LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS
TÉMOIGNAGES
HALIFAX, le lundi 2 octobre 2017
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 9 heures, pour étudier l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.
Le sénateur Terry Mercer (Vice président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Je vous souhaite la bienvenue à la réunion du Comité permanent de l’agriculture et des forêts. Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse. Je suis vice-président du comité et je vais commencer en demandant à mes collègues de se présenter.
Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Tardif : Bonjour. Claudette Tardif, de l’Alberta.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, encore et toujours de Terre-Neuve.
Le vice-président : Aujourd’hui, le comité poursuit son étude sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier. Nous sommes très heureux d’être ici, à Halifax, pour rencontrer des représentants de ministères de gouvernement de l’Est canadien et d’intervenants des secteurs de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la foresterie.
Nos premiers témoins, aujourd’hui, sont l’honorable Margaret Miller, ministre des Ressources naturelles — et je dois déclarer tout de suite mon conflit d’intérêts, puisqu’elle est ma députée; je vis dans sa circonscription et, comme toujours, je suis heureux de la voir —, et M. Keith Colwell, ministre de l’Agriculture, tous deux au sein du gouvernement de la Nouvelle-Écosse. Nous vous souhaitons la bienvenue et nous souhaitons aussi la bienvenue aux représentants qui vous accompagnent. Merci d’avoir accepté notre invitation.
J’invite un des ministres à commencer, puis nous passerons aux questions des sénateurs. Nous procéderons à autant de séries de questions que possible vu le temps qui nous est accordé. Qui veut commencer?
L’honorable Margaret Miller, deputée, ministre des Ressources naturelles, gouvernement de la Nouvelle-Écosse : Je vais commencer. Merci, monsieur le sénateur.
Immédiatement à ma droite se trouve Jason Hollett, directeur exécutif, Changement climatique, du ministère de l’Environnement de la Nouvelle-Écosse. À ma droite se trouve Julie Towers. Elle est ma sous-ministre des Ressources naturelles. Bruce Stewart se trouve à sa droite. Il est directeur par intérim de la foresterie pour le ministère des Ressources naturelles. Lisa Courtney-Mercer, mon adjointe administrative, est derrière.
Au nom du ministère des Ressources naturelles de la Nouvelle-Écosse, je tiens à remercier le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts de nous avoir invités à comparaître aujourd’hui. Nous sommes bien sûr heureux d’être ici pour participer à votre étude sur l’impact potentiel des effets du changement climatique sur les secteurs agricole, agroalimentaire et forestier.
Les forêts, les minéraux, les parcs, les ressources fauniques et l’administration des terres publiques de la province sont au cœur des responsabilités de mon ministère. Les responsabilités de mon ministère les plus pertinentes à la discussion d’aujourd’hui concernent le développement, la gestion, la conservation et la protection de nos forêts. La foresterie compte parmi les principaux moteurs économiques de notre province. Ce secteur a employé 11 500 personnes et a généré 800 millions de dollars dans le PIB en 2015. Il s’agit d’une augmentation importante comparativement à la situation de 2012, lorsque le secteur comptait 10 200 employés et générait 575 millions de dollars dans le PIB.
Notre gouvernement a aidé à faire de l’industrie forestière de la nouvelle Écosse un plus fort compétiteur au sein du marché international. En tant que ministre des Ressources naturelles, je suis déterminée à tirer parti de la valeur de nos forêts, de leur importante valeur économique, écologique et récréative.
Je suis fière des progrès et des choses que nous avons apprises au cours des dernières années relativement à la gestion de nos forêts. Le secteur forestier est un pilier économique et une industrie fondamentale de notre province, particulièrement en région rurale. Le secteur a défini notre patrimoine en tant que moteur économique, et pour des milliers de Néo-Écossais, c’est un mode de vie. Une forêt saine et gérée de manière durable est essentielle pour créer de bons emplois, permettre la croissance de l’économie et assurer la qualité de vie de tous les Néo-Écossais. En Nouvelle-Écosse, nous avons tous un rôle à jouer : le gouvernement, l’industrie, les communautés autochtones, les universités, les groupes environnementaux et communautaires et les différents propriétaires de lots boisés.
Nous avons aussi de bonnes raisons de nous pencher sur la question des forêts, de la valeur qu’elles nous offrent et de la façon dont nous pouvons les gérer le mieux possible pour un meilleur avenir. Nous devons continuellement réévaluer notre relation avec la forêt et le milieu forestier dans notre province.
La durabilité est le mot clé, puisque c’est la clé de la prospérité future du secteur forestier. Si nous voulons bénéficier d’un secteur forestier dynamique, nous devons tenir compte de considérations économiques et sociales et liées à la durabilité environnementale. Chacun de ces trois facteurs liés à la durabilité dépend des autres si nous voulons assurer une bonne gestion de nos forêts.
La complexité des enjeux auxquels nous sommes confrontés actuellement augmente à un point tel que nous ne pouvons plus les gérer à nous seuls. La Nouvelle-Écosse compte plus de 4,2 millions d’hectares de forêt, soit environ les trois quarts de la superficie totale de la province. Nos forêts sont source de vie. Elles filtrent l’air que nous respirons, nous fournissent de l’eau propre et des aliments, nous aident à prévenir l’érosion des sols et les inondations, fournissent le bois dont nous avons besoin pour construire et maintenir nos collectivités et soutiennent la biodiversité en fournissant un habitat à un large éventail d’espèces.
Près de 60 p. 100 des terres forestières de la Nouvelle-Écosse appartiennent à des intérêts privés, des entreprises, des familles et des particuliers. Chaque jour, des gens de partout dans notre province prennent des décisions qui ont une incidence sur nos forêts et la biodiversité. La gestion de nos forêts est une responsabilité que nous partageons tous. Les gouvernements, les Mi’kmaqs, l’industrie, les propriétaires de terres boisées ou autres, les groupes d’intérêts et les citoyens privés… Nous avons tous des rôles ou des responsabilités dans le cadre de l’intendance partagée de nos forêts et de nos ressources assurant la biodiversité. Cette approche commune est cruciale à une intendance efficace de la biodiversité des forêts.
Les arbres jouent un rôle important au moment de déterminer la structure, la composition et la fonction des écosystèmes forestiers de la Nouvelle-Écosse. De plus, le maintien des niveaux de composition naturels de nos peuplements forestiers a le potentiel de réduire la susceptibilité aux catastrophes naturelles et de faciliter l’adaptation aux changements climatiques. Les cycles de vie de nombreuses espèces d’insectes rares sont aussi déterminés par la composition arbustive. La vie végétale sous le couvert forestier est influencée par la taille et la forme des structures des arbres comme elle l’est aussi par le fait que ces arbres sont des feuillus ou des conifères.
La composition des espèces d’arbres influe sur la qualité du couvert forestier et joue un rôle important dans les processus pédologiques comme la disponibilité en nutriments et le recyclage du matériel organique.
Les principes et les mesures de la Nouvelle-Écosse en matière de forêts sont harmonisés avec les stratégies nationales. En tant que membre du Conseil canadien des ministres des Forêts, mon ministère travaille en collaboration avec d’autres organismes et ordres de gouvernement pour rester au fait des tendances en matière d’innovation forestière, de changements climatiques, de gestion durable des forêts, de critères et d’indicateurs, de parasites des forêts, et de gestion des feux et de la faune.
Des représentants du ministère ont participé aux travaux du groupe de travail sur le changement climatique, une initiative axée sur la collaboration des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux canadiens réalisée par l’intermédiaire du Conseil canadien des ministres des forêts. La phase 2, qui s’est terminée en mars 2015, concernait l’adaptation aux changements climatiques dans l’écosystème forestier et le secteur des forêts. La phase 3, qui a commencé en 2015, vise à améliorer la conversation intergouvernementale sur l’intégration des changements climatiques dans les critères et indicateurs nationaux liés à une gestion durable des forêts, ce qui permettrait d’améliorer l’intégration des considérations liées aux changements climatiques dans les extrants du groupe de travail sur les incendies et les ravageurs forestiers du Conseil canadien des ministres des forêts et le réseautage sur les mesures d’adaptation sylvicoles.
Dans le code de pratiques forestières de la province, le ministère prévoit que les activités de gestion des forêts seront conçues et réalisées en tenant compte des effets potentiels sur les changements climatiques et des occasions de maintenir et d’améliorer les puits de carbone forestiers.
Les pratiques forestières contribuent à l’atténuation des répercussions des changements climatiques en garantissant la croissance saine des forêts en Nouvelle-Écosse. Il faut mettre en place des stratégies de gestion appropriées pour s’assurer que les systèmes forestiers peuvent s’adapter aux changements climatiques. Le code prévoit aussi que le maintien de la biodiversité naturelle devrait permettre une réaction écosystémique appropriée aux changements climatiques. Les pratiques forestières ne devraient pas compromettre la capacité des écosystèmes forestiers de s’adapter aux changements futurs.
Les lignes directrices au niveau du paysage prévoient qu’il faut tenir compte des possibilités de séquestration du carbone dans le cadre de la planification de la gestion des forêts et que les décisions liées à la gestion des forêts doivent tenir compte des répercussions futures des changements climatiques sur la biodiversité, la productivité des forêts et la qualité de l’eau.
Au cours des six dernières années, la gestion de nos forêts, des parcs, des ressources minérales et de la biodiversité a été encadrée par une stratégie sur les ressources naturelles appelée « The Path We Share, A Natural Resources Strategy for Nova Scotia 2011-2020 ». Nous nous sommes appuyés sur cette stratégie pour adopter une approche fondée sur les écosystèmes en matière de gestion des ressources naturelles. Nous utilisons cette approche fondée sur des connaissances dans le cadre des activités de consultation de l’ensemble de nos programmes forestiers. Vous pouvez trouver ce rapport en ligne si cela vous intéresse.
Par exemple, mon ministère a lancé un programme d’amélioration génétique des arbres qui met à l’essai la capacité d’adaptation d’espèces d’arbres dans différentes zones climatiques. Nous réalisons ce programme depuis 30 ans avec nos partenaires du Nouveau-Brunswick et des intervenants de l’industrie pour nous assurer de compter sur des populations reproductrices génétiquement diversifiées dans les différents gradients environnementaux et climatiques.
Nous avons publié des guides pratiques sur l’écosystème forestier pour 88 types forestiers. Ces guides décrivent la composition forestière pour soutenir la planification écosystémique au niveau local. Notre adoption d’une classification écologique des terres nous a aidés à classifier neuf écorégions en fonction du climat et à soutenir la planification écosystémique de l’aménagement paysager. De plus, nous fournissons une formation sur la classification écosystémique des forêts aux professionnels de nos services forestiers.
Vendredi dernier, notre gouvernement a été ravi de présenter des modifications de la loi sur l’environnement, des modifications qui permettront à la Nouvelle-Écosse de mettre sur pied un programme de plafonnement et d’échange grâce auquel la province pourra établir et atteindre des cibles en matière de réduction future des gaz à effet de serre, tout en protégeant le portefeuille des Néo-Écossais. Les modifications permettront au gouvernement de créer des règlements pour définir des plafonds, attribuer des quotas d’émissions et établir des pénalités, permettre le commerce des quotas d’émission, exiger des entreprises qu’elles assurent un contrôle et produisent des rapports contenant des renseignements précis, établir une cible provinciale en matière d’émissions de gaz à effet de serre pour 2030 et créer un fonds pour la nature pour soutenir les initiatives et les innovations liées aux changements climatiques.
Les secteurs de la foresterie et de l’agriculture ne participeront pas directement au programme de plafonnement et d’échange, même si certains coûts pourraient être transférés aux entreprises qui produisent de l’énergie à partir de combustibles fossiles. Il y aura peut-être aussi des occasions pour la foresterie et l’agriculture, ainsi que d’autres secteurs non visés par les mesures de plafonnement, de vendre des crédits d’émissions de carbone. La province travaille en collaboration avec les secteurs forestiers sur une telle initiative.
Je suis fière de dire que nous avons créé un nouveau poste au sein de notre division de la foresterie, un poste qui mettra l’accent sur les changements climatiques et la dynamique liée au carbone dans les forêts. Notre nouveau spécialiste en modélisation des forêts dirigera l’élaboration et la mise en œuvre d’initiatives provinciales liées au carbone forestier, à la biomasse, à la bioénergie et à la modélisation des changements climatiques à l’appui de l’élaboration des politiques et des stratégies de la province. Le processus de modélisation du carbone forestier sera intégré au cadre actuel de modélisation forestière de la province pour évaluer les répercussions écologiques et économiques des forêts et du paysage. Le titulaire du poste créera aussi des modèles pour effectuer un suivi et un contrôle des changements.
Les aménagistes forestiers doivent être de plus en plus au fait des répercussions de leurs actions sur les changements climatiques et doivent aussi saisir les occasions de maintenir les puits améliorés de carbone forestier. Le suivi du carbone forestier partout au Canada est mené par l’équipe responsable de la comptabilisation du carbone du Service canadien des forêts. Ces chercheurs scientifiques et praticiens ont mis au point un modèle de bilan du carbone en place depuis plus d’une décennie maintenant. Mon ministère réfléchit aux premières étapes de l’intégration de la modélisation de la séquestration du carbone dans l’analyse de l’approvisionnement en bois fondée sur ce modèle de bilan. Ce modèle s’appuie principalement sur les données fournies dans le cadre des initiatives forestières provinciales et nationales. Il s’agit actuellement de la norme nationale en matière de bilan du carbone forestier et il s’agit aussi d’un modèle reconnu à l’échelle internationale par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
Le carbone dans les écosystèmes forestiers est calculé en tant que fonction du volume marchand du bois mou et du bois dur à l’aide d’équations estimant les ratios volume-biomasse ainsi que d’estimations de la matière organique morte générée à partir des inventaires forestiers. Les estimations de la matière organique morte représentent le carbone stocké dans la couverture forestière, les racines, les souches, les sols organiques et les débris. Le modèle est utilisé pour évaluer combien de carbone est stocké dans les écosystèmes forestiers et combien de carbone s’échappe de tels écosystèmes partout en Nouvelle-Écosse et aide à surveiller les changements survenus au cours des dix dernières années.
Grâce aux investissements et à la recherche ainsi qu’aux ressources que je viens de décrire, nous améliorons la préparation de l’industrie forestière aux répercussions des changements climatiques.
Cela dit, je vais céder la parole à mon collègue, l’honorable ministre de l’Agriculture, des Pêches et de l’Aquaculture. Je pourrai ensuite répondre à vos questions.
L’honorable Keith Colwell, deputé, ministre de l’Agriculture, gouvernement de la Nouvelle-Écosse : Bonjour, monsieur le président, et bonjour aux membres du comité permanent. Je tiens à vous remercier de tenir séance, ici, à Halifax. Votre initiative est très appréciée. Je suis heureux de me joindre à ma collègue, la ministre des Ressources naturelles, pour vous parler ce matin.
En tant que ministre de l’Agriculture, je suis très préoccupé par les répercussions potentielles des changements climatiques sur ce secteur très important de l’économie de notre province. Les changements climatiques sont un enjeu que le gouvernement provincial prend très au sérieux. En outre, nous avons travaillé avec beaucoup de diligence à l’échelle des ministères, avec nos partenaires du secteur et de pair avec le gouvernement fédéral pour composer avec la situation.
Le climat de la Nouvelle-Écosse est aussi diversifié que son paysage. Les régimes climatiques sont définis par la topographie, les mouvements aériens et la proximité de l’océan, ce qui fait en sorte que la Nouvelle-Écosse est particulièrement susceptible aux répercussions des changements climatiques. Les ouragans et les événements météorologiques extrêmes ont eu un impact majeur sur notre région, et on peut déjà mesurer les changements climatiques. Nous avons constaté une augmentation du niveau de la mer de plus de 35 cm depuis 1896, et Environnement Canada estime que la Nouvelle-Écosse sera témoin d’une augmentation supplémentaire du niveau de la mer de 0,5 m d’ici 2050, et de un mètre, d’ici 2100.
Des régions comme la vallée de l’Annapolis sont témoins de nombreux effets météorologiques différents, depuis les conditions plus sèches que la normale jusqu’aux répercussions des tempêtes tropicales en passant par des conditions météorologiques hivernales rigoureuses.
Puisque l’agriculture s’appuie fortement sur les ressources hydriques pour l’irrigation et la protection contre le gel ainsi que pour nettoyer les produits agricoles en vue de leur vente ou de leur transformation, toute menace à l’approvisionnement en eau souterraine dans les basses terres et les zones côtières imputable à la pénétration d’eau salée en raison de l’augmentation des niveaux de la mer est préoccupante. C’est la raison pour laquelle la province a investi dans des digues et des aboiteaux, qui sont extrêmement importants pour protéger les précieuses terres agricoles. Le ministère de l’Agriculture de la Nouvelle-Écosse doit assurer l’entretien et la gestion continue de plus de 240 kilomètres de digues et de plus de 246 aboiteaux le long de la baie de Fundy, protégeant par le fait même 14 441 hectares de terre arable.
Grâce au soutien du gouvernement fédéral par l’intermédiaire du Programme national d’atténuation des catastrophes, nous avons investi pour continuer à améliorer le système de digues. Cela inclut la réalisation d’une évaluation des risques auxquels sont exposées les digues le long de la baie de Fundy, un projet conjoint et à frais partagés du gouvernement fédéral et des gouvernements de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick. Non seulement les travaux de mise à niveau de notre système de digues nous permettent de protéger nos terres agricoles précieuses et nos biens publics, mais en plus ils offrent aussi à la Nouvelle-Écosse un accès continu aux terres continentales tout en assurant le déplacement sans interruption des marchandises cruciales par l’isthme Chignecto.
Je dois vous dire qu’un événement météorologique extrême qui aurait pour effet de limiter ou de bloquer un tel accès est très préoccupant, selon moi, en raison de l’impact économique potentiel ou de la menace que cela pourrait constituer pour notre approvisionnement en aliments et notre sécurité. Nous travaillons très dur pour dissiper cette préoccupation et protéger l’avenir de la province. Nous avons entrepris de nombreuses initiatives pour atténuer de façon proactive les répercussions de l’augmentation prévue du niveau de la mer et l’intensité accrue des ondes de tempête et des événements pluvieux.
Dans le cadre d’une initiative Agri-risques financée par l’intermédiaire de Cultivons l’avenir 2, ou CA2, visant à permettre au secteur agricole de la Nouvelle-Écosse d’être à l’abri du risque, on élabore actuellement un outil d’évaluation de la vulnérabilité des digues et de cartographie des inondations. Cet outil réunira des renseignements comme les types de sols et la topographie, les renseignements climatiques et la transition de l’utilisation des terres pour aider à cerner les zones qui satisfont à certaines exigences en matière de production et de risques clés. De plus, un projet de cartographie des inondations pour numériser les levés des terrains marécageux agricoles protégés a été entrepris dans le cadre du Programme national d’atténuation des catastrophes.
En 2016, nous avons mis sur pied un comité d’examen de l’utilisation des terres agricoles pour aider à solidifier l’approche provinciale en matière de protection des terres agricoles. Nous nous sommes aussi associés au nouveau comité sur les politiques visant les terres agricoles mené par des représentants de l’industrie et créé par la Fédération agricole de la Nouvelle-Écosse. Ce comité jouera un rôle important dans ce dossier.
Notre initiative Agri-risques se penche aussi sur les répercussions des changements climatiques sur le secteur du vin et du raisin, une industrie en plein essor en Nouvelle-Écosse, qui crée plus d’emplois et génère des activités économiques accrues dans nos collectivités rurales. Ce projet pilote vise à mettre au point un outil d’évaluation des risques dynamique de façon à aider l’industrie à prévoir les risques futurs associés aux changements climatiques et au paysage socioéconomique changeant de la Nouvelle-Écosse.
Nous cherchons aussi des façons de rendre les pratiques agricoles plus efficientes afin d’atténuer leur impact sur l’environnement. Nous avons mis en œuvre des programmes provinciaux en matière d’agriculture pour soutenir l’évaluation des demandes de projet à la lumière des meilleures pratiques de gestion. Un comité consultatif en gestion de l’environnement classe les demandes en fonction de cinq thèmes : la gestion du sol, la gestion de l’eau, la gestion de la production, la gestion du fumier et la gestion énergétique. En 2016, grâce à cette initiative, la Nouvelle-Écosse a fourni un financement ciblé à des projets de puits et d’étangs, en faisant passer le niveau d’aide de 25 à 50 p. 100, pour aider les agriculteurs à mieux se préparer aux variations des précipitations.
Nous aidons aussi le secteur agricole à atténuer les répercussions de la volatilité du marché qui peut être touché par les changements climatiques. Cela inclut un solide programme d’assurance récolte et bétail et l’accès, par les intervenants de l’industrie, aux programmes fédéraux Agri-relance, Agri-investissement et Agri-stabilité, dans le cadre du plan Cultivons l’avenir 2. Il convient de souligner que le programme Agri-stabilité est conçu spécialement pour fournir une aide en cas de catastrophe dans les situations où des producteurs essuient d’importantes pertes financières indépendamment de leur volonté.
La Nouvelle-Écosse continue de s’efforcer de réduire les gaz et les émissions de gaz à effet de serre par l’intermédiaire du cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques. La Nouvelle-Écosse s’est engagée à créer un programme de plafonnement et d’échange pour respecter le modèle fédéral de tarification du carbone.
De façon générale, l’agriculture est une faible productrice d’émissions de gaz à effet de serre; elle est actuellement responsable d’environ 3 p. 100 des émissions, et ce secteur ne sera pas visé par le nouveau programme de plafonnement et d’échange. Cependant, nous reconnaissons que l’agriculture joue déjà un rôle important dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le captage naturel du carbone dans les sols grâce à l’utilisation de pratiques agricoles sans labour ou à un travail minimal du sol signifie que les terres agricoles font partie de la solution. La gestion du fumier et de l’azote, les gains d’efficience liés aux aliments pour le bétail et la production de bioproduits sont tous des occasions permettant de faire contrepoids à la production de carbone.
Nous sommes déterminés à prendre des mesures d’adaptation et à adapter notre secteur agricole en réaction aux répercussions des changements climatiques. Grâce à la gestion continue des mesures de réduction des émissions, aux programmes de rendement énergétique, aux travaux d’atténuation des inondations, aux programmes de gestion des risques d’entreprise et à l’augmentation de la superficie des zones protégées légalement, nous préservons et améliorons l’environnement et l’économie de la province pour les générations futures.
J’ai hâte de répondre aux questions des membres du comité. Encore une fois, merci de l’occasion que vous nous offrez de comparaître devant vous.
Avant de conclure, je tiens à vous présenter Loretta Robichaud, directrice principale du ministère de l’Agriculture, et Melissa Vieau et Mark MacPhail, des adjoints de direction de mon ministère. Merci beaucoup.
Le vice-président : Monsieur le ministre, madame la ministre, merci beaucoup de vos exposés, qui ont été très instructifs.
Nous allons maintenant passer aux questions de mes collègues. Nous allons commencer par le sénateur Doyle, qui est de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Doyle : Merci. C’était en effet très intéressant.
En tant qu’intervenants dans les secteurs de l’agriculture et de la foresterie, vous discutez continuellement des émissions de carbone et de l’empreinte carbone. On entend aussi dire que la réduction de l’empreinte carbone aura inévitablement un prix. Il est bien sûr difficile de déterminer quel sera ce prix à long terme.
Cependant, dans le secteur agricole, est-ce que les consommateurs sont bien informés et est-ce qu’ils comprennent bien le fait qu’ils devront peut-être payer un peu plus pour des denrées qui non seulement sont écologiques, mais qui sont produites de façon plus écologique? Est-ce que les consommateurs participent à des discussions à ce sujet de façon importante? Est-ce que l’homme ou la femme de la rue, si je peux m’exprimer ainsi, formule des préoccupations à ce sujet? Avez-vous des avis dont vous pourriez nous faire part, parce que nous entendons parfois dire que les consommateurs ne participent pas aux discussions sur la tarification du carbone, l’empreinte carbone et le résultat final auquel les consommateurs doivent peut-être s’attendre?
M. Colwell : C’est une très bonne question. Si vous me le permettez, je vais vous répondre de façon un peu différente.
La Nouvelle-Écosse compte le plus grand nombre de marchés agricoles par habitant du Canada. Habituellement, un marché fermier est composé de fournisseurs dont les produits sont un peu plus chers que ce qu’on trouve en général dans les épiceries normales. En outre, beaucoup des fournisseurs s’adonnent à un type d’agriculture plus traditionnel que ce qu’on voit du côté de l’agriculture de masse. Il y a donc beaucoup de personnes en Nouvelle-Écosse qui prennent le dossier très au sérieux. Ils veulent savoir d’où viennent leurs aliments. Ils veulent savoir de quelle façon on les produit. Ils sont prêts à payer un peu plus pour un produit de meilleure qualité. Je crois que cela répond en partie à la question. Ces personnes sont de plus en plus nombreuses, ce qui est très positif.
Le sénateur Doyle : Oui.
M. Colwell : Il y a aussi un groupe de personnes qui ne savent même pas d’où viennent leurs aliments. Ils croient que les aliments viennent tout simplement de l’épicerie, et je n’exagère même pas. C’est quelque chose que l’on constate un peu partout au pays parce que ces gens n’ont jamais vu de ferme. Ils n’ont jamais rien vu d’autre que l’intérieur d’une épicerie. Il y a donc des gens dans cette situation, et c’est un fait. Je ne sais pas d’où les gens pensent que leur nourriture vient, mais cette opinion existe.
Le sénateur Doyle : C’est vrai.
M. Colwell : C’est quelque chose que vous constaterez un peu partout au pays si vous posez la question.
J’imagine que, pendant trop d’années, nous avons été vraiment gâtés au Canada puisque nous pouvons nous rendre à l’épicerie et acheter tout ce que nous voulons, si nous pouvons payer. La plupart des gens au pays ne connaissent plus la faim, de nos jours, Dieu merci.
Il faut vraiment mieux informer les gens pour leur dire d’où leurs aliments viennent. Je sais qu’on le fait dans le cadre des programmes de mon ministère. Les responsables du programme Select Nova Scotia travaillent très dur sur ce dossier.
M. Colwell : Nous organisons des journées portes ouvertes dans les fermes, des événements fantastiques qui permettent aux gens de se rendre dans des exploitations agricoles. Cette année, nous avons connu la plus grande fréquentation à ce jour dans le cadre de ces événements. Nous nous rendons au centre commercial Mic Mac, un centre commercial local, et des animaux sont là. C’est une façon d’exposer beaucoup de personnes qui ne vont pas dans des fermes à ce genre de choses.
On constate que la production de produits agricoles augmente dans la province, ce que nous devons faire. Je suis extrêmement préoccupé par la sécurité alimentaire. Nous produisons maintenant environ 17 p. 100 de ce que nous consommons lorsqu’on s’en tient aux produits agricoles. Cependant, si on ajoute les produits de pêche, nous serions probablement presque autonomes si les gens acceptaient de manger du poisson chaque jour.
Cependant, c’est un dossier où il faut travailler beaucoup plus dur. C’est un domaine qui suscite beaucoup d’intérêt. Beaucoup de personnes dans la province commencent à se rendre compte qu’il y a un enjeu de sécurité alimentaire, et c’est un sujet dont je parle très souvent maintenant. Parfois, les gens confondent sécurité alimentaire et qualité des aliments. Il faut les deux, la qualité et la sécurité, mais il faut aussi un approvisionnement. Dans les faits, si nous étions laissés à nous-mêmes, si les digues débordaient dans la zone des marais de Trantamar, nous manquerions de nourriture. Les étagères se videraient probablement en un ou deux jours. Les gens achèteraient les aliments tout simplement pour les avoir. C’est donc un risque bien réel et un risque grave.
L’autre chose que nous voulons faire, c’est miser davantage sur des analyses climatiques détaillées. Nous essayons de mettre en place une série de stations de surveillance dans la province tout en utilisant mieux nos renseignements météorologiques. Par exemple, il y a eu une demande d’assurance l’année dernière dans le cadre de laquelle une famille affirmait qu’il y avait une sécheresse dans sa région. La station météorologique la plus proche, qui était quand même assez loin, dans un différent microclimat — la Nouvelle-Écosse est composée d’un très grand nombre de microclimats — indiquait qu’il y avait eu beaucoup de pluie. En réalité, nous n’avions aucune façon de prouver que cette ferme précise avait connu une sécheresse. Par conséquent, nous n’avons pas pu verser à cette famille une indemnisation dans le cadre du programme Agri-assurance, même si elle était assurée. C’est donc un problème grave. C’est un enjeu très complexe.
Le sénateur Doyle : Oui.
M. Colwell : Cependant, laissez-moi vous dire que nous avons un groupe de très bonnes personnes qui travaillent sur ce dossier dans notre ministère et par l’intermédiaire de la Fédération de l’agriculture. C’est un plaisir de travailler avec ces personnes, et il se passe beaucoup de bonnes choses.
C’était la réponse longue à votre question.
Le sénateur Doyle : Voilà une bonne réponse.
On a l’impression, lorsqu’on écoute les intervenants d’un peu partout au pays, que les gens se plaignent de l’impact de la tarification du carbone sur leur compétitivité, surtout lorsqu’on tient compte du fait qu’il n’y a pas d’harmonisation au niveau international. Est-ce que les provinces se penchent sur ce problème? Faut-il s’attendre à un tout nouveau domaine de compétitivité dans l’industrie agricole si la tarification du carbone aux États-Unis est différente de la tarification au Canada?
M. Colwell : Pour être franc, c’est un dossier plus important que ce à quoi je me suis intéressé. Je vais être honnête, mais, d’après ce que je comprends, la Nouvelle-Écosse respecte déjà toutes les exigences du gouvernement fédéral en matière de carbone. C’est la seule province au pays qui l’a fait.
J’en ai discuté avec le premier ministre très souvent, et, de toute évidence, notre secteur agricole ne sera pas touché par une taxe sur le carbone en ce moment. Il faudra attendre et voir de quelle façon se dérouleront les choses, bien sûr.
Le sénateur Doyle : Et pourquoi donc?
M. Colwell : Eh bien, nous serons exemptés de la taxe sur le carbone parce que notre empreinte carbone est déjà tellement faible. C’est seulement moins de 3 p. 100, et nous faisons des progrès afin de la réduire encore plus. L’industrie fait beaucoup de choses pour utiliser le fumier pour produire de l’électricité, et ces genres de choses permettront de beaucoup améliorer la situation.
Le sénateur Doyle : Oui. Merci.
Mme Miller : Merci, sénateur Doyle, de la question.
Avant que je ne devienne ministre des Ressources naturelles, j’ai aussi été ministre de l’Environnement de la Nouvelle-Écosse. C’est la raison pour laquelle j’en sais un peu plus à ce sujet. Nous travaillons tous au sein de notre propre ministère, et ces secteurs ne se chevauchent pas toujours.
Une partie du système de plafonnement et d’échange, la raison pour laquelle nous avons mis en place un tel système, c’était de réduire au minimum l’impact sur le portefeuille des Néo-Écossais. Idéalement, il y aura un impact minimal, lorsqu’il est question des entreprises de camionnage et des entreprises de carburant qui seront visées par le programme de plafonnement et d’échange parce qu’elles sont d’importants émetteurs. Il y aura un impact minimal sur les prix des carburants, mais pas autant que si nous avions tout simplement adopté un système de taxe sur le carbone. Dans un tel cas, tout le monde aurait payé, tout aurait été assujetti à un paiement.
À titre de comparaison, si je ne m’abuse, à l’époque où nous travaillions sur ce dossier, la Nouvelle-Écosse affichait les plus hauts prix de l’électricité. Je ne sais pas si l’Ontario nous a maintenant battus à cet égard. Cependant, c’était en raison des initiatives qui avaient déjà été mises en place pour réduire nos niveaux de GES. Vu ce que nous faisons actuellement, dans le cadre du programme de plafonnement et d’échange, je crois que seulement environ 20 industries seront visées, et elles s’efforceront d’échanger des crédits. Par conséquent, il faut s’attendre à un impact très minime sur l’industrie agricole.
Le sénateur Ogilvie : Madame la ministre Miller, j’ai deux ou trois questions à vous poser, surtout pour obtenir des précisions.
Vous avez mentionné que 40 p. 100 des forêts en Nouvelle-Écosse appartiennent à des intérêts privés. Le reste est-il entièrement composé de terres publiques ou y a-t-il d’autres catégories, en plus des terres privées et des terres publiques?
Mme Miller : Merci, monsieur le sénateur, de la question. Oui, c’est plus de 40 p. 100. Je crois que 70 p. 100 des forêts de la province appartiennent à des intérêts privés, tandis que 30 p. 100 appartiennent à l’État. Bien sûr, par l’intermédiaire du ministère des Ressources naturelles et du ministère de l’Environnement, nous nous efforçons d’atteindre notre objectif cible de 13 p. 100 de zones protégées. Nous en sommes actuellement à 12,39 p. 100. Nous espérons atteindre les 13 p. 100 l’année prochaine, environ. C’est notre plan. Voilà qui, selon moi, répond à votre question.
Le sénateur Ogilvie : Oui.
Les 40 p. 100, je crois que c’est ce que vous avez dit, en fait, étaient les propriétaires de lots boisés. Pouvez-vous préciser en quoi consistent ces 40 p. 100? Je ne vous ai peut-être pas bien entendue. Vous avez parlé de « 40 p. 100 » et vous parliez de propriétaires de lots boisés. J’ai peut-être mal compris ce que vous essayez de dire là.
Mme Miller : Le pourcentage, c’est que 18 p. 100 des entreprises sont des entreprises privées, et le reste sont des petits propriétaires de terres à bois.
Le sénateur Ogilvie : Pouvez-vous ventiler ces données pour moi? De quoi le reste est-il composé, en pourcentage?
Mme Miller : Je vais laisser ma sous-ministre répondre.
Le sénateur Ogilvie : On parle de 18 p. 100 de 40 p. 100?
