aussi pour la production d’énergie à partir de l’hydrogène et les exigences en matière d’infrastructure. Il reste donc beaucoup de travail à faire de ce côté.
Tout ce que nous savons de façon certaine, c’est que nous avons tout le vent qu’il nous faut.
La sénatrice Seidman: C’est donc prometteur, pourvu qu’on puisse résoudre les problèmes de stockage. Y a-t-il des difficultés en matière de financement? Envisagez-vous des solutions de financement pour aider à absorber les coûts initiaux en immobilisations?
M. Barriault: Eh bien, beaucoup de projets énergétiques de remplacement de grande envergure nécessitent un investissement initial considérable. Je sais que la compagnie minière Diavik a installé des génératrices et compte récupérer sa mise en une période d’environ huit ans, sauf erreur.
Quelle quantité de diesel a été remplacée? Je ne connais pas les chiffres exacts. Encore une fois, si l’on envisage d’éliminer le diesel plutôt que de le remplacer, on peut dire qu’ils obtiennent de l’électricité quand le vent souffle, mais peut-être qu’ils n’en ont pas quand il n’y a pas de vent. Tout cela fait partie de la problématique que nous devons étudier. Si nous devons consentir un investissement initial considérable pour poursuivre l’étude de ces sources d’énergie, cela diminue d’autant nos ressources limitées dont nous avons besoin pour remplacer le matériel qui atteint la fin de sa vie utile.
La sénatrice Ringuette: Tout cela est très intéressant. Ai-je bien compris que dans tous les territoires du Nord, il n’y a pas un seul groupe de travail qui examine la question des besoins en énergie, que ce sont des groupes différents qui travaillent chacun isolément?
M. Barriault: Eh bien, je crois que les territoires sont tous représentés au Conseil de l’Arctique, qui est d’envergure circumpolaire. J’ai communiqué avec mes homologues du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. Nous comptons nous rencontrer l’année prochaine pour discuter de ces problèmes et défis communs. Nous reconnaissons par ailleurs que nos situations respectives sont très différentes, mais que nous avons aussi des problèmes semblables.
M. Mackay: J’ajoute à cela que, comme M. Barriault l’a dit, le Conseil de l’Arctique est un forum important, mais que nous sommes également membres du Conseil de la Fédération, qui est en train d’élaborer une stratégie énergétique, et le Nunavut y participe de près. L’un des problèmes sur lesquels se penchera cette stratégie énergétique est celui des communautés hors réseau qui dépendent du diesel. Cette difficulté n’existe pas seulement au Nunavut, mais aussi au Manitoba et dans les deux autres territoires. C’est donc un problème commun, bien qu’il soit probablement le plus grave au Nunavut, mais nous travaillons avec d’autres provinces et territoires pour essayer d’y remédier.
Récemment, les trois premiers ministres se sont rencontrés et ont publié un communiqué dans lequel ils disent s’engager à travailler ensemble pour tenter de s’attaquer à leurs problèmes énergétiques communs.
Je voulais seulement ajouter cela à la liste des forums intergouvernementaux avec lesquels nous travaillons. L’énergie est toujours une question clé dans ces pourparlers intergouvernementaux.
M. Barriault serait peut-être même prêt à dire cela, mais nous avons bel et bien conclu un protocole d’entente avec le Manitoba. Un comité directeur se réunit deux fois par année et l’énergie est l’un des principaux sujets de discussion. Il y a donc une coopération assez poussée.
La sénatrice Ringuette: Monsieur Barriault, vous voulez ajouter quelque chose?
M. Barriault: Outre ce protocole d’entente Nunavut-Manitoba, autour duquel tournent en partie les discussions au sein de la Table ronde de la baie d’Hudson, Qulliq Energy est également membre de l'Association canadienne des services publics hors réseau. Le défi des services publics hors réseau n’existe pas seulement dans le Nord et nous travaillons avec tous les autres gouvernements canadiens qui ont des réseaux isolés semblables. Nous partageons les meilleures pratiques.
La sénatrice Ringuette: Construire une centrale hydroélectrique quand il y a de l’incertitude relativement au niveau d’eau me semble quelque peu hasardeux. Nous avons un programme fédéral pour les partenariats publics-privés qui pourrait être utile. Diriez-vous que pour obtenir des données et des analyses plus solides pour l’ensemble des territoires du Nord, il serait utile ou même nécessaire de demander à un cabinet de consultants d’analyser toutes les options afin d’établir la combinaison optimale pour la région? Cela pourrait comprendre la géothermie pour le chauffage résidentiel et commercial, étant donné les difficultés auxquelles vous êtes confrontés à cause de la durée de vie de votre système actuel.
De mon point de vue, le temps devient un facteur contraignant dans cette situation et il faut analyser toutes les options pour prendre une décision. Quand la décision aura été prise, il faudra procéder à la construction, ce qui prendra peut-être cinq ans.
Je comprends que des mesures sont prises, mais peut-être qu’il faut agir de manière plus globale et draconienne pour respecter une échéance imposée par le système existant.
M. Barriault: Nous avons déjà pas mal de données. Nous mesurons le débit de certains sites potentiels autour d’Iqaluit depuis au moins cinq à huit ans. Nous sommes assez confiants de compter sur un flux suffisant pour l’aménagement hydroélectrique.
Parfois, du haut des airs, on peut voir un lac qui semble relativement petit et qui alimente une rivière. C’est un peu trompeur parce que le bassin hydrographique peut être immense. Nous avons chaque année une certaine quantité de neige et un ruissellement printanier et nous avons donc une source relativement fiable, d’après les données que nous avons compilées.
Pour ce qui est d’analyser les diverses options, de nouvelles données arrivent constamment. Nous avons eu par exemple des propositions émanant du Manitoba et visant à transporter du gaz naturel liquéfié par train jusqu’au port de Churchill et l’expédier ensuite par bateau vers les diverses localités de Kivalliq. Bien sûr, il nous faudrait l’infrastructure et la capacité de stockage nécessaires.
La sénatrice Ringuette: Nous étudions l’ensemble de la région septentrionale. Assurément, il faut analyser toutes les options à partir des données que vous avez. Il n’y a aucun doute là-dessus. Cependant, il semble y avoir des contraintes de temps. Pour respecter cet échéancier imposé par votre demande d’énergie actuelle et future, il faut s’attaquer au problème de façon globale. Peut-être le gouvernement fédéral devrait-il embaucher un consultant pour analyser toutes les exigences et étudier toutes les options afin d’établir quelles sont les possibilités et les coûts pour l’ensemble de la région, en vue de prendre une décision et d’aller de l’avant.
Pour le financement disponible, le nouveau projet au Labrador bénéficie d’une garantie de prêt du gouvernement fédéral. Le gouvernement n’avance pas le prêt, mais il le garantit, ce qui permet d’obtenir un taux d’intérêt plus bas. Il y a de nombreuses possibilités, mais à cause de la contrainte de temps imposée par votre système actuel, il est urgent qu’un organisme supérieur intervienne et lance le mouvement. C’est mon opinion.
M. Barriault: Il serait utile d’avoir une démarche de grande envergure en vue d’étudier toutes ces diverses possibilités que nous avons entendues aujourd’hui, par exemple de fournir de l’électricité en provenance du Groenland et de la baie d’Ungava. Il y a certaines options que nous n’avons pas analysées à fond et dont nous n’avons pas établi le coût. Si cela pouvait être fait dans le cadre d’une approche énergétique stratégique à l’échelle nationale ou de l’ensemble du Nord, ce serait très intéressant et utile pour répondre aux besoins du Nunavut.
Le sénateur Patterson: Je remercie les témoins et je suis heureux que notre comité se penche sur ces problèmes, qui sont très aigus au Nunavut — je veux parler des difficultés énergétiques. Je voudrais vous entretenir d’hydroélectricité. Je vais décrire la problématique telle que je la vois et vous me reprendrez si je me trompe.
