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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule n° 25 - Témoignages du 15 février 2017


OTTAWA, le mercredi 15 février 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 18 h 49, afin de poursuivre son étude sur le programme de plusieurs milliards de dollars du gouvernement fédéral pour le financement des infrastructures.

Le sénateur Larry W. Smith (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Chers collègues et membres du public, le mandat de notre comité est d'examiner les questions liées, de façon générale, au budget des dépenses du gouvernement fédéral ainsi que les finances publiques.

Mon nom est Larry Smith, sénateur du Québec, et je préside le comité. Permettez-moi de vous présenter rapidement les autres membres du comité.

[Français]

À ma droite, le sénateur Forest, de Rimouski, et de Terre-Neuve, la sénatrice Elizabeth Marshall.

[Traduction]

Évidemment, nous avons le sénateur Dean. De quelle région du pays venez-vous? De l'Ontario, n'est-ce pas?

Le sénateur Dean : Oui, de l'Ontario.

Le président : Je vous remercie d'être ici ce soir.

[Français]

La sénatrice Lucie Moncion, de North Bay, le sénateur André Pratte et la sénatrice Bellemare, de Montréal.

[Traduction]

Bien sûr, notre vice-présidente, la sénatrice Anne Cools.

J'aurais une petite annonce à faire avant de commencer. Le mandat de M. Michael Sabia, à titre de président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec, a été renouvelé jusqu'en mars 2021. Félicitations, monsieur Sabia. C'est un plaisir de vous avoir parmi nous.

[Français]

Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude sur le financement des infrastructures. C'est avec plaisir que nous recevons d'autres dirigeants de la Caisse de dépôt et placement du Québec pour discuter d'infrastructures.

[Traduction]

Nous accueillons Michael Sabia, président et chef de la direction de la CDPQ. M. Sabia fait également partie du Conseil consultatif en matière de croissance économique, qui a été mis sur pied au printemps dernier par le ministre des Finances, M. Bill Morneau.

[Français]

Nous accueillons également M. Macky Tall, de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

[Traduction]

L'ai-je prononcé correctement? La greffière m'a bien dit comment prononcer votre nom.

[Français]

Macky est aussi vice-président des Infrastructures et président et chef de la direction de CDPQ Infra, une filière à part entière de la caisse. Bienvenue, messieurs.

[Traduction]

Pourrions-nous maintenant entendre votre déclaration, monsieur Sabia? Lorsque vous aurez terminé, nous serons ravis de pouvoir vous poser quelques questions.

[Français]

Michael Sabia, président et chef de la direction, Caisse de dépôt et placement du Québec : Nous sommes heureux de comparaître devant votre comité ce soir. Nous sommes très à l'aise de répondre à vos questions en anglais comme en français. Je ferai quelques commentaires sur certaines questions. Afin d'être plus bref dans mon introduction, je m'exprimerai en anglais. Toutefois, si vous préférez que je m'exprime en français, je le ferai sans problème. À la caisse, nous travaillons quotidiennement en français.

[Traduction]

Je suis ici à plusieurs titres : tout d'abord à titre de membre du comité que le ministre des Finances a formé il y a quelque temps et qui mise surtout sur les infrastructures à l'échelle nationale, et ensuite à titre de président et chef de la direction de la Caisse. C'est une question qui nous intéresse beaucoup. Nous essayons d'innover et de penser différemment, et tout ça, sous la direction de Macky.

Le but de ce groupe de travail est de cerner des occasions et de recommander des idées qui pourraient contribuer à favoriser la croissance au Canada, conformément à ce que font de nombreux autres pays développés et occidentaux membres de l'OCDE. En raison du vieillissement de la population, de notre faible performance au chapitre de la productivité, et cetera, notre taux de croissance se maintient actuellement sous la barre des 2 p. 100. En revanche, il ne s'agit pas de phénomènes propres au Canada; ce sont des phénomènes mondiaux.

Nous avons maintenant deux séries de recommandations, qui visent essentiellement deux objectifs. Le premier consiste à stimuler la croissance économique. Nous nous sommes fixé un objectif quantitatif. Nous souhaitons augmenter le revenu médian des ménages de telle sorte qu'il soit d'environ 15 000 $ supérieur à ce qu'il aurait été suivant les prévisions qui l'établissent à environ 90 000 $ en 2030. Cette augmentation semble modeste, mais à l'échelle nationale, c'est énorme. Nous avons formulé une série de recommandations dans ce sens.

Une grande partie de nos efforts vise à favoriser une croissance plus inclusive, non seulement au Canada, mais aussi partout dans le monde. Comment les dividendes sont-ils répartis au sein des divers groupes de Canadiens et des différentes classes de revenus? Rendre la croissance plus inclusive est donc un aspect important de notre travail.

Je viens de comparaître devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes, et j'ai justement discuté avec vos collègues du travail du conseil consultatif. Je répondrai volontiers à vos questions là-dessus, mais tout d'abord, j'aimerais revenir sur les recommandations que nous avons rendues publiques en octobre 2016 au sujet des infrastructures.

Les infrastructures sont un levier financier de développement économique extrêmement important au Canada et partout dans le monde; en fait, il s'agit de l'un des plus importants. Pourquoi? Parce que les infrastructures ont des propriétés particulières. Elles permettent non seulement de stimuler la croissance économique à court terme sur le plan macroéconomique, mais aussi d'accroître considérablement la productivité, lorsque tout est bien en place. Une augmentation de la productivité peut avoir une incidence importante à long terme sur le potentiel de croissance de l'économie canadienne.

Il y a toutes sortes d'estimations concernant les lacunes en matière d'infrastructures au Canada. Chose certaine, les besoins vont au-delà de ce qui est dépensé actuellement. Cela pourrait se situer entre 200 milliards et 1 billion de dollars, 500 ou 600 milliards de dollars. Quoi qu'il en soit, c'est un chiffre très élevé.

Il y a un très grand besoin d'infrastructure. Les investissements dans les infrastructures rendent le Canada plus concurrentiel à l'échelle mondiale. Si nous avons des ports et des aéroports plus efficaces, nous pourrons mieux soutenir la concurrence. Si nous avons une meilleure connectivité, nous serons plus concurrentiels et plus productifs. Doter le Canada d'infrastructures modernes, c'est comme jeter les bases de la croissance.

Pour cette raison, nous avons recommandé la création du nouvel organisme, la Banque de l'infrastructure du Canada, recommandation qui a été appuyée par le gouvernement. Selon nous, c'est important. Les gouvernements à eux seuls ne pourront pas financer les infrastructures au Canada au niveau requis. Les niveaux d'endettement sont ce qu'ils sont. Même si le Canada dispose d'une certaine marge de manœuvre financière, particulièrement à l'échelle fédérale, ce n'est pas une bonne idée que le gouvernement fédéral fasse cavalier seul. Je vais vous expliquer pourquoi.