Julie Towers, sous-ministre, ministère des Ressources naturelles, gouvernement de la Nouvelle-Écosse : La quantité de terres privées et de terres de la Couronne varie toujours un peu en raison d’acquisitions et d’aliénations, mais environ 35 p. 100 des terres sont publiques en Nouvelle-Écosse. En fait, 18 p. 100, c’est la superficie des terres appartenant à de grandes entités privées. On parle généralement ici d’entreprises de foresterie, de scieries, qu’elles soient actives actuellement ou qu’elles l’aient été dans le passé. Le reste, ce serait les petits propriétaires de lots boisés, les personnes qui possèdent 100 acres ici et là.
Le sénateur Ogilvie : Merci beaucoup. Vous avez très bien clarifié la situation pour moi.
Parmi ces petits exploitants de boisés, ce qui reste des chiffres qu’on vient de nous donner, quelles sont selon vous leurs deux principales préoccupations lorsqu’ils s’adressent au gouvernement de la Nouvelle-Écosse?
Mme Miller : C’est absolument la commercialisation. Dans la région ouest, il est évident qu’ils sont préoccupés par l’acheminement de leurs produits vers les marchés. Une grande scierie a fermé dans la région il y a plusieurs années, et cela a été dévastateur pour les marchés dans la région ouest. Je crois que ce serait l’enjeu unique le plus important : ne pas avoir de marché, ne pas avoir accès aux marchés pour certains produits ligneux de moindre qualité.
Le sénateur Ogilvie : Et quel est le deuxième enjeu en importance?
Mme Miller : Je suis tentée de dire la commercialisation et la commercialisation. Il semble s’agir d’un enjeu principal dont on entend parler. Ils se préoccupent peut-être un peu de la diversité et du fait de trouver des marchés de rechange pour les produits, qu’on parle de copeaux pour le chauffage ou ce genre de choses.
Le sénateur Ogilvie : Je vis dans une région où il y a beaucoup de petits propriétaires de boisés. Au cours des dernières années, depuis le gouvernement précédent, on a eu un problème important, et c’est la réglementation qui a été adoptée quant à l’utilisation que font ces propriétaires de leurs boisés privés. Bon nombre d’entre eux m’ont parlé de ces problèmes. Le plus important enjeu dont j’ai entendu parler, dans ma région, c’est celui des modifications apportées à la façon dont les propriétaires peuvent vraiment exploiter leurs terres. Il est ici question de zones humides, comme vous le savez. Est-ce une préoccupation qui s’est en grande partie évaporée pour les propriétaires de petits boisés?
Mme Miller : Assurément, nous respectons les propriétaires de petits lots boisés. Lorsqu’il est question de terres humides, on parle alors d’un problème environnemental auquel il faut s’attaquer.
Nous avons parlé à des propriétaires de petits lots boisés et à de grandes entreprises. J’ai mentionné l’étude qui se poursuit jusqu’en 2020. En fait, nous avons engagé M. Lahey, afin qu’il réalise une autre étude sur les pratiques de foresterie en Nouvelle-Écosse. Il rencontrera les gens, des intervenants comme ceux dont on parle, des propriétaires de petits boisés, et il pourra nous présenter une version à jour de la situation de l’industrie.
Les choses ont beaucoup changé en cinq ans. Qu’on parle des marchés mondiaux et des préoccupations environnementales, le monde est différent. On n’aurait pas pu penser que la Nouvelle-Écosse aurait autant changé en cinq ans.
M. Lahey produira un rapport tout à fait indépendant et complet, et il nous le présentera d’ici la fin de février. Nous aurons à ce moment-là des réponses plus concrètes. Nous pourrons vous en dire plus au sujet des principales préoccupations des propriétaires de petits lots boisés, qu’il s’agisse de préoccupations environnementales, de questions liées à la commercialisation ou encore de questions liées à là où nous en sommes et quelles orientations le gouvernement doit adopter.
Le sénateur Ogilvie : Monsieur le ministre Colwell, en ce qui a trait à l’agriculture en Nouvelle-Écosse, dans beaucoup de régions un peu partout au pays, on note une importante augmentation du nombre de petites fermes de 100 acres et ce genre de choses. Quelle est la situation, ici, en Nouvelle-Écosse, disons, au cours des 5 à 10 dernières années?
M. Colwell : La Nouvelle-Écosse compte le plus grand nombre de nouvelles fermes au pays. Il s’agit principalement de très petites fermes. Nous n’avons pas de grandes fermes comme on peut en voir dans les Prairies et dans des régions de ce genre. Cependant, nous possédons un bon échantillon d’exploitations agricoles très efficientes qui produisent un large éventail de produits; on parle ici principalement d’exploitations agricoles mixtes, et il y a aussi un certain nombre de petites organisations. Il y a des exploitations agricoles qui ont beaucoup de succès. Il y a une réelle diversité en Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Ogilvie : J’ai entendu à la radio récemment que plus de 90 p. 100 des nouvelles entreprises en démarrage en Nouvelle-Écosse étaient de petites exploitations agricoles de moins de 100 acres. La plupart d’entre elles comptaient, en fait, moins de 10 acres. Était-ce un commentaire raisonnable tiré de ce rapport?
M. Colwell : Oui, c’est le cas.
Le sénateur Ogilvie : Et ces fermes, de toute évidence, sont assurément des exploitations agricoles mixtes pour survivre sur de telles terres. D’après ce que j’ai compris, il est surtout ici question de gens qui veulent entrer dans le domaine agricole. Le coût des terres agricoles dans la vallée d’Annapolis est l’un des éléments les plus rentables que nous avons en fait actuellement au sein de la province lorsqu’il est question de ressources naturelles. On peut donc très bien comprendre à quel point il est difficile de créer une grande exploitation agricole en Nouvelle-Écosse. Cependant, je crois que c’est très encourageant de voir toutes ces petites exploitations agricoles.
Je vis dans la vallée. Je suis né à Summerville, dans le comté de Hants. Quand j’étais petit, il y avait seulement des petites exploitations de 100 à 200 acres. Une bonne partie de ces terres ne sont plus utilisées à des fins agricoles aujourd’hui, mais elles restent très productives. Je crois que c’est très encourageant de voir le nombre de petites exploitations agricoles et d’exploitations agricoles mixtes qui reprennent leurs activités.
M. Colwell : Oui, et c’est difficile de pénétrer dans le domaine agricole de nos jours parce qu’il est quasiment impossible pour quelqu’un d’acheter une grande exploitation agricole dans la province s’il n’est pas un membre de la famille ou sans plan de transition. Les fermes sont tout simplement trop onéreuses. Ce n’est pas seulement les terres; il y a l’équipement, aussi. Les coûts d’équipement sont extrêmement élevés, et il y a toute l’expertise qu’il faut posséder dans ce domaine, de nos jours. Cependant, nous avons beaucoup de très bons agriculteurs dans la province.
De petites exploitations agricoles apparaissent. J’ai appris il y a un certain temps qu’un agriculteur a gagné plus d’un quart de millions de dollars durant une année avec seulement deux acres. Par conséquent, ces producteurs obtiennent des produits de très grande valeur.
On en revient à la première question qui a été posée. Les gens sont prêts à payer un peu plus, un prix un peu plus élevé, mais c’est là l’exception, et pas la règle. C’est possible de le faire sur une petite exploitation agricole, et c’est bien de voir les gens qui le font.
Aussi, je crois qu’il y a beaucoup de personnes en Nouvelle-Écosse qui veulent adopter un mode de vie différent, un mode de vie un peu plus détendu, et une ferme est assurément propice à ce genre de choses jusqu’à ce qu’on soit confronté aux résultats en fin d’année, et là, parfois, ce n’est pas très agréable. Cependant, c’est très bien, et je crois que c’est la raison pour laquelle nos marchés fermiers prennent autant d’expansion aussi.
Le sénateur Ogilvie : Je ne crois pas que, par « détendu », vous vouliez dire, « pas occupé ».
M. Colwell : Non.
Le sénateur Ogilvie : La plupart des petits agriculteurs que je connais considèrent qu’ils sont très occupés.
M. Colwell : Au moins vous n’avez pas à composer avec la circulation et tout le reste comme nous le faisons ici; c’est un emploi extrêmement accaparant.
Je suis né sur une ferme. Ce n’était pas vraiment une petite ferme, mais c’était une ferme familiale depuis les années 1700. C’est beaucoup de travail, sept jours par semaine, mais même une petite ferme permet d’adopter un mode de vie différent, et c’est le genre de mode de vie que les gens recherchent.
Le sénateur Ogilvie : Merci.
Le vice-président : Madame la ministre Miller, dans votre exposé, vous n’avez pas mentionné le conflit du bois d’œuvre avec les Américains et ses répercussions. Dans le conflit précédent, les Maritimes avaient été exclues en raison de la façon dont les choses sont produites, ici. En ce qui a trait aux taxes ou droits extrêmes que les Américains ont imposés sur le bois d’œuvre, croyez-vous qu’il y aura un effet à court terme et, évidemment, un effet à long terme sur l’industrie, ici?
Mme Miller : Merci, monsieur le sénateur.
Nous avons beaucoup d’espoir. La Nouvelle-Écosse a fait du très bon travail. Nous ne subventionnons pas notre bois d’œuvre, ce qui le rend plus compétitif et plus conforme à ce à quoi on peut s’attendre lorsqu’on exporte du bois d’œuvre. Nous espérons vraiment que la réaction sera celle qui est attendue.
Ce sera un monde différent si les choses changent de façon marquée dans le dossier du bois d’œuvre. J’ai beaucoup d’espoir. J’aime être positive, si je peux m’exprimer ainsi.
Sachant que nous faisons du bon travail et sachant que nous avons une excellente équipe qui travaille sur le dossier en Nouvelle-Écosse et pour le Canada, j’espère que le résultat sera positif et que nous pourrons aller de l’avant. Si ce n’est pas le cas, ce sera une situation très différente, et nous verrons ce que l’avenir nous réservera.
Ce que nous faisons, c’est que nous cherchons des marchés à l’extérieur des États-Unis : nous tentons d’établir plus de marchés dans différents pays. Je crois que nous avons déjà des interactions avec la Chine et que nous avons trouvé d’autres marchés ailleurs sur la planète.
Le vice-président : Merci.
La sénatrice Tardif : Merci, madame la ministre, monsieur le ministre, d’être là ce matin en compagnie de vos équipes. Le comité l’apprécie beaucoup.
Monsieur le ministre Colwell, vous avez mentionné que, afin d’aider les agriculteurs à mieux composer avec les effets des changements climatiques, vous mettez en place différentes pratiques de gestion du sol, de l’eau, des produits, du fumier et de l’énergie. J’ai trois questions connexes à poser.
Ces approches sont-elles propres aux secteurs? Y a-t-il un fardeau économique sur les producteurs lorsqu’on adopte certaines de ces approches? Et est-ce que les agriculteurs sont ouverts à l’idée de modifier leurs pratiques?
M. Colwell : Eh bien, lorsque je suis devenu ministre, il y a près de quatre ans, je vous aurais dit que les agriculteurs ne sont pas nécessairement ouverts au changement. Cependant, je peux vous dire que, avec le temps, cela a vraiment changé.
Notre industrie du vison a eu un problème majeur, et les intervenants de ce secteur ont vraiment relevé le défi, même durant une période où ils essuyaient des réductions des prix de leurs produits. Ils ont mis en place des pratiques de gestion du fumier qui, en fait, étaient prévues dans la loi. Il y a eu quelques plaintes au départ, mais, au bout du compte, ils ont fait du très bon travail.
Nous constatons que de plus en plus d’intervenants de l’industrie relèvent le défi et essaient de trouver des solutions en collaboration avec nous ou à eux seuls. Il y a beaucoup d’intérêt généré par les biocarburants produits à partir de fumier. De telles pratiques ont deux buts : on élimine les gaz qui causent des problèmes environnementaux et on en fait de l’électricité, ce qui est très positif pour nous.
Je dirais que, de façon générale, l’industrie est très ouverte à ce genre de choses. Les intervenants voient l’avenir de l’industrie agricole en Nouvelle-Écosse. Les grandes exploitations agricoles ont probablement un peu d’avance dans de nombreux cas. Je vais vous donner un exemple.
Il y a une entreprise qui envoie du brocoli dans le sud des États-Unis, dans les Carolines, pour être exact. Les Carolines se sont tellement réchauffées qu’il n’est plus possible d’y faire pousser du kale. Ils ont donc posé la question suivante : « Pourquoi n’essayez-vous pas de faire pousser du kale en Nouvelle-Écosse? » À titre d’expérience, 10 acres de kale ont été plantées à l’aide de pratiques agricoles mises au point ici. Au bout du compte, on a découvert qu’on pouvait produire quatre fois plus de kale que ce qu’on produisait par acre dans les Carolines. Les représentants des Carolines sont venus ici pour voir ce qui se passait et ont dit : « Nous ne pouvons pas le faire, c’est trop chaud. » C’est une innovation qu’on doit à un des agriculteurs.
On a noté une importante augmentation de la productivité dans nos champs de bleuets, ce qui est problématique pour nous du côté de la commercialisation. Les marchés n’ont pas disparu, en fait, ils ont augmenté de façon importante. À l’aide de la science et de la technologie permettant de mettre de tels changements en place, on a vraiment changé la donne en ce qui concerne notre productivité. En d’autres mots, il n’est plus nécessaire d’utiliser autant d’acres pour obtenir la même production. C’est donc quelque chose qui a aidé.
Le collège d’agriculture et l’un des fabricants d’équipement ont créé un dispositif d’arrosage. Eh bien, c’est quelque chose que vous devriez voir. C’est à la fine pointe de la technologie à l’échelle internationale. L’appareil peut en fait identifier les mauvaises herbes et arroser seulement ces plantes tandis qu’il chemine dans les champs à environ 20 kilomètres-heure. L’appareil est doté de caméras haute vitesse. Il y a un vaporisateur fixé à chaque caméra, et seules les mauvaises herbes sont visées. Il n’y a donc aucun herbicide sur quoi que ce soit à part les mauvaises herbes dans les champs de bleuets. C’est une percée. On a pu ainsi économiser environ 54 000 $ par acre par année, ce à quoi s’ajoutent les bénéfices pour la santé et les bénéfices généraux en ce qui a trait aux coûts énergétiques.
Ce ne sont là que deux ou trois exemples de choses qui se sont produites. L’industrie fait vraiment preuve d’innovation, et nous sommes chanceux de compter sur des universités vraiment excellentes qui nous aident à faire ces choses ici même.
La sénatrice Tardif : Merci. C’est probablement la question de suivi que je vous aurais posée.
Je veux revenir sur ce que vous avez dit au sujet des champs de bleuets et de l’instrument. Quelle mesure incitative prévoyez-vous pour les universités? Y a-t-il une subvention? Travaillez-vous en partenariat avec des universités pour mettre au point ces nouveaux instruments? Quelles mesures incitatives donnez-vous aux producteurs agricoles afin qu’ils améliorent leurs pratiques et deviennent plus résilients aux changements climatiques?
M. Colwell : Je sais que l’ancien programme Cultivons l’avenir 2 et le nouveau programme qui est maintenant en place, le Partenariat canadien pour l’agriculture, le PCA… Je l’oublie toujours celui-là. Nous continuons d’appliquer l’initiative Cultivons l’avenir 2 jusqu’à ce que celui-là soit en place, et je remercie le gouvernement fédéral, parce que c’est vraiment quelque chose dont nous avons désespérément besoin, en Nouvelle-Écosse. Cependant, dans le cas de ce programme, nous réalisons certains projets scientifiques et de recherche et développement.
Ce que nous avons fait, ici, au cours des trois dernières années, c’est vraiment de tout resserrer. Nous voulons nous assurer de ne pas faire des recherches simplement pour le plaisir. La recherche théorique, c’est fantastique, et il faut en faire beaucoup, mais il doit y avoir un lien direct entre l’industrie agricole et les besoins auxquels répond la recherche. Par conséquent, nous avons modifié les programmes et mis plus de critères de responsabilité en place afin que, au bout du compte, nous puissions obtenir plus de réussites comme le système d’arrosage et l’augmentation de la productivité dans les champs de bleuets, pour ne nommer que ceux-là.
Nous avons fait beaucoup de choses. Nous sommes devenus plus proactifs avec l’industrie et collaborons plus étroitement avec elle. Elle nous dit là où nous devons être. Certaines exploitations agricoles et certains endroits ont besoin de choses précises afin d’accroître leur efficience, et nous allons habituellement tenir compte de leurs besoins afin qu’ils puissent devenir plus efficients.
De façon générale, les choses ont très bien fonctionné, et l’industrie a très bien réagi. Nous avons financé deux ou trois chaires de recherche, ce qui sera très bénéfique à long terme pour la province.
Nous sommes donc sur la bonne voie. C’est un processus lent et très méticuleux, parce que chaque exploitation agricole est un peu différente de celle qui est située juste à côté en raison de nos climats uniques. Il y a des microclimats dans la province qui sont incroyables. Je ne m’en étais jamais vraiment rendu compte avant de devenir ministre de l’Agriculture.
La sénatrice Tardif : Merci, monsieur le ministre.
La sénatrice Gagné : Avant de poser ma question, je tiens à mentionner que le comité s’est rendu à Shanghai l’automne dernier. Je tiens à féliciter votre gouvernement des excellents exposés que vous avez présentés durant cette foire. Vous étiez très bien organisés et très présents durant la foire. C’était la foire agricole, la foire la plus importante du monde, et j’ai été très impressionnée.
Le vice-président : Le ministre Colwell était là.
La sénatrice Gagné : Merci.
Madame la ministre Miller, vous avez mentionné qu’une intendance partagée était essentielle à la durabilité à l’avenir. Je crois que c’est très important. Nous avons parfois tendance à travailler de façon isolée les uns des autres, et je me demandais s’il y a un lien entre le secteur forestier et le secteur agricole qui permet aux deux secteurs de partager leurs connaissances et leurs pratiques exemplaires. Je crois que nous sommes dans une nouvelle bioéconomie. Je me demandais quelles mesures vous avez mises en place pour assurer le transfert des connaissances entre ces deux secteurs.
Mme Miller : Merci de la question.
Je ne crois pas que nous ayons des programmes précis visant à permettre le partage, mais je peux vous dire que, en tant que gouvernement, nous n’avons pas travaillé de façon isolée. Nous réalisons beaucoup de projets pluriministériels, et beaucoup de choses sont en cours. En fait, nous travaillons très dur pour éliminer les cloisonnements entre les ministères. Nous sommes tous assis autour de la table, et à plusieurs reprises nous avons constaté différents enjeux qui étaient soulevés et qui concernaient l’agriculture, l’environnement et le ministère des Ressources naturelles. Nous réunissons tous les intervenants à la table, nous discutons, et nous éliminons les obstacles. Cette méthode a s’est révélée très efficace.
Nous avons parlé des petites entreprises et du secteur forestier. J’espère que vous ne m’en voudrez pas si je réponds à une autre question. C’est en réaction à un commentaire au sujet des propriétaires de lots boisés privés et leur préoccupation. En tant que gouvernement, nous travaillons très dur. Nous avons mis en place un système pour déterminer de quelle façon les traitements sur nos terres publiques sont appliqués, qu’il s’agisse d’un abattage total, partiel ou sélectif… En fait, la façon dont on procède.
Les limites imposées sur les terres publiques n’existent pas sur les terres privées. Les propriétaires terriens privés ont la capacité de faire ce qu’ils veulent sur leurs terres en ce qui a trait à l’abattage, tant qu’ils tiennent compte des facteurs environnementaux sensibles.
Je tenais à le dire parce que je croyais qu’il était important de reconnaître que le défi que nous devons relever en tant que gouvernement, c’est qu’on ne peut pas vraiment dire à un propriétaire de lots boisés privés : « Non, vous ne pouvez pas procéder à une coupe à blanc sur votre terre même si c’est ainsi que vous aurez le plus d’argent », situation qui se produit. C’est de cette façon qu’ils peuvent gagner le plus d’argent. Ils devraient peut-être envisager différentes techniques de gestion.
C’est la raison pour laquelle j’ai hâte de lire le rapport de M. Lahey et de savoir ce qu’il pense de tout ça.
Permettez-moi de lire ces notes de mon collègue. En fait, je vais demander à la personne qui m’écrit les notes de répondre à votre question. Il…
Mme Towers : Bruce et moi allons travailler en équipe sur certains éléments. C’est un domaine dont s’occupe Bruce relativement à la recherche en foresterie.
Vous avez posé une question au sujet des programmes. Nous avons quelques choses. Il y a un groupe de travail interministériel sur la politique agricole, alors on encourage la collaboration au niveau des politiques.
Il y a quand même pas mal de recherches sur les sols et d’activités de cartographie. Bruce peut vous en dire plus à ce sujet.
De plus, puisque nous avons des pépinières pour faire pousser des semis, nous interagissons avec Perennia, une entreprise d’innovation agricole.
N’oubliez pas que, sur les plus de 30 000 lots boisés privés en Nouvelle-Écosse, il y a beaucoup de boisés de fermes; qu’ils soient actuellement exploités ou qu’ils l’aient été dans le passé, ils comptent des terres agricoles et des forêts aussi. Notre Fédération de l’agriculture travaille régulièrement avec Forest Nova Scotia sur l’ensemble de ces genres d’enjeux, qu’il soit question de l’accès à des terres privées ou de quoi que ce soit d’autre.
Je vais céder la parole à Bruce, s’il veut ajouter quelque chose à ce que je viens de dire.
Bruce Stewart, gestionnaire, Recherche et planification forestières, ministère des Ressources naturelles, gouvernement de la Nouvelle-Écosse : Je ne vais pas ajouter grand-chose à ce que Julie vient de dire. L’un des projets importants actuellement en cours, c’est la cartographie des sols, un projet d’analyse des nutriments. Nous travaillons en collaboration avec le Collège d’agriculture de Dalhousie pour mieux connaître les régimes nutritifs dans les sols à l’échelle de la province. Du côté de la foresterie, nous sommes surtout intéressés par ce projet pour des raisons de gestion forestière, même si, du côté agricole, on utilise aussi ces renseignements et on les intègre dans des cartes pédologiques mises à jour, pour mettre à jour les anciennes cartes pédologiques d’Agriculture Canada.
Nous avons travaillé par le passé avec le centre de recherche de Perennia sur les débouchés en agroforesterie. Notre pépinière compte un certain nombre de projets de recherche sur les cultures au soleil qui seraient considérées comme de l’agroforesterie, et nous travaillons plus activement avec Perennia à l’étude d’autres débouchés.
Mme Towers : Il y en a un de plus que j’ai presque oublié de mentionner. Notre service de la faune au ministère, depuis probablement 15 ans, travaille en collaboration avec certaines organisations nationales de la faune. Le financement accordé à la province est destiné à des travaux sur la biodiversité agricole. Ainsi, on travaille avec les agriculteurs sur les plans des fermes. Parallèlement à l’élaboration de plans environnementaux des fermes, ils élaborent également des plans en matière de biodiversité. Cela a trait à la façon dont ils peuvent intégrer des éléments de biodiversité dans leurs pratiques agricoles. Cela s’est très bien passé. Le projet a reçu une grande reconnaissance. Il comprend Canards Illimités, Habitat faunique Canada, et cetera.
Le vice-président : Les ministres ont mentionné des types de sol dans leur exposé. D’après vous, quels sont les résultats des études que vous réalisez sur les types de sol? Est-ce que cela améliore les rendements ou s’agit-il de comprendre quelle terre serait la meilleure à mettre en production ou à retirer de la production?
M. Colwell : Nous avons beaucoup de chance en Nouvelle-Écosse. Nous avons des sols uniques. J’ai brièvement évoqué l’industrie du vin en Nouvelle-Écosse. Les gens ne sont pas toujours d’accord avec la déclaration que je vais faire, mais nous avons probablement les meilleurs vins pétillants — nous ne pouvons pas les appeler des champagnes — au monde maintenant, ou presque. Nous avons des conditions de croissance uniques.
C’est la même chose pour nos pommes. L’an dernier, nos pommes Honeycrisp se vendaient 5,99 $US la livre en Floride. Tout près, suivaient les pommes Honeycrisp cultivées biologiquement, en Oregon, à 4,99 $ la livre. Celles à 4,99 $ la livre étaient dans un petit conteneur, et les pommes Honeycrisp de la Nouvelle-Écosse étaient dans un énorme conteneur, et nous avons tout vendu l’année dernière. Nous avons entièrement vendu les pommes à valeur élevée, les Honeycrisp, Sweet Gala, Tangos et d’autres variétés. L’approche est donc tout à fait différente.
L’industrie du vin a connu la même chose. Nous sommes petits; nous ne pouvons pas nous comparer, au chapitre de la taille, à la Colombie-Britannique ou à l’Ontario. Nous sommes là où l’Ontario était il y a environ 25 ans. Toutefois, un de nos très petits vignobles est allé en Champagne, en France, et a affronté les champagnes français. Bon, nous ne pouvons pas l’appeler champagne, parce que cette appellation n’est permise que pour le vin produit en Champagne, en France, mais son vin a gagné la médaille d’or.
Les organisateurs ont dit : « Eh bien, ce n’est pas possible. » Ils ont pris les bouteilles et les ont placées dans des sacs en papier brun. Certains d’entre vous pourraient se souvenir du type sur le banc de parc avec son sac en papier brun. Ils ont mis tout le vin dans un sac en papier brun et, surprise! notre vignoble a gagné la médaille d’argent. Les organisateurs n’avaient donc d’autre choix que de la leur remettre. C’est la première médaille du genre au monde qui a été remportée en dehors de la Champagne, en France. L’histoire a provoqué une onde de choc dans le système. L’entreprise vinicole est L’Acadie, une très petite exploitation.
Une autre de nos entreprises vinicoles a été désignée comme l’un des 14 meilleurs vignobles au monde pour la production des vins de type champagne. Il y a eu une histoire au sujet d’un restaurant primé par le guide Michelin à Londres; le vin de cette entreprise vinicole figure désormais sur son menu. Nous voyons donc de grandes possibilités pour la Nouvelle-Écosse.
La valeur des terres dans la vallée… Attention! Certaines se vendent déjà jusqu’à 20 000 $ l’acre pour un vignoble. En Ontario, le prix est de 35 000 $ l’acre, et il est de 140 000 $ en Colombie-Britannique; pour ce prix, vous obtenez un terrain en friche, avec des arbres.
Nous sommes en train de nous tailler une réputation de producteurs de vin de très grande qualité, et cela a surtout à voir avec le fait que notre ministère travaille avec l’industrie. Toutefois, les entrepreneurs ont vraiment décidé que c’était une excellente occasion pour la Nouvelle-Écosse.
Quand on regarde les différentes conditions de sol que nous avons ici, le changement climatique, jusqu’ici, a été positif à cet égard. Mais nous avons encore beaucoup de problèmes, comme nos microclimats. Nous devons vraiment mettre en place un réseau de stations d’épreuves afin que nous puissions vérifier à quel endroit le climat est le meilleur pour cultiver un produit donné. Le chou kale est un exemple de produit que nous n’avions jamais cultivé auparavant, et nous cultivons d’autres produits.
Les pommes ont toujours eu une histoire en Nouvelle-Écosse. Si vous n’avez pas vu de verger de pommiers moderne, il est difficile de le distinguer d’un vignoble. Ils poussent droit et sont montés sur treillis, sauf que les arbres sont un peu plus grands que les vignes.
Une grande partie de la technologie a été mise au point en Nouvelle-Écosse par l’entremise du centre de recherche fédéral. Ces pommes sont l’œuvre du gouvernement fédéral.
Perennia a été mentionnée à quelques reprises. Perennia est une entreprise. Je possède Perennia, tant que je suis ministre, bien sûr. C’est un endroit unique qui amène des idées jusqu’à un produit final, et les responsables l’ont fait avec beaucoup de succès.
Un projet qui suscite mon enthousiasme se déroule dans le cadre d’une collaboration étroite entre Ressources naturelles et nous-mêmes. Nous sommes au milieu du plus grand projet de chaulage de l’histoire en Amérique du Nord, sur la rivière West, à Sheet Harbour. En ce moment, je porte mon chapeau du ministère des Pêches, mais le projet a également d’énormes répercussions pour l’industrie forestière.
Le sol de la Nouvelle-Écosse est très acide. Dans cette rivière en particulier, il est si acide qu’il décolore l’aluminium du sol. Il y a longtemps, lorsque j’étais ministre, j’ai rencontré mon directeur de l’agriculture, ainsi que des personnes au ministère des Pêches, et j’ai posé cette question: « Là où les agriculteurs épandent de la chaux dans les champs, avez-vous des problèmes avec le pH dans les rivières ou les ruisseaux? » Ils ont répondu : « Non, aucun. »
Curieusement, je n’en avais jamais parlé auparavant, juste parce que je n’avais jamais eu à le faire. Nous avons donc examiné un projet avec la Nova Scotia Salmon Association, qui travaille sur la rivière West. Les responsables n’avaient pas les ressources nécessaires pour chauler le cours d’eau, alors nous avons abordé Ressources naturelles, et les ministres successifs de ce ministère ont été très favorables. Résultat : le niveau de pH monte dans la rivière. De même, nous effectuons l’épandage de chaux du haut des airs sur la terre, non pas dans l’eau, et cela aidera aussi la zone forestière. Cette région est un très bon producteur de bois d’œuvre et de pâte à papier. Cela aidera les deux secteurs.
Les Norvégiens ont fait cela pendant des années. Dans 25 à 50 ans, cet épandage améliorera le sol et l’eau. Nous avons déjà constaté une augmentation considérable du saumon atlantique dans la rivière. Il était presque disparu. C’est donc un excellent projet mené de concert par la Scotia Salmon Association, la Fondation internationale pour le saumon de l’Atlantique, Ressources naturelles, le ministère de l’Agriculture et le ministère des Pêches.
Lorsqu’ils ont mis cela en place, même Northern Pulp, qui a parfois mauvaise réputation dans la province, a été la première entreprise à s’inscrire pour offrir de l’aide. Les responsables sont réellement intervenus et ont beaucoup changé les choses pour l’ensemble du projet. C’est une coopération.
Je vais m’arrêter là, parce que je pourrais en parler pendant des heures. C’est absolument passionnant.
Le vice-président : Les deux ministres ont parlé de l’absence de cloisonnement dans cette industrie et de l’interaction entre les ministères. Cela va-t-il au-delà de Ressources naturelles, de Pêches et d’Agriculture? D’autres ministères interviennent-ils dans l’élimination de ce cloisonnement et contribuent-ils à la réussite des secteurs des ressources naturelles et de l’agriculture?
M. Colwell : Eh bien, je crois que oui. Nous avons des équipes de projet maintenant dans la province. S’il y a un problème, nous travaillons en étroite collaboration avec tous les ministères. Inutile de dire que mes deux ministères travaillent en étroite collaboration. Je suis le ministre responsable des deux, alors ça aide. Mais Ressources naturelles est un partenaire formidable pour ce qui est de répondre à nos besoins respectifs. C’est extraordinaire de travailler avec le ministère des Transports et du Renouvellement de l’infrastructure. Tous les ministères travaillent très bien ensemble, et c’est une excellente façon de travailler.
La ministre Miller peut en parler plus que moi.
Mme Miller : L’environnement est l’un des autres exemples. Le rôle de l’environnement a maintenant vraiment changé et a pris de l’ampleur au sein de plusieurs ministères. Les services d’inspection et les agents de conservation relèvent désormais du ministère de l’Environnement. L’inspection des aliments passe par Environnement.
Nous disposons d’un système de surveillance à la fine pointe de la technologie grâce au ministère de l’Environnement qui supervise de nombreux ministères et de nombreuses lois. Cela favorise nos interactions. Lorsque Environnement constate un problème avec quelque chose qui vient soit des agents de conservation soit des inspecteurs des aliments, les responsables interagissent avec tous les ministères pour tenter de résoudre les problèmes. Cela fonctionne très bien.
Nos sous-ministres se réunissent régulièrement. Nos chefs de cabinet se réunissent régulièrement à l’échelle du gouvernement. Nous avons des équipes d’initiatives stratégiques qui s’adressent à tous les ministères par l’entremise du bureau du premier ministre afin qu’il n’y ait pas de portes closes. Il n’y a pas d’obstacles. S’il se passe quelque chose en Nouvelle-Écosse, un large éventail de personnes savent ce qui se passe, s’en occupent et vont de l’avant.
J’ai d’autres notes ici concernant la collaboration autochtone. À ce sujet, je remercie Julie. C’est incroyable, et ça ne fait que continuer.
Julie est une ancienne PDG du Bureau des affaires autochtones, et cela fonctionne très bien en collaboration avec Ressources naturelles. Je vais laisser Julie prendre la parole à ce sujet.
Mme Towers : Nous sommes centralisés dans la façon dont nous organisons la consultation avec des Autochtones. Il y a un Bureau des affaires autochtones qui travaille avec tous les ministères responsables et les ministères axés sur les ressources. Agriculture, Pêches, Ressources naturelles, Environnement et Énergie interagissent régulièrement avec les Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse. Je sais que vous entendrez la confédération plus tard.
L’un des autres programmes que nous avons mis en place concerne les terres et l’accès aux terres pour les Mi'kmaq. Nous avons constaté un certain changement, car leur intérêt initial était davantage axé sur les terres boisées, mais ils s’intéressent de plus en plus aux terres agricoles potentielles, ce qui leur permet d’examiner des aspects du développement économique pour leurs collectivités. Nous commençons à observer ce changement également.
La sénatrice Gagné : Et qu’en est-il d’Ottawa? Qu’en est-il du gouvernement du Canada? Comment se passe cette relation en ce qui concerne la foresterie et l’agriculture?
Mme Miller : Comme je suis relativement nouvelle dans ce secteur, j’ai participé à mes premières réunions des ministres des ressources naturelles, mais les choses ont été très positives. Nous semblons être sur la même longueur d’onde. Nos enjeux sont les mêmes : qu’il s’agisse des exportations de bois d’œuvre résineux ou du travail avec les collectivités autochtones. Il s’agit d’un gros problème à l’échelle fédérale et provinciale, tout comme bien d’autres choses.