Iqaluit a été ciblé comme étant prioritaire pour l’hydroélectricité. La ville consomme le tiers du diesel utilisé au Nunavut et compte le quart de la population. Vous avez évoqué ce potentiel et le besoin d’une aide fédérale. Cependant, au cours des deux dernières années, des sommes considérables ont été investies dans deux nouveaux groupes électrogènes et un immeuble pour les abriter. J’aimerais savoir combien a été dépensé, quel était le budget initial et combien cela a fini par coûter. Je sais que c'était avant votre arrivée, monsieur Barriault, mais il serait utile que le comité le sache pour comprendre combien d’argent on a dépensé pour poursuivre la filière diesel à Iqaluit.
M. Barriault: Le problème que pose la production d’électricité au diesel à Iqaluit, c’est l’infrastructure vieillissante. Depuis que Iqaluit a été choisie comme capitale du nouveau territoire, la population a augmenté en flèche, de même que la demande d’énergie. Cette demande et la répartition de la croissance dans la ville ont créé d’énormes défis pour ce qui est de maintenir la capacité et d’entretenir le réseau de distribution. Pour essayer de maintenir un voltage constant, Qulliq Energy a dû remplacer complètement le réseau de distribution à l’intérieur de la ville, ce qui a coûté très cher. Nous avions de vieux moteurs Caterpillar en bout de course et la décision a été prise il y a des années d’installer deux nouveaux groupes électrogènes Wärtsilä de 5 mégawatts. Le coût total du projet, si je me rappelle bien, était de l’ordre de 25 millions de dollars, mais il me faudrait vérifier ce chiffre.
Le sénateur Patterson: Je vous en serais reconnaissant.
M. Barriault: Je peux fournir ce renseignement au comité. Chose certaine, il y avait des difficultés du côté du mode d'approvisionnement.
De plus, quand on apporte des améliorations à une vieille installation, c’est comme rénover une maison: quand on défonce un mur, on a parfois des surprises — un problème imprévu. Il y a des choses qu’on aurait probablement dû prévoir, mais d’autres sont difficiles à prévoir. Quand on installe un nouveau moteur et qu’on essaie de le brancher sur de vieux interrupteurs et transformateurs, il faut faire des modifications au fur et à mesure.
Dans quelle mesure cela a ajouté au coût, je ne peux pas vraiment vous le dire pour l’instant, mais ce sont des problèmes typiques qui surgissent toujours en cas d’amélioration. Dès qu’on remplace un groupe électrogène n’importe où, il faut examiner toutes les autres composantes de l’installation pour s’assurer que tout sera compatible. Cela augmente les coûts considérablement. Peu importe qu’on aille de l’avant ou non avec le projet hydroélectrique, c’était une amélioration à l’infrastructure qui ne pouvait tout simplement pas attendre.
Le sénateur Patterson: La société a examiné une option hydroélectrique pour Iqaluit et a identifié un site. Une étude environnementale préliminaire a été entreprise et des préoccupations notables ont été exprimées par le public au sujet de la proximité du site choisi par rapport à un parc territorial, au corridor de transport, à Kimmirut et à un secteur de pêche. Si je comprends bien, les études de faisabilité entreprises ont été stoppées. On n’a pas engagé d’autres fonds pour compléter ces études, comme vous l’avez signalé dans votre exposé. Que je sache, le gouvernement fédéral n’a pas été pressenti officiellement pour ce qui est de compléter les études de faisabilité ou de rehausser le plafond d’endettement pour financer un tel projet.
Je sais que vous devez affronter des crises. Vous avez évoqué celle de Cambridge Bay la semaine dernière. Garder les lumières allumées, c’est indéniablement un élément important de votre travail. Vous avez peut-être du mal à dormir parfois la nuit, mais en tout cas, il est certain que c’est tout un défi.
Compte tenu de ces contretemps, quelle priorité le gouvernement du Nunavut et la Qulliq Energy Corporation accordent-ils à l’hydroélectricité? L’étude de faisabilité a été arrêtée. Il y a eu un tollé public au sujet du site choisi et aucune approche officielle n’a été faite auprès du gouvernement fédéral pour relancer le dossier. Où en est-on?
M. Barriault: En ce moment, nous savons qu’il nous faudra des centaines de millions de dollars pour aller de l’avant. Nous pourrions dépenser plus d’argent pour déterminer exactement combien de centaines de millions, mais à un moment donné, nous devons établir d’où viendront ces centaines de millions.
Notre prochaine étape, pour faire avancer le dossier de l’hydro à Iqaluit, c’est un engagement de quelque 6 millions de dollars pour poursuivre les études et passer à l’étape de la faisabilité. Notre ministre actuel, dans ses discussions avec votre comité dans le cadre de la tournée, a dit très clairement, sauf erreur, qu’il faut cibler des ressources limitées pour garder les lumières allumées, comme vous dites, et maintenir notre capacité de production actuelle, au lieu d’investir dans l’hydro, tant que l’on n’aura pas déterminé une manière faisable d’aller de l’avant.
Avant de discuter du plafond de la dette, il faudra que le gouvernement du Nunavut discute à l’interne de la manière dont une telle dette pourrait être remboursée. Qu’on ait accès ou pas à un emprunt, il reste qu’il faudra le rembourser à un moment donné. Des partenariats et des investissements sont des options possibles. Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous avons eu des discussions avec des promoteurs. Dans deux semaines, les représentants de la Qikiqtarjuaq Development Corporation nous feront une présentation.
Nous continuons d’explorer diverses possibilités. C’est un projet que nous aimerions beaucoup voir aller de l’avant. Il offre un énorme potentiel pour ce qui est de réduire nos tarifs d’électricité et de nous donner une source d’électricité fiable à long terme.
L’infrastructure diesel doit être remplacée régulièrement. Notre société fait du très bon travail pour ce qui est de garder les lumières allumées et de continuer à faire tourner ces vieux moteurs en les remplaçant au besoin, nous savons comment faire cela, mais nous sommes également conscients que cela revient à jeter de l’argent dans un puits sans fonds, parce que ces groupes électrogènes s’usent et les centrales également. Une infrastructure plus durable, comme un aménagement hydroélectrique, offre des coûts d’entretien beaucoup plus bas et bien sûr, le faible coût de production de l’électricité rend tout plus abordable.
Le président: Je dois intervenir. Il reste trois personnes sur la liste et je vous demanderais donc d’être concis dans vos questions et réponses, parce que nous allons manquer de temps.
[Français]
Le sénateur Boisvenu: Monsieur Barriault, monsieur Mackay, bonjour. J'aimerais connaître votre opinion sur la possibilité de développer des minicentrales nucléaires dans le Nord. La documentation nous indique que c'est une technologie qui se développe rapidement. Je pense, entre autres, à Toshiba et à EDF en France. Il y a beaucoup de recherche qui se fait, et on dit que la technologie serait maintenant utilisable.
Ces infrastructures demandent peu en termes de lignes de conduite, comparativement à une centrale hydroélectrique, autant en ce qui concerne les frais de distribution que les frais d'exploitation. Avez-vous fait des études en ce sens? Serait-ce une possibilité intéressante pour certains villages plus populeux? Le développement énergétique ou la disponibilité d’énergie et le développement économique vont de pair. C'est comme l'œuf et la poule. S’il n’y a pas de disponibilité énergétique, le développement ne suit pas; s’il y a du développement, sans énergie, cela ne fonctionne pas. L'énergie nucléaire ne serait-elle pas une bonne source de revenus rapide à développer?
M. Barriault: On commence seulement à faire des enquêtes dans le domaine nucléaire. D'après ce qu'on m'a dit, les permis sont plus coûteux au Canada comparativement à d'autres pays. La technologie avance rapidement. Le micronucléaire et les technologies sont disponibles sur le marché. On continue à faire des études à ce sujet. Il y a du potentiel. Les réacteurs sont très petits, mais il faut les enterrer profondément dans la terre.
Le sénateur Boisvenu: Il faut les mettre sous terre.
M. Barriault: Il faut les mettre à 150 pieds sous terre et, avec le pergélisol, c'est un grand défi. D'après notre conseil d'administration, nous allons continuer à étudier toute forme d'énergie, y compris le nucléaire.
Le sénateur Boisvenu: Vous dites que ce sont les permis qui sont coûteux à obtenir pour opérer le nucléaire?
