Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule n° 14 - Témoignages du 4 octobre 2016
OTTAWA, le mardi 4 octobre 2016
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 9 h 31, pour procéder à l'étude sur le programme de plusieurs milliards de dollars du gouvernement fédéral pour le financement des infrastructures.
Le sénateur Larry W. Smith (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, mesdames et messieurs, et bienvenue à cette séance du Comité des finances nationales.
Avant d'entendre nos témoins et d'entreprendre nos travaux aujourd'hui, je voudrais attirer votre attention sur le fait que nous n'avons pas de vice-président, le sénateur Campbell ayant quitté notre comité la semaine dernière. Je vous demande donc si nous devrions procéder à l'élection d'un vice-président.
Des voix : Oui.
Le président : J'aimerais vous rappeler que le processus d'élection du vice-président est similaire à celui de l'élection du président. Lors de l'élection du vice-président, le président demandera si des noms sont proposés. Si plus d'un nom est proposé, le président les mettra aux voix sous forme de motion dans l'ordre où ils ont été soumis. Une seule motion peut être mise aux voix à la fois. Nous procédons initialement à des votes par oui ou non. Le président présentera la motion et jugera des résultats. Je suis maintenant prêt à recevoir des candidatures. Est-ce que quelqu'un souhaite proposer un nom?
Le sénateur Moore : Je propose la sénatrice Anne Cools à titre de vice-présidente du Comité sénatorial permanent des finances nationales.
Le président : Merci, monsieur. Y a-t-il d'autres propositions? Il ne semble pas y en avoir d'autres.
Le sénateur Tkachuk : Je propose de clore le processus de candidatures.
Le président : Je vais mettre la motion aux voix. Êtes-vous en faveur de la motion?
Des voix : Oui.
Le président : Est-ce que quelqu'un s'y oppose? Félicitations. Nous avons une nouvelle vice-présidente en la personne de la sénatrice Anne Cools.
La sénatrice Cools : Je me souviens d'avoir été sa vice-présidente.
Le sénateur Tkachuk : C'est vrai. Je m'en souviens aussi.
Le président : L'histoire se répète toujours. Merci. Après notre séance, nous voudrions présenter quelques questions de gestion interne à nos collègues. Cela ne sera pas long; nous gérerons donc notre temps en conséquence. Accordez- moi simplement 5 à 10 minutes et nous nous occuperons de ces questions après la séance.
Bienvenue devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales. Distingués collègues et membres de l'audience, le comité a pour mandat d'examiner les questions qui concernent les budgets fédéraux en général et les finances gouvernementales. Nous poursuivons aujourd'hui notre étude sur la conception et la mise en œuvre du programme de plusieurs milliards de dollars du gouvernement fédéral pour le financement des infrastructures.
Je m'appelle Larry Smith, sénateur du Québec et président du comité. Permettez-moi de vous présenter brièvement les autres membres de notre comité. À ma droite se trouvent le sénateur David Tkachuk, la sénatrice Nicole Eaton, la sénatrice Elizabeth Marshall, la sénatrice Anne Cools et la sénatrice Raynell Andreychuk. Madame la juge, je suis enchanté de vous voir. À ma gauche se trouvent le sénateur Wilfred Moore, le sénateur Grant Mitchell, le sénateur André Pratte, le sénateur Jim Cowan et la sénatrice Denise Batters. Bienvenue.
[Français]
Nous avons invité les auteurs de rapports qui ont été publiés récemment et qui sont pertinents à notre sujet d'étude. Les titres de ces rapports et les hyperliens y donnant accès ont été communiqués aux membres la semaine dernière.
[Traduction]
Je voudrais présenter nos témoins. Nous recevons d'abord Benjamin Dachis, directeur associé, Recherche, de l'Institut C.D. Howe, qui témoigne pour traiter du rapport intitulé Getting More Buildings for our Bucks : Canadian Infrastructure Policy in 2016, publié par l'institut en janvier.
Nous entendrons ensuite Ryan Greer, directeur, Politiques du transport et de l'infrastructure, de la Chambre de commerce du Canada. Bienvenue, Ryan. La chambre a publié en décembre 2013 un rapport intitulé The Foundations of a Competitive Canada : The Need for Strategic Infrastructure Investment.
[Français]
Le titre en français est le suivant : Les bases d'un Canada compétitif : la nécessité d'investir de façon stratégique dans les infrastructures.
[Traduction]
M. Greer est prêt à en parler, mais la Chambre de commerce du Canada a également publié un rapport plus récent, en juin 2016, qui s'intitule The Infrastructure that Matters Most : The Need for Investment in Canada's Trade Infrastructure.
[Français]
En français, le rapport s'intitule Les infrastructures les plus importantes : La nécessité d'investir dans les infrastructures commerciales du Canada.
[Traduction]
Ce rapport a été rédigé par M. John Law. À titre d'anciens joueurs de football, nous nous détestions sur le terrain, mais John faisait partie des Blue Bombers. Nous avons invité cet auteur à parler de son rapport. M. Law est président- directeur général de Lawmark International.
Nous vous remercions tous de comparaître aujourd'hui. Nous aimerions vous entendre et savoir ce que vous considérez comme étant les principales conclusions de chacun des rapports que j'ai évoqués. Chacun d'entre vous a un exposé à faire. Nous commencerons par M. Dachis, puis nous entendrons M. Greer et M. Law, après quoi nous vous interrogerons. Vous avez la parole.
Benjamin Dachis, directeur associé, Recherche, Institut C.D. Howe : Merci beaucoup, sénateurs, de m'avoir invité. Comme le sénateur Smith l'a indiqué, je m'appelle Benjamin Dachis et je suis directeur de recherche associé à l'Institut C.D. Howe, un groupe de réflexion national et impartial en matière de politique publique.
Je vais traiter des recommandations figurant dans notre récent rapport intitulé Getting More Buildings for our Bucks : Canadian Infrastructure Policy in 2016. Si vous ne l'avez pas devant vous, j'en ai apporté quelques exemplaires comme lecture de chevet.
Je vais parler de trois recommandations du rapport, soit le besoin de limiter les subventions octroyées aux administrations locales et de n'en accorder qu'aux projets fondés sur des formules transparentes; d'améliorer la sélection des projets; et d'établir un organisme axé sur l'infrastructure qui encouragera les investissements du secteur privé.
En premier lieu, Ottawa n'a souvent pas besoin d'accorder des subventions. Ces dernières peuvent inciter les administrations locales à dépenser plus...
Le président : Pouvez-vous répéter ce que vous venez dire? Juste le dernier passage.
M. Dachis : En premier lieu, Ottawa n'a souvent pas besoin d'accorder des subventions. Est-ce que ça va?
Le président : Oui.
M. Dachis : Les subventions peuvent inciter les administrations locales à dépenser plus pour des projets de faible rentabilité, de peur de ne plus avoir accès aux fonds fédéraux. Les subventions du gouvernement fédéral en matière d'infrastructure excellent lorsque le projet génère une certaine forme de retombées pour plusieurs parties. Par exemple, les portes d'entrée internationales accroissent le commerce et constituent des projets pertinents qu'Ottawa peut appuyer.
Sachez en outre que les dépenses d'une administration locale peuvent mener à une augmentation de revenu pour les résidants, qui paieront alors plus d'impôt au gouvernement fédéral. Au moment d'établir la formule pour des subventions visant des projets en particulier, le gouvernement fédéral devrait quantifier l'ampleur de ces retombées et appuyer uniquement les projets d'infrastructure qui pourront le mieux optimiser ces retombées.
En deuxième lieu, tous les gouvernements doivent améliorer leur processus de sélection de projets. Tous les grands investissements en infrastructure devraient être assujettis à des analyses de rentabilité. Cela devrait aller de soi, n'est-ce pas, mais ce n'est pas le cas. Il faudrait avoir recours partout au gouvernement à des analyses de rentabilité pour tous les investissements d'envergure. Ces analyses devraient être effectuées par un bureau pangouvernemental, comme le Conseil du Trésor fédéral. L'étape de l'analyse de rentabilité serait en outre le bon moment pour calculer le montant de la subvention fédérale en fonction des retombées, comme je l'ai indiqué précédemment.
Une banque d'infrastructure pourrait à la fois accorder les fonds pour les projets locaux et appliquer des normes plus rigoureuses pour la hiérarchisation des investissements et l'analyse de rentabilité. Cette approche serait quelque peu différente de l'engagement pris par le gouvernement fédéral au cours de la campagne, selon lequel il utiliserait une banque de ce type pour consentir des prêts aux administrations locales en fonction des coûts de prêt moins élevés dont il bénéficie. Une organisation de ce type pourrait en outre intégrer les fonctions de PPP Canada, par exemple, un organisme fédéral qui offre des services d'experts relativement aux projets PPP partout au pays.
Voilà qui m'amène à mon troisième et dernier point, lequel fait fond sur le contenu du rapport publié en janvier 2016 : il s'agit de la nécessité d'établir les bonnes institutions fédérales afin de mobiliser davantage d'investissements privés dans l'infrastructure et d'encourager tous les ordres du gouvernement à créer des occasions d'investissement.
Les fonds de pension du Canada ont investi des dizaines de milliards de dollars en infrastructure partout dans le monde afin de payer les pensions des Canadiens. Ces fonds doivent investir à l'étranger parce que les gouvernements canadiens ne créent pas d'occasion d'investissement. Par ailleurs, l'investissement dans l'infrastructure par des institutions aura des effets bénéfiques sur l'ensemble de l'économie. Il ne faut pas oublier que le financement de projet à l'aide des fonds publics entraîne un préjudice économique. Si les gouvernements avaient plutôt recours aux investissements institutionnels, ils élimineraient ce préjudice inhérent au financement public.
Il faut garder à l'esprit que le gouvernement fédéral possède peu d'actifs comparativement aux occasions plus nombreuses découlant du recyclage d'actifs provinciaux et municipaux. Même si le gouvernement pourrait prendre des mesures unilatérales pour favoriser l'investissement privé dans des actifs comme les aéroports et les ports, Postes Canada et VIA Rail, plus de 90 p. 100 des actifs à services payants idéaux pour les investisseurs institutionnels se trouvent entre les mains des gouvernements provinciaux.
Infrastructure Australia est un modèle potentiel pour la banque d'infrastructure du Canada. Infrastructure Australia a un mandat et de l'expertise dans la hiérarchisation et la sélection des projets. En outre, l'initiative australienne offre aux États du financement fédéral allant jusqu'à 15 p. 100 de la valeur de vente des actifs existants. C'est là une mesure économique saine qui permet de réduire le préjudice causé par le financement des nouvelles infrastructures par les fonds publics et d'offrir aux pensionnés le rendement dont ils ont besoin pour profiter d'une bonne retraite.
La prochaine mesure que le gouvernement devrait envisager en vue de permettre la propriété de l'infrastructure est la création d'un milieu réglementaire approprié qui s'appliquerait tant à l'infrastructure gouvernementale qu'à l'infrastructure privée. La création d'un organisme de réglementation indépendant pour les grands projets d'infrastructure peut avoir de nombreux avantages, que les gouvernements offrent ou non une part de l'actif.