Je ne pense pas que cela s’arrête à un échelon. C’est un gouvernement très coopératif. Je n’ai vu aucun problème du côté de l’environnement. Nous avons veillé à ce que le ministère de l’Environnement en Nouvelle-Écosse devienne partie au cadre pancanadien sur les changements climatiques. Nous avons quelque chose qui va de l’avant maintenant qui sera utile à cet égard. Je pense que Jason peut probablement vous en parler davantage.
Mais nous sommes très coopératifs. Je quitte ces réunions avec un sentiment très agréable au sujet de l’état de notre province et de notre pays.
La sénatrice Gagné : Pourriez-vous être plus précise quant aux recommandations que nous pourrions faire en tant que comité concernant les effets du changement climatique sur les secteurs de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la foresterie? Quelles recommandations pourrions-nous faire au gouvernement afin d’aider la Nouvelle-Écosse à planifier et à atténuer les effets du changement climatique?
Mme Miller : Merci. Je vais céder la parole à Bruce Stewart, qui sera certainement en mesure de répondre et de vous donner sa liste de souhaits.
M. Stewart : La semaine dernière, j’étais à Ottawa pour me joindre au SCF et aux représentants de partout au pays qui ont entrepris un exercice de planification stratégique, qu’ils appellent un dialogue entre sciences politiques, auquel ils mettront un terme le printemps prochain.
J’ai également travaillé plus tard au cours de la semaine avec les gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et les premiers ministres de l’Est du Canada sur des initiatives liées au changement climatique et à la connectivité; là encore il s’agissait de vastes administrations.
La semaine prochaine, j’assisterai à une réunion à Fredericton pour étudier les propositions de subvention de recherche du CRSNG en matière de changement climatique.
Toutes ces choses nécessitent un financement, bien sûr, et la capacité de collaborer. Vous posiez des questions sur la collaboration, et c’est vraiment la caractéristique principale de l’époque dans laquelle nous vivons.
En ce qui a trait à la capacité de faire sortir nos chercheurs et d’interagir avec de vastes administrations, les problèmes se compliquent, et vous ne pouvez pas aborder la plupart d’entre eux dans votre propre province ou administration. Vous devez être en mesure d’interagir à l’échelle nationale et internationale dans le cadre de conférences et d’ateliers. Nous avons besoin de bons moyens de communication pour le faire et d’un accès à des programmes. Il y a donc des propositions de programme qui sont maintenant liées au changement climatique, et qui comportent divers volets, et nous devons y participer en Nouvelle-Écosse.
Les montants d’argent et l’envergure de ces projets de recherche sont assez importants. Encore une fois, c’est plus que ce qu’une seule administration de la taille de la Nouvelle-Écosse peut faire elle-même. Nous devons donc être en mesure de participer et d’accéder à cette science à l’échelle nationale.
M. Colwell : Nous travaillons sur des choses très précises. Nous avons vraiment besoin d’un meilleur réseau de stations de surveillance météorologique : précipitations, écarts de température, heures d’ensoleillement. À cause de nos microclimats, nous pouvons repérer quelque chose à un demi-kilomètre de distance qui pourrait parfaitement convenir pour un autre type de culture auquel nous n’aurions jamais pensé. Nous devons faire cela, ce qui prend du temps.
Nous devons faire des choses très précises, je crois. Vous avez évoqué la coopération. La coopération entre mes deux ministères et le gouvernement fédéral est incroyable. C’était formidable de travailler avec les ministres. Ils écoutent et nous donnent habituellement la direction dans laquelle nous pouvons travailler ensemble, et cela a été très positif. J’ai été ministre il y a des années, et ce n’était pas toujours le cas. À présent, c’est complètement différent. C’est fantastique de travailler avec le ministre de l’Agriculture.
Nous avons négocié le remplacement de Cultivons l’avenir 2, soit le Partenariat canadien pour l’agriculture. Nous avons fait quelques suggestions qui ont été prises en considération et, au bout du compte, nous sommes arrivés à bon port. Cela a permis de mettre en place des programmes qui nous aideront à aller de l’avant dans la province, ce dont nous avons désespérément besoin.
Je suis très préoccupé par l’approvisionnement alimentaire dans la province, dans le pays, du point de vue de la sécurité. Je pense que nous devons faire plus à cet égard. Nous devons vraiment insister sur ce point. Nous en parlons ici depuis probablement un an environ. Regardez les études réalisées par les Nations Unies selon lesquelles nous n’aurons pas assez de nourriture. Cela a été fait il y a environ cinq ans maintenant, je pense. Dans 20 ans, il n’y aura pas assez de nourriture pour nourrir le monde. À ce moment-là, 65 p. 100 des membres de la classe moyenne dans le monde seront en Asie.
J’apprécie les commentaires sur nos voyages en Asie. Nous avons beaucoup travaillé. Le premier ministre me dit que je devrais avoir une maison en Asie, mais il ne cesse de m’y envoyer. Quand vous revenez, ce n’est pas drôle parce que vous êtes complètement épuisé. Mais nous réalisons des progrès importants là-bas qui, je pense, aideront tous les Néo-Écossais et, en fait, tout le Canada. C’est une direction dans laquelle vous devez établir des relations, et c’est un long périple.
Mais dans l’ensemble, je suis très satisfait de mes ministères — et j’entends la même chose de la part de mes collègues — et de leur interaction avec le gouvernement fédéral.
Le vice-président : Madame Miller.
Mme Miller : M. Hollett souhaite formuler quelques commentaires.
Le vice-président : Oui, je vous en prie.
Jason Hollett, directeur général, ministère de l’Environnement, gouvernement de la Nouvelle-Écosse : Merci, monsieur le sénateur. Je voulais simplement réitérer les sentiments des ministres, qui estiment que les relations avec le gouvernement fédéral ont été très positives récemment sur le sujet, en particulier sur la croissance verte et le changement climatique.
Je ferais également l’écho des commentaires du ministre Colwell sur la nécessité d’améliorer les données et la recherche. En fait, c’est le fondement des mesures que nous devons élaborer au cours des prochaines années pour mieux comprendre les impacts du changement climatique, en particulier, mais aussi dans les industries primaires. Le soutien du gouvernement fédéral est nécessaire à ce chapitre.
Un autre commentaire que nous aimons aussi faire régulièrement, c’est qu’on travaille beaucoup actuellement sur de nombreux enjeux au pays, mais les petites administrations ont parfois du mal à suivre le rythme. Nous avons en général un plus petit effectif qui se consacre à ces questions, et il y a beaucoup d’efforts consentis à cet égard.
Dans mon domaine d’expertise, il existe des dizaines de groupes de travail sur le changement climatique, y compris l’atténuation et l’adaptation. Nous continuons de soulever le problème lié à la capacité et aux ressources nécessaires pour suivre le rythme du travail accompli.
Le vice-président : Merci.
Le sénateur Ogilvie : Monsieur le ministre Colwell, la pomme Honeycrisp est un merveilleux indicateur des éléments nutritifs dans le sol. J’ai récemment vu un étalage de Honeycrisp provenant de cinq territoires différents, et je n’aurais pas reconnu trois d’entre elles comme faisant partie de la production nord-américaine. C’est un indicateur incroyable selon lequel la Nouvelle-Écosse a tout simplement le terrain parfait pour cette variété.
Je dirais aussi que, selon moi, l’industrie vinicole a eu un impact énorme sur l’industrie agricole traditionnelle dans la vallée, la diversité des arbustes et des arbres dans la vallée, et le rythme auquel on est en train de transformer les choses ou d’essayer de nouvelles variétés; ce n’est pas rien.
Madame Miller, j’ai un dernier commentaire sur la question de la foresterie. Je pense que cela tient en grande partie à la façon dont les fonctionnaires interprètent les règlements dans l’administration locale. Les gouvernements élaborent de très bons plans, notamment au sujet des fosses septiques, par exemple, et les gens chargés de les appliquer dans une région ont souvent des points de vue très différents de ce que beaucoup croyaient être l’intention originale.
Un problème qui me vient à l’esprit, c’est la capacité de traverser des ruisseaux, dont bon nombre qui se trouvent sur une montagne ne sont que des eaux de ruissellement. Ce ne sont pas des ruisseaux au sens traditionnel du terme. Je ne veux pas poursuivre dans cette voie. C’est pourquoi je vous ai posé la question, et j’apprécie grandement vos réponses.
La question que je vous pose nous ramène à votre commentaire sur la taxe sur le carbone par rapport au système de plafonnement et d’échange de droits d’émission. J’ai lu récemment une analyse selon laquelle l’un ou l’autre système aurait finalement la même répercussion financière globale sur une société. Autrement dit, les deux sont destinés à traiter les problèmes plus vastes ou les problèmes proportionnels à leur taille, et visent à stimuler la société qui y fait face et qui intervient.
La principale critique faite par les auteurs de l’analyse à l’égard du système de plafonnement et d’échange de droits d’émission par rapport à une taxe directe tient à la transparence. Dans le système de plafonnement et d’échange, le gouvernement en place est entièrement responsable. Il est très difficile pour un citoyen ordinaire, ou même pour les groupes touchés, d’avoir une idée de l’endroit où l’argent perçu est réellement dépensé une fois qu’il a été transféré. Je me demande ce que vous pensez de cette analyse.
Mme Miller : Merci, monsieur le sénateur. Je vais certainement adresser votre question à Jason. Il est probablement, je dirais, l’auteur de notre programme de plafonnement et d’échange de droits d’émission et il sait tout du changement climatique ainsi que du régime de plafonnement et d’échange. J’étais presque désolée de quitter le ministère de l’Environnement et de passer au ministère des Ressources naturelles parce qu’il n’allait pas venir avec moi. Il avait beaucoup de travail important à faire, alors je vais le laisser répondre à cette question.
M. Hollett : Merci, madame la ministre.
Nous n’avons rien à redire à cette critique. Je pense que c’est une évaluation juste, et cela tient à l’accent mis sur l’objectif de l’outil que vous choisissez.
Vous avez raison : la taxe sur le carbone est un prix très transparent imposé à la consommation ou à la combustion de combustibles fossiles à la source, et les consommateurs peuvent le voir très clairement. Le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission fonctionne un peu différemment en ce sens qu’il impose une restriction ou une limite à la quantité de carbone pouvant être rejetée dans le territoire, et il crée un marché pour réaliser ces réductions de la manière la plus rentable possible. Alors, même si l’objectif ultime est la réduction des émissions de carbone dans ces administrations, la façon de faire est quelque peu différente.
Le sénateur Ogilvie : Par ailleurs, il y a l’utilisation des fonds par le gouvernement. Avec la taxe sur le carbone, c’est un bilan direct. Tous les gouvernements prétendent que l’argent sera réinvesti dans le maintien de la réduction et de l’incitation auprès des secteurs. C’est très clair, tandis que le système de plafonnement et d’échange des droits d’émission est beaucoup plus vague. Je peux percevoir la valeur politique de ce système. Il est plus difficile d’avoir accès aux chiffres et également plus difficile de voir l’utilisation des fonds. Ceux qui paient les taxes prétendent ne pas être aussi convaincus que l’argent retourne vraiment dans les secteurs qui vont le transformer, parce que le gouvernement peut déterminer où les fonds sont dépensés, par opposition à la taxe sur le carbone, qui est un lien plus direct entre la source de pollution et les bénéficiaires des investissements gouvernementaux.
M. Hollett : Oui, c’est exact. En Colombie-Britannique, par exemple, où il y a une taxe sur le carbone, le gouvernement a décidé de rendre les recettes fiscales neutres. Il a donc réduit l’impôt des sociétés et l’impôt sur le revenu des particuliers proportionnellement aux revenus qu’il perçoit de la taxe sur le carbone.
Dans un système de plafonnement et d’échange de droits d’émission, les recettes proviennent de diverses sources. Il se peut que ce soit entre les industries elles-mêmes, qui échangent les quotas d’émissions pour essayer de justifier ces émissions les plus efficaces et les moins coûteuses. Vous avez également la possibilité que le gouvernement tire des revenus de la mise aux enchères des quotas, et ce gouvernement devrait être clair et transparent sur le programme qu’il met en place.
Le sénateur Ogilvie : Et c’est ainsi que cela devrait être.
La sénatrice Tardif : Monsieur le ministre Colwell, vous avez parlé de votre préoccupation pour la sécurité alimentaire. J’essaie juste de comprendre. Je dirais qu’il est inhabituel qu’une province du Canada se préoccupe de la sécurité alimentaire. Est-ce en raison de la hausse possible des niveaux de l’eau et du fait qu’avec le changement climatique, les niveaux d’eau pourraient augmenter, et les digues pourraient céder? Est-ce à cela que tient votre souci en ce qui concerne la sécurité alimentaire? Ou est-ce simplement parce qu’il n’y a pas suffisamment de terres agricoles pour assurer cette sécurité alimentaire à la population?
M. Colwell : Nous sommes toujours préoccupés par nos digues et nous les maintenons en place, mais ce n’est pas la solution universelle. Le problème, c’est qu’en plus de notre sécurité alimentaire… la Nouvelle-Écosse exporte également près de 400 millions de dollars par année en produits agricoles. Nous devons donc avoir un équilibre de l’ensemble.
En fait, avec la croissance démographique dans le monde, on aura besoin de plus de protéines, et nous le constatons déjà. Je me suis rendu en Chine, probablement plus souvent que tous mes collègues, pour vendre des produits de l’agriculture et de la pêche, et nous y avons connu beaucoup de succès.
Le problème est que nous n’avons pas assez de nourriture pour nourrir notre province. Si une digue entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick cédait sur les terres protégées par des digues, les camions cesseraient de rouler, et notre approvisionnement en nourriture se tarirait assez rapidement. Alors, ce serait une catastrophe. Il faudrait un certain temps pour corriger la situation, mais elle serait corrigée, et nous aurions probablement à transporter les produits par bateau plutôt que par camion, jusqu’à ce que les digues soient réparées, en fonction de la gravité du problème.
Il faut vraiment que le Canada s’assure de pouvoir nourrir sa population. Nous devons absolument être en mesure de nourrir la population de Canadiens.
Actuellement, si on prend l’industrie agricole à elle seule, sans compter l’industrie de la pêche, nous ne pouvons nourrir qu’environ 17 p. 100 de notre population. Nous avons comme objectif de pouvoir nourrir 20 p. 100 de la population de la Nouvelle-Écosse seulement grâce à nos produits agricoles. Je ne sais pas ce qui se passe dans les autres provinces. La situation est peut-être plus rose au Québec et en Ontario, puisqu’il y a davantage de terres agricoles exploitées dans ces provinces.
Les exploitations agricoles doivent être compétitives. Nous devons aussi prendre en considération les catastrophes qui peuvent survenir à cause des changements climatiques, par exemple un ouragan qui détruit toutes nos récoltes. C’est un équilibre délicat.
La sécurité alimentaire est un sujet que j’aborde souvent. Quand je parle aux agriculteurs, je leur dis aussi que je leur souhaite de faire de l’argent. J’ai entendu dire que c’était la première fois qu’un ministre faisait cela, d’aussi loin qu’ils peuvent se souvenir. C’est pourtant important, parce que sans argent, ils ne peuvent pas élargir leurs activités. Cela vaut autant pour une exploitation agricole de 10 acres que pour une de 5 000 acres.
Malgré tout, il faut trouver un équilibre. Si on compte également notre industrie de la pêche, nous avons probablement assez de nourriture dans la province, parce que nous sommes les plus importants exportateurs de produits de la mer au Canada. Notre part de toutes les exportations relatives à cette industrie au Canada atteint environ 38 p. 100. Donc, c’est probablement suffisant.
Au bout du compte, je dirais que, dans un grand nombre de régions, des exploitations agricoles sont laissées à l’abandon, car les gens décident de mener un autre mode de vie. J’en suis l’exemple parfait. Ma famille travaillait dans l’agriculture au Nouveau-Brunswick depuis le début des années 1700. Ma génération a été la première à faire fi de cette longue tradition et de faire autre chose que d’exploiter la terre. Je suis un descendant direct des Loyalistes de l’Empire uni, et la famille de ma grand-mère détient toujours les premières terres qui lui avaient été données en concession par Sa Majesté. Peu de personnes peuvent en dire autant.
Mais la nouvelle génération a choisi un autre chemin. Certains de mes cousins sont comptables, un autre est officier de carrière dans l’armée, et ainsi de suite. Nous avons tous choisi de quitter l’agriculture.
Nous devons freiner ce genre de départ. Il faut que nous veillions à ce que les gens reviennent vers l’agriculture, aux fins de la sécurité alimentaire. La réponse n’est pas simple, vu l’importance du sujet; nous sommes tellement habitués aujourd’hui au Canada de trouver à l’épicerie ce dont nous avons besoin pour nous nourrir. Il faut que ça cesse.
La sénatrice Tardif : Merci, monsieur le ministre.
Le vice-président : Chers collègues, j’aimerais remercier nos témoins d’être parmi nous. Nous avons appris beaucoup de choses jusqu’ici. J’espère que les deux ministres comprennent que la période de questions que nous avons tenue ici est beaucoup moins rude que celle qui se déroulerait à la Chambre d’assemblée. Nous vous remercions énormément, vous et les fonctionnaires qui vous ont accompagnés, de nous avoir fait part de vos connaissances. Nous avons appris beaucoup de choses, et cela contribuera énormément à notre étude.
Comme prochains témoins, nous recevons la Confédération des Mi'kmaq du continent. Il s’agit de Mme Angeline Gillis, directrice principale, Groupe de conservation Mi'kmaw, et de M. Michael Benson, coordonnateur du Programme d’action climatique.
Vous pouvez commencer votre exposé, puis nous allons passer aux questions de mes collègues.
Angeline Gillis, directrice principale, Groupe de conservation Mi'kmaw, Confédération des Mi'kmaq du Continent : Merci à tous de nous avoir invités ici aujourd’hui afin de discuter des changements climatiques et de leur impact sur l’industrie forestière.
Comme bon nombre d’entre vous le savent, mes collègues et moi travaillons pour la Confédération des Mi'kmaq du continent, organisation clanique sans but lucratif qui, depuis 31 ans, offre des services à sept des collectivités micmaques du continent. L’organisation, qui compte plus de 60 employés annuellement, est l’une des plus importantes organisations autochtones actives dans le Canada atlantique. La mission de la confédération est de promouvoir et de soutenir de façon proactive les initiatives des collectivités micmaques qui appuient leur autodétermination et la revitalisation communautaire.
Aujourd’hui, notre organisation, les Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse continentale, ainsi que nos amis et voisins en Nouvelle-Écosse célèbrent le jour anniversaire du traité. Vous n’avez qu’à sortir pour les voir. Hier, c’était le jour de commémoration du traité Mi'kmaq en Nouvelle-Écosse. Nous célébrons ce jour-là les traités en vigueur entre les Mi'kmaq et la Couronne. Si le temps le permet, j’aimerais vous inviter tous à venir célébrer avec nous.
Je suis ici aujourd’hui pour vous parler des impacts futurs des changements climatiques sur les terres dont mon peuple tire sa subsistance depuis des milliers d’années. Quand j’aborde ce sujet, j’ai à l’esprit la responsabilité que j’ai envers les sept prochaines générations, et je me demande, en pensant aux enfants de demain, si notre génération, ma génération, en a fait suffisamment pour protéger les eaux et les terres. Ai-je fait tout ce que je pouvais pour m’assurer qu’il y aura encore de l’eau potable dans l’avenir; qu’on pourra encore faire pousser de la nourriture sur nos terres et qu’il y aura des forêts en santé où nous pourrons chasser, piéger, camper et partir à l’aventure? Si nous ne pouvons pas nous adapter de façon à protéger notre mode de vie, les impacts sociaux, culturels et économiques des changements climatiques sur nos collectivités ne pourront être que négatifs. Si nous ne sommes pas en mesure de nous adapter aux changements climatiques d’une façon qui englobe le concept Mi'kmaq de netukulimk — dans votre langue, le concept équivalent serait la durabilité —, la nourriture, la médecine, l’art et les coutumes traditionnelles vont disparaître.
Il est important de garder à l’esprit que la foresterie ne se limite pas seulement aux possibilités économiques. Nous devons, pour la suite des choses, tenir compte des impacts sociaux positifs à long terme lorsqu’il est question d’examiner l’ensemble des impacts des changements climatiques.
Les changements climatiques sont réels, cela ne fait aucun doute. L’imprévisibilité des phénomènes météorologiques aux quatre coins du monde en est la preuve. Pas plus loin qu’ici en Nouvelle-Écosse, nous avons connu la sécheresse l’été dernier, des hivers doux et l’apparition de nouvelles espèces terrestres et aquatiques. Pour être honnête, les choses évoluent si rapidement que nous ne sommes plus en mesure d’être proactifs dans nos efforts. Nous réagissons, et c’est devenu en quelque sorte un thème dans le milieu environnemental dont nous faisons partie.
Cela dit, nous devons réagir avec prudence; nous devons nous assurer d’aborder le problème de façon stratégique, et non avec peur ou panique. À cette fin, ce sera très important de collaborer avec tous les intervenants afin d’élaborer de nouvelles politiques, de nouveaux programmes et de nouveaux règlements concernant les changements qui vont survenir à cause des changements climatiques. Il faut que le gouvernement, les groupes autochtones, les groupes environnementaux et l’industrie s’unissent et travaillent ensemble à l’élaboration de tout ce que je viens de mentionner. Il ne faut pas qu’ils travaillent en vase clos.
Ici en Nouvelle-Écosse, nous utilisons très souvent dans nos activités de recherche le « double regard ». Ce concept a été inventé par un aîné, d’Eskasoni en Nouvelle-Écosse, Albert J. Marshall. Selon lui, il est important que nos recherches reposent autant sur les connaissances ancestrales que sur les sciences occidentales. De notre côté, nous approfondissons un peu les choses en ajoutant également « les connaissances locales ». Cette approche a porté des fruits, et c’est pourquoi nous proposons à notre gouvernement de faire exactement la même chose, c’est-à-dire de faire participer diverses voix aux recherches et dans les groupes. Autant les Autochtones que les gens de la région, les gens qui vivent de la terre et qui ont passé toute leur vie dans la forêt et aux alentours peuvent aider le gouvernement à déterminer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas pour s’adapter aux changements climatiques.
Comme certains d’entre vous le savent peut-être déjà, les Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse travaillent actuellement à la gestion de grandes parcelles de terrain forestier qui sont extérieures à nos collectivités. Je crois que Mme Julie Towers a comparu tout à l’heure. Elle a peut-être parlé des terres MFI.
Nous avons tiré des leçons des pratiques employées par d’autres dans le passé et démêlé les choses à faire et à ne pas faire en foresterie, et cela nous a permis de comprendre à quel point il est nécessaire de fournir un habitat sain à toutes les espèces : le frêne noir, le chevreuil, le caribou, le frêne blanc, le bouleau jaune, et cetera. Toutes ces espèces sont en difficulté ou en péril, et nous espérons pouvoir les sauver en assurant une intendance responsable de nos forêts. Nous allons mettre en œuvre diverses méthodes de récolte qui auront pour effet de diversifier la structure forestière, de permettre une régénération naturelle et de produire du bois d’œuvre de haute qualité. Certaines régions très denses de la forêt seront protégées afin de fournir un abri pour la faune, et nous allons mettre au point des mécanismes de détection et de suivi afin de quantifier les menaces existantes et de déterminer les stratégies à appliquer pour maîtriser la situation. Il faudra aussi obligatoirement créer des milieux humides ou des marais qui serviront de coupe-feu ainsi qu’à capturer le carbone, à filtrer l’eau de ruissellement et à assurer nombre d’autres fonctions bénéfiques pour l’écosystème. Nous chercherons aussi à maintenir la productivité du sol et à réduire au minimum la perte de carbone dans les superficies récoltées, et bien d’autres choses.
Nous croyons également qu’il faut augmenter le carbone stocké; il faut s’occuper des arbres mûrs, car ils piègent beaucoup de carbone et créent un habitat crucial que nous pouvons gérer pour un grand nombre d’espèces. Donc, notre modèle de gestion diffère, puisqu’il reflète davantage les valeurs : il prévoit moins de coupes à blanc, moins de plantations d’épinettes et une plus grande diversité d’essences d’arbres. Cependant, nous cherchons aussi des moyens, ou plutôt des marchés étrangers pour nos produits de la forêt autres que le bois d’œuvre. Nous voulons veiller à ce que nos collectivités puissent jouir d’avantages économiques, parce qu’elles vont nous aider à mettre en œuvre ces pratiques exemplaires de gestion.
En ce qui concerne les crédits de carbone, il est possible d’avantager l’industrie forestière en encourageant l’innovation. Toutefois, il faudra mettre en place des lignes directrices ainsi qu’un organisme de certification autonome qui pourra établir des puits de carbone dont la quantité peut être mesurée afin de permettre aux propriétaires fonciers de vendre leurs crédits de carbone à l’industrie. De cette façon, tous les intervenants pourront atteindre leurs objectifs divers en ce qui concerne la valeur recherchée. Cette gestion approfondie qui priorise l’écosystème transformera l’industrie forestière. Les terrains forestiers, en particulier les forêts à feuillage persistant, ont une très grande capacité de piéger le carbone. Si l’industrie forestière les utilise de façon équilibrée, elle pourrait revendiquer un grand nombre de crédits grâce au système de plafonnement et d’échange de droits d’émission.
Je peux vous donner un excellent exemple de cette approche : le projet de compensation du carbone de la forêt communautaire de Cheakamus. La forêt communautaire se trouve à proximité de la localité touristique de Whistler, sur les territoires ancestraux des nations Squamish et Lil’Wat. Dans le cadre de ce projet, on utilise la vente des contreparties de la fixation du carbone pour augmenter les zones protégées et appliquer des techniques de récolte à moindre impact. Le projet permet de réduire les émissions de GES d’environ 10 000 tonnes de CO2 par année, grâce à l’évitement de certaines pratiques forestières et à l’emploi d’autres pratiques modifiées établies dans le plan de gestion écosystémique de la forêt communautaire de Cheakamus. Tout cela se fait en Colombie-Britannique, et c’est possible seulement parce que la province a ouvert la voie dans l’élaboration d’un système de stockage du carbone. Il faut que le Canada mette en œuvre des programmes encourageant une nouvelle gestion écosystémique des terres qui tient compte de la contrepartie de la fixation du carbone.
En conclusion, nous espérons que, dans l’avenir, le Canada adoptera une approche inclusive des Autochtones pour tous les nouveaux projets concernant les forêts. Nous croyons que notre perspective est différente de celle des sciences occidentales en ce qui concerne la forêt. Les pertes que j’ai mentionnées plus tôt auront un impact culturel et spirituel plus grave, plus profond sur mon peuple que sur les autres intervenants du secteur. Nous sommes toujours prêts et disposés à travailler avec nos partenaires, mais il faut que cette volonté soit manifeste chez toutes les parties.
Le gouvernement pourrait nous aider à atteindre nos objectifs en matière de valeurs en réitérant son engagement à fournir des ressources pour l’élaboration de matériel de vulgarisation pour tous les Canadiens à propos des changements climatiques et de leur impact sur l’industrie forestière. Présentement, les groupes comme le nôtre n’ont accès qu’à peu de fonds, voire pas du tout. Notre travail consiste à trouver des concepts de projets ponctuels et à les proposer à nos partenaires. Même si nous sommes en train d’examiner les besoins d’adaptation du secteur, il n’y a aucun financement disponible pour les investissements dans les efforts de conservation ou d’intendance en foresterie. Il semble que la majeure partie du financement est accordée à l’industrie, au lieu de groupes environnementaux ou autochtones comme le nôtre. Cela revient essentiellement à éliminer les possibilités de collaboration, puisque nous n’avons pas la capacité d’entreprendre ce genre de travail.
D’une part, il faut étudier de façon approfondie les idées novatrices, d’autre part, il faut revoir les études sur les pratiques existantes qui ont été élaborées à une époque où la situation environnementale n’était pas la même. Au cours de mes années en poste, les programmes concernant la foresterie ont été les plus difficiles et les plus sous-financés. Il est l’heure d’investir dans ces programmes si nous voulons protéger nos terres. Il faut investir dans l’intendance de ces terres afin de travailler tous ensemble pour protéger nos forêts, pas seulement pour les générations futures, mais pour la nôtre également. Merci.
Le vice-président : Merci.
Nous allons passer à la période de questions. Vous pouvez commencer, sénateur Doyle.
Le sénateur Doyle : Merci de nous avoir présenté votre exposé. C’était très intéressant. Je siège au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et j’ai rencontré un certain nombre de groupes Mi'kmaq pendant les séances. Ils nous ont beaucoup parlé du lien qui existe entre les Mi'kmaq et la terre. C’est quelque chose qui est souvent abordé par les peuples Mi'kmaq.
Je voulais savoir si le gouvernement de la Nouvelle-Écosse reconnaît de la même façon votre lien avec la terre lorsque vous devez interagir? Je pense, par exemple, aux droits de coupe. Avez-vous des droits en ce qui concerne la quantité de bois d’œuvre ou les terres publiques ou relativement à la chasse, à l’agriculture, aux pêches, et cetera? Est-ce que le gouvernement traite les groupes Mi'kmaq de façon particulière à cet égard?
Mme Gillis : Oui et non. Bon nombre d’affaires sont présentées à ce qu’on appelle l’Assemblée des chefs de la Nouvelle-Écosse. Nous pouvons chasser, parce que nos droits de chasse ont été reconnus.
Relativement à l’utilisation des terres, à ma connaissance, nous avons seulement nos terres de réserve.
Actuellement, il y a des discussions au sujet des terres touchées — MFI et C4 — qui sont en cours. La province étudie la possibilité d’accorder aux Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse des permis pour que nous puissions assurer notre propre gestion de l’utilisation des terres.
Le sénateur Doyle : Participez-vous à l’exploitation des terres à bois ou à quelque activité concernant les terres à bois de façon générale? J’ai remarqué qu’il y avait un assez grand nombre de terres à bois ici. Est-ce que vous participez à ce genre d’activités d’une façon ou d’une autre?
Mme Gillis : Récemment, mon groupe s’est associé avec l’entreprise Port Hawkesbury Pulp. Nous avons conclu cette entente grâce au même genre de discussions que celles que nous tenons à l’assemblée. Essentiellement, l’entreprise nous fournit les ressources pour former des gens à des emplois dans l’industrie forestière. Au cours de la dernière année, mon groupe a formé entre 20 et 30 membres de la collectivité pour qu’ils puissent occuper des emplois dans la sylviculture, notamment pour le compte de PHP. Donc, ce que nous essayons de faire, c’est former des gens pour qu’ils puissent travailler dans la forêt, et c’est grâce à des relations de ce genre que nous y arrivons.
Le sénateur Doyle : Vous avez parlé de la coupe à blanc. La semaine dernière, nous avons reçu un groupe de témoins… Je crois que c’était un groupe de l’Ontario. Je leur ai posé une question sur la coupe à blanc, et la réponse que j’ai obtenue m’a donné l’impression que cela appartenait au passé. Les gens qui s’en plaignent sont des septuagénaires, plus ou moins. De nos jours, la récolte du bois d’œuvre ne se fait plus de cette façon. Avez-vous une autre opinion? La coupe à blanc demeure-t-elle un problème?
Mme Gillis : Je le crois, oui.
Le sénateur Doyle : Vraiment?
Mme Gillis : Oui, c’est vrai. Je crois que le problème tient à la façon dont on prépare la forêt pour la coupe à blanc. On parle de reforestation, on parle de plantation forestière. On nous parle de tous les efforts vaillants déployés par les gens. Le problème, c’est qu’on détruit la diversité forestière en ne plantant qu’un seul type d’arbre parce que c’est l’espèce qui pousse le plus vite. Ensuite, on coupe à nouveau. On détruit la composition des sols en agissant ainsi. Le moment viendra où il sera impossible de faire pousser quoi que ce soit; qu’allons-nous faire rendus là?
Donc, ce n’est pas nécessairement la coupe à blanc qui est le problème; c’est la façon dont on s’y prend. Moins de personnes s’y opposeraient si on utilisait la régénération naturelle.
Le sénateur Doyle : Vous voulez dire que ce qu’on essaie de faire, c’est essayer de récolter du bois d’œuvre à maturité pour rendre l’entreprise rentable?
Mme Gillis : C’est bien cela.
La sénatrice Tardif : Merci beaucoup. Votre exposé était très intéressant, et il m’a beaucoup impressionnée, surtout la perspective autochtone selon laquelle il faut combiner les connaissances ancestrales, les connaissances scientifiques générales et le savoir local.
Quand vous avez abordé la question du financement disponible pour ce genre d’études, vous m’avez semblé déçue qu’il y ait peu de fonds disponibles pour ce genre de recherches qui, selon vous, sont absolument nécessaires, vu l’intérêt grandissant pour les impacts des changements climatiques sur vos terres et sur l’industrie forestière en général. Pouvez-vous approfondir votre pensée à ce sujet?
Mme Gillis : Bien sûr. Nous avons un certain nombre de programmes en cours actuellement, dont un concernant la foresterie. Michael Benson fait partie de mon équipe d’action climatique. J’ai aussi une équipe pour ce qui a trait aux eaux et une autre équipe pour la gestion des déchets solides. Nos activités touchent à tous ces secteurs.
Notre groupe d’action climatique évalue les domaines de vulnérabilité de notre collectivité aux changements climatiques — je parle ici des domaines de vulnérabilité des terres de réserve — et élabore des mesures d’atténuation et d’adaptation stratégiques pour les collectivités.
Cependant, de façon générale, on déploie moins d’efforts pour la foresterie. Nous avons essayé de voir s’il existait des fonds pour mener, en gros, le même genre d’études : évaluer la situation, atténuer les risques et préparer nos forêts aux changements climatiques. Mais ce genre de fonds n’existent pas pour la foresterie. La majeure partie du financement relatif à la foresterie est accordé à l’industrie pour ses études, et non pour les activités d’intendance et de conservation que nous voudrions entreprendre. Cela nous rend les choses difficiles. Un grand nombre de sources de financement que nous avons trouvées pour la foresterie sont des fonds de développement économique; c’est une excellente chose pour soutenir l’amélioration de notre collectivité, mais ce l’est moins pour ce qui est de protéger l’environnement. Nous n’avons pas accès à beaucoup de financement, et je crois que c’est aussi vrai pour la plupart des environnementalistes qui se soucient des forêts.