M. Barriault: Oui. Selon les renseignements, il s’agit de plus d'une vingtaine de millions de dollars par année pour chaque site nucléaire. Je pourrai vérifier pour obtenir le chiffre exact à la fin de la séance.
Le sénateur Boisvenu: Ces permis sont-ils délivrés par le gouvernement fédéral?
M. Barriault: Oui.
Le sénateur Boisvenu: Ne pourrait-il pas y avoir un partenariat entre le gouvernement fédéral et les communautés afin de s’entendre sur une politique particulière concernant la tarification?
M. Barriault: Ce serait possible. Il y a aussi des exigences auxquelles nous devons nous conformer du point de vue technique. Par exemple, si le développement se fait sur un site isolé, cela peut représenter des défis pour nous également.
[Traduction]
Le sénateur Wallace: Monsieur Barriault, les tarifs d’électricité payés par les clients commerciaux, industriels et résidentiels au Nunavut sont-ils subventionnés par le gouvernement du Nunavut?
M. Barriault: Oui.
Le sénateur Wallace: Dans quelle proportion? Quel pourcentage du tarif total est subventionné?
M. Barriault: Les subventions pour les tarifs résidentiels, par exemple, sont fondées sur les tarifs à Iqaluit. En réalité, Qulliq Energy fournit de l’électricité à un coût inférieur au coût de production réel. Le montant exact...
Le sénateur Wallace: Je n’ai pas besoin du montant exact. En pourcentage, le coût payé par le client est-il subventionné à 50 p. 100, par rapport au coût s’il n’y avait aucune subvention? J’aimerais un pourcentage, pour avoir une idée.
M. Barriault: Dans certaines localités, c’est beaucoup plus élevé que 50 p. 100. Je répète que c’est fondé sur une comparaison d’une localité à l’autre quant aux coûts de production. L’intention est d’essayer d’égaliser dans une certaine mesure le coût de l’énergie.
Le sénateur Wallace: Il est juste de dire que le degré de subvention par le gouvernement du Nunavut est considérable et que cela avantage évidemment les clients.
M. Barriault: C’est bien cela.
Le sénateur Wallace: Votre société a-t-elle élaboré un quelconque modèle financier montrant que le remplacement du diesel par l’hydroélectricité dans une proportion importante réduirait la proportion de subventions nécessaires, ou bien cela la ferait-il augmenter au contraire à cause du coût accru des centrales hydroélectriques?
M. Barriault: Si l’on enlève de l’équation le coût d’immobilisations, on envisage un coût de production de l’ordre de 13 ¢ le kilowattheure, en comparaison d’une fourchette se situant entre 50 ¢ et plus d’un dollar, et il y aurait donc certainement des économies du côté de la production. Mais s’il faut assumer le financement de la dette attribuable au coût de la structure, il pourrait très bien en résulter une augmentation des tarifs, tout dépendant de l’équation.
Le sénateur Wallace: Bien. Donc si le coût de l’immobilisation nécessaire pour se convertir à l’hydroélectricité pouvait être entièrement éliminé et payé par quelqu’un d’autre, ce serait rentable.
M. Barriault: Absolument.
Le sénateur Wallace: Si le coût d’immobilisations n’est pas assumé par quelqu’un d’autre, ce ne serait peut-être pas le cas; peut-on dire cela?
M. Barriault: Chose certaine, il y aurait un point à partir duquel ce serait rentable.
Le sénateur Sibbeston: Le Nunavut a une capacité d’emprunt limitée et vous vous tournez manifestement vers le gouvernement fédéral pour qu’il fournisse l’investissement nécessaire pour un aménagement considérable, en plus de ce qui existe à l’heure actuelle. Avez-vous des raisons quelconques de croire que le gouvernement fédéral, au cours des quelques prochaines années, pourrait vous donner une réponse positive et fournir le financement? Je sais que le Nord obtient de plus en plus l’attention des gens du Sud. Vous avez actuellement au gouvernement fédéral un ministre de l’Environnement qui est idéalement placé pour vous aider. Le premier ministre se rend dans le Nord une fois par année, durant l’été, on envisage d’y implanter des bases des forces armées et, de façon générale, le Nord se réchauffe et le passage du Nord-Ouest prend une plus grande importance. Qu’est-ce qui inciterait le gouvernement fédéral, dans la conjoncture actuelle, à réagir favorablement et à fournir le financement?
M. Barriault: Comme l’ont, je crois, souligné plusieurs membres du comité ce matin, tout comme moi dans mon exposé, l’énergie à prix abordable est un catalyseur du développement économique. Il y a beaucoup d’occasions non réalisées qui attendent simplement que les analyses de rentabilité soient favorables.
Si l’on prend le Kivalliq comme exemple, et que ce soit grâce à une ligne de transport ou au développement hydroélectrique, une énergie plus abordable permettra de favoriser la mise en valeur d’une grande partie des gisements minéraux identifiés existants. Agnico-Eagle a déjà déclaré que les prévisions de durée d’exploitation de ses mines du projet Medialine pourraient facilement être doublées si les prix de l’énergie devenaient plus abordables. Supposons que 20 p. 100 des coûts d’exploitation de cette entreprise passent dans les groupes électrogènes au diesel, eh bien, si une grande partie de ces coûts pouvaient être supprimés, alors la viabilité serait meilleure et la durée d’exploitation des projets serait allongée d’autant, ce qui injecterait plus de dollars dans l’économie. Soudain, le Nunavut ne serait plus simplement bénéficiaire des transferts de fonds et, idéalement, le territoire pourrait finir par contribuer à la richesse nette du Canada. C’est vraiment la principale motivation derrière tout cela.
Le sénateur Patterson: Parlons brièvement de subventions. Votre rapport annuel donne des informations concernant le Territorial Power Support Program et le Public Housing Power Support Program. La clientèle commerciale reçoit-elle également des subventions, et si oui pouvez-vous fournir des données au comité?
M. Barriault: Oui, nous pouvons fournir ces informations au comité.
Le sénateur Massicote: Monsieur Barriault, je voudrais faire une remarque. Je ne suis pas le gouvernement et je ne peux pas parler en son nom. Force est de constater que cela fait 20 ou 30 ans que les prix de l’énergie sont élevés, et pourtant personne n’est certain de ce qu’il faut faire. Si vous voulez réussir auprès du gouvernement fédéral, et je crois que c’est ce que vous souhaitez, je vous conseille vivement de réunir des résultats de recherches. Je pense que vous avez les données brutes. Vous dites: « Voici le projet, voici ce qui va fonctionner et voilà ce dont nous avons besoin. » Soyez très précis, présentez des données concrètes. Nous en sommes encore à spéculer, à nous demander si ça va marcher ou pas, si nous allons rentrer dans nos frais ou pas. Comme vous le savez très bien, il n’est pas facile de répondre à ces questions. Je vous encourage vivement. Vous êtes nouveau à ce poste, mais si vous avez des données concrètes et un bon dossier et que vous dites: « Voici la meilleure source d’énergie et voici ce qui est le mieux pour l’intérêt de ma population, » je crois que vous améliorerez vos chances d’être soutenu par le gouvernement fédéral.
M. Barriault: Merci. Je sais que des propositions ont été faites, que le gouvernement fédéral a été contacté par le gouvernement du Nunavut dans le cadre de ses priorités globales au titre du financement des projets. Ces soumissions doivent évidemment être complètes et elles doivent efficacement étayer l’analyse de rentabilité, nous le reconnaissons volontiers. Je suis conscient qu’aujourd’hui, nous mettons l’accent sur quelques-uns des problèmes et des défis qui se présentent. Il est certain que tout ce que nous pourrons proposer aura fait l’objet de recherches méticuleuses et de démonstrations claires, car c’est notre façon habituelle de procéder.
Le président: J’ai deux petites questions pour enchaîner sur ce qu’a dit le sénateur Massicote et je vous remercie d’avance de me répondre, puisque vous êtes nouveau dans ce poste.
