Rapport du comité
Le lundi 10 juin 2024
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a l’honneur de déposer son
DIX-NEUVIÈME RAPPORT
Votre comité, qui a été autorisé à examiner la teneur des éléments des sections 25 et 26 de la partie 4 du projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024, a, conformément à l’ordre de renvoi du jeudi 9 mai 2024, examiné ladite teneur du projet de loi et en fait maintenant rapport comme suit :
Programme de garantie des prêts aux autochtones
La réduction du coût de l’emprunt pour les Autochtones est une priorité politique attendue depuis longtemps. Votre comité estime que l’établissement d’un programme de garanties de prêts pour les Autochtones est une bonne chose. Le programme pourrait permettre aux gouvernements autochtones de générer des revenus autonomes en investissant dans des projets de ressources naturelles et en participant de façon égale à l’économie canadienne dans son ensemble. Malgré ces possibilités, Shaun Fantauzzo, vice-président, Politique, à la Coalition de grands projets des Premières Nations, a fait remarquer qu’une approche véritablement indépendante des secteurs impliquerait d’étendre l’admissibilité au programme à tous les secteurs, dont les télécommunications, l’immobilier commercial et les infrastructures publiques.
Les dirigeants autochtones préconisent depuis un certain temps la mise en place de programmes de garanties de prêts pour que les emprunteurs puissent bénéficier du crédit du gouvernement du Canada et garantir des taux d’intérêt plus bas sur leurs prêts. L’article 89 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, qui interdit aux Premières Nations de tirer parti de leurs actifs et de les donner en garantie, est l’un des obstacles qui réduisent l’accès à du capital à des taux compétitifs. Les prêts non garantis sont souvent accordés à des taux d’intérêt exceptionnellement élevés. Comme l’a fait remarquer la cheffe Sharleen Gale, présidente de la Coalition de grands projets des Premières Nations, de nombreuses nations autochtones ont manqué des occasions d’investir dans de grands projets parce que les taux d’intérêt offerts sur les prêts nécessaires étaient aussi élevés que ceux des cartes de crédit.
Votre comité constate que le programme de garanties de prêts est toujours en cours d’élaboration et souhaite faire les observations suivantes. Tout d’abord, le comité insiste sur la nécessité de s’assurer que le conseil d’administration est composé d’Autochtones. La gestion et le fonctionnement de la nouvelle organisation doivent aussi être la responsabilité d’Autochtones, et le programme doit être administré d’une manière qui tienne compte des divers besoins des gouvernements autochtones qu’il est censé servir. Le gouvernement du Canada devrait être innovateur dans la façon dont le conseil d’administration est constitué et ses membres sont choisis, et s’assurer que ce conseil ne perde pas de vue l’obligation du gouvernement fédéral d’avancer sur la voie de la réconciliation avec les peuples autochtones.
Les gouvernements autochtones peuvent avoir besoin d’une expertise juridique, technique et économique dans l’élaboration de plans conjointement avec l’industrie et d’autres gouvernements. En effet, lors d’un sondage récent sur le programme fédéral proposé de garanties de prêts pour les Autochtones, 45 répondants de Premières Nations, sur les 50 qui ont participé à l’exercice, ont souligné que des sommes d’argent consacrées au soutien des capacités sont nécessaires pour se prévaloir des garanties de prêts. Le montant initial de 3,5 millions de dollars alloué au soutien des capacités devra être majoré si le programme doit être en adéquation avec l’opportunité de propriété autochtone au Canada, ce qui pourrait nécessiter jusqu’à 50 milliards de dollars d’investissements en capitaux autochtones au cours des 10 prochaines années, selon la Coalition de grands projets des Premières Nations. Comme l’a fait valoir la cheffe Gale, le soutien apporté au projet d’énergie géothermique Tu Deh-Kah a dépassé à lui seul le montant alloué à l’ensemble du programme de garantie des prêts pour les Autochtones au cours de sa première année d’existence (soit 1,5 million de dollars).