Je conclurai en disant que la politique fédérale en matière d'infrastructure devrait avoir trois priorités : limiter les subventions octroyées aux administrations locales aux projets pour lesquels Ottawa a un rôle clair à jouer; améliorer la sélection des projets; et établir les conditions favorisant les investissements institutionnels dans les infrastructures publiques essentielles. Sur ce, je serai heureux de répondre à vos questions.
Ryan Greer, directeur, Politiques du transport et de l'infrastructure, Chambre de commerce du Canada : Merci, monsieur le président et distingués sénateurs, d'avoir invité la Chambre de commerce du Canada à prendre part à votre étude sur le programme d'infrastructure fédéral. Comme vous pouvez l'imaginer, la chambre et son réseau de plus de 200 000 entreprises s'intéressent fortement aux résultats des décisions que le gouvernement prendra dans les prochains mois, décisions qui orienteront véritablement les investissements en infrastructure au Canada au cours de la prochaine décennie.
Nous avons donc énormément travaillé dans ce domaine et avons notamment publié les deux rapports dont le président a parlé dans son introduction, dont l'un s'intitule Les bases d'un Canada compétitif et porte sur les décisions structurelles que le gouvernement peut prendre pour effectuer des investissements plus efficaces en infrastructure. Il appuie certains propos de Ben, proposant d'améliorer la gestion des actifs et expliquant comment le gouvernement peut mieux tirer parti des PPP.
Nous avons publié un deuxième rapport en juin dernier. Intitulé Les infrastructures les plus importantes, il a été rédigé par John. Nous y préconisons d'accroître les investissements et la priorité en ce qui concerne les infrastructures commerciales du Canada. Nous travaillons aussi à un autre rapport sur les infrastructures, que nous comptons publier dans les mois à venir.
Dans l'ensemble, la Chambre de commerce du Canada appuie fortement l'engagement du gouvernement consistant à doubler les dépenses en infrastructures pour les porter à 120 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie. Les infrastructures modernes et efficaces constituent un élément essentiel d'une économie concurrentielle.
En particulier, l'engagement d'accorder 20 milliards de dollars en argent neuf pour les transports en commun est bien nécessaire dans les grandes villes du pays. À cet égard, la congestion routière n'est pas qu'une question de qualité de vie pour ceux qui la subissent; elle est en train de devenir un véritable problème économique dans l'ensemble du pays.
De plus, les dépenses dans les transports en commun sont en soi très égalitaires. Si l'amélioration de la congestion routière peut aider un grand fabricant à transporter ses produits en camion dans la ville, elle peut aussi permettre à un réparateur de fournaise d'effectuer plus facilement une réparation de plus chaque jour. Alors que le gouvernement commence à élaborer la phase 2 de son plan, nous considérons qu'il faut prendre des décisions disciplinées qui se traduiront par des retombées plus importantes à long terme pour l'économie canadienne. Nous traitons de certaines de ces décisions dans nos deux rapports. J'énumérerai brièvement quatre recommandations tirées de ces rapports, que nous présentons au gouvernement parce que nous pensons qu'elles pourraient l'aider dans ce dossier.
Nous recommandons d'abord que les infrastructures qui facilitent les échanges commerciaux constituent une priorité dans le plan. Il s'agit, bien entendu, des routes, des ports, des voies navigables, des chemins de fer, des installations frontalières, des aéroports, des pipelines et même de l'infrastructure numérique du Canada. Ces infrastructures permettent la circulation des produits, des services et des citoyens canadiens sur les marchés nationaux et internationaux.
Des diverses sortes d'infrastructure, celle qui facilite le commerce est celle qui offre le meilleur rendement de l'investissement. C'est l'infrastructure qui nous rend tous plus riches en rendant ses utilisateurs plus concurrentiels. Par conséquent, elle génère plus de revenus fiscaux que d'autres formes d'infrastructures, ce qui permet aux gouvernements d'avoir plus d'argent à dépenser dans d'autres priorités économiques et sociales.
Nous recommandons également que le gouvernement rétablisse les programmes de portes d'entrée et de corridors commerciaux, compte tenu du succès remporté par les anciens programmes fédéraux, comme l'Initiative de la Porte et du Corridor de l'Asie-Pacifique et le Fonds pour les portes d'entrée et les passages frontaliers.
Ces programmes contribuent à faciliter les investissements stratégiques de tous les ordres de gouvernement et du secteur privé dans les infrastructures de transport afin de contribuer à réduire les goulots d'étranglement dans la chaîne d'approvisionnement du Canada.
Le programme de la porte de l'Asie-Pacifique, en particulier, était considéré comme une pratique exemplaire par l'industrie, les gouvernements et nos partenaires commerciaux. Nos membres et une bonne partie du milieu des affaires souhaitent ardemment que la phase 2 du programme d'infrastructure fédéral prévoie le rétablissement d'une version de ce programme. Nous considérons en outre qu'il est possible de tirer des leçons de ce programme pour les appliquer au reste de la chaîne d'approvisionnement et aux portes d'entrée et aux corridors du Canada.
Nous recommandons en outre de créer une sorte d'organisme sectoriel réunissant le gouvernement et le secteur privé afin d'aider à prioriser et à coordonner les projets d'infrastructure importants pour le pays. Ben a évoqué Infrastructure Australia. D'autres pays ont établi des organismes jouissant d'un certain degré d'indépendance qui peuvent aider à élaborer des plans d'infrastructure nationaux qui comprennent des priorités tant nationales que régionales. Ces organismes peuvent contribuer à intégrer les données des chaînes d'approvisionnement publiques et privées, et prodiguer des conseils sur les politiques et les règlements gouvernementaux pertinents.
Ce n'est, bien entendu, pas une idée nouvelle. Le rapport de l'Examen de la Loi sur les transports au Canada, une initiative présidée par David Emerson, a été publié récemment et contient à cet égard un certain nombre de recommandations qui seraient, selon nous, instructives pour le gouvernement et le comité. La chambre est un peu embarrassée à ce sujet, car elle ne formule pas souvent de conseils sur les questions relatives aux rouages gouvernementaux, mais nous jugeons qu'il faut vraiment accroître la capacité d'élaboration de politiques stratégiques en matière d'infrastructure à l'échelle nationale. Cela serait aussi fort avantageux pour les politiciens, qui cherchent à concilier les questions économiques et politiques lorsqu'ils prennent des décisions à long terme sur le plan des infrastructures. Comme je l'ai souligné, il s'agit d'une pratique exemplaire que certains de nos concurrents ont adoptée.
Enfin — et c'est là un point que le gouvernement ne devrait pas perdre de vue lorsqu'il prend des décisions —, les dépenses du secteur public ne pourront à elles seules combler le déficit infrastructurel du Canada. Nous recommandons donc au gouvernement d'encourager le secteur privé à investir davantage. À l'heure actuelle, ce dernier est un investisseur plus dynamique en infrastructure. Plus imposant, plus rapide, il prend davantage de risques et réfléchit à long terme. Voilà des avantages dont il faudrait tirer parti afin d'édifier un Canada plus concurrentiel.
À l'heure actuelle, un certain nombre de projets de grande envergure du secteur privé sont retardés ou carrément arrêtés pour des raisons de politique, de processus réglementaires indûment sévères et/ou d'acceptation sociale incertaine. Or, il s'agit de projets qui créeront des emplois et de la richesse sans que l'on ait besoin d'utiliser les deniers publics.
Je conclurai mon propos sur ce qui suit. Le fait de dépenser des dizaines de milliards de dollars ne garantit pas en soi un accroissement des résultats économiques. Si on agit adéquatement, toutefois, ces investissements peuvent vraiment stimuler la productivité et la compétitivité du Canada en favorisant des projets qui offrent les meilleures retombées à long terme, en institutionnalisant la collaboration et la planification à long terme, et, bien entendu, en contribuant à libérer le potentiel du secteur privé. En agissant de la sorte, on aidera le Canada à entrer dans une nouvelle ère de croissance et de prospérité. Je répondrai à vos questions avez plaisir.
John Law, président-directeur général, Lawmark International, à titre personnel : Merci de me donner l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui. Je vous en suis reconnaissant. L'infrastructure est un sujet pour lequel je me passionne depuis un certain temps. Même si je comparais aujourd'hui à titre personnel, c'est, bien honnêtement, en raison de cette passion que je témoigne. J'ai déjà été sous-ministre des Transports et de l'Infrastructure de la Saskatchewan et PDG fondateur de Global Transportation Hub, le port intérieur de cette province. Au cours de ces mandats, j'ai eu l'occasion de présider l'Association des transports du Canada et le Conseil des sous-ministres des Transports et de l'Infrastructure.
J'éprouve donc un intérêt constant à l'égard des politiques et j'ai pu garder la main dans ce domaine en travaillant avec mes collègues, comme M. Greer. Je vais aussi vous présenter aujourd'hui le point de vue d'un professionnel qui a assumé des responsabilités dans la construction d'infrastructures de transport et de commerce.
Je ne répéterai pas les recommandations du rapport auquel j'ai travaillé avec M. Greer et la chambre, dont Ryan a déjà traité avec éloquence, mais si je pouvais vous transmettre un message aujourd'hui, ce serait qu'il faut trouver un moyen de faire expressément des infrastructures de transport et de commerce un élément clé du nouveau programme d'investissement en infrastructure du gouvernement; il ne faudrait pas qu'elles fassent simplement l'objet d'une catégorie admissible, mais qu'elles constituent une priorité stratégique. La raison en est bien simple : cela se traduira par des emplois pour les Canadiens.
C'est important, car les producteurs, les fabricants et les fournisseurs de services du pays dépendent du réseau d'infrastructure commerciale pour acheminer leurs produits aux consommateurs des quatre coins du monde. Ce réseau constitue un élément crucial de la manière dont ils gèrent leurs activités pour demeurer concurrentiels. Leur salaire, leur prospérité et leur qualité de vie en sont tributaires.
MM. Greer et Dachis ont également souligné l'urgence du dossier, au regard de la compétitivité d'autres pays qui investissent beaucoup de temps politique et de capital financier pour apporter des améliorations à leurs infrastructures commerciales afin de se ménager une plus grosse part du gâteau à l'échelle internationale. Ce sont des marchés dont le Canada dépend et qu'il a bien servis par le passé.
De nos jours, le contexte est plus rude et plus difficile au chapitre du commerce international. Nous devons donc mieux surmonter les défis géographiques que nous connaissons bien à titre de Canadiens. Merci beaucoup.
Le président : Merci, monsieur Law. Il y a toute une liste de sénateurs qui souhaitent poser des questions. Nous allons donc commencer.
La sénatrice Marshall : Ma question porte sur un sujet dont vous avez tous les trois traité : le besoin de choisir les projets de manière stratégique afin de tirer le meilleur rendement de notre investissement. Pouvez-vous nous dire brièvement si vous pensez qu'on y arrivera? Le gouvernement est soumis à des pressions considérables pour investir les fonds. L'initiative est considérée comme une mesure de stimulation.
Il faut également tenir compte de la facette politique, puisque les provinces, les territoires et les organisations veulent tous obtenir des fonds. Il se peut donc que tous les projets n'offrent pas un rendement optimal.
Pouvez-vous nous indiquer brièvement si vous pensez que le processus en place pourrait changer et s'orienter vers la voie que vous préconisez?