Quand on regarde de près les durées d’exploitation prévues pour les unités de production d’électricité au Nunavut que fournit votre entreprise, il reste 40 ans de production prévue pour Iqaluit. Je suppose que cela correspond aux deux nouvelles unités de production qui viennent d’être mises en service. Pour 14 collectivités, les durées de vie utiles sont de zéro. Ne trouvez-vous pas cela un peu alarmant qu’il y en ait 14 dans cette catégorie, ou bien peut-être que quelque chose m’a échappé dans ce graphique? S’il y a effectivement 14 collectivités — je crois bien que c’est 14 — où la durée de production prévue est de zéro, a-t-on réalisé des études pour évaluer ce que cela coûterait de continuer avec du diesel ou autre chose? Pas juste quelque chose qui pourrait marcher, mais quelque chose qui marchera à coup sûr? Avez-vous fourni une étude de ce genre au gouvernement fédéral pour qu’il y ait une feuille de route indiquant la manière dont vous allez concrètement continuer d’alimenter ces collectivités en électricité? Peut-être qu’une durée de production prévue égale à zéro n’est pas bien grave. Je ne sais pas trop.
M. Barriault: Il est très préoccupant que la durée de production prévue soit de zéro, mais cela veut aussi dire que nous dépensons nos capitaux pour remplacer des composantes, pour faire des mises à niveau et pour essayer le plus possible d’étirer cette durée de production par tranches de 5 ou 10 ans. Certains bâtiments sont construits sur du pergélisol instable ce qui pose des problèmes structurels. Nous essayons de maintenir les générateurs en marche et de protéger au mieux l’intégrité structurelle des unités, mais il existe des situations critiques dans lesquelles la seule solution consiste à remplacer intégralement les installations. Au bout d’un moment, il faut les remplacer. Nous poursuivrons nos efforts pour les maintenir en état de fonctionnement, car nous n’avons pas le choix. C’est aussi simple que cela.
Étant donné les distances très importantes qui séparent les collectivités, ce n’est pas d’une solution dont nous aurions besoin pour nous passer du diesel, mais de 25. Quelques collectivités peuvent être reliées les unes aux autres, mais en règle générale, nous sommes confrontés à une série de cas particuliers et isolés. C’est vraiment le défi posé par les zones hors réseau, cela existe ailleurs aussi, mais il faut y ajouter les immenses défis géographiques auxquels nous sommes confrontés ici.
Quelle est la solution pour se passer du diesel? Dans bien des cas, il n’y a pas de solution évidente. Dans le cas d’Iqaluit, je pense qu’il y en a une, pour Kivalliq je pense qu’il y en a une et nous avons peut-être d’autres solutions dans les cartons. J’ai lu récemment dans le journal que Hydro-Québec semble avoir décidé de continuer à entretenir ses installations au diesel dans la région de Nunavik pendant quelque temps encore, jusqu’à ce qu’on ait trouvé le moyen de s’en passer d’une manière rentable.
Le diesel peut être fiable, mais il a une durée d’exploitation limitée, il pollue et coûte cher. Dans une localité isolée, hors réseau, où l’on veut ouvrir une mine ou lancer une autre activité, la solution simple et rapide consiste à installer un générateur diesel sur place. C’est un moyen fiable de produire de l’électricité, mais il a ses limites et ses problèmes.
Le président: Je suis bien conscient de tout cela. Quand des gens parlent de relier toutes ces collectivités par des lignes de transport d’énergie, je pense au pergélisol, au bouclier et aux conditions météo avec lesquelles il faut composer, ce qui n’est pas le cas ailleurs au Canada. Il faut ensuite pouvoir assurer la maintenance de ces lignes, en cas de problème. J’en sais assez sur l’électricité pour savoir cela.
Je reviens à la question des 14 collectivités. Avez-vous présenté un projet au gouvernement du Nunavut et celui-ci a-t-il demandé de l’argent au gouvernement fédéral ou à d’autres pour remplacer ces installations? Est-ce prévu? Pouvez-vous nous renseigner à cet égard?
M. Barriault: Nous pouvons nous engager à transmettre au comité ce qui a été soumis en matière de projets énergétiques. Je ne sais pas si mon collègue peut parler de ce qui, à sa connaissance, a été soumis au gouvernement fédéral par le passé.
Je sais que le gouvernement du Nunavut soumet généralement ses priorités une fois par an, par le biais du ministère des Finances, pour que celles-ci soient incluses dans le budget fédéral. Comme l’énergie est l’une des principales priorités de ce gouvernement depuis un certain nombre d’années, des présentations ont été faites et des projets ont été entrepris.
Le président: C’est ce que je pense. Ce que je cherche, ce que j’aimerais voir, c’est le plan d’ensemble d’approvisionnement en électricité. J’ai souvent dit à mes collègues, qu’en fin de compte, le diesel serait peut-être la seule solution pour bon nombre de ces endroits. Il existe peut-être d’autres possibilités, mais ce que j’ai entendu pour l’instant c’est surtout: « Si vous me donnez plus d’argent, je vais essayer de voir si ça marche. » Ce n’est peut-être pas la meilleure voie à suivre.
À vous entendre, vous avez installé des compteurs intelligents à Iqaluit. Combien cela vous a-t-il coûté? Quelle était votre motivation?
M. Barriault: L’installation de compteurs intelligents à Iqaluit a fait l’objet d’une aide financière du gouvernement fédéral. Il me semble que l’Agence canadienne de développement économique du Nord, CanNor, a fourni du financement, si je ne me trompe pas. C’était aussi une façon de mieux gérer la demande et de surveiller la charge. Nous avons de nouveaux générateurs installés à Iqaluit, et nous avons récemment amélioré nos lignes de distribution. Il est bien sûr coûteux de relever les compteurs. L’utilisation de compteurs intelligents et l’acquisition des données par les lignes de distribution nous permettront de recevoir des données en temps réel sur les coupures, de résoudre les problèmes et de mieux cerner les défis énergétiques. C’est un bon moyen pour mieux surveiller et contrôler la demande, et pour réduire les coûts de production d’électricité. Des études de rentabilité ont été utilisées pour montrer comment nous faisons des économies; elles sont disponibles. Par ailleurs, la faisabilité du projet reposait en partie sur l’obtention de financements extérieurs.
Le président: Je connais bien les compteurs intelligents. Je posais la question de la motivation parce qu’il s’agit d’une petite zone de distribution sur une seule collectivité, Iqaluit. Généralement, ces systèmes sont branchés sur des lignes de transport. Se posent ainsi la question du transport de l’électricité, de la charge des lignes et ainsi de suite, car ce sont des réseaux immenses, à l’échelle de toute une province. J’aimerais savoir si l’entreprise est sensée. Peut-être pourrez-vous nous communiquer des informations supplémentaires à ce sujet?
M. Barriault: Oui.
Le président: Merci beaucoup messieurs. Merci d’être venus. Merci d’être restés un peu plus longtemps. C’était intéressant. Je sais que vous avez des défis à relever, mais je suis certain que vous connaissez bien ces défis et que vous réussirez à surmonter les problèmes qui se posent dans une région aussi vaste.
Chers sénateurs, nous entrons dans la seconde partie de la réunion et j’ai le plaisir d’accueillir Denis Tanguay, président-directeur général de la Coalition canadienne de l’énergie géothermique.
Monsieur Tanguay, merci d’être parmi nous aujourd’hui. Nous allons écouter votre exposé puis nous passerons aux questions.
Denis Tanguay, président-directeur général de la Coalition canadienne de l’énergie géothermique: Merci monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, de me donner l’occasion une fois de plus de m’exprimer devant ce comité pour parler des pompes à chaleur géothermiques, des autres pompes à chaleur et des technologies associées.
Je vais faire mon exposé en français, mais je serais ravi de répondre à vos questions en anglais ou en français.
[Français]
La Coalition canadienne de l’énergie géothermique a été créée en 2002, à l'initiative du gouvernement fédéral et de distributeurs d’électricité, dans le but de transformer les marchés de la géothermie au Canada.
C'est un processus qui suit son cours depuis 12 ans maintenant. On a fait énormément de progrès au sein de l’industrie depuis 2002, l’année de notre création. On travaille essentiellement avec l'industrie pour la formation et l'accréditation des professionnels, ce qui a été au cœur de la coalition pendant plusieurs années.