Je ne dis pas cela parce que nous sommes des financiers conservateurs au conseil. Je ne le suis pas, comme bon nombre de mes collègues d'ailleurs. Cela va vous sembler curieux, mais c'est une question de justice sociale. Pourquoi les gouvernements financeraient-ils la totalité du développement des infrastructures pour ensuite limiter leur capacité à financer les soins de santé, à investir dans les programmes dont les Autochtones ont besoin et à subventionner l'éducation par l'intermédiaire des provinces? Ce sont des éléments essentiels.

Pourquoi un gouvernement devrait-il s'appuyer sur des méthodes de financement dépassées alors qu'il y a littéralement des billions de dollars disponibles partout dans le monde qui pourraient aider à financer les infrastructures?

Au bout du compte, la Banque de l'infrastructure aura pour but d'attirer du capital institutionnel afin d'investir dans les infrastructures canadiennes. Le gouvernement a indiqué qu'une partie des fonds investis pourrait venir des coffres de l'État. Il fera appel à des organismes comme nous, à nos homologues d'ailleurs au Canada et à des fonds de partout dans le monde. Tous feront la queue pour investir au Canada. Cela permettra de libérer des ressources que nous pourrons ensuite consacrer au système de santé, au système d'éducation, aux programmes destinés aux Autochtones, bref à tout ce dont on parle dans les journaux au quotidien. C'est pourquoi nous devons être créatifs dans notre façon de financer les infrastructures; ce n'est pas qu'une question économique; c'est aussi une question sociale.

Nous sommes très heureux de pouvoir vous en parler. Macky a préparé un document qui vous a été remis. À titre d'exemple, le projet de transport en commun que nous entreprenons à Montréal est une nouvelle façon d'aborder les infrastructures. Il s'agit d'un système léger sur rail qui circule sur 67 kilomètres de voies ferroviaires. Ce réseau sera le troisième en importance dans le monde.

C'est un projet que nous menons du début à la fin. La planification relève de Macky. Nous organisons les groupes de gens qui s'occuperont de la construction. Nous superviserons les travaux. Nous en serons propriétaire et exploitant. Cela ne s'est jamais fait auparavant par une caisse de retraite.

Ce projet va transformer Montréal. Il va rendre la ville plus productive. Nous n'agissons pas ici par altruisme, mais bien parce que nous sommes convaincus que nous pourrons faire fructifier les fonds de nos déposants, autrement dit, les gens du Québec.

Les infrastructures ont des caractéristiques financières très attrayantes. On parle d'un actif à long terme qui génère des recettes importantes. C'est le genre de projets dans lequel une caisse de retraite devrait investir; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle une abondance de capital institutionnel de par le monde attend d'être mobilisée. Nous sommes heureux de vous en parler. C'est un modèle très différent qui n'a jamais été essayé auparavant.

Les caisses de retraite ont toujours eu tendance à investir dans des friches industrielles plutôt que dans des nouveaux projets d'infrastructure. Cela dit, nous sortons des sentiers battus en investissant dans ce type d'infrastructures. Ce n'est pas pour nous vanter que nous le faisons; ne vous méprenez pas. En innovant et en investissant dans des infrastructures nouvelles ici, on encourage les gens d'ailleurs à en faire autant.

Nous menons ce projet à Montréal parce que nous voulons exporter le modèle ailleurs dans le monde. Pour nous, c'est une nouvelle façon d'investir dans quelque chose que nous connaissons. Je vais m'arrêter ici.

La sénatrice Marshall : En ce qui concerne le schéma intitulé « Comment le modèle fonctionne : gestion clé en main » que vous nous avez distribué, est-ce réalisé de concert avec le gouvernement du Québec? Vous êtes au courant de la Banque de l'infrastructure du Canada. Nous essayons de comprendre comment elle sera établie et quelle sera sa relation avec les autres entités.

Qu'est-ce qui est proposé ici? Est-ce un partenariat avec le gouvernement du Québec? Selon vous, est-ce que cela pourrait fonctionner avec la Banque de l'infrastructure?

M. Sabia : Je vais laisser Macky vous expliquer plus en détail. On peut utiliser différents modèles, mais celui-ci peut s'appliquer à la Banque de l'infrastructure. La banque pourrait aussi fonctionner de façon plus simple.

Je vais vous décrire rapidement notre notion de la banque, et je vais ensuite céder la parole à Macky. La Banque de l'infrastructure serait un organisme de financement, un centre d'expertise et un groupe de planification des infrastructures. La planification des infrastructures est essentielle, et le Canada a besoin d'un plan national en matière d'infrastructures. Son mandat consisterait en partie à élaborer un tel plan en collaboration avec les provinces, car elles jouent un rôle important dans les infrastructures au Canada.

Une fois le plan élaboré, on en discuterait avec le gouvernement. Certaines priorités seraient reflétées dans le plan. Par la suite, on propose que la banque aille de l'avant avec la mise en œuvre du plan.

Elle définirait les divers projets à réaliser et elle les structurerait. Elle inviterait les investisseurs à participer au financement de ces projets. Par conséquent, elle obtiendrait des capitaux auprès d'organismes comme le nôtre et d'autres, et elle les utiliserait pour mettre en place les infrastructures.

Quand on pense à la Banque de l'infrastructure, on pense à la planification d'une stratégie d'infrastructure nationale, à une expertise financière et à la mobilisation de capitaux privés dans les projets d'infrastructure pour permettre au gouvernement d'accomplir différentes choses. C'est le haut niveau de service que nous envisageons pour la banque. Le modèle est un peu différent.

Macky Tall, premier vice-président, Infrastructures, Caisse de dépôt et placement du Québec : Je vais vous expliquer le modèle, madame la sénatrice : cela résume notre entente avec le gouvernement du Québec. Dans un premier temps, le gouvernement établit les besoins; il continue d'être garant de l'intérêt public. Il s'adresse à nous pour cerner les éventuels projets d'infrastructure.

La sénatrice Marshall : Vous participez également à la sélection.

M. Tall : Non, le gouvernement choisit le projet et nous propose un projet d'infrastructure. À ce moment-là, nous examinons l'idée en question et nous y appliquons les meilleures ressources et des pratiques exemplaires. Nous étudions le projet et nous proposons des solutions optimisées, autant sur le plan technique qu'économique.

Après y avoir travaillé pendant 12 à 18 mois, nous allons présenter deux ou trois options qui, selon nous, remplissent bien l'objectif d'intérêt public de l'infrastructure et qui sont viables d'un point de vue technique et économique. Autrement dit, il faut que ce soit un projet d'infrastructure qui permette de générer des recettes et ainsi de rentabiliser les capitaux investis.