La sénatrice Tardif : Les projets de conservation ou d’étude que vous avez mentionnés touchent-ils à la diversité des semences dans la forêt? Vous intéressez-vous à la plantation de diverses espèces? De quoi parlez-vous, exactement?
Mme Gillis : Vous voulez dire relativement aux études sur les impacts des changements climatiques sur la foresterie?
La sénatrice Tardif : Oui.
Mme Gillis : Je vais laisser M. Benson vous répondre.
Michael Benson, coordonnateur du Programme d’action climatique, Groupe de conservation Mi'kmaw, Confédération des Mi'kmaq du Continent : Pour répondre à votre question, nous nous intéressons à plus d’un sujet. Nous nous penchons surtout sur la dispersion et le déplacement des espèces forestières. À mesure que le climat se réchauffe, de nouvelles espèces vont apparaître ou être introduites dans nos terres forestières. Certaines espèces vont avancer, d’autre reculer. Cela va également entraîner un changement dans les habitats de l’écosystème, ce qui va remettre en question la gestion des espèces traditionnelles, comme l’original, le chevreuil et d’autres espèces.
Nous allons également étudier la gestion des incendies de forêt. Même si l’humidité de l’air et les précipitations vont augmenter dans l’ensemble, les étés vont aussi être plus longs et plus secs, ce qui occasionne davantage de sécheresses et augmente le risque de feux de forêt.
Parallèlement, les moyens que nous avons pour lutter contre une espèce en particulier sont affaiblis. Pour éliminer différentes espèces de scolytes, il faut un hiver très long, un feu de forêt naturel ou un genre de cycle naturel. Avec les changements de température et le déplacement des espèces forestières, l’équilibre qui atténuait les risques et régissait le cycle naturel a été rompu. Ce que nous voulons faire, c’est trouver des façons de rétablir les cycles naturels dans les forêts.
Une partie de nos activités, comme Angie l’a mentionné, consiste à élaborer des stratégies d’adaptation. C’est facile pour une collectivité de s’adapter, parce qu’on peut tirer parti de l’infrastructure, mais c’est un peu différent pour les forêts, parce que c’est un système naturel. Les fonds qui ne sont pas disponibles actuellement pourraient être utilisés pour étudier des approches naturelles, des solutions naturelles pour les coupe-feux ou des méthodes naturelles de lutte contre les parasites, vu que les gens qui adoptent une attitude selon laquelle « tout va dans l’usine de pâte à papier » ne tiennent pas vraiment compte de ce genre de choses.
La sénatrice Tardif : Merci.
La sénatrice Gagné : Quel pourcentage des terres forestières de la Nouvelle-Écosse gérez-vous?
Mme Gillis : Actuellement, les Mi'kmaq gèrent environ 40 000 hectares de terrain en Nouvelle-Écosse. Ce n’est pas encore entièrement ça, mais c’est pour bientôt. Avec les discussions entre l’assemblée et la Nouvelle-Écosse, le nombre va augmenter.
La sénatrice Gagné : Deux ministres sont venus témoigner plus tôt ce matin, et selon eux, la pérennité passe essentiellement par une intendance conjointe. Je vous ai également entendu dire que c’était la clé si nous voulons nous assurer que les futures générations auront elles aussi des forêts et des terres agricoles. Pouvez-vous nous parler de vos partenariats avec le gouvernement de la Nouvelle-Écosse, d’autres collectivités des Premières Nations et le gouvernement fédéral?
Mme Gillis : Je dirais que notre meilleur programme est celui qui concerne les eaux. Le programme est exploité en partenariat avec le ministère des Pêches et des Océans. Cela découle du Programme autochtone de gestion des ressources aquatiques et océaniques. Notre groupe a accès à du financement de base pour entreprendre des études et des activités de recherche scientifique relativement aux réseaux d’eau douce et aux océans afin de répondre aux besoins prioritaires des collectivités à proximité. Je dirais qu’il s’agit du meilleur partenariat que nous avons établi avec le gouvernement fédéral.
Nous travaillons aussi actuellement en étroite collaboration avec Bruce Pike de Ressources naturelles Canada. Nous avons commencé à communiquer l’année dernière. C’est une personne formidable. Malheureusement, il a les mains liées en ce qui concerne ce qu’il peut faire pour nous fournir les ressources dont nous avons besoin. Ce que nous faisons avec lui porte davantage sur les retombées économiques que les collectivités peuvent tirer de la gestion de leurs terres.
Nous avons aussi établi des partenariats avec toutes les collectivités micmaques de la Nouvelle-Écosse. En outre, grâce à notre PAGRAO, nous nous sommes associés à d’autres PAGRAO similaires à Terre-Neuve, au Nouveau-Brunswick et au Québec.
Nous nous sommes également associés avec Environnement et Changement climatique Canada afin de mener à bien un bon nombre de projets ponctuels.
La Clean Foundation est un autre de nos partenaires importants, au même titre que les universités. Nous travaillons en très étroite collaboration avec le Collège d’agriculture Dalhousie de l’Université Acadia. Grâce à nos partenaires là-bas, nous avons accès à des laboratoires et, jusqu’à un certain point, à l’expertise dont nous avons besoin pour l’analyse de nos résultats.
Donc, nous avons établi des partenariats et cherchons toujours à les renforcer. Le domaine de la foresterie continue de prendre de l’expansion, et nous faisons ce que nous pouvons pour atteindre nos objectifs à ce sujet.
La sénatrice Gagné : Donc, ce que je comprends, c’est que le financement pose un problème dans le milieu dont vous faites partie.
Mme Gillis : Oui, la foresterie.
Le vice-président : Merci beaucoup. C’est bien que vous ayez parlé d’intendance conjointe, parce que ce n’est pas un sujet que beaucoup ont abordé, même si on nous a parlé d’intérêts conjoints. C’est quelque chose de nouveau. Êtes-vous satisfaite de l’intendance conjointe que vous menez avec le gouvernement provincial et les différents ministères?
Mme Gillis : Pour ce qui est de la province, je ne travaille pas beaucoup avec le gouvernement provincial. Je crois que c’est quelque chose que nous allons essayer dans l’avenir, surtout compte tenu des terres qui vont bientôt nous revenir. Nous allons essayer de nous améliorer à ce sujet. Mais dans l’ensemble de nos programmes, je dirais que la foresterie est probablement le seul, du moins jusqu’ici, où la province sera un partenaire. Le gouvernement provincial, en général, interagit davantage avec l’assemblée qu’avec les techniciens.
Le vice-président : Je trouve intéressant que les ministres qui sont venus témoigner plus tôt ce matin aient souligné l’importance de la relation avec les collectivités micmaques. C’est un pas dans la bonne direction.
Vous avez mentionné les espèces en péril. Vous en avez énuméré certaines, mais j’ai peur de ne pas les avoir toutes retenues. Advenant la disparition de certaines de ces espèces de la Nouvelle-Écosse, il serait logique de croire qu’elles n’ont pas été replantées parce qu’elles ont peu de valeur sur le plan financier. Je ne veux pas me faire l’avocat du diable ici, mais pourquoi devrions-nous nous préoccuper du sort d’espèces peu rentables?
Mme Gillis : Un bon exemple est le frêne noir. Parlez-en à n’importe quel Mi'kmaq en Nouvelle-Écosse, et il vous dira que le frêne noir fait partie de notre culture depuis des générations. Nos Aînés nous montrent tout ce qu’ils peuvent faire de leurs mains avec du frêne noir. Ils nous racontent des histoires de leur enfance et de l’enfance de leurs parents. Ils sont fiers de ce qu’ils ont accompli et de pouvoir nous transmettre leur savoir. Un panier fait de bois de frêne noir, ça n’a pas de prix.
Le vice-président : J’en ai un.
Mme Gillis : Nous sommes forgés par notre mode de vie, nos pratiques et nos traditions. C’est notre histoire. Êtes-vous en train de dire que cela n’a aucune valeur?
Le vice-président : Revenons à ce que vous avez dit. La communauté micmaque ne devrait-elle pas protéger les espèces qui se trouvent sur le territoire sous son contrôle?
Mme Gillis : C’est ce que nous essayons de faire.
Le vice-président : Vous essayez.
Mme Gillis : Oui, c’est ce que nous tentons de faire. Nous sommes inscrits au volet de la prévention du Fonds autochtone pour les espèces en péril afin que nous puissions repérer les peuplements de frêne noir qui ne figurent dans aucune base de données et mettre en place des mécanismes pour protéger et prélever des semis.
Nous collaborons avec l’Association forestière canadienne, qui nous aidera à conserver des graines pour les faire pousser plus tard.
Nous faisons notre possible, et c’est ainsi que nous tentons de protéger toutes les espèces traditionnelles.
Le saumon en est une autre. Pourquoi protéger le saumon? C’était une pêche viable sur le plan commercial jusqu’à ce que les ressources soient complètement épuisées.
Le vice-président : En effet. Et maintenant, nous n’avons que du saumon d’élevage. Peu importe où vous achetez votre saumon, c’est presque toujours du saumon d’élevage.
Mme Gillis : Je le boycotte. Je ne mange plus de saumon. J’adorais cela avant, mais plus maintenant.
Le vice-président : Merci.
Le sénateur Doyle : En avril 2017, le Conseil des premiers ministres de l’Atlantique a annoncé l’établissement d’un programme d’énergie propre pour l’Atlantique. Existe-t-il en ce moment des technologies d’énergie propre qui pourraient être utiles au secteur agricole ou forestier de la Nouvelle-Écosse?
M. Benson : Certainement. L’énergie qui nous préoccupe ici touche la production, la capacité industrielle, la gestion et le traitement d’une grosse quantité de bois. Ce que nous observons, c’est une utilisation accrue de l’hydroélectricité et des énergies éolienne et solaire.
Il y a aussi les biocarburants. Il est possible de transformer en énergie autogénérée certains déchets, dont les produits forestiers non commerciaux. Ceux-ci peuvent être transformés en une source viable d’énergie à haut rendement et réduire du même coup les frais de transport ainsi que certains coûts liés au transport de l’énergie du point A au point B.
Je crois que de grands investissements dans cette industrie nous permettront de remplacer certaines des centrales au charbon que nous exploitons depuis des années. Ce n’est qu’en 2010 que, l’utilisation du charbon a été interdite dans le secteur forestier, et vu la diminution du prix des produits renouvelables, il sera intéressant de voir des entreprises traditionnelles les utiliser et les promouvoir tout en réduisant leurs coûts et les répercussions sur l’environnement.
Le sénateur Doyle : L’objectif du centre des produits forestiers du Canada est d’éliminer environ 30 mégatonnes de dioxyde de carbone d’ici 2030. On dit maintenant qu’on peut y arriver en introduisant des produits forestiers dans la construction d’immeubles verts, entre autres. Est-ce une bonne idée? Est-ce que cela pourrait exercer une pression supplémentaire sur les forêts?
M. Benson : C’est un élément intéressant de l’industrie, car le système commercial sera toujours présent, et l’utilisation de produits forestiers verts consiste essentiellement à séquestrer le carbone présent dans l’arbre.
Le sénateur Doyle : D’accord.
M. Benson : C’est durant le post-traitement qu’une grosse quantité de carbone fixe et stockée est rejetée dans l’atmosphère, et cela entraîne une augmentation des gaz à effet de serre. Je crois qu’il est possible de faire mieux et d’intégrer un mécanisme de séquestration et de stockage du carbone présent dans le bois commercial traité. C’est une façon de continuer de favoriser la croissance et l’usage commercial tout en veillant à ce que le carbone soit stocké de manière efficace dans la structure des bâtiments.
D’autres industries, dont celles du béton, cherchent des façons d’intégrer le carbone au béton. Les arbres le font naturellement. Ils piègent le carbone par photosynthèse. On pourrait dire que leur masse est composée de carbone provenant de l’atmosphère, mais traitée. S’il est stocké de manière appropriée, le carbone peut constituer un système d’infrastructure intégré.
Cela dit, je ne crois pas nécessairement qu’il permettra de donner de l’ampleur à l’industrie forestière commerciale. Cependant, il pourrait répondre à une partie de la demande décroissante que l’on observe habituellement et peut-être même contribuer au renforcement de cette industrie qui prend de l’âge.
Le sénateur Doyle : Merci.
La sénatrice Tardif : Les forêts canadiennes jouent un rôle essentiel dans le cycle du carbone, car leurs arbres et leurs sols absorbent le dioxyde de carbone qui se trouve dans l’air. Vous avez mentionné qu’il serait important d’avoir une politique de certification qui permettrait de mesurer et de quantifier les puits de carbone. C’est intéressant. Qu’en pensez-vous relativement à la séquestration du carbone et peut-être à la croissance économique? Quelles pourraient être les avancées à cet égard?
M. Benson : C’est une excellente question qui m’intéresse énormément, particulièrement en tant que jeune qui veut aller de l’avant. Nous aimons aborder la gestion du sol sous plusieurs angles.
Favoriser la séquestration du carbone et les puits et ajouter une valeur commerciale à la terre signifie que, plus la forêt grandit, plus elle stockera du carbone. Un cadre permettant aux propriétaires de vendre des crédits compensatoires pour la séquestration du carbone les inciterait à protéger leurs terres et à protéger du même coup une forêt, une baissière ou un marécage dans une optique de gestion forestière.
Si nous avions un cadre qui nous permettait de chiffrer la quantité de carbone séquestré par une terre donnée chaque année, d’en faire un rapport et de montrer aux propriétaires que la forêt qui se trouve sur leur terrain prendra de plus en plus de valeur chaque année, les services liés à l’écosystème auraient une valeur ajoutée, et les propriétaires seraient encouragés à protéger leurs forêts. Ainsi, il est possible d’ajouter de la valeur aux forêts en misant sur leur capacité de séquestration du carbone.
En ce moment, les provinces semblent avoir le monopole sur le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission à venir. Cependant, s’ils ont accès à des mesures incitatives, les propriétaires et les producteurs indépendants ainsi que les collectivités et les propriétaires Mi'kmaq seront motivés à mieux protéger la forêt.
Tout cela m’amène à parler des avantages non commerciaux de la lutte contre l’érosion — air propre, eau potable et habitat pour les espèces —, et ces éléments touchent directement une partie de mon travail sur l’atténuation des inondations. Si nous pouvons ajouter de la valeur à la forêt, comme celle qui empêche la ville de Truro d’être inondée, c’est bien parfait à mes yeux. Il suffit de quantifier différemment les terres protégées et d’y ajouter une valeur économique.
La sénatrice Tardif : Utilisez-vous les terres forestières à des fins agricoles?
Mme Gillis : Non, pas en ce moment.
La sénatrice Tardif : Merci.
Le vice-président : Un des problèmes que nous avons en Nouvelle-Écosse est que nous payons notre électricité plus cher que partout ailleurs au pays. En tant que résidaent de la Nouvelle-Écosse, j’en suis parfaitement conscient. Bon nombre d’entre nous tentent de trouver des façons d’être plus efficaces. J’ai fait installer des thermopompes chez moi et j’ai un poêle à bois en plus de la chaleur électrique. Il est de plus en plus difficile de trouver du bois dur de qualité à un prix raisonnable. Est-ce un secteur que la communauté micmaque envisage d’un point de vue commercial?
Mme Gillis : Effectivement. En fait, dans certaines de nos collectivités, nous construisons des maisons dans lesquelles peut être intégré un foyer. Le but est d’aider ces collectivités à produire leur propre bois de chauffage et à encourager leurs membres à se rendre sur les terres pour couper leur propre bois de chauffage, au besoin. Nous nous penchons sur cette question.
Le vice-président : Un des problèmes, c’est que bon nombre de résidants de la Nouvelle-Écosse et des autres provinces de l’Atlantique ont remplacé leur poêle traditionnel par un poêle à granules de bois. C’est un produit du bois. Je suis vieux, et j’aime la chaleur et l’ambiance d’un feu de bois. Il y a une certaine compétition pour le bois qui, auparavant, aurait servi de bois de chauffage. Maintenant, le bois est réduit en granules.
La communauté micmaque envisage-t-elle de fabriquer des granules de bois? Ce marché semble être en pleine expansion.
Mme Gillis : Oui, nous nous penchons là-dessus. Nous examinons en ce moment les méthodes utilisées pour recueillir le bois qui sert à la fabrication de granules. Ce qui nous préoccupe actuellement, c’est que l’on coupe des arbres entiers pour fabriquer cela. Je ne crois pas que cela était le but au départ.
Le vice-président : Je suis d’accord avec vous.
Mme Gillis : Cela nous inquiète, car en enlevant ces arbres ou même le bois mort, on détruit la composition du sol de la forêt. Je crois que si cela est fait de manière adéquate — encore une fois, je crois qu’il est important que la gestion de la forêt soit surveillée par un organisme tiers, un deuxième et troisième regards, car ce que nous voyons sur le terrain est attribuable à une coupe des arbres pour cette seule et unique fin.
Le vice-président : Il y a quelques années, les membres du comité — et je crois que je suis le seul membre encore présent qui a fait le voyage — ont visité les fermes forestières Irving dans le Nord du Nouveau-Brunswick. Ce qui m’a impressionné, c’est la gestion du sol de la forêt. Le producteur veillait à ce que les arbres qu’il voulait conserver aient les meilleures chances de croître en éliminant tout ce qui était non nécessaire à la santé de ces arbres. Est-ce une méthode que vous souhaitez appliquer dans les forêts contrôlées par les Mi'kmaq?
Mme Gillis : La méthode utilisée par Irving au Nouveau-Brunswick?
Le vice-président : Oui.
Mme Gillis : Non.
Le vice-président : Ce que vous voulez, c’est laisser la nature faire son travail.
Mme Gillis : Oui.
Le vice-président : Merci.
La sénatrice Gagné : Avez-vous le matériel nécessaire pour assurer la gestion, le suivi et la mesure des changements dans vos forêts? Avez-vous les moyens de recruter de jeunes scientifiques professionnels qui pourront vous aider à gérer vos terres forestières?
Mme Gillis : Je crois que oui. Il y a cinq ans, je me suis inscrite au PAGRAO, et il n’y avait que moi et deux membres du personnel. Mon équipe compte maintenant 25 personnes, et elle continue de grandir, car ces jeunes scientifiques sont de vrais passionnés. Pendant un certain temps, il n’y avait aucun débouché pour ceux qui possédaient une maîtrise en science, en biologie ou en sciences de l’environnement, et j’en ai embauché le plus possible à ce moment-là.
Je suis convaincue que nous faisons une différence auprès de la jeune génération; en effet, j’embauche 13 étudiants chaque été et je les initie à la protection de l’environnement. J’accueille deux ou trois stagiaires chaque année. Il n’y a que de la croissance, et rien n’indique qu’il y aura un ralentissement. Ces chiffres ne sont pas fixes. Je crois que nous pourrons poursuivre sur notre lancée et même prendre de l’expansion maintenant que nous gérons ces terres.
La sénatrice Gagné : Merci.
Le sénateur Doyle : Avez-vous observé de grands changements au chapitre de l’accroissement forestier ou du rendement, de la production ou de la qualité agricole qui pourraient être attribuables aux changements climatiques? Qu’avez-vous observé au cours des cinq dernières années sur le plan de l’accroissement forestier et de la production?
M. Benson : Votre question est très intéressante, car, en raison du prolongement de la saison de croissance et des hivers plus chauds, nous observons une augmentation de la productivité de certaines forêts également. Dans certaines régions, nous avons remarqué que l’atmosphère est davantage chargée du carbone qui les fait grandir. Certains sols contiennent davantage d’azote, élément essentiel à la croissance des racines.
En ce qui a trait aux changements, nous nous concentrons actuellement sur la photographie aérienne, entre autres. Nous examinons l’évolution des rivages. Par contre, dans les zones de la province où la forêt est dense, les changements sont facilement observables. La grande majorité des changements observés touchent la dispersion et le changement de la forêt. Dans les forêts mixtes traditionnelles, nous observons une disparition de certaines espèces d’arbres au profit d’autres arbres.
Les forêts et les écosystèmes peuvent changer, mais la faune qui les habite a de la difficulté à s’adapter.
Nous observons également une augmentation de ravageurs forestiers. L’agrile du frêne continue son avancée, et il s’attaque directement au frêne noir. Il y a aussi le scolyte brun du bouleau et diverses espèces de dendroctone du pin dans l’Ouest qui détruisent des écosystèmes entiers. La situation est problématique, car l’écosystème leur est de plus en plus favorable.
Au fur et à mesure que nos forêts changent, les méthodes de gestion naturelles ne suivent pas, et cela favorise la prolifération des ravageurs et des espèces envahissantes et empêche la nature de s’autogérer, car elle a perdu son équilibre.
Le sénateur Doyle : Vous observerez probablement une augmentation des insectes et des espèces nuisibles en raison des feux qui ravagent certaines forêts des provinces; ils migrent et s’attaquent à d’autres espèces d’arbres.
M. Benson : Dans certains cas, oui. Le feu a toujours fait partie du cycle de la nature. J’ai planté des arbres pour Irving tout au long de mes études universitaires afin de payer mes frais de scolarité et je connais très bien les coupes à blanc d’Irving. Je crois que j’ai planté plus de 500 000 arbres. Ce sont des monocultures. Les arbres sont plantés rangée par rangée, et le sous-bois et les espaces naturels sont éliminés. Par conséquent, en cas de feu de forêt, il n’y a aucune protection naturelle. Une forêt naturelle se remet d’elle-même d’un feu, car cela fait partie de son processus de renouvellement et de régénération. Cependant, maintenant que nous modifions les écosystèmes, les feux de forêt ratissent plus loin, durent plus longtemps et sont beaucoup plus difficiles à contrôler.
Le sénateur Ogilvie : C’est très intéressant que vous disiez que, le long des rivages, vous remarquez que certaines des espèces disparaissent et que d’autres prennent leur place. Pouvez-vous nous donner des exemples, s’il vous plaît?
M. Benson : Nos forêts mixtes sont composées de conifères et de feuillus. Les arbres feuillus sont dispersés. Cela se voit même sur les photographies aériennes. Ce qui était auparavant filmé par aéronefs à voilure mixte est maintenant filmé à l’aide de drones, une technologie plus moderne. Mais il est évident que les monocultures prennent la place des forêts naturelles. Cela s’observe particulièrement à l’automne, lorsque les feuilles montrent leurs magnifiques couleurs. Il y a beaucoup plus de conifères. Le bois résineux est en train de prendre la place. Les conifères croissent plus rapidement. Ils sont introduits en plus grandes quantités et ils prennent la place des systèmes naturels.
En Nouvelle-Écosse, nous avons la chance d’avoir de magnifiques forêts mixtes qui renforcent énormément notre capacité environnementale et la diversité de notre écosystème. Par contre, nous observons certains changements. La situation n’est pas la même partout dans la province, mais, de manière générale, la forêt perd en diversité.
Le sénateur Ogilvie : Vous parlez ici des forêts non gérées, des forêts en général?
M. Benson : Les deux, oui.
Le sénateur Ogilvie : C’est très intéressant, car je réside sur la rive. J’ai remarqué exactement le changement que vous avez mentionné, soit que les bouleaux blancs et l’érable ont de la difficulté à survivre. Les grands spécimens pourrissent et s’effondrent. Certaines espèces d’érables grandissent plus rapidement que d’autres, mais elles n’atteignent pas cette taille. Ce que nous appelons l’érable à sucre, avec ses grandes feuilles, croît rapidement et envahit certaines zones.
Vous observez cela à plus grande échelle. Pour ce qui est du bouleau et de l’érable, croyez-vous que la situation est surtout attribuable à certains insectes ou certaines maladies ou aux changements climatiques?
M. Benson : Votre question est intéressante, car je crois que c’est une combinaison des deux. Les ravages causés par les insectes et les maladies sont attribuables aux changements climatiques. Cependant, les changements de taux d’humidité favoriseront certaines espèces d’arbres. À titre d’exemple, les zones humides et marécageuses sont parfaites pour l’épinette noire. Certains bois durs préfèrent les zones plus sèches. Les conditions météorologiques imprévisibles sont là pour de bon et elles modifient notre climat. Cela entraînera de très importantes inondations sur de courtes périodes ou de grandes sécheresses.
Le manque d’équilibre favorisera une forêt mixte. Cela est surtout attribuable au taux d’humidité, dont les fluctuations sont à leur tour directement attribuables aux changements climatiques, ainsi qu’à l’élimination de la compétition par des espèces envahissantes ou encore à un déclin ou une croissance d’espèces forestières.
Le sénateur Ogilvie : Merci.
Le vice-président : J’aimerais revenir à votre témoignage. Je m’intéresse à vos commentaires sur la ligne de pensée d’Albert J. Marshall. Il croit en l’importance d’intégrer le savoir traditionnel à la science occidentale pour effectuer des recherches. Nous sommes allés encore plus loin, et nous y avons inclus le savoir local. Avez-vous un exemple d’intégration du savoir local de la collectivité autochtone à la recherche scientifique et de résultats positifs connexes?
Mme Gillis : Je vais vous donner un exemple récent, et il s’agit des travaux menés par mon équipe des sciences aquatiques sur l’écosystème de la rivière Shubéanacadie. Les études menées par le passé indiquaient que le bar rayé ne frayait pas dans la rivière Shubéanacadie. Si des œufs s’y trouvaient, c’est parce qu’ils se déplaçaient en amont.
Mon équipe de recherche a rencontré nos pêcheurs traditionnels et s’est liée d’amitié avec ceux qui sont sur les berges, et les agriculteurs de la région. Les membres de mon équipe les ont invités à participer. Notre point de liaison était ces pêcheurs qui voyaient de leurs propres yeux les remous à l’endroit où avait lieu le frai. À ce moment-là, ils téléphonaient à notre équipe dans la collectivité, qui avertissait nos scientifiques, et nous nous sommes tous rendus sur les lieux du frai pour recueillir les œufs. Nous les avons envoyés à l’Université acadienne afin que leur âge puisse être déterminé, et nous avons conclu qu’il était impossible que ces œufs, qui n’avaient que 12 heures, aient pu être pondus ailleurs que dans la rivière Shubéanacadie. Ce sont la science occidentale, le savoir traditionnel et le savoir local qui ont permis d’en arriver à cette conclusion.
Je suis la fille d’un agriculteur et j’ai grandi près de la collectivité Eskasoni, et je sais des choses à propos des terres sur lesquelles j’ai grandi que personne d’autre ne peut savoir. Je savais que nous ne pouvions pas nous en tenir à un « double regard ». Nous devions avoir un troisième regard, car le fait d’être présent, d’avoir grandi sur les terres et de connaître et de voir les différences dans les écosystèmes allait nous aider.
Le sénateur Ogilvie : Je croyais que la rivière Shubéanacadie avait toujours été reconnue comme une rivière parfaite pour la pêche du bar rayé.
Mme Gillis : Effectivement.
Le sénateur Ogilvie : Ce que vous dites, c’est que la reproduction du bar rayé ne se limite plus qu’aux lacs liés à la rivière et que le frai a également lieu dans la rivière?
Mme Gillis : C’est bien cela.
Le sénateur Ogilvie : Et c’est un changement?
Mme Gillis : C’est quelque chose que nous avons découvert en faisant travailler ensemble nos scientifiques et les détenteurs du savoir local traditionnel.
Le sénateur Ogilvie : Est-il possible que la reproduction ait toujours lieu à cet endroit?
Mme Gillis : Absolument. Par contre, personne ne l’avait jamais confirmé. Toutes les études indiquaient que le bar rayé ne frayait pas dans la rivière Shubéanacadie. Nous avons pris les mesures nécessaires pour prouver le contraire. Nous ne l’aurions jamais su si les détenteurs du savoir traditionnel local ne nous avaient pas répété, malgré les études, que ce poisson se reproduit dans la rivière Shubéanacadie. Nous avons mobilisé nos scientifiques et nous avons prouvé qu’il se reproduit dans la rivière Shubéanacadie.
Le sénateur Ogilvie : Étant donné que j’ai vécu dans la région, j’aurais présumé comme vous que c’était le cas.
Mme Gillis : Oui.
Le sénateur Ogilvie : Je suis étonné que l’on ait cru que ce poisson ne se reproduisait pas dans la rivière, malgré son fort débit.
Quoi qu’il en soit, je vous remercie chaleureusement.
Mme Gillis : Je vous en prie.
Le vice-président : Madame Gillis et monsieur Benson, je vous remercie d’avoir pris le temps de témoigner aujourd’hui. Vos témoignages nous sont très utiles.
Notre prochain panel est composé de Chris van der Heuvel, président, et Henry Vissers, directeur général de la Fédération de l’agriculture de la Nouvelle-Écosse, de John Russell, coordinateur de plan environnemental à la ferme de l’Alliance agricole du Nouveau-Brunswick, ainsi que de David Mol, président et Robert Godfrey, directeur général de la Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard.
Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Je vous prie maintenant de nous présenter vos témoignages. Durant la période de questions, je demanderais aux sénateurs d’être brefs et de poser des questions directes et j’inviterais les témoins à faire de même. Nous ferons autant de tours de table que possible, alors nous devrions réussir à en faire quelques-uns cet après-midi.
Commençons avec M. van den Heuvel.
Chris van den Heuvel, président, Fédération de l’agriculture de la Nouvelle-Écosse : Merci beaucoup et bon après-midi, monsieur le président et mesdames et messieurs, les membres du comité. Je vous remercie de nous donner l’occasion d’aborder la préoccupation relative aux changements climatiques ainsi que les conséquences du programme de tarification du carbone imposé par le gouvernement fédéral sur l’industrie agricole de la Nouvelle-Écosse.
La NSFA représente 2 400 fermes familiales divisées en 28 spécialités ainsi que 13 fédérations régionales et locales de la Nouvelle-Écosse.
Nous sommes conscients que le climat change et que des mesures appropriées doivent être prises pour atténuer les risques associés aux changements climatiques. Les tempêtes et les sécheresses extrêmes sont de plus en plus fréquentes et dévastatrices et elles ont causé d’importants dommages aux récoltes en entraînant une éclosion de maladies — par exemple le feu bactérien qui a détruit les pommiers en 2014 —, aux infrastructures — comme les routes qui se sont effondrées au Cap-Breton au printemps 2017 —, et à l’ensemble de la province avec les quantités massives de neige tombées en 2016.
À cet égard, la NSFA a dirigé un projet financé par l'initiative Agri-risques de Cultivons l’avenir 2 dans le but d’étudier les impacts des changements climatiques sur l’industrie agricole et plus particulièrement pour analyser la chaîne de valeurs de l’industrie viniviticole. Ce projet touchera principalement le SIG et la modélisation des marais endigués. D’excellentes terres agricoles sont protégées par les digues construites par les colons acadiens et entretenues maintenant par le ministère de l’Agriculture de la Nouvelle-Écosse. Ces terres se situent sous le niveau de la mer et, comme de nombreuses prédictions de changements climatiques l’indiquent, elles risquent de disparaître avec la montée des eaux, si les digues ne sont pas en mesure de résister aux temps extrêmes auxquels nous ferons face à l’avenir. La perte de ces terres nuira à de nombreux agriculteurs de la Nouvelle-Écosse. Le projet Agri-risques est le premier pas vers l’élaboration d’un modèle, mais nous devons mener davantage de recherches afin de mieux comprendre toutes les conséquences qu’auront les changements climatiques sur tous les intervenants de l’industrie agricole de la Nouvelle-Écosse.
On dit depuis longtemps que les émissions de carbone relâchées dans l’atmosphère sont un facteur déterminant dans les changements climatiques. Comme vous le savez, pour réduire les émissions de carbone qui sont relâchées dans l’environnement, le gouvernement fédéral a imposé des cibles de prix et de réduction pour le carbone que chaque province individuelle doit administrer au moyen d’un programme de plafonnement et d’échange ou d’une taxe sur le carbone.
L’agriculture est dans une situation toute particulière par rapport à ces programmes proposés. Comme toute personne ou entreprise, nous, les agriculteurs, ressentirons l’augmentation du coût des intrants. Toutefois, la plupart des exploitations agricoles sont bien placées pour compenser le carbone relâché dans l’atmosphère ou en mesure de changer les pratiques agricoles afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Des données solides sont nécessaires afin qu’on puisse évaluer les répercussions négatives que la tarification du carbone aura sur les différents secteurs économiques et les endroits où on peut faire des gains en réduisant le plus possible les répercussions.
À ce jour, le modèle achevé et présenté qui établissait le profil des répercussions économiques pour les producteurs agricoles a été exagérément simpliste et de niveau trop élevé pour qu’il puisse guider adéquatement la prise de décisions. Par exemple, le modèle n’a pas tenu compte des coûts indirects liés au transport, à la prestation de services ou aux pressions exercées par la chaîne de valeur pour réduire les coûts et assurer des répercussions minimales du coût des intrants. Si aucun changement n’est apporté à l’orientation stratégique actuelle, il y aura des conséquences importantes pour le coût du transport des produits agricoles au moment de les acheminer vers le marché, particulièrement dans le secteur serricole.
Il est clairement nécessaire qu’Environnement et Changement climatique Canada et Agriculture et Agroalimentaire Canada collaborent à l’élaboration de modèles plus robustes afin de pleinement évaluer les répercussions de la tarification du carbone par région et par produit. Le modèle qui semble avoir été fait a omis de tenir compte de différences importantes au chapitre de l’utilisation énergétique entre des secteurs agricoles clés et des approches distinctes des provinces à l’égard des exemptions ou des remises concernant l’utilisation de combustibles dans les exploitations agricoles. Nous avons entendu dire de nos homologues dans des provinces ayant déjà mis en œuvre une certaine forme de tarification sur le carbone que les coûts de production ont augmenté beaucoup plus que d’autres et qu’on n’a pas pris en considération, comme stratégies de réduction, les changements passés apportés aux méthodes de production.
L’agriculture demeure aussi unique par rapport à de nombreux secteurs, en ce que la plupart de nos émissions sont de nature biologique, car l’oxyde nitreux se dégage dans le cadre du cycle de l’azote de la production agricole et le méthane est produit par les ruminants. Ces émissions ne sont jusqu’à présent pas visées par la tarification sur le carbone, et elles ne devraient pas l’être. Toutefois, nous avons besoin d’élargir les compensations et d’autres approches qui englobent ces émissions biologiques de sorte que les producteurs aient les bonnes mesures incitatives et connaissances pour ce qui est de savoir comment réduire les émissions biologiques de gaz à effet de serre.