On a aussi travaillé de concert avec des organismes de recherche pour promouvoir la recherche-développement et la diffusion de la technologie de géothermie pour les situations canadiennes.
Récemment, je vais peut-être y revenir tantôt, on a organisé la 11e conférence de l'Agence internationale de l'énergie sur les pompes à chaleur, en mai, à Montréal. L’un des constats de cette conférence est que le Canada est un chef de file mondial en matière de recherche et de développement dans le domaine de la géothermie, notamment pour les climats froids.
La diapositive 3, très brièvement, vous donne le modèle de croissance de l'industrie de la géothermie à basse température au Canada, de 1990 à aujourd'hui. Je n’y passerai pas beaucoup de temps, sauf pour vous faire remarquer que l'on voit clairement, au début des années 1990, l'impact d'un programme mis en œuvre en Ontario pour promouvoir les thermopompes géothermiques. Il y a eu une certaine croissance des industries pour ce qui est des installations annuelles et, par la suite, une autre croissance assez importante à compter du milieu des années 2000 en raison, en grande partie, du programme écoÉNERGIE du gouvernement fédéral, mais aussi de plusieurs programmes mis en œuvre dans différentes provinces au Canada.
Évidemment, la géothermie, comme toute forme d'énergie, doit vivre avec les prix relatifs de l'énergie. Donc, actuellement, ce n’est peut-être pas l'âge d'or pour la technologie dans certaines régions du Canada. Tout dépend des prix de l'énergie. Ainsi, la situation est complètement différente dans chacune des provinces. On pense, compte tenu des conditions tarifaires qui existent dans les territoires, que la technologie pourrait être appliquée de façon économique et efficace.
La diapositive 4 est essentiellement une autre façon de présenter la même information, strictement en termes de nombre d'installations totales que l’on retrouve actuellement au Canada. On est passé de quelques centaines, au début des années 1990, à plus de 120 000 installations aujourd'hui. Donc, c'est une technologie qui fonctionne, qui a été prouvée et qui évolue relativement bien en termes de pénétration.
La diapositive 5 vous a déjà été présentée dans le cadre d’une présentation antérieure. Je voulais simplement faire la distinction entre la géothermie à haute température, où il y a production d'électricité et où on retrouve essentiellement des sources potentielles sur la côte ouest, notamment en Colombie-Britannique, au Yukon et peut-être un peu aux Territoires du Nord-Ouest, et la géothermie à basse température où le sol est utilisé comme source d'énergie. On extrait du sol de l'énergie ou des kilowatts-heures équivalents ou des joules, peu importe la mesure prise à l’aide d’un travail mécanique effectué grâce à une source d’électricité.
Essentiellement, quand on parle d'un coefficient de performance des systèmes de trois ou de quatre, par exemple, c'est qu'on utilise une unité d'électricité pour aller extraire du sol trois ou quatre unités de chaleur.
C'est une technologie qui est flexible et qui fait partie de la gamme de solutions en matière d'approvisionnement énergétique. Je sais que le comité s'est penché sur le sujet. Depuis le printemps, vous entendez à peu près toutes les associations présenter leur technologie. Là où la nôtre diffère peut-être, c'est qu’il s’agit autant d’une technologie d'offre d'énergie que d'une technologie de gestion de la demande. Ce facteur est excessivement important, selon nous, parce qu’il faut, dans un premier temps, penser à la façon dont on peut fournir de l'énergie dans le Nord, et dans un deuxième temps, voir comment on peut aider les collectivités à réduire leur consommation d'énergie ou à mieux la moduler et à contribuer à une meilleure gestion de l'offre sur leur territoire.
Il s’agit de passer d'un portrait très macro pour aller vers la collectivité et vers chacune des collectivités qui ont des besoins spécifiques et des conditions d'approvisionnement énergétique très différentes, que ce soit au Yukon ou dans le territoire du Nunavut.
Une composante importante, aussi, lorsqu’on parle de stockage thermique, c’est que la thermopompe est une technologie non seulement importante, mais qui fait partie du stockage thermique, notamment dans le sol. L'exemple d’Okotoks en est un. On capte l'énergie solaire, l’été, pour la stocker dans le sol et, l'hiver, on l’extrait à l’aide de thermopompes. Cette technologie peut aussi être appliquée à certains endroits dans les territoires nordiques. Notre technologie est très flexible.
À la diapositive 7, je ne voulais pas entrer dans les détails techniques et j'ai veillé à ne pas mettre de signe de dollar, parce que je savais que le sénateur Massicotte allait me coincer à ce sujet. Je n’ai pas voulu m’aventurer sur une pente glissante. Je me contente d'un exemple d’une technologie qui pourrait être appliquée dans le Nord, et c'est la technologie des thermosiphons.
Vous avez peut-être entendu parler de cette technologie pour les capteurs solaires. C’est essentiellement le même principe. Il y a un circuit dans la portion verticale de l'illustration; c'est un circuit fermé dans lequel il y a un réfrigérant à une pression particulière, selon les conditions de conception, là où cela se situe. Simplement par gravité, le liquide s’évapore, remonte dans le système, dégage de la chaleur captée dans le sol et redescend sous forme liquide. C'est un peu le mouvement perpétuel à l'intérieur d'un tuyau; tant et aussi longtemps qu'il y aura de la gravité, cela va fonctionner.
Le principe de cette sous-technologie de la géothermie, si on l'applique dans les bâtiments, c'est de préchauffer l'air de certains bâtiments, de le faire passer de ˗40 à ˗14, comme le démontre l'exemple ici, et de sauver énormément d'énergie sur la portion nécessaire pour préchauffer cet air.
L’un des avantages est d'améliorer la qualité de l'air dans les bâtiments. Il est sûr que, dans le Nord, on a tendance à isoler et à surisoler. Il n'en reste pas moins que les bâtiments doivent respirer et que la qualité de l'air peut devenir un enjeu. C'est une technologie qui permet de répondre à cette préoccupation. L’autre avantage, c'est en faisant passer les conditions de conception d'une température de ˗40, par exemple, que l'on retrouve dans les trois capitales ou à Fairbanks, en Alaska. Cette technologie permet de modifier les conditions de conception des systèmes de chauffage pour des températures de ˗40 à ˗15 degrés. Par exemple, on pourrait utiliser les mêmes conditions de conception qu’à Ottawa, Montréal ou Toronto, ce qui correspond à peu près à ˗15 degrés pour les conditions de chauffage. Il s’agit donc de ramener les conditions de conception à des températures plus basses.
C'est simple à installer, simple à utiliser. Il n'y a aucun travail mécanique. Une fois installé, cela fonctionne par gravité. Il y a le travail mécanique de la thermopompe à l'intérieur. La technologie pourrait être utilisée éventuellement pour régénérer le pergélisol autour du bâtiment où cela peut fondre. Donc, en extrayant de la chaleur du sol, cela pourrait recréer les conditions favorables. Évidemment, la technologie est susceptible de contribuer à la modulation de la demande électrique, donc, de travailler sur la pointe saisonnière ou journalière, selon sa conception. Elle permet aussi le couplage avec différentes sous-technologies.
Très brièvement, j'ai mentionné tantôt que le Canada est un chef de file mondial dans le domaine de la géothermie à basse température. C'est une chose que l'on ne réalise pas nécessairement à cause de la taille de l'industrie. Cependant, on s'est vraiment ouvert les yeux, en mai, lorsqu'on a organisé la conférence de l'AIE à Montréal. Il y avait 33 pays qui y étaient représentés, et les recherches faites et présentées par les chercheurs canadiens ont été applaudies. Cela a déjà conduit à des échanges d'étudiants et de chercheurs entre différents pays et le Canada.
On a cette capacité de recherche-développement qui doit être, à mon avis, maintenue et encouragée, notamment en ce qui a trait à la question des climats froids. Par exemple, on a un laboratoire fédéral à Varennes et à Ottawa, et différentes universités. Pour une raison qui nous échappe, la région de Montréal se consacre intensément à la recherche sur la géothermie; la Polytechnique, l'ETS, l'Université de Laval font de la recherche en géologie, de même que plusieurs autres universités un peu partout au Canada.