Si l'objectif visé est atteint, à ce moment-là, le gouvernement nous donne le feu vert. Nous agissons à titre de guichet unique. Nous nous occupons de la planification, du financement et de la construction. Étant donné que nous sommes un investisseur à long terme, nous investissons dans ce projet tout au long de sa durée de vie, ce qui peut vouloir dire sur plusieurs décennies.

Une caractéristique unique de ce modèle est l'approche à guichet unique. Nous évitons ainsi au gouvernement de prendre des risques en réalisant le projet conformément au budget et aux échéanciers fixés. Nous atténuons les risques et nous limitons les coûts opérationnels. Dans notre cas, nous investissons des fonds de retraite en vue de générer des liquidités stables et à long terme puis de verser des revenus de retraite, et c'est là où nous créons le cercle vertueux.

M. Sabia : Nous appelons cela un cercle vertueux. Qu'est-ce que cela signifie? Nous investissons maintenant dans la création d'un nouveau réseau de transport en commun. Cela améliore non seulement le quotidien des Montréalais, mais aussi la productivité de la ville de Montréal, et en fait une économie urbaine plus viable et attrayante.

Nous procurons des avantages aux gens. Nous obtenons de bons rendements sur notre investissement, mais cet argent revient à nos déposants, parce que nous sommes un fonds de caisse de retraite. Lorsqu'une personne achète un laissez-passer de transport en commun, elle contribue à son propre régime de pension.

C'est un cercle vertueux, en ce sens que nous réalisons des projets qui aident les gens non seulement aujourd'hui, mais aussi dans l'avenir, grâce au bon rendement qu'ils génèrent.

La sénatrice Marshall : Lorsque le gouvernement donne le feu vert, prend-il part au projet? Je ne devrais probablement pas employer le mot « ingérence », mais lorsqu'on vous donne l'autorisation, je crois que vous vous débrouillez seuls.

M. Sabia : C'est exact, du point de vue du gouvernement provincial. Nous collaborons étroitement avec les administrations de transport de banlieue de Montréal. Nous voulons que tout se déroule de façon fluide, du point de vue du client.

La sénatrice Marshall : Dans votre document, il est question de la Canada Line et de Heathrow Express. Est-ce que vous investissez dans les infrastructures sociales? Est-ce que cela relève de votre mandat?

M. Sabia : La réponse est oui. Macky pourrait vous donner des exemples de ce que nous avons fait en Australie. Il faut faire attention à la définition ici. Lorsqu'on parle d'infrastructures sociales, par exemple, sachez que nous avons investi dans une série de centres de recherche sur le cancer et d'hôpitaux en Australie. Cela se déroule très bien. Nous obtenons un bon rendement. Macky peut d'ailleurs vous donner les détails.

Par contre, ce ne sont pas toutes les formes d'infrastructures sociales qui génèrent des recettes. Il y a plein de besoins sociaux à satisfaire, par exemple des choses aussi simples que de meilleurs réseaux d'alimentation en eau pour les Autochtones, particulièrement ceux qui vivent dans les réserves. Souvent, un projet comme celui-là ne garantit pas de source de revenus, alors nous ne pouvons pas mener ce type de projet.

La sénatrice Marshall : On parlait récemment dans les médias d'une option.

M. Sabia : Il ne faut pas toujours croire ce que l'on voit dans les médias.

La sénatrice Marshall : Je sais, mais il faut tout de même que je vous pose la question.

M. Sabia : Sauf bien sûr ce qu'on peut lire dans les éditoriaux.

La sénatrice Marshall : Il était question de la possibilité de vendre de grands aéroports canadiens. Si j'en crois le document que vous nous avez remis, vous semblez vous intéresser à des projets comme The Canada Line et Heathrow Express. Est-ce que l'achat d'aéroports pourrait s'inscrire dans votre mandat?

M. Sabia : Oui.

La sénatrice Marshall : Pour autant qu'il y ait des revenus possibles.

M. Sabia : Nous l'avons fait dans plusieurs pays du monde. Heathrow est d'ailleurs un excellent exemple. Les aéroports sont des éléments d'infrastructure très attrayants pour des fonds de pension comme le nôtre qui cherchent à investir dans ces secteurs.

Je sais bien que c'est un enjeu qui doit faire l'objet d'un débat. Les aéroports canadiens sont susceptibles d'intéresser les investisseurs de toute la planète. Il suffirait par exemple de vendre des parts minoritaires pour convertir en argent 20 p. 100 de la valeur d'un aéroport. Le gouvernement pourrait ensuite utiliser ces fonds pour investir dans de nouvelles installations, des programmes sociaux, des infrastructures sociales ou tout projet qu'il juge bon de réaliser.

La sénatrice Marshall : Vous êtes à la recherche de grands projets pour faire fructifier votre fonds de pension.

M. Sabia : Vous avez tout compris.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Mes questions concernent surtout la Banque de l'infrastructure du Canada. Je connais davantage la caisse, car je viens du Québec et je suis familière avec les investissements de la caisse. Je suis consciente que vous êtes des experts en investissements en faveur de l'infrastructure et que vous avez fait plusieurs projets. Je suis heureuse de vous entendre dire que la banque va s'occuper de la planification des infrastructures et de l'expertise.

Ce sont justement deux éléments qui me chicotent, et peut-être que vous pourrez m'en dire davantage. Je trouve l'idée excellente, car elle a pour effet d'augmenter la productivité en matière de planification au Canada, mais il y a aussi les provinces et les municipalités. Comment la banque entend-elle s'y prendre pour faire une planification équitable entre les régions? Comment compte-elle régler les problèmes d'expertise, non pas financière, parce que je pense que la caisse est fantastique à ce chapitre? Cependant, on sait qu'en Australie, dans les pays qui ont des plans d'investissement à long terme, il est connu que l'expertise dans les ressources humaines est aussi fondamentale pour arriver à réaliser des projets à temps en fonction des coûts prévus. Est-ce qu'on a tout ce monde-là, au Canada? La Banque d'infrastructure, j'ai toujours pensé qu'il s'agissait d'un dispositif surtout financier, mais je m'aperçois que ce projet dépasse le volet financier, en matière de planification et d'expertise.

Alors, dans ces deux domaines, en ce qui a trait à la planification et à l'expertise de nature non financière, comment la Banque d'infrastructure entend-elle s'y prendre, puisque, dans une Confédération, il a aussi des provinces et des municipalités?