Les programmes et les associations de producteurs ont travaillé de façon réussie à des stratégies visant la réduction des émissions de carbone. Le programme des 4B de Fertilisants Canada et les recherches qui ont été menées dans l’industrie bovine sont quelques exemples de la façon dont l’industrie a réduit les émissions de carbone.
La NSFA a aussi participé à un projet qui a étudié les crédits compensatoires de carbone accessibles aux éleveurs de bétail des Maritimes. Vu la taille de la Nouvelle-Écosse, la possibilité de compenser les émissions de CO2 est énorme; toutefois, selon l’étude de 2010 et une compensation du carbone moyenne de 48 tonnes par année, il faudrait que 21 exploitations agricoles participent à la collecte du méthane pour créer 1 000 tonnes de CO2 par année. De façon logistique, pour qu’on puisse s’assurer que l’agriculture peut en réalité participer à un programme de compensation, on doit structurer un modèle ou une organisation intermédiaire de façon à coordonner efficacement la vente de ces crédits compensatoires.
L’agriculture est une industrie très concurrentielle au Canada, et la grande majorité des producteurs ont de petites marges et sont des preneurs de prix dans le marché. Il n’y a pas de contrôle sur le coût des intrants des producteurs ni sur le prix de leur produit dans le marché national ou mondial. En plus de l’introduction et de l’augmentation prévue d’un prix du carbone sur les intrants et les services que les producteurs ont et qu’ils devront commencer à payer, de nombreux autres facteurs influent sur le coût de la production agricole au Canada. Ceux-ci comprennent, sans s’y limiter, les augmentations provinciales du salaire minimum, le recouvrement des coûts à l’Agence canadienne d’inspection des aliments, l’appréciation du dollar canadien, la pénurie de main-d’œuvre, l’augmentation des coûts énergétiques, une nouvelle réglementation sur la sécurité alimentaire et des modifications fiscales.
Actuellement, les différences dans les politiques de tarification du carbone entre les provinces créent une situation inégale ayant des conséquences claires au chapitre de la compétitivité des producteurs agricoles du Canada et une iniquité pour les régions rurales du Canada. Ici, en Nouvelle-Écosse, le ministère de l’Environnement a indiqué qu’il n’y aura pas de fonds d’immobilisations pour soutenir les industries qui cherchent à réduire les émissions de carbone. Cela met les agriculteurs de la Nouvelle-Écosse dans une position désavantageuse sur le plan financier par rapport aux agriculteurs d’autres provinces qui auront accès à de tels fonds d’immobilisations pour des technologies qui vont réduire les émissions de carbone ou la consommation sur leurs exploitations agricoles.
À l’échelon provincial, la NSFA a été active dans le dossier du plafonnement et de l’échange. Bien que le gouvernement et les intervenants aient fait beaucoup de travail, il n’est toujours pas clair comment un programme provincial de plafonnement et d’échange sera mis en place, combien les consommateurs doivent s’attendre à payer de plus à la pompe et quelles seront les répercussions globales pour l’économie. Comme le gouvernement fédéral s’attend à ce que des régimes de tarification du carbone soient mis en place en 2018, ces incertitudes créent des difficultés pour ce qui est de planifier l’augmentation du coût des biens et de la production.
Pour terminer, la Nova Scotia Federation of Agriculture aimerait formuler les recommandations suivantes : une étude de collaboration est nécessaire afin que l’on puisse pleinement comprendre les répercussions de la création d’un prix du carbone pour l’industrie agricole et les chaînes de valeur qui servent l’industrie; le Partenariat canadien pour l’agriculture doit aller de l’avant avec l'initiative d’Agri-risques qui étudieront les conséquences des changements climatiques à l’échelle régionale.
De plus, nous aimerions voir la création d’un fonds d’immobilisations pour les « technologies vertes » destiné aux fermes; la mise au point d’outils décisionnels qui permettront aux exploitations agricoles de prendre la bonne décision d’adaptation pour leurs activités; et nous aimerions trouver une façon de réagir aux questions liées à la compétitivité entre les provinces ainsi qu’aux biens importés qui ne seront pas nécessairement assujettis aux régimes de tarification du carbone.
Pour ce qui est du programme provincial, il s’agit de s’assurer que l’exemption pour les entreprises agricoles est couchée par écrit, tout comme l’exemption touchant les ménages, et de consulter les principales sources de crédits compensatoires au moment de la conception du mécanisme des crédits compensatoires.
Avec les bons programmes de soutien et la bonne recherche préliminaire, l’agriculture sera bien placée pour aider davantage à réduire les émissions de son propre secteur ainsi que pour compenser les émissions produites par d’autres secteurs.
De nouveau, merci de m’avoir invité à m’adresser à vous aujourd’hui. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le vice-président : C’est maintenant au tour de M. Russell.
John Russell, coordinateur de la planification agroenvironnemental, Alliance agricole du Nouveau-Brunswick : Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs. Mike Bouma, notre président, n’a pas été en mesure d’assister à la réunion. Il garde un œil sur ses installations de culture, ses growbots, depuis les deux dernières nuits, je suis vraiment désolé.
L’Alliance agricole du Nouveau-Brunswick, qui compte près de 800 membres, est la plus grande organisation agricole de la province. Nous faisons la promotion des intérêts de tous les agriculteurs et de la durabilité et de la croissance de l’industrie agricole au Nouveau-Brunswick. Nous sommes heureux d’avoir été invités à comparaître devant le Comité sénatorial de l’agriculture et des forêts afin de présenter notre point de vue sur la façon dont les changements climatiques peuvent avoir une incidence sur l’agriculture au Nouveau-Brunswick, y compris sur les mesures d’adaptation qui peuvent être requises, les répercussions de la tarification du carbone et la façon dont le secteur peut contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Par nature, les agriculteurs savent intrinsèquement s’adapter. Même si les risques futurs des changements climatiques sont importants, le Nouveau-Brunswick voit l’occasion d’élargir sa production agricole grâce à une période de croissance plus longue dans toutes les régions de la province.
Même si elles mettront peut-être le Nouveau-Brunswick dans une position d’avantage relatif à l’échelle mondiale, les prévisions relatives aux précipitations attribuables aux changements climatiques occasionneront des défis. Même si la quantité totale des pluies au Nouveau-Brunswick peut être suffisante, si l’eau n’est pas bien distribuée au fil du temps et dans les régions, on pourrait ne pas satisfaire aux exigences relatives aux cultures. Jusqu’à maintenant, les investissements consentis dans l’irrigation pour la grande majorité de nos cultures ont été suspendus au profit de l’amélioration du sol afin qu’on puisse augmenter la capacité de rétention d’eau tout en améliorant en même temps le drainage de l’excès d’eau.
Toutefois, étant donné l’augmentation prévue de l’importance des précipitations, mais la diminution de leur fréquence, les agriculteurs du Nouveau-Brunswick pourraient devoir renforcer les systèmes de drainage et de lutte contre l’érosion tout en envisageant la nécessité d’investir dans des systèmes de stockage de l’eau et d’irrigation. L’assurance-récolte n’est guère utile si la production est réduite d’une année à l’autre. Bon nombre des zones de croissance n’ont pas une capacité suffisante d’écoulement fluvial ou d’extraction des eaux souterraines de base. Chaque grand épisode de précipitations peut simplement se révéler une occasion gâchée en raison de l’impossibilité probable d’obtenir les investissements requis pour la récupération des pluies.
On devrait rendre productives sur le plan environnemental les terres en attente d’être cultivées. Dans de nombreuses régions du Nouveau-Brunswick, les terres sont louées aux agriculteurs sans frais, mais sans aucune assurance officielle que tout investissement consenti par l’agriculteur peut être récupéré, ou que la culture pour cette année-là pourra être récoltée. Ces terres risquent d’être retirées de l’agriculture; toutefois, elles peuvent être essentielles pour l’avenir. Les terres agricoles sont continuellement usurpées à des fins de développement résidentiel, ce qui crée le besoin de raser les terres forestières. Ces terres louées, et d’autres terres rasées inutilisées, sont souvent très peu productives, ce qui procure un captage de carbone très minime. Un programme de biens et de services écologiques concernant des services climatiques pourrait conférer une valeur monétaire à l’entretien judicieux de ce sol. Cela ne supposerait pas le retour à la forêt; il s’agirait plutôt de planter des cultures pérennes productives, qui seraient remises au sol afin de l’améliorer, et de séquestrer le carbone sans fausser le marché. L’idée, c’est de fournir des avantages maximaux du point de vue de l’environnement, d’améliorer le sol et de préserver la terre dans un état prêt pour la production.
De nouveaux problèmes liés aux ravageurs attribuables aux changements climatiques ou à d’autres facteurs continuent de nécessiter l’adaptation constante de stratégies visant la gestion des cultures. Du personnel de vulgarisation agricole, des recherches liées aux ravageurs et de nouveaux produits de protection des cultures sont essentiels pour aider les agriculteurs.
L’intensification durable est indispensable pour produire des aliments pour la planète tout en protégeant la biodiversité. Les améliorations au chapitre de la productivité nécessitent des recherches, des essais sur le terrain et des démonstrations pour que les agriculteurs du Canada adoptent des variétés éprouvées et de meilleures méthodes de production.
Au Nouveau-Brunswick, aucun programme de tarification du carbone n’a été annoncé, et les producteurs sont donc incertains des possibles répercussions. Les producteurs agricoles sont des preneurs de prix et ils sont très concurrentiels dans un marché international. Même si les coûts du carbone ne sont pas compris dans le carburant pour tracteur, d’autres achats d’énergie, comme l’électricité, l’huile de chauffage et le propane, pourraient toucher divers agriculteurs au moyen de coûts supplémentaires. De plus, des augmentations des coûts indirects sont attribuables à l’augmentation des coûts de fabrication et de transport des intrants et du transport des produits depuis la ferme.
Les agriculteurs du Nouveau-Brunswick sont profondément préoccupés par l’absence de détails fournis par notre province quant à sa stratégie concernant la tarification du carbone. Aucune consultation récente auprès de groupes de producteurs ne s’est tenue, et on ignore donc dans quelle mesure les agriculteurs du Nouveau-Brunswick pourraient être exemptés et si un certain genre de système de remise pourrait ou non être mis en œuvre, comme c’est le cas dans d’autres provinces. On s’inquiète du fait que, au-delà des préoccupations internationales en matière de compétitivité, il pourrait y avoir un terrain de jeu inégal entre les provinces.
L’Alliance agricole du Nouveau-Brunswick croit fermement que les producteurs agricoles font partie de la solution. Des terres et de l’eau de qualité sont deux ressources fondamentales pour la production agricole, et parce que les agriculteurs entretiennent des liens étroits avec la terre, ils font davantage que toute autre industrie pour protéger et préserver ces ressources.
Le plan environnemental de la ferme encourage de nombreux aspects de la conservation énergétique, un meilleur usage du fumier, l’amélioration de la gestion de l’alimentation du bétail, des fertilisants ou des nutriments, et diverses pratiques de séquestration du carbone, comme l’entretien des brise-vent naturels, la réduction des pratiques de travail des sols, la rotation des cultures pour accroître la matière organique dans le sol et la gestion des boisés. La majorité des agriculteurs du Nouveau-Brunswick a achevé son plan et le tient à jour. On s’attend à ce que les mises à jour futures du document du plan environnemental de la ferme intègrent davantage des stratégies relatives à la gestion du carbone.
De façon générale, les débouchés pour la réduction des GES dans l’agriculture sont très coûteux à la tonne. Étant donné la taille des exploitations agricoles au Nouveau-Brunswick, il est impossible de compenser les débouchés pour la réduction des émissions; par conséquent, il sera nécessaire d’établir des mesures incitatives concernant l’élaboration de pratiques bénéfiques.
On offre de l’aide pour financer des projets d’immobilisations dans le cadre de Cultivons l’avenir 2 au moyen d’un ensemble de meilleures pratiques de gestion, mais il n’y a aucun financement pour l’entretien de structures, de paysages ou de pratiques écologiques. Très souvent, l’économie justifie le maintien de pratiques écologiques, mais ce n’est pas toujours le cas. Un agriculteur qui n’a aucun motif financier pour adopter ou maintenir certaines pratiques est contraint à les abandonner. Il peut s’agir, par exemple, de l’application de paillis sur le sol après la récolte des pommes de terre pour contrer le risque d’érosion du sol causée par l’eau; de l’utilisation d’azote à libération contrôlée coûtant plus cher pour réduire la présence d’oxydes nitreux dans des conditions printanières humides; de l’analyse du fourrage à faible coût pour répondre de façon plus adéquate aux besoins des bovins, réduisant ainsi la production de méthane dans la panse.
L’entretien des brise-vent est une autre pratique. L’élagage, l’éclaircissage et le remplissage d’espaces vides grugent les profits de l’agriculteur. L’établissement de paiements pour les biens et services écologiques fournis à la société par les producteurs agricoles pourrait procurer la mesure incitative financière nécessaire.
L’agriculture est un secteur économique stratégique pour le Nouveau-Brunswick, car elle fournit des produits bruts destinés à la consommation et un traitement à valeur ajoutée. Des investissements stratégiques sont nécessaires afin de nous permettre de réaliser notre plein potentiel, c’est-à-dire de fournir des produits alimentaires et agricoles à faible teneur en carbone à une population mondiale grandissante. Une meilleure gestion du risque connu, la promotion de la recherche, l’innovation et la prise de mesures d’adaptation et de résilience permettront aux producteurs du Nouveau-Brunswick de se préparer efficacement pour l’avenir.
Le vice-président : Monsieur Mol?
David Mol, président, Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard : Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs. Je m’appelle David Mol et je suis président de la Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard. Je suis producteur de grains de semence et je travaille comme agriculteur depuis 1972, soit à peu près l’époque d’Eugene Whalen.
La bonne nouvelle, c’est que, avec ses ciseaux affûtés, mon directeur général a élagué mon discours, le faisant passer de 19 minutes et demie à 6 minutes et demie.
J’aimerais prendre un moment pour vous remercier d’avoir invité le PEIFA à comparaître. Nous sommes la plus grande organisation agricole générale de l’Île-du-Prince-Édouard, représentant les intérêts de plus de 85 p. 100 des terres agricoles de l’île. La composition de nos membres est variée. Nous représentons environ 15 groupes de producteurs différents et comptons plus de 500 membres actifs. Cela représente assez bien l’ensemble des différents types de produits cultivés à l’Île-du-Prince-Édouard. Je pense que vous entendrez un peu plus tard un exposé d’un représentant du secteur forestier, et M. Rowe est membre de notre comité.
Les changements climatiques ne sont pas de fausses nouvelles; c’est la réalité. D’après le laboratoire de recherche sur le climat de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, la température annuelle de l’île a changé de 0,5 degré Celsius au cours des 100 dernières années et elle subira des augmentations cumulatives dans l’avenir. Fait encore plus déconcertant, le laboratoire de recherche sur le climat de l’UPEI prédit aussi des conditions de sécheresse dans l’avenir, avec une baisse de 6 p. 100 des précipitations moyennes d’ici 2020. Même si les précipitations diminuent, leur intensité va augmenter. Puisque le sol de l’Île-du-Prince-Édouard est limoneux-sableux, la présence de conditions météorologiques extrêmes signifie une augmentation des incidents de ruissellement, des inondations intérieures et de l’érosion.
Mais que faisons-nous à mesure que nous nous adaptons à ces réalités changeantes? Le gouvernement a répondu au moyen de lois et de règlements. À l’Île-du-Prince-Édouard, nous avons un règlement sur les zones tampons. Une culture pratiquée près de l’eau ou d’un milieu humide doit maintenir une zone tampon d’au moins 15 mètres afin de prévenir le ruissellement.
On a un règlement sur les tournières herbagées, où chaque culture en rangs plantée à moins de 200 mètres de l’eau doit se terminer par 10 mètres d’herbe ou se terminer dans la zone tampon afin de prévenir le ruissellement du sol.
Il y a une rotation minimale de trois ans. Cela vise à atténuer la présence de ravageurs et de maladies et à maintenir la matière organique et la densité du sol.
La proposition la plus récente a été notre « loi sur l’eau », qui sera présentée à l’Assemblée législative plus tard cet automne. Cette mesure législative générale va permettre de renforcer les règles concernant l’usage de l’eau au nom des changements climatiques.
L’industrie a répondu en élevant la barre pour ce qui est de la durabilité et du fait de tracer la voie avec des initiatives de son propre chef. Nous concentrons nos efforts sur les meilleures pratiques de gestion durables et l’évolution de notre mode d’agriculture.
La fédération travaille avec plusieurs groupes d’intervenants et la province sur ce qu’on appelle le programme Gérance des nutriments 4B. Ce programme d’application de fertilisants durable favorise l’utilisation de fertilisants à la bonne source, au bon moment, au bon prix et à la bonne place. Il a pour but de veiller à l’application de l’utilisation la plus efficace des nutriments dans des zones qui réduisent au minimum les pertes pour l’environnement. Cela comprend le rejet d’oxyde nitreux, le lessivage et le ruissellement. C’est considéré comme une réelle occasion de changement, les détaillants agricoles locaux ayant récemment uni leurs efforts.
Le plan environnemental de la ferme amélioré est une autre initiative. La fédération administre ce programme provincial qui aide les agriculteurs à élaborer un plan de gestion pratique durable sur le plan de l’environnement, socialement acceptable et viable sur le plan économique. La fédération travaille de façon individuelle avec nos membres pour cerner et aborder les possibilités et les risques environnementaux dans le cadre de ses activités, et nombre d’entre eux concernent la prise de mesures d’adaptation, la gestion de l’eau, la gestion des nutriments, la gestion du sol et une multitude d’autres. L’exploitation agricole reçoit une série de recommandations et elle devient admissible à des fonds gouvernementaux visant à l’aider à mettre en œuvre les changements nécessaires. Ces plans sont bons pour cinq ans, après quoi ils doivent être renouvelés. Il y a plus de 450 plans environnementaux de la ferme à l’Île-du-Prince-Édouard qui représentent près de 300 000 acres de production ou plus de la moitié de la production agricole à l’Île-du-Prince-Édouard.
À mesure que nous nous adaptons, nous cherchons aussi des façons d’atténuer les risques. En examinant les tendances actuelles, de nombreuses exploitations agricoles réduisent le travail du sol pour améliorer le contenu du sol organique et réduire les émissions de carbone et leur empreinte écologique. Elles utilisent de l’équipement direct pour réduire les émissions de combustibles et effectuent des vérifications énergétiques afin de réduire la consommation énergétique, pour ne nommer que quelques exemples.
Certaines ont investi dans les énergies renouvelables en installant des éoliennes et des panneaux solaires. Le PEIFA a mené une étude sur la production de l’énergie renouvelable en 2016. Les occasions qui existent dans l’énergie éolienne et solaire à l’Île-du-Prince-Édouard sont excellentes, mais les coûts, les programmes gouvernementaux et les règlements locaux sur l’énergie empêchent de nombreuses exploitations de rendre cette option viable.
Plusieurs initiatives dirigées par des producteurs font des recherches indépendantes. Un groupe a embauché M. David Burton pour mener des travaux sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et le PEIFA a été fier de soutenir son travail. M. Burton a effectué, au cours des dernières années, plusieurs études qui se sont penchées sur les émissions d’oxyde nitreux et de carbone et sur la façon dont les pratiques agricoles peuvent s’adapter pour atténuer le rejet de ces gaz nocifs dans l’atmosphère.
La tarification imminente du carbone inquiète le PEIFA. Contrairement à de nombreuses administrations provinciales que vous avez eu l’occasion d’entendre, le gouvernement provincial de l’Île-du-Prince-Édouard tarde encore à annoncer un plan. Il a comparu en janvier dernier devant le PEIFA pour parler d’une taxe sur le carbone s’appliquant à tous les combustibles, mais, à ce jour, il ne s’est pas engagé à l’égard de celle-ci ni de tout autre système.
Le premier ministre a dit que, advenant l’introduction d’une taxe sur le carbone, les véhicules roulant au moyen de carburant coloré seront exemptés. Toutefois, sur la ferme, seuls les tracteurs et les moissonneuses-batteuses sont autorisés à rouler avec du carburant coloré, et tout véhicule qui circule sur la route de façon régulière ne l’est pas, même si ce véhicule transporte un produit du champ à l’entrepôt. Le PEIFA exerce actuellement des pressions sur le gouvernement provincial pour qu’il étende les permis sur le carburant coloré à l’ensemble des véhicules ayant une plaque d’immatriculation agricole.
Le transport est un coût important pour les agriculteurs de l’île qui veulent transporter le produit jusqu’au marché. La tarification du carbone va rendre cela encore plus difficile. Les intrants seront plus chers, tout comme bon nombre d’autres produits, puisque le prix du carbone est transféré aux producteurs. Les agriculteurs sont des preneurs de prix — je pense que j’ai déjà entendu ce terme-là — et il est impensable pour eux de transférer le coût de quelque chose comme le carbone à leurs consommateurs. Nous craignons que les agriculteurs canadiens ne soient mis dans une position concurrentielle désavantageuse sur le marché mondial, particulièrement dans une province comme l’Île-du-Prince-Édouard, qui doit transporter la grande majorité de ses biens sur de longues distances afin d’atteindre le marché. Qui plus est, avec différents systèmes en place partout au Canada, il y a un risque que surviennent des problèmes régionaux sur le plan de la concurrence. Certaines provinces offrent des indemnités ou certaines exemptions et remises tandis que d’autres ne le font pas. Nous vous pressons de tenir compte de cette possibilité.
Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent aider la communauté agricole au moyen de recherches et d’innovation continues. Cela comprend des recherches sur la séquestration du carbone, l’énergie renouvelable et la façon de réduire les émissions de gaz à effet de serre produites par l’équipement, les intrants des cultures et le bétail. L’agriculture peut jouer un rôle important pour réduire les émissions de gaz à effet de serre : il y a 575 000 acres de terres agricoles à l’Île-du-Prince-Édouard et une grande superficie de terres forestières dont beaucoup sont la propriété de la communauté agricole. Le PEIFA encouragerait les gouvernements tant fédéral que provincial à se rappeler que l’agriculture offre un excellent potentiel pour réduire l’empreinte carbone.
Pour terminer, j’aimerais vous remercier de cette occasion.
Le vice-président : Et nous aimerions tous vous remercier de vos exposés. Ils ont été géniaux.
Nous commencerons par le sénateur Doyle.
Le sénateur Doyle : Vous avez pratiquement répondu à toutes les questions que j’avais, ce qui montre à quel point vos exposés ont été efficaces. Mais permettez-moi de parler du système de gestion de l’alimentation et du fumier. La Fédération canadienne de l’agriculture dit que si c’est fait de façon efficace et efficiente, les émissions de GES vont diminuer. Les agriculteurs sont-ils prêts à coopérer à cet égard étant donné que cela supposerait une diminution des niveaux de production, n’est-ce pas? Et cela signifierait une diminution des profits. Ainsi, est-ce réaliste pour la Fédération canadienne de l’agriculture de dire cela?
M. van den Heuvel : Merci beaucoup de poser la question. Je pense qu’il y a beaucoup de possibilités pour les agriculteurs afin qu’ils soient en mesure de tirer parti de ces programmes. Je ne pense pas que cela signifie nécessairement une réduction de la production, par exemple des niveaux d’efficacité. J’ai participé tout particulièrement au cours des dernières années à la création ou à l’établissement de biodigesteurs anaérobiques sur des fermes afin de prendre de l’écoulement de fumier de ces animaux et de le traiter, de capter le méthane et d’empêcher que cela ne pénètre dans l’atmosphère. Nous pouvons capter beaucoup de ces émissions de gaz à effet de serre et de ce méthane. Si vous ne le savez pas, je crois que le méthane est un gaz à effet de serre à peu près 23 fois plus puissant que le CO2. Il y a donc pour les agriculteurs une certaine occasion à saisir, et beaucoup de recherches sont faites.
Je pense que c’est une personne à l’Île-du-Prince-Édouard qui a remarqué qu’une souche particulière de varech contient une enzyme ou je ne sais quoi. Ce que je dis à ce propos dépasse assurément mes compétences. Quoi qu’il en soit, cette personne a remarqué que cette souche permet de réduire la quantité de méthane que les bovins rejettent de leur estomac. Il y a donc beaucoup de recherches et beaucoup d’occasions. Nous devons agir intelligemment, peu importe ce que nous faisons. Mais assurément, des choses comme la biorecherche et le soutien en R-D seraient beaucoup appréciés.
Le sénateur Doyle : Renseignez-moi un petit peu ici si vous le voulez bien. Que veut dire la fédération lorsqu’elle parle des coûts d’immobilisations des technologies propres dans l’agriculture? Elle a dit que les coûts sont censés être très élevés et que les agriculteurs n’auront pas nécessairement les moyens de les payer. À quoi fait-elle allusion lorsqu’elle parle des coûts élevés de la technologie, des coûts d’immobilisations de la technologie?
M. Russell : Les biodigesteurs, par exemple, sont une très bonne technique permettant de réduire les gaz à effet de serre. Une exploitation agricole au Nouveau-Brunswick en a installé un, mais c’est essentiellement parce qu’elle a été en mesure d’obtenir assez de fonds de l’industrie locale pour que ses frais de déchargement aident à payer cela. Je crois qu’on parle de millions de dollars, et il y a essentiellement un peu d’électricité qui va alimenter le réseau, mais c’est une infrastructure très coûteuse.
Le sénateur Doyle : Les agriculteurs ont-ils accès à du financement pour apporter ces améliorations?
M. van den Heuvel : Il pourrait y avoir du financement au moyen de programmes de PGB, programmes de technologies ou de nouvelles technologies. Je ne suis pas certain de la somme que l’exploitation agricole aurait reçue grâce à ces programmes, mais il y aurait eu un certain financement pour de nouvelles technologies.
Le sénateur Doyle : Merci.
Le sénateur Ogilvie : J’ai été surpris par vos commentaires sur la façon dont on s’occupera du carbone en ce qui concerne la taxe ou le plafonnement et l’échange et, si je vous ai bien compris, l’absence de moyens clairs qui aideraient le secteur agricole à faire face à l’augmentation des coûts que suppose le traitement de cette question.
Ce matin, j’ai parlé aux ministres de la Nouvelle-Écosse d’un récent rapport que j’ai lu. Il soutenait clairement et vigoureusement que le carbone allait bientôt être assujetti à une taxe — je crois que nous savons tous que c’est le cas — et qu’une approche axée sur une taxe sur le carbone est le moyen le plus transparent. Le concept qu’on a fait valoir relativement à la taxation du carbone consiste à imposer la taxe aux industries qui produisent trop de carbone, puis à dégager les fonds nécessaires afin que l’industrie puisse s’adapter à la situation. Si c’est le cas, nous savons que quelqu’un paiera une taxe. Nous savons où s’en va la taxe. Nous pouvons facilement analyser, dans le cadre de la vérification annuelle, combien d’argent est perçu. Et si on dépense l’argent provenant de ce fonds pour aider le secteur agricole ou d’autres secteurs à s’adapter, nous pouvons facilement suivre cette démarche. Une taxe sur le carbone avec des investissements de compensation est très facile à suivre.
Il semble, jusqu’à maintenant au Canada, que la majorité des provinces vont opter pour le plafonnement et l’échange, ce qui est, selon le rapport, une approche qui permet de facilement dissimuler la façon dont sera utilisé l’argent perçu sous forme de taxe ou de prélèvement. En d’autres mots, c’est d’abord un terme plus plaisant, alors sur le plan politique, il comporte un avantage. Ensuite, s’il est très difficile pour quiconque de savoir où va l’argent, il ne sera pas possible de savoir combien d’argent est perçu d’un côté et combien retourne dans les secteurs qui en ont vraiment besoin. Je comprends que la Nouvelle-Écosse a l’intention d’adopter le plafonnement et l’échange. Nous savons que les secteurs importants en Nouvelle-Écosse devront s’adapter à cette réalité et engager des dépenses, comme vous l’avez souligné.
Ma question à vous tous est la suivante : comme vous avez tous parlé d’une certaine manière de la tarification du carbone, sachant que cela se produira sous une forme ou une autre, auriez-vous préféré une taxe sur le carbone au lieu du plafonnement et de l’échange?
M. van den Heuvel : Merci beaucoup, monsieur le sénateur, de la question.
Du point de vue de la fédération, nous avons effectué beaucoup de recherches sur cette question. Il s’agit d’une question vaste et très complexe. Je ne suis pas certain de connaître le rapport particulier dont vous avez parlé, mais j’aimerais beaucoup en savoir le titre afin de pouvoir l’examiner d’un peu plus près. Mais, de notre point de vue et selon la recherche que nous avons menée, l’industrie agricole est unique, puisque nous avons la possibilité d’aider à atténuer les gaz à effet de serre au moyen d’un puits de carbone sur nombre de nos exploitations agricoles. Notre inquiétude relativement au système de taxe sur le carbone est que les intentions du gouvernement en ce qui concerne l’imposition d’une taxe sont souvent bonnes, c’est-à-dire que le gouvernement la percevra et la distribuera ensuite aux industries qui en ont le plus besoin. Mais nous avons vu à maintes reprises qu’on ne tient pas compte de ce qui était prévu initialement et qu’on détourne ces taxes vers d’autres secteurs. Alors, de notre point de vue, à la lumière de la recherche que nous avons effectuée, nous croyons qu’un système de plafond et d’échange est ce qui serait le plus bénéfique pour nos agriculteurs. Mais nous sommes une petite province, alors une telle chose devrait être faite sur le plan régional afin que nous puissions tirer véritablement parti de ce système à l’échelle nationale et mondiale.
Je crois que toute chose aussi complexe exige davantage d’études et de consultations. Notre inquiétude grandit à mesure que nous avançons dans cette voie. Comme nous l’avons tous mentionné, nous sommes des preneurs de prix dans cette situation. Les plus grandes dépenses de nos organisations, lorsque nous parlons de charges d’exploitation, concernent l’engrais, le carburant et l’électricité. Lorsque nous en serons là, c’est nous qui allons éponger les coûts parce que ce sont nos industries qui seront sans aucun doute imposées, et ce lourd fardeau incombera aux agriculteurs.
En même temps, nous ne sommes pas en mesure de refiler le coût, alors nous croyons que, s’ils peuvent tirer avantage de crédits de carbone et de les vendre en utilisant leur exploitation agricole comme puits, les agriculteurs pourront directement accéder à ces fonds et en profiter.
En terminant, lorsque nous regardons ce qui s’est passé du côté de la Colombie-Britannique avec la taxe sur le carbone, celle-ci a décimé l’industrie agricole, particulièrement l’industrie des cultures de serre. On a instauré une taxe sur le carbone, et les agriculteurs ont été durement touchés. La Colombie-Britannique a assisté à un exode important d’agriculteurs de l’industrie des cultures de serre.
Le sénateur Ogilvie : Eh bien, le problème que vous mentionnez est que vous trouvez que le système de taxe sur le carbone peut être difficile à suivre. L’article a été publié dans le Globe and Mail et indiquait que les chiffres relatifs aux taxes comprises et aux taxes non comprises font l’objet d’un rapport annuel. Vous semblez penser que le plafonnement et l’échange seront un système beaucoup plus transparent. Pouvez-vous m’expliquer, selon vous, comment un système de plafond et d’échange fonctionnera en Nouvelle-Écosse?
En passant, au cours de nos réunions à Ottawa, nous avons entendu le témoignage d’un expert sur la question des gaz à effet de serre, et ce que nous avons retiré de cette réunion, c’est qu’on avait pris des mesures pour subventionner l’industrie des cultures de serre, qui éprouvait un énorme problème à cet égard, comme vous le disiez. Quoi qu’il en soit, j’ai peut-être mal compris la façon dont un système de plafonnement et d’échange fonctionnera en Nouvelle-Écosse. Vous semblez penser qu’il s’agira d’un système beaucoup plus transparent, alors j’aimerais avoir vos observations.
M. van den Heuvel : Encore une fois, je parlerai peut-être d’un sujet qui va au-delà de mes connaissances parce qu’il s’agit d’une question vaste et complexe, mais je vais revenir seulement sur deux ou trois points dont nous avons tous parlé, je crois.
Comme la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve sont de très petites provinces en comparaison des autres provinces et des autres pays partout dans le monde, tout ce qui est fait doit l’être sur le plan régional. Alors nous croyons que nous réaliserons des gains d’efficacité en nous regroupant et en coordonnant nos efforts. Nous croyons que la meilleure façon d’avantager nos agriculteurs, c’est par la mise en place d’une organisation intermédiaire qui représente nos intérêts lorsque nous achetons et vendons nos crédits au sein de cette organisation, qui, à son tour, peut les mettre sur le marché.
Je ne sais pas si quelqu’un veut ajouter autre chose à cela.
M. Mol : L’Île-du-Prince-Édouard a ménagé la chèvre et le chou, j’imagine, en attendant de voir ce qui allait se produire, mais il y a eu l’annonce de vendredi selon laquelle le plafonnement et l’échange allaient faire partie d’un projet de loi.
Jusqu’ici, nous avons parlé à des représentants du Québec, de l’Ontario et de la Nouvelle-Écosse. Ces trois provinces ont adopté le plafonnement et l’échange, selon ce que nous constatons. Le Nouveau-Brunswick en tirera probablement des avantages, de même que l’Île-du-Prince-Édouard, n’ayant pas de grandes industries à cibler, et c’est probablement une des raisons pour lesquelles elles envisageaient peut-être une taxe sur le carbone.
Toutefois, en tant qu’agriculteur, je crois que la contribution des agriculteurs à la réduction des émissions de gaz à effet de serre serait plus transparente, tant pour nous-mêmes que pour le public, car nous aurions à faire un certain nombre de choses pour obtenir des crédits d’impôt. J’ai des centaines d’acres de forêt derrière mon exploitation agricole, et la valeur de la séquestration est peut-être supérieure, dans mon cas, à la vente de bois. Il s’agit d’une décision que je devrai prendre. La mesure incitative serait peut-être seulement les crédits de carbone, selon leur valeur.