M. Dachis : L'Institut C.D. Howe a tenu, à la fin de l'année dernière, une conférence exactement sur ce sujet, c'est-à- dire sur la manière de procéder à l'analyse de rentabilité et sur l'amélioration de la sélection de projets. Vous pourrez consulter le rapport issu de cette conférence sur le site web de l'institut. Il a été publié quelques mois plus tard.
Il m'est apparu que lorsque les pays effectuent systématiquement des analyses de rentabilité... tout d'abord, sachez que c'est rare qu'ils le fassent. Le Canada est loin du compte, mais la Suède, par exemple, que j'ai toujours à l'œil, effectue ou effectuait de telles analyses pour chaque investissement majeur proposé par les bureaucrates et les politiciens. Une fois les chiffres passés au peigne fin, on se rend compte qu'un nombre étonnant de projets qui semblaient initialement formidables n'avaient aucune retombée ou étaient préjudiciables pour la société.
Sans analyse de rentabilité et examen des chiffres, les gouvernements investiront dans quantité de mauvais projets.
Certains de ces projets non rentables se concrétiseront néanmoins. Les politiciens vont vouloir avoir le dernier mot. Certaines priorités régionales primeront les questions économiques. Mais au moins, quand on effectue une analyse de rentabilité, on fait en sorte que l'ordre de priorité, la prise de décisions et le raisonnement soient clairs pour la population.
M. Greer : J'ajouterais simplement qu'il est délicat d'utiliser les infrastructures expressément pour offrir un stimulus. Si un projet est vraiment prêt à démarrer, on ne procédera probablement pas de façon graduelle. On y aurait probablement investi quand même. Les travaux d'ingénierie ont probablement déjà été réalisés. Lorsqu'il s'agit d'un investissement véritablement graduel, il s'écoulera probablement de 12 à 18 mois avant que ne démarre un projet qui ne se réaliserait pas autrement avec les fonds disponibles.
Ainsi, si on s'empresse d'agir pour offrir un stimulus, on risque de tomber dans le piège et de ne pas choisir les meilleurs projets. Nous savons tous que ce n'est pas parce qu'un projet est prêt à démarrer qu'il est valable.
Il faut donc mettre l'accent sur l'analyse de rentabilité, mais aussi sur les critères de sélection des projets pour que, comme John l'a souligné, on ne choisisse pas les projets simplement parce qu'ils sont admissibles, mais parce qu'ils font partie du genre de projets que l'on souhaite prioriser en se fixant des objectifs. On détermine donc qu'un certain pourcentage de chaque fonds ou qu'un montant donné de l'investissement est destiné aux projets favorisant le commerce les plus valables. Les décisions devraient ainsi s'appuyer sur des données probantes plutôt que sur une collecte traditionnelle de souhaits, lesquels font ensuite, en quelque sorte, l'objet de tractations.
M. Law : Je ferais brièvement trois remarques à cet égard, sénatrice. D'abord, pour appuyer les propos de Ben, la recherche que j'ai effectuée récemment à ce sujet donne à penser que la sélection fondée sur des critères constitue non seulement un bon processus qui permet de mieux prioriser les projets, mais aussi une meilleure manière de rentabiliser l'investissement. Le rendement s'améliore dans l'ensemble de 25 à 30 p. 100 quand on applique ce genre de critères. C'est donc la chose prudente à faire pour obtenir le rendement optimal des fonds que l'on va dépenser.
De plus, ce genre de travaux a des retombées économiques, particulièrement en ce qui concerne les projets d'infrastructure ayant un effet multiplicateur notable. Bien des études ont été réalisées à ce sujet en appliquant divers effets multiplicateurs, mais dans le contexte de l'infrastructure commerciale dont il est question ici, ces effets sont presque toujours favorables. Grâce à l'application de ce genre de critères, on obtient 3 $ pour chaque dollar investi.
Enfin, pour en venir au point de Ryan, il est fort avantageux de bien établir des priorités nationales dans ce domaine. À mon avis, nous avons d'excellentes leçons à tirer de certains bons travaux réalisés par le gouvernement fédéral dans les années 2000, quand il a fait une priorité des chaînes d'approvisionnement et des grands corridors commerciaux ou économiques. Cette mesure a agi à titre de catalyseur en permettant de mobiliser l'investissement non seulement à l'échelle nationale, mais aussi au sein des gouvernements provinciaux, des administrations municipales et du secteur privé.
La pratique présente beaucoup d'avantages. Le milieu de la chaîne d'approvisionnement internationale fonctionne ainsi. Les gens envisagent les choses d'un bout à l'autre du processus. Si on se penche sur la question pensant aux fournisseurs et aux producteurs locaux qui doivent acheminer leurs produits jusqu'aux marchés auxquels ils sont destinés dans le monde, c'est une manière utile de réfléchir à la façon de sélectionner les projets et de gérer leur exécution.
La sénatrice Marshall : Il a beaucoup été question d'une banque d'infrastructure à laquelle les divers ordres de gouvernement pourraient recourir pour obtenir du financement et profiter des coûts d'emprunt peu élevés du gouvernement fédéral. Pensez-vous qu'il serait possible d'améliorer le processus de sélection en utilisant une telle banque?
Je ne suis pas favorable à une banque d'infrastructure, mais je pourrais me laisser convaincre si je pensais qu'elle offre quelques avantages, outre le fait qu'elle permet d'emprunter encore de l'argent. Considérez-vous que cette banque puisse permettre d'améliorer la sélection des projets?
M. Dachis : Oui, s'il s'agit d'une banque d'infrastructure rectifiée. La prémisse de la banque initialement proposée pendant la campagne électorale était erronée sur le plan économique. On fait fausse route en pensant que le gouvernement fédéral peut profiter de son faible taux d'intérêt pour soutenir les infrastructures municipales.
Si ce taux d'intérêt est faible, c'est simplement parce que les détenteurs d'obligations considèrent les contribuables comme des garants en cas de dépassement de coût ou de retard dans l'exécution des projets, alors que les emprunteurs privés n'ont vraiment pas d'option. Les faibles taux d'intérêt qu'offre le gouvernement fédéral ne constituent donc qu'une police d'assurance pour les détenteurs d'obligations. La société n'en tire pas vraiment de bénéfice.
Quand ce sont des investisseurs privés qui veillent à ce que leur projet soit réalisé dans les temps et selon le budget, à défaut de quoi ils s'exposent à des conséquences économiques au lieu de refiler la facture aux contribuables, alors ils sont vraiment encouragés à respecter les délais et le budget. Mais la banque d'infrastructure proposée initialement n'offre pas cet avantage. Ainsi, si le gouvernement fédéral recadre la banque d'infrastructure, elle devrait être axée sur la sélection de projets et l'établissement de la priorité; il faudrait particulièrement trouver des moyens de mobiliser le financement privé, comme l'investissement institutionnel. Le gouvernement pourrait alors vraiment créer une institution durable et importante.
La sénatrice Eaton : J'ai plusieurs questions. Vous affirmez que le gouvernement fédéral ne devrait investir en infrastructure que lorsque les retombées du projet peuvent se faire sentir dans plus d'une province. Faites-vous référence aux aéroports, aux ports de mer et aux institutions relevant en quelque sorte du gouvernement fédéral, ou aux transports publics? Donnez-moi quelques exemples.
M. Dachis : Les aéroports et les ports de mer sont une tout autre affaire. Nous pouvons entrer dans les détails si vous le voulez. Il s'agit d'autorités aéroportuaires sans but lucratif appartenant au gouvernement fédéral. C'est une question entièrement différente. J'adore parler du sujet.
En ce qui concerne les subventions que le gouvernement fédéral accorde aux administrations municipales, toutefois, il doit exister une raison pour que les contribuables fédéraux — de Toronto, par exemple — souhaitent voir leur argent investi à Calgary ou à Montréal. Le projet doit avoir des retombées nationales. Par exemple, une autoroute ou un chemin de fer interprovincial a des retombées nationales. Voilà un exemple de retombées.
La sénatrice Eaton : Un instant. Si c'est le cas, qu'on utilise le modèle australien ou non, le gouvernement fédéral serait-il responsable du dossier? Étant Torontoise, il me semble que les transports et les embouteillages épouvantables constituent le problème le plus criant à l'heure actuelle. Mais les gouvernements continuent de se disputer pour savoir qui va payer la facture. Le gouvernement fédéral, il nous l'a déjà dit, n'augmentera pas les impôts.
Quand il est question d'infrastructures comme les routes interprovinciales, ne serait-il pas plus simple si le gouvernement fédéral s'occupait de tout et laissait les provinces et les municipalités complètement en dehors du dossier?
M. Dachis : Dans bien des cas, oui. Quand les projets ont des retombées uniquement locales, alors l'administration locale doit en assumer entièrement les coûts. Dans certains cas, par contre, le gouvernement fédéral a une raison d'apporter un certain soutien financier. Voilà qui justifie l'instauration d'une formule claire et transparente pour éviter les manœuvres et les négociations avec les administrations municipales qui veulent « un tiers, un tiers et un tiers ». On évite bien des complications si on dispose d'une formule établie en ce qui concerne les retombées pour que tout le monde sache à quoi s'en tenir dans le cadre des discussions.
La sénatrice Eaton : Il me semble qu'on repart à zéro à chaque changement de gouvernement.
M. Dachis : En quoi consiste la bonne réponse? Espérons que le gouvernement n'en dérogera pas.
La sénatrice Eaton : Le modèle australien est-il complètement dissocié de la politique?
M. Dachis : Rien n'en est complètement dissocié.
La sénatrice Eaton : Essentiellement, si le gouvernement change ce qu'il fait — ses projets, son orientation —, l'organisme suit-il le mouvement ou jouit-il d'une certaine indépendance?
M. Dachis : En ce qui concerne Infrastructure Australia, dont je parle ici, il y a deux points dont il faut tenir compte. Sachez d'abord que 15 p. 100 du financement vient du secteur privé, ce qui encourage les administrations locales à vendre les actifs existants. Il faut également garder à l'esprit qu'en Australie, les États ont beaucoup moins d'autonomie financière que les provinces canadiennes; le contexte est donc légèrement différent. De plus, je pense que le modèle d'Infrastructure Australia a été instauré par le gouvernement Abbott. Or, la direction a changé, ce qui semble se produire fréquemment en Australie, mais pas le parti.
La sénatrice Eaton : Je suppose que ce que je veux savoir, c'est à quel point le modèle australien est indépendant des changements de gouvernement.
M. Dachis : Nous verrons. Le gouvernement n'a pas encore complètement changé en Australie.
M. Law : Je veux ajouter quelque chose aux propos de Ben. Pour répondre à votre question, sénatrice, quand Infrastructure Australia a été mise sur pied initialement, elle était dotée d'un mandat officiel qui était législativement dissocié du processus politique; par conséquent, elle bénéficiait, de par sa structure, d'une certaine indépendance. Comme Ben l'a expliqué, il s'est produit des changements de direction qui ont évidemment eu une influence, et l'organisme a tiré diverses leçons et a évolué. Il existe depuis un certain temps maintenant.
Pour en revenir à votre point sur l'objectif initial du rôle particulier du secteur privé, certaines des expériences de première ligne relativement à ce qui se passait dans les chaînes d'approvisionnement et les mécanismes d'exécution au chapitre de la circulation de produits australiens ont été intégrées et enchâssées dans un mandat de manière à former une fonction distincte des activités politiques du gouvernement.