Ce qui manque, actuellement, au sein de l'industrie, c'est un catalyseur qui permettrait à tous ces gens de travailler plus étroitement ensemble et d'échanger sur les travaux qui sont faits, un peu selon le modèle du réseau de recherche qui existait sur l’énergie solaire. Il pourrait y avoir quelque chose de semblable pour l’énergie géothermique.
Nous avons trois recommandations par rapport au déploiement de la technologie. Nous croyons que le gouvernement du Canada doit renforcer son leadership en garantissant un financement stable et à long terme pour soutenir la recherche-développement. C’est le cas pour la démonstration et le déploiement de pompes à chaleur pour climat froid et d’autres technologies connexes.
À notre avis, il est clair que les solutions pour les climats froids, notamment dans le Nord, ne viendront pas de l'étranger. Elles devront être développées au Canada et être adaptées pour le climat. Des avancées ont déjà été faites, et il faut poursuivre la recherche.
Les programmes d'aide et les initiatives ciblées sont essentiels à nos institutions d'enseignement et à nos centres de recherche, afin de transférer les technologies innovatrices et de les adapter sur le terrain. À mon avis, la capacité manufacturière suivra une fois que nous aurons réussi à démontrer clairement qu'il y a une demande dans les milieux nordiques.
Finalement, les gouvernements territoriaux, les collectivités et les fournisseurs de services au titre de la demande d'énergie dans le Nord ont besoin de soutien et de l'aide du point de vue des options technologiques. Je pense qu’il en a été suffisamment question dans la présentation précédente.
La diffusion des connaissances va de pair avec les projets de démonstration. On entend beaucoup parler des projets de démonstration depuis plusieurs années, et ce, chaque fois qu'on veut commercialiser des technologies. Il ne faut pas oublier que l’un des avantages, c'est de présenter ces technologies là où il y a une demande et de former une main-d’œuvre locale pour en assurer l’utilisation, l’entretien et le maintien dans le temps.
Voilà nos trois recommandations. Je serai heureux de répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup pour votre exposé. Nous allons passer directement aux questions.
[Français]
Le sénateur Massicotte: Je vous remercie pour votre présentation, monsieur Tanguay. C'est très intéressant, et nous faisons du progrès. Quand vous décrivez votre technologie, elle est très simple du point de vue théorique et mécanique. Cela a été appliqué à beaucoup d'autres endroits au Canada. Cependant, où en sommes-nous rendus avec cette technologie?
C'est logique: vos frais sont structurés et la température va jusqu'à 30 degrés sous zéro. Si M. Wallace cherche un rendement de 10 p. 100, êtes-vous certain de pouvoir le lui offrir? Votre entreprise est-elle développée au point où vous avez des clients, des faits exacts, et que vous allez sur le terrain pour atteindre ce rendement de 10 p. 100?
M. Tanguay: Je m’attendais à ce que vous posiez une question à propos du financement. Effectivement, la technologie a été prouvée. Vous avez raison. Les modèles d'affaires aussi sont approuvés. Il y a différentes formules qui peuvent être développées ou adaptées à la géothermie. J'aimerais vous donner deux exemples.
Tout d’abord, le gouvernement du Nunavut a émis une demande de propositions, le 31 octobre dernier, pour la gestion de la demande dans ses bâtiments. Il s’agit environ de 69 bâtiments répartis dans 39 collectivités sur la côte ouest de la Baie d'Hudson. Essentiellement, la demande de propositions se fait sous la forme d'entreprises de services écoénergétiques.
C'est une entreprise qui financera la totalité des travaux et qui se remboursera avec les économies d’énergie. La géothermie fait souvent partie de ce genre d’appel d’offres. Cela pourrait très bien faire partie de la gamme de solutions, comme la technologie du bâtiment.
Pour cet appel d'offres, le défi consiste à convaincre le gouvernement du Nunavut. Cependant, dans ce cas-ci, il est trop tard, parce que l'appel d'offres est déjà publié. Il s'agit d’intégrer une demande technologique dans les demandes et d'encourager les entreprises écoénergétiques à soumettre une proposition, de sorte qu’elles refinanceront ce genre de travaux et se rembourseront par la suite avec les économies réalisées. C'est l’un des modèles. Il y a des entreprises de services écoénergétiques.
L'autre modèle, c'est la création d'une entreprise de services énergétiques. Essentiellement, c'est une entreprise privée financée par des fonds de pension qui ont un capital très patient. Elles peuvent installer des systèmes et en être propriétaires, puis se rembourser sur une période allant de 10, 15, 20 ou 30 ans. L'important est d'aller chercher un taux de rendement qui permettra au capital d'être bien utilisé.
Le sénateur Massicotte: Étant donné que le coût de l'énergie est très élevé au Nunavut, en particulier, et même avec la subvention, pourquoi ne le faites-vous pas vous-mêmes? Vous pourriez développer votre plan d’affaires et aller chercher des investisseurs. Si c'est rentable, allez-y.
M. Tanguay: Je suis d'accord avec vous pour ce qui est de la technologie. J'aimerais faire une petite parenthèse. Le problème de la géothermie traditionnelle, en ce moment, c'est que les équipements sont surtout conçus pour des climats où l'on va davantage climatiser que chauffer. Dans le Nord, on parle d’équipements qui servent surtout à chauffer. Il y a lieu de démontrer des technologies comme celles dont j'ai parlé tantôt, où il n'y a pas de complexité d'équipement. La complexité ne sera pas la même, parce qu'on va se débarrasser de tout ce qui est climatisation pour se concentrer sur un équipement axé sur le chauffage.
En théorie, quelqu'un pourrait, demain matin, aller financer des projets dans le Nord comme on le fait en Colombie-Britannique, à Montréal ou à Toronto. Il est possible d’offrir cette formule du point de vue financier. Mais sur le plan technique, on n’a peut-être pas les meilleures technologies ou les meilleurs produits. C'est là où il y aurait peut-être lieu de faire davantage au niveau du soutien à la recherche pour arriver à faire la démonstration de ces nouvelles technologies développées ici plutôt qu'à l'étranger.
Le sénateur Boisvenu: Je vous remercie, monsieur Tanguay, pour votre présentation très intéressante. Un peu dans le même ordre d’idée que le sénateur Massicotte, ce que vous nous présentez, ce matin, est-ce que c'est de la théorie ou de la pratique, pour le Nord?
M. Tanguay: Je pense que c'est de la pratique. Je vais vous donner un exemple. Dans les années 1950, un test a été fait dans le Nord avec des thermopompes qui utilisaient de l'eau de mer dans une base militaire. Je ne peux pas vous dire où. Cela a été mis en pratique dans les années 1950. C'est clairement appliqué, et la portion théorique, c'est davantage l'adaptation de la technologie de la géothermie à basse température aux conditions de température dans le Nord. Cela n'a jamais été testé in situ. C'est ce qu'il faut démontrer.
On doit montrer que cela fonctionne bien dans des environnements nordiques, que c'est pratique. Cela fait partie de la gamme d'options pour le Nord. C’est une technologie du bâtiment. Il faudra procéder au cas par cas. Il ne s’agit pas de décider que l’on va faire de la géothermie à la grandeur du territoire, parce que l'on sait que cela fonctionne.
Le sénateur Boisvenu: Avez-vous un centre de démonstration? En fait, c'est une technologie que vous voulez vendre?
M. Tanguay: Oui.
Le sénateur Boisvenu: Si vous voulez la vendre, vous devez démontrer qu’elle est rentable. Est-ce que vous avez ce type de centre de démonstration dans le Nord pour que les gens puissent constater de visu que c'est plus économique que le diesel? Est-ce que vous nous faites une présentation théorique ou pratique ce matin?
M. Tanguay: La technologie est une présentation théorique. En pratique, on sait que cela fonctionne partout. Encore une fois, l’intérêt, c'est d'aller démontrer dans les milieux nordiques une technologie qui a été testée dans les conditions climatiques du Sud.
