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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule n° 26 - Témoignages du 1er mars 2017 (séance du soir)


OTTAWA, le mercredi 1er mars 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 18 h 49, pour poursuivre son étude sur les incidences financières et considérations régionales du vieillissement démographique au pays.

Le sénateur Larry W. Smith (président) occupe le fauteuil.

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des finances nationales, dont je suis le président. Je m'appelle Larry Smith, et je viens du Québec. Permettez-moi de vous présenter les autres membres du comité :

[Français]

À ma gauche, du Nord de l'Ontario, la sénatrice Moncion. À sa gauche, nous avons notre super étoile.

[Traduction]

Le sénateur André Pratte, de Montréal, un homme formidable qui a beaucoup donné au Sénat en peu de temps.

[Français]

À ma droite, du Nouveau-Brunswick, l'une des personnes à l'origine de la présente étude, le sénateur Mockler.

[Traduction]

Le sénateur Éric Forest, qui était un grand athlète à une époque et qui pense l'être toujours, vient de Rimouski, au Québec.

À sa droite, on retrouve la sénatrice Beth Marshall, surnommée « le marteau », en raison de son attitude intransigeante face aux problèmes lorsqu'elle était vérificatrice générale de la province de Terre-Neuve-et-Labrador.

Enfin, nous avons « le pompier », M. Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique, appelé ainsi parce qu'il a éteint plus de feux que tout autre politicien dans l'histoire de la Colombie-Britannique.

Ce soir, nous poursuivons notre étude sur les incidences financières et considérations régionales du vieillissement démographique au pays. Nous accueillons comme témoin David K. Foot, économiste et démographe. Il est professeur émérite de l'Université de Toronto, spécialisé dans l'interaction entre l'économie et la démographie.

Nous entendrons également le Dr Granger Avery, président de l'Association médicale canadienne, ainsi que Owen Adams, le conseiller politique principal de cette organisation. Ce sera ensuite le tour de Donald Drummond, qui témoignera par vidéoconférence depuis Scottsdale, en Arizona, si les techniciens règlent le problème technique. Espérons-le, car M. Drummond a travaillé pendant presque 23 ans au ministère des Finances, ce qui nous permettra de faire le lien entre le passé et le présent.

Messieurs, soyez les bienvenus. Nous avons hâte de vous entendre. Vous ferez une brève déclaration, et nous vous poserons des questions. Je vous prie de prendre tout au plus cinq minutes, ce qui nous aidera beaucoup. L'autre jour, nous avons entendu des déclarations fort intéressantes, mais elles ont duré une heure, et nous avons perdu du temps précieux. Comme nous sommes aux prises avec un sujet aussi important et d'actualité, nous voulons vous poser les questions qui s'imposent.

Monsieur Foot, voulez-vous commencer?

David K. Foot, économiste et démographe, à titre personnel : Merci beaucoup de m'avoir invité.

Nous parlons du vieillissement de la population. Commençons par définir le terme « vieillissement ». Ce phénomène est causé par deux facteurs : tout d'abord, une meilleure espérance de vie. Nous vivons plus longtemps, Dieu merci. C'est une chose positive. Ensuite, nous avons un taux de natalité insuffisant, car les naissances sont à la baisse. Ces deux facteurs réunis causent le vieillissement de la population.

Le profil démographique du Canada en est un de « baby-boom, baby-bust, écho du baby-boom, baby-bust ». Je vous ai distribué un document afin que vous ayez des données sur lesquelles vous pourrez vous appuyer pour formuler vos opinions.

Voici le baby-boom, et avec l'arrivée du contrôle des naissances, on voit moins de naissances vers la fin des années 1960 et pendant les années 1970. Les baby-boomers ont ensuite eu des enfants, et c'est l'écho de la génération du baby- boom pendant les années 1980 et 1990, mais la baisse du taux de natalité veut dire que nous avons beaucoup moins de jeunes gens. Ces facteurs auront une très grande incidence sur l'élaboration des politiques dans l'avenir.

Si vous tournez la page, vous verrez un sommaire par tranche de cinq ans; ce qui permet d'écarter les petites variations. Ce sont les données estimées pour 2016. Les données du recensement de 2016 ne seront pas disponibles avant le mois de mai prochain, et je me suis donc servi des estimations de Statistique Canada.

Encore une fois, on voit ce profil de baby-boom, baby-bust et écho du baby-boom, ainsi que la contraction des tranches des moins de 20 ans à la base de la pyramide des âges.

Je vais me servir des deux prochains graphiques pour parler des considérations régionales, car c'est l'un des facteurs que vous voulez examiner.

À l'arrière-plan, il y a les données en couleur pour le Canada, et la ligne blanche représente le Nouveau-Brunswick, qui est une province dont la population est considérablement plus âgée. Dans chaque tranche d'âge de plus de 50 ans, la ligne blanche va plus loin, ce qui vous dit qu'il y a plus de gens âgés de 50 ans ou plus au Nouveau-Brunswick par rapport à la moyenne nationale. Cela vaut pour toutes les provinces de l'Atlantique et, dans une mesure beaucoup plus modeste, le Québec également. Dans l'Ouest, c'est tout le contraire. Notre province la plus jeune est l'Alberta, et vous voyez pour les tranches d'âge des 50 ans et plus en Alberta que la ligne blanche se situe à l'intérieur de la zone des données en couleur, ce qui indique que l'Alberta a considérablement moins de gens dans les tranches des 50 ans et plus, et en comparant le Nouveau-Brunswick et l'Alberta, vous comprendrez les considérations régionales du vieillissement régional de la population.

Quelles en sont les répercussions macroéconomiques? La croissance démographique ralentit; il y a moins de personnes en deçà de 20 ans qui s'ajoutent à la population active, beaucoup moins et, par conséquent, nous connaîtrons un ralentissement considérable de la croissance économique. Ce phénomène se produit déjà depuis longtemps. Pendant les années 1950 et 1960, nous affichions un taux de croissance économique réelle de 5 p. 100; pendant les années 1970 et 1980, c'était 4 p. 100; pendant les années 1990 et 2000, 3 p. 100. À l'heure actuelle, nous sommes heureux si nous obtenons un taux de croissance réelle de 2 p. 100. C'est tout de même considérablement plus élevé que presque tous les autres pays développés, mais nous en discuterons une autre fois.

Le ralentissement de la croissance de la population active et de la croissance économique veut dire qu'il sera beaucoup plus difficile de rembourser la dette nationale. L'accumulation d'une dette nationale est beaucoup plus inquiétante lorsque l'économie s'essouffle, car il devient plus difficile d'amortir, de réduire et d'éliminer la dette nationale.

L'incidence microéconomique du vieillissement de la population correspond à une évolution des tendances en matière de dépenses. Au fur et à mesure que les gens vieillissent, ils dépensent moins sur la garde des enfants et les vêtements, et plus sur les soins dentaires et les médicaments, et cela correspond à la progression logique des gens qui vieillissent, c'est-à-dire une évolution de leurs habitudes de dépenses. Nous observons cette tendance depuis que Statistique Canada a commencé à recueillir des données à ce sujet pendant les années 1960. Nous enregistrons cette tendance depuis 50 ans.

À l'échelon fédéral, vous dépensez moins sur l'entretien des enfants et leur éducation et plus sur les soins de santé et les pensions. Vous économisez dans un domaine et vous dépensez dans l'autre. Il reste encore à savoir s'il y a suffisamment d'argent à dépenser ailleurs, mais que ce soit au niveau individuel ou à l'échelon fédéral, nous observons une évolution des tendances dans les dépenses qui est associée au vieillissement.

Une meilleure espérance de vie veut dire que la plupart des dépenses liées à la santé sont reportées. C'est vers la dernière année d'une vie qu'on dépense le plus dans ce domaine, et maintenant, votre dernière année qui correspondait autrefois à 75 ans est maintenant 80 ou 85 ans, mais c'est toujours la dernière année de votre vie. Le fait de vieillir n'entraîne pas forcément plus de dépenses. Cela reporte les dépenses, et nous en profitons actuellement avec les baby- boomers. Ce ne sont pas de nouvelles tendances qui sont propres au Canada. Nous le savons depuis longtemps.

Parlons maintenant de solutions. La première solution consiste à se rappeler que lorsque les baby-boomers, cette cohorte énorme, étaient jeunes, les autres échelons gouvernementaux s'occupaient des jeunes gens. Les municipalités sont responsables des activités récréatives et de la garde d'enfants, par exemple. Les gouvernements provinciaux ont la responsabilité de l'éducation postsecondaire. Dans notre Constitution, il revient au gouvernement fédéral, c'est-à-dire à l'échelon le plus élevé, de s'occuper des personnes âgées. Lorsque les baby-boomers étaient jeunes, pendant les années 1960 et 1970, nous avons dû céder des points d'impôt aux provinces qui pouvaient ensuite transférer certaines dépenses aux municipalités. Au fur et à mesure que la population vieillit, le gouvernement fédéral devrait en fait récupérer ces points d'impôt. Voilà ce que notre histoire nous dit. Je sais qu'aucun d'entre vous ne le fera, mais je voulais vous rappeler notre histoire. Ce sont les autres échelons gouvernementaux qui s'occupent des jeunes. Le gouvernement fédéral a la responsabilité principale des personnes âgées. Dans une société vieillissante, cela veut dire que les dépenses sont reportées.

Comment allons-nous payer tout ça? Tout le monde pense que son propre secteur est le plus important, que ce soit les soins de santé, les services récréatifs, la justice pénale ou encore la voirie et l'infrastructure. J'ai rencontré des représentants de nombreux ministères. Chacun pense que son domaine est le plus important et tout le monde veut dépenser plus. Je viens de vous dire que la dette devient de plus en plus difficile à gérer. Comment sortir des sentiers battus?

Nous devrions probablement instaurer une taxe modeste qui représenterait un dixième ou un cinquième de 1 p. 100, ce que l'on appelle une taxe de 10 ou de 20 points de base, sur toutes les transactions boursières effectuées au Canada. Actuellement, si je vends des actions aux États-Unis, un droit est perçu de façon automatique. Il est très facile de faire une telle déduction et cela n'entraîne aucun fardeau bureaucratique. Si vous ne voulez pas imposer une taxe sur toutes les transactions boursières, songez à une taxe sur toutes les opérations de change, c'est-à-dire toute opération de conversion du dollar canadien, ce qui générerait des milliards de dollars. C'est la façon de payer notre système de soins de santé dans l'avenir. On devrait réserver cet argent aux soins de santé et non l'ajouter aux revenus généraux. Les Canadiens ne font plus confiance aux politiciens, mais si vous placez cet argent dans un fonds spécial pour les soins de santé et chaque Canadien croit pouvoir en profiter, vous aurez leur soutien que ce soit pour l'une ou l'autre de ces taxes. Nous pourrons nous permettre des soins dentaires ainsi que de l'assurance-médicaments si nous sortons des sentiers battus pour trouver un financement approprié.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Foot.

Je souhaite la bienvenue à Don Drummond, professeur auxiliaire et titulaire de la chaire Stauffer-Dunning de l'École de politiques publiques de l'Université Queen's.

Je vous rappelle que M. Drummond a travaillé pendant presque 23 ans au ministère des Finances du Canada, dans le domaine de l'analyse économique et des prévisions économiques aux fins d'imposition. Nous vous souhaitons la bienvenue et nous nous excusons du retard.