La sénatrice Eaton : Pourrait-on mettre sur pied un organisme indépendant du gouvernement? Si le gouvernement Trudeau décidait d'investir dans les infrastructures, il confierait les fonds à cette entité distincte et ne se mêlerait plus du dossier. Ainsi, si le gouvernement suivant est conservateur, il ne pourrait pas intervenir pour modifier les critères ou le fonctionnement.
M. Greer : Il est improbable qu'un gouvernement crée un tel organisme quand il est question d'investir...
La sénatrice Eaton : Je cherche la meilleure solution.
M. Greer : Mais en ayant un organisme indépendant, qu'il s'agisse d'une banque ou d'une agence qui peut démêler les renseignements venant des secteurs public et privé afin d'établir des priorités, il est soit plus facile, soit plus difficile pour le gouvernement de rejeter ou d'envisager certains projets d'intérêt national. Il est peu probable que l'organisme soit entièrement autonome, mais il pourrait fournir des renseignements au gouvernement et ainsi lui permettre de justifier les décisions politiques qui pourraient venir sur le plan des infrastructures économiques.
Le sénateur Pratte : Bonjour. Je m'inquiète de la façon dont nous mesurons les effets de tous ces projets une fois qu'ils sont réalisés. Cependant, ce que vous mesurez après coup peut être très utile au moment de créer un nouveau programme d'infrastructure, comme maintenant.
Je remarque, par exemple, que dans son rapport annuel, Infrastructure Canada dit avoir du succès parce qu'ils ont réussi à dépenser tellement plus d'argent, ce qui n'est pas vraiment utile parce que, bien sûr, ils ont réussi à dépenser de l'argent, mais ce n'est pas très difficile à faire.
D'après vous, quelle est la façon la plus utile de mesurer les effets de ces projets? Je sais qu'il y a des multiplicateurs et tout cela, mais certaines des études que j'ai vues ne s'entendent pas sur le multiplicateur précis d'un projet par rapport à un autre projet. Par exemple, existe-t-il une façon de déterminer objectivement s'il vaut mieux investir dans un aréna que dans une autoroute ou que dans la modernisation d'une voie ferrée? Avons-nous la certitude qu'investir dans un corridor commercial... cela semble évident, mais existe-t-il vraiment une méthode scientifique pour mesurer et comparer cela à une infrastructure verte, par exemple?
M. Dachis : En ce qui concerne les multiplicateurs, c'est une façon d'envisager les avantages économiques de l'infrastructure qui est dépassée et qui a essentiellement perdu toute crédibilité. Il ne faut pas voir les emplois créés comme des avantages. Ils représentent des coûts pour l'économie. En politique, on aime beaucoup dire que des emplois ont été créés, mais ce sont en réalité des coûts; quand les emplois sont créés aux dépens d'autres choses, de personnes occupant des emplois dans d'autres parties de la société, cela représente un coût. La seule façon d'envisager les avantages de l'infrastructure devrait être de regarder du côté des services que l'infrastructure fournit directement une fois qu'elle est en place. Les multiplicateurs ne sont pas la bonne façon d'envisager la question.
Vous avez raison; l'une des choses que les organismes chargés de l'infrastructure peuvent faire, c'est de réaliser un examen rétrospectif des avantages d'un projet. Même quand les analyses de rentabilisation des projets sont rendues publiques, cela ne correspond souvent pas au projet qui finit par se matérialiser. Il y a beaucoup à faire pour améliorer les analyses de rentabilisation et leur utilisation.
M. Greer : Je vais vous donner un autre exemple de ce que Ben a dit à propos des multiplicateurs. Si un projet est lancé ou qu'on le justifie par la stimulation économique, si vous avez des centaines de milliers de travailleurs de la construction sans emploi et que vous placez un travailleur de la construction sans emploi dans le cadre d'un projet des travaux publics, il y a une certaine forme de stimulation. Aux États-Unis, lors de la crise de 2008-2009, alors que le chômage était très élevé, employer les travailleurs de la construction résidentielle pour des projets des travaux publics a eu un effet stimulant considérable.
Si vous regardez l'économie maintenant et tous les besoins en infrastructure de Toronto, vous verrez qu'il n'y a pas beaucoup de travailleurs de la construction sans emploi à Toronto. Donc, si nous lançons un nouveau programme du secteur public dont l'objectif est la stimulation économique, vous allez probablement simplement faire passer une personne qui a un emploi dans le secteur privé à un emploi dans le secteur public, ce qui aura peu de bienfaits instantanés.
Vous devez vraiment regarder les avantages à long terme de chaque cas particulier. Il y a diverses façons de mesurer cela, et divers organismes canadiens et étrangers se sont penchés sur des facteurs entourant la vitesse des mouvements dans les chaînes d'approvisionnement — sur l'effet, avant et après, d'une série de projets sur la vitesse à laquelle les fabricants et producteurs canadiens peuvent amener leurs marchandises au port, ou du port au marché. Les mesures de ce genre nous donnent un meilleur portrait global. Beaucoup de facteurs entrent en jeu dans la vitesse des mouvements dans les chaînes d'approvisionnement, mais cela représentera une meilleure évaluation des avantages à long terme que le simple examen du multiplicateur immédiat de tout projet en particulier.
M. Law : C'est une distinction importante à faire. Ben a tout à fait raison concernant les difficultés associées à l'attribution de multiplicateurs en particulier. Il est très difficile d'arriver à des nombres précis vous permettant de prendre des décisions pour l'avenir. Cependant, pour les résultats à long terme des investissements dans l'infrastructure dont Ryan parle, il serait possible de faire mieux.
Quand vous parlez de rendement et de vitesse des mouvements, il existe des mesures particulières aux projets liés aux chaînes d'approvisionnement qui peuvent vous dire, par exemple, la vitesse à laquelle vous pouvez vous rendre du point A au point B, ou le nombre de tours qu'une entreprise peut accomplir concernant les livraisons à l'intérieur d'une période de temps donnée. Il y a pour cela des mesures qui sont plus à long terme, et qui sont liées à la concurrence et à la productivité plutôt qu'aux effets à court terme de la construction de l'infrastructure en soi sur la création d'emploi.
Le président : Dans le cas d'une situation particulière comme la crise du grain et l'impossibilité d'amener le produit au port, et l'évolution du marché asiatique et des modèles de consommation qui se produira au cours des 20 à 30 prochaines années, pouvez-vous nous donner des exemples de mesures précises qu'il serait facile de concevoir ou de mettre en place pour permettre un transfert de connaissances rapide et que les gens pourraient comprendre, même le grand public?
M. Law : Divers facteurs ont contribué à la crise du grain. Nous savons que l'effet a été important et que cela a coûté au pays des milliards de dollars en perte de capacité, notamment celle de déplacer les produits.
Il y a une chose qui n'a pas nécessairement été tenue en compte dans ce contexte, et c'est l'effet de débordement sur les petites et moyennes entreprises. Je pense à ma province d'origine, la Saskatchewan, où de nombreuses petites et moyennes entreprises ont décrit de graves répercussions sur leurs propres débouchés commerciaux et leur propre expansion parce qu'elles ne pouvaient prendre leur place.
Il y a un classement, habituellement selon la taille, qui a un effet sur l'influence des compagnies de chemin de fer concernant cette capacité, et je pense que ces mesures vont avoir des effets partout dans le système. Elles sont donc importantes.
Pour ce qui est de la question que la sénatrice Marshall a posée précédemment, quand nous essayons de déterminer comment évaluer et mesurer ces choses, la question sur le rôle d'une banque de l'infrastructure est importante. La sénatrice a dit qu'elle n'est pas persuadée par la notion selon laquelle nous devons ajouter une institution financière pour ce faire.
Il est important de comprendre que l'Amérique du Nord est la plus grande zone d'échanges commerciaux du monde à ne pas avoir de banque de l'infrastructure. Toutes les autres en ont. Le but de cela est de ne pas traiter de la capacité financière. Ce sont des institutions du savoir. Ces institutions sont là pour assurer une fonction essentielle de renseignement sur les endroits où mettre notre argent et les raisons de cela.
Nous devrions chercher une façon de stimuler notre réflexion sur cette capacité. Il se fait du travail à ce sujet et j'ai eu la chance de participer récemment avec des collègues de l'autre côté de la frontière à des travaux sur ce que nous pourrions réaliser comme nouvelle version d'une banque de développement nord-américaine ou une version de la Banque mondiale qui viserait l'infrastructure. Je pense que c'est la connaissance et le renseignement qui serviront à nous aider à améliorer nos décisions et nos choix quant aux priorités sur ce plan.
Le sénateur Pratte : Dans l'étude sur l'infrastructure commerciale réalisée par la Chambre de commerce, on mentionne très peu les pipelines. Le problème, bien sûr, c'est que les nations autochtones et les villes s'opposent très fortement aux projets de pipeline. Vancouver s'y oppose, et la ville de Montréal s'oppose au projet Énergie Est.
Avez-vous d'excellentes idées sur les façons de convaincre ces gens de la nécessité de ces pipelines et de leur probable sécurité? C'est vraiment un gros problème politique.
M. Greer : Nous ne parlons pas beaucoup de pipelines dans ce rapport parce que nous parlons de pipelines dans beaucoup d'autre travail que nous accomplissons au nom d'un grand nombre de nos membres dont c'est le problème économique numéro un.
Je suis allé en Alberta et à Vancouver, il y a quelques semaines, pour tenir des tables rondes sur le programme d'infrastructure fédéral, et nous avons demandé aux participants : « Qu'est-ce que le gouvernement fédéral devrait vraiment faire avec cela? » Voici ce qu'ils ont dit : « Oubliez cela pour un moment. Investissons. Nous avons besoin de pipelines. Il nous en faut. Nous devons améliorer le processus de réglementation de sorte que nous puissions dépenser, de sorte que nous puissions intéresser nos investisseurs à venir au Canada. Nous pourrons après cela nous préoccuper de ce que le gouvernement fédéral fait. »
Nous pensons que tous les ordres de gouvernement peuvent contribuer à combler le fossé grandissant qui inquiète certainement le Sénat, et ce sont les services que les citoyens exigent de leurs gouvernements, par rapport à leur faible soutien pour les projets d'infrastructure économique qui génèrent les recettes fiscales permettant de payer les services. Les gouvernements ont un rôle à jouer dans la promotion des avantages de ces projets et des liens qu'ils ont avec la qualité des hôpitaux, des écoles et d'autres choses que les Canadiens de partout au Canada veulent.
Ce ne sont pas que les pipelines. Ce sont nos ports, nos projets de voies ferrées, notre infrastructure de communication numérique et la transmission de notre énergie verte à l'échelle du pays au moyen du réseau électrique. De nombreux projets d'infrastructure font l'objet d'une opposition — pas dans la même mesure que les pipelines, mais de la même façon.
Il n'y a pas de solution facile à cela, mais tous les ordres de gouvernement doivent davantage essayer de rétablir le lien entre les services que les Canadiens veulent et les choses qui servent effectivement à payer ces services.
M. Law : J'ajouterais rapidement quelque chose, sénateur Pratte. En ce qui concerne le défi que vous avez soulevé, et qui est important, la question de l'acceptabilité sociale est peut-être l'un des aspects les plus difficiles du travail auquel nous devons réfléchir en matière d'infrastructure.