Le sénateur Boisvenu: Est-ce que votre industrie aménagera un centre de démonstration?
M. Tanguay: On ne parle pas d'un grand bâtiment. C’est un petit bâtiment dans le Nord où l’on s'installe avec cette technologie. On ne parle pas d'un centre de démonstration de 2 millions de dollars. C’est un peu le problème qui existe actuellement. Il y a des programmes qui permettent de faire des démonstrations à grande échelle, de technologies d’offre d’énergie, que ce soit des éoliennes ou des champs de panneaux solaires qui coûtent des millions. Dans notre cas, il est question d’un projet qui pourrait coûter 100 000 $ dans des conditions nordiques spécifiques. Ce projet pourrait être réalisé dès l’an prochain.
Le sénateur Boisvenu: Avez-vous l’intention de le faire?
M. Tanguay: Nous sommes l’association qui représente l’industrie. Il y a un transfert dans les centres de recherche et les laboratoires vers un client potentiel. On peut faciliter tout cela, effectivement, et on aimerait pouvoir le faire.
[Traduction]
Le sénateur Patterson: Merci monsieur Tanguay.
Comme vous le savez, les trois territoires du Nord et une grande partie du Nord canadien, soit 40 p. 100 de la superficie du Canada quand on ajoute le Labrador et le Nord du Québec, ont beaucoup de difficultés à satisfaire leurs besoins en énergie. Pourriez-vous nous dire s’il existe des mesures ou des programmes fédéraux qui soutiennent les systèmes géothermiques au Canada?
M. Tanguay: Je n’en connais actuellement pas pour les pompes à chaleur géothermiques basse température. Il existe peut-être quelque chose pour les hautes températures, mais je n’en suis pas certain. Je pense que cette technologie peut, dans une certaine mesure, être intégrée dans des programmes existants, mais à ma connaissance rien n’est spécialement dédié à la géothermie.
Le sénateur Patterson: J’en déduis donc que la croissance rapide des ventes de pompes à chaleur géothermiques que vous nous avez décrite a été financée par le secteur privé.
M. Tanguay: Oui et non. Pour une installation coûtant 30 000 $, il y a avait des subventions pour les applications domestiques, dans la seconde partie des années 2000. C’était une subvention de 10 à 15 p. 100 pour le client, mais il devait payer le reste lui-même.
Comme je l’ai dit, les conditions sont très différentes aujourd’hui à cause des prix relatifs de l’énergie, mais dans le Nord, il serait intéressant de voir comment le système fonctionne avec les conditions tarifaires qui existent dans les différentes collectivités.
Le sénateur Patterson: Ma question concerne un projet qui a suscité beaucoup d’attention dans les Territoires du Nord-Ouest. En 2011, il avait été proposé, à l’initiative de la ville de Yellowknife, de lancer un grand projet de chauffage urbain par géothermie grâce à l’eau chaude d’une mine d’or abandonnée sous la ville. C’était une proposition de 49 millions de dollars qui aurait entraîné un financement de 14 millions de dollars par le Programme du Fonds pour l’énergie propre. Je me demandais si votre groupe connaissait les termes du débat qui s’est déroulé à Yellowknife et le rejet par les contribuables de la ville de l’emprunt nécessaire à la mise en place du projet. Je voudrais vous entendre à ce sujet.
M. Tanguay: Je ne connaissais pas ce débat. Voilà pour la réponse courte, mais je peux parler de la technologie. Elle est utilisée actuellement à Springhill, en Nouvelle-Écosse, entre-autres — l’utilisation de l’eau de mine, en gros. C’est un excellent exemple pour illustrer la manière dont les pompes à chaleur peuvent être utilisées pour extraire de l’énergie du sol. Cela pourrait être un modèle parfait pour une initiative privée visant à chauffer la ville de Yellowknife. Je ne sais pas comment se financerait l’entreprise si ce n’était pas une contribution publique, mais il pourrait s’agir d’un projet privé intéressant un investisseur privé. Techniquement, cela serait faisable. Aucun doute là-dessus. C’est une question de financement.
C’est dommage que cela n’ait pas abouti, mais techniquement cela fonctionne très bien dans beaucoup d’endroits du monde.
La sénatrice Seidman: Monsieur Tanguay, je voudrais vous poser des questions précises à propos de remarques que vous avez faites au sujet du transfert de ces technologies sur le terrain. Vous parlez des principales institutions de recherche et des universités canadiennes qui sont toutes très investies dans la recherche et le développement.
Vous dites que l’industrie a besoin d’un catalyseur pour transférer ces technologies des laboratoires vers le terrain. Vous dites:
Des programmes d’assistance et des initiatives ciblées sont essentiels comme levier pour capitaliser sur les connaissances de nos institutions d’enseignement et nos centres de recherches et pour transférer des technologies novatrices et adaptées sur le terrain.
Pouvez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire? Cela évoque le récent lancement par le gouvernement actuel du Fonds d’aide à l’innovation et les énormes sommes qui servent précisément à faire cela — reconnaître que nous sommes peu performants pour transférer des connaissances vers des applications pratiques sur le terrain, et mettre davantage l’accent sur la recherche appliquée pour améliorer cela. Je voudrais donc savoir comment vous exploitez ce type de programme et quel rôle cela aura selon vous sur l’avenir de la géothermie.
M. Tanguay: Si je me souviens bien, pardonnez-moi si je me trompe, ma première réaction en découvrant ce programme — et peut-être que nous avons été victimes du fait que les pompes à chaleur ne sont pas considérées comme une innovation — a été que nous ne serions pas éligibles à ces programmes récents.
Ce que je veux dire en gros, c’est qu’il y a cinq ou six ans, le Réseau de recherches sur les bâtiments solaires a été créé. Je crois qu’avec le financement du CRSNG, cela a été le catalyseur qui a permis l’émergence de l’industrie solaire au Canada l’an dernier.
La géothermie s’est en quelque sorte immiscée dans le Réseau de recherches sur les bâtiments solaires parce qu’elle fait partie des technologies du bâtiment qui pourraient utiliser une assistance solaire et avec le stockage, parfois nous en étions, parfois non. Ce que je veux dire c’est qu’il faudrait un programme du CRSNG considérant que les pompes à chaleur géothermiques et les pompes à chaleur en général sont une technologie à part entière devant être soutenue pour aider à la création de passerelles entre les universités, les centres de recherche et le secteur privé.
Ce qui s’est passé avec l’industrie solaire, c’est que le secteur privé a suivi les universités et les centres de recherche et ont instauré des partenariats. J’aimerais beaucoup assister au même mouvement pour les pompes à chaleur et les pompes à chaleur géothermiques et je suis sûr que le secteur industriel suivrait si ce modèle était développé pour les pompes à chaleur.
La sénatrice Seidman: Donc vous dites que vous n’êtes pas éligible pour les programmes de financement de transferts de technologie. C’est intéressant que vous mentionniez le CRSNG. Je suis en train de regarder les subventions intitulées: « de l’idée à l’innovation » sur le site Web du CRSNG, et on y lit que vous n’êtes pas admissibles à ces programmes. C’est bien cela?
M. Tanguay: Eh bien, la géothermie de haute enthalpie peut-être, mais pas les pompes à chaleur à basse température. J’en doute. Encore une fois, je n’en suis pas absolument certain, mais il me semble que, lorsque j’ai vérifié, nous n’en faisions pas partie ou nous n’étions pas considérés comme suffisamment innovants, ce qui est un peu dommage. Je crois que nous pourrions démontrer aujourd’hui même que beaucoup d’innovations pourraient émerger des technologies que nous pourrions apporter à ces programmes.
C’est la question de l’œuf ou de la poule. Faisons-nous partie de ce programme ou sommes-nous considérés comme suffisamment innovants pour l’intégrer?
La sénatrice Seidman: Peut-être faudrait-il lancer un projet novateur utilisant la géothermie, qui pourrait finir par être éligible pour ce type de programmes.
M. Tanguay: Je crois que le problème des pompes à chaleur et de la géothermie c’est la petite taille des projets, car nous parlons à l’échelle du bâtiment et c’est difficile à caser dans ces projets de démonstration de plusieurs millions de dollars, parce que ça ne coûte pas tellement cher.