Le Dr Avery et M. Adams feront maintenant leur déclaration. Nous avons demandé aux témoins de prendre de trois à cinq minutes pour leur déclaration parce que nous avons beaucoup de questions à poser.

Dr Granger Avery, président, Association médicale canadienne : Merci beaucoup. Bonne soirée, mesdames et messieurs.

Au nom de l'Association médicale canadienne et de ses quelque 85 000 membres, je me réjouis de cette occasion de venir témoigner devant vous.

Je vous félicite de votre étude sur l'incidence du vieillissement. Les incidences financières et les considérations régionales sont très importantes. Une telle étude s'imposait depuis longtemps, comme en témoigne le fait qu'en 1998, le vérificateur général du Canada a projeté que les dépenses publiques en santé, exprimées en pourcentage du produit intérieur brut, pourraient presque doubler entre 1996 et 2013.

Aujourd'hui, je vous parlerai de ce que nous savons au sujet de l'effet de l'évolution du profil démographique du Canada sur les dépenses en santé. Les stratèges ont eu tendance à céder à la complaisance en la matière parce qu'on a déterminé que le vieillissement de la population à lui seul augmente les dépenses en santé de 1 p. 100ou moins par année. Le vieillissement a toutefois un effet cumulatif facilement observable lorsqu'on en examine l'incidence sur la répartition des dépenses selon l'âge au fil du temps.

Par exemple, une étude réalisée pour le compte du Conseil économique de l'Ontario en 1981 prévoyait que les coûts institutionnels et médicaux afférents à la population des 65 ans et plus en Ontario passeraient de 38 p. 100 en 1976 à 47 p. 100 en 2001 et à 57 p. 100 en 2026. Les données utilisées pour cette estimation ont encore servi à des prévisions en 1981.

Les données de l'Institut canadien d'information sur la santé montrent aujourd'hui que ces projections étaient exactes. Le pourcentage réel observé s'établissait à 47 p. 100 en 2001 et à 51 p. 100 en 2014, l'année la plus récente pour laquelle des données sont disponibles. Si nous appliquions à la population projetée en 2026 les estimations les plus récentes pour l'Ontario des dépenses selon l'âge et le sexe, le pourcentage atteindrait 60 p. 100, ce qui est supérieur à la projection initiale.

Il est presque certain que ce virage imminent de la répartition exercera de lourdes pressions. Comme nous savons que les dépenses de santé moyennes par habitant grimpent de plus du tiers entre le groupe des 70 à 74 ans et celui des 75 à 79 ans, les pressions exercées par les coûts devraient s'alourdir en 2021 et par la suite lorsque la première vague de la génération des baby-boomers atteindra 75 ans, comme nous venons de l'entendre.

Le vieillissement de la population est inégal d'un bout à l'autre du Canada, ce qui préoccupe particulièrement l'AMC. Selon les estimations de la population de juillet 2016, les 65 ans et plus représentent plus de 19 p. 100 de la population dans chacune des provinces de l'Atlantique comparativement à 16,5 p. 100 pour l'ensemble du Canada.

Que faut-il donc faire? L'Association médicale canadienne préconise la mise en œuvre d'une stratégie nationale sur les aînés depuis 2014. Nos efforts ont reçu l'appui de quelque 50 000 Canadiens qui ont adhéré à la campagne « Exigeons un plan » de l'AMC et qui ont écrit presque 1 000 courriels et lettres pour exhorter le gouvernement à agir maintenant dans le dossier des aînés. Notre recommandation est claire et nous proposons quatre mesures clés que le gouvernement fédéral pourrait prendre dès maintenant pour améliorer la situation.

Tout d'abord, nous avons préconisé un montant supplémentaire au Transfert canadien en matière de santé, établi en fonction des facteurs démographiques. Ce montant supplémentaire serait fondé sur une augmentation des dépenses provinciales et territoriales de santé attribuables au vieillissement seulement et fournirait un financement supplémentaire aux administrations où la population vieillit plus rapidement. Le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement avait déjà recommandé cette mesure dans son rapport de 2009.

Deuxièmement, l'importance actuellement accordée aux soins à domicile et à la santé mentale et l'investissement que le gouvernement y affecte nous réjouissent certainement, mais le Canada aura tout de même besoin de milliers de lits de soins de longue durée supplémentaires. Nous recommandons par conséquent que le gouvernement fédéral inclue les investissements, y compris les programmes de mise à niveau et de rénovation, dans les engagements qu'il a pris d'investir dans l'infrastructure.

Troisièmement, les personnes âgées doivent aussi prendre en charge des dépenses directes plus importantes en médicaments d'ordonnance. Selon Statistique Canada, en 2015, un ménage dirigé par une personne âgée consacrait aux médicaments d'ordonnance 55 p. 100 de plus en moyenne que tous les ménages. L'AMC recommande que le gouvernement fédéral fasse un premier pas vers l'assurance universelle des médicaments d'ordonnance en établissant un programme de partage des coûts avec les provinces et les sociétés d'assurance privées qui couvrirait une partie ou la totalité des coûts excédant le moins élevé de 1 500 $ ou de 3 p. 100 du revenu annuel brut du ménage.

Quatrièmement, Statistique Canada a estimé que plus de huit millions de Canadiens jouent le rôle d'aidants naturels non rémunérés auprès d'êtres chers. Un sur cinq seulement a reçu de l'aide financière et à peine un sur vingt, c'est-à- dire 5 p. 100, a déclaré recevoir de l'aide sous forme d'un crédit d'impôt fédéral. L'AMC recommande que le gouvernement fédéral modifie les crédits d'impôt aux aidants naturels et aux aidants familiaux, afin de rendre ces crédits remboursables.

En terminant, nous avons de nombreux documents sur nos propositions que nous serions heureux de mettre à votre disposition.

Je vous remercie, et j'ai hâte de répondre à vos questions.

Le président : Monsieur Adams, avez-vous des commentaires?

Owen Adams, conseiller politique principal, Association médicale canadienne : Non, monsieur.

Le président : Monsieur Drummond, avez-vous un exposé à livrer?

Don Drummond, professeur auxiliaire et titulaire de la chaire Stauffer-Dunning, École de politiques publiques, Université Queen's, à titre personnel : Oui, merci beaucoup. Malheureusement, en raison de problèmes techniques, je n'ai pas entendu la plupart des paroles de M. Foote, mais je présume qu'il a parlé de l'aspect démographique, et nous venons d'entendre parler du secteur de la santé. Je me situe en quelque sorte au milieu, car je vais parler de l'aspect économique et financier.

Du côté économique, il est évident qu'une population vieillissante entraîne un ralentissement de la croissance économique, car la croissance de la main-d'œuvre ralentit. Le ministère des Finances et le directeur parlementaire du budget ont récemment publié des prévisions économiques à plus long terme selon lesquelles le taux de croissance future du Canada serait de 1,7 p. 100. N'oubliez pas que sur le plan historique, par exemple dans les années 1960 et 1970, le taux de croissance était de 3 à 4 p. 100. Aujourd'hui, la plupart des gens estiment qu'il est de 2 à 2,5 p. 100. Nous devons nous rendre compte qu'il sera beaucoup moins élevé à l'avenir. Dans les travaux que j'ai menés en 2015 pour le Conseil de la Fédération, j'ai estimé que le taux serait de 1,55 p. 100 — je ne couperai pas les cheveux en quatre pour savoir s'il est de 1,55 ou de 1,7 p. 100, même si cela fait une grosse différence au fil du temps. Dans l'étude du comité, vous examinez également les effets régionaux, et je tenais donc à souligner que ce taux de 1,55 p. 100 représente la moyenne nationale. Le Nouveau-Brunswick, par exemple, a un taux de 0,5 p. 100, ce qui est conforme à la moyenne de 1,55 p. 100 si l'on tient compte de la situation démographique de la province. En effet, le nombre de personnes âgées augmente de l'Ouest à l'Est, et les taux de croissance plus élevés ont donc tendance à se retrouver dans l'Ouest et les moins élevés dans l'Est.

Que peut-on faire à cet égard? Il y a seulement deux solutions : augmenter la main-d'œuvre ou augmenter la productivité. Nous pouvons augmenter la main-d'œuvre dans les catégories où elle est sous-représentée, c'est-à-dire chez les femmes, les immigrants, les handicapés et les Autochtones. J'aimerais parler des Autochtones pendant quelques instants, car je crois que c'est important. En effet, les Autochtones représentent environ 4,5 p. 100 de la population canadienne, mais au cours des 10 à 20 prochaines années, ils seront responsables de 8 à 12 p. 100 de la croissance de la main-d'œuvre canadienne. C'est parce qu'environ la moitié de la population des Premières Nations est âgée de moins de 25 ans, et cette population représente donc une très grande partie de l'augmentation de la main- d'œuvre.

Le président : Excusez-moi, monsieur, mais je dois vous interrompre pendant un moment. Pourriez-vous ralentir un peu, car nous tentons de traduire de l'anglais au français pour certains de nos collègues francophones. Si vous pouviez ralentir un peu, cela nous aiderait beaucoup. Vous n'avez pas à recommencer votre exposé. Vous pouvez reprendre où vous vous êtes arrêté.

M. Drummond : Je vais reprendre où je me suis arrêté. Je disais qu'en ce qui concerne la moyenne canadienne, les Autochtones du Canada représenteront de 8 à 12 p. 100 de la main-d'œuvre au cours des prochaines décennies. Toutefois, en raison d'intérêts régionaux, en Saskatchewan et au Manitoba, cette contribution représentera de 30 à 50 p. 100. C'est une bonne estimation si on parle de l'échelle régionale. L'orientation générale des économies de la Saskatchewan et du Manitoba dépendra de ces jeunes Autochtones. Vous savez aussi bien que moi, et peut-être même mieux que moi, que leur situation n'a pas été facile jusqu'ici. Il s'agit certainement d'un facteur que nous devons examiner plus attentivement. L'engagement du premier ministre de combler cet écart socioéconomique est prometteur dans ce dossier.

Le Canada s'efforce maintenant depuis des décennies d'augmenter la productivité, mais les résultats sont décevants. Nous pourrions tenter de reproduire certaines mesures déjà mises en œuvre. Toutefois, l'une des choses que nous n'avons pas suffisamment tenté de faire au Canada, c'est d'améliorer le jumelage entre la demande en main-d'œuvre et l'offre de main-d'œuvre — c'est-à-dire de cerner les besoins en main-d'œuvre des entreprises — et de tenter de combler cette demande par l'entremise des cours offerts dans les universités et les collèges et de ceux que les étudiants choisissent.

Brièvement, en ce qui concerne l'aspect financier, le gouvernement fédéral, malgré cette croissance lente, se trouve dans une position raisonnable pour assurer la durabilité, car le ratio dette-PIB ne devrait pas augmenter — en fait, il pourrait même diminuer. Il y a deux moyens principaux qui permettent d'y arriver. Tout d'abord, limiter l'augmentation des transferts aux provinces pour qu'ils soient équivalents au PIB ou à une croissance de 3,5 p. 100 et deuxièmement, limiter l'augmentation du programme de péréquation à 3,5 p. 100. Les problèmes économiques au niveau national n'ont pas vraiment été ressentis à l'échelon fédéral, car il a pris des mesures à cet égard. Manifestement, il pourrait prendre d'autres mesures. En effet, pendant quelques années, on avait adopté une politique pour faire passer l'âge auquel on a droit à la Sécurité de la vieillesse et au Supplément de revenu garanti de 65 à 67 ans. Le gouvernement a annulé cette décision, et cela augmentera manifestement la pression qui s'exerce dans ce domaine.

Je suis plus préoccupé au sujet des provinces, car la facture des soins de santé est en grande partie leur responsabilité. Si nous prenons une donnée comme le taux de croissance économique réel de 1,5 p. 100 et que nous y ajoutons la cible d'inflation du Canada de 2 p. 100, cela signifie que la croissance du revenu nominal sera d'environ 3,5 p. 100 à l'échelle du Canada. Les revenus provinciaux et fédéraux ont tendance à croître au même rythme que le PIB nominal, ce qui représente un taux de croissance des revenus de 3,5 p. 100.

Si on le laisse à lui-même, je crois que le secteur des soins de santé retrouvera probablement un taux de croissance d'environ 6 p. 100 et peut-être même un taux plus élevé. Je crois que les provinces auront de la difficulté à absorber cette croissance, étant donné que les transferts fédéraux sont à 3,5 p. 100 et en raison de leurs systèmes fiscaux existants. Les provinces comprimeront sans doute d'autres éléments, comme elles le font déjà, mais c'est une situation difficile.

En ce qui concerne l'aspect régional — je suis désolé de m'acharner sur le Nouveau-Brunswick, mais cette province représente un exemple extrême dans presque tous ces cas —, on remarque une faible croissance économique. Toutefois, en raison de leur population plus âgée, cette province et d'autres — Terre-Neuve-et-Labrador, la Nouvelle-Écosse, l'Île-du-Prince-Édouard et le Québec ne sont pas loin derrière — subiront des pressions plus importantes en ce qui concerne leur facture en matière de soins de santé.

Je n'ai rien mentionné au sujet des municipalités, mais je crois qu'elles éprouveront des difficultés financières pendant cette période à cause, en partie, de leur croissance plus lente. Toutefois, étant donné que la population a de plus en plus tendance à prendre une longue pause et que le nombre de régions municipales est plus restreint, elles auront de plus en plus de difficulté à se constituer une grande assiette fiscale. Si vous voulez un exemple, vous n'avez qu'à penser à ce qui s'est produit à Toronto récemment. En effet, les municipalités ont décidé d'installer des postes de péage sur les autoroutes comme source de financement, mais la province leur a dit qu'elles ne pouvaient pas faire cela. Nous avons certainement des problèmes économiques et certains problèmes financiers qui doivent être examinés, surtout à l'échelon provincial et municipal. Merci.

Le sénateur Woo : J'aimerais remercier tous les témoins de leur exposé.

Permettez-moi d'abord d'aborder la solution suggérée par M. Foot, c'est-à-dire de taxer les transactions financières, surtout les transactions boursières. On appelle aussi cela la taxe Tobin, je crois, mais pour une raison différente. Votre langage non verbal a laissé croire qu'il s'agit d'une variation de la taxe Tobin. Pourriez-vous nous en parler un peu plus et nous préciser si vous visez plusieurs objectifs stratégiques, y compris les objectifs de la taxe Tobin, ou si cette solution vise uniquement à trouver une façon d'augmenter les revenus pour couvrir les coûts liés aux soins de santé?

M. Foot : Elle vise uniquement à augmenter les revenus pour les soins de santé. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas été d'accord avec vous lorsque vous avez dit qu'il s'agissait d'une taxe Tobin, car cette taxe avait un objectif précis. Les gens l'avaient suggérée pour amasser des fonds pour l'aide internationale, par exemple. Je ne parle d'aucune de ces choses.

D'énormes sommes d'argent passent par le secteur financier. Ce secteur est très rentable, et nous pouvons attribuer le quasi-effondrement de l'économie en 2008-2009 à ses intervenants. Personne ne s'est fait taper sur les doigts relativement à cette situation. La population en général est furieuse et je crois que le secteur financier peut très bien se permettre de commencer à payer certains de nos coûts en matière de santé.

Je ne veux pas lier cela avec des éléments de l'époque avant Tobin, et je n'énumérerai pas une liste d'autres éléments. Il s'agit purement d'amasser de l'argent pour constituer un fonds de soins de santé. Il est parfaitement clair que les revenus serviront à améliorer la santé des Canadiens.

Le sénateur Woo : Les banques viennent tout juste d'annoncer des profits records la semaine dernière, comme nous le savons tous...

La sénatrice Moncion : Et c'est seulement pour le premier trimestre.

Le sénateur Woo : Exactement, c'est seulement pour le premier trimestre, ce qui signifie qu'on annoncera d'autres profits. Toutefois, ils ne sont pas tous liés à des opérations commerciales sur fonds propres ou à des activités boursières. Ce n'est peut-être pas le meilleur endroit pour discuter des détails de la conception de cette taxe, mais avez- vous réfléchi aux conséquences prévues et imprévues sur le secteur financier?

M. Foot : Manifestement, il faut réfléchir aux conséquences prévues et imprévues.

L'une des raisons, c'est qu'en commençant par une petite taxe, c'est-à-dire un dixième de 1 p. 100, l'effet est mineur. Nous savons que de nombreuses taxes n'ont aucun effet sur les comportements à moins qu'elles soient très élevées. Il faut renverser la situation. Si vous souhaitez que les gens modifient leurs décisions liées à l'environnement, vous devez imposer des taxes élevées. Les taxes peu élevées n'ont pas tendance à faire changer les comportements.

Toutefois, il peut y avoir de petits changements, par exemple incluons-nous seulement les actions? Il y aura beaucoup de détails à régler au fur et à mesure. Toutefois, comme je vous l'ai dit, si je vends une action américaine, une taxe est automatiquement imposée. Les Américains ne l'appellent pas une taxe, car la SEC l'appelle un frais, un droit de timbre. Elle s'applique automatiquement et est perçue électroniquement. On n'a pas besoin d'une énorme bureaucratie et elle s'inscrit dans l'ensemble du budget pour la surveillance du secteur financier. Pourquoi ne pouvons- nous pas faire quelque chose de similaire au Canada, mais à une plus petite échelle pour commencer, afin de le faire correctement et ensuite à plus grande échelle si nous décidons d'adopter cette politique?

Le sénateur Woo : Sans entrer trop profondément dans le mécanisme de la taxe, pourrions-nous entendre l'opinion d'un ancien économiste bancaire et d'un agent financier au sujet de l'idée d'une taxe sur les transactions financières qui servirait essentiellement à financer l'augmentation des coûts en matière de soins de santé? Je m'adresse évidemment à M. Drummond.

M. Drummond : Je déteste confirmer la vieille blague selon laquelle les économistes ne sont jamais d'accord entre eux, mais je suis en désaccord avec cette opinion.

Je crois que nous avons beaucoup de revenus au Canada. Nous avons suffisamment de revenus pour nous occuper de la population vieillissante. Cela ne signifie pas que nous ne devrions rien faire. Nous ne devrions jamais accepter sans rien faire un taux de croissance naturelle de 1,55 p. 100 — ce sont mes calculs, car le ministère des Finances a calculé un taux de 1,7 p. 100. Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire pour augmenter ce taux de croissance. Même une augmentation du taux de croissance de 1,5 à 2 p. 100 permettrait de réduire une grande partie de cette pression.

Je crois que le gouvernement fédéral doit augmenter les transferts en matière de soins de santé aux provinces. Je ne crois pas que ce soit juste ou correct et les soins de santé augmenteront plus rapidement que le PIB. C'est inévitable. C'est ce que les Canadiens veulent. C'est ce qu'ils méritent. C'est leur priorité. Il n'y a rien de mal à ce que cela augmente plus rapidement que le PIB. Le gouvernement fédéral affirme délibérément qu'il sera une part réduite de cela. Je crois que l'augmenter à 4 p. 100 permettrait de réduire une grande partie de la pression qui s'exerce sur les provinces. À ce moment-ci, j'hésite à ajouter du financement dans le domaine des soins de santé.

Nous avons fait cela dans les années 2000 par l'entremise de l'accord sur les soins de santé et honnêtement, à mon avis, cela a mené à la catastrophe. Il n'y avait aucune reddition de comptes et cela a seulement entraîné une compensation plus élevée. Nous n'avons pas obtenu les réformes en matière de soins de santé dont nous avons besoin, et je suis désolé — comme vous le savez, j'ai des antécédents en comptabilité —, mais nous ne semblons pas être en mesure d'obtenir une réforme en matière de soins de santé pour de bonnes raisons, par exemple notre système est extrêmement inefficace et nous n'avons pas vraiment des soins de qualité.

Nous l'obtiendrons peut-être seulement pour des besoins financiers, et je ne crois donc pas que c'est une mauvaise chose de continuer à exercer une certaine pression financière sur le secteur des soins de santé. Les provinces doivent réduire ce taux de croissance nationale de 6 p. 100 à 4,5 ou à 5 p. 100, et je crois qu'elles s'en tireront mieux lorsque ce sera fait.

[Français]

Le sénateur Forest : On peut appeler cela des frais de transaction. Je pense que l'idée est intéressante, surtout quand on regarde l'évolution de la TPS lorsqu'elle est passée de 7 p. 100 à 5 p. 100. Si on vise à ce que les banques aient une contribution dans le cadre des transactions, ne croyez-vous pas qu'elles refileront la facture directement aux consommateurs, qui feront des transactions sur le marché des obligations ou des actions? C'est le contribuable qui devra payer en fin de compte.

[Traduction]

M. Foot : Pas nécessairement. Premièrement, on peut imposer une taxe sur le marché boursier sur le vendeur et l'acheteur. Vous pouvez avoir 10 points de base sur le vendeur et l'acheteur.

Je crois que vous vous rendrez compte que les grandes entreprises paieront une grande partie de la taxe sur les opérations de change. Une grande partie de l'argent étranger qui circule maintenant au Canada est seulement investi dans l'achat de nos logements, et cela ne donne rien au gouvernement canadien.

Ce n'est pas seulement des Canadiens d'ici, nécessairement. Ce pourrait être des étrangers qui arrivent ici avec leur argent, des entreprises. On peut la répartir entre l'acheteur et le vendeur. On n'est pas obligé de l'imposer seulement au consommateur. Actuellement, on impose les frais bancaires au consommateur, ce qui soulève beaucoup de protestations, mais on n'y peut vraiment rien.

Sur le marché des changes, les banques ont fait passer de 5 à 7 p. 100 la différence entre les taux acheteur et vendeur, et l'économie ne s'est pas arrêtée pour autant. Elles ont donc augmenté leurs profits en augmentant cette différence. Il ne me paraît pas obligatoire de faire payer seulement le consommateur.

[Français]

Le sénateur Forest : Ma question porte sur le phénomène de l'augmentation de l'espérance de vie, qui aura un impact sur le taux de croissance du PIB. Le rendement sera moins important, surtout pour l'ensemble des régimes de retraite. Au Québec, le calcul était simple. On prenait sa retraite de plus en plus tôt et on vivait plus longtemps. Dans les secteurs public et parapublic dotés de régimes de prestations déterminées, il est clair que cela a un impact majeur sur les coûts en matière de santé. Avez-vous fait une évaluation des impacts sur la capitalisation de nos régimes? Cela peut éventuellement avoir une incidence très importante sur l'équilibre de la capitalisation de nos grands fonds de retraite.

[Traduction]

M. Foot : Il y a beaucoup de questions cachées là-dessous.

D'abord, l'argent que retirent les Canadiens de leurs fonds de retraite, de leurs REER et ainsi de suite devient un revenu imposable dans tous les cas, ce qui aide l'État. Le vieillissement de la population et les départs à la retraite ne signifient pas un afflux de recettes pour l'État. De plus, ces baby-boomers, particulièrement la moitié la plus âgée, sont assez riches. Ceux des tranches supérieures d'imposition verseront des impôts élevés.

Ensuite, je me fie à l'actuaire canadien qui juge le Régime de pensions du Canada en bonne santé. Je n'ai pas les ressources pour creuser plus que lui. J'ai vociféré contre le secteur privé pour ses prévisions trop optimistes de la croissance des revenus parce qu'il croit que l'économie continuera de croître plus vite, tandis que M. Drummond et moi avons livré le message que ça n'arrivera pas. Je ne crois pas qu'on ait assez tenu compte des hypothèses d'une plus longue espérance de vie.

Vous rendez-vous compte qu'elle augmente de deux ans chaque décennie? Celle d'un quinquagénaire a augmenté de 10 ans depuis sa naissance. C'est énorme. Beaucoup de régimes de retraite privés n'en ont pas tenu compte assez. Je m'inquiète beaucoup plus pour ces régimes que pour les régimes de retraite de l'État.

J'ouvre une parenthèse : je pense que la mesure la plus ridicule jamais prise a été de maintenir les taux d'intérêt à un niveau si bas qu'il est très difficile pour les baby-boomers et les fonds de retraite en général d'obtenir les revenus nécessaires ultérieurement au versement des pensions. L'idée de les abaisser pour stimuler l'investissement, ce qui ne s'est pas produit, est ridicule. Elle aggrave le problème que vous avez soulevé et qui, je pense, découle de la généralisation des bas taux d'intérêt.

Le sénateur Forest : Merci.

Le sénateur Pratte : Ma question s'adresse vraiment au Dr Avery et à M. Drummond, sur l'augmentation inévitable des frais médicaux, du fait du vieillissement de la population.

Depuis 30 ans, à titre de journaliste, je suis les problèmes du réseau de santé. L'augmentation rapide de ces frais m'a fait en quelque sorte perdre espoir. L'État fédéral a essayé de subventionner les provinces. Ça n'a pas vraiment été efficace. Il a essayé de donner moins d'argent aux provinces. Le résultat n'a pas été vraiment meilleur. Je pense que les provinces ont multiplié les stratégies, les changements, les réformes de toutes sortes. Le système n'est pas vraiment devenu plus efficace.

Il ne semble pas y avoir de solution unique ni même plusieurs solutions à la soif d'argent du système, que nous ne pourrons peut-être pas satisfaire. Je constate que la stratégie en quatre points de l'Association médicale canadienne a besoin de beaucoup d'argent. C'est probablement nécessaire, mais ça demande beaucoup d'argent n'est-ce pas?

Qu'allons-nous faire? Malgré cet argent, le système sera-t-il finalement plus efficace? Pas sûr.

Le Dr Avery : Je vous remercie pour cette question très importante. On peut considérer le problème peut-être d'au moins deux manières. L'une est de réfléchir comme vous venez de le faire sur un plus grand financement du système. L'autre est d'adapter le système, le rendre plus efficace et plus sensible.

Tous les programmes recommandés par l'Association sont conçus pour augmenter l'efficacité du système. C'est un aspect fondamental.

Prenons un exemple. Actuellement, au Canada, chaque lit d'hôpital est occupé un jour sur six par un patient, presque toujours une personne âgée, qui devrait être soigné ailleurs. Ça signifie que le sixième de nos dépenses hospitalières, qui constituent la majorité des frais de santé au Canada, se font en pure perte, au détriment, souvent, du patient. Cet argent pourrait être dépensé ailleurs beaucoup plus judicieusement. On pourrait soigner ce patient beaucoup mieux ailleurs, chez lui ou dans un centre de soins de longue durée.

Je vous affirme que si nous pouvions le faire, les recommandations que nous avons entendues feraient honte. Il faut reconstruire notre système. En réglant le problème appelé cavalièrement occupation prolongée, nous pourrions économiser des milliards. Ça améliorerait la santé, parce que la santé est franchement menacée dans un lit d'hôpital de soins de courte durée. Si on n'y fait pas attention, on risque de subir l'attaque de bestioles nocives. Il y a aussi le problème plus subtil mais tout aussi grave de la démence nosocomiale.

Le sénateur Pratte : Je suis désolé de vous interrompre, mais vous avez entendu que le problème est décrit exactement comme vous venez de le faire depuis 20 ans au moins et que, malgré les promesses des gouvernements de le résoudre depuis autant de temps, il persiste. C'est visiblement de l'impuissance.

Le Dr Avery : Je pense que le gouvernement a tenté de le résoudre par l'accord sur la santé et que c'était la bonne façon de faire, créer une norme vraiment nationale qui pourrait imposer des conditions sur la façon de résoudre le problème. Par exemple, un temps d'attente garanti mettrait de la pression sur les réseaux provinciaux et territoriaux pour qu'ils s'occupent de l'utilisation inappropriée des lits par les personnes âgées. Ils pourraient y parvenir par diverses stratégies. Des normes nationales sont des éléments de solution très importants. Nous comprenons qu'il fallait s'attendre à certains arrangements sur le plan politique avec certains territoires et provinces, mais ça ne ferme pas non plus la porte aux normes nationales. Je crois effectivement qu'elles font partie de la solution.

Le sénateur Pratte : Monsieur Drummond, qu'en pensez-vous?

M. Drummond : Votre observation sur le désarroi général m'a interpellé. Ma vision est différente. Je pense que beaucoup savent exactement quoi faire et je vous parie que si nous en réunissions vingt ici, ils dresseraient des listes presque identiques.

Si nous savons quoi faire, pourquoi, alors, rien ne se produit-il pas? C'est le paradoxe et l'énigme. Si, par exemple et à partir de zéro, nous concevions maintenant un système de santé, le résultat de chacun semblerait assez différent et il semblerait différent du système actuel. Chaque système serait fondé sur des renseignements servant à affecter les soins là où vont les patients et d'après la mesure des résultats. Or, nous ne mesurons même pas les résultats. Nous mesurons ce que nous déboursons. Nous rémunérons les médecins à l'acte, ce qui encourage l'augmentation du nombre d'actes, sans tenir compte de la qualité. On ne les paie pas pour prendre le mieux soin de leurs patients. En fait, en dirigeant les patients vers les bons endroits, les médecins risquent de perdre de l'argent.

Nous n'utilisons pas de tests diagnostiques. Nous vérifions plus que nécessaire des éléments avérés sans valeur. Nous ne faisons pas d'analyses sanguines standard pour les adultes atteints du diabète de type II. Surprise! Nous avons le plus haut taux d'incidence de ce diabète et, dans le monde développé, toutes sortes de choses ne tournent pas rond dans le système de santé, mais, toujours, on en revient à cette question : « Pourquoi ne le faisons-nous pas? »

C'est en partie, je pense, parce que la plupart du temps les politiciens ne s'y sentent pas obligés. Pourquoi la croissance des soins de santé a-t-elle été très rapide entre 1998 et 2008? Parce que les revenus entraient rapidement. Pourquoi a-t-on comprimé les dépenses au milieu des années 1990? Vous avez dit que, dans les réseaux de santé, on ne semble pas pouvoir réduire le taux de croissance, mais ça fait maintenant cinq ans que les taux d'augmentation des dépenses sont très faibles à l'échelle du Canada, parce que les provinces sont serrées. Elles pratiquent alors l'austérité, mais, malheureusement, elles tendent à tout réfréner plutôt que d'appliquer ces principales réformes. Mais le principal obstacle est que les Canadiens idéalisent leur système de santé. Gare alors au politicien qui se propose de le réparer. Pourquoi cette idéalisation? Eh bien, il est meilleur marché que celui des Américains, et, sous la plupart des rapports, il nous protège généralement mieux, mais, par rapport aux systèmes de santé d'autres pays développés, il se trouve, au mieux, dans le milieu du peloton. Il arrive au deuxième rang des plus coûteux et il produit des résultats moyens, ce qui témoigne d'une certaine inefficacité.

Parmi les 11 pays étudiés par le Fonds du Commonwealth, nous sommes, sur le plan de l'efficacité, les avant- derniers, devant les États-Unis. Mais nous savons quoi faire. Le Sénat nous l'a dit dans le rapport Kirby, qui remonte à assez longtemps, mais qui reste d'actualité, qui contient beaucoup de bonnes réponses et que beaucoup d'intervenants, y compris votre serviteur, répètent parce que nous ne pigeons pas.

La sénatrice Ataullahjan : Monsieur Drummond, d'après un reportage récent de Radio-Canada, le comité consultatif économique du premier ministre Trudeau a recommandé le relèvement de l'âge de la retraite au Canada. Dans son rapport, il réclame la révision et le relèvement de l'âge d'admissibilité à la Sécurité de la vieillesse et au Régime de pensions du Canada. Il a aussi proposé que le gouvernement examine diverses modalités incitatrices, notamment retarder les versements du régime et de la Sécurité de la vieillesse jusqu'après 70 ans, pour inciter les travailleurs actifs à le rester plus longtemps.

Je tiens à savoir quel sera l'impact chez les jeunes Canadiens qui sont incapables de se trouver du travail parce que de plus en plus de Canadiens travaillent plus longtemps. Quelle est l'efficacité de nos mesures actuelles pour l'emploi chez les jeunes?

M. Drummond : D'abord, il ne fait absolument aucun doute que le marché du travail n'est pas tendre pour les jeunes, mais ça s'améliorera. Il est question de ralentissement de la croissance de la main-d'œuvre, et des entreprises signalent des pénuries. Ces entreprises, à qui s'adresseront-elles? Aux jeunes. Si tout va bien, elles s'adresseront de plus en plus aux Autochtones. Certains groupes de femmes et de personnes handicapées sont plus faiblement représentés dans la population active. Il y a là un bassin de main-d'œuvre où il faudra puiser, parce que, dans le passé, l'économie n'en avait que pour les baby-boomers. À un moment donné, on s'adressera aux jeunes. Est-ce que c'est pour très bientôt? Eh bien, ça dépendra dans une certaine mesure du temps pendant lequel les vieux s'accrocheront à leurs emplois.

Monsieur Foot, d'après votre historique des caractéristiques démographiques de la population, à la création du Régime de pensions du Canada et d'autres régimes, la durée moyenne de la retraite n'était habituellement que de 10 ou 15 ans. Les fonctionnaires, même s'il leur est plus difficile, maintenant, d'obtenir la retraite anticipée, pouvaient, ces cinq dernières années, prendre la retraite à 55 ans presque sans pénalité, et néanmoins vivre jusqu'à la fin de leurs 80 ou 90 ans. C'est absolument mieux pour eux. Dans ce contexte, il est tout à fait raisonnable d'affirmer que l'employé embauché à 22 ans devrait prévoir de travailler jusqu'à 67 ans, parce que c'est une façon beaucoup plus réaliste de concilier le nombre d'années de travail et d'économies et la durée de la retraite.

La sénatrice Marshall : Revenons au financement des soins de santé et à la question du sénateur Pratte. Ça m'intéresse beaucoup, parce que M. Drummond a fait des observations sur le financement des soins de santé très tôt au début de la séance. Docteur Avery, quelle est votre opinion à ce sujet? Croyez-vous que si le gouvernement ne finançait pas si généreusement les soins de santé, il vient de porter sa contribution à 3,5 p. 100, croyez-vous qu'une augmentation moindre obligerait le secteur de la santé à changer? Depuis des décennies, on entend dire qu'il y faut des changements, mais le gigantisme du système semble l'empêcher de changer ou de comprimer les coûts par des mesures majeures.

Croyez-vous que si le gouvernement fédéral employait vraiment la manière forte et accordait 1 p. 100, par exemple, au lieu de 3,5 p. 100, sans discussion possible, ça ne forcerait pas les provinces à s'occuper de leur système de santé? Est- ce que ce serait une solution?

M. Drummond : Je crois que le gouvernement fédéral emploie la manière forte à 3,5 p. 100, parce que, en moyenne, dans l'ensemble des provinces, la croissance des coûts de santé sera de 6 p. 100 et peut-être plus. Les provinces devront entamer des réformes importantes uniquement pour abaisser ce taux de croissance à 5 p. 100. Les 3,5 p. 100 du gouvernement commencent déjà à mettre beaucoup de pression sur les provinces.

Cette perspective me déplaît, même que, à 3,5 p. 100, je pense que ce sera encore plus difficile. Nous devrions pouvoir réaliser la réforme uniquement parce que c'est la chose à faire et obtenir un meilleur service et de meilleurs résultats, et ça devrait suffire pour catalyser la réforme, mais ça ne semble pas assez. Il semble y avoir de la pression financière, mais je suis persuadé que c'est inévitable.

L'autre aspect, dont nous avons parlé, est cette augmentation d'un point de pourcentage dans les soins de santé en raison du vieillissement de la population. Nous ne devons écarter aucune hypothèse selon laquelle ça puisse se produire. Toutes sortes de possibilités d'interventions s'offrent à nous, notamment la médecine personnalisée. Il se peut que, dans 10 ou 20 ans, sans interventions supplémentaires, et je n'essaie pas de jouer au petit comptable obsédé par la moindre dépense, ce sera une bonne nouvelle parce que ça améliorera la qualité de vie et la longévité des patients, mais ce point de pourcentage risque d'augmenter. Si le gouvernement fédéral campe sur ses 3,5 p. 100, ce sera aux provinces de jouer.

Désolé de harceler encore une fois le Nouveau-Brunswick. Je pourrais m'en prendre à Terre-Neuve, à la Nouvelle- Écosse et au Québec, qui le suivent de très près. Mais, dans ces provinces, la croissance dépassera le taux national moyen de croissance, mais leurs revenus croîtront plus lentement. Aucune importance, donc, si le gouvernement fédéral donne plus que 3,5 p. 100. Ce n'est pas une crise, pas comme en 1992, quand la Saskatchewan ne savait pas si elle pourrait financer sa dette. Ce n'est pas apocalyptique à ce point, mais, depuis un certain temps, elles sont très serrées. Elles devront finir par réagir, et nous savons maintenant comment faire pour rendre le système plus efficace.

La sénatrice Marshall : Le gouvernement s'est lancé dans un grand programme d'infrastructure — un programme pluriannuel. Y aura-t-il des répercussions importantes sur les soins de santé, selon vous? Par exemple, le Dr Avery a parlé des patients requérant des soins de longue durée qui occupent des lits d'hôpitaux. Donc, s'il y a suffisamment de fonds pour augmenter le nombre de lits de soins de longue durée, la pression exercée sur le système de soins de santé devrait diminuer. C'est par rapport à la stimulation de la croissance économique, et ce serait un autre avantage pour les soins de santé.

Voyez-vous d'autres avantages concernant le financement de l'infrastructure et des répercussions positives pour les soins de santé?

M. Drummond : Pas pour les soins de santé. Je serai maintenant vraiment vilain, car je suis en désaccord avec M. Foot sur un point. Il s'agit de l'augmentation du nombre de lits de soins de longue durée. Je vais parler de deux statistiques, et vous pourrez me dire si, à votre avis, c'est lié. En 1987, le Danemark a adopté une loi interdisant la construction d'établissements de soins de longue durée supplémentaires. Selon des sondages menés auprès de la population âgée dans le monde, c'est le Danemark qui enregistre le taux le plus élevé de satisfaction.

Je crois qu'il y a un lien. Puisqu'on n'a pas ajouté de lits de soins de longue durée, les gens ont été forcés d'administrer un bon système de soins de santé. Dans une situation comme au Canada, où une personne âgée n'est pas capable de sortir de son bain, il est possible d'appeler le centre communautaire, et en 24 heures, une personne viendra installer une barre d'appui dans le bain. Elle ne peut pas préparer ses repas? Une personne viendra lui en fournir.

C'est ce que souhaitent les gens. Ils veulent rester chez eux le plus longtemps possible. Préparer le repas d'une personne ou tondre le gazon coûte beaucoup moins cher que de l'installer dans un établissement de soins de longue durée à plus de 200 $ par année. Je ne crois pas que ce soit utile.

L'une des choses que j'aimerais voir se concrétiser sur le plan de l'infrastructure au pays, c'est l'amélioration du système de gestion de l'information. Le Canada accuse un retard par rapport à pratiquement tous les autres pays développés au chapitre de la production d'information qui est utile pour les soins de santé, et il est même impossible de transférer ce que nous produisons. On ne peut pas transférer les résultats de radiographie d'un établissement à un autre. On ne peut même pas les transférer d'un hôpital à un autre ou à un autre fournisseur de soins. Une personne n'a pas son propre dossier médical; il est probablement réparti dans 30 endroits différents.

À sa sortie de l'hôpital, une personne qui souffre d'insuffisance cardiaque congestive devrait recevoir la visite d'une infirmière en soins communautaires, mais la plupart des hôpitaux n'ont même pas de dossiers de santé électroniques. Le médecin et l'infirmière en soins communautaire ne savent pas que le patient a quitté l'hôpital.

Voilà certains des aspects flagrants dont je parlais pour ce qui est de l'inefficacité.

La sénatrice Marshall : Après vous avoir entendu parler de l'exemple danois, où l'on n'a pas augmenté le nombre de lits, je dirais que le Danemark a pris une position très rigide à cet égard. Peut-être que si nous cessions d'augmenter le financement des soins de santé, le système de soins de santé s'adapterait mieux aux besoins, comme au Danemark.

Le président : Est-ce que les autres témoins veulent intervenir?

Dr Avery : Je suis d'accord avec M. Drummond quant aux changements qu'il est nécessaire d'apporter, surtout en ce qui concerne les soins à domicile. Ils coûtent vraiment moins cher et constituent une meilleure solution tant que nous avons le soutien nécessaire. Je crois que c'est presque une condition sine qua non.

Je ferais remarquer qu'à ma connaissance, les établissements de soins de santé ne sont pas admissibles aux fonds d'infrastructure dans le cadre du programme actuel, ce qui est un problème. Néanmoins, il y a des gens qui sont dans des établissements de soins actifs qui ne devraient pas y être, et le seul endroit approprié, c'est un établissement de soins de longue durée, et nous n'avons pas ces places. Je crois donc qu'il y a un argument de poids. Nonobstant le fait que nous devrions transférer beaucoup plus de choses au volet des soins à domicile, il y a tout de même un argument important sur l'augmentation du nombre de lits de soins de longue durée.

Je crois donc qu'il y a deux réponses à votre question. Vous proposez qu'on fasse tout exploser, ou encore qu'on le fasse lentement, je crois, et c'est dangereux. Nous avons vu ce qui s'est passé ici, en Ontario, par exemple; les choses sont devenues chaotiques. Je pourrais vous parler longuement des effets néfastes qu'a eus la situation en Ontario. Il est certain qu'exercer des pressions suscite des changements, mais je crois que c'est très dangereux.

Nous avons besoin de deux choses. Tout d'abord, nous avons besoin de ces normes provinciales, territoriales et fédérales. Il nous faut un consensus sur l'établissement de normes. Ainsi, des changements s'imposeront. Si de l'argent est rattaché à ces normes — et je reviens sur un exemple simple, soit le temps d'attente pour des chirurgies, ce qui est facile à dénombrer, mais il y en a bien d'autres —, des changements s'imposeront.

La deuxième chose concerne les mesures que nous prenons après avoir créé cette situation imposant le changement et la manière dont nous travaillons pour apporter ce changement. Je crois que cela nécessite une collaboration entre tous les partenaires qui représentent le système de soins de santé — ou une partie du système — soit les professionnels, les gouvernements, les universités, les gestionnaires de la santé et, surtout, les gens. Sans ce type de collaboration, nous aboutirons à ce qui s'est passé jusqu'à maintenant au cours des 50 dernières années : quelqu'un fait une recommandation sans tenir compte des effets qu'elle aurait sur certains autres partenaires. Une telle collaboration visant à améliorer le système de soins de santé est un principe fondamental essentiel.

M. Foot : C'est très important, car concernant les soins à domicile — et M. Drummond en a parlé —, avez-vous tous entendu ce qu'il a dit? Les dépenses en soins de santé comprennent les services d'une personne qui vient tondre le gazon. Si l'on veut faire en sorte que les gens restent à la maison, ce qu'ils souhaitent d'ailleurs — Don a parfaitement raison à cet égard —, il est absolument essentiel de leur fournir un ensemble complet de services : des gens se rendent chez eux pour faire la lessive et tondre le gazon. Ce sont les services qu'il faut offrir aux gens si l'on veut qu'ils puissent rester à la maison, et c'est ce que le Danemark a mis en place. Il a mis d'autres options en place lorsqu'il a fait exploser le système. C'est ce qui a fait en sorte que les choses fonctionnent au Danemark.

Le président : Je peux vous parler de ma mère. À l'âge de 89 ans, elle est tombée et s'est cassé la hanche. Elle vivait dans une maison à deux étages. Nous avons eu recours aux soins à domicile, mais le problème, c'est qu'il y a 10 ans, les services de soins à domicile n'en étaient qu'à leurs débuts, et il y avait des problèmes sur le plan de la qualité des personnes qui fournissaient les services, qui coûtaient cher. Ils nous coûtaient à mon frère et à moi 4 000 $ par mois. Nous avons dû la transférer dans une résidence-services. Cela coûtait 5 800 $ par mois. Ces centres sont en plein essor dans le secteur privé.

Or, le point que vous soulevez tous les deux, messieurs, concernant les soins à domicile, c'est que pour fonctionner, ils doivent comprendre chaque élément des soins à domiciles. C'est peut-être en partie que lorsque les gens vivent dans des habitations trop grandes par rapport à leurs besoins, il faut qu'ils vivent sur un seul étage. C'est un autre élément important si l'on veut offrir une solution de soins à domicile complète. Ce n'est qu'une réflexion, mais lorsque vous avez commencé à en parler, j'ai pensé à ma mère et à ce qu'elle a vécu.

La sénatrice Moncion : Une tendance se dessine actuellement concernant les appartements luxueux. Il ne s'agit pas de maisons de repos, de foyers pour personnes âgées ou d'établissements de soins de longue durée. De plus en plus de gens vendent leur maison pour ne plus avoir à tondre le gazon, par exemple, et ils déménagent dans ce type d'appartements. Ils y vivent le plus longtemps possible jusqu'à ce qu'ils perdent une partie de leurs capacités mentales. C'est ce que nous voyons de plus en plus.

Je pense qu'il faut renseigner les gens qui avancent en âge à cet égard. Je vais vous donner l'exemple de mon père, qui a maintenant 96 ans. Il vit présentement dans un établissement de soins de longue durée, mais depuis moins d'un an seulement. Auparavant, il a vécu dans une résidence-services pendant quatre ans, et avant cela, il vivait dans sa maison. Cela vous montre la progression, mais il n'a jamais voulu quitter sa maison, et les problèmes liés aux capacités mentales sont entrés en jeu. Nous avons alors dû travailler auprès de lui pour pouvoir l'installer ailleurs. Or, il s'agit d'informer les gens sur les autres moyens qui existent, et il ne faut pas que ce soit nécessairement un établissement complètement arrangé pour la personne. Je vais faire en sorte que mes enfants ne vivent pas ce que j'ai vécu avec un parent vieillissant.

Dr Avery : Sénateurs, les expériences que vous vivez se répètent un million de fois au pays, et vous avez tout à fait raison. Il existe une solution assez simple, qui requiert un investissement initial. Il s'agit de l'ensemble de soins, comme l'illustre Bruyère ici, à Ottawa, par exemple : du soutien à domicile — quoique les services ne sont pas suffisants en raison des problèmes de financement actuels — jusqu'aux soins de longue durée.

Les soins continus permettent aux gens de vivre au maximum lorsqu'ils en sont capables. Nous avons le modèle. Nous ne nous sommes pas réunis pour nous en servir et c'est en partie lié à des raisons financières.

Le sénateur Neufeld : Je vais répéter un peu ce qu'ont dit d'autres personnes. Depuis plus de 20 ans, j'entends dire que le nombre de lits de soins de longue durée n'est pas suffisant et que des malades monopolisent des lits. Cela dure depuis toujours. C'est en partie vrai, et c'est en partie parce que ce sont les médecins qui demandent, en fait, que ces gens occupent ces lits dans certains cas. Or, en général, la population dit que ce ne sont que des malades qui monopolisent des lits. Certains d'entre eux sont là pour une raison précise et c'est parce que c'est ce qui leur a été prescrit. Du moins, c'est ce qui correspond à mon expérience dans la province d'où je viens, soit la Colombie- Britannique.

L'autre jour, des gens ont dit qu'il y avait assez d'argent dans le système actuellement pour administrer le système si nous ne faisions que le modifier. Aujourd'hui, nous disons, dans une institution fédérale, que c'est le problème des provinces, et si nous discutions avec des ministres provinciaux de la Santé, on dirait que c'est le problème du fédéral. C'est du déjà vu pour moi et j'ai entendu tout cela.

En général, la population est d'avis que nous avons un bon système. En fait, c'est ce qu'on leur dit. Les gens qui savent que le système ne fonctionne pas, ce sont ceux qui essayent d'y avoir recours. S'il existe un moyen rapide de perdre pour un politicien provincial, c'est de déclarer que tout le système cloche et que nous devons le rebâtir. De même, si un politicien fédéral le dit, il sera défait à l'élection suivante; ça se passe aussi rapidement que cela. J'ignore ce qu'il faut faire pour que les gens comprennent qu'il existe des problèmes.

L'autre jour, j'ai dit à un médecin qu'il était peut-être temps, car les gens ne croiront pas les politiciens. L'opposition battra n'importe quel gouvernement qui dit que le système ne fonctionne pas. C'est un bon moyen de ne pas se faire élire. Or, je crois que les médecins doivent commencer à parler des problèmes. Les patients ont confiance en leur médecin. Il en a toujours été ainsi. Je crois que les médecins ont une responsabilité à cet égard, et l'Association médicale canadienne — je ne vise pas que vous — et toutes les associations doivent commencer à discuter de régler le problème. Il faudra faire des changements assez importants.

À mon avis, c'est là que nous devons commencer, et tant que nous ne ferons que nous blâmer mutuellement et investir plus l'argent, c'est exactement ce qui se produira. On injectera davantage de fonds. Les provinces exerceront des pressions sur l'administration fédérale pour obtenir une plus grande part.

Si nous voulons moderniser le système de soins de santé, nous devons également laisser les provinces commencer à faire une partie du travail de modernisation parce que si on essaie de modifier quoi que ce soit dans le système de soins de santé, le gouvernement fédéral dira que cela ne cadre pas avec les cinq paramètres qui ont été établis pour les soins de santé, et une partie du financement sera éliminé. C'est ce que j'ai vécu en Colombie-Britannique.

Nous n'avons pas reçu une partie de nos fonds parce que nous voulions prendre des mesures novatrices. Les provinces ne peuvent donc pas faire preuve d'innovation par elles-mêmes. Il faut que ce soit le système, et je n'essaie pas de dire que seuls les médecins doivent agir, mais je pense qu'ils doivent mener la charge, car c'est en eux que la population a confiance. Les gens ne se fient pas aux politiciens — provinciaux comme fédéraux — pour que les choses changent. Cela ne fonctionnera pas. Tout ce qui en résultera, c'est qu'ils ne seront pas élus, et je crois qu'il faut procéder d'une autre façon.

Ce n'est pas une question, mais il doit exister une façon différente de parler du système aux gens, et si nous ne réglons pas le problème, ce ne sera pas possible si nous ne sommes pas prudents.

Le président : Qui aimerait intervenir en premier là-dessus?

M. Drummond : Concernant un élément difficile, la plupart des aspects dont il a été question relèvent des provinces et non du gouvernement fédéral. La gestion des soins de santé est une responsabilité provinciale, et si les médecins participaient de façon plus active et productive aux réformes, ce serait par l'intermédiaire des provinces. Or, regardez ce qui se passe. Qu'est-ce qui caractérise les discussions entre nos grandes provinces et leurs médecins? On parle d'une bataille au sujet d'une réduction de salaire générale, ce qui n'a aucun sens. Il y a des éléments de la discussion, mais ce n'est pas partout.

Ce qui devrait se passer, c'est qu'on discute avec les médecins de ce qui pourrait changer, mais quand on y pense, que peuvent faire les médecins à l'heure actuelle? On les encourage à faire certaines choses et on les pénalise pour d'autres choses. On ne les incite pas à céder une partie de leurs tâches à des infirmières praticiennes, par exemple, ou à diriger des gens vers le type de cliniques appropriées. Cela se résume en partie à la façon dont les choses fonctionnent à la base, mais les systèmes d'incitatifs ne sont pas alignés, de sorte que les médecins ne peuvent pas agir seuls. Ils peuvent jouer un rôle, mais ils sont présentement dans une situation où ils doivent se bagarrer contre des augmentations générales, et la situation n'est pas très différente d'une province à l'autre au pays.

Dr Avery : Oui, merci. C'est un bon défi. J'aimerais dire que dans presque toutes les provinces — malheureusement, ce n'est pas le cas de certaines grandes provinces —, il existe une bonne collaboration entre le gouvernement et les professionnels de la santé, en particulier les médecins.

Je peux vous dire que dans ma province — qui est aussi la vôtre, monsieur —, soit la Colombie-Britannique, nous avons des discussions rigoureuses à ce sujet. Elles ne le sont pas encore assez, car elles n'incluent pas tous les partenaires dont j'ai parlé. C'est une vaste discussion. Ce n'est pas quelque chose que nous pouvons régler avec une seule solution. Tout le monde le sait. Cela commence ici, par des discussions entre le fédéral et les provinces. Je ne peux vous dire à quel point je me suis senti frustré parfois en entendant des gens dire « ce n'est pas un problème qui relève du fédéral, et je ne peux rien y faire ».

On entend aussi : « Si seulement le gouvernement fédéral nous donnait plus d'argent, tout irait bien. » Ce n'est pas la solution. Nous devons songer à tout ce que nous voulons faire, et ce que nous voulons faire, c'est une vaste réforme.

Nous devons songer à l'assurance-médicaments et à l'organisation de la pratique. C'est à cela que vous pensiez, je crois, sénateur Neufeld, quand vous avez parlé des primes, et le professeur Drummond l'a aussi mentionné.

Nous devons réorganiser le fonctionnement des cabinets. Ce n'est pas très compliqué; en fait, c'est assez simple, mais pour y arriver, il faut avoir la volonté de changer. On revient à la collaboration et à la participation de la population, à votre crainte que les politiciens ne soient pas réélus; on peut éviter tout cela grâce à la participation et à la collaboration.

Le sénateur Neufeld : Je suis d'accord. Les choses se passent bien en Colombie-Britannique, mais il faut parler aux gens. La population doit comprendre, parce que si l'on veut réformer quelque chose comme les soins de santé, on y travaillera jusqu'à ce que la population générale, les gens qui ne sont pas médecins, politiciens ou bailleurs de fonds, comprennent qu'il y a un problème.

Si on tente de corriger le système avant que les gens comprennent qu'on a de bonnes raisons de le faire, la réforme échouera. La population doit savoir ce qui se passe. On ne peut pas déclarer à brûle-pourpoint : « Nous allons nous réunir et réparer le système. » La population doit comprendre parce qu'apporter des changements au système de soins de santé, ce n'est pas une mince affaire.

Le sénateur Mockler : Monsieur Drummond, je viens du Nouveau-Brunswick. J'ai fini de lire Deux pays, qui décrit la situation dans laquelle nous nous trouvons, ce qui se passe à l'est et à l'ouest de la rivière des Outaouais. La question, au bout du compte, est qui va payer et comment?

Vous qui êtes économiste, que recommanderiez-vous au Canada atlantique pour créer de la richesse tout en faisant face à une population vieillissante, une situation que nous ne pouvons tout simplement pas ignorer? Qui payera? Lorsque je voyage dans l'Ouest canadien, à titre de sénateur du Canada atlantique, on me dit souvent qu'un jour, les transferts cesseront. Comment pouvons-nous redresser la situation?

M. Drummond : Je vais profiter d'une idée que j'ai semée au sujet du besoin d'améliorer la façon dont nous faisons concorder l'offre et la demande de main-d'œuvre. C'est particulièrement pertinent pour les provinces de l'Atlantique parce qu'au moins 60 à 70 p. 100 des futurs emplois au Canada requerront des études postsecondaires. Il n'y aura presque pas d'emplois pour les gens ne détenant pas de diplôme universitaire.

Le Canada atlantique compte de nombreux collèges et universités de grande qualité; je dirais que le nombre est presque disproportionné à la population. La région a produit beaucoup de bons diplômés, mais comme vous le savez puisque vous venez du Nouveau-Brunswick, beaucoup d'entre eux partent. Comment peut-on les retenir? Comment peut-on attirer des entreprises existantes aujourd'hui? Comment peut-on répondre à leurs besoins pour leur permettre de croître, et comment les nombreuses universités et la grande capacité de recherche peuvent-elles servir à attirer les entreprises?

On parle de la mobilité des sociétés, mais pourquoi sont-elles mobiles? Elles cherchent les bonnes personnes à un coût raisonnable, mais de plus en plus, ces personnes doivent être hautement spécialisées. Selon moi, c'est l'atout que les provinces de l'Atlantique ont dans leur jeu, peut-être même à cause d'une bizarrerie de l'histoire qui a fait en sorte qu'elles se retrouvent avec un nombre d'établissements d'enseignement supérieur disproportionné à leur population; dans tous les cas, c'est un des avantages dont elles peuvent tirer parti.

Votre question ne portait pas sur les soins de santé, mais je vais en parler parce que ma thèse est que la révolution des soins de santé sera peut-être déclenchée par une des plus petites provinces. À mon avis, ce sera une des provinces de l'Est.

Je le répète, la révolution sera causée par la menace d'une crise financière; la province n'aura pas le choix d'agir. Cela semble être la façon dont le Canada fonctionne. C'est aussi un des désavantages que les soins de santé soient aussi fragmentés, mais un des avantages, c'est que les gens peuvent aller dans la direction qu'ils souhaitent. Tout a commencé principalement dans la province de la Saskatchewan et s'est répandu après. Je pense que c'est ce qui se produira. Le Nouveau-Brunswick ou une autre province va perdre la marge de manœuvre financière nécessaire pour gérer son système, la province va introduire des changements majeurs, et le reste du pays va la suivre.

Dr Avery : Le Nouveau-Brunswick est une province merveilleuse peuplée de gens charmants. Or, son système est en péril. Selon un rapport publié par la Société médicale du Nouveau-Brunswick, 90 p. 100 des médecins sont épuisés, ils sont déprimés, ils cessent de pratiquer, ils déménagent, et toutes les autres choses qui arrivent lorsque les médecins sont épuisés et déprimés. Ils prennent une retraite anticipée, ils partent, ils font le moins de travail possible et ils réduisent leur pratique. Toutes ces mesures sont négatives. Nous devrions cibler la médecine générale au Canada pour la plupart des soins médicaux, jusqu'à 80 p. 100 selon certaines estimations.

Il faut se demander pourquoi un si grand nombre de médecins sont déprimés et, par conséquent, pas aussi productifs qu'ils devraient l'être. À la base, c'est une question de perte d'autonomie et de contrôle de leur vie. Nous avons vu la même situation se produire dans presque toutes les provinces canadiennes, à différents degrés. Je peux vous fournir des détails si vous voulez.

Le Nouveau-Brunswick se démarque sur ce plan — ce n'est pas une situation souhaitable. Je le répète : la solution est la collaboration et le partenariat d'égal à égal. Les médecins veulent redresser la situation, autant ou plus que tous les membres de la société canadienne. Ils ne veulent pas être déprimés, détester leur travail et tout simplement se résigner. Ils veulent aider à régler le problème. Les diplômés de l'école de médecine veulent sauver des vies, ils veulent corriger le système et le faire fonctionner. C'est le contrôle qui mine leur volonté. La seule solution est la collaboration.

La sénatrice Andreychuk : Nous parlons beaucoup du Nouveau-Brunswick, et je comprends que c'est parce qu'il y a eu une étude, mais ne nous intéressons-nous pas aussi aux régions rurales et urbaines? Je ne suis pas d'accord avec mon collègue. Nous avons bâti tous ces hôpitaux qualifiés de petits en Saskatchewan, nous les avons dotés de personnel et nous avons dit que nous allions accroître les services; on aurait dû parler de services de médecins généralistes. Il y a trop peu de médecins là-bas.

Par exemple, cette semaine, deux médecins ont annoncé qu'ils n'acceptaient plus de nouveaux patients. Que peut faire le reste de la population? Elle doit se rendre à la salle d'urgence. C'est la réponse à tout maintenant. Le problème ne touche pas seulement le Nouveau-Brunswick, mais aussi les régions rurales et la répartition des services.

Lorsque tout a commencé en Saskatchewan, la pratique médicale n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui. Les soins étaient simples; il n'y avait pas d'appareils de haute technologie. C'est là que je suis en désaccord avec mon collègue. Il y a une attente que chacun de ces appareils devrait se trouver à chaque endroit, dans chaque coin, ce qui n'est pas pragmatique. Il faut repenser la situation rurale et urbaine, ainsi que la disparité entre les provinces.

M. Drummond : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Cela fait partie de la sensibilisation de la population. C'est arrivé en Saskatchewan. Il y a aussi eu une situation tendue dans le sud de l'Ontario, où on a fermé les salles d'urgence dans certains hôpitaux et on a regroupé tous les services, et les gens étaient contrariés parce que la salle d'urgence n'était pas à côté. En réalité, la salle d'urgence était si petite et on y faisait si rarement certaines interventions que s'y rendre était probablement mettre sa vie en danger. Ce n'est pas toujours possible selon la gravité de l'urgence, mais il est préférable de se rendre à un centre de services regroupés, comme madame la sénatrice l'a dit, qui est doté de tout l'équipement nécessaire, ainsi que de médecins et d'autres fournisseurs de soins qui font beaucoup plus souvent les interventions en question.

C'est vrai que depuis l'époque de Roy Romanow, la Saskatchewan a fermé de nombreux petits hôpitaux et elle a regroupé certains services, et je suis sûr qu'il y aura plus de situations pareilles au Canada à l'avenir.

Le sénateur Mockler : Je veux revenir sur certaines questions déjà posées.

On nous dit qu'il faudra réexaminer et moderniser la Loi canadienne sur la santé. Donald J. Savoie a écrit un livre intitulé What Is Government Good At. À l'heure actuelle, le pourcentage d'inefficacité dans le système de soins de santé au Canada, même dans ma province, serait d'environ 20 p. 100. Si c'est vrai, selon vos antécédents en gouvernance et en prestation de services et compte tenu du vieillissement démographique, comment pouvons-nous redresser la situation?

Dr Avery : Vous avez raison, et c'est facile. La première partie de la solution est la réorganisation de la pratique, et la deuxième est la collaboration.

Je pratique la médecine depuis environ 40 ans dans une collectivité rurale et j'ai offert des services dans des collectivités éloignées où il n'y avait pas d'installations. C'était parfaitement possible d'offrir des soins de qualité dans ces situations. Je ne suis pas particulièrement intelligent; c'est juste une question de s'organiser et de réfléchir à ce dont la personne a besoin.

Il faut absolument réorganiser la pratique. Pour ce faire, nous devons songer à deux éléments. D'abord, au sommet, il y a la collaboration dont j'ai parlé en premier. Sans la collaboration, des gens se retireront, ils feront en sorte que des politiciens ne soient pas réélus, ils saboteront les plans pour préserver, par exemple, l'amour-propre ou l'emploi de quelqu'un. Réunissez-les et lancez la discussion; vous pouvez vous occuper de cela.

Ensuite, à la base, il y a ce dont vous parlez, monsieur, le travail qui doit être fait à l'échelle de la pratique. Nous devrions favoriser une approche généraliste de la médecine, fondée sur le travail d'équipe, et nous devrions chercher à bâtir des ponts entre le travail en milieu communautaire et le travail en milieu hospitalier.

Il s'agit du modèle rural. C'est ce que nous sommes obligés de faire en région rurale parce qu'il n'y a pas d'autres façons de procéder.

Nous avons perfectionné cette approche avec les années. En fait, le Canada est un chef de file mondial en ce qui touche la compréhension d'un modèle généraliste de la pratique. Toutefois, nous n'avons pas encore adopté complètement le modèle généraliste fondé sur le travail d'équipe et nous n'avons pas importé le modèle dans les villes. Nous pourrions régler toutes sortes de problèmes en important le modèle ici et dans toutes les villes canadiennes.

Le président : Avez-vous des observations, monsieur Foot ou monsieur Drummond?

M. Drummond : Oui. Vous avez mentionné la Loi canadienne sur la santé. Il y a tellement longtemps que cette loi a été adoptée qu'elle a perdu presque toute sa pertinence.

On dit sans cesse que c'est un obstacle à toutes sortes de choses, mais est-ce vrai? Par exemple, une des conditions est la transférabilité. Nous ne sommes même pas près de satisfaire à cette condition, et rien n'a jamais été fait pour y répondre.

Une autre des cinq conditions est la gestion publique. Excusez-moi, mais 30 p. 100 des dépenses en soins de santé au Canada sont faites dans le secteur privé. Ce n'est pas de la gestion publique. Mis à part celui des États-Unis, c'est le pourcentage le plus élevé de tous les pays développés.

Il y a eu toutes sortes d'infractions. Quelques mesures insolites ont été prises en vertu de la loi, et j'espère qu'elles n'ont pas été répétées. Par exemple, quand le Québec a proposé de facturer des frais de 7 $ aux personnes qui se rendent aux services d'urgence quand une clinique avoisinante est ouverte, c'était tout à fait logique. Le gouvernement fédéral n'a pas aimé la proposition, mais il a fini par l'accepter. Pour le reste, elle est très peu pertinente.

On pourrait la remplacer par quelque chose de plus utile, comme ce que le Dr Avery disait. Ce serait des normes nationales en matière de soins, mais pas dans le contexte actuel. À mon avis, ce n'est même pas nécessaire de mentionner la Loi canadienne sur la santé dans toute discussion sur une réforme significative des soins de santé au Canada; elle est vraiment dépassée à ce point.

La sénatrice Cools : Bienvenue au comité, messieurs. Je tiens à ce que vous sachiez que j'ai grandi à une époque où les médecins occupaient une place importante et centrale au sein de la collectivité et où ils étaient considérés comme des dieux. Tout le monde voulait que son fils ou sa fille devienne médecin. Je le sais parce que je l'ai vécue moi-même.

Je réfléchis beaucoup à toutes ces questions et j'en parle avec les gens informés que je rencontre lorsque l'occasion se présente. Par exemple, je pourrais être assise à côté du Dr Avery durant un vol, et nous pourrions avoir une bonne conversation pendant une heure ou deux sur toutes les failles du système. Elles sont nombreuses.

J'ai parlé à de nombreuses personnes, et la préoccupation générale qu'elles mentionnent et qu'elles soutiennent toujours, c'est que les médecins ne jouent pas un rôle assez grand. La profession médicale n'est pas suffisamment représentée dans la planification, la gestion et la prise de décisions dans le domaine des soins de santé.

La première personne qui m'a dit cela, c'était un homme très savant, un médecin. Il semblait penser, à l'époque, que c'était un des problèmes majeurs.

Quand j'étais une très jeune femme, il y a de nombreuses années — en fait, j'étais encore à l'université —, je travaillais comme technicienne de laboratoire, et j'étais bonne. Je travaillais à l'hôpital. On m'appelait d'urgence à toute heure de la nuit pour que je vienne faire des tests. Lorsque je me rendais à l'hôpital, un résident faisait de la dialyse dans la salle des reins. Quand j'avais les résultats, je l'appelais pour lui dire que j'allais les lui envoyer par tube pneumatique. Il me répondait : « Non, je vais descendre les chercher moi-même. »

Je me souviens de ces jeunes résidents. Ils étaient intelligents, jeunes et remplis d'avenir. Nombre d'entre eux sont devenus très célèbres. J'ai compris, avec les années, que lorsqu'ils descendaient chercher les résultats — on écrivait la demande et tous les résultats du test —, ils savaient très bien ce qui se passait. Ces résidents avaient 23 ou 24 ans et ils savaient très bien qu'ils perdaient leur patient. Ils descendaient me parler pendant quelques minutes au milieu de la nuit pour se donner la force de remonter et d'affronter le fait qu'ils allaient perdre leur patient.

Quand vous vivez ce genre d'expérience souvent, comme c'est mon cas, vous vous mettez à comprendre des choses sur les pressions que la profession subit; la capacité des médecins de bien réagir dans la plupart des circonstances est l'une des raisons pour lesquelles on les respecte tant dans la collectivité.

Le président : Vous avez une question, sénatrice? Nous devons passer à autre chose.

La sénatrice Cools : Non. Nous pouvons faire des commentaires positifs. C'est un enjeu très important.

Le président : Je comprends, mais je vais vous demander de formuler votre question.

La sénatrice Cools : Les médecins souffrent de ce qu'ils appellent l'usure de compassion. C'est une chose qui m'a profondément troublée.

Il y a des années, autour de 2007-2008, un économiste du ministère provincial de la Santé — ils ont ce pouvoir — a mené une étude qui lui a révélé que les médecins avaient trop de patients. À cette époque, il y avait une forte pénurie de médecins, à cause de la très mauvaise décision prise par le gouvernement provincial — le ministère de la Santé de la province — de réduire le nombre d'inscriptions d'étudiants en médecine. Cela a imposé un fardeau aux hôpitaux et à la profession.

Je me demande si vous avez des idées sur les raisons pour lesquelles une décision aussi malencontreuse et scandaleuse a pu être prise par les professionnels chargés d'administrer le système de soins de santé.

Dr Avery : Je vous remercie, notamment de ce que vous avez relaté. Je pense que la réponse est très simple; ce que nous faisons beaucoup trop, c'est répondre à un segment seulement, à une petite partie du continuum de ce que nous cherchons à accomplir dans un système très complexe. Selon le rapport dont vous parlez, celui de Barry Stoddart, le Canada aurait effectivement reculé de 15 ans. Nous nous en remettons à peine. Nous n'avons toujours pas autant de médecins que dans certains de nos pays de référence, soit les pays de l'OCDE. Quoi qu'il en soit, je pense que la question n'est plus là. Maintenant, il est question de tirer parti de l'approche généraliste et de réformer la profession. Il y a tellement de maladies, de cas d'invalidité et de décès qui se produisent entre ces deux interfaces — la collectivité et l'hôpital —, et il faut que cela cesse.

Le président : Merci. Nous devons passer à autre chose, car nous allons manquer de temps et d'énergie, honnêtement. La journée a été longue, et je vous remercie tous pour le formidable travail que vous accomplissez dans les divers comités. Il reste deux personnes, le sénateur Woo et la sénatrice Marshall, puis nous lèverons la séance. Nous vous remercions beaucoup.

Le sénateur Woo : J'essaie désespérément de trouver le bon côté, dans cette discussion sur l'économie du troisième âge. Je voulais en particulier demander aux deux économistes s'ils peuvent m'aider à trouver le bon côté qu'ils peuvent voir. Deux choses me viennent à l'esprit. C'est peut-être illusoire, et je vais vous donner l'occasion de démolir ce que je dis, mais j'aimerais vraiment entendre vos avis.

Premièrement, les baby-boomers détiennent, bien sûr, énormément de richesse, en partie grâce au cycle de notre économie qui a suivi la période de l'après-guerre. Ce sont eux qui ont profité le plus de ces années de prospérité. Nous connaissons tous la différence de revenus entre les divers groupes d'âge, et en particulier entre les jeunes et les vieux. Est-ce qu'il y a quelque chose de positif à tirer de l'effet de la distribution des richesses, si l'on veut, une fois que les baby-boomers décèdent? C'est ma première question.

La deuxième est liée à une chose que mes amis japonais me disent toujours. Je ne les crois pas, en fait. Comme vous le savez, ils ont la population qui vieillit le plus vite. Certains d'entre eux s'en inquiètent; d'autres, pas tant. Ceux qui ne s'en inquiètent pas disent : « Il est vrai que notre potentiel de croissance a diminué, mais il y aura toujours une croissance positive ou, du moins, de la stabilité malgré une population en déclin. » En effet, cela signifie des revenus par habitant plus élevés. Est-ce que je pourrais avoir une réponse de l'un de vous ou des deux?

M. Foot : Le Japon est le pays où le vieillissement est le plus rapide. Son taux de croissance a donc diminué beaucoup plus rapidement que partout ailleurs. Cependant, le Japon indique très clairement que sa population est en déclin. Il n'affiche aucune croissance, et il y a plus de richesse pour la population qui reste. En fait, la situation est meilleure. Mais n'oubliez pas qu'ils vivent quatre ou cinq ans de plus que les Canadiens, en moyenne, ce qui représente une énorme différence.

L'Europe se trouve au deuxième rang des régions du monde où la population est la plus vieille. C'est la raison pour laquelle sa croissance a ralenti radicalement.

Je trouve préoccupant le mouvement qui favorise la croissance. La croissance est mauvaise pour l'environnement. Nous savons cela. Nous devrions préconiser la durabilité. Je ne crois pas que la croissance va nous sortir de cette situation. Je suis désolé, Don, mais préconiser la croissance tout le temps n'avantage que le secteur privé. Le secteur privé doit commencer à penser à la durabilité. En ce qui concerne les baby-boomers, permettez-moi de vous dire que la plupart de ceux dont vous parlez maintenant s'occupent de leurs mères de 85 ans et de leurs pères de 90 ans. Vraiment. Je l'ai vécu, et c'est alors qu'ils constatent que le système de soins de santé ne tient pas ses promesses. Il y a plein de gens dans la soixantaine qui réalisent maintenant qu'ils n'ont pas de système de soins de santé. En passant, n'oubliez pas que les parents ont eu, en moyenne, quatre enfants, nés autour des années 1960. C'est donc dire que toute cette richesse que les baby-boomers espèrent sera divisée en quatre. Si la famille est dysfonctionnelle, ce sont les avocats qui vont finir avec.

Il faut être prudent quand on cherche le bon côté des choses. Vous pouvez épargner de l'argent sur les prestations pour enfants, parce qu'il y a moins d'enfants. Donc, vous épargnez de l'argent de ce côté. Je pense que les baby- boomers vont organiser eux-mêmes leurs conditions de vie. Je pense que les familles vont se rassembler — pour revenir à un commentaire qui a été fait précédemment — et vont louer quatre appartements sur un étage, et s'occuper les uns des autres. Ce sera peut-être un club de lectrices — parce que les femmes vivent plus longtemps que les hommes — dont les membres vont louer des appartements pour être proches les unes des autres et s'entraider, sachant que le système ne va pas les aider. Nous allons voir surgir des solutions très créatives. C'est un autre bon côté qu'on peut s'attendre à constater au fil du temps.

Vous épargnez sur les paiements pour les enfants, et il ne faut pas vous attendre à ce que les baby-boomers aient toute la richesse. Oui, ils approchent la fin de leur vie, mais ils vont payer eux-mêmes une grande partie de leurs soins de santé. La plupart des dépenses en produits pharmaceutiques se font dans le secteur privé, et non dans le secteur public.

M. Drummond : Je vais essayer de répondre à la deuxième moitié de la question. Pourquoi le Japon est-il si insouciant malgré leur situation démographique qui, en fait, pour en revenir à nos amis néo-brunswickois, ressemble assez à celle du Nouveau-Brunswick?

Il y a quelque chose qui manque au Japon et, en fait, c'est courant partout dans les pays de l'Asie de l'Est. Je devrais inclure dans cela la Corée du Sud, Singapour et la Chine. Ils n'ont pas compris les incidences de leur situation démographique sur leur croissance. Au Japon, le taux de croissance potentielle est, d'après mes calculs, exactement le même qu'au Nouveau-Brunswick, soit 0,5 p. 100. Ils sont cependant déçus quand, chaque trimestre, leur taux de croissance tombe sous 2 p. 100. Vos calculatrices ne fonctionnent-elles donc pas chez vous? Vous ne pouvez avoir un taux de croissance de 2 p. 100 compte tenu de votre productivité passée et de la croissance de votre population.

La Corée du Sud s'est fixé une cible de croissance de 4,5 p. 100 il y a un an et demi. Vous avez dit que le Japon est le pays qui connaît le vieillissement le plus rapide, mais je pense que la Corée du Sud l'a peut-être légèrement dépassé dans cette catégorie. Comment arriveront-ils à une croissance de 4,5 p. 100? La cible de croissance de Singapour est de 3,5 p. 100. La Chine sera vraiment décimée si elle n'obtient pas une croissance de 6 p. 100. Aucun de ces pays ne va réussir à atteindre les taux de croissance visés.

Pour en revenir au Canada — parce que c'est du Canada que nous parlions —, c'est la raison pour laquelle je veux que nous comprenions que notre taux de croissance sous-jacente est probablement d'environ 1,5 p. 100. Ne l'acceptez pas. Essayez de le changer; essayez de le faire augmenter. Cependant, comprenez ce que nous faisons et sachez que nos plans portent là-dessus. Ne continuez pas de faire des plans en fonction d'une croissance qui sera de 2 à 2,5 p. 100 pour ensuite avoir une nouvelle déception et adopter de mauvaises politiques. Comptez sur la croissance de 1,5 p. 100. Essayez de l'améliorer, mais adoptez des politiques en fonction de cela.

Le président : Docteur, avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

Dr Avery : Je dirai rapidement que je comprends que votre comité se penche sur les questions de finances nationales, mais la réalité, c'est que l'argent se trouve dans la réorganisation de la profession et dans la collaboration.

Le président : Merci. Pouvons-nous passer à la dernière question, que la sénatrice Marshall va poser?

La sénatrice Marshall : Je n'ai pas vraiment de question. Je veux plutôt préciser quelque chose. Nous parlons de soins de santé, et nous en parlons comme d'un programme national. Cependant, je suis de Terre-Neuve-et-Labrador, et ma province connaît en ce moment une crise financière. Avec la réduction de la contribution du gouvernement fédéral aux dépenses de soins de santé, les provinces doivent payer davantage. La capacité de certaines provinces d'absorber des dépenses supplémentaires diminue, ce qui réduit également les possibilités d'une réforme. Je pense que pour certaines provinces, comme Terre-Neuve-et-Labrador et le Nouveau-Brunswick, les possibilités de réforme diminuent de plus en plus. Certaines provinces sont en meilleure posture, comme peut-être la Colombie-Britannique. Nous ne parlons pas dans tous les cas de la même situation. Cela dépend de chaque province.

Le sénateur Mockler : Quel est donc le rôle du secteur privé, qui pourrait prendre plus de place ou faire partie des intervenants à la table, afin de trouver une solution?

Le président : Construire plus de foyers privés pour personnes âgées, et exiger 8 000 $ par mois.

Dr Avery : Je vous remercie de cette question, sénateur. Je pense en réalité que c'est une distraction. Je sais que c'est quelque chose d'émotionnel, et nous avons cette affaire importante, avec mon ami Brian Day, et ainsi de suite. Je connais cet homme depuis 40 ans. Il n'est pas mon ami en ce qui concerne ses objectifs généraux, je dois le dire. Ce n'est pas là que nous allons beaucoup changer les choses. Il faut qu'il soit clair que le pays n'a qu'un montant donné d'argent à consacrer aux soins de santé.

Dans une certaine mesure, il importe peu que les services soient publics ou privés. Notre idée d'un monopsone est excellente, et nous devons simplement veiller à établir les bons liens — la collaboration — et à bien organiser la profession pour que tout fonctionne.

Le président : Merci beaucoup à nos témoins pour leurs exposés de ce soir, et pour leurs réponses à nos questions.

(La séance est levée.)

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