L'une des leçons importantes à tirer des programmes fédéraux antérieurs, au début des années 2000, c'est que le gouvernement fédéral a joué un rôle important à cette époque. Je parlerai d'un rôle de facilitateur. Dans ce contexte, le gouvernement a réuni des gens de l'industrie, de diverses administrations gouvernementales, d'autres types d'institutions et d'organisations sans but lucratif, et ils ont discuté de la nature des problèmes à résoudre d'une manière qui vous permettait de mieux comprendre les avantages d'un projet et l'analyse de rentabilisation du projet, mais aussi les problèmes qui risquaient de surgir et qu'il fallait régler dès le début du processus.
C'est un rôle de leadership qui pourrait encore faire partie des solutions à venir — les gens auraient la possibilité de contribuer au début, de mieux comprendre les avantages et les rôles respectifs. Souvent, ce que nous voyons dans de telles circonstances, ce sont des entreprises privées ou des paliers gouvernementaux particuliers qui ne se sont pas lancés dans une discussion coopérative sur les problèmes à résoudre. Ils finissent par être déroutés ou ne sont pas aussi préparés qu'ils pourraient l'être pour s'attaquer à certains de ces enjeux très importants.
La sénatrice Andreychuk : Une partie des choses que je voulais aborder l'ont déjà été. Je vais commencer par ce que nous entendons par « infrastructure ».
J'ai vu de nombreux gouvernements et entendu de nombreuses expressions, et il semble que nous parlions de commerce. À n'en pas douter, quand je suis à l'étranger, je constate que l'infrastructure est le sujet de l'heure partout, et nous faisons une analyse de notre compétitivité concernant certains produits.
Nous sommes très compétitifs concernant la conception, la recherche et la production de certaines choses, mais nous perdons sur le plan du transport. Très peu d'autres pays ont le même problème que nous. Je suis de la Saskatchewan, comme M. Law, et nous pouvons produire et soutenir la concurrence, mais alors, pouvons-nous amener la production au marché? Les coûts sont souvent prohibitifs.
Je comprends que l'infrastructure passe par l'analyse commerciale et l'analyse des avantages, à savoir si nous créons des emplois. Est-ce qu'il y a un avantage net pour le pays? Est-ce que cela améliore notre PIB? Mais quand je suis dans la collectivité, je vois l'infrastructure; je veux de l'eau propre, des routes sûres, et ainsi de suite. L'analyse coûts- avantages ne porte pas sur le commerce et les emplois, alors, mais sur la qualité et la sécurité de la vie. Il y a ensuite l'autre chose, qui est certainement de mon domaine. L'infrastructure pourrait prendre la forme d'un stade, d'un multiplex dans une petite collectivité, qui servirait, encore là, à la qualité de la vie, et qui donnerait des chances égales aux collectivités, tout aussi petites qu'elles soient, et tout aussi isolées qu'elles soient.
Dans les trois cas, il y a une composante nationale. Cependant, vous dites qu'il faut que cela soit transfrontalier. Je conteste cela. Je pense qu'une chose qui est faite localement peut avoir des avantages de portée nationale. Non pas pour le commerce comme tel, mais pour la perspective nationale, concernant la façon dont nous gérons diverses régions. Je suis d'une province qui était démunie et qui a maintenant un peu plus.
Comment répondre à cela? Comment vraiment aborder l'infrastructure? Car quand cela revient à la rédaction des rapports, nous sommes excellents pour présenter des projets qui correspondent aux critères. Il y a donc quelque chose de disparate. Comment mesurer ce que l'infrastructure est? Est-ce que quelqu'un a fait l'analyse, au fil des années, de la façon dont nous avons changé à l'échelle nationale?
Vous avez donné l'exemple de l'Australie. Quand nous y allons, ils communiquent avec nous pour que nous parlions des façons dont ils peuvent resserrer leurs États sur le plan politique. Nous avons des provinces très fortes. Donc, quand ils parlent de l'échelon municipal, en Australie, c'est une question tout à fait différente de ce que nous avons ici au Canada, avec nos provinces qui s'affirment beaucoup.
Avons-nous une banque d'investissement au Canada, pour la base de connaissances? Est-ce que nous avons une telle banque comme prêteur et répondant, où envisageons-nous une autre fonction, plus canadienne? Comment faire quelque chose qui, comme Infrastructure Australia, tiendrait compte de notre constitution et de notre histoire?
M. Dachis : En réponse au premier point, l'infrastructure a divers sens, et tous les types de projets, de l'aréna à l'autoroute, ont des retombées sur l'ensemble des territoires. C'est la raison pour laquelle les projets sont classés. Bien sûr, un aréna s'accompagnera d'avantages, mais par comparaison avec une grande infrastructure commerciale, quand vous commencez à faire le tri des choses qui sont sensées pour le gouvernement fédéral, vous finissez par ne pas avoir assez de fonds. Tout à coup, le gouvernement fédéral ne finance pas les projets que les collectivités locales sont capables de financer elles-mêmes. C'est la raison pour laquelle la sélection et le classement des projets sont vraiment importants.
Pour la deuxième chose, le rôle qu'une banque fédérale de l'infrastructure pourrait jouer, c'est exactement la question que le comité devrait poser dans son rapport. C'est en plein cela, et nous avons parlé de l'absence de besoin de financement et de renseignements, dans certains cas, mais pas dans tous les cas. Infrastructure Ontario, en tant qu'organisme de PPP, possède beaucoup d'expertise concernant la facilitation de l'investissement dans l'infrastructure en Ontario. D'autres provinces n'ont pas cela, alors le gouvernement fédéral pourrait contribuer à cela dans les cas où c'est requis.
La politique fiscale est un autre rôle. Le gouvernement fédéral a de nombreux impôts qui découragent l'investissement privé. Si vous voulez plonger dans le trou noir de la politique fiscale, je peux vous parler de l'exemple de l'électricité en Ontario, mais je ne vais pas le faire. Je vais vous épargner cela, mais le gouvernement fédéral a aussi un rôle à jouer là.
M. Law : Sénatrice, j'aimerais vous dire certaines choses au sujet des choix entre diverses catégories d'infrastructure.
Je dirais que ce n'est pas une proposition dichotomique. Je pense que les trois catégories que le gouvernement fédéral a précisées seront utiles. L'un des autres sénateurs a déjà parlé de l'importance d'apporter des améliorations au transport urbain pour la capacité de circuler dans les villes. C'est là qu'une grande partie de la production économique se fait, alors il y a un lien direct, d'après moi, aussi entre ces améliorations locales et les choses dont nous parlons, qui concernent l'infrastructure commerciale.
Ce que je soutiens, concernant l'infrastructure commerciale et l'infrastructure de transport, c'est que nous ne pouvons pas nous permettre d'en exclure une des priorités nationales dont nous parlons en ce moment. Je pense qu'il est excellent que nous ayons trois nouvelles catégories, et il en ressortira de bonnes choses si c'est bien géré et que l'ordre de priorité des projets est établi convenablement. Je pense que c'est bon. Je dirais que nous devons aussi, cependant, faire des investissements dans l'infrastructure que je trouve la plus essentielle au bien-être économique du pays, et c'est l'infrastructure commerciale et l'infrastructure de transport.
On ne parle pas d'une industrie du transport qui forme une catégorie distincte d'infrastructure, mais d'une catégorie de travaux d'infrastructure qui a des effets sur tous les travaux économiques au pays. C'est-à-dire qu'à mon avis, c'est un élément fondamental, et nous sommes une nation commerciale dont 60 p. 100 du produit intérieur brut provient de ses activités liées au commerce et à l'exportation. Il me semble que nous devons protéger notre capacité à appuyer, comme vous l'avez dit, les activités de fabrication de qualité qui se déroulent dans de nombreuses localités et favoriser leur entrée sur le marché. Si nous ne pouvons pas fournir cette garantie à nos clients internationaux, nous les perdrons. En fait, des données probantes laissent croire que cela pourrait être déjà le cas.
M. Greer : J'aimerais ajouter un commentaire au point que faisait valoir John, c'est-à-dire l'équilibre au sein du plan du gouvernement fédéral. Le rapport que nous avons publié plus tôt cette année mentionne le classement du Canada relativement aux autres pays du Forum économique mondial en ce qui concerne la qualité de l'infrastructure, et dans le rapport, nous concluons que de 2008-2009 à 2015-2016, le Canada est passé du dixième rang mondial au vingt- troisième rang pour la qualité de l'ensemble de son infrastructure. Ces mesures se fondent sur les routes, les chemins de fer et les ports, et tous ces éléments ont perdu des points. Je crois que les aéroports représentent le seul élément sur lequel nous nous étions améliorés, et c'est en raison des investissements importants qui ont été effectués dans ce domaine.
Cette situation est imputable en partie aux investissements effectués par nos concurrents, peut-être aux investissements insuffisants au Canada et certainement à l'expiration de certains des programmes d'entrée sur les marchés. La situation à l'échelle internationale laisse croire qu'Investissement Canada n'a pas encore atteint cet équilibre; nous devons donc veiller à l'atteindre dans le cadre du programme en cours, afin d'atteindre les nouveaux objectifs, mais également de régler le gros problème de la compétitivité du Canada.
Le sénateur Mitchell : Merci, messieurs. C'est une discussion stimulante qui présente de nombreuses possibilités.
Il me semble que votre exposé visait surtout à faire valoir que l'ensemble de l'infrastructure devrait être axé sur le rendement économique, et cela soulève deux problèmes. Premièrement, il y a la question de l'évaluation des critères, et il me semble également qu'on ne s'est pas entendu sur la nature de ces critères. Apparemment, selon votre témoignage, l'effet multiplicateur n'est pas un critère. Il a été rejeté. Je crois qu'une personne a mentionné les emplois et qu'une autre a parlé des services. Monsieur Law, vous avez adopté une approche intéressante qui concerne le nombre de tours effectués par un camion, l'efficacité liée aux technologies et la fluidité du transport.
Ce sont trois critères, mais existe-t-il une série de critères sur lesquels les économistes et les analystes commerciaux pourraient s'entendre en grande partie et que les gouvernements pourraient mettre en œuvre? Car ces trois critères sont assez différents les uns des autres.
M. Dachis : L'un des critères est, par exemple, la valeur du temps. Lorsqu'une nouvelle infrastructure est mise en place pour réduire le temps requis pour les déplacements, le Conseil du Trésor et d'autres paliers inférieurs de gouvernement utilisent des critères qu'ils ont établis pour évaluer chaque heure de temps économisée. C'est un exemple dans lequel cela s'applique, et les mêmes types de principes appliqués à d'autres avantages offerts par le transport illustrent réellement les services rendus par ce secteur.
Par exemple, nous sommes tous venus ici grâce à l'infrastructure de transport. Nous assistons à cette réunion en personne et non par téléconférence pour une bonne raison. En effet, lorsque vous me voyez en personne, vous pouvez vous faire votre propre idée de mon niveau de compétence. Vous pouvez me juger lorsque je suis ici en personne ou lorsque vous me parlez après la réunion beaucoup mieux que vous le pourriez par téléconférence. Ce type d'avantage que présente le fait que nous soyons tous réunis ici peut être mesuré par les économistes. C'est ce qu'on appelle une externalité. C'est un exemple de tous les avantages que nous pouvons mesurer et qui mettent en évidence les services offerts par le secteur des transports.