J’abandonnerais peut-être ma culture habituelle avec labour pour une culture sans labour parce que cela me permettrait de séquestrer du carbone supplémentaire. C’est également une décision financière qui pourrait m’encourager à poursuivre dans cette voie. Mais il faudrait faire des choses précises sur l’exploitation agricole qui seraient facilement mesurables afin de se qualifier pour un tel programme. Je crois qu’il serait beaucoup plus facile de mesurer la réduction réelle des émissions de gaz à effet de serre. Je conviens avec vous que les taxes comprises et les taxes non comprises sont attrayantes, mais tout se joue dans les détails pour ce qui est de la partie des taxes non comprises.
Robert Godfrey, directeur général, Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard : J’ajouterais que je ne suis pas certain qu’il s’agit d’une question de transparence. Je crois que c’est plutôt une question d’émissions de carbone. C’est l’objectif.
Les changements prennent du temps. Dans un système de plafond et d’échange, l’agriculture a la possibilité d’évoluer au fil du temps. David a mentionné la culture sans labour. Dans les années 1970, on a mis en place la culture sans labour dans les Prairies, et les gens croyaient qu’on était fou : « Pourquoi voudriez-vous utiliser cette technologie? » Et maintenant, dans les Prairies, presque tout le monde y a recours. Alors les changements prennent du temps.
Pour ce qui est de la taxe, c’est seulement un coût. C’est tout. Oui, il y a des mesures incitatives afin de réduire les coûts, mais où est la possibilité à cet égard? Dans une petite province comme l’Île-du-Prince-Édouard, on créera un fonds, peut-être un fonds de type écologique comme celui de l’Alberta, mais quelle sera sa taille? Et comment l’argent sera-t-il divisé entre la recherche et l’approche régionale dont nous avons parlé et le plafonnement et l’échange, où nous travaillons tous ensemble à faire de la recherche et à trouver des façons d’aller de l’avant?
Oui, un système de taxes comprises et de taxes non comprises semble très transparent et facile à suivre, mais je ne suis pas certain qu’il atteindra l’objectif de réduire les émissions de carbone au fil du temps. C’est seulement mon humble avis.
Le vice-président : Pour mes collègues qui ne viennent pas du Canada atlantique, lorsque vous dites « régional », pouvons-nous supposer que le terme renvoie aux Maritimes ou aux provinces de l’Atlantique et que votre suggestion vise les trois ou quatre provinces qui se regrouperaient à cet égard? D’accord.
Également pour les analystes, comme nous rédigeons notre rapport, nous voulons nous assurer de comprendre la terminologie. Lorsque vous dites « régional », vous voulez dire le Canada atlantique.
Monsieur Russell?
M. Russell : Mon inquiétude en ce qui concerne le plafonnement et l’échange réside dans les contreparties. En raison des incertitudes liées à la science et aux conditions météorologiques, on sous-estime habituellement les chiffres, alors on sous-estime la production réelle d’une terre agricole. Selon ce système, la production agricole reflète-t-elle vraiment la réalité?
La sénatrice Tardif : Merci d’être ici cet après-midi. Il s’agissait d’exposés très intéressants.
Certains d’entre vous ont parlé de plans environnementaux à la ferme, et j’aimerais en savoir plus à leur sujet. Est-ce quelque chose que votre fédération agricole a élaboré et que les agriculteurs doivent suivre ou est-ce que chaque agriculteur élabore son propre plan et vous le présente par la suite? J’aimerais en savoir un peu plus sur le plan environnemental à la ferme. Selon votre réponse, j’aurai quelques autres questions.
M. Godfrey : Eh bien, je vais parler de ce qu’on retrouve dans la PEIFA. Il s’agit en réalité d’un programme provincial. Il vient du financement de Cultivons l’avenir 2, programme administré par la fédération au nom de la province. C’est un programme volontaire; il n’est pas obligatoire. Voici la façon dont vous pouvez participer : si vous voulez être admissible à un certain financement gouvernemental, vous devez élaborer un plan environnemental à la ferme. Disons que votre champ est très détrempé. Vous remarquez qu’il y a beaucoup de ruissellement. Vous voulez aménager une terrasse fluviale ou une berme soit pour maîtriser le débit de l’eau, soit pour recueillir l’eau dans un réservoir d’irrigation. Vous êtes admissible à du financement gouvernemental, alors vous venez nous voir. Nous avons deux membres du personnel qui se rendront sur les lieux. Vous leur donnez vos numéros d’identification de propriété. On les intègre à une carte, à un programme. Je vais ensuite m’asseoir avec vous et vous parler de vos pratiques sur l’exploitation agricole, que ce soit de votre plan de gestion des nutriments ou que vous n’en avez pas. Nous allons aborder votre programme d’intervention en cas d’urgence et votre gestion de l’eau. Nous allons vous attribuer une note de un à quatre, un étant très faible et quatre étant excellent.
Au final, nous formulerons un ensemble de recommandations qui porteront sur l’amélioration de la durabilité environnementale de votre exploitation agricole. Nous vous présentons les programmes offerts par le gouvernement pour que vous puissiez réellement avoir accès à du financement pour effectuer ces changements.
On vous formule ces recommandations, et le plan lui-même est bon pour cinq ans. Au terme des cinq ans, il n’est plus valide. Pour accéder à du financement gouvernemental, vous devez présenter à nouveau une demande et suivre encore une fois le processus.
Le plan est très populaire chez nous parce que certains des principaux acteurs comme la société Cavendish Farms, qui est le fournisseur de pommes de terre frites de McDonalds et de Wendy’s, a acheté environ 55 000 acres des 85 000 acres de cultures de pommes de terre de l’Île-du-Prince-Édouard. C’est un acheteur très important. La société a dit à ses producteurs : « Si vous voulez faire partie de nos producteurs, vous devez adopter un plan environnemental à la ferme ».
Amalgamated Dairies Limited, qui est le plus grand transformateur de lait de l’Île-du-Prince-Édouard, a affirmé la même chose : « Vous voulez que nous achetions votre lait? Alors vous avez besoin d’un plan environnemental à la ferme. » Le processus est très rigoureux et permet aux producteurs de dire à leurs acheteurs, comme McDonalds : « Nos producteurs de pommes de terre et nos fournisseurs respectent une certaine forme de durabilité environnementale. »
Chaque province possède un système de plan environnemental à la ferme différent. J’explique le nôtre, mais ils sont similaires dans l’ensemble.
Il y a des pourparlers permanents à l’échelle nationale. On tiendra une réunion le 1er novembre, je crois, à Ottawa. L’an passé, au cours de la même période, on a tenu le Sommet pour un Plan environnemental national. Deux de mes employés assisteront à la réunion à Ottawa. Au cours de conférences téléphoniques, ils ont discuté de l’adoption d’une approche nationale. Il faut créer un programme national assorti de normes nationales. Nous suivons cela de très près parce que nous ne voulons pas une version diluée de ce dont nous avons besoin.
J’espère que cela répond à votre question.
La sénatrice Tardif : C’était une réponse très complète. Je vous demanderais seulement si les autres provinces ont fait des commentaires à cet égard.
M. Russell : Le coordonnateur du PEF en Alberta, Paul Watson, a lancé l’initiative du plan environnemental à la ferme, mais elle est très similaire à celle du Nouveau-Brunswick. En Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard, cela semble être davantage une directive donnée par les coordonnateurs, alors que, dans mon cas, j’essaie d’aider l’agriculteur à effectuer sa planification et à trouver ses propres réponses. Mais c’est très similaire.
La sénatrice Tardif : Et en Nouvelle-Écosse?
M. van den Heuvel : Notre programme en Nouvelle-Écosse est pratiquement identique à celui qu’on vient juste de décrire. Il est très exhaustif. On exige un renouvellement tous les cinq ans.
Ces deux messieurs ont parlé de ce qui se fait à l’échelle nationale, et ce n’est pas pour nous vanter, mais le Canada atlantique prend habituellement les devants relativement à ces profils de programme environnemental à la ferme. Par exemple, ici en Nouvelle-Écosse, nous avons un taux d’adhésion de plus de 70 p. 100 de nos exploitations agricoles. C’est le taux le plus élevé au pays. Le Canada atlantique, en tant que région, présente également un taux beaucoup plus élevé que le reste du pays, alors nous connaissons bien le programme de PEF et ce qu’il peut faire pour aider nos exploitations agricoles et notre environnement.
M. Russell : On a lancé le programme en Ontario au début des années 1990, alors il s’agit d’un programme permanent dans le Canada atlantique depuis plus de 20 ans, maintenant. Au Canada, le Yukon a été le dernier territoire à l’adopter en 2005, je crois.
La sénatrice Tardif : Il semble qu’il s’agit certainement d’une façon de mettre de l’avant et de communiquer des pratiques exemplaires. Je crois que quelqu’un du Nouveau-Brunswick a dit qu’il était important d’avoir des mesures incitatives pour reconnaître les pratiques bénéfiques. En quoi consisteraient ces mesures incitatives?
M. Russell : Il y a beaucoup de choses que les agriculteurs font qui ne sont pas des projets d’immobilisations, mais qui sont des pratiques bénéfiques pour réduire les gaz à effet de serre, comme leur gestion du fumier. Mais il n’existe pas de programme incitatif pour encourager la poursuite de ces activités. Souvent, cela peut être avantageux sur le plan économique ou favoriser la croissance d’une culture en faisant ces choses, mais parfois il est en réalité plus coûteux pour les agriculteurs d’adopter ces nouvelles pratiques sans toutefois que ce soit avantageux pour eux.
Nous avons effectué des essais partout au Canada. Au Nouveau-Brunswick, nous utilisons le plan environnemental à la ferme comme outil afin d’essayer de calculer les avantages écologiques pour la société. Mais au Nouveau-Brunswick, on n’a jamais lancé de programme pour payer les avantages dont profiteraient les agriculteurs. On n’offre aucune mesure incitative aux agriculteurs.
L’Île-du-Prince-Édouard possède au moins un programme partiel : ALUS, Services de diversification des modes d’occupation des sols. Le programme paie pour le maintien de certaines de ces pratiques. Par exemple, la culture de couverture ou la mise en place de paillis sur le sol après une récolte faisaient, à un moment donné, partie des pratiques comprises dans le programme. Il y avait donc des dividendes annuels, très peu, peut-être 25 $ l’acre, si l’agriculteur adoptait des pratiques pour préserver la terre ou réduire les gaz à effet de serre.
M. van den Heuvel : J’ajouterais que le programme Services de diversification des modes d’occupation des sols, l’ALUS, est un programme national assez important à l’Île-du-Prince-Édouard compte tenu de notre proximité à l’eau et aux cours d’eau. Dans les années 1990, nous avons éprouvé un problème assez important en raison de mortalités massives de poissons. Nous avions des écoulements qui contenaient des pesticides et des nitrates. Ils tuaient les poissons, alors le gouvernement a examiné la situation de près et a dit : « D’accord, on doit cesser complètement de cultiver certaines terres. Vous ne pouvez pas prévoir de culture en rangs, par exemple, dans ce champ ou dans un autre. »
Afin d’encourager ce changement, le gouvernement a conçu un programme sous la forme d’ALUS. Ce dernier paie annuellement le producteur 185 $ l’acre, au maximum, pour ne pas qu’il cultive une terre en particulier. Au-delà de cela, il y a la réglementation dont David a parlé plus tôt, comme des zones tampons, des voies navigables dans les pâturages et des choses du genre. Il encourage également les agriculteurs à installer des clôtures pour empêcher le bétail d’accéder aux cours d’eau et à construire leur propre réseau d’alimentation en eau, tout cela au nom de la durabilité environnementale.
Je crois qu’il s’agit d’un bon programme. C’est un exemple qui fonctionne. Au final, nous avons tous de très faibles marges de profit. Nous avons beaucoup parlé de preneurs de prix. Chaque fois que vous effectuez un changement important… disons que j’ai besoin de retirer 30 ou 40 acres de ma production — j’ai peut-être 1 000 acres de culture au total —, alors c’est un pourcentage important qui me coûtera de l’argent. Si je ne peux pas tirer profit de cette partie de ma terre, je devrai donc acheter d’autres terres. Je devrai procéder à certains investissements. C’est juste un exemple.
La sénatrice Tardif : Merci.
La sénatrice Gagné : Merci de vos exposés.
Je crois qu’il est clair que les agriculteurs s’adaptent déjà aux changements climatiques. Mais nous savons qu’il y aura des gagnants et des perdants à ce… J’allais dire « jeu ». Ce n’est pas un jeu. Cela dépendra des régions et des catastrophes naturelles. Le régime fiscal aura également un effet sur la capacité de s’adapter, alors il pose problème pour ce qui est d’élaborer des politiques optimales.
Nous allons retourner à Ottawa, et comment allons-nous concevoir de bonnes politiques publiques pour votre région et le Canada qui réduiront les incidences des changements climatiques sur l’agriculture?
M. van den Heuvel : C’est une grande question. Sans trop entrer dans les détails, je crois que, peu importe ce que nous ferons au cours des prochains mois et des prochaines années, nous devrons le faire en collaboration. Nous ne voulons pas, en tant qu’industrie, nous faire dire quoi faire. Nous voulons qu’on nous écoute.
Comme vous l’avez souligné dans votre déclaration préliminaire, le secteur agricole fait certainement déjà beaucoup, et nous voulons qu’on reconnaisse nos efforts. Souvent, je crois qu’on donne mauvaise presse au secteur agricole parce qu’il contribue grandement aux changements climatiques sans reconnaître vraiment son mérite pour certaines bonnes choses qu’il fait.
Je sais qu’il s’agit d’une réponse très générale, mais nous voulons vraiment travailler en collaboration pour ce qui est de notre approche et de notre travail avec les décideurs politiques et les autres décideurs qui aident à déterminer la direction dans laquelle nous allons. Nous avons beaucoup de travail devant nous au cours des 40 ou 50 prochaines années. Afin d’essentiellement doubler ou tripler notre production alimentaire… En fait, c’est plus que cela. On dit souvent qu’au cours des 40 prochaines années, nous devrons produire autant de nourriture que nous l’avons fait au cours des 10 000 dernières années. C’est un défi de taille qui aura des incidences très importantes sur notre climat et nos terres. Nous devons faire les choses intelligemment.
Du moment que nous travaillons ensemble, je crois que nous pouvons y arriver. Il y a des façons de le faire. Nous devons adopter une approche claire, sensée et scientifique envers l’agriculture. Nous ne pouvons pas laisser la peur nous faire choisir certains types de systèmes de production qui peuvent ne pas être bénéfiques ou qui peuvent sembler l’être pour l’environnement, mais qui, au final, ne pourront pas nourrir nos populations croissantes.
M. Mol : Eh bien, je vais entrer un peu dans les détails. Je crois que nous devons bien connaître les incidences réelles des pratiques agricoles, et on doit les quantifier et les qualifier partout au pays. Nous faisons tous les choses différemment. J’ai des amis en Alberta dont un possède avec son épouse une exploitation agricole de 5 000 acres. Ces deux personnes exploitent 5 000 acres. Cela ne se produit pas ici. Deux personnes peuvent être en mesure d’en exploiter peut-être 500.
Après avoir cerné les incidences, on pourra élaborer des lignes directrices ou des normes nationales qui serviront de point de départ. À ce moment-là, on pourra parler d’argent. Mais comment pouvez-vous obliger le secteur agricole à respecter ces niveaux ou ces normes que vous avez déterminés?
Cela nous ramène à la question de savoir si vous pouvez me contraindre au moyen de la taxation du carbone ou du plafonnement et de l’échange. Je crois en partie que la discussion sur la taxation du carbone et le plafonnement et l’échange comporte quelques étapes, et nous en avons sauté quelques-unes avant de vraiment vouloir les suivre. Nous ne savons pas vraiment, en nous fondant sur une ventilation selon les provinces, les produits de base ou autres, ce que mes pratiques, en tant qu’agriculteur de grains de semence, font à l’environnement, et j’aimerais le savoir moi-même. Que nous acquérions une expertise ou que quelqu’un d’autre vienne effectuer une évaluation de mon exploitation agricole, il s’agira de compiler certains chiffres nationaux et de dire : « Eh bien, ce secteur ne fait vraiment pas sa part, mais celui-ci est une étoile montante. » Comment décidons-nous qui nous allons pointer du doigt jusqu’à ce que nous connaissions vraiment les incidences de chaque secteur?
M. Russell : Je dirais seulement que le secteur agricole est un acteur important dans la situation actuelle et qu’il peut offrir une solution, alors je crois certainement qu’il doit participer aux consultations.
M. Godfrey : Je veux seulement appuyer les observations de Chris. Si vous voulez avoir une bonne politique publique, vous devez travailler avec l’industrie. Je crois qu’elle possède un potentiel énorme en ce qui concerne la réduction des émissions de carbone partout au Canada seulement en raison de sa capacité de séquestrer ce carbone année après année.
Le vice-président : Monsieur van Heuvel, vous avez mentionné la question de l’entretien des digues dans votre exposé. Elle a immédiatement attiré mon attention parce que j’ai souvent passé près de digues en automobile. Le gouvernement provincial s’est-il engagé à poursuivre l’entretien des digues et, si oui, connaissons-nous le coût de cet entretien?
M. van den Heuvel : Merci beaucoup de poser la question.
Il y a certainement un programme provincial au ministère de l’Agriculture qui étudie les marais endigués. Depuis un certain nombre d’années, on a investi dans des aboiteaux supplémentaires.
Il y a certains enjeux locaux. Dans la région de Windsor, par exemple, on parle de supprimer un pont-jetée qui a été construit il y a probablement 40 ans ou plus. Il est question de l’enlever. Après sa construction, le pont-levée a permis d’empêcher le débit d’eau d’aller un peu plus loin dans les hautes terres. Un grand nombre de digues ont été éliminées parce qu’elles occupaient une grande superficie, et ces terres ont ensuite été remises en état de produire. Alors maintenant, si on élimine ce pont-jetée, nous allons voir des centaines et probablement des milliers d’acres être submergés d’eau à nouveau, ce qui va certainement nuire à l’agriculture dans cette région.
Il y a donc des programmes en place, mais je pense que nous devons, encore une fois, étudier encore davantage ces enjeux pour nous assurer de comprendre pleinement les effets qu’aura l’élimination de certaines de ces digues.
Le vice-président : S’agit-il du pont-jetée de la route 101?
M. van den Heuvel : Oui, il est situé sur la route 101 qui traverse Falmouth et la région de Windsor.
Le vice-président : Je le connais bien.
Cette étude collaborative dont tout le monde semble vouloir parler tandis que nous sommes réunis ici, de quelle manière l’envisagez-vous? Est-il question que les quatre fédérations agricoles se réunissent et y participent conjointement? Est-ce que les quatre premiers ministres de l’Atlantique vont s’asseoir à l’occasion d’une de leurs rencontres régulières et discuter de plafonnement et d’échange de taxation du coût du carbone? D’après vous, comment se passeront les choses? Si tout le monde pense que c’est une bonne idée, comment allons-nous procéder?
M. van den Heuvel : Je reviens d’une rencontre à Calgary il y a tout juste une semaine et demie. Elle a été organisée par le Centre canadien pour l’intégrité des aliments. Il y avait un groupe d’experts qui se décrivaient comme des passionnés de cuisine. Ce sont des jeunes âgés de 20 à 30 ans, et ce qu’ils veulent surtout, c’est voir de la transparence et de la collaboration au sein de la chaîne de valeur des produits alimentaires. Cela a des conséquences qui touchent non seulement la production, mais aussi l’environnement.
Donc, pour répondre à votre question, je pense que tous les intervenants que vous avez mentionnés doivent y contribuer, et pas seulement l’industrie. Nous aimerions que l’industrie dirige l’étude, oui, et c’est le point que je veux faire valoir, monsieur le sénateur, il faut faire en sorte qu’on écoute les besoins de l’industrie.
Ces jeunes passionnés de cuisine ont précisément dit que ce doit être le gouvernement, les restaurants, les transformateurs de produits alimentaires et les producteurs qui doivent tous s’asseoir ensemble et parler. Ils ne doivent pas dicter leur conduite et dire aux autres « voilà, c’est ce qui sera le plus avantageux pour mon secteur en particulier ou la partie de la chaîne de valeurs qui me concerne, par conséquent, c’est ce que je veux faire ». Nous devons travailler ensemble pour en assurer la réussite et, par la suite, nous assurer que les produits que l’on sert à nos consommateurs sont les plus salubres et les plus écologiques possible.
Le vice-président : Mais les consommateurs doivent-ils prendre part au dialogue également?
M. van den Heuvel : Absolument.
M. Mol : J’ajouterais que, dans 10 jours, ce groupe-ci et quelques autres vont se rencontrer dans le cadre d’une réunion de la Fédération de l’agriculture de l’Atlantique. Nous nous réunissons deux fois par année. Nous nous sommes rencontrés à St. John’s, puis lors de la conférence des ministres, ici, en juillet. Nous rencontrerons les sous-ministres à l’occasion de cette réunion d’une journée complète. C’est le genre d’activités que nous organisons pour réussir à parler d’une seule voix, pour nous assurer qu’il n’y a pas de redondance et pour tenter de faire établir des politiques qui ne sont pas en conflit les unes avec les autres.
Le vice-président : C’est important. Si vous avez l’intention de faire cela, je recommande vivement à tout le monde d’être sur la même longueur d’onde.
Monsieur van Heuvel, vous avez également eu l’amabilité de nous faire part de vos recommandations, et nous l’apprécions. Elles nous servent de point de départ, et les recommandations sont précieuses. Vous recommandez la création d’un fonds de capital pour les technologies vertes à l’intention des agriculteurs. Qu’envisagez-vous comme fonds pour les dépenses en capital?
M. van den Heuvel : Je pense que nous avons tous mentionné les mesures incitatives en matière de changement. Le sénateur Doyle a posé une question à propos du fait de reconnaître réellement ce qu’ont déjà fait les agriculteurs et de faire en sorte qu’ils obtiennent du crédit à cet égard. Mais il y a beaucoup de nouvelles technologies, de nouvelles façons de faire les choses de nos jours, et la mise en œuvre coûte très cher. D’autres pays les utilisent, et ils sont peut-être un peu en avance sur nous; c’est le cas particulièrement lorsqu’on regarde certaines des choses qui se font en Europe au chapitre des technologies éoliennes et solaires et de celles de la biomasse et du biogaz. Donc, si nous sommes pour subir une hausse du coût des intrants en raison du prix du carbone, nous espérons qu’un certain financement sera en place pour nous aider à faire la transition.
Nous ne cherchons pas à demander la charité de façon permanente, mais nous voulons de l’aide pour mettre en œuvre certains de ces programmes. Vous devez comprendre qu’il ne s’agit plus de l’économie locale uniquement. Nous nous battons réellement à l’échelle mondiale. Avec la tarification du carbone qui entre en jeu, nous travaillons contre les pays qui n’ont pas ce type de taxe, qu’il s’agisse d’un système de plafonnement et d’échange ou d’une taxe réelle. Ils n’en ont tout simplement pas. Avec les accords commerciaux que nous avons conclus ou qui pourraient possiblement être signés dans les années à venir, nous devons nous assurer que les agriculteurs canadiens ne sont pas nettement désavantagés en ce qui a trait au commerce alimentaire mondial dans le secteur.
Le vice-président : En ce qui a trait aux mesures incitatives visant à amener les agriculteurs à faire quelque chose de différent pour diminuer les gaz à effet de serre, le comité a visité un producteur d’œufs à Masstown, en Nouvelle-Écosse. Il exploite une entreprise relativement petite, il possède deux ou trois poulaillers, mais il a une éolienne sur sa ferme. Lorsque j’ai discuté avec lui, il a dit « cela finit par aller directement dans vos bénéfices nets une fois que vous avez payé les dépenses en immobilisations ». Cela lui profite donc grandement, et c’est aussi un énorme avantage pour l’environnement. Dans cette province, c’est très avantageux compte tenu du coût élevé de l’électricité.
Messieurs, merci beaucoup. Cela nous a été très utile. Vos recommandations et vos observations feront partie de notre étude. Merci beaucoup.
Nous allons maintenant accueillir notre dernier groupe de témoins de la journée. Nous sommes en compagnie de John Rowe, président de la PEI Woodlot Owners Association; Susannah Banks, directrice générale de la Fédération des propriétaires de boisés privés du Nouveau-Brunswick; et Stacie Carroll, directrice générale de la Fédération des propriétaires forestiers de la Nouvelle-Écosse.
Vous avez la parole.
Susannah Banks, directrice générale, Fédération des propriétaires de lots boisés du Nouveau-Brunswick : Merci de me donner l’occasion de m’exprimer devant le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts au sujet des effets du changement climatique sur le secteur forestier.
La Fédération des propriétaires de lots boisés du Nouveau-Brunswick comprend sept associations régionales de propriétaires de lots boisés. Nous représentons toute la province et nous faisons la promotion des intérêts économiques et sociaux des propriétaires de lots boisés privés du Nouveau-Brunswick en exprimant leurs opinions d’une même voix.
Au Nouveau-Brunswick, il y a plus de 42 000 propriétaires de boisés privés qui possèdent plus de 70 000 parcelles de terre. En tout, ils possèdent plus de 1,8 million d’hectares de terrain forestier, ce qui représente 30 p. 100 du terrain forestier dans la province. Quelque 50 p. 100 de ces terres appartiennent à l’État, et les autres 20 p. 100 sont des terres industrielles en franche tenure appartenant à de grandes entreprises forestières.
Les boisés privés contribuent grandement à l’économie des régions rurales du Nouveau-Brunswick. La vente de bois rond génère plus de 116 millions de dollars chaque année au Nouveau-Brunswick.
Les propriétaires de boisés privés ont tendance à gérer leurs forêts en fonction de la nature plutôt que de procéder à des coupes à blanc et de reboiser comme le fait l’industrie. Les forêts aménagées contribuent à la lutte contre le changement climatique en éliminant le carbone de l’atmosphère et en l’emmagasinant. On considère qu’une forêt est un puits de carbone si elle absorbe plus de carbone qu’elle en libère.
Les pratiques de gestion, comme la récolte sélective, améliorent la santé des forêts et permettent de réduire le risque d’organismes nuisibles, de maladie et d’incendie. La récolte sélective permet aux forêts de se régénérer naturellement et de préserver la biodiversité. Les forêts en santé sont plus en mesure de résister au stress, elles sont plus résilientes et s’adaptent mieux aux conditions changeantes. La gestion des forêts favorise la croissance de celle-ci et augmente sa capacité d’absorption du carbone.
La gestion prudente des forêts peut permettre de réduire le risque d’incendie, de dommages causés par les insectes et de maladies en limitant le taux de mortalité des arbres et l’émission de carbone subséquente grâce à la récolte à des niveaux optimaux.
La mise en place d’incitatifs destinés aux propriétaires de lots boisés pour encourager les pratiques de gestion bénéfiques qui favorisent la séquestration de carbone dans leurs lots boisés permettrait d’accroître le taux d’adoption de pratiques du genre et d’augmenter le rythme auquel les gaz à effet de serre ou le carbone sont éliminés de l’atmosphère.
L’investissement dans le reboisement des terres stériles permettrait aussi d’accroître la capacité de séquestration du carbone. La gestion forestière aux fins du captage et de la séquestration du carbone offre des avantages économiques à long terme et à court terme grâce aux emplois.
Le bois récolté et transformé en produits utilisés dans la construction de maisons et les autres produits du bois de longue durée est une source de séquestration du carbone à long terme et remplace judicieusement des matériaux comme l’acier, l’aluminium, le béton ou les plastiques, dont la production nécessite de grandes quantités d’énergie.
En ce qui concerne les possibilités relatives aux changements climatiques, les compensations en fixation du carbone ou l’échange de droits d’émissions de carbone pourraient être vraiment importants pour les petits propriétaires de boisés, mais pour ce faire, il doit y avoir des dispositions législatives en matière de regroupement parce que les boisés sont petits. Pour réaliser des économies d’échelle qui seraient requises pour les coûts liés à l’administration et à la vérification, il serait important que le regroupement soit autorisé en vertu de tout programme de crédits compensatoires de carbone. Il faut aussi être en mesure de se regrouper afin de créer un facteur d’atténuation en cas de catastrophe naturelle, qui libérerait du carbone qui aurait, autrement, été vendu.
Il faudra du soutien afin d’établir un système pour gérer le regroupement aux fins de la gestion du carbone dans les boisés privés et aux fins de la certification de groupe. Au Nouveau-Brunswick, il manque réellement — en fait, il n’y en a pas — de services de consultation destinés aux propriétaires de boisés, nous sommes donc très désireux d’obtenir du soutien afin de rétablir cela.
Le changement climatique fera aussi augmenter les taux de croissance. Nous verrons des changements en ce qui a trait à la composition de la forêt, de la flore et de la faune. Les résultats des variations de température et des conditions de croissance pourraient offrir de nouvelles possibilités, mais nous devons être prêts à les saisir.
La biomasse forestière a le potentiel d’élargir les marchés au Nouveau-Brunswick. Actuellement, le marché de la pâte est pratiquement inexistant, et la biomasse forestière est une source d’énergie renouvelable dont nous pourrions certainement nous servir dans la province. À l’heure actuelle, nous laissons une grande quantité de substances pouvant être utilisés au chapitre de la pâte ou de la biomasse dans les bois, où elles se décompensent et contribuent à l’émission de gaz à effet de serre au lieu d’être employées pour remplacer d’autres carburants qui émettent davantage de carbone.
Les boisés privés pourraient donc jouer un rôle très important en atténuant le changement climatique, car les forêts permettent aussi de diminuer l’érosion et de réduire les eaux de ruissellement, et elles fournissent des facteurs d’atténuation des inondations et de la température ce qui constitue d’importantes retombées des terrains forestiers. Les boisés peuvent aussi soutenir la biodiversité et filtrer l’air et l’eau. La mise en place d’un certain système de paiement qui verserait un montant aux propriétaires forestiers pour les biens et services écologiques fournis par leurs boisés les aiderait à rester au sein de l’industrie et à maintenir leur intérêt quant à la gestion de leurs boisés.
Bien sûr, le changement climatique entraîne aussi des risques, comme des phénomènes météorologiques extrêmes et des dommages causés par le feu. De nouveaux organismes nuisibles et de nouvelles maladies deviendront aussi un problème à mesure que la température augmente. Il y a les répercussions de la tarification du carbone. Nous pensons que la tarification du carbone peut être très avantageuse selon la façon dont elle est établie. Si les propriétaires de boisés sont payés pour les pratiques de gestion bénéfiques qu’ils emploient, ce sera bien pour les petits propriétaires de boisés.
Pour le moment, il est très difficile d’être un petit propriétaire de boisé. Les marchés ne sont pas très viables. Donc si nous pouvons mettre en place une mesure qui encouragerait les propriétaires de boisés à continuer de gérer leurs terres… À l’heure actuelle, le nombre de personnes qui en assurent la gestion est plus petit que ce qu’il devrait être seulement parce que les propriétaires n’arrivent pas à obtenir un rendement économique pour leur boisé. Nous en sommes actuellement à l’étape où il y aura énormément de rotation chez les propriétaires de boisés au Nouveau-Brunswick. Les nouveaux propriétaires ont peu de connaissances en foresterie, voire aucune, il sera donc très important de les renseigner et de leur expliquer de quelle manière ils peuvent gérer leurs terres de manière à séquestrer le plus de carbone possible.
Nous voyons que le rôle du gouvernement ne consiste vraiment qu’à s’assurer que des politiques et des procédures adéquates sont en place pour faire en sorte que l’on maximise notre séquestration du carbone dans les terres forestières. Je ne vois pas vraiment comment le Canada pourrait atteindre ses cibles sans faire appel au secteur forestier. Ce qui sera important, ce sera de mettre en place des politiques qui favoriseront la prise de mesures incitatives pour que les gens adoptent de bonnes pratiques de gestion.
Il serait très avantageux de promouvoir la récolte du bois selon un plan de gestion qui imite la nature, au moyen de la coupe partielle. Le soutien du « boisement » — la plantation d’arbres sur des terres non boisées — permettra d’accroître le potentiel du Canada au chapitre de la séquestration du carbone.
Les politiques dont j’ai parlé permettraient à de petits propriétaires de boisés de participer réellement au marché du carbone si nous mettons en place un système de plafonnement et d’échange.
Il sera aussi nécessaire de soutenir les services de consultation forestière et l’éducation.
Je pense que le gouvernement et la Fédération canadienne des propriétaires de boisés, dont nous sommes tous membres, peuvent travailler en collaboration pour amener les propriétaires de boisés canadiens à lutter contre le changement climatique.
Le vice-président : Merci beaucoup, Susannah.
La parole est à Stacie.
Stacie Carroll, directrice générale, Fédération des propriétaires forestiers de la Nouvelle-Écosse : Merci de nous donner l’occasion de nous exprimer aujourd’hui. Je suis la directrice générale de la Fédération des propriétaires forestiers de la Nouvelle-Écosse. Nous sommes un organisme sans but lucratif qui a été établi en 1989. Nous offrons des services de consultation en matière de gestion forestière à des fins de certification et nous défendons les propriétaires de boisés privés en Nouvelle-Écosse.
Il y a 30 000 propriétaires de boisés privés en Nouvelle-Écosse, ce qui nous donne un territoire de 1,2 million d’hectares, et nous fournissons 64 p. 100 du bois rond de l’industrie à l’heure actuelle. Nous formons un groupe de propriétaires souhaitant maintenir la santé et la durabilité économique des forêts. Nous détenons un système d’aménagement forestier certifié à l’échelle mondiale qui couvre actuellement 13 000 hectares en Nouvelle-Écosse.
La certification favorise une gestion responsable à long terme des forêts, qui protégera le sol et les ressources en eau ainsi que les écosystèmes rares. Nous nous efforçons de jouer un rôle au premier plan dans le cadre de cette initiative parce que la Nouvelle-Écosse est unique, du fait que 70 p. 100 des forêts appartiennent à des intérêts privés, et nous croyons que les propriétaires privés détiennent la clé de la résilience au changement climatique en Nouvelle-Écosse.