Ce qu’il faut, ce sont des projets de démonstration à petite échelle qui pourraient être appliqués en gros à tous les bâtiments du Nord ou du Sud. Peu importe. C’est ce que nous explorons.
La sénatrice Seidman: Vous dites que le secteur industriel a besoin d’un catalyseur pour transférer les technologies des laboratoires sur le terrain, qu’entendez-vous par là? Quel genre de catalyseur recherchez-vous?
M. Tangay: La réponse, c’est le réseau de recherches, comme le Réseau de recherches sur les bâtiments solaires.
La sénatrice Seidman: C’est très utile. Merci beaucoup.
Le sénateur Wallace: Comme vous l’avez indiqué, monsieur Tanguay, les pompes à chaleur géothermique sont devenues très en vogue pour les propriétés résidentielles dans le sud du pays. Quand vous en évoquez le potentiel d’utilisation dans le Nord, laissez-vous entendre que, compte tenu des coûts et des autres facteurs, il y aurait une application adaptée aux propriétés individuelles? Ou cette technologie est-elle davantage adaptée dans le Nord pour des bâtiments commerciaux ou industriels plus grands?
M. Tanguay: Pour diverses raisons, je verrais cette technologie pénétrer les marchés ou les collectivités d’abord par les bâtiments publics. Je ne parle pas de bâtiments immenses. Je crois que c’est plus facile à gérer pour les bâtiments publics et cela donne l’occasion de montrer et de mettre en valeur la technologie, de former des gens localement pour travailler sur ces systèmes, les installer et en assurer la maintenance. Alors on peut envisager de transférer ces systèmes à des applications résidentielles. Cela peut être fait simultanément, mais je crois que cela serait plus facile du point de vue de la promotion de la technologie, de la formation et de l’éducation. Cela s’intégrerait plutôt bien dans les bâtiments publics.
Le sénateur Wallace: Tout est possible. C’est juste une question d’argent. La technologie pourrait être utilisée comme nous le voyons ici dans le Sud, pour des propriétés résidentielles. Mais en étant réaliste, concernant les recommandations que nous allons faire en finalisant notre rapport, est-ce que cela pourrait être une solution viable pour les propriétés résidentielles dans le Nord? J’ai l’impression que tout est possible, mais ce n’est probablement pas l’utilisation la plus réaliste de cette technologie dans le Nord.
M. Tanguay: Je ne dirais pas ça. J’ai en tête une étude qui a été menée en Alaska. À Fairbanks, 60 systèmes résidentiels ont été installés. Les conditions climatiques à Fairbanks, à Yellowknife, à Iqaluit et dans toutes les autres collectivités du Nord sont assez proches. Alors oui, cette technologie pourrait fonctionner partout dans le Nord.
Il serait intéressant de tester des technologies adaptées pour les climats froids, arctiques, pour qu’elles soient plus efficaces et peut-être moins compliquées du point de vue du fonctionnement et des systèmes mécaniques à l’intérieur des machines. C’est une possibilité.
Ce dont je rêve, c’est qu’au moment de la sortie de votre rapport, les pompes à chaleur géothermiques ne seront pas reléguées à une note en bas de page à la fin de la page 75 ou quelque chose comme ça. Nous avons toujours des difficultés à promouvoir cette technologie comme étant une option courante. Puisqu’il s’agit d’une technologie du bâtiment, nous sommes souvent oubliés lorsqu’il s’agit d’approvisionnement énergétique. C’est une source d’approvisionnement énergétique, mais à l’échelle du bâtiment.
Le sénateur Wallace: Y a-t-il des exemples pour lesquels la technologie des pompes à chaleur s’est montrée efficace dans d’autres pays à climat nordique?
M. Tanguay: En Finlande, en Suède et en Norvège — en Scandinavie.
Le sénateur Wallace: Cela a-t-il fonctionné?
M. Tanguay: Oui.
Le sénateur Wallace: Pourquoi avez-vous besoin de faire un projet de démonstration si cela a été démontré ailleurs? Pourquoi ne pas simplement tirer parti de ces réussites?
M. Tanguay: Je crois que les principales différences entre la Suède et le Canada sont la géologie et les conditions du sol. C’est au nord, mais la température n’est pas de moins 40 et cela influe sur la conception, comme je le disais. Encore une fois, en Alaska cela fonctionne assez bien. Ce n’est pas un gros déploiement, mais c’est utilisé et surveillé et cela fonctionne.
Le reste est une question d’argent. Si l’on regarde les prix de l’électricité et de l’énergie, dans certaines municipalités, cela est viable économiquement et dans d’autres cela ne l’est pas. C’est au cas par cas, mais il y a une viabilité économique dans le Nord, c’est certain.
Le président: J’ai une brève question. Connaissez-vous un endroit où ce procédé a été utilisé en présence de pergélisol? Il y a du pergélisol où je vis mais ça devient délicat dans le Nord ou sur de la roche solide, qui est présente dans beaucoup de secteurs du Nord. Existe-t-il un endroit dans le monde où cela a été essayé sans problème sur du pergélisol. Je connais bien son usage dans le sud du pays, beaucoup de gens l’utilisent. Je ne dis pas que ce n’est pas viable. Mais dans le Nord, il faut prendre cela en compte, selon dans quel secteur on se situe.
M. Tanguay: Vous avez raison. Selon la région du Nord où l’on se situe, les conditions sont différentes. Je ne connais pas la géologie de l’Alaska, mais à Fairbanks je crois que les conditions géologiques sont relativement semblables et il y a du pergélisol. Il faudrait que nous y retournions pour voir ce qui a été fait.
Cela poserait problème si l’on avait affaire à une collectivité de 10 000 bâtiments, que les maisons soient très proches les unes des autres et que les réseaux géothermiques soient installés à proximité des bâtiments. Alors cela pourrait poser problème, je pense. Autrement, quand on songe à la manière dont les collectivités sont conçues, il est possible d’installer les forages suffisamment loin des bâtiments pour que cela ne provoque pas de problèmes à cause de la modification de l’état du sol.
Cela pourrait aussi être bénéfique. Si le pergélisol dégèle, il est possible d’utiliser des pompes à chaleur géothermiques pour maintenir le pergélisol. Cela peut aller dans les deux sens.
Le président: C’est théorique, alors.
M. Tanguay: Je ne connais pas d’endroit où cela a été fait.
Le président: Fairbanks ne se trouve pas sur du pergélisol à ma connaissance.
M. Tanguay: Alors, il nous faut encore faire la démonstration que cela fonctionne.
Le président: Vous avez dit qu’il serait difficile de découpler la partie climatisation, c’est surtout ce que l’on trouve où je vis, en Colombie-Britannique. Dans la vallée de l’Okanagan, il y a beaucoup d’installations de ce genre pour le chauffage et cela sert aussi pour la climatisation. Qu’est-ce qui serait si difficile? Je veux dire, vous avez des systèmes... Là où je vis, les gens n’ont pas la climatisation associée, mais vous avez dit que c’était compliqué.
M. Tanguay: Je ne me souviens pas avoir dit que c’était difficile. Les pompes à chaleur qui se trouvent actuellement sur le marché sont réversibles et vous pouvez soit chauffer, soit refroidir. Il y a des pièces mécaniques qui seraient inutiles dans le Nord. Si l’on fabriquait des pompes à chaleur sans vanne réversible, par exemple, on pourrait certainement avoir un produit moins cher. Si l’on enlève certaines pièces et qu’on garde seulement ce qui est nécessaire, la maintenance et la gestion sont également facilitées, et on peut aussi réduire le prix de revient de ces pompes à chaleur.
Le président: Donc c’est assez simple.
Vous avez parlé d’une subvention. De quelle subvention s’agit-il?
M. Tanguay: Pour les applications résidentielles?
Le président: Oui.
M. Tanguay: C’était le programme écoÉnergie Rénovations-Maisons, qui a existé de 2008 à 2012. Il y avait en parallèle toute une série de programmes provinciaux.
Le président: Merci beaucoup.
(La séance est levée.)