M. Greer : J'aimerais ajouter qu'il est difficile d'adopter une approche universelle, car l'infrastructure de transport est très vaste. Même les investissements individuels qui ne satisfont peut-être pas à certains critères liés, par exemple, à la vitesse dans un corridor pourraient être justifiés par l'analyse de rentabilisation lorsqu'on les combine à d'autres petits investissements effectués dans le même corridor. C'était l'une des forces de l'ancien programme Porte de l'Asie- Pacifique. En effet, le gouvernement fédéral avait la capacité politique stratégique de réunir les secteurs public et privé dans le même corridor et de fournir une analyse de rentabilisation qui démontrait qu'il n'était pas rentable pour l'exploitant ferroviaire, la municipalité ou l'exploitant du port d'effectuer chacun leur petit investissement de quelques centaines de milliers ou de quelques millions de dollars le long d'un corridor. Et le gouvernement fédéral pouvait également réunir tous ces intervenants et analyser les données sur la partie de la chaîne d'approvisionnement de chacun d'eux et conclure que l'exploitant ferroviaire n'investira pas seul dans ce projet et que la municipalité ne construira pas un viaduc à cet endroit. Mais il pouvait aussi démontrer que si tous les intervenants combinaient leurs petits investissements, ils pouvaient générer des effets à long terme importants dans ce corridor.
Il n'existe aucune solution universelle, mais je crois qu'il y a une possibilité, que ce soit par l'entremise d'une banque ou par le rétablissement de ces programmes, d'avoir une capacité politique stratégique nationale qui permettra de déterminer la solution dans chaque cas. En ce moment, Infrastructure Canada fonctionne en grande partie comme un ministère qui surveille, prépare et signe des ententes de financement pour d'autres échelons de gouvernement. Il n'a pas cette capacité politique stratégique. Si on redonne cette capacité au ministère, il sera plus facile de collaborer avec des gens intelligents comme Ben pour établir des critères qui nous permettront de réaliser nos objectifs.
M. Law : Sénateur Mitchell, j'aimerais brièvement revenir à votre question. Plus tôt, nous avons parlé des programmes nationaux qui ont connu un certain succès au Canada. Nous avons parlé un peu de l'Initiative de la Porte et du Corridor de l'Asie-Pacifique. Dans le rapport sur lequel j'ai travaillé avec la Chambre de commerce du Canada, je souligne que si vous examinez non seulement le programme Porte de l'Asie-Pacifique, mais également les deux autres programmes d'infrastructure fondamentaux qui ont eu des effets sur le commerce, le premier et — je crois — le seul réinvestissement majeur dans le réseau routier national depuis sa création, et le Fonds pour les portes d'entrée et les passages frontaliers, un programme avec un objectif similaire, vous constaterez que ces programmes avaient des critères comparables et communs pour aider à établir les priorités en matière d'investissements. Je ne tenterai pas de vous les décrire en détail, mais le fonctionnement de ces programmes était remarquablement uniforme, et je crois que cela pourrait représenter un grand avantage aujourd'hui. Je pense que ces programmes seraient tout à fait appropriés. Je ne dis pas que nous ne devons pas tenir compte des changements qui se produisent actuellement dans le monde. En fait, je crois que nos objectifs en matière de compétitivité exigent que nous empruntions les pratiques exemplaires d'autres États. Nous avons parlé un peu d'Infrastructure Australie. Il y a également d'autres modèles qui fonctionnent très bien en Grande-Bretagne et ailleurs, et je crois que nous devrions nous en inspirer, mais je ne pense pas qu'il faille aller très loin pour trouver des critères communs sur lesquels on pourrait s'entendre. Il s'agissait souvent de critères qui ne faisaient pas, par exemple, la promotion d'un intérêt personnel limité lors de l'établissement des priorités nationales. Les quatre provinces de l'Ouest avaient effectué quelques travaux préalables dans lesquels elles avaient cerné des projets et des critères d'investissement en se fondant sur les priorités régionales, sans favoriser une province en particulier.
Comme Ryan l'a dit, si on applique le même principe aux chaînes ou aux corridors d'approvisionnement, on trouve souvent des occasions d'effectuer de multiples investissements et d'exploiter ce corridor plus efficacement par des projets collectifs plutôt qu'individuels. Parfois, cela signifie que deux ou trois investissements dans un corridor particulier peuvent permettre de réaliser des projets qui le rendront plus efficace. On peut augmenter la capacité d'un corridor pour poids lourd afin que les camions puissent transporter une charge plus élevée si on installe une chaussée adaptée à ce type de transport d'un bout à l'autre du corridor. Si, le long du parcours, on a deux ou trois segments qui n'ont pas été conçus pour supporter ce poids, c'est habituellement le plus petit dénominateur commun qui l'emporte. Je crois que nous pourrions réaliser de belles choses si nous apportions tout simplement quelques améliorations à cet égard.
Le sénateur Mitchell : On dirait que vous étiez un conducteur de camion dans votre ancienne vie.
M. Law : Je n'admettrai pas cela non plus, monsieur.
Le sénateur Mitchell : Si vous me permettez d'approfondir la réflexion, ces critères peuvent nous aider à établir de nouveaux critères liés aux évaluations du rendement économique, mais l'ensemble de l'infrastructure ne peut — ou ne devrait — pas être axée uniquement sur des facteurs économiques. Il y a manifestement aussi l'infrastructure sociale. Je pense au centre-ville d'Edmonton, où se trouve la Boyle Street Co-op, un centre d'hébergement et de prestations de services pour les sans-abri. Les intervenants de ce centre songent maintenant à construire un meilleur édifice afin de pouvoir offrir des logements et de la formation. Cela ne serait pas nécessairement pris en considération. Il ne serait peut-être pas stimulant d'entreprendre certains projets de construction à Toronto, car les gens travaillent déjà, mais Toronto a besoin de ces projets. Je ne viens pas de Toronto, mais de l'Ouest canadien. Je fais de la publicité pour Toronto, car la ville a besoin de ces projets.
Dans ces cas-là, diviseriez-vous l'infrastructure en indiquant, par exemple, qu'une partie est liée aux raisons économiques, une autre aux raisons sociales et une autre aux besoins?
M. Greer : En ce qui concerne Toronto, cette ville a de grands besoins. Toutefois, la stimulation économique n'est pas une raison pour précipiter les choses. En fait, on ne devrait rien précipiter. L'argent devrait être dépensé selon les besoins, de façon appropriée et en respectant les contraintes de temps. Nous n'investirons pas d'argent à Toronto uniquement pour le plaisir de créer des emplois, mais pour fournir à la ville ce dont elle a besoin pour devenir plus concurrentielle et productive. Les objectifs ou les critères liés aux différentes catégories d'infrastructure devraient manifestement être différents. L'infrastructure de logement social procure certainement des avantages sur le plan économique et certains avantages à long terme aux citoyens qui sont réintégrés dans la société ou aux sans-abri chroniques qui coûtent beaucoup d'argent à tous les échelons de gouvernement puisqu'ils doivent être traités dans un système qui ne les aide pas vraiment, car on peut maintenant leur fournir un logement permanent et leur offrir le soutien nécessaire. Il y a des avantages pour tous les échelons de gouvernement et certainement pour la société, mais il faut utiliser une autre façon de les mesurer.
Le seul point que nous faisons valoir dans notre travail, c'est qu'il existe une catégorie d'infrastructure liée à l'économie et qu'il est un peu plus facile de mesurer le résultat sur lequel les activités devraient être axées dans cette catégorie. On doit manifestement utiliser des mesures différentes pour les autres catégories. Il y a aussi des objectifs différents en ce qui concerne l'énergie propre, le transport en commun et le secteur social, même si certains des avantages créés par ces catégories sont certainement les mêmes que ceux offerts par le secteur économique.
Le président : Y a-t-il d'autres commentaires?
Le sénateur Tkachuk : Je crois que les politiciens devraient intervenir dans l'infrastructure. Nous n'aurions jamais pu avoir un chemin de fer national sans les politiciens. J'aimerais que vous formuliez des commentaires sur quelques points.
L'infrastructure est toujours un sujet très politique, mais si on construit un pont à Montréal ou à Saskatoon, on devrait construire tous les ponts. Si on construit un réseau de transport en commun à Toronto, pourquoi ne pas en construire un à Vancouver, à Halifax et dans toute autre ville où la population souhaite profiter d'un tel réseau? Je crois que le problème, c'est que le processus décisionnel est trop central et que tous les problèmes sont locaux. Je pense qu'il doit exister une formule appropriée. Après tout, une telle formule existe dans le domaine des soins de santé et de l'éducation postsecondaire. Nous devons créer une formule pour l'infrastructure, afin que les provinces puissent prendre ces décisions. C'est réellement à cet échelon que les décisions devraient être prises. Les intervenants provinciaux peuvent déterminer s'ils doivent subventionner un réseau de transport en commun ou de métro, afin qu'à l'échelon national, on puisse se concentrer sur des enjeux nationaux, par exemple la construction d'une autoroute à quatre voies d'un bout à l'autre du pays qui nous permettrait d'entrer au XXIe siècle, des ports et des autoroutes dans le Nord et des aéroports où nous n'avons pas d'aéroports privés, par exemple les aéroports municipaux, et où on nous impose déjà des impôts exorbitants pour atterrir. Je ne sais pas s'il existe une formule que nous pourrions utiliser et dont nous pourrions parler, mais je pense qu'elle réglerait une grande partie de nos problèmes. Je perds la tête lorsque je vois le gouvernement fédéral se mêler des affaires municipales et verser de l'argent ici et là, mais pas partout. Je crois que c'est une mauvaise utilisation de l'argent des contribuables, et que ce n'est pas équitable pour le reste du pays.
M. Dachis : C'est exactement cela. La seule chose que j'aimerais ajouter, c'est que cette formule devrait également préciser qu'une fois l'argent versé à l'échelon inférieur de gouvernement — qu'il s'agisse de la province ou de la municipalité —, les intervenants peuvent l'utiliser à leur gré.
Le sénateur Tkachuk : Exactement, et s'ils ne l'utilisent pas adéquatement, ils devront en payer le prix sur le plan politique.
Le président : Monsieur Greer, monsieur Law, avez-vous des commentaires?
M. Greer : J'aimerais seulement ajouter que je suis d'accord. Le vrai problème, à part les transferts aux provinces et aux municipalités, c'est qu'il faut déterminer les enjeux qui favorisent l'intérêt national. Il se peut qu'une série de projets municipaux ou provinciaux ne favorisent pas l'intérêt national qui consiste à envoyer des produits sur le marché. Une série de projets de stratégies visant le déplacement de biens à Edmonton et à Calgary, et dont la province approuve une partie alors que le gouvernement fédéral approuve l'autre partie, ne forme pas une stratégie intégrée qui tient compte de l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement. Je suis tout à fait d'accord, et il s'agit de déterminer les objectifs nationaux. Lorsque de tels objectifs existent, il faut les utiliser pour générer des investissements chez les autres paliers de gouvernement. Lorsqu'il n'y a pas ou qu'il ne devrait pas y avoir d'objectifs nationaux, laissons l'échelon inférieur de gouvernement décider comment et où investir l'argent.