Pour ma part, je ne suis pas qu’une directrice générale; je suis aussi une sylvicultrice professionnelle. Je travaille dans l’industrie depuis près de 20 ans. À elles seules, ces mains ont servi à faire l’éclaircie précommerciale ou le sarclage de 1 500 hectares en Nouvelle-Écosse, et j’ai planté plus de 2 millions d’arbres à ce jour. Je travaille en collaboration avec les propriétaires privés de la Nouvelle-Écosse depuis 2011 en ce qui concerne la gestion des terres, l’importance de la sylviculture et les jeunes leaders, particulièrement en ce qui a trait à la lutte contre le changement climatique et aux mesures d’atténuation liées aux forêts. Je suis également une petite propriétaire de boisés privés, et je gère ma terre en fonction du bois d’œuvre, des ressources de production non forestières, de l’exploitation agricole de forêts nourricières, des loisirs et de l’éducation.
La sylviculture est l’entretien d’une forêt à toutes les étapes de sa croissance pour l’utilisation des ressources à de nombreuses fins. Les écosystèmes forestiers se sont formés successivement après la glaciation jusqu’aux forêts anciennes. Il existe des espèces qui contribuent à la santé et à l’établissement des écosystèmes forestiers.
Lors de notre utilisation antérieure des forêts, nous avons retardé et interrompu ces cycles dans une très grande mesure. La sylviculture et les sylviculteurs sont importants… les sylviculteurs ont les connaissances nécessaires pour comprendre la succession forestière et la santé forestière et ont la capacité de prendre des décisions visant à assurer la saine croissance des forêts pour les prochaines générations. Ce commerce est la seule façon de créer des écosystèmes forestiers sains.
En Nouvelle-Écosse, nous avons une foresterie dont la production diminue à l’heure actuelle. Nous avons perdu des moulins et d’autres installations de production et nous continuons de voir une diminution de la production. Des chercheurs ont déjà établi que, dans notre province, nos forêts s’adaptent au changement climatique en modifiant leurs propres espèces. Par exemple, nous voyons une diminution du nombre de sapins baumiers, qui sont à la base de l’industrie des arbres de Noël et constituent une fibre très prisée sur la scène internationale et dont nous dépendons grandement en Nouvelle-Écosse. C’est une situation très inquiétante.
De nouvelles espèces d’oiseaux et d’animaux sont apparues : des urubus à tête rouge, des cardinaux, des blaireaux, des cougars et une liste considérable d’insectes.
Les climats plus chauds posent certains problèmes pour les forêts, la faune et la flore. Ces espèces dépendent de la forêt et, par conséquent, il faudrait accorder une très grande importance aux écosystèmes forestiers à l’avenir.
La possibilité de vendre des crédits de carbone sur le marché du carbone ferait en sorte que les forêts soient réservées à la croissance à long terme pour séquestrer le carbone et promouvoir des produits forestiers de haute valeur, ce qui permettrait du même coup d’accroître leur capacité de soutenir le changement à l’égard de la flore et de la faune.
Les boisés certifiés, que nous gérons à l’heure actuelle, sont déjà assujettis à une chaîne de vérification qui permet de garantir que les meilleures données sont consignées en ce qui a trait aux espèces, à la planification de la récolte et à la gestion de la matière ligneuse, au microclimat et à l’inventaire. Les participants ont aussi signé un document de conformité. Ils s’adaptent facilement au système de formation relative au carbone, et nous offrons cette solution.
En ce qui a trait aux mécanismes de tarification du carbone chez les intervenants de la concurrence, j’aimerais seulement dire que les coûts liés à la surveillance de la vérification sont très élevés. Que pouvons-nous faire pour les réduire? Nous avons pensé utiliser les ressources et créer des liens entre les ressources qui existent déjà. Les boisés certifiés sont un exemple de la collecte de données. Nous possédons de nombreuses données LIDAR que nous avons déjà utilisées en Nouvelle-Écosse, et nous utilisons les ressources et le soutien du Service canadien des forêts.
Quant aux répercussions, durant ce processus, nous devons établir un système commercial lié à la tarification du carbone qui va accroître la participation. Si les profits ne compensent pas les coûts, personne ne participera.
Pour atteindre la cible, le gouvernement pourrait prendre part aux investissements forestiers. Les forêts permettent d’agir directement à l’égard de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à la séquestration du carbone. Les forêts au pays sont notre plus grand atout. Elles constituent les écosystèmes qui permettent de réduire la majeure partie du gaz carbonique atmosphérique.
Il faut intensifier les efforts au chapitre de la sylviculture et de la plantation d’arbres d’au moins 150 p. 100 pour nous assurer de soigner les forêts ayant subi des perturbations et d’en faire des forêts qui séquestrent le carbone et qui promeuvent les produits à haute valeur pour les bâtiments et les autres constructions de façon à empêcher le carbone d’être libéré dans l’atmosphère.
Les écosystèmes forestiers nous donnent également la capacité de nous libérer de notre dépendance aux combustibles fossiles et d’utiliser des produits forestiers qui sont neutres en carbone. Les forêts, après plus d’un siècle de foresterie industrialisée, doivent maintenant se régénérer par elles-mêmes, et cela nous a éloignés de l’état de santé optimal des forêts.
Nous devons collaborer dès maintenant. Cette collaboration assurera une économie forte, diversifiée et concurrentielle, la création plus rapide d’emplois, de nouvelles technologies et de nouveaux experts et permettra de créer un environnement sain pour les prochaines générations. Ce n’est qu’en unissant nos efforts que nous pourrons atteindre nos cibles pancanadiennes pour 2030, qui visent à augmenter la séquestration du carbone dans les forêts, les zones humides et les terres agricoles, à accroître la construction en bois, à générer une meilleure énergie et de meilleurs produits et favoriser l’innovation.
Il faut que le gouvernement intervienne et aide les provinces à atteindre ces cibles immédiatement. Les écosystèmes forestiers perturbés ne se régénèrent pas sainement sans l’intervention de la sylviculture. Si nous attendons que Mère nature réduise elle-même son empreinte carbone, nous allons attendre pendant des siècles, et nous n’avons pas ce temps. La sylviculture est une solution scientifique et commerciale qui nous aidera à y arriver en moins de 100 ans, et c’est maintenant qu’il faut agir. Merci.
John Rowe, président, PEI Woodlot Association : Encore une fois, merci de me donner la possibilité de vous présenter cet exposé. L’aspect le plus important résidera dans notre discussion aujourd’hui, et les principaux points qu’ont soulevés Stacie et Susannah s’appliquent bien sûr directement à l’Île-du-Prince-Édouard.
Je suis le président de la Prince Edward Island Woodlot Owners Association. C’est une nouvelle organisation. Elle exerce ses activités depuis cinq ans seulement. Il y a des milliers de propriétaires de boisés à l’Île-du-Prince-Édouard, mais malheureusement, peu d’entre eux choisissent de se joindre à l’association, même s’il s’agit d’une organisation sans but lucratif. Nous avons une bonne collaboration avec le secteur de la foresterie, mais un nombre très limité de personnes interviennent au sein du ministère des Forêts de l’Île-du-Prince-Édouard. Nous n’avons pas la même infrastructure qu’il y a au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse.
Pour vous mettre un peu en contexte, l’Île-du-Prince-Édouard fait partie de ce qu’on appelle la région des forêts acadiennes, qui forme les provinces des Maritimes. Comme vous le savez déjà, 6 p. 100 des terres forestières du Canada appartiennent à des intérêts privés. À l’Île-du-Prince-Édouard, 86 p. 100 de ces terres sont privées. Lors du dernier dénombrement, il y avait, je crois — je ne sais pas si certains sont décédés depuis — 16 000 propriétaires de boisés. Il y a environ 1,4 million d’acres à l’Île-du-Prince-Édouard, dont 0,62 p. 100 sont boisés. Je ne parle pas des terres qui ont subi une coupe à blanc. Un nombre effarant de terres ayant fait l’objet d’une coupe à blanc au cours des dernières années sont encore classifiées comme étant des terres forestières simplement parce qu’elles se régénèrent naturellement, mais, selon moi, ce n’est pas nécessairement ce qu’on appelle des terres forestières.
À l’heure actuelle, le problème auquel fait face l’Île-du-Prince-Édouard tient au fait que l’industrie forestière est si petite que le marché est pitoyable. Des efforts sont déployés pour que l’on puisse développer les marchés de la biomasse, mais comme ces dames l’ont déjà dit, il n’y a aucun marché pour le bois de pâte et de très petits marchés pour la biomasse. Le bois d’œuvre qui s’y trouve est transporté par camion à l’extérieur de l’île, mais vous connaissez tous les problèmes que cela comporte.
En 2016, l’Île-du-Prince-Édouard avait un produit national brut d’à peu près 4,8 milliards de dollars. Le montant associé à l’industrie forestière est d’à peine 6 millions de dollars, et vous savez quel pourcentage cela représente. Le problème tient au fait que les aspects écologique, environnemental et social, je suppose, de la foresterie ne sont pas mesurés dans le PIB. Alors une part minime est associée à l’industrie forestière.
Lorsque les colons irlandais sont arrivés à l’Île-du-Prince-Édouard, celle-ci était entièrement recouverte de forêts. Elles ont été défrichées aux fins de l’agriculture. Plus récemment, bien sûr, avec l’augmentation de la population et l’étalement urbain, un grand nombre de bonnes terres agricoles et forestières ont été transformées en secteurs résidentiels ou commerciaux.
Aujourd’hui, bien évidemment, en raison de l’augmentation des niveaux d’eau occasionnés par le changement climatique, nous allons perdre encore plus de terres forestières, particulièrement le long des cours d’eau intérieurs, des estuaires et des cours d’eau. Nous devons faire quelque chose pour atténuer ce problème.
Pour répondre à l’une des premières questions, nous recommandons que les gouvernements fédéral et provinciaux collaborent. Les gouvernements provinciaux ne vont pas tout faire par eux-mêmes, du moins, pas le nôtre. Nous recommandons également de cesser la production sur les terres marginales et de les reboiser. Je pense que Susannah et Stacie l’ont déjà mentionné.
Nous disposons d’un excellent programme à l’Île-du-Prince-Édouard, qui s’appelle le Programme d’amélioration forestière. Nous collaborons bien avec le ministère, mais les propriétaires fonciers et les propriétaires de boisés de l’Île-du-Prince-Édouard ne prendront pas part au processus simplement parce que tout ce que les entrepreneurs veulent, c’est procéder à la coupe à blanc des terres forestières. C’est la méthode la plus facile et la seule méthode pour faire de l’argent, selon eux. Le Programme d’amélioration forestière ne soutiendra pas la coupe à blanc à l’Île-du-Prince-Édouard.
Alors, je suppose que nous allons devoir nous rendre aux terres forestières marginales ou aux terres agricoles marginales et les reboiser. Je suis certain que vous avez entendu des représentants du milieu agricole l’affirmer.
L’autre question, c’est que nous savons que les boisés gérés activement — comme on l’a déjà mentionné — séquestrent beaucoup plus de carbone que si on s’en remet simplement à la nature. Si on laisse les arbres croître jusqu’à maturité, ils atteindront un sommet, mourront tout simplement et libéreront le carbone. Toutefois, si nous gérons activement les boisés — ce qu’on fait en Finlande et en Suède —, les arbres vont pousser plus haut et plus fort et absorberont beaucoup plus de carbone qui si on les laisse simplement croître à maturité sans le travail de sylviculture qu’a mentionné Stacie. Alors, il y a d’autres enjeux sur lesquels nous devons travailler.
À l’Île-du-Prince-Édouard, il y a beaucoup de milieux humides. Malheureusement, beaucoup de ces marais ont été transformés en terres agricoles ou, dans certains cas, en terres à bleuets. J’ai entendu un cultivateur de bleuets me dire que, selon la végétation qui se trouve sur sa plantation de bleuets, il s’agissait en fait d’un milieu humide. Ce que nous devons faire, c’est restaurer ces milieux humides. Si nous les restaurons et plantons plus d’arbres, nous aurons la possibilité d’absorber l’humidité que nous avons durant l’hiver. En raison des changements climatiques, nous subissons beaucoup plus d’événements de précipitation et de phénomènes météorologiques extrêmes. L’hiver, il pleut au lieu de neiger. La pluie frappe le sol gelé, et elle s’écoule. Elle n’est pas absorbée par le sol, et les aquifères ne sont pas rechargés. Nous perdons nos milieux humides durant l’hiver. Il y a 50 ou 100 ans, nous recevions 10 pieds de neige en hiver. On pouvait s’attendre à une fonte, au printemps, et à ce que toute cette eau pénètre dans le sol. Voilà le genre de problèmes que nous devons régler à l’Île-du-Prince-Édouard en particulier.
Quant au prix du carbone, j’ai dit qu’il incombe au gouvernement d’en décider. Les gouvernements des provinces des Maritimes ne semblent même pas arriver à prendre une décision à ce sujet, alors ce n’est pas à moi de le fixer. Essentiellement, ce serait un cauchemar logistique que de tenter de récompenser chaque propriétaire terrien qui possède quelques acres de terre à bois sur l’Île-du-Prince-Édouard et qui décide de ne pas la raser. Comment ferait-on pour les récompenser?
En fait, un plus grand nombre de personnes estiment que les propriétaires de boisé qui ont établi un plan de gestion et qui travaillent activement sur ces terres et les gèrent sont ceux qui devraient être récompensés. À l’Île-du-Prince-Édouard — comme je l’ai dit —, il y a des milliers de propriétaires de boisé. Je gage que seulement 500 ont établi un plan de gestion et font quelque chose sur leur terre à bois.
Bien entendu, c’est aux gouvernements d’accroître la valeur de ces terres à bois et de les rendre durables. Les marchés changent toujours, alors, nous devons nous adapter, pour ainsi dire, et nous assurer de faire quelque chose pour restaurer ces boisés.
J’estime que tous les gouvernements — provinciaux et fédéral — ainsi que toutes les administrations municipales ont un rôle à jouer non seulement dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi — et ce rôle est plus important encore — dans l’éducation du grand public et de la population en général au sujet de l’accroissement de la valeur des terres à bois et de ce que nous devons faire. Nous devons nous rappeler que les forêts sont les poumons de la terre. Partout dans le monde, la quantité de terres forestières a diminué au fil des siècles. Certains pays ont déployé un effort afin de restaurer et d’accroître leurs terres forestières. Nous utilisons la Finlande et la Suède en guise d’exemples, mais j’ai lu dans un article récent que ces pays n’ont même pas atteint le maximum. Ils travaillent là-dessus avec diligence depuis la Seconde Guerre mondiale et sont loin d’avoir maximisé la valeur de leurs terres à bois.
Nous savons que, si les forêts sont gérées, cela augmentera leur capacité de séquestrer le carbone et de produire de l’oxygène. Nous devons créer des crédits carbone pour les propriétaires terriens, pas des taxes sur le carbone. Nous devons mettre sur pied des industries qui utiliseront plus de bois pour la construction et élaborer des produits à valeur ajoutée qui maintiendront le carbone séquestré en place pour peut-être des décennies, une centaine d’années.
Nous devons voir une plus grande collaboration entre tous les ordres de gouvernement, et nous avons besoin qu’ils fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour provoquer les changements. Comme vous le savez probablement — et nous le célébrons cette année —, depuis 150 ans, l’Île-du-Prince-Édouard est le chef de file du pays, et c’est ce qu’elle fait, maintenant, en matière d’énergie de remplacement. Plus de 30 p. 100 de notre électricité est maintenant produite à partir d’énergie éolienne, et nous sommes aussi en voie d’adopter la biomasse. Au cours des cinq dernières années, le gouvernement provincial a travaillé sans relâche pour mettre en valeur la bioénergie et pour tenter d’inciter les gens à délaisser la génération d’électricité.
En ce qui concerne les conséquences qu’auront les changements climatiques, j’ai vu une carte, récemment. À l’Île-du-Prince-Édouard, nous possédons un laboratoire climatique à la fine pointe de la technologie, et selon certaines des prévisions qui y sont faites, le climat pourrait changer de façon très marquée au cours des 50 prochaines années, au point que nous ne pourrons plus cultiver d’épinette blanche dans les provinces des Maritimes. L’épinette blanche est actuellement un produit de bois majeur à l’Île-du-Prince-Édouard et dans les provinces des Maritimes.
Pour conclure, j’ai vraiment hâte à la discussion et à vos questions, car, lorsqu’on fait des coupes à blanc dans toute province des Maritimes, des espèces envahissantes arrivent et prennent la place. Nous avons des essences comme la renouée du Japon, le nerprun bourdaine et l’érable plane. Elles envahissent nos milieux, ce qui change toute la biodiversité des forêts et de l’environnement. Voilà le genre d’éléments auxquels nous devons livrer concurrence dans le but de restaurer ce qui était là ainsi que d’adapter ce qui s’y trouve actuellement.
Ce sont mes commentaires. J’espère ne pas avoir parlé trop rapidement, mais nous faisons cela dans la région des Maritimes. Merci.
Le vice-président : À la suite de cette série de questions et de réponses, nous allons tenir une brève rencontre afin de régler quelques questions administratives. Je demanderai aux sénateurs de ne pas se sauver quand nous aurons terminé.
Je veux vous remercier tous de votre présence. La première question sera posée par le sénateur Ogilvie.
Le sénateur Ogilvie : Durant ces discussions, nous avons beaucoup entendu parler des conséquences sur les personnes qui exploitent des entreprises dans les secteurs agricole et forestier. Je suppose que, des près de 70 000 propriétaires de boisé du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, un grand nombre exploite une petite entreprise, c’est-à-dire qu’ils sont soit constitués en société, soit enregistrés en tant que petite entreprise. Si c’est le cas, une taxe imminente va toucher les petites entreprises. D’après ce que nous entendons dire, l’incidence d’une taxe sur le carbone ou d’un système de plafonnement et d’échange sur les diverses entreprises sera bien plus importante que tout ce qui nous a été dit jusqu’ici. Je voudrais d’abord aborder la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick à cet égard.
Mme Banks : Oui, les changements fiscaux imminents vont être très difficiles pour les grandes terres à bois, surtout lorsque les propriétaires voudront les donner en héritage et les transférer. Au Nouveau-Brunswick, l’âge moyen d’un propriétaire de boisé se situe dans la fourchette des 55 à 60 ans, alors il y a un changement générationnel important. Il s’agira d’un fardeau fiscal extrêmement difficile à assumer pour eux.
Mme Carroll : C’est semblable en Nouvelle-Écosse également. Je viens tout juste d’assister à l’une de nos réunions de Forest Nova Scotia. On y a tenu une grande discussion au sujet du fait que les propriétaires d’entreprise ont très peur de laisser leur entreprise à leurs enfants et de ne pas vraiment savoir quoi faire ensuite. Il n’y a pas beaucoup de réponses à leur donner, et il y a beaucoup de craintes. Voilà tout ce sur quoi je peux vraiment formuler des commentaires.
Le sénateur Ogilvie : Je vis au bord de la baie de Fundy, mais c’est de l’autre côté du mont Nord. Cette région compte beaucoup de propriétaires de boisé.
Mme Carroll : Oui.
Le sénateur Ogilvie : Certains d’entre eux exploitent une petite entreprise familiale de génération en génération depuis très longtemps. Au cours de la dernière décennie, ils m’ont parlé en particulier d’un certain nombre de problèmes qui les touchent. La commercialisation des produits de bois en est un qui est vraiment préoccupant. Des changements assez importants ont eu lieu du point de vue de ce que doit faire une petite entreprise simplement pour fabriquer un produit de bois qui peut être mis sur le marché légalement.
Deuxièmement, le marché pose un problème important pour tous les propriétaires de boisé. Si on ajoute à cela le changement fiscal pour les petites entreprises, je pense qu’il devrait s’agir d’une préoccupation très importante pour les propriétaires de boisé possédant une entreprise de taille petite à moyenne. Dans le cas des très grandes sociétés, elles ont d’autres problèmes avec lesquels composer, mais la plupart des propriétaires de la Nouvelle-Écosse possèdent des boisés de taille petite à moyenne, à ma connaissance.
Mme Carroll : Il s’agit d’une crainte importante pour tous les propriétaires d’entreprise de la Nouvelle-Écosse, mais en raison de la nature du secteur des boisés ou de la foresterie en Nouvelle-Écosse, on y retrouve beaucoup d’entreprises familiales. Ainsi, la crainte est là. J’aurais peut-être dû mieux me préparer à cet égard, mais, en réalité, je me suis seulement préparée à parler des changements climatiques.
Le sénateur Ogilvie : Je comprends tout à fait.
Mme Carroll : Toutefois, c’est quelque chose dont nous avons vraiment beaucoup discuté récemment, et nous tentons d’être proactifs du point de vue de la quantité de documents ou de lettres que nous envoyons. Nous commençons à parler à nos députés provinciaux, et il y a un plan d’action qui nous permettra de faire notre possible pour nous faire entendre. Bien entendu, nous devrons sortir de l’ombre, pour ce faire, alors certains d’entre nous sont un peu craintifs, mais voilà où nous en sommes.
Le sénateur Ogilvie : Oui, je comprends l’enjeu, mais il a été porté à mon attention en tant que problème réel dans ma région.
Mme Carroll : Merci de l’avoir soulevé.
Le sénateur Ogilvie : Monsieur Rowe, vous avez mentionné l’importance des milieux humides pour les forêts et leur incidence positive en ce qui a trait à la croissance de la biomasse. Dans ma région, là où je vis, en Nouvelle-Écosse, je n’aurais pas cru que les principales espèces d’arbres profitent vraiment de la proximité d’un milieu humide. L’humidité, c’est certainement bénéfique pour ces arbres. Cela ne fait aucun doute; c’est le cas pour tous les végétaux, bien sûr. Toutefois, dans mon propre bois, je constate que les feuillus qui entourent un milieu humide, particulièrement, semblent avoir plus de difficulté, en tant qu’arbres matures, que certains des résineux. Je ne suis pas un professionnel comme vous, alors, j’espérais que vous me permettriez de comprendre un peu mieux.
M. Rowe : Je ne suis pas vraiment un professionnel non plus, mais j’ai été enseignant, dans une vie antérieure.
Si vous êtes déjà allé à l’Île-du-Prince-Édouard, vous savez probablement qu’il n’y a pas de roches sur l’île. Notre sol est assez pauvre. De fait, il s’agit surtout de sable. Ce qui arrive, c’est que, quand l’eau tombe, elle coule directement dans l’aquifère.
Bien entendu, il y a des feuillus dans les régions plus vallonnées, mais les principales espèces sont généralement des résineux. La régénération naturelle est plus résineuse que feuillue. Ainsi, il y a des essences comme l’épinette blanche, l’épinette noire, le genévrier, la pruche du Canada ou je ne sais quoi… d’autres espèces de conifères. Nous avons de bonnes rangées de bouleaux et d’érables et de toutes ces essences, mais, à mesure que le climat changera, ces espèces changeront aussi parce qu’elles ont besoin d’un certain nombre de jours pour croître, d’une certaine quantité d’humidité et de tous les autres facteurs.
Toutefois, nous avons besoin de nos bois, qu’il s’agisse de feuillus ou de résineux, pour conserver l’humidité dans le sol. Ils aident également à ralentir l’érosion, car, si on subit ces événements extrêmes de vent et de pluie et que ces éléments frappent un sol nu, il y aura une érosion exceptionnelle, en plus de la perte de toute cette humidité. Voilà pourquoi nous faisons la promotion de la plantation d’un plus grand nombre d’arbres et encourageons les gens à arrêter les coupes à blanc, parce qu’elles ne font qu’accroître et exacerber les problèmes que nous avons.
Ce que nous recherchons, c’est l’atténuation et l’adaptation. Voilà la raison. Nous estimons que, compte tenu des efforts que nous déployons relativement à la biomasse et à l’énergie éolienne et solaire, nous faisons quelque chose qui sera vraiment important du point de vue des changements climatiques et de la réduction des émissions de carbone.
Nous voulons que les gens délaissent le réseau électrique et le pétrole, et nous pouvons le faire. Nous avons la capacité de le faire maintenant. Nous devons simplement éduquer les gens afin qu’ils le fassent.
Le sénateur Ogilvie : Je pense que je comprends maintenant à quoi vous faites référence quand vous employez le terme « milieu humide ». Votre problème tient au maintien de l’humidité en ce qui a trait à la végétation de cette région particulière. Je comprends certainement cela, car, là où nous avons d’autres genres de terrains, beaucoup d’eau est conservée dans le sol par le truchement des ruisseaux qui sont alimentés naturellement.
M. Rowe : Elle ne traverse pas la roche aussi rapidement qu’elle traverse le sable.
Le sénateur Ogilvie : C’est exact.
Je me rappelle avoir vu quelques-unes des vieilles clôtures en pierres traditionnelles de l’Île-du-Prince-Édouard. Il y a toujours eu quelques roches à l’Île-du-Prince-Édouard.
Merci.
M. Rowe : Des rochers de grès.
Le sénateur Doyle : Pourriez-vous me dire en quoi l’industrie forestière du Canada diffère de celle des États-Unis? Est-elle meilleure? La gestion de notre foresterie est-elle meilleure et plus efficiente que celle des États-Unis? Et le bois de cette industrie au Canada est-il comparable, sur le marché, à celui des États-Unis, sur le plan du prix?
M. Rowe : Susannah travaille dans le domaine de la commercialisation, alors je vais la laisser s’attaquer à cette question en premier.
Mme Banks : Je ne suis pas certaine de travailler dans le domaine de la commercialisation, mais la façon dont les propriétaires de boisé privé du Nouveau-Brunswick et, je présume, de partout au Canada gèrent leurs terres à bois et leurs valeurs est très comparable à tout ce qu’il y a aux États-Unis. Ce volet est très comparable. Pour ce qui est du mécanisme d’établissement des prix, je ne connais pas très bien les prix aux États-Unis.
Le sénateur Doyle : Les Américains optent-ils pour les boisés privés aussi facilement que nous le faisons ici, au Canada? Les terres à bois sont-elles très présentes aux États-Unis, comparativement au Canada?
Mme Banks : Je crois savoir que c’est assez semblable. Dans certaines régions des États-Unis, de vastes étendues de terres privées sont divisées en parcelles.
Le sénateur Doyle : Comment votre industrie est-elle réglementée? Êtes-vous libres des décisions du gouvernement? Pouvez-vous décider de récolter ou de ne pas récolter en fonction de votre propre évaluation? Le gouvernement intervient-il pour vous dire quand récolter et quand ne pas le faire, ou bien est-ce totalement votre décision?
M. Rowe : Eh bien, à l’Île-du-Prince-Édouard, c’est très simple. Le gouvernement n’intervient tout simplement pas. Si je veux couper 100 acres de terre à bois, je…
Le sénateur Doyle : Vous pouvez le faire.
M. Rowe : … fais tout simplement venir un entrepreneur pour le faire.
Malheureusement, nous ne recommandons pas cela, en tant qu’association, mais c’est essentiellement ce qui se passe. Nous recommandons les coupes par petites trouées, les coupes à blanc par bandes et les coupes d’écrémage, et c’est ainsi que nous pourrions créer une industrie durable. Toutefois, tant que les marchés ne s’amélioreront pas… Comme dans les années 1980 et 1990, à l’Île-du-Prince-Édouard, qui est un petit endroit, j’aurais probablement pu nommer 50 entrepreneurs qui œuvraient dans le domaine de la récolte du bois. Aujourd’hui, je peux en nommer cinq. Je connais assez bien l’Île-du-Prince-Édouard, et certaines personnes coupent du bois de chauffage et affirment que c’est à peu près le seul moyen dont ils peuvent faire de l’argent. Il y a d’autres grands entrepreneurs. Ils sont là, endettés, et ils doivent continuer de faire tourner la roue. Ils ne font pas d’argent. Ils effectuent des paiements. Ils font travailler quelques personnes, mais cela décime l’industrie.
Le sénateur Doyle : Oui.
M. Rowe : Par contre, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick sont des provinces bien plus grandes, et elles contiennent beaucoup de terres appartenant à l’État. C’est un gros problème, du fait que les terres de l’État sont cédées aux grandes entreprises. Ce n’est pas un problème à l’Île-du-Prince-Édouard, bien entendu.
Le sénateur Doyle : Le gouvernement intervient-il en matière de sylviculture et de plantation, ce genre de programmes?
M. Rowe : Selon moi, le Programme d’amélioration forestière de l’Île-du-Prince-Édouard est un excellent programme, mais il est dirigé par les propriétaires de boisé et va leur coûter une certaine somme. En outre, tant que les marchés ne seront pas là, ils ne feront pas le travail de sylviculture dont Stacie a parlé plus tôt, qui doit être effectué afin que ces arbres deviennent plus grands et plus solides et qu’ils prennent de la valeur. Ils procèdent tout simplement à des coupes à blanc. Ils coupent à blanc des feuillus en croissance active qui font quatre pouces de diamètre, ce qui est un gaspillage total.
Le vice-président : Stacie nous a dit qu’elle avait planté 2 millions d’arbres jusqu’ici. Premièrement, je vous en remercie. Deuxièmement, peut-être que vous voulez formuler un commentaire sur cette question.
Mme Carroll : En Nouvelle-Écosse, nous avons établi un programme unique appelé le Registry of Buyers — le registre des acheteurs. Si je devais formuler un commentaire sur la façon dont le gouvernement participe à ce programme, je dirais que quiconque récolte plus de 5 000 mètres cubes en Nouvelle-Écosse est obligé — c’est encore volontaire — de s’inscrire en tant qu’acheteur. Le registre fait le suivi de qui coupe où, que la personne fasse les coupes sur des terres appartenant à l’État, sur ses propres terres industrielles ou sur une terre privée.
À partir de là, de l’argent destiné à la sylviculture est généré pour tous les… S’il s’agit de fibres, on mesure en tonnes, et, s’il s’agit de bois de charpente, on mesure en pieds-planche. Par ailleurs, une valeur est attribuée à ces produits, et l’argent retourne dans le reboisement et dans la sylviculture.
Pour vous donner un exemple, il y a 10 ans, nous avons planté 6 millions d’arbres et, aujourd’hui, nous en plantons environ 2,5 millions. La réduction a été énorme. Nous avons perdu une usine, ainsi que d’autres productions. On a beaucoup contribué au volet du reboisement, mais cette contribution n’est plus là, et personne ne prend la relève.
Nous devons assurément revoir le programme du registre des acheteurs, mais il est très difficile de le faire en tant que petits propriétaires de terre à bois, car nous sommes très fragmentés. Nous sommes 30 000, mais nous n’avons pas encore beaucoup d’influence pour l’instant.
Mme Banks : Au Nouveau-Brunswick, nous avons un programme de sylviculture, mais il s’agit du seul point de contact qu’ont les propriétaires de boisé privé avec notre gouvernement. Ce programme s’attache principalement aux terres appartenant à l’État situées au Nouveau-Brunswick.
Notre budget de sylviculture est important, quoiqu’auparavant, il était plus important, et nous pouvons certainement dépenser plus d’argent.
L’un des problèmes que nous avons actuellement dans le cadre du programme de sylviculture tient au fait que, si on veut effectuer une coupe d’éclaircie précommerciale, l’un des traitements possibles, on n’a nulle part où aller avec son bois. Alors, ce n’est pas vraiment viable sur le plan économique. On ne fait que couper le bois et le laisser là parce qu’il n’y a pas de marché.
L’autre problème que je vois planer à l’horizon, ce sont les groupes antivaporisation. Nous plantons des arbres, mais, selon la mesure dans laquelle un tel groupe se fait entendre ou est influent, beaucoup de propriétaires de boisé seront très réticents à planter des arbres. Si vous plantez des arbres, vous devez vous en occuper, ce qui signifie habituellement vaporiser. Ainsi, je pense qu’un pourcentage des propriétaires de boisé privé, qui vivent généralement près des villes et des villages et qui ont des voisins, vont être bien plus réticents à planter des arbres. Nous allons devoir chercher une solution de rechange à la vaporisation, ou bien utiliser une autre méthode, comme la régénération naturelle ou un certain mélange.
La sénatrice Tardif : Merci de votre présence et de vos exposés des plus intéressants.
Susannah, vous avez mentionné dans votre exposé quelque chose sur quoi je vais revenir. D’autres personnes en ont fait mention ou y ont fait allusion, mais de manières différentes. Vous affirmez que les membres de l’industrie forestière privée profiteraient d’une éducation et d’une formation sur les façons de réduire leurs émissions de GES, de gérer leur boisé aux fins du stockage de carbone et de se préparer à l’attestation de leur stockage de carbone. Je souligne le rôle important de l’éducation, et vous pourrez en parler également, mais comment les propriétaires de boisé privé mesurent-ils et vérifient-ils le carbone qui se trouve dans leur boisé?
Mme Banks : Actuellement, aucun système approuvé ne permet de mesurer, de surveiller ou de vérifier votre carbone, ici. Rien n’a été approuvé au Canada. Il existe des marchés volontaires, ou bien il y a un marché du carbone dans l’Ouest. Ce marché applique certains de ses propres principes.
Il y a un groupe appelé Community Forests International. Il est situé à Sackville, au Nouveau-Brunswick, et il vend du carbone au Nouveau-Brunswick dans le cadre d’un programme volontaire. Il travaille activement à l’élaboration de moyens de mesurer et de surveiller le carbone dans les boisés privés aux fins de la vente sur le marché. Toutefois, rien n’a été approuvé par le gouvernement fédéral relativement à ce programme.
Voici l’une de nos préoccupations en tant que propriétaires de boisé privé : quelle sera la base de référence? Faut-il que ce soit une quantité supplémentaire, et comment allons-nous mesurer ce carbone?
La méthode qu’emploie le groupe Community Forests International est très exigeante en main-d’œuvre. Il faut beaucoup de temps pour faire cela. Si vous n’avez qu’une petite parcelle de terre, la surveillance et la vérification pourraient en fait annuler tous les avantages que vous pourriez obtenir de la vente de votre carbone. Une partie de la façon dont le groupe participe au programme volontaire, c’est qu’il a concédé une servitude sur ses terres, selon laquelle elles ne peuvent pas faire l’objet d’une coupe à blanc et ne peuvent pas être divisées en parcelles. Il s’agit d’une servitude sur les terres qui accompagne le titre en tant que tel.