Votre comité estime que le programme de garanties de prêts doit être mis en place rapidement, conformément aux engagements pris par le ministère des Finances Canada lors de sa comparution devant le comité, car il serait souhaitable que les premières garanties de prêt soient émises avant la fin de 2024.
Le gouvernement du Canada devrait également écouter les dirigeants autochtones et les experts en la matière pour s’assurer que le programme de garanties de prêts répond à leurs besoins. Votre comité convient avec les témoins qu’il sera particulièrement important de tenir compte des commentaires de ces leaders et experts lors de la conception du programme afin que les Premières Nations puissent profiter des occasions d’investissement. Il est donc important de s’assurer que les gouvernements autochtones qui le désirent peuvent devenir de précieux partenaires dans le développement des ressources et, c’est à souhaiter, dans tous les secteurs de l’économie canadienne .
Alerte robe rouge
Votre comité estime que l’éradication de la violence fondée sur le genre et la race commise contre les femmes, les filles et les personnes bispirituelles et de diverses identités de genre d’origine autochtone devrait être une priorité cruciale du gouvernement du Canada. Les vulnérabilités découlant des traumatismes, des troubles de santé mentale, de la criminalisation, du manque d’accès à la justice, des failles systémiques et de la marginalisation socioéconomique contribuent à la violence fondée sur le genre et la race envers les femmes et les filles autochtones. Cette violence doit cesser maintenant.
Une solution serait l’établissement d’un système national d’alerte robe rouge, qui informerait la population en cas de disparition d’une femme, d’une fille ou d’une personne de diverses identités de genre d’origine autochtone. Le comité voit comme un bon premier pas l’annonce du partenariat récent entre le Canada et le Manitoba, de même que le financement proposé de 1,3 million de dollars qui serait consacré à un processus de consultation et d’évaluation relatif à un projet pilote de système régional d’alerte robe rouge, comme le prévoit l’article 264 de la section 26 du projet de loi C-69. Cependant, votre comité juge que le travail en ce sens avance à une lenteur qui ne reflète pas l’urgence que constitue le problème des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées.
Le comité souhaite attirer l’attention sur le système d’alerte d’urgence Unama’ki, en Nouvelle-Écosse. Ce système, qui fonctionne sur abonnement, est utilisé aujourd’hui par 4 000 abonnés dans cinq communautés mi’kmaq à l’île du Cap-Breton. Le système d’alerte d’urgence Unama’ki a fait ses preuves; les services policiers et sociaux y participent. Pour le comité, cette initiative est une réussite parce qu’elle est dirigée par des Autochtones, qu’il n’y a pas d’obstacle pour s’y inscrire et que sa mise en œuvre est simple et rapide.
Votre comité est d’accord avec Hilda Anderson-Pyrz, présidente du Cercle national des familles et des survivantes du Canada, pour dire qu’il faut apporter des changements systémiques pour réparer les liens brisés et que l’établissement d’un système national d’alerte robe rouge doit reposer sur une approche coordonnée. Outre ce système d’alerte, il est nécessaire de fournir des services complets, adaptés sur le plan culturel et tenant compte des traumatismes aux survivantes et survivants, aux familles et aux victimes. Ces services doivent aussi être accessibles à tout le monde, y compris aux communautés autochtones éloignées et isolées et les Autochtones vivant en milieu urbain. Les survivantes et les survivants de la violence, ainsi que les membres de leur famille, doivent être au centre de ces initiatives; cela dit, les dirigeants autochtones devraient aussi y prendre part. Par ailleurs, les Autochtones qui ont témoigné devant le comité ont souligné l’importance de former les forces de l’ordre et d’informer la population concernant le problème des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre d’origine autochtone qui sont disparues ou assassinées dans le contexte de cette initiative. Votre comité estime qu’il y a un besoin criant de collaboration entre les autorités concernées pour mettre en place le système d’alerte dès que possible.
Respectueusement soumis,
Le président,
BRIAN FRANCIS