M. Sabia : Selon moi, il est surprenant que dans un pays développé, un pays hautement sophistiqué comme le Canada, nous n'ayons pas d'inventaire de la qualité de nos infrastructures. Cela n'existe nulle part au Canada. Dans un contexte de planification, la première étape est de faire un inventaire pour comprendre où on en est rendu au Canada. Qu'est-ce que la qualité? Est-ce qu'il y a des enjeux? Qu'est-ce qu'il faut faire? C'est la première étape. Sur une telle base, la deuxième étape est de déterminer les priorités pour aller de l'avant.

Donc, pour répondre à votre question sur la nature du Canada en tant que Confédération, selon moi, le point de départ pour la planification est de mettre l'accent sur les actifs au niveau du gouvernement du Canada et de démontrer à tout le monde que cette organisation, que cette banque a les compétences nécessaires pour développer un plan. La troisième étape, dans l'élaboration d'un plan au niveau national, est d'inviter les provinces à y participer et de travailler avec elles pour réaliser un plan national qui comprend les activités liées aux provinces. Notre suggestion n'est pas que le gouvernement du Canada exige la participation des provinces, parce que ce n'est pas dans la nature de notre fédération. La raison pour laquelle je pense qu'il faut débuter avec un processus de démonstration, c'est qu'avec son expertise, la banque sera en mesure de démontrer à tous que cette expertise est disponible et qu'elle permettra d'améliorer la qualité de la planification en infrastructure au Canada. C'est la façon dont je vois l'activité de planification et de développement au niveau national.

En ce qui concerne la question de l'expertise, beaucoup de monde sous-estime l'importance de l'expertise financière pour bien structurer les projets. Macky a passé presque toute sa carrière à faire exactement cela. Sous l'impulsion de Macky, nous avons maintenant une équipe compétente, et ce n'est pas facile à réaliser. Donc, à la caisse, nous avons ces compétences. L'idée de la banque est de créer un centre d'expertises qui inclut la planification, mais aussi l'expertise financière.

Il y a aussi un autre élément que vous avez soulevé, et c'est la question de la gestion de projet. C'est une chose de créer une bonne structure pour un projet, mais c'est une autre chose de livrer la marchandise. Afin de livrer le projet dont Macky vous a parlé, nous avons maintenant développé une équipe capable de gérer un projet. L'idée est de faire la même chose et de bâtir cette même expertise au sein de la banque. La banque, ce n'est pas juste une banque.

La sénatrice Bellemare : C'est cela que je comprends.

M. Sabia : C'est une banque, mais également un centre d'expertises, et la combinaison de ces deux éléments est une chose qui n'existe pas au Canada.

La sénatrice Bellemare : Je comprends mieux. Ce que je comprends aussi, c'est que vous voulez, en termes de planification, éloigner les pressions politiques liées à notre Confédération en vous concentrant sur un inventaire d'abord de ce qui existe, pour pouvoir donner à votre planification une assise en ce qui concerne les besoins en infrastructures réels.

M. Sabia : Je vais choisir mes mots avec beaucoup de prudence, car je sais que je me trouve devant un comité du Parlement du Canada et que vous êtes tous des parlementaires. Un des éléments importants de cette banque, l'idée centrale, est de s'éloigner du processus de l'établissement des priorités et de la prise de décisions sur le plan politique. Pourquoi? Cela reflète l'importance et la puissance d'une stratégie de développement des infrastructures qui viser à renforcer et à augmenter, de façon importante, le niveau de productivité, et donc de croissance économique au Canada. L'objectif est de cerner les projets qui offrent la meilleure probabilité d'avoir un impact important sur la productivité. Ce n'est pas toujours le critère le plus important sur le plan politique, pour des raisons évidentes.

Nous ne disons pas qu'il est préférable de prendre des décisions strictement sur le plan financier et économique et non sur le plan politique. Il faut faire les deux. C'est la raison pour laquelle nous avons structuré cette recommandation de la sorte. Nous l'avons divisée en fonction de deux éléments : de gros projets qui génèrent des revenus et dans lesquels des investisseurs, comme la Caisse de dépôt et placement du Québec ou la Banque d'infrastructure ou d'autres fonds, pourraient investir, et d'autres projets d'infrastructure moins attrayants pour un investisseur comme la Caisse de dépôt et placement du Québec et qui nécessitent une prise de décision plus orthodoxe.

Le sénateur Pratte : Ma question fera suite à ces propos. Je partage votre enthousiasme et celui de la Caisse de dépôt et placement du Québec pour les grands projets d'infrastructure. Je partage aussi l'enthousiasme du comité, du conseil et du ministre des Finances. J'ai toutefois une inquiétude.

On a vu dans les programmes d'infrastructure au Canada, depuis 10 ans, un enthousiasme délirant pour des projets d'infrastructure de toutes sortes, avec des résultats mitigés. Le modèle que vous proposez vise à éloigner le plus possible les décisions politiques en faveur d'un modèle de gouvernance différent. Il s'agit essentiellement d'un modèle où prévaut la logique du secteur privé, soit celle de la rentabilité, basée sur un objectif clair, qui est l'amélioration de la productivité du Canada. En théorie, c'est parfait. Cependant, le secteur privé peut aussi se tromper.

M. Sabia : Oui.

Le sénateur Pratte : Le gouvernement du Canada verserait 35 milliards ou 40 milliards de dollars en capital d'origine.

M. Sabia : Il s'agirait de 35 milliards de dollars.

Le sénateur Pratte : Trente-cinq milliards de dollars pour les 10 premières années. Il ne suffit pas de dire qu'on met le gouvernement du Canada à part. On parle tout de même de 35 milliards de dollars. Les contribuables demanderont une reddition de comptes. Je ne suis donc pas sûr que le gouvernement du Canada pourra être mis de côté complètement.

Premièrement, comment peut-on s'assurer que les projets seront bien choisis, sans aucune pression politique? Deuxièmement, comment s'assurer effectivement que tous ces projets correspondent aux besoins sans qu'il n'y ait de dérapage? L'argent public, en partie, mais aussi l'argent des fonds de pension et d'investisseurs institutionnels très importants sera en jeu.

M. Sabia : Tout à fait. C'est la raison d'être du processus de planification et de développement des priorités. L'idée est de demander à cette banque d'établir, disons, une dizaine de priorités tous les deux ans. Avant de lancer ces projets, il faudra évidemment obtenir l'approbation du gouvernement. C'est la banque, sur une base « assez technique », qui recommandera certains projets, en démontrant l'impact ou l'importance de chacun des projets.

Toutefois, vous avez raison. Étant donné la participation financière du gouvernement, il faut que celui-ci participe à l'approbation de ce plan. L'idée est d'encourager cette participation, parce qu'elle est fondamentale. Comme le disait M. Tall, le gouvernement doit rester garant de l'intérêt public. Après avoir approuvé ce plan, il faudra laisser à la banque la marge de manœuvre nécessaire pour exécuter chacun des projets. Ce n'est pas la banque, de façon complètement indépendante, qui choisira chacun des projets et les exécutera. Il y aura une implication importante des parties avant le lancement de chacun des projets.

Le sénateur Pratte : Comment pourrez-vous vous assurer d'éviter la folie des grandeurs que pourraient manifester tous les participants? Les projets dont on parle sont considérables. Ils sont probablement plus importants que celui dont il est question à Montréal. Du moins, ce sont des projets de cette envergure et qui ont beaucoup d'ampleur.

M. Sabia : Oui, mais j'aimerais apporter une correction. Notre projet vaut environ 6 milliards de dollars. Toutefois, il y aura toute une gamme de projets, de l'ordre de 500 millions de dollars à 1 milliard de dollars, ou à 1,5 milliard de dollars. Ce sont des projets importants, mais pas nécessairement de l'envergure de celui que l'on propose à Montréal.

Le sénateur Pratte : La nature humaine étant ce qu'elle est, je m'inquiète. Il y a beaucoup d'argent en jeu et de gros projets. Dans de telles circonstances, parfois les choses peuvent déraper, qu'il s'agisse du secteur privé ou du secteur public. C'est ce qui m'inquiète. Il faut donc des garde-fous pour s'assurer que les choses ne dérapent pas.

M. Sabia : Oui. Vous soulevez un point important. Dans le contexte de notre projet, à Montréal, nous avons beaucoup pensé à cette question. À nos yeux, il est important d'éviter non seulement le risque qui existe en réalité, mais aussi la perception d'un risque. La Caisse de dépôt et placement du Québec investit dans toutes sortes de sociétés. Nous avons conçu toute une structure dans le but d'éliminer tout risque et apparence de conflits d'intérêts.

M. Tall peut vous parler du processus de vérification externe et du comité que nous avons annoncé cette semaine.

M. Tall : Comme vous le soulignez, c'est un élément très important pour un projet de cette taille. Pour le projet que nous menons à Montréal, le processus d'approvisionnement respecte et dépasse les meilleures normes en la matière, tant à l'échelle locale qu'internationale. C'est un processus où, à toutes les étapes, il y a vraiment une concurrence ouverte. À chacune des étapes, des critères transparents sont établis au sein du processus. Nous avons, à chaque étape, deux vérificateurs indépendants qui suivent la totalité des travaux. À la fin de ces travaux, ces vérificateurs doivent préparer un rapport, qui sera rendu public, afin de confirmer qu'à chacune des étapes du processus, toutes les décisions et l'évaluation des propositions que nous recevons ont été faites avec la plus grande intégrité et la plus grande transparence. Ce rapport est rendu public. Ces évaluateurs indépendants, une fois qu'ils ont complété le processus, font rapport non pas à nous, mais à un comité indépendant composé de trois membres.

Ce comité est composé d'une ancienne juge de la Cour suprême du Canada, d'un avocat à la retraite et d'un comptable de formation qui examinent ces rapports et qui apportent une certification additionnelle de l'intégrité et de la probité de l'ensemble du processus. Ce standard très élevé a été instauré justement afin de confirmer que cela a été fait de façon rigoureuse.

Le sénateur Pratte : Merci.

Le président : J'espère que nous allons poser des questions assez brèves, parce que nous avons une longue liste de questions.

Le sénateur Forest : Je ne sais pas pourquoi vous me regardez, monsieur le président, lorsque vous dites cela.

Je remercie nos témoins d'être parmi nous. Lorsqu'on parle du parc des infrastructures au Canada, je pense qu'un défi immense se pose. Vous savez sûrement que plus de 50 p. 100 de ce qui compose le parc des infrastructures publiques au Canada est de responsabilité municipale, et que les municipalités obtiennent environ 8 p. 100 de l'ensemble des revenus provenant des taxes d'imposition.

Les municipalités, bon an mal an, investissent 4,3 millions de dollars par année depuis 2007, soit depuis le premier volet des infrastructures. Sur une période de 10 ans, il s'agit tout de même de près de 43 milliards de dollars qui ont été investis. Je pourrais mentionner en particulier les conditions des installations d'approvisionnement en eau potable et en traitement des eaux usées, qui présentaient des carences énormes et qui perdaient 35 p. 100 de l'eau traitée qui fuyait dans nos réseaux. En même temps, cet effort, parce qu'il était conditionné par les objectifs des programmes qui étaient déposés aux municipalités, a également contribué à alourdir l'endettement des municipalités, qui ont négligé d'investir dans d'autres types d'infrastructures un peu plus sociales.

Quand on parle de la banque, il y a un certain appétit pour investir dans des projets majeurs, mais est-ce la même chose pour des projets de moins grande envergure dans les régions du Québec?

Un des grands défis qui se posent, selon moi, est celui de la démographie; nos collectivités doivent être attrayantes et offrir des services de base, mais également des services complémentaires, comme une bibliothèque ou tout autre type d'équipement afin d'attirer de nouvelles familles qui prendront la relève de nos entreprises, de nos centres de recherche ou de nos universités.

Est-ce qu'il y a un appétit de la part de la banque pour envisager des investissements dans les régions à l'aide de projets moins attrayants ou ayant moins d'ampleur que le projet du Réseau électrique métropolitain?

M. Sabia : Évidemment, la banque n'a pas du tout l'ambition ni le projet de remplacer 100 p. 100 des activités en infrastructure au Canada. Notre approche cible les projets les plus importants sur le plan de la productivité, et également les projets qui génèrent une source de revenus. Pour certaines activités, selon nos réflexions, les programmes de financement des infrastructures qui existent actuellement se poursuivront. Il n'est pas question de remplacer l'ensemble de ces activités.

Deuxièmement, à savoir si une telle banque serait capable de travailler dans le domaine municipal, la réponse est oui, mais ça dépend de la prise de décision et des préférences d'une municipalité. Une de nos propositions est d'ouvrir la banque et l'expertise de la banque aux provinces et aux municipalités à travers le pays. Pourquoi? Parce qu'un des enjeux au Canada dans les municipalités les plus importantes, comme Toronto, Montréal, Calgary, Vancouver...

Le sénateur Forest : Rimouski.

M. Sabia : Rimouski, c'est sûr.

Donc l'un des enjeux liés aux municipalités les plus importantes, c'est qu'il y a beaucoup d'expertise, mais dans beaucoup d'autres municipalités, cette expertise n'existe pas. Si la banque est en mesure d'offrir une amélioration de l'expertise et de rendre cette expertise disponible pour tous, il y aura une amélioration de la qualité de la gestion du projet et, probablement, du respect des délais et des budgets pour la majorité des municipalités. Ce n'est pas une demande ou une exigence de la banque, parce que ce mandat n'existe pas; il s'agit simplement d'ouvrir les portes.

Le sénateur Forest : L'aspect du plan stratégique national en infrastructures m'apparaît comme un élément fondamental, compte tenu de l'ensemble des niveaux dont vous avez parlé, mais c'est également un élément fondamental lorsque vous parlez de rendre accessibles les informations des éléments. J'ai revendiqué cela pendant longtemps. On dispose de données dans le domaine des infrastructures publiques, mais le fait de pouvoir faire une analyse comparative des projets, c'est un élément qui est fondamental, à mon avis, et que la banque pourrait réaliser. À titre d'exemple, lorsqu'une ville ou une entreprise aménage 26 kilomètres de rues, le fait de savoir à quels coûts elle a réalisé son projet nous permettrait d'établir des comparaisons.

D'après vous, pour établir un plan stratégique des infrastructures nationales, il y a un inventaire à faire, il y a des priorités à définir, qui seraient définies de façon conjointe par la banque, le gouvernement fédéral, les provinces et l'ensemble des partenaires. Est-ce bien cela?

M. Sabia : Dans la durée, oui. Au début, je pense qu'il faut commencer le processus quelque part. Simplement pour démontrer l'efficacité du processus, selon moi, il est préférable d'éviter le processus au niveau fédéral. Mais, oui, je suis tout à fait d'accord avec l'idée d'encourager la participation des provinces.

Il y a un autre point important : la structure du conseil d'administration de cette banque. Selon nous, il est important que cette banque, ainsi que son conseil d'administration reflètent la structure régionale du Canada. Il faut inviter la participation des provinces, potentiellement dans la durée; peut-être pas au début, mais dans la durée. De la même façon, par exemple, le conseil d'administration de l'Office d'investissement du RPC est structuré de cette façon, et demande l'approbation des provinces pour chacune des nominations au conseil d'administration. Selon moi, il est très important pour une telle banque d'avoir comme membres, par exemple, quelqu'un qui vient de Colombie- Britannique, de l'Ouest canadien, de l'Ontario ou du Québec, parce que c'est la nature de notre pays.

Le sénateur Forest : En ce qui concerne le Réseau électrique métropolitain, il est clair que la réalisation de ce projet aura un impact majeur sur les zones d'urbanisation métropolitaines. Dans le cadre du développement de votre projet, au-delà de la planification du tracé, êtes-vous en contact notamment avec les services des villes concernées? Parce que cela aura un impact majeur sur la concentration des habitations et des services de proximité. Vous allez changer la trame urbaine avec ce projet; y a-t-il des communications constantes avec des services d'urbanisme et les autorités municipales?

M. Tall : Oui, vous avez tout à fait raison; c'est un élément important et c'est la raison pour laquelle, depuis que nous avons lancé le projet il y a un peu moins d'un an, nous avons tenu des centaines de rencontres avec toutes les municipalités qui sont à proximité ou qui seront traversées par le Réseau électrique métropolitain. Cela inclut les maires, les services techniques et, dernier élément encore plus important, les sociétés de transport, comme M. Sabia l'a indiqué un peu plus tôt, pour assurer l'intégration entre les réseaux d'autobus, le REM, les métros et les tramways.

Le dernier élément, qui n'est pas le moindre, ce sont les citoyens. Nous avons tenu 12 événements portes ouvertes au cours des six derniers mois, au cours desquels nous avons rencontré plus de 3000 citoyens pour obtenir leurs réactions sur la façon dont ils voient ce projet s'intégrer dans cette trame urbaine.

Le président : Chers collègues, il faut nous dépêcher, parce qu'il ne nous reste que 10 minutes en compagnie de nos deux témoins. Nous devons ensuite poursuivre nos travaux à huis clos.

[Traduction]

J'aimerais que vous en veniez plus directement à vos questions. Il nous faut des questions brèves et des réponses longues.

Le sénateur Dean : Nous avons aujourd'hui une discussion très intéressante. Des enjeux cruciaux ont été soulevés : gouvernance, capacité du secteur privé et du secteur public, transfert des risques, et nécessité pour le gouvernement d'adopter une approche qui soit très différente.

Il s'agit pour le gouvernement de veiller au bon fonctionnement d'un nouveau marché public-privé en pleine émergence, plutôt que de faire de la microgestion. Le gouvernement devra se donner les capacités nécessaires à cette fin, car je ne crois pas qu'il les possède actuellement. Je n'en dirai pas plus long pour l'instant.

Vous faites partie des régimes de pension qui ont acquis une reconnaissance à l'échelle planétaire en raison des énormes succès obtenus sur le marché des investissements, notamment grâce à votre structure de gouvernance et à la capacité que vous êtes à même de déployer.

M. Sabia : Toutes les fois que j'entends des commentaires semblables, je me demande ce qui risque d'arriver sur le marché le lendemain.

Le sénateur Dean : Il est plus facile pour moi de le dire que pour vous de l'entendre.

M. Sabia : En effet.

Le sénateur Dean : Je veux d'abord vous féliciter pour votre réussite. Par ailleurs, compte tenu de la création d'une banque d'infrastructure et de la mise en œuvre d'initiatives comme le Réseau électrique métropolitain de Montréal, pouvons-nous supposer qu'il sera possible de conserver au Canada une partie des fonds des régimes de pension qui auraient sans doute été investis à l'étranger?

Est-ce que des fonds d'investissement plus considérables pourront être gérés et investis au Canada par des entreprises canadiennes au bénéfice des Canadiens, plutôt que de se retrouver à Hong Kong, Londres ou New York?

M. Sabia : C'est une question extrêmement importante. Compte tenu de vos antécédents, je ne suis pas étonné de constater que vous compreniez si bien quel genre de changements cette proposition exige en matière de gestion et de fonctionnement du gouvernement.

D'autre part, la plupart des gestionnaires de fonds de pension se sentent beaucoup plus à l'aise d'investir dans des infrastructures existantes. Ils peuvent par exemple acquérir un aéroport ou une autoroute comme la 407 à Toronto pour faire fructifier ces actifs au moyen d'une gestion plus efficiente. Partout sur la planète, les fonds de pension se tirent bien d'affaire avec ce genre d'investissements, et ceux du Canada sont des chefs de file en la matière.

Selon nous, la prochaine frontière à franchir pour les fonds de pension sera celle de l'investissement dans les nouvelles installations. Comme je le dis souvent à mes homologues canadiens qui gèrent des fonds de pension, la distinction entre ces deux types d'investissement m'apparaît de plus en plus floue. C'est comme si ces deux notions se télescopaient dans mon esprit.

Pourquoi est-ce aussi flou? Depuis que nous avons acquis une participation importante dans l'aéroport d'Heathrow, nous avons investi des milliards de livres dans l'aménagement du Terminal 5 et du Terminal 2. Doit-on parler dans le cas de ces deux terminaux d'installations existantes ou nouvelles? Je l'ignore. Je sais toutefois que notre groupe a assumé les risques associés à la réalisation de ces projets de très grande envergure. La construction de ces terminaux a coûté des milliards de livres.

La façon dont les gestionnaires de fonds de pension envisagent les investissements est en train de changer. Mes homologues canadiens gardent un œil intéressé sur le projet que nous réalisons à Montréal. Certains d'entre eux se montrent plutôt sceptiques, ce qui ne manque pas de m'inquiéter, car ce sont des gens intelligents. Au vu de leur scepticisme, je me demande sans cesse s'il n'y a pas un détail qui m'aurait échappé.

Est-ce que je peux vous fournir une garantie quelconque aujourd'hui? Non, mais je peux vous dire que la création de cette banque d'infrastructure, étant donné la rigueur et la discipline qu'elle insufflerait dans le développement, la structuration et la mise en œuvre des projets, serait un grand pas en avant pour inciter d'autres fonds de pension canadiens à investir dans le marché des infrastructures au Canada.

Pour des investisseurs comme nous, il n'y a pas pire cauchemar. Vous injectez des dizaines de millions de dollars dans un projet en préparant des soumissions et des propositions pour voir ensuite les instances politiques décider à la dernière minute de ne pas aller de l'avant. C'est un risque qui empêche les investisseurs institutionnels comme nous de passer à l'action, de crainte de voir une décision politique faire dérailler un projet d'infrastructures nouvelles juste au moment où il allait être mis en œuvre.

Nous estimons donc qu'il convient de structurer la banque en étant bien conscients de l'importance du mode de gestion retenu de telle sorte que les décisions politiques soient prises au moment de la sélection de ces projets. Une fois ces décisions prises, l'investisseur pourrait compter sur le fait que le projet va bel et bien être mené à terme. Cela nous faciliterait grandement les choses pour offrir le financement de contrepartie nécessaire.

Le président : Nous devons passer à la sénatrice Moncion.

[Français]

La sénatrice Moncion : Ma question touche le processus de planification. Si je comprends bien le genre d'investissements que la Caisse de dépôt du Québec recherche, ce sont des projets à long terme qui vont générer des revenus à long terme. Du point de vue canadien, on a des projets à court terme qui ne génèrent pas beaucoup de revenus, et ce sont des projets qu'on peut appeler des « projets sociaux ». De l'autre côté, il y a des projets à long terme dans lesquels le Canada devrait investir, et qui devraient justement générer des revenus à long terme.

Ce que je comprends de votre discours, c'est que la Banque d'infrastructure du Canada servirait pour les projets d'infrastructure à long terme, générant des revenus à long terme, et tout ce qui concerne les projets de société ou les projets plus locaux, concrets, serait financé à même les fonds de roulement du gouvernement.

M. Sabia : Oui.

La sénatrice Moncion : Pouvez-vous me dire quelle est la complémentarité qui existe entre la Caisse de dépôt et de placement et les institutions financières qui sont sur le marché?

M. Sabia : Je suis d'accord avec le fait que l'on a deux volets tout à fait séparés, mais je n'ai pas bien compris le sens de votre question.

La sénatrice Moncion : La Caisse de dépôt investit dans les projets à long terme.

M. Sabia : Oui.

La sénatrice Moncion : Quelle sorte de complémentarité avez-vous avec les autres institutions financières, comme la Banque Royale ou tous les autres joueurs qui sont sur ces marchés? Ou, au contraire, êtes-vous en compétition avec eux?

M. Sabia : C'est une très bonne question. Selon moi, ce n'est pas une compétition, et c'est souvent mal compris. La Banque d'infrastructure et la Caisse de dépôt sont des investisseurs dans l'équité de ces projets. Dans le financement d'infrastructures, les banques — la Banque Royale, la Banque de Montréal, par exemple — sont présentes, mais toujours dans la dette.

Franchement, je pense que la banque permettra d'élargir le marché du financement pour les banques canadiennes, mais ce n'est pas une question de compétition entre la banque ou un investisseur comme la Caisse de dépôt et les banques commerciales, pas du tout.

Le sénateur Forest : J'aimerais préciser que, pour financer les projets d'infrastructure, entre autres, les municipalités vont sur le marché des obligations et non sur le marché des institutions financières.

Le président : Il y a deux volets, si je comprends bien.

[Traduction]

Il y a des marchés haut de gamme où vous recherchez des grands projets susceptibles de vous procurer un rendement pendant une longue période. Vous pouvez d'autre part avoir par exemple un projet social de 100 millions de dollars qui ne vous procurera pas le rendement souhaité, mais qui s'inscrit dans une stratégie gouvernementale du fédéral ou d'une province. Ce projet est alors financé à même le passif ou les capitaux d'exploitation du gouvernement en question. C'est bien cela?

M. Sabia : Oui, vous avez bien fait la distinction.

Le président : Il faut que nous comprenions qu'il y a cette ligne de démarcation qui permettra à la banque de trouver son créneau. Il semble bien qu'il faudra cependant se donner les compétences et l'expertise technique nécessaires, non seulement pour l'analyse, mais aussi pour l'exécution.

M. Sabia : Vous avez tout à fait raison et cela revêt une importance capitale.

Le sénateur Tkachuk : Les enjeux sont grands dans ce dossier, car les gouvernements recueillent des fonds au moyen des taxes et des impôts justement dans le but d'offrir aux citoyens les infrastructures dont ils ont besoin. Cela est vrai autant pour les administrations municipales que pour les provinces et le fédéral.

Je me rappelle de la privatisation des aéroports. Les gouvernements avaient payé pour tous les aéroports. Ils avaient payé pour tous les contrôleurs. Des avions atterrissaient et d'autres décollaient. On a ensuite décidé de privatiser les aéroports.

M. Sabia : Ils n'ont pas vraiment été privatisés.

Le sénateur Tkachuk : Non, mais laissez-moi vous en dire plus long. Ils demandaient un loyer. Les organismes sans but lucratif locaux étaient censés assurer la gestion de ces aéroports communautaires. Je n'ai pas eu droit à une réduction d'impôts pour tenir compte du fait que le gouvernement ne payait plus pour les aéroports. En fait, je dois payer un certain montant à cette fin toutes les fois que j'achète un billet. Si j'en achète un autre, je paie encore. Il y a aussi des frais pour la sécurité. Le gouvernement a cédé les aéroports, mais nous n'en avons jamais eu pour notre argent. Nous avons tout perdu et le gouvernement a utilisé ces fonds à d'autres fins.

Si le projet d'infrastructure est rentable, pourquoi faudrait-il que le gouvernement y investisse des fonds publics?

M. Sabia : Ce n'est pas toujours le cas. Tout dépend de la nature du projet. Ce ne sont pas tous les projets qui peuvent être entièrement financés à même les revenus qu'ils génèrent. Je peux toutefois vous donner l'exemple d'un projet qui est rentable. L'autoroute 407 a été mal conçue au départ, mais elle génère maintenant d'énormes bénéfices. J'aimerais bien que nous ayons des parts dans ce projet. Au fait, nous en avions il y a plusieurs années, mais nous les avons vendues, ce qui était vraiment stupide. C'est incroyable. Il y a par contre bien d'autres projets d'infrastructure qui exigent un certain niveau de participation financière.

Je vous encouragerais à envisager différemment la façon dont le gouvernement doit s'y prendre. Pour le financement d'un projet d'infrastructure, le gouvernement n'a pas à se limiter à signer un chèque comme il l'a toujours fait. À l'instar de ce que nous faisons pour le projet réalisé à Montréal, la participation gouvernementale peut prendre la forme d'un investissement dans le capital du projet qui générera un rendement. Si l'on dit à un gouvernement qu'en investissant, disons, 1 milliard de dollars, il touchera des recettes nettement supérieures à cette somme, vous allez voir qu'il va changer complètement sa façon de faire les choses.

Le sénateur Tkachuk : Je me demande cependant pourquoi vous jugez nécessaire que le gouvernement prenne de tels risques financiers avec les deniers publics. Si un projet est effectivement rentable, pourquoi le secteur privé ne le financerait-il pas totalement?

M. Sabia : Il y a certains projets qui sont, de par leur nature même, tout à fait légitimes. Il se peut ainsi que le gouvernement souhaite, pour des raisons d'intérêt public, limiter à un certain niveau les prix des billets d'avion ou les péages sur une autoroute. Il est alors possible qu'en l'absence d'une participation financière du gouvernement, les bénéfices à attendre d'un tel projet ne soient pas suffisants pour justifier un investissement par un fonds de pension.

Il est nettement préférable pour le gouvernement de financer partiellement un projet de manière à susciter un investissement de 2 milliards de dollars, par exemple, de gens comme nous ou de fonds de retraite comme celui des enseignants ou celui de la Nouvelle-Zélande; peu importe d'où provient le capital pour cet investissement, que ce soit d'Abu Dhabi ou d'ailleurs. Il s'agit d'obtenir ces fonds pour pouvoir y aller d'un investissement d'appoint ou d'une participation au capital à hauteur de 500 millions de dollars, par exemple, ce qui est nettement inférieur à ce que la réalisation du projet aurait coûté au départ, en plus d'offrir des possibilités de rendement. Du point de vue du financement des infrastructures, c'est une formule largement préférable à tout ce que les gouvernements précédents ont pu faire au Canada.

Le sénateur Tkachuk : Vous ne m'avez pas du tout convaincu, mais je laisse la parole au prochain intervenant.

La sénatrice Marshall : Nous parlons ici de votre mode de fonctionnement actuel et de la façon dont il pourrait évoluer selon vous si la Banque d'infrastructure est mise en place. Une fois que cela sera fait et que vous pourrez observer la structure de gouvernance et les modalités adoptées par le gouvernement, il est tout à fait possible que vous ne vouliez pas faire des affaires avec le fédéral, n'est-ce pas? Il y a des organisations qui ne veulent pas transiger avec le gouvernement.

M. Sabia : Je ne peux pas vous dire le contraire. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'éventuelle structure de cette banque revêt une si grande importance. Elle doit être bien structurée et bien gérée. Les investisseurs du secteur privé et les investisseurs publics comme nous doivent la considérer comme une organisation jouissant d'une certaine indépendance et fonctionnant suivant des principes professionnels reconnus. Si ce n'est pas le cas, vous avez tout à fait raison de dire qu'il y a bien des gens qui vont avoir des hésitations.

La sénatrice Marshall : Je sais. Les gouvernements aiment contrôler les choses et n'aiment pas céder ce contrôle.

M. Sabia : C'est un aspect vraiment primordial à considérer dans l'établissement de cette banque.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Pour la Banque de l'infrastructure du Canada, étant donné qu'il s'agit un partenariat public-privé, même si on n'aime pas utiliser ce terme-là au Québec pour toutes sortes de raisons, la transparence sera très importante pour le public afin de donner de la crédibilité à l'exercice. Avez-vous pensé à une façon de communiquer directement avec le public, par exemple, au moyen d'un site web? Je pense que c'est quelque chose que le public aimerait.

M. Sabia : Je vais répondre à votre question en deux volets. Je pense, étant donné la nature du processus de planification, qu'il y aura une augmentation importante du niveau de transparence, et ce, dans la gouvernance de cette société également. Il faudra que cette institution présente, de façon annuelle ou tous les deux ans, un bilan de ses activités. Ce sera nécessaire, parce que la crédibilité demande une augmentation de la transparence.

Deuxièmement, étant donné notre projet à Montréal, nous avons dit publiquement que nous allons rendre publics nos rendements. Nous allons demander à des vérificateurs externes de vérifier notre niveau de rendement et de le comparer à celui qui est disponible sur les marchés. Vous avez raison sur la question de la transparence. Étant donné la nature du nouveau modèle, il faut bâtir la crédibilité aux yeux de Madame et Monsieur Tout-le-Monde. Nous devons aller deux ou trois étapes au-delà du statu quo pour présenter en toute transparence notre niveau de rendement et la façon dont nous prenons nos décisions afin de bâtir cette crédibilité. Tout à fait.

[Traduction]

Le président : Vous nous avez livré un excellent témoignage et nous vous sommes certes reconnaissants pour le temps que vous nous avez consacré, d'autant plus que vous avez fait la même chose du côté de la Chambre.

Nous allons bientôt présenter notre premier rapport provisoire dans le contexte de cette étude sur le financement des infrastructures et nous nous réjouissons que vous ayez mentionné certains des éléments stratégiques que nous avons mis de l'avant et des mesures que le gouvernement doit prendre pour améliorer sa propre situation.

M. Sabia : Je parle au nom de la Caisse de dépôt. Nous avons analysé toutes ces questions vraiment en profondeur. Macky a constitué toute une équipe de spécialistes qui le tiennent au fait de la situation. Si nous pouvons faire quoi que ce soit pour vous guider dans votre réflexion, nous serons très heureux de vous prêter main-forte. Nous vous prions de nous considérer comme une source d'expertise.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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