M. Law : Très brièvement, j'aimerais ajouter qu'en ce qui concerne votre point, sénateur, le plan Chantiers Canada a tenté d'évoluer, dans une certaine mesure, pour tenir compte de cela. Le VIPT, c'est-à-dire le Volet Infrastructures provinciales-territoriales du plan Chantiers Canada, a essentiellement été établi de façon à transférer une grande partie du processus décisionnel aux provinces et aux gouvernements locaux, afin qu'ils analysent ces projets.
Je crois que ce dont nous avons parlé aujourd'hui ne laisse pas croire que nous ne devrions pas faire cela. Je crois qu'étant donné qu'on n'a pas précisé, dans l'élaboration du nouveau plan — du moins jusqu'ici —, les priorités en matière d'enjeux économiques importants pour le pays, on a créé une lacune, car on n'a pas intégré l'infrastructure du commerce et du transport dans cet amalgame.
La sénatrice Cools : Monsieur le président, j'en conclus que nous sommes sur un terrain glissant, et j'espère que nous travaillerons fort pour tenter de maîtriser ce sujet, car il est assez vaste.
Ma question s'adresse à M. Law, et elle concerne son commentaire selon lequel le Canada est en quelque sorte le seul pays qui n'a pas de banque d'infrastructure, car ses partenaires équivalents ailleurs dans le monde ont créé une telle banque.
Pourriez-vous approfondir ce point, afin que nous puissions mieux le comprendre? Si vous pouviez nous l'expliquer, cela serait très utile.
M. Law : Je ne ressens aucune pression. Le commentaire que j'ai formulé plus tôt, sénatrice, ne concernait pas seulement le Canada, mais plutôt l'ensemble de l'Amérique du Nord à titre de zone d'échanges commerciaux. Le Canada, mais également nos partenaires — les États-Unis et le Mexique — n'a pas encore trouvé le moyen de mettre sur pied une institution qui pourrait fournir certains des appuis nécessaires à la progression des objectifs en matière d'infrastructure de la zone d'échanges commerciaux. C'est dans ce contexte qu'il nous manque cela.
Certaines personnes croient parfois que ces banques d'infrastructure existent seulement pour appuyer les pays en développement, mais elles ne sont pas limitées à l'un ou à l'autre; elles sont virtuellement présentes dans tous les États commerçants. Vous en trouverez quelques-unes en Europe, ainsi qu'en Chine et en Asie du Sud-Est.
Ces institutions, comme j'essayais de le dire plus tôt, ne doivent pas être vues dans le sens traditionnel d'une banque qui effectue des transactions commerciales. Pensez plutôt à la Banque mondiale ou à la Banque nord-américaine de développement, car ce sont des institutions très utiles pour aider à comprendre les avantages relatifs offerts par différents projets d'infrastructure en fonction de différents critères. Souvent, ces banques ne sont pas seulement actives dans le domaine de l'infrastructure du commerce et du transport, mais elles participent à un large éventail d'autres activités.
Ces banques peuvent jouer un rôle important en tant qu'institutions du savoir donnant accès à ces informations essentielles, mais elles deviennent également des carrefours pour la mobilisation des investisseurs privés qui y trouvent tous les renseignements dont ils ont besoin pour se faire une meilleure idée du rendement qu'ils peuvent escompter.
Lors de réunions auxquelles j'ai participé récemment à Washington, j'ai été impressionné par la grande quantité de travail accompli dans ce domaine par des organisations comme la Banque mondiale qui traite du rôle significatif du secteur privé lorsqu'il s'agit d'avoir accès aux fonds et à l'expertise nécessaires aux fins de l'innovation et des améliorations qui peuvent être apportées dans la mise en place de ces infrastructures. À mon sens, il s'agit d'une piste de réflexion primordiale pour la suite des choses au Canada.
Certaines discussions ont eu lieu, notamment au sein d'un petit groupe de travail réunissant Américains, Mexicains et Canadiens qui diffusera en novembre un ou deux documents traitant des formes que pourrait prendre une banque pour les infrastructures. Je ne vais pas présumer du contenu de ces rapports, mais vous devriez d'ici un mois mieux savoir à quoi vous en tenir pour la poursuite de votre étude.
La sénatrice Cools : À la lumière de vos interventions à la fois détaillées et brillantes, aurais-je tort de conclure qu'il serait bon que le Canada se penche sérieusement sur les avantages d'une banque pour les infrastructures?
M. Law : Je dirais que ce serait une bonne chose.
Le président : Sénatrice Cools, d'autres questions?
La sénatrice Cools : Je crois que M. Law nous a été d'une aide très précieuse ce matin et que nous devrions examiner plus en profondeur les questions soulevées. Je ne sais pas si nous devrions le réinviter, mais il faut assurément que nous nous posions ces questions qui m'interpellent.
Le sénateur Moore : Monsieur Law, j'ai entendu parler de la Banque nord-américaine de développement, mais je ne sais pas ce qu'elle fait exactement. J'ai l'impression que cela peut se rapprocher du travail de ces banques pour les infrastructures dont nous parlons ce matin.
Pouvez-vous nous dire quel est le rôle de cette banque? Est-ce que le Canada en est membre? Combien de gens regroupe-t-elle? Combien de Canadiens en font partie?
M. Law : Comme je n'ai rencontré qu'une seule fois les gens de la Banque nord-américaine de développement, vous comprendrez que je ne peux guère vous fournir de détails. Je peux toutefois vous dire que le Canada n'en fait pas partie. Nous avons déjà eu l'occasion de nous y joindre, mais nous y avons renoncé pour une bonne raison. Nous nous demandions alors si les priorités canadiennes pourraient être suffisamment prises en compte par rapport aux priorités américaines dans le cadre des travaux de cette banque. Il y a bien évidemment des accommodements possibles, mais cette entrave politique a suffi à l'époque pour que le Canada n'aille pas de l'avant en participant aux travaux de la banque.
Cette banque a accompli de l'excellent travail en ciblant des projets qui facilitent notamment la circulation transfrontalière et les investissements dans les postes frontaliers. Certaines catégories d'investissements ont été cernées. Je crois que la banque en est rendue à un point où elle est à la recherche de nouvelles avenues.
Lors de nos rencontres avec les Américains et les Mexicains, nous avons notamment fait valoir que l'on pourrait songer à revoir l'orientation d'une banque de la sorte ayant déjà un mandat et du financement, plutôt que d'avoir à réinventer la roue en créant une toute nouvelle institution. Nous devons chercher les moyens de faire en sorte que le Canada puisse apporter une contribution vraiment significative pour qu'une telle institution puisse bénéficier au plus grand nombre.
Je vous parlais tout à l'heure de ce document qui sera rendu public en novembre. Le Bush Institute de Dallas (Texas) est l'un des partenaires ayant collaboré avec mes collègues de la Canada West Foundation pour produire une analyse approfondie à ce sujet. Je pense que vous pourrez y trouver de plus amples détails sur certaines des options qui s'offrent à nous.
Désolé de ne pas pouvoir vous en dire plus long à ce sujet aujourd'hui.
Le sénateur Moore : J'ai participé à la toute première rencontre de législateurs fédéraux du Canada, des États-Unis et du Mexique. Je crois que c'était en décembre 2014. Nous avons alors été incapables de passer du concept de l'achat aux États-Unis à une politique d'achat en Amérique du Nord. C'est selon moi le principal obstacle culturel à la mise en place d'une entité capable de régler les questions internationales d'une manière qui profiterait équitablement à toutes les parties en cause.
M. Law : Ce n'est certes pas la première fois que j'entends des récriminations à cet égard. Si je puis me permettre un commentaire général à ce sujet, je reviendrais à cette notion des chaînes d'approvisionnement. En Amérique du Nord, il est très fréquent que le cycle de production d'un bien comporte une série de transactions transfrontalières. Autrement dit, il n'est pas rare que des pièces ou des éléments canadiens soient intégrés à un produit fabriqué aux États-Unis, ce qui nécessite plusieurs passages frontaliers. C'est une réalité que l'on ne manque pas de prendre en compte. Par exemple, j'ai appris lors de mes rencontres du mois dernier que la banque disposait d'indicateurs suivant lesquels — et je ne vais pas prendre le risque de vous donner des chiffres précis — une proportion considérable de la valeur des produits fabriqués aux États-Unis provient du Canada et vice-versa. On peut d'ailleurs faire le même constat avec le Mexique.
Il y a ainsi d'importantes transactions économiques mettant en cause des produits que nous pouvons parfois considérer comme étant américains ou canadiens, mais qui sont en fait le fruit du travail combiné de ces deux pays, voire des trois pays dans certains cas.
À partir du moment où cette réalité sera mieux comprise et définie — et je répète que les banques font grandement leur part en ce sens à l'égard de certains projets — les gens saisiront mieux les possibilités pouvant découler des investissements conjoints au sein d'un environnement davantage axé sur la collaboration.
Je suis tout de même d'accord avec vous. Ce sont surtout les aspects politiques de la question qui posent problème jusqu'à maintenant dans ce dossier.
Le président : Messieurs, comme nous allons bientôt manquer de temps, je vous inviterais à réfléchir à trois recommandations chacun que vous pourriez nous faire en résumant brièvement vos conclusions afin d'orienter la suite de nos travaux.
Je sais que vous l'avez déjà fait dans vos mémoires respectifs, mais si d'autres éléments ont pu ressortir des questions qui vous ont été posées aujourd'hui, il serait bon que vous nous en fassiez part pour alimenter notre réflexion.
La sénatrice Andreychuk : Le sénateur Moore a soulevé un aspect très intéressant et important. Le Comité des affaires étrangères et du commerce international s'est déjà penché sur la question du trilatéralisme. Si je vous ai bien compris, monsieur Law, vous déplorez le fait que, trop souvent, le Mexique parle aux États-Unis; nous parlons aux États-Unis; mais lorsque le Mexique et le Canada se réunissent, ils parlent des États-Unis. Selon notre rapport, il y a des possibilités que le Mexique et le Canada puissent renouer les liens et établir ensemble des structures.
En fait, nous en sommes arrivés à la même conclusion dans notre rapport. Premièrement, il devrait y avoir des structures comme des commissions ou des comités de travail pour consolider les liens avant que nous passions à la mise en place d'une institution, car celle-ci n'ira pas sans certains problèmes politiques. Est-ce que vous répondriez essentiellement de cette manière à la question du sénateur Moore en préconisant, non pas la création d'une banque, mais la mise en place de certains mécanismes permettant de nouer des liens plus étroits.
M. Law : La forme que pourrait prendre cette institution et l'étiquette que nous lui attacherions ne sont pas sans importance. Lorsque je parlais de la possibilité de partir d'une institution déjà existante, je pensais en quelque sorte à une forme de raccourci pour éviter ces obstacles qui se sont dressés par le passé. Je n'irais pas jusqu'à prétendre qu'il s'agit effectivement de la solution au problème dans son ensemble. C'est simplement une piste de réflexion.
Le sénateur Cowan : Merci de votre contribution à notre étude. Vous nous avez présenté des arguments très probants quant au rôle que peut jouer le gouvernement fédéral pour faciliter ces investissements, particulièrement pour ce qui est du commerce et du transport transfrontaliers. Vous précisez que le fédéral peut, outre sa contribution financière, faciliter les choses aux différents intervenants pour qu'ils puissent conjuguer leurs efforts afin de produire ces biens dont nous parlons.
Ma question porte sur la réalité particulière que nous vivons au Canada compte tenu des interactions entre le gouvernement fédéral, les provinces et les municipalités dans un contexte politique fort complexe. Je pense qu'il est souvent difficile de comparer notre conjoncture politique à celle de pays davantage unitaires. Pour moi, c'est une distinction dont il faut tenir compte dans notre analyse de la situation des autres pays.
Étant donné la manière dont les choses se passent entre les municipalités, les provinces et les territoires, quels seraient, d'après votre expérience, les programmes qui permettent le mieux d'assurer une collaboration entre ces entités de façon à optimiser les investissements dans les infrastructures?
Peut-être que cela nous ramène à votre requête, monsieur le président, quant aux recommandations que nos témoins souhaiteraient nous faire.
De quels programmes antérieurs pourrions-nous ainsi nous inspirer pour l'avenir?
M. Greer : Nous en avons parlé brièvement et je l'ai moi-même mentionné dans mes observations. L'Initiative de la Porte et du Corridor de l'Asie-Pacifique m'apparaît comme un bon exemple de programme permettant de mobiliser tous les paliers de gouvernement au sein d'un cadre de gouvernance complexe. Il y a aussi le Fonds pour les portes d'entrée et les passages frontaliers dont John a glissé un mot. Ces programmes n'étaient pas assortis d'un financement très considérable, mais le gouvernement fédéral servait de courroie de transmission pour entraîner une série d'investissements du secteur privé, des municipalités, des provinces et du fédéral lui-même dans ces corridors commerciaux. Ce sont des programmes qui ont fait leurs preuves.
D'après moi, ce n'est pas un hasard si la création de ces programmes a fait grimper le Canada au classement pour ce qui est de la qualité globale des infrastructures, et si nous avons perdu du terrain à ce chapitre depuis que ces programmes n'existent plus. Autrement dit, il est difficile d'obtenir un niveau d'investissement aussi bien coordonné dans les infrastructures commerciales prioritaires lorsque le gouvernement fédéral ne joue pas son rôle de facilitateur, car les priorités de la Colombie-Britannique et des entités intérieures comme l'Alberta, Edmonton, Calgary et Red Deer ne vont pas toujours dans le même sens. Chacun a toujours des problèmes plus urgents à régler, et ces problèmes ne sont pas nécessairement liés aux infrastructures économiques. Ces programmes pourraient faire partie des principaux modèles dont le comité et le gouvernement fédéral pourraient s'inspirer en déterminant les mesures à prendre à la phase 2.
Le sénateur Cowan : J'ai l'impression que le programme de la Porte du Pacifique a été plus efficace que celui de la Porte de l'Atlantique.
M. Greer : Je serais plutôt d'accord avec vous. Le programme de la Porte de l'Asie-Pacifique — et je crois qu'il y a même eu un programme de la Porte continentale — a tiré parti du fait que l'on confiait un rôle important au secteur privé qui devait se mobiliser à l'avance pour l'établissement de ses priorités. On ne peut pas se contenter de créer un programme en espérant que tout le monde va y adhérer par la suite. Une grande partie du travail avait été accompli à l'avance, avant même la création du programme, par le secteur privé et plusieurs particuliers et organisations visionnaires. On ne peut pas simplement établir un fonds en espérant que les efforts vont s'harmoniser facilement.
Il y a également un boulot considérable que nous devons abattre au sein de l'industrie et du milieu des affaires, tant au Canada qu'aux États-Unis, pour bien définir les priorités relativement à la Porte de l'Atlantique ou au corridor continental passant par le Québec et l'Ontario de telle sorte qu'il soit plus facile pour tous les ordres de gouvernement d'apporter leur contribution en ayant une idée assez précise des priorités de chacun.
Le président : Messieurs, je vous remercie. Il nous reste 10 minutes, et chacun de vous va maintenant nous présenter ses trois recommandations. Nous vous avons laissé amplement de temps pour y réfléchir. Nous avons également eu l'occasion de prendre connaissance des mémoires que vous nous avez soumis. Qui veut commencer?
M. Dachis : J'ai pris quelques notes. Voici mes trois recommandations. La première est une combinaison des trois que je vous ai présentées dans mes observations préliminaires, à savoir qu'une banque pour les infrastructures, une entité qui est indépendante sans l'être totalement, peut permettre d'atteindre les trois objectifs dont j'ai parlé. Premièrement, il faut définir la forme que doivent prendre les subventions pour les ordres inférieurs de gouvernement; deuxièmement, il convient d'améliorer la sélection des projets; et troisièmement, il faut que la banque devienne une agence favorisant les investissements du secteur privé. C'est la forme que pourrait prendre une banque pour les infrastructures. C'est donc ma première recommandation et la principale pour votre comité dans sa réflexion sur la mise en place d'une telle institution.
En second lieu, il convient d'établir des mécanismes réglementaires solides et indépendants à l'échelon municipal ou provincial à l'égard de certaines de ces nouvelles infrastructures, lorsqu'il y a davantage d'investissements du secteur privé pour l'électricité ou l'eau, par exemple, comme on peut le constater ailleurs dans le monde.
Les infrastructures mises en place par le secteur privé sont presque toujours administrées de la même manière, surtout en Europe. On mise sur un mécanisme de réglementation très rigoureux pour protéger l'intérêt public à l'égard des effets possibles de la participation des investisseurs privés. Il est aussi très important que ce mécanisme puisse intervenir au sein même du secteur public, car on ne veut pas qu'une même organisation puisse à la fois exploiter une infrastructure et en assurer la réglementation. C'est ce que l'on peut constater actuellement un peu partout dans le monde.
En troisième lieu, je conviens avec Ryan que le Rapport de l'examen de la LTC est un document d'une grande importance. Le gouvernement s'emploie actuellement à examiner les recommandations formulées dans ce rapport. Nous pourrions discuter longuement de ces recommandations. Je m'intéresse tout particulièrement à la politique aéroportuaire et à la recommandation visant à rendre accessible à la propriété privée nos autorités aéroportuaires actuellement sans but lucratif et sans capital-actions. À mon sens, c'est une recommandation qui frappe dans le mille et que vous devriez examiner de façon plus approfondie.
Le président : Merci. Monsieur Greer.
M. Greer : Trois choses donc. Tout d'abord, même si nous avons passé beaucoup de temps ce matin à parler des infrastructures pour le commerce et le transport, il ne faut pas se limiter à ces investissements-là en négligeant tout le reste. À ce titre, je crois qu'il faut déplorer le fait que l'on ne soit pas parvenu à trouver le juste équilibre dans le plan fédéral établi dans le dernier budget. Cet équilibre doit notamment s'appuyer sur une orientation stratégique ciblant en quelque sorte les infrastructures de commerce et de transport, surtout dans un contexte de financement déficitaire. Lorsque les taux d'intérêt sont faibles, il est logique d'emprunter pour construire des actifs, mais il faut s'assurer qu'il s'agit en grande partie d'actifs productifs. Sachant que le gouvernement s'apprête à prendre ces décisions au cours des prochaines semaines, nous allons certes préconiser la recherche d'un meilleur équilibre dans le plan fédéral en veillant à ce que celui-ci priorise les infrastructures commerciales.
Je pense qu'il faut envisager le rétablissement des programmes efficaces dont nous venons de parler, comme la Porte de l'Asie-Pacifique. Il y a de nombreux enseignements à tirer de ces programmes qui ont vraiment fait leur preuve. Nous pourrions même faire encore mieux, mais je crois que la remise en place de ces programmes serait très bénéfique.
Nous n'avons fait qu'aborder la question, mais je dirais qu'il ne faut pas oublier le rôle du secteur privé pour revenir à ce que disait Ben concernant les processus réglementaires. Le secteur privé est celui qui investit le plus, le mieux, le plus rapidement et le plus énergiquement dans les infrastructures au Canada actuellement, mais ces investissements qui n'exigent pas de fonds publics vont se retrouver ailleurs si nous ne poursuivons pas nos efforts pour rendre le Canada encore plus attrayant pour les investisseurs. Ces investissements peuvent vraiment être le complément idéal aux investissements publics attendus lors des prochaines années.
M. Law : Dans deux mes trois recommandations prioritaires au comité, je vais répéter essentiellement ce que M. Greer vient de dire. Je crois tout d'abord que les infrastructures de commerce et de transport doivent être au cœur du processus de réflexion du gouvernement quant à ses investissements futurs. C'est une priorité qui ne doit pas entrer en concurrence avec celles déjà définies dans les trois catégories établies, ni avoir préséance sur celles-ci. Elle doit être davantage un complément à intégrer au programme pour des motifs qui touchent de très près la création d'emplois et la prospérité future au Canada.
J'ajouterais dans le même contexte que nous devons considérer ces investissements dans la perspective d'un concept ou d'un principe unificateur, et que les corridors commerciaux devraient être envisagés à cette fin. C'est ainsi que nous pourrons vraiment prendre des décisions éclairées. Non seulement la perception des gouvernements s'en trouvera-t-elle modifiée, mais il y aura aussi une répercussion directe sur le mode de participation du secteur privé lorsqu'il aura une meilleure idée des priorités s'inscrivant dans le programme national.
En second lieu, je dirais qu'il convient, comme l'ont indiqué mes collègues, de faire montre d'une grande prudence en prenant ces décisions en fonction de critères bien éclairés. Il va de soi que ces critères doivent être déterminés mais, comme je le soulignais en répondant tout à l'heure à une de vos questions, nous pouvons nous inspirer à cette fin de certains anciens programmes canadiens qui ont produit d'excellents résultats à ce chapitre.
Enfin, et je suis d'accord encore là avec M. Greer, le secteur privé a un rôle important et tout à fait fondamental à jouer. Si l'on veut qu'il puisse nous aider à déterminer les priorités à établir, il faut lui confier un rôle vraiment significatif.
En 2015, j'ai organisé à Toronto une table ronde portant justement sur le rôle du secteur privé et la contribution qu'il peut apporter lorsqu'il s'agit de régler les questions d'infrastructure. J'ai surtout été impressionné de constater à quel point cela s'inscrivait déjà dans le mode de fonctionnement des entreprises privées au quotidien. C'est au cœur de leurs activités et à la base de leurs revenus. Le secteur privé dispose d'outils analytiques et de renseignements sur lesquels nous ne pouvons tout simplement pas compter actuellement pour éclairer nos choix publics. Nous devons mettre à contribution cette expertise aux fins de notre processus décisionnel. Il y a différentes façons pour nous d'y parvenir de manière significative, que ce soit au moyen d'une banque pour les infrastructures ou d'autres outils semblables, de telle sorte que les intervenants du secteur privé soient vraiment désireux de prendre part au débat.
Le président : Merci, monsieur Law.
Au nom de tous les membres du comité, je tiens à remercier nos trois témoins d'aujourd'hui. Vous avez été excellents. Nous vous sommes reconnaissants pour votre contribution et pour toute l'information que vous avez su nous transmettre.
Nous allons interrompre nos travaux pendant deux minutes, après quoi nous aurons besoin d'une minute à peine pour régler une question.
(La séance se poursuit à huis clos.)