Voilà certains des défis. Nous ne sommes pas tout à fait certains de la direction que tout cela prend.
Certains propriétaires de boisé tiennent vraiment à être sur le marché du carbone, mais ils ne sont pas tout à fait certains de savoir si la durée est de 100 ans. Est-ce la période minimale pendant laquelle vous pouvez séquestrer le carbone? Est-il possible qu’une durée minimale de 50 ou de 20 ans soit établie? Si vous envisagez une période de 100 ans, il faut presque ajouter la servitude au titre, car votre terre va changer de propriétaire plusieurs fois durant cette période. Cette situation devient problématique. Qui sera responsable du carbone si vous changez les titres?
Alors, il y a encore beaucoup de questions auxquelles il faut répondre, et c’est le genre d’informations dont les propriétaires de boisé vont avoir besoin. Il faudra leur montrer, ou bien quelqu’un devra être disponible pour effectuer ce genre de mesures, de vérifications et d’audits pour eux.
Je pense que la vérification et l’éducation sont des volets dont des groupes comme le nôtre pourraient se charger. Je sais que le Nouveau-Brunswick obtiendrait un très bon résultat à cet égard. Nous avons un certain nombre de forestiers qui travaillent pour notre organisation et qui souhaiteraient beaucoup faire cela. Ils connaissent intimement les boisés privés et savent ce qui s’y trouve et qui sont les propriétaires.
Je pense que c’est probablement le gouvernement qui finira par déterminer cette base de référence. S’il n’était question que d’une « quantité supplémentaire », cela n’attribue pas aux propriétaires de boisé les avantages que procure leur terre, ou bien le carbone qui y est présent, actuellement. Alors, il serait bon que la base de référence leur accorde, d’une manière ou d’une autre, un certain mérite pour ce qu’ils ont déjà fait.
La sénatrice Tardif : Oui.
Mme Banks : Pour la bonne gestion qu’ils ont déjà assurée.
Alors, je pense que la base de référence générale va devoir être déterminée à l’échelon fédéral, ce qui sera probablement mieux qu’un compte fragmenté, province par province. Au Nouveau-Brunswick, nous ne savons toujours pas ce que nous allons faire. Nous ne savons pas si nous allons être soumis au plafonnement et aux échanges ou bien si nous allons être taxés.
La sénatrice Tardif : Est-ce que les représentants de la Nouvelle-Écosse ou de l’Île-du-Prince-Édouard voudraient formuler un commentaire?
Mme Carroll : En Nouvelle-Écosse, nous avons été très proactifs pour ce qui est de recueillir des données. Certains des mécanismes de données qui doivent être mis en place sont fondés sur des inventaires forestiers. Comme nos forêts sont très diverses, nous avons besoin de modèles de référence quant à la façon de déterminer quel carbone pourrait être séquestré, mais rien de cela n’a vraiment été fait où que ce soit au pays, dans quelque mesure que ce soit.
Il s’est fait de très belles choses au Vermont et au Maine en ce qui concerne la mise au point de données de ce type, et nous nous y intéressons, puisque la structure de nos forêts est similaire. Cependant, il faut vraiment que le gouvernement fédéral prenne les choses en main et qu’il oriente les gouvernements provinciaux pour ce qui concerne cette structure.
Le Service canadien des forêts, avec son modèle du carbone forestier, propose un système de modélisation. Il y a au Cap-Breton un groupe de personnes, dont je fais moi-même partie, avec Dale Prest de l’organisme Community Forests International, un groupe qui travaille à des modèles de prototype visant à découvrir quels types d’arbres emprisonnent le mieux le carbone. Il nous faut savoir comment mesurer la profondeur des débris qui laissent toujours fuir du carbone dans le sol.
Nous disposons également d’un système d’information provincial. Donc, chaque fois qu’un traitement sylvicole est effectué, qu’il s’agisse de planter des arbres, qu’on considère qu’il s’agit d’une nouvelle plantation ou d’arbres qui se sont régénérés naturellement, le gouvernement provincial doit déjà tenir un registre à ce sujet. Il serait facile d’ajouter ces registres à ses données SIG.
Les protocoles de sylviculture mis en œuvre par le gouvernement et un organisme appelé l’Association of Sustainable Forestry, lesquels sont communiqués aux propriétaires de petits boisés privés, bénéficieraient eux aussi de quelques mises au point. Donc, quand nous utilisons les terres à des fins sylvicoles, nous devons penser à cela aussi. Une fois que nous aurons établi la base de référence, comment ferons-nous respecter ces protocoles par les propriétaires de petits boisés privés? Encore une fois, il faut des services de consultation plus étendus. Peut-être qu’une grande conférence attirerait les gens. Il faudrait s’assurer que c’est très divertissant.
La sénatrice Tardif : D’accord.
M. Rowe : Je serais d’accord avec Stacie. Nous devons amener les propriétaires de boisé à s’intéresser à ce programme. Quand ils sauront qu’ils possèdent des boisés précieux et qu’ils s’y intéresseront, ils n’abattront pas leurs arbres. Il existe toutes sortes de modèles mathématiques qui me permettent de savoir, si je possède une acre d’épinettes blanches ou d’érables rouges en pleine croissance, combien de carbone ces arbres vont emprisonner et pendant combien de temps ils le feront.
La sénatrice Tardif : Ces données sont accessibles?
M. Rowe : Ces données sont accessibles, oui, et il est certain qu’elles sont utilisées dans d’autres régions. Nous commençons tout juste à les utiliser ici, dans les provinces atlantiques.
Nous avons parlé plus tôt du nombre d’arbres. Je sais qu’il y a 15 ans, à l’Île-du-Prince-Édouard seulement, nous plantions trois millions d’arbres par année. Aujourd’hui, nous en plantons et en faisons pousser environ 750 000. Voilà ce qui est arrivé au secteur et à l’environnement en raison de la diminution de la biodiversité.
La sénatrice Tardif : D’accord, merci.
Le sénateur Ogilvie : J’aimerais revenir sur le dernier commentaire de M. Rowe. Vous dites que, si vous possédez une acre d’une espèce particulière d’érable ou d’épinette blanche, vous pouvez facilement faire ce calcul. Je ne savais pas, sauf dans le cas des très grandes plantations, que l’on pouvait posséder ce type de forêt, dans le Canada atlantique. Les forêts que je connais sont mixtes, et les forêts les mieux gérées sont elles-mêmes toujours très mixtes. Ce n’est donc pas tout à fait… Sauf si j’ai mal compris la méthode de calcul.
M. Rowe : C’est probablement le cas, car il ne s’agit pas d’une science exacte. Mais, si on parle d’une forêt mixte, d’une forêt de conifères ou d’une forêt de feuillus, il s’agira d’une moyenne. Nous savons cependant, par exemple, que, s’il s’agit d’arbres matures — disons une forêt de feuillus formée d’arbres âgés de 75 à 100 ans —, ils n’absorberont pas autant de carbone qu’une forêt en croissance, que des arbres âgés de 20 ou 30 ans. Cela, nous le savons. Il faut garder ces arbres debout pendant 100 ans et s’en occuper, et il faut planter un ou deux nouveaux arbres chaque fois qu’on en abat un.
Le sénateur Ogilvie : Pourtant, si je pense à une forêt en régénération… Disons qu’elle avait fait l’objet d’une grande coupe à blanc, mais qu’elle n’avait pas complètement été coupée à la machine. Lorsque les arbres se remettent à pousser, ils forment le système végétal le plus dynamique que j’aie jamais vu dans une forêt. Ils offrent aussi un habitat à une faune beaucoup plus abondante qu’une forêt mature quelconque. Il me semble que, en réalité, une forêt en régénération rapide absorbe beaucoup plus de dioxyde de carbone qu’une forêt mature, comme vous l’avez déjà expliqué. J’ai vu les différentes étapes de ces forêts — je vis dans les forêts, j’ai vu tout cela de mes propres yeux —, et une forêt en pleine régénération grouille littéralement de vie. On y voit plus de faucons et d’autres espèces d’animaux que dans toutes autres parties des forêts que j’ai explorées. Je n’exploite pas ma forêt. Je joue avec elle, et je n’appartiens pas au type de personne que vous appréciez, pour cette raison, mais c’est une belle forêt. J’en profite vraiment, et j’observe avec attention toutes ces variations.
Pour en revenir au commentaire que vous venez de faire, sur la difficulté de comprendre comment calculer le carbone, j’aurais pensé que cela concernait bien davantage que les seuls arbres. Il faut aussi tenir compte de l’étape de développement de ces arbres et de la densité des arbres et des forêts, à chaque étape de la croissance. Les forêts prennent soin d’elles-mêmes, au fil du temps, et ce sont les espèces dominantes qui survivront, au bout du compte.
Je crois être surtout d’accord avec vous sur le fait qu’il faut qu’il existe un certain type de modélisation, et c’est ce que vous recherchez, une modélisation qui vous permet d’obtenir assez facilement un instantané d’une forêt. Je ne veux pas dire littéralement cela, mais vous travaillez dans le bois. Vous savez assez bien ce qui se passe dans une forêt, et vous avez besoin d’une gamme de points de référence grâce auxquels vous pouvez savoir dans quel état est la forêt et ce qu’il est possible de calculer. Mais je suis certainement d’accord avec vous lorsque vous dites que s’il n’y en avait pas, on peut se demander comment un exploitant de boisés pourrait même envisager d’avoir une estimation des coûts et des avantages découlant de la participation à un programme.
M. Rowe : Vous savez ce qu’est une végétation climacique. Il faut 300 ans à une végétation pour atteindre ce stade, à l’Île-du-Prince-Édouard. Si je fais une coupe à blanc dans une forêt, il y poussera des framboisiers, des saules et des peupliers. Chaque érable que j’aurai coupé sera remplacé par 15 autres végétaux.
Le sénateur Ogilvie : Absolument.
M. Rowe : Et si rien n’est fait, il faudra 300 ans, du moins dans ma zone géographique, pour que cette forêt reprenne l’état de ce que nous appelons nos forêts indigènes.
Et si nous n’avons pas ce type de forêt à croissance rapide, nous n’atteindrons jamais nos objectifs d’atténuation du carbone. Nous devons planter des arbres qui pousseront bien dans des zones spécifiques et qui profiteront du changement de climat, étant donné que, chez nous, les jours sont plus longs et les températures, plus clémentes. Nous récupérons davantage de carbone dans l’air.
Les framboisiers, c’est bien. Mais nous savons que les différents végétaux sont bénéfiques pour différentes choses, et nous le disons aux propriétaires de boisé. Ils sont nombreux à vouloir se promener dans leur boisé et regarder leurs arbres, sans devoir rien couper. C’est bien.
Le sénateur Ogilvie : Je voulais souligner que, durant ces 300 années, à mon avis, c’est au cours des 100 premières années que les arbres captent le taux le plus élevé de dioxyde de carbone. Dans ma région, quand on abat de grands boisés, quand on effectue presque une coupe à blanc, la croissance des végétaux et des arbres est tout simplement phénoménale, les 10 à 15 premières années. C’est l’explosion. Et la densité du feuillage est incroyable.
Revenons à ces 300 ans — et je suis d’accord avec vous —; je crois que vous laissiez entendre qu’à certaines périodes, le volume de carbone absorbé atteint un point culminant, en fonction de l’âge des arbres. Mais je ne peux tout simplement pas croire que la forêt, à ses premières décennies, ne va pas absorber également des quantités énormes de dioxyde de carbone.
Je n’en dirais pas plus, monsieur Rowe, parce que vous en connaissez bien plus que moi sur ce sujet.
M. Rowe : Je n’en suis pas certain.
Mme Carroll : Un des problèmes tient au fait qu’on essaie de déterminer à l’échelle des provinces comment gérer ces boisés, alors que nos boisés sont très diversifiés. Et nous avons beau avoir recueilli quelques données sur des espèces établies, il est très difficile de faire une moyenne générale de la composition de ces boisés et d’établir la façon dont nous pouvons appliquer cela.
Nous pourrions faire des levés. Nous connaissons déjà des boisés activement gérés, qui sont certifiés, et nous pouvons obtenir ces valeurs.
Vous avez raison de dire que les forêts plus jeunes sont celles qui emprisonnent le plus de carbone. On a déjà établi les données de référence quant à l’âge. Une forêt, quand on parle de forêt acadienne, est âgée d’environ 40 ans. C’est à cet âge-là qu’elle capte le plus de carbone. C’est donc lorsqu’elle a environ 40 ans que la tendance commence à se renverser.
Je voulais ajouter que la croissance constante de nouveaux végétaux suppose d’épaisses couches de feuilles mortes. Il ne faut pas oublier que la désintégration de ces feuilles mortes produit aussi du carbone. Ça ne cesse jamais. Mais si nous pouvons assurer un cycle de gestion optimale de nos propres boisés et suivre un plan de gestion pour le stockage du carbone, ce serait la meilleure façon de nous y attaquer.
Le sénateur Ogilvie : Merci beaucoup.
La sénatrice Gagné : Madame Carroll, vous avez dit dans votre exposé qu’il était important que le gouvernement intervienne en sylviculture. J’ai une question. Dans quel secteur devrait-il éviter d’intervenir?
Mme Carroll : Devrait-il éviter d’intervenir?
La sénatrice Gagné : Devrait-il éviter d’intervenir.
Mme Carroll : À une étape de la sylviculture, vous voulez dire?
La sénatrice Gagné : C’est une question très ouverte. Nous entendons souvent les propriétaires d’entreprise critiquer le gouvernement, disant qu’il intervient dans tous les secteurs; j’aimerais savoir s’il y a des secteurs dans lesquels il ne devrait pas intervenir.
Mme Carroll : Quand je disais dans mon exposé qu’il y avait des interventions à faire, je voulais surtout dire que nous avions besoin d’interventions dans le domaine sylvicole. Nous devons prendre la forêt en charge à l’aide de traitements sylvicoles effectués à différents stades.
Quant à la question de savoir dans quels secteurs le gouvernement devrait éviter d’intervenir, j’aurais besoin d’une seconde pour y penser.
M. Rowe : Je ne crois pas qu’il intervienne, en réalité. Je ne crois pas que les gouvernements des provinces atlantiques interviennent réellement de façon négative dans la gestion des boisés.
Je connais un secteur où l’intervention du gouvernement permet à de grandes sociétés de couper davantage d’arbres que nous ne l’aurions voulu. Nous aimerions peut-être mieux que des entreprises achètent du bois de propriétaires de boisés privés, en aidant ce secteur, plutôt que de tout laisser aux mains des grandes sociétés, à savoir les scieries ou les producteurs de pâte. Mais je ne crois pas que le gouvernement intervienne négativement dans le secteur forestier des provinces maritimes.
Mme Banks : Au Nouveau-Brunswick, je dirais que le gouvernement intervient probablement davantage sur les terres de la Couronne. Nous avons le même problème, c’est-à-dire que le gouvernement a donné du bois des terres de la Couronne aux entreprises forestières, plus que ce que les citoyens de la province auraient voulu, et que, pour cette raison, il nous a été difficile de mettre sur le marché le produit des boisés privés.
En tant que propriétaire d’un boisé privé, je dirais la même chose que John : c’est ce qui se passe quand vous êtes une entreprise et que vous avez accès à des terres de la Couronne, du moins au Nouveau-Brunswick. Notre gouvernement est toujours tiraillé entre les désirs du secteur et les désirs du public. Leurs désirs sont habituellement contradictoires, parce que le secteur veut pouvoir faire de grandes coupes à blanc.
La sénatrice Gagné : Merci.
Le vice-président : Ce qui complique les choses, bien sûr, c’est que le secteur des forêts relève à la fois du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux. Les gens parlent toujours du fait que le gouvernement fédéral intervient dans ce secteur. Et dès qu’il commence à intervenir dans un secteur que certains gouvernements provinciaux jugent relever de leurs propres compétences… Je pense en particulier à une province où cette tâche se révélerait difficile.
Le sénateur Ogilvie : Monsieur le président, à ce sujet, la question de l’intervention, il y a en Nouvelle-Écosse d’importants règlements qui régissent la coupe de bois dans des boisés, qui ont trait par exemple à la distance d’avec la route, d’avec les cours d’eau, d’avec les terres humides, et ainsi de suite.
Madame Carroll, si je ne me trompe pas, il y a quelques années le gouvernement avait présenté une proposition qui aurait des répercussions très importantes sur la façon dont les gens peuvent utiliser leur équipement pour exploiter leur propre boisé privé. J’imagine que l’on dirait qu’il s’agit ici aussi d’une intervention du gouvernement, n’est-ce pas? Vous approuvez peut-être certains de ces règlements. Je ne dis pas que vous vous opposez à tous les règlements, mais il y a en Nouvelle-Écosse de très importants règlements touchant l’exploitation des boisés, n’est-ce pas?
Mme Carroll : Il y a d’importants règlements touchant l’abattage près des cours d’eau. Encore une fois, je tiens à souligner que l’intervention en sylviculture n’a pas à être une intervention du gouvernement. Je disais que nous devons intervenir à certains stades pour assurer la relève. Je voulais également clarifier ce point.
Je me rappelle justement à l’instant les défis qu’ont connus les acheteurs et les exploitants de scieries de la région. Certaines personnes possèdent une petite scierie mobile; nous pourrions constituer un répertoire des scieries mobiles existant en Nouvelle-Écosse. Dans certaines régions, il est interdit d’acheter du bois abattu ainsi et de l’utiliser pour la construction. On pourrait laisser cela à la discrétion de l’acheteur, mais étant donné que le bois d’œuvre doit être estampillé et séché au séchoir, qu’il doit faire l’objet de plusieurs… je ne peux pas parler de toutes les restrictions. Mais, si nous envisageons de lancer une campagne de type « Soutenons les entreprises locales », ce serait assurément un obstacle. Nous pourrions soutenir les entreprises locales avec les acheteurs locaux et réduire le transport et les émissions de gaz à effet de serre. C’est un changement possible qui me vient tout juste à l’esprit.
Bien sûr, le programme Wood Works! Canada a révolutionné notre code du bâtiment en nous autorisant à construire des immeubles plus hauts, ce qui est phénoménal. Ce programme est une grande source de fierté et nous l’applaudissons. Nous espérons qu’il s’étendra.
Nous avons également appris que les constructions en bois résistent beaucoup mieux au feu, contrairement à ce que croient à tort bien des gens. Sur le plan structurel, il est tout indiqué. Il ne gauchit pas. Il est très malléable et, en fait, c’est un produit de construction supérieur.
Je tenais à faire ces deux ou trois commentaires supplémentaires.
La sénatrice Gagné : Merci.
Le vice-président : Nous allons maintenant changer un peu de sujet. Nous parlerons toujours de votre secteur, mais nous laisserons de côté les taxes sur le carbone et le régime de plafonds et d’échanges pour parler de l’offre. Je dois vous avouer que j’ai un dilemme. Ma question est très égoïste, parce que j’utilise du bois de chauffage. J’ai un système de chauffage d’appoint, chez moi, à Mount Uniacke, à savoir un poêle à bois très efficace. Je me chauffe à l’électricité, et tout le monde sait que l’électricité est plus chère en Nouvelle-Écosse que partout ailleurs au pays. Et j’attends toujours avec impatience, chaque année, le moment d’acheter mon bois de chauffage à la fin de l’été.
J’ai de plus en plus de difficulté à trouver du bois de chauffage. Je m’approvisionnais auprès d’un monsieur de la collectivité voisine, qui n’arrêtait pas de me dire à quel point il avait lui aussi de la difficulté à s’approvisionner. Il a cessé ses activités, aujourd’hui. Il était un peu âgé, il a probablement tout simplement laissé tomber. Il ne répond plus quand on l’appelle, il n’y a plus moyen de le trouver.
J’ai trouvé un autre fournisseur; vous trouverez intéressant de savoir que mon fournisseur, pour venir me porter du bois à Hants East, part d’aussi loin que Yarmouth. C’est toute une trotte.
Quoi qu’il en soit, est-ce un problème que tout le monde connaît au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, et quelle est la cause de cette pénurie de bois de chauffage?
Mme Banks : Nous ne connaissons pas cette pénurie au Nouveau-Brunswick. Il est très facile de trouver du bois de chauffage.
Le vice-président : Le problème se pose peut-être seulement à Hants East.
M. Rowe : Traditionnellement, le bois de chauffage était toujours un sous-produit de l’industrie forestière. Les entrepreneurs qui abattaient des arbres se réservaient les plus beaux morceaux, c’est-à-dire le bois d’œuvre de haute qualité, puis le bois de charpente, puis le bois à papier. Il lui restait ensuite tout ce bois dur. Aujourd’hui, l’abattage ne se fait plus de cette manière, comme Stacie et Susannah l’ont dit. Le petit bois reste sur place, et il n’est plus ramassé.
Mais il y a sur l’Île-du-Prince-Édouard un petit nombre de personnes qui ne s’occupent que de l’abattage. Elles vont dans ce que j’appellerais des forêts de feuillus vierges et, à notre plus grand regret, abattent des arbres pour en faire du bois de chauffage.
Je veux dire par là que l’on peut prendre un arbre très précieux, par exemple l’érable madré, un bois qui aurait pu servir dans le secteur du meuble, et l’abattre pour en faire du bois de chauffage. Voilà en fait ce qui s’est passé. L’érable moucheté, l’érable madré, l’érable de Pennsylvanie… On pouvait obtenir 1 000 $ par grume, pour ces arbres, mais aujourd’hui, ce bois finit dans bien des cas en bois de chauffage. Je ne sais pas si la même chose s’est produite en Nouvelle-Écosse, mais je sais aussi qu’il n’y a pas beaucoup de marchés, en Nouvelle-Écosse, ce qui fait que c’est fort possible.
Mme Carroll : Je viens en fait moi aussi d’East Hants. J’habite au magnifique centre-ville de Walton.
Le vice-président : Je suis déjà allé au centre-ville de Walton, c’est magnifique.
Mme Carroll : C’est une région magnifique, le meilleur endroit au monde pour la pêche à l’achigan.
Il y a deux ou trois ans, des gens du coin avaient de la difficulté à trouver un fournisseur de bois de chauffage. Je me ferais plaisir de vous aider dans votre recherche, après la réunion. Il y a quelques producteurs qui viennent de Northfield et d’autres de Sackville.
J’ai bien vu qu’il manque de ressources. Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de liens entre les producteurs et les acheteurs. Il n’y a pas de répertoire. On ne sait pas où chercher la mention « bois de chauffage, East Hants ». On n’a jamais cherché à soutenir le marché local de façon à ce que, quand un producteur cesse ses activités, il suffit de faire un appel téléphonique pour en trouver un autre qui n’habite pas loin.
Le vice-président : Avant de partir, aujourd’hui, nous pourrions peut-être discuter en privé, vous et moi.
Sénatrice Tardif.
La sénatrice Tardif : Comme on l’a entendu dire si souvent, aujourd’hui, les changements climatiques entraînent de nombreux défis, mais ils offrent aussi des possibilités. st-ce qu’il vous est possible d’innover et de vendre certains produits du bois en raison des changements climatiques et du fait que les essences d’arbre ont changé?
Mme Carroll : En raison spécifiquement des changements climatiques, je n’en suis pas certaine.
La sénatrice Tardif : Je pensais par exemple à la biomasse. Pouvez-vous fabriquer du granulé de bois? S’agirait-il d’une possibilité qui n’existait pas avant?
Mme Carroll : C’est certainement une possibilité. Je crois que le défi de la biomasse, en Nouvelle-Écosse, c’est qu’il a très mauvaise presse, et qu’on prête davantage l’oreille à une mauvaise couverture de presse, dans notre province, à l’heure actuelle; c’est un autre secteur où le gouvernement devrait intervenir, à mon avis.
La sénatrice Tardif : Pourquoi cette mauvaise presse?
Mme Carroll : Ce sont les gens qui parlent le plus fort qui attirent le plus l’attention des médias. Je ne sais vraiment pas comment répondre à cette question. Il semble qu’il y a des gens qui sont contre la biomasse. Ils disent que « seule la coupe à blanc » permet de produire de la biomasse.
Je tiens à dire une chose à propos des forêts de la Nouvelle-Écosse : 70 p. 100 des fibres de ces arbres sont utilisables. Nos forêts ne présentent pas une très grande variété d’espèces, et nous ne pouvons pas produire uniquement des grumes de sciage. Nos forêts sont donc en grande part composées d’arbres — je déteste utiliser cette expression, mais c’est la classification — de qualité inférieure dont on ne peut tirer que de la fibre ou des produits secondaires. Nous nous intéressons donc à la fibre, aux copeaux, à la pâte. La Nouvelle-Écosse a perdu une grande scierie.
Ce n’est pas encore officiel, mais une nouvelle usine de production de granulés est prévue, à Musquodoboit.
La sénatrice Tardif : D’accord.
Mme Carroll : Il y a eu beaucoup de problèmes, dans l’Ouest de la Nouvelle-Écosse, en raison de l’absence de commercialisation.
Il est certain que les possibilités sont nombreuses, mais étant donné le regard que la culture populaire jette actuellement sur l’industrie forestière, nous avons beaucoup de difficultés à faire avancer les choses, même si ce serait un moyen de soutenir le commerce local. Nous pourrions nous retirer des marchés internationaux et faire affaire seulement à l’échelle locale. Si le gouvernement décidait d’intervenir et d’essayer de convaincre les grandes entreprises, les hôpitaux et les écoles de mettre fin à leur dépendance aux combustibles fossiles et à adopter le modèle des granulés… on a même demandé à l’entreprise Wilson Fuels si elle serait intéressée à transporter les granulés, ce qui permettrait de créer de grands systèmes à trémie comme systèmes d’appoint pour le chauffage des grands immeubles.
Il y a bien des possibilités. Je ne sais pas si elles sont liées spécifiquement aux changements climatiques, mais…
La sénatrice Tardif : Je dirais qu’elles le sont, puisqu’elles serviraient au chauffage en vous permettant d’abandonner les combustibles fossiles.
Mme Carroll : En effet. Et par ricochet de réduire les émissions de gaz à effet de serre, puisque les produits de bois sont neutres en carbone.
La sénatrice Tardif : En effet.
M. Rowe : Je crois que le problème, avec les changements climatiques, c’est qu’ils se font de manière graduelle, sans que les gens s’en rendent tout de suite compte. Nous parlons de mesures d’atténuation et d’adaptation, et je crois que c’est un pas dans la bonne direction, mais les gens ne se sont pas intéressés à la question ces 50 ou 75 dernières années. Nous savons que le mercure a grimpé d’un degré, en Amérique du Nord, et que nous ne pourrons pas l’empêcher de grimper encore d’un degré; nous espérons cependant que, d’ici 2100, nous pourrons l’empêcher de grimper de deux degrés de plus.
Nous avons de la difficulté à développer des marchés, comme vous l’avez entendu dire tout au long de la journée. Les marchés, comme celui de la biomasse, celui des copeaux, celui des granulés, ne paient pas suffisamment les propriétaires de boisés. Tant que nous n’aurons pas de camions qui fonctionnent à l’électricité, à l’énergie éolienne ou solaire, qui coûtent beaucoup moins cher à exploiter que les camions fonctionnant au mazout ou au diesel, il en coûtera bien trop cher pour aller du point A au point B, et il ne vaudra pas la peine de vendre ces produits particuliers.
J’ai participé à une étude, il y a sept ou huit ans, à l’Île-du-Prince-Édouard, et nous avions recommandé d’installer des appareils fonctionnant à la biomasse dans toutes les petites collectivités, dans tous les petits immeubles abritant des services hospitaliers, des écoles ou des services gouvernementaux. Nous sommes au centre d’un secteur et, dans un rayon de 25 milles, on trouve les copeaux qui alimentent la fournaise à biomasse. Ça commence peu à peu. Mais il faut que cela se fasse à l’échelle locale. Ça ne coûte pas cher de transporter un produit sur 25 kilomètres.
La sénatrice Tardif : En effet.
M. Rowe : Donc, dans un rayon de 20 kilomètres, peu importe la direction, il est facile de fournir un produit à l’échelle locale. De cette manière, vous faites d’une pierre deux coups. Vous économisez sur les coûts de transport et vous fournissez un combustible beaucoup moins cher. Vous faites travailler des gens de votre localité, vous injectez de l’argent dans l’économie locale plutôt que de l’utiliser pour pomper du pétrole ou du gaz du Texas à Charlottetown.
La sénatrice Tardif : C’était l’une des possibilités dont j’aurais voulu vous parler.
Le sénateur Ogilvie : C’est bien trop logique.
Mme Banks : Un autre des défis, c’est qu’on ne peut pas se contenter de s’approvisionner en biomasse et de la mettre dans une fournaise. Il faut faire des copeaux ou des granulés avec le bois; il y a donc tout un processus à suivre. Il y a toujours des intermédiaires entre les propriétaires de boisé et les utilisateurs finaux. Le problème reste le même : il faut s’assurer que le propriétaire du boisé fait vraiment de l’argent avec son produit et qu’il ne perd pas tout au profit des transformateurs intermédiaires.
La sénatrice Tardif : Oui, merci.
Le vice-président : Mesdames et messieurs, merci beaucoup. Vos exposés ont été très utiles.
Monsieur Rowe.
M. Rowe : Pourrais-je ajouter une dernière chose? Le gouvernement va mettre sur pied un fonds pour une économie à faibles émissions de carbone, et je crois que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux y trouveraient une bonne occasion de collaborer. Nous avons par exemple parlé d’une industrie forestière axée sur le reboisement et du fait qu’on pourrait participer de cette manière particulière. Nous pourrions faire la même chose partout au Canada. Nous pourrions recommencer à planter trois millions d’arbres à l’Île-du-Prince-Édouard. Cela n’arrivera pas si le gouvernement fédéral n’y investit pas de l’argent comme il l’avait fait dans les années 1980.
Le vice-président : Une collaboration fédérale-provinciale. J’aimerais savoir ce que vous fumez.
M. Rowe : Eh bien, à l’Île-du-Prince-Édouard, c’est possible, je vous le garantis.
Le vice-président : Je suis certain qu’on peut en avoir un peu partout, ces jours-ci. Monsieur Rowe, merci de cette intervention.
Je tiens à vous remercier tous les trois. La discussion a été très utile. Je ne sais pas ce qu’en pensent mes collègues, mais il est certain que j’ai appris beaucoup de vous, et je l’apprécie.
Stacie, continuez à planter des arbres. Nous l’apprécions.
Chers collègues, nous n’allons pas lever la séance tout de suite. Je vais passer à autre chose.
Je m’adresse aux honorables sénateurs : je dois vous informer du fait que, pour la réunion de demain, le président et le vice-président seront absents pour une raison impérieuse. Je dois donc procéder à l’élection d’un président suppléant. J’attends une motion à cet effet.
La sénatrice Gagné : Je propose que la sénatrice Tardif soit présidente suppléante.
Le vice-président : Est-ce que quelqu’un veut proposer une autre personne?
La sénatrice Gagné propose que la sénatrice Tardif occupe le fauteuil du président de notre comité, demain. Êtes-vous d’accord?
Des voix : D’accord.
Le vice-président : Nonobstant la motion adoptée à l’occasion de la réunion organisationnelle, le 11 décembre 2015, il est entendu que, pour la réunion du comité qui doit avoir lieu le mardi 3 octobre, la personne qui occupe le fauteuil par intérim peut tenir la réunion, entendre les témoignages et autoriser leur publication, même en l’absence de quorum, sous réserve qu’un membre du comité représentant l’opposition et un autre représentant les libéraux soient présents.
Êtes-vous d’accord?
Des voix : D’accord.
Le vice-président : Merci.
Le sénateur Doyle : J’étais en train de dire à notre greffier que nous ne nous réunirons pas avant 10 h 40, demain. Il a déjà dit que les premiers témoins ne se présenteront pas avant 9 h 30. Mais, étant donné que nous ne serons que deux à la table, avec la présidente, serait-il possible de tenir notre réunion à 10 heures?
Nous nous attendons à ce que le sénateur Oh soit ici, et il ne pourra peut-être pas arriver avant 10 heures. Ça nous fait mal paraître, quand nous recevons de nombreux témoins et que nous ne sommes que deux pour les accueillir.
La sénatrice Gagné : C’est une bonne idée.
Le vice-président : Il se peut que la sénatrice Bernard soit présente. J’ai demandé au greffier de lui téléphoner, à son bureau, lorsque la séance sera levée, pour savoir ce qu’il en est.
Est-ce que le sénateur Oh vient d’Ottawa ou de Toronto?
Le sénateur Ogilvie : Il arrive à Halifax à 9 h 35.
Le vice-président : Il ne sera pas en ville avant 10 h 30.
La sénatrice Tardif : Exactement.
Le sénateur Doyle : Donc, est-ce que 10 heures fait l’affaire?
Le vice-président : Eh bien, nous aurions quand même une demi-heure à faire sans le sénateur Oh. Si vous voulez attendre que le sénateur Oh soit présent, il vous faudra déplacer toute la réunion d’une heure. Rappelez-vous où se trouve l’aéroport d’Halifax. Si le sénateur Oh a des bagages à récupérer, et j’ignore comment il voyage…
Le sénateur Doyle : Je voulais souligner que le second groupe de témoins ne sera entendu qu’à compter de 10 h 40.
Le vice-président : C’est entre les mains du comité. C’est nous qui décidons.
La sénatrice Tardif : Êtes-vous en train de dire que nous allons demander aux témoins de se présenter plus tard, sénateur Ogilvie?
Le vice-président : Les témoins seront présents.
Kevin Pittman, greffier du comité : La seule chose que je voudrais faire valoir, monsieur le sénateur, c’est qu’il est maintenant 16 h 20 et que je me demande si je pourrais confirmer leur présence.
Le sénateur Doyle : Je comprends. J’avais oublié cela.
Le vice-président : Ce n’est pas une mauvaise suggestion, et nous apprécions votre commentaire, sénateur Doyle
(La séance